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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
LIX – 2013 – CNRS Éditions, Paris
JURISPRUDENCE FRANÇAISE RELATIVE
AU DROIT INTERNATIONAL
(année 2012)
sous la direction de
Nicolas MAZIAU
JulieN CAZALA, alexis MARIE, laureNt TRIGEAUD
SOMMAIRE
CHAPITRE PREMIER : LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL
Section I : Les traités et accords internationaux
1. L’effet direct des stipulations conventionnelles
2. Compatibilité entre le droit interne et le droit international
Section II : La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)
1. Maintien du caractère exécutoire d’une décision interne malgré
une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme
2. Contrôle de conventionnalité d’une loi de validation déclarée conforme
à la Constitution
3. Interdictions générales et absolues
4. Espérance iscale légitime et article 1 du protocole n° 1 à la CEDH
5. Titres nobiliaires et CEDH
Section III : Les traités de l’Union européenne et le droit de l’Union européenne
1. Rapports entre droit constitutionnel et droit de l’Union européenne
2. Champ d’application des traités européens
(*) Nicolas Maziau, professeur agrégé des Facultés de droit, conseiller référendaire à la Cour de
cassation.
(**) Julien cazala, maître de conférences à l’Université d’Orléans, en détachement à l’Université
Galatasaray (Istanbul).
(***) Alexis Marie, maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne.
(****) Laurent Trigeaud, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris II).
Les propos tenus dans cette chronique n’engagent que les auteurs et en aucun cas l’institution à
laquelle ils appartiennent.
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jurisprudence française relative au droit international
CHAPITRE II : LES SUJETS DU DROIT INTERNATIONAL
Section I : L’État
1. La compétence territoriale de l’État
a) L’entrée, le séjour et la sortie du territoire d’étrangers en application
d’accords internationaux
b) Zone économique exclusive
c) Arbitrage
2. La compétence personnelle de l’État : Nationalité
Section II : Le régime de l’asile
1. Fondement de la protection
a) Appartenance à un certain groupe social
b) Opinions politiques
2. Exclusion de la protection
CHAPITRE III : LES RELATIONS INTERNATIONALES
Section I : Les immunités des États et des organisations internationales
1. Les immunités de l’État étranger
2. Les immunités des organisations internationales
3. Les immunités des agents diplomatiques, consulaires, et des fonctionnaires
internationaux
Section II : Le régime de l’extradition
1. Contrôle des conditions essentielles de la demande d’extradition
2. Extradition et peine non déinitive
3. Extradition vers le Rwanda et accusation de crime de génocide
Section III : Conditions de nomination des chefs de missions diplomatiques
ABRÉVIATIONS
AJCT
AJDA
AJFP
AJ Fam.
AFDI
Bull. civ.
Bull. crim.
Cah. arb.
Cass. civ.
Cass. com. in.
Cass. crim.
Cass. soc.
Ch.
CA
CAA
CC
Actualité juridique, Collectivités territoriales
Actualité juridique, Droit administratif
Actualité juridique, Fonction publique
Actualité juridique, Famille
Annuaire français de droit international
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambres civiles
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, Chambre criminelle
Cahiers de l’arbitrage – Paris Journal of International Arbitration
Cour de cassation, Chambre civile
Cour de cassation, Chambre commerciale et inancière
Cour de cassation, Chambre criminelle
Cour de cassation, Chambre sociale
Chambre
Cour d’appel
Cour administrative d’appel
Conseil constitutionnel
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jurisprudence française relative au droit international
CE
CE, Ass.
CEDH
CE, PSC
Cour EDH
D.
D. Adm.
FSC
GAJA
Gaz. Pal.
JCP
JDI
JORF
LPA
QPC
Quot. Jur.
R. adm.
Recueil
RCDIP
RDF
Rev. Arb.
RDP
RDT
RFDA
RFDC
RFFP
RGDIP
RJC
RJCom
RJF
RSC
RTDCiv
TA
TC
TGI
Trib. Com.
587
Conseil d’État
Conseil d’État, Assemblée
Convention européenne des droits de l’homme
Conseil d’État, président de la section du contentieux
Cour européenne des droits de l’homme
Dalloz
Droit administratif
Formation spéciale de constitutionnalité de la Cour de cassation
Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative
Gazette du Palais
Jurisclasseur périodique (Semaine juridique)
Journal du droit international (Clunet)
Journal oficiel de la République française
Les Petites Afiches
Question prioritaire de constitutionnalité
Quotidien juridique
Revue administrative
Recueil des arrêts du Conseil d’État (Lebon)
Revue critique de droit international privé
Revue de droit iscal
Revue de l’arbitrage
Revue du droit public et de la science politique
Revue de droit du travail
Revue française de droit administratif
Revue française de droit constitutionnel
Revue française de inances publiques
Revue générale de droit international public
Recueil de jurisprudence constitutionnelle
Revue de jurisprudence commerciale
Revue de jurisprudence iscale
Revue de science criminelle
Revue trimestrielle de droit civil
Tribunal administratif
Tribunal des conlits
Tribunal de grande instance
Tribunal de commerce
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jurisprudence française relative au droit international
CHAPITRE PREMIER : LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL
Section I : Les traités et accords internationaux
1. L’effet direct des stipulations conventionnelles
1. Dans son arrêt GISTI et FAPIL du 11 avril 2012, le Conseil d’État clariie
les critères d’identiication des stipulations conventionnelles présentant un effet
direct (CE, Ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, n° 322326, Rec., concl. dumortier, RFDA, 2012, p. 547 ; tribune aguila, AJDA, 2012, p. 729 ; domiNo et
BretoNNeau, « Les aléas de l’effet direct », ibid., p. 936). La contrariété du décret
n° 2008-098 du 8 septembre 2008 qui met en œuvre la loi du 5 mars 2007 portant
création du « droit au logement opposable » est, en l’espèce, invoquée par rapport
à l’article 6, paragraphe 1 de la convention internationale du travail n° 97 du
1er juillet 1949. Ce droit à un logement est ouvert, selon les termes de la loi, « à
toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans
des conditions de permanence déinies par décret en Conseil d’État, n’est pas en
mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir ». Le décret interprète la condition de « permanence » en la subordonnant à une résidence préalable
de deux ans sur le territoire national et en excluant de son champ d’application les
étrangers détenteurs d’un titre de séjour au titre d’un travail temporaire ou d’une
mission salariée. L’article 6, paragraphe 1 de la convention précitée consiste,
quant à lui, en une clause de traitement national, notamment en matière de
logement. Il ne fait ainsi pas de doute que le décret méconnaît cette stipulation
dans la mesure où, ain de bénéicier du droit au logement opposable, les étrangers
doivent satisfaire des conditions qui ne s’appliquent pas aux nationaux. Encore
faut-il que la stipulation soit reconnue d’effet direct pour que la violation soit
constatée et sanctionnée. Conformément à sa jurisprudence constante et malgré
les conclusions de son rapporteur public, le Conseil refuse de consacrer une quelconque invocabilité des stipulations conventionnelles dépourvues d’effet direct.
Il énonce en premier lieu que :
« les stipulations d’un traité […] peuvent utilement être invoquées à l’appui d’une
demande tendant à ce que soit annulé un acte administratif ou écartée l’application d’une loi ou d’un acte administratif incompatibles avec la norme juridique
qu’elles contiennent, dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent
directement se prévaloir ».
L’apport de l’arrêt réside essentiellement dans l’effort de clariication des
critères permettant d’identiier une stipulation d’effet direct. Réservant l’hypothèse
du droit de l’Union européenne, le Conseil d’État afirme qu’
« une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu
égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué,
ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les
relations entre États et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour
produire des effets à l’égard des particuliers ».
2. À vrai dire, en matière d’effet direct, il s’agit toujours, par hypothèse, d’interpréter l’intention des parties, qu’elle ait été « exprimée » ou que, sinon, elle doive
être alors dégagée implicitement de l’« économie générale du traité ». L’établissement de critères dits « subjectifs » et d’autres dits « objectifs » ne change rien au
principe. Au regard des aléas de la jurisprudence antérieure (voy. not. cette chronique, AFDI, 2012, p. 840), l’effort de clariication est, toutefois, louable et était
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jurisprudence française relative au droit international
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attendu notamment en ce que, s’agissant de l’intention « exprimée », le Conseil
précise fort heureusement qu’on ne saurait déduire l’absence d’effet direct de « la
seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de
l’obligation qu’elle déinit ».
3. Ce qui peut être plus critiquable est le fait que la formulation choisie par la
Haute juridiction déinisse négativement la stipulation d’effet direct comme celle
qui ne régit pas exclusivement les relations interétatiques. Cela le conduit, en
effet, à ériger l’absence de nécessité d’un « acte complémentaire » en une condition
autonome à la reconnaissance d’un effet direct et non comme un élément parmi
les autres pour identiier la clause conventionnelle qui crée un droit au particulier.
C’est certes logique au regard du caractère self executing de ce type de stipulations.
Cela relève, néanmoins, de leur déinition davantage que d’une condition en soi.
L’essentiel étant, encore une fois, d’interpréter la volonté des États. La précision et
la clarté de la clause en question, justiiant l’inutilité d’un « acte complémentaire »,
sont de simples indices de cette dernière.
4. Au fond, la haute juridiction administrative considère que l’article en cause
« ne saurait être interprété comme se bornant à régir les relations entre États et,
ne requérant l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets,
se sufit à lui-même ; que par suite, les stipulations précitées peuvent utilement
être invoquées à l’encontre du décret attaqué » (dans le même sens, voy. CE, 1re et
6e s/sect. réunies, 23 décembre 2010, n° 335738, publié aux Tables, cette chronique,
AFDI, 2011, p. 733).
5. C’est précisément en raison de l’absence d’« actes complémentaires » que la
Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes
ne peut se prévaloir de l’article 15 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 et
des articles 5, paragraphe 3 et 19 de la convention relative aux droits des personnes
handicapées de New-York du 30 mars 2007 au soutien de sa demande d’annulation de la décision implicite du Premier ministre de refus d’abroger l’article 1er du
décret n° 2005-1591 du 19 décembre 2005 relatif à la prestation de compensation
à domicile pour les personnes handicapées. Selon le Conseil d’État, toutes ces
stipulations « requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire
des effets à l’égard des particuliers », si bien que l’association requérante ne peut
utilement s’en prévaloir (CE, 1re et 6e s/sect. réunies, 4 juillet 2012, Confédération
française pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes, n° 341533). Il
est vrai que ces stipulations précisent que les États parties s’engagent « à prendre
les mesures nécessaires […] » ou « prennent les mesures appropriées […] ». La
solution revient, néanmoins, à accorder beaucoup d’importance aux formules choisies par les rédacteurs des conventions en cause alors que le Conseil d’État s’en
est distancié par ailleurs et que, ainsi qu’il a pu être souligné, ce type de formules
« est le plus souvent le relet de l’engagement étatique à faire le nécessaire pour
respecter ses obligations » (Chron. saNtulli, RFDA, 2013, p. 417). On est ici loin
des mesures de transposition exigées par les directives de l’Union européenne dont
on sait que l’absence peut être sanctionnée devant les juridictions après le délai
de transposition.
6. Il est, à nouveau, question de la Charte sociale européenne dans un arrêt
rendu quelques mois plus tard (CE, 10e s/sect., 7 novembre 2012, M.B., n° 350313).
Le requérant demande au Conseil d’État d’annuler la loi du pays du 19 mai 2011
portant diverses dispositions relatives au régime de retraite des travailleurs salariés de la Polynésie française en invoquant notamment les stipulations du 23° de la
partie I de ladite charte selon lequel : « [t]oute personne âgée à droit à une protection sociale ». La Haute juridiction rejette le moyen sans reprendre son considérant
de principe énoncé dans l’arrêt du 11 avril 2012 précité en afirmant, sans plus
de motivation, que « ces stipulations ne produisent pas d’effet direct à l’égard des
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jurisprudence française relative au droit international
nationaux des États contractants », réduisant, ce faisant, le champ d’application
de l’article aux seuls « nationaux ».
2. Compatibilité entre le droit interne et le droit international
7. Sur la compatibilité de la loi du 5 juillet 1983 qui réprime la pollution par
les navires avec la convention Marpol, voy. infra l’affaire « Érika », Cass., crim.,
25 septembre 2012, n° 10-82.938., Bull. crim. n° 198.
8. L’article L. 2314-3 du Code du travail crée une discrimination entre les
nouveaux syndicats issus d’un conlit collectif et donc relativement inluents et les
autres, en ce qu’il exige une condition d’ancienneté de deux années pour que ces
organisations puissent être invitées à négocier le protocole préélectoral et présenter
des candidats aux élections de délégués du personnel. Sa conformité à la Constitution étant admise (Cass. Soc., 20 octobre 2011, n° 11-60.203, QPC), l’inconventionnalité de la disposition est invoquée par le syndicat UDPSA-salariés devant la
chambre sociale de la Cour de cassation.
Le syndicat invoque, pêle-mêle, sa contrariété aux articles 2, 5, 22 et 26 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, 2, 7, 23, 29 de
la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, 2, 3, 5, 6,
7 et 8 de la Convention de l’OIT n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du
droit syndical, 5 A, E, et G de la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996,
11, 14, 18 et 53 de la CEDH. Il se réfère aussi aux articles 12, 20 21, 52 et 53 de
la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’aux « principes
européens » selon lesquels, d’une part, « le syndicat doit être libre, d’une manière
ou d’une autre, de chercher à persuader l’employeur de ce qu’il a à dire au nom de
ses membres » et, d’autre part, « la démocratie ne se ramène pas à la suprématie
constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux
minorités un juste traitement et qui évite tout abus d’une position dominante ».
La chambre sociale de la Cour de cassation estime que la loi ne porte pas
atteinte aux textes invoqués au motif que l’exigence d’ancienneté « constitue une
condition justiiée et proportionnée pour garantir la mise en œuvre du droit de
participation des travailleurs par l’intermédiaire de leurs représentants et l’exercice
par le syndicat de prérogatives au sein de l’entreprise, sans priver tout salarié de
la liberté de créer un syndicat ou d’adhérer au syndicat de son choix » (Cass., Soc.,
29 février 2012, n° 11-60.203, Bull. civ., V, n° 82).
Section II : La Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)
1. Maintien du caractère exécutoire d’une décision interne malgré
une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme
9. La jurisprudence relative aux effets, sur une décision interne devenue déinitive, d’une condamnation de la France par la Cour de Strasbourg est peu fréquente.
Huit ans après l’arrêt Chevrol (CE, 11 février 2004, Chevrol, n° 257682 ; cette
chronique, AFDI, 2005, p. 786), l’affaire « Baumet » permet de faire le point sur
cette épineuse question (CE, 4 octobre 2012, Baumet, n° 328502 ; AJDA, 2012,
p. 1879 ; chron. domiNo, BretoNNeau, AJDA, 2012, p. 2162 ; note sudre, RFDA,
2013, p. 103 ; note Fleury, RGDIP, 2013, p. 164). Les deux décisions rendues par
la section du contentieux du Conseil d’État, en 2004 et en 2012, sont marquées par
une continuité de solution – pas de réouverture de la procédure juridictionnelle pour
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jurisprudence française relative au droit international
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tenir compte de la condamnation de la France par la Cour EDH – mais surtout par
une évolution de la motivation fondant cette solution.
10. Le contexte de l’arrêt Baumet permet au juge administratif de développer
pleinement son raisonnement. M. Baumet est déclaré comptable de fait par la
Cour des comptes en 1997, décision conirmée en appel par le Conseil d’État en
1999. L’intéressé saisit alors les juges de Strasbourg pour que soit constatée une
méconnaissance du principe de l’égalité des armes (absence d’examen contradictoire de certaines pièces) constitutive de violation de l’article 6, paragraphe 1 de la
Convention. Alors que l’affaire est pendante devant la Cour EDH, un commandement de payer est émis par le trésorier payeur général le 11 octobre 2005. Celui-ci
est vainement contesté par M. Baumet devant le tribunal administratif de Nîmes
(26 novembre 2007) et la Cour administrative d’appel de Marseille (30 mars 2009)
alors que la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation de
l’article 6, paragraphe 1 en 2007 (Cour EDH, Baumet c. France, 24 juillet 2007,
n° 56802/00). Le Conseil d’État doit ainsi se prononcer en cassation sur le commandement de payer alors que les juges de Strasbourg ont constaté la non-conformité
à l’article 6, paragraphe 1 de la CEDH de la procédure suivie devant la Cour des
comptes.
11. Les circonstances de cette affaire donnent au Conseil d’État le cadre idéal
pour se prononcer sur la portée d’une condamnation de la France par la Cour de
Strasbourg. La Haute juridiction administrative rappelle, comme elle l’a fait en
2004 dans l’arrêt Chevrol, qu’aux termes de l’article 46, paragraphe 1 de la CEDH,
« [l]es Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts déinitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ». Mais elle va plus loin
en convoquant les articles 1 (obligation de respecter les droits de l’homme) et 41
(satisfaction équitable) à l’appui de son raisonnement. Cette lecture croisée des
dispositions de la convention s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme (17 février 2004, Maestri c. Italie,
n° 39748/98) consacrant un principe de « loyauté conventionnelle » (F. sudre, note
préc., § 11) qui implique que l’État condamné cesse la violation, accorde une réparation et prenne des mesures générales ou individuelles pour assurer la non-répétition
de la violation. Le constat pourrait apparaître très favorable au demandeur, mais,
comme cela a été le cas dans l’affaire Chevrol, le Conseil d’État indique que
« l’autorité qui s’attache aux arrêts de la Cour implique en conséquence non seulement que l’État verse à l’intéressé les sommes que la Cour lui a allouées au titre de la
satisfaction équitable prévue par l’article 41 de la convention mais aussi qu’il adopte
les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires pour mettre un
terme à la violation constatée ; que l’exécution de l’arrêt de la Cour ne peut toutefois, en l’absence de procédures organisées pour prévoir le réexamen d’une affaire
déinitivement jugée, avoir pour effet de priver les décisions juridictionnelles de
leur caractère exécutoire ».
12. Cette position est pleinement cohérente avec la jurisprudence de la Cour
EDH qui a toujours considéré que « la Convention ne lui donne pas compétence
pour exiger d’un État la réouverture d’une procédure ou l’annulation d’une condamnation » (Cour EDH, 4 octobre 2007, Verein Gegen Tierfabriken schweiz (VgT) c.
Suisse, n° 32772/02, § 48). Seul un texte interne pourrait imposer ou rendre possible
une telle réouverture.
Le Conseil d’État clôt sa démonstration en rappelant que le Comité des
ministres du Conseil de l’Europe a constaté, dans sa résolution du 6 juin 2012
relative à l’exécution de l’arrêt du 24 juillet 2007, que toutes les mesures requises
par l’article 46 § 1 de la convention ont été adoptées par les autorités françaises.
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jurisprudence française relative au droit international
Quand bien même cela ne serait pas le cas, la solution sur le fond n’aurait sans
doute pas été différente.
13. Ainsi, bien que conforme à la position de la Cour européenne des droits de
l’homme et au droit positif français, la décision rendue par le Conseil d’État cristallise une situation ambiguë. Pour cette raison, une part croissante de la doctrine
plaide pour la création d’une procédure permettant la réouverture d’une procédure
dans l’ordre juridique interne en cas de condamnation de l’État ain de donner
pleinement effet à cette condamnation et rétablir la victime dans la position qui
aurait été la sienne en l’absence du fait générateur de la responsabilité étatique
(P.-Y. gautier, « Réexamen après décision nationale invalidée par la CEDH : raison
et sources du droit », D., 2012, p. 2952).
2. Contrôle de conventionnalité d’une loi de validation déclarée conforme
à la Constitution
14. Le projet de construction, au cœur du bois de Boulogne, du musée de la
Fondation Louis Vuitton a connu de nombreuses péripéties judiciaires. Le permis
de construire délivré par la ville de Paris en 2007 a été annulé par le tribunal
administratif de Paris pour non-conformité au règlement du plan d’occupation des
sols (POS) (TA Paris, 20 janvier 2011, Coordination pour la sauvegarde du bois
de Boulogne, n° 0802827). Or, quelques mois après cette annulation, un cavalier
législatif inscrit dans la loi sur le prix unique du livre numérique (loi n° 2011-590 du
21 mai 2011), interdit toute contestation d’un permis de construire pour non-conformité aux dispositions du POS ayant fondé l’annulation du permis de construire du
musée en cause. Appel ayant été formé contre la décision du tribunal administratif
de Paris, les parties sont confrontées à un exemple parfait de loi de validation.
On sait que la Cour EDH considère qu’une telle ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice n’est pas contraire en soi au droit à un
procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, à la condition que cette
ingérence soit justiiée « par d’impérieux motifs d’intérêt général » (Cour EDH,
28 octobre 1999, Zielinski, Pradal et autres c. France, n° 24846/94). Après quelques
années de divergence apparente, le Conseil d’État retient cette même formule
depuis 2004 (CE, 23 juin 2004, Société « Laboratoires Genevrier », n° 257797 ; cette
chronique, AFDI, 2005, p. 785). S’il y a une identité de qualiication, ce que recouvre
la catégorie des « motifs impérieux d’intérêt général » peut être discuté.
Il s’agit donc pour la Cour administrative d’appel de Paris de rechercher leur
existence. Bien que la cause juridique soit distincte, elle opère à l’ombre de la
décision du Conseil constitutionnel. Dans le cadre d’une procédure de QPC, celui-ci
a considéré qu’il existe dans la disposition législative examinée un but « d’intérêt
général sufisant » consistant en « la réalisation, sur le domaine public, d’un projet
destiné à enrichir le patrimoine culturel national, à renforcer l’attractivité touristique de la ville de Paris et à mettre en valeur le Jardin d’acclimatation » (CC,
24 février 2012, n° 2011-224 QPC ; AJDA, 2012, p. 404).
Déclaré « contre toute attente » (Vidal, RFDA, 2012, p. 650) conforme à la
Constitution, le dispositif passe un second test, de conventionnalité cette fois,
devant la cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 18 juin 2012, Fondation
d’entreprise Louis Vuitton pour la création et Ville de Paris, n° 11PA00758 ; AJDA,
2012, p. 1192 ; chron. siriNelli, AJDA, 2012, p. 1496 ; obs. graNd, AJCT, 2012,
p. 508 ; concl. Vidal, RFDA, 2012, p. 650). Le rapporteur public rappelle à la Cour
que les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité « bien que proches,
sont différents, les différences portant tant sur les textes au regard desquels le
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jurisprudence française relative au droit international
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contrôle est exercé que sur la nature du contrôle et au cas d’espèce, peut-être sur
son intensité » (concl. Vidal, RFDA, 2012, p. 651).
15. La Cour administrative d’appel de Paris suit les conclusions de son
rapporteur public en considérant que
« si la validation législative repose sur des motifs d’intérêt général, tenant en particulier au fait que la création du musée d’art contemporain envisagé présente un
intérêt culturel, urbanistique, architectural et économique de nature à renforcer
l’attractivité touristique de la ville de Paris et à mettre en valeur le Jardin d’acclimatation, lesdits motifs ne revêtent cependant pas, en l’espèce, un caractère impérieux, qui serait seul susceptible de justiier l’atteinte ainsi portée au droit à un
procès équitable ».
On ne sait pas si cette solution est la conséquence de la mise en œuvre d’un
contrôle d’une intensité distincte de celui opéré par le Conseil constitutionnel, ou
s’il s’agit uniquement d’une conséquence de la différence de cause juridique et de
nature du contrôle. Il peut encore s’agir d’une perception différente des motifs
d’intérêt général guidant le législateur dans l’adoption de la loi de validation. Cela
ne scelle pas le sort du musée de la fondation Louis Vuitton dans la mesure où la
Cour administrative d’appel de Paris annule le jugement du tribunal administratif
sur le fondement de la mauvaise application de règles d’urbanisme.
3. Interdictions générales et absolues
16. Deux affaires, en apparence très dissemblables, permettent au juge administratif de prendre position sur la question des interdictions générales et absolues.
Dans la première espèce est contestée l’interdiction faite aux agents concourant
au service public pénitentiaire d’entretenir des relations non justiiées par les
nécessités de leur mission avec les personnes placées ou ayant été placées par
décision de justice sous l’autorité ou le contrôle de l’établissement dans lequel ils
interviennent ainsi qu’avec leurs parents ou amis (CE, 11 juillet 2012, Section française de l’Observatoire international des prisons, n° 347148 ; AJDA, 2012, p. 1429).
Dans la seconde espèce est en cause la disposition du règlement intérieur d’un
établissement psychiatrique interdisant aux patients toute relation sexuelle (CAA
Bordeaux, 6 novembre 2012, Baudoin, n° 11BX01790 ; concl. Katz, AJDA, 2013,
p. 115 ; obs. Hauser, RTD Civ., 2013, p. 91).
17. Dans les deux cas, les dispositions sont attaquées pour défaut de conformité à l’article 8 de la CEDH (vie privée et familiale). Dans la première espèce,
le Conseil d’État estime que l’ingérence dans la vie privée des agents concourant
au service public pénitentiaire est justiiée par des impératifs de sécurité, par la
nécessité d’assurer l’égalité entre les personnes détenues ainsi que par la nécessité
de protéger les droits et libertés de ces personnes placées dans une situation de
dépendance vis-à-vis des agents pénitentiaires. En revanche, en étendant cette
interdiction aux personnes ayant été détenues et à leurs parents et amis, cette
disposition réglementaire « instaure une interdiction générale, de caractère absolu
et sans aucune limitation de durée, qui impose des sujétions excessives au regard
des stipulations de l’article 8 » de la Convention.
Dans la seconde espèce, à propos du règlement intérieur de l’unité de soins
disposant que « les relations de nature sexuelle ne sont pas autorisées […] dans
la mesure où les patients d’un établissement psychiatrique sont vulnérables et
nécessitent d’être protégées », le Conseil d’État relève que
« l’interdiction en cause qui s’impose à tous les patients de l’unité, quelle que soit la
pathologie dont ils souffrent, son degré de gravité et pendant toute la durée de leur
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jurisprudence française relative au droit international
hospitalisation présente un caractère général et absolu […] ; telle que formulée […]
l’interdiction en cause impose à l’ensemble des patients de cette unité une sujétion
excessive au regard des stipulations de l’article 8 » de la Convention européenne
des droits de l’homme.
4. Espérance iscale légitime et article 1 du protocole n° 1 à la Convention
européenne des droits de l’homme
18. La clôture de l’exercice iscal intervient le 31 décembre pour l’impôt sur les
sociétés. La loi de inances de in d’année est publiée au plus tard à la même date
et entre en vigueur au moment où survient le fait générateur de l’impôt. Or, elle
régit l’établissement de l’impôt au titre de revenus réalisés pendant l’année qui a
précédé cette entrée en vigueur ; on parle de « petite rétroactivité iscale ».
Saisi d’une contestation de ce type de situation créée par la loi de inance de
2013, le Conseil constitutionnel estime que celle-ci est inhérente à des impositions acquittées en année n+1 sur les produits ou revenus réalisés en année n, et
considère que
« les dispositions […] de la loi déférée, qui sont applicables aux impositions qui seront
dues en 2013 au titre de l’année 2012, modiient des avantages iscaux antérieurement accordés dont aucune règle constitutionnelle n’impose le maintien ; qu’elles
n’affectent pas des situations légalement acquises et ne sont, dès lors, pas contraires
à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (CC,
décision n° 2012-662DC, 29 décembre 2012).
La position du Conseil d’État, opérant un contrôle de conventionnalité peut,
dans certaines circonstances, apparaître plus favorable au contribuable. Appelé à se
prononcer sur le retrait après deux ans d’un régime de crédit d’impôt initialement
instauré pour trois ans au bénéice des entreprises créatrices d’emplois (CE, 9 mai
2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c. Société
EPI, n° 308996 ; AJDA, 2012, p. 974 ; chron. domiNo, BretoNNeau, AJDA, 2012,
p. 1392), le Haut Conseil considère « qu’à défaut de créance certaine, l’espérance
légitime d’obtenir une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens »
de l’article 1 du protocole 1 à la CEDH. Or,
« à la date où elle a décidé de recruter des salariés supplémentaires, la société EPI
pouvait légitimement espérer avoir droit au bénéice du crédit d’impôt correspondant ; que, par suite, le bénéice de ce crédit d’impôt pouvait être regardé comme
sufisamment certain et établi avant sa suppression ».
19. Dès lors, faisant application de la méthode mise en lumière dans l’avis
Provin (CE, Ass., avis, 27 mai 2005, cette chronique, AFDI, 2006, p. 774), le Conseil
d’État constate qu’il est possible pour le législateur de porter atteinte rétroactivement à un bien protégé par l’article 1 du protocole 1 « à la condition de ménager
un juste équilibre entre l’atteinte portée à ces droits et les motifs d’intérêt général
susceptibles de la justiier ». En l’espèce, faute de motif d’intérêt général, l’ingérence
était disproportionnée.
Cependant, toute forme de « petite rétroactivité » n’entre pas dans le champ
d’application de l’article 1 du protocole 1. Ainsi, le Conseil d’État a pu, dans un arrêt
ultérieur (CE, 21 novembre 2012, Daumen, n° 347223), considérer que
« la circonstance que de telles plus-values n’étaient auparavant pas imposées ne peut
être regardée comme constituant un bien au sens de l’article 1er du premier protocole ; que, dès lors, les contribuables ne pouvaient se prévaloir d’aucune espérance
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jurisprudence française relative au droit international
595
légitime de ne pas être imposés en France à raison des plus-values “latentes” constatées à la date du transfert de leur domicile iscal hors de France ».
Il semble donc que c’est la dimension d’« engagements réciproques » placée au
cœur du régime iscal examiné dans l’affaire « SEPI » (création d’emplois / avantage
iscal) qui permet de se placer sous la protection du système conventionnel.
5. Titres nobiliaires et CEDH
20. Le Conseil d’État afirme, de manière solennelle, dans le prolongement
de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (CourEDH, 28 octobre 1999, De la
Cierva Osorio de Moscoso et autres c. Espagne, n° 41127/98) que « les stipulations
des articles 8 et 14 de la Convention européenne ne peuvent être utilement invoquées en matière de vériication des titres de noblesse » (CE, 7 mai 2012, Garde
des Sceaux, ministre de la justice et des libertés c. Colonna-Walewski, n° 349976 ;
AJDA, 2012, p. 981).
Section III : Les traités de l’Union européenne et le droit de l’Union européenne
1. Rapports entre droit constitutionnel et droit de l’Union européenne
21. L’affaire « Melki » (voy. cet Annuaire, 2011) a montré le Conseil constitutionnel attentif à ce que le contrôle de constitutionnalité des lois ne cède pas devant
le contrôle de conventionnalité. L’année 2012 en témoigne à nouveau, lorsque le
Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité,
dont l’un des moyens soulève un point de droit relatif à la conformité entre une loi
et une directive européenne (décision n° 2011-217 QPC, 3 février 2012, Mohammed
Akli B., 3e cons. ; chron. Perrier, RFDC, 2012, p. 889 ; tcHeN, Droit administratif, 2012-4, p. 33 ; simoN, Europe, 2012-3, p. 1). Ain que le contentieux constitutionnel ne soit pas déformé par l’absorption du contentieux conventionnel, le
Conseil constitutionnel rappelle
« que , d’une part, un grief tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative
aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé
comme un grief d’inconstitutionnalité ; que, par suite, il n’appartient pas au Conseil
constitutionnel, saisi en application de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner
la compatibilité des dispositions contestées avec les traités ou le droit de l’Union
européenne ; que l’examen d’un tel grief relève de la compétence des juridictions
administratives et judiciaires ».
La solution reste classique et attendue, tant en ce qu’elle refuse de mêler les
genres entre contrôle de conventionnalité et contrôle de constitutionnalité, que sur
le fait qu’elle renvoie, pour ce premier point, aux juridictions ordinaires, ainsi que
le Conseil constitutionnel l’avait déjà relevé dans sa décision Jeux en ligne (décision
n° 2010-605 DC, 12 mai 2010, cons. 10-12).
2. Champ d’application des traités européens
22. La Cour de cassation prononce, le 11 avril 2012, un arrêt aussitôt remarqué
pour poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur
le champ d’application de la Charte des droits fondamentaux (Cass. Soc. 11 avril
2012, n° 11-21.609, chron. tricoit, JCP S, 2012-13, p. 33, laulom, Semaine sociale
Lamy, 2012, n° 1535, p. 7). Il s’agit alors de savoir plus précisément si l’instrument en question peut être invoqué dans des rapports entre particuliers, dans
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jurisprudence française relative au droit international
le cadre d’un contrat de travail. Le demandeur peut, en effet, y trouver un grand
intérêt, puisque la Charte est bien plus détaillée sur les droits sociaux (syndicaux
notamment) que ne l’est la CEDH, même en y incluant ses protocoles. Il reste que
cette interprétation de la Charte, visant à ce qu’elle s’applique dans des rapports
entre particuliers et non plus seulement dans des rapports individu/État, aurait pu
aller de soi, puisque la Chambre sociale a déjà répondu favorablement à une telle
hypothèse (voy. notamment Cass. Soc., 14 avril 2010, Société SDMO Industries,
n° 09-60.426 et 09-60.429 ; Cass. Soc., 17 mai 2011, Chartier, n° B 10-12.852). La
Chambre sociale rappelle d’ailleurs, dans cet arrêt, que
« il est de jurisprudence constante que les droits fondamentaux de l’Union européenne peuvent être invoqués dans un litige entre particuliers aux ins de vériier
le respect par les institutions de l’Union et les États membres, lorsqu’ils mettent en
œuvre le droit de l’Union, de ces mêmes droits fondamentaux ; que les articles 51
et 52 de la Charte ne comportent aucune limitation de l’invocation des dispositions
de la Charte, que celles-ci contiennent des principes ou des droits, aux litiges de
nature horizontale, pas plus que les Explications ad article 51 et ad article 52,
lesquelles sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et
des États membres en application de l’article 52 § 7 de la Charte ; que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme sont
applicables dans les litiges entre particuliers ; qu’aux termes de l’article 53 de la
Charte, aucune disposition de la Charte ne doit être interprétée comme limitant
ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales reconnus
notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et
des libertés fondamentales ».
23. Dans le cas d’espèce, l’opinion de la Cour de justice apparaît cependant
importante car le problème de droit se pose à propos d’une mesure nationale de
transposition d’une directive (la directive 2002/14/CE du Parlement européen et
du Conseil, du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l’information
et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne) qui précise
les dispositions de la Charte. La prise en compte de la charte dans le présent litige
permettrait ainsi de connaître utilement le sens et la portée de la directive, et de
savoir si la mesure nationale de transposition (l’article L. 1111-3 du Code du travail)
rend bien compte des objectifs poursuivis par celle-ci 1.
CHAPITRE II : LES SUJETS DU DROIT INTERNATIONAL
Section I : L’État
1. La compétence territoriale de l’État
a) L’entrée, le séjour et la sortie du territoire d’étrangers en application d’accords
internationaux
24. Dans sa rédaction issue de l’avenant du 11 juillet 2001, l’article 7 ter de
l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 soumet l’obtention d’un certiicat de
1. En réponse à la question qui lui était posée, la Cour de Justice déclare toutefois que si la disposition
législative en cause est bien contraire au droit de l’Union européenne, l’article 27 de la charte ne peut être
invoqué dans un litige entre particuliers ain de la laisser inappliquée, puisqu’il s’agit d’une disposition
qui ne confère pas directement de droit subjectif invocable par les particuliers (CJUE, 15 janvier 2014,
C-176/12).
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jurisprudence française relative au droit international
597
résidence portant la mention « retraité » à la détention d’un certiicat de résidence
de dix ans. Le Conseil d’État juge, dans un arrêt rendu le 26 novembre 2012, que les
ressortissants algériens qui ont bénéicié de titres de séjour d’une validité moindre
ne peuvent pas s’en prévaloir « quand bien même la succession de ces titres leur
permettrait de justiier d’une durée de séjour continue égale ou supérieure à dix
ans » (CE, 26 novembre 2012, n° 349293, AJDA, 2012, p. 2294).
b) Zone économique exclusive
25. Après treize années de procédures, la Chambre criminelle de la Cour de
cassation met in à l’affaire de l’« Érika » par un arrêt du 25 septembre 2012 de
plus trois cents pages dont sont ici rapportés les seuls aspects liés à la compétence
des juridictions pénales françaises (Cass. Crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938,
Bull. crim., n° 198, deleBecque, « L’arrêt “Érika” : un grand arrêt de droit
pénal, de droit maritime ou de droit civil ? », Rec. Dalloz, 2012, p. 2711 ; Neyret,
« Le préjudice écologique : un levier pour la réforme du droit des obligations »,
ibid., p. 2673 ; moliNer-duBost, « Marée noire de l’Érika : double victoire pour
les parties civiles et pour l’environnement », AJCT, 2012, p. 620 ; maziau, « La
réception du droit international (public) par la Cour de cassation », JDI, 2013-3,
pp. 791-819).
Chacun se souvient qu’en décembre 1999 un pétrolier battant pavillon maltais
et affrété au voyage par la société Total fait naufrage en zone économique française.
Pour retenir la compétence des juridictions françaises, la chambre criminelle est
conduite à apprécier la compatibilité de l’article 8 de la loi du 5 juillet 1983 avec
la convention pour la prévention de la pollution par les navires du 2 novembre
1973, telle que modiiée par le protocole du 17 février 1978 (convention Marpol).
L’article 113-2 du code pénal prévoit, en effet, que « la loi pénale française est
applicable aux infractions commises au-delà de la mer territoriale, dès lors que les
conventions internationales et la loi le prévoient ». Or, la loi du 5 juillet 1983 qui
réprime la pollution par les navires, sert de fondement aux poursuites des auteurs
des faits incriminés commis en zone économique exclusive (ZEE) dans la mesure
où elle punit « toute personne ayant un pouvoir de contrôle ou de direction dans la
gestion ou la marche d’un navire, dont l’imprudence ou la négligence a provoqué
un accident de mer à l’origine d’une pollution des eaux territoriales ». Les auteurs
du pourvoi font valoir que, contrairement au droit français, la convention Marpol
distingue les rejets volontaires des rejets accidentels et ne vise que l’hypothèse
d’une avarie. Ils soulignent aussi que cette convention prohibe certains rejets et non
précisément la pollution qu’ils engendrent et, enin, qu’elle ne permet l’incrimination que du capitaine et du propriétaire du navire. En faisant siens une partie des
termes de l’arrêt attaqué, la chambre criminelle considère que l’application faite
en l’espèce de l’article 8 de la loi du 5 juillet 1983 n’est pas contraire aux exigences
de la convention Marpol. En effet :
« l’arrêt retient que l’infraction de pollution involontaire a entraîné des rejets qui ont
causé des dommages graves à l’État côtier ; que la cour d’appel ajoute qu’aucun des
prévenus n’a pris les précautions raisonnables qui s’imposaient après l’avarie pour
réduire au minimum le rejet ; que les juges précisent que le texte même de la règle
9, devenue les règles 15 et 34 de l’annexe I de la Convention Marpol, interdit les
rejets à tout “navire”, entité qui n’a pas la personnalité morale, qu’aucune personne
physique n’est visée dans le texte même de la convention et qu’il convient donc d’en
déduire que les parties signataires n’ont pas entendu imposer une liste limitative au
législateur national chargé d’introduire les règles de ladite convention dans le droit
national positif et de déinir les catégories de personnes pénalement responsables ».
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jurisprudence française relative au droit international
Tout en soulignant la « sévérité » de la loi, la cour d’appel a conclu à sa compatibilité avec la convention MARPOL en se référant expressément aux règles d’interprétation énoncées dans la convention de Vienne de 1969. Selon les juges du fond,
l’objet et le but de la Convention sont « de prévenir la pollution, de mettre in à
la pollution intentionnelle et de réduire au maximum les rejets non accidentels ».
L’essentiel est que l’application de la loi se révèle incompatible avec cette interprétation de la convention seulement pour ceux des prévenus qui auront pris des
« précautions raisonnables pour éviter ou réduire le rejet ». Or, selon les juges du
fond, tel n’était pas le cas en l’espèce.
26. La Cour de cassation précise que cette interprétation ne méconnaît pas la
compétence que l’État côtier tient de la convention des Nations unies sur le droit
de la mer dite de Montego Bay. L’article 220, paragraphe 6, de cette convention
autorise, en effet, l’État côtier à « intenter une action » contre un navire naviguant
dans sa ZEE dont il y a de sérieuses raisons de penser qu’il a commis une infraction aux règles et normes internationales visant à prévenir, réduire et maîtriser
la pollution. L’article 228 du même texte prévoit, néanmoins, une compétence
prioritaire de l’État du pavillon dans la mesure où les poursuites engagées par
l’État côtier doivent être suspendues si celui-là engage une action dans les six mois
suivant l’introduction de la première action. Conscient de l’absence potentielle
de poursuite effective en cas de pavillon de complaisance, les rédacteurs de la
convention ont, toutefois, prévu que cette compétence prioritaire doit cesser « en
cas de dommage grave causé à l’État côtier ou [si] l’État du pavillon en question [a]
à plusieurs reprises manqué à son obligation d’assurer l’application effective des
règles et normes internationales en vigueur à la suite d’infractions commises par
ses navires ». En l’espèce, Malte n’a pas entamé d’action à l’encontre de l’Érika, si
bien que la France est bien compétente aux termes de la convention de Montego
Bay. La chambre criminelle prend soin d’asseoir son raisonnement « par application
combinée des articles 220 point 6 et 228 » en soulignant que, en toute hypothèse, « la
compétence de l’“État côtier” est acquise lorsqu’elle porte sur un cas de dommage
grave » (Sur ces dispositions voy. aussi cette chronique, AFDI, 2010, p. 882 et
alouPi, « L’invocation d’une règle conventionnelle de répartition des compétences
juridictionnelles devant le juge français. Rélexions sur les affaires “Trans Arctic
Fast Independence et Yytautas” », RGDIP, 2012-2, pp. 321-352). L’intérêt de cet
arrêt ne s’arrête pas à cette consécration de la compétence des juridictions pénales
pour des faits commis dans la ZEE française qui entraînent une pollution grave
de sa mer territoriale et ses littoraux. La question des conditions d’application de
l’immunité de juridiction de l’organisme d’État certiicateur du navire sera évoquée
plus loin (n° 38).
Enin, il convient de rappeler que la société Total, considérée comme affréteur,
a été condamnée à payer solidairement avec le propriétaire, le gestionnaire et la
société de classiication le montant des dommages-intérêts aux victimes au titre
novateur d’un « préjudice écologique ».
c) Arbitrage
27. Les relations entre obligation de révélation, indépendance et impartialité de l’arbitre ne cessent d’alimenter la jurisprudence interne et internationale.
S’il est établi que l’obligation de révélation s’est considérablement développée
dans la période récente, les conséquences de son défaut pouvaient, à la lecture
de la jurisprudence française, paraître incertaines. Dans l’affaire « Société Neoelectra », la Cour de cassation clariie les conditions dans lesquelles un tel défaut
peut entraîner l’annulation d’une sentence arbitrale (Cass. Civ. 1re, 10 octobre
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jurisprudence française relative au droit international
599
2012, Société Neoelectra Group SAS c. Société Tecso EURL, n° S 11-20.299 ; note
JarrossoN, Rev. Arb., 2013, p. 130).
Dans cette affaire, une sentence arbitrale est annulée par la cour d’appel de
Paris aux motifs que l’un des arbitres n’a pas révélé avoir été of counsel jusqu’en
2000 dans un cabinet qu’a rejoint, après le début de la procédure, le conseil de la
partie qui l’a nommé (procédure arbitrale initiée en 2008). L’arbitre a, en outre, omis
de révéler qu’il avait délivré à ce cabinet « deux ou trois consultations entre 2000
et 2008 ». La cour d’appel de Paris a considéré, dans une décision qualiiée de
« sévère » (JarrossoN, note préc. p. 131), que ce défaut de révélation a privé la
partie requérante de l’exercice de son droit de récusation et est de nature à faire
naître dans son esprit un doute raisonnable quant à l’indépendance et l’impartialité
de cet arbitre, sans expliquer la relation entre le défaut de révélation et l’existence
de ce doute.
La Cour de cassation considère que l’on ne doit pas déduire automatiquement
du défaut de révélation un défaut d’indépendance et d’impartialité entraînant
l’annulation de la sentence. Il est nécessaire pour les juges d’« expliquer en quoi
ces éléments [non révélés] étaient de nature à provoquer dans l’esprit des parties
un doute quant à l’impartialité » de l’arbitre. Pèse donc sur la partie cherchant
à obtenir l’annulation de la sentence la charge de prouver en quoi le défaut de
révélation a pu provoquer chez elle un doute raisonnable sur l’indépendance et
l’impartialité de l’arbitre. Ainsi, le défaut de révélation ne devrait entraîner l’annulation de la sentence qu’à la condition que celui-ci porte sur un élément dont il est
raisonnable de penser qu’il pouvait ouvrir droit à une demande de récusation. La
rupture de l’automaticité entre défaut de révélation et défaut d’indépendance et
d’impartialité permet de donner pleinement effet à l’afirmation selon laquelle
l’obligation de révélation « est un moyen quand l’indépendance et l’impartialité
sont une in » (HeNry, Rev. Arb., 2012, p. 112).
2. La compétence personnelle de l’État : Nationalité
28. Après avoir été déclaré conforme à la Constitution, l’article 20, II, 6° de
l’ordonnance du 4 juillet 2005 a été confronté aux articles 8 et 14 de la CEDH
(cette chron., AFDI, 2012, p. 853). Les dispositions attaquées réservent aux seuls
enfants mineurs à la date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance la possibilité
d’être déclarés français en raison de la présence du nom de leur mère française
sur leur acte de naissance. Constatant que la requérante de l’espèce est majeure
au 1er juillet 2006, la Cour de cassation énonce que le jugement attaqué devant
elle retient « à bon droit, que les articles 8 et 14 de la Convention européenne des
droits de l’homme ne peuvent faire échec au droit qu’a chaque État de déterminer
les conditions d’accès à la nationalité » (Cass. civ. 1re, 14 mars 2012, n° 11-15.290).
Si, en dehors de la condition controversée de l’effectivité et de l’opposabilité internationale de la nationalité, il ne fait pas de doute, au regard du droit international
général, que les États disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer les
conditions d’accès à leur nationalité, il n’est cependant pas certain qu’une telle
décision ne puisse pas être sanctionnée par la Cour européenne des droits de
l’homme (voy. not. Cour EDH, 11 octobre 2011, Genovese c. Malte). Pour l’éviter,
la France devrait convaincre la Cour de Strasbourg que la discrimination en cause
repose sur une justiication objective et raisonnable. Il a ainsi pu être regretté
que la première Chambre civile n’apporte aucune justiication au soutien de son
appréciation (sur une potentielle violation des articles 8 et 14 de la CEDH, voy.
marcHadier, « Discrimination et détermination des nationaux », RCDIP, 2012,
p. 553).
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600
jurisprudence française relative au droit international
Section II : Le régime de l’asile
1. Fondement de la protection
a) Appartenance à un certain groupe social
29. Déjà amorcée l’an dernier, l’évolution de la position de la Cour nationale du
droit d’asile (CNDA) quant à la notion de « groupe social » est consacrée cette année
par le Conseil d’État dans deux décisions d’Assemblée du 21 décembre 2012 à la
faveur de la problématique des risques d’excision. En s’appuyant sur la déinition
donnée par la directive du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives
aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides
pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, le Conseil distingue deux éléments à
prendre à compte. L’un est intrinsèque à la personne du demandeur d’asile, l’autre
lui est extérieur. Un groupe social est, en effet,
« constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou
une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne
peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant
différente par la société environnante ou par les institutions ».
Quant au premier élément, le Conseil précise en outre que
« l’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la
manifestation par ses membres, ou s’ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs
proches, de leur appartenance à ce groupe ».
30. C’est cette dernière précision qui conduit la Haute juridiction à casser la
décision de la CNDA ayant refusé la qualité de réfugié à une illette originaire de
Côte d’Ivoire (dont les craintes d’excision étaient établies) au motif que, née en
France et compte tenu de son jeune âge, elle ne pouvait manifester son refus de
la pratique des mutilations sexuelles. En l’espèce, le Conseil d’État considère, par
ailleurs, que « dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les
enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social »
(CE, Ass. 21 décembre 2012, Mlle Fofana, n° 332491, voy. cette chronique, AFDI,
2010, pp. 884-885). L’arrêt précise que la protection ne pourra néanmoins être
accordée qu’en l’absence d’une possibilité d’asile interne, d’une part, et en prenant
compte des éléments individualisés « notamment familiaux, géographiques,
sociologiques, relatifs aux risques [que le requérant] encourt personnellement »,
d’autre part.
31. Dans une seconde espèce, le Haut Conseil statue sur l’hypothèse des parents
d’enfants craignant la pratique de l’excision. Compte tenu de la déinition précitée
de la notion de « groupe social », le Conseil d’État valide l’appréciation de la CNDA
selon laquelle il n’est pas établi que la mère de la illette puisse être regardée comme
relevant d’un groupe social « du seul fait de son opposition aux mutilations sexuelles
auxquelles sa ille serait exposée si elle retournait avec elle en Côte d’Ivoire » (CE,
Ass. 21 décembre 2012, Mme Fofana, n° 332492). Reste alors à savoir si les parents
des enfants ainsi protégés peuvent se prévaloir d’une protection au titre de l’unité
de famille.
32. S’agissant de la thématique des risques encourus en raison d’une orientation sexuelle, le Conseil d’État casse pour les raisons précitées, une décision de la
CNDA refusant la qualité de réfugié au motif que le requérant n’aurait pas apporté
la preuve de la manifestation de son orientation sexuelle. La Haute juridiction
précise, par ailleurs, dans le même arrêt que l’existence d’une incrimination pénale
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jurisprudence française relative au droit international
601
de l’homosexualité n’est pas une condition de l’existence d’un groupe social (CE,
27 juillet 2012, Mbwene, n° 349824 ; obs. BroNdel, AJDA, 2012, p. 1549 ; voy. aussi
cette chronique, AFDI, 2012, pp. 854-855).
b) Opinions politiques
33. Après avoir exclu que « la seule appartenance à une institution telle que
l’armée, la police, les services secrets ou la magistrature, qui est créée par l’État »
puisse être assimilée à une appartenance à un groupe social, le Conseil d’État se
prononce sur la possibilité d’une protection au titre d’une opinion politique. Ce
n’est pas par principe que « l’engagement dans les services secrets » ne correspond pas à « l’expression d’une opinion politique au sens de la convention », mais
simplement parce qu’une telle expression ne ressort par des déclarations de l’intéressé. Il est toutefois regrettable qu’au regard du contexte afghan – tel était le
cas de l’espèce – le juge ne mobilise pas la notion « d’opinion politique imputée »
dans la mesure où l’appartenance aux institutions étatiques est fréquemment
perçue par les divers groupes rebelles comme l’expression d’une telle opinion
quelle qu’ait été la motivation réelle du requérant (CE, 27 juillet 2012, OFPRA
c. M. A., n° 323669).
2. Exclusion de la protection
34. Aux termes de l’article 1er, F, de la Convention de Genève de 1951, la
protection qu’elle prévoit ne peut être applicable « aux personnes dont on aura
des raisons sérieuses de penser […] c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ». Le même motif
d’exclusion est prévu par les dispositions de l’article L. 712-2 du Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) s’agissant de la protection
subsidiaire. En l’espèce, il a été établi que le requérant est un oficier supérieur,
expert de haut niveau en matière d’armement, des forces iraniennes « Al Qods »
dont la Cour précise qu’elles font l’objet depuis le 24 août 2011 de sanctions de
l’Union européenne en raison du soutien qu’elles apportent au régime syrien dans
la répression qu’il exerce à l’encontre de ses opposants et dont il est notoire qu’elles
soutiennent des groupes terroristes dans différents États. La seule appartenance
du requérant à cette organisation ne permet toutefois pas d’appliquer à elle seule la
clause d’exclusion. Toutefois, après un examen individuel de la situation du requérant, il apparaît que « le niveau de responsabilité, de connaissance de l’organisation
et d’activité de M. Z. M., qui a dirigé de 1993 à 2007 un centre de formation de
ressortissants étrangers au sein de la force “Al Qods”, impliquent nécessairement
qu’il ait, à tout le moins, eu connaissance des attentats et des actions terroristes
dont la force “Al Qods” s’est rendue complice. La CNDA retient, par ailleurs, que sa
désertion ne peut être qualiiée de “désolidarisation” des activités en cause en raison
de son caractère tardif. Quand bien même elle l’expose avec raison à des risques
de persécution au sens de la convention de Genève, le requérant est donc exclu
du champ de sa protection et de celle offerte par l’article L. 712-2 c) du CESEDA »
(CNDA, 5 avril 2012, M. Z. M., n° 10004811).
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CHAPITRE III : LES RELATIONS INTERNATIONALES
Section I : Les immunités des États et des organisations internationales
35. La Cour de cassation et le Conseil d’État ne sont guère sollicités sur ce point
en cette année 2012. Seules quelques affaires permettent aux deux juridictions d’en
préciser certains aspects au demeurant très instructifs.
1. Les immunités de l’État étranger
36. L’État est porteur d’une immunité de juridiction et d’exécution qui proite
à l’ensemble de ses organes, spécialement lorsqu’ils n’ont pas de personnalité
morale indépendante de celle de l’État. Ainsi en est-il de l’American Battle Monuments Commission, structure de l’administration américaine qui gère notamment le cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer ; cette commission
n’ayant pas de personnalité distincte de l’État américain, aucun jugement de
saisie-attribution ne peut être dirigé contre elle sans que les services diplomatiques américains aient été informés (Cass. Civ. 2e, 28 juin 2012, n° 10-16710).
La Cour de cassation maintient, en l’espèce, le formalisme propre à garantir à
l’État étranger une immunité d’exécution, dont le régime est autonome de celui
de l’immunité de juridiction. Le litige porte, en effet, sur un contrat de travail
passé entre un particulier et l’ABCM, et qui renvoie à la compétence des tribunaux des prud’hommes ; cette renonciation expresse à l’immunité de juridiction
est toutefois sans conséquence sur l’immunité d’exécution, laquelle empêche le
prononcé d’un jugement en saisie sans que l’État étranger ait été préalablement
informé par les voies diplomatiques ordinaires.
37. Le régime des immunités de juridiction de l’État est, pour le reste, connu :
seul l’acte qui procède par sa nature ou sa inalité de pouvoirs souverains sont
protégés par une immunité, suivant une solution d’usage que la Cour de cassation
reproduit dans son arrêt du 28 février 2012 (Cass. Soc., 28 fév. 2012, n° 11-18952,
chron. el sawaH, JDI, 2012-4, p. 1394 ; d’aVout, Rev. critique de droit int. privé,
2013-1, p. 179). Cet arrêt apporte, néanmoins, une précision utile sur les cas
d’application de ce critère, puisque, en l’espèce,
« ne constitue pas un acte de souveraineté, l’acte de gestion administrative consistant pour un État étranger à déclarer ou à ne pas déclarer un salarié à un régime
français de protection sociale en vue de son afiliation ».
De surcroît,
« attendu qu’il résulte de l’article 37 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961
relative aux relations diplomatiques que, s’agissant du personnel administratif et
technique d’une mission, l’employeur n’est exonéré de ses obligations découlant
des dispositions de sécurité sociale en vigueur dans l’État accréditaire, telles que
visées par l’article 33, qu’à l’égard des salariés qui ne sont pas ressortissants de
cet État ou qui n’y ont pas leur résidence permanente ; que la condition de résidence permanente ne saurait dépendre du type d’autorisation de séjour accordée
par l’administration de l’État accréditaire et en vertu de laquelle l’intéressé peut
demeurer sur son territoire ».
38. Encore faut-il que l’État se prévale de ses immunités, ainsi que le souligne
la Cour de cassation dans l’affaire « Érika » (Cass. Crim., 25 septembre 2012,
précité, BoNFlils, Rev. Pénitentiaire et de droit pénal, 2012-4, p. 909, deleBecque,
D., 2012-40, p. 2711, moNtas et roussel, AJDP, 2012-11, p. 574 ; cueNde,
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jurisprudence française relative au droit international
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Environnement, 2013-1, p. 25 ; JourdaiN, RTDC, 2013-1, p. 119). La question est
d’une appréciation des plus délicates : le seul fait pour un État ou un organisme
public d’un État de participer à une procédure judiciaire devant une juridiction
étrangère est-il assimilable à une renonciation tacite à son immunité de juridiction ? La Cour de cassation interprète ce comportement positif de l’État de cette
manière, peut-être parce que la collaboration de l’organe étranger à la procédure
judiciaire n’est accompagnée d’aucun signe permettant de penser qu’il revendique le
bénéice de son immunité. Devant une telle équivoque, voire une telle contradiction,
le doute joue immanquablement contre l’État, dès lors que
« le fait, pour la société Rina, qui afirme être bénéiciaire d’une immunité de juridiction, d’avoir pris une part active à l’instruction n’est pas compatible avec une
éventuelle intention de se prévaloir de cette immunité et caractérise donc sans
équivoque la renonciation de cette société à s’en prévaloir ».
2. Les immunités des organisations internationales
39. Le Conseil d’État rappelle qu’une organisation internationale est précisément une organisation internationale, de sorte que les actes juridiques qui lui sont
imputables échappent à la compétence des juridictions administratives françaises.
Cette incompétence empêche le juge des référés d’ordonner les mesures d’urgence,
celles commandées en particulier par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative relatif au référé-liberté (CE réf., 21 nov. 2012, n° 369882, à propos de
l’Agence spatiale européenne).
3. Les immunités des agents diplomatiques, consulaires et des fonctionnaires
internationaux
40. Par un arrêt du 25 janvier 2012, la Cour de cassation rejette un moyen tiré
de ce qu’un agent diplomatique d’un État étranger en poste dans un autre État
que la France bénéicie d’une immunité de juridiction devant les juridictions françaises (Cass. Crim., 25 janvier 2012, n° 11-86792, à propos du conseiller économique
auprès de l’ambassade de la République centrafricaine au Sénégal). La solution
de la Cour s’efforce de donner une juste application de l’article 31 de la convention
de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, laquelle indique ouvertement
que les immunités dont sont porteurs les agents diplomatiques des États étrangers ne jouent que dans le seul État accréditaire, c’est-à-dire celui qui l’autorise à
conduire sur son territoire sa mission diplomatique : « L’agent diplomatique jouit
de l’immunité de la juridiction pénale de l’État accréditaire ». Une telle approche
est incontournable du reste, puisque c’est là l’énoncé même de la convention de
Vienne, ne permettant ainsi aucune marge d’interprétation.
41. Plus complexe est, en revanche, le raisonnement du Conseil d’État par lequel
il admet que les fonctionnaires de la BIRD bénéicient d’une immunité iscale sur
leurs traitements et rémunérations (CE, 3e et 8e s/sect. réunies, 23 juillet 2012,
Brunet, n° 346486). La Haute juridiction tranche un conlit entre deux instruments
conventionnels, le statut de la BIRD (Banque Mondiale) et la convention sur les
privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946, les deux touchant la
question de l’immunité iscale des fonctionnaires des organisations spécialisées des
Nations Unies. Il s’agit, plus précisément, de savoir si un ressortissant français peut
être assujetti à l’impôt sur le revenu pour les revenus qu’il touche de ses missions
auprès de la BIRD. Or, si les statuts de cette institution spécialisée privent les fonctionnaires de leur immunité iscale dans leur État de résidence, la Convention des
Nations Unies n’introduit, elle, aucun critère similaire et se montre donc bien plus
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avantageuse pour le fonctionnaire. De surcroît, la convention indique elle-même qu’il
en va ainsi pour les fonctionnaires de la BIRD, sans qu’il y ait besoin de modiier
pour cela les statuts de l’institution, de sorte qu’elle constitue le régime ordinaire des
fonctionnaires de cette institution. Le Conseil d’État souligne surtout que la France
a joint à son instrument d’adhésion à la Convention une déclaration qui fait prévaloir les instruments spécialisés sur la convention en cas de conlit, ce qui aurait dû
renverser le schéma de la convention au proit du statut de la Banque mondiale. Le
Conseil retient cependant que les travaux parlementaires relatifs à la loi autorisant
l’adhésion à la convention, du 27 juin 2000, ne révèlent pas que cette déclaration ait
emporté de réserve en matière iscale, si bien qu’avec ce raisonnement un peu forcé,
la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies demeure applicable
et garantit au requérant une immunité iscale. Le Conseil aurait certainement pu
s’épargner un raisonnement aussi discutable en raisonnant en amont, pour relever
que ladite déclaration est inopérante puisque, précisément, il n’y a pas de conlit
entre les deux instruments, la convention précisant qu’elle se substitue au statut de
la Banque Mondiale au sujet des immunités iscales.
Section II : Le régime de l’extradition
1. Contrôle des conditions essentielles de la demande d’extradition
42. L’article 696-2 du Code de procédure pénale prévoit sous certaines conditions
la faculté du Gouvernement français de remettre « aux gouvernements étrangers » qui
en font la demande un étranger se trouvant sur le territoire de la République. Dans
une décision du 14 février 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation pose
le principe selon lequel l’expression « gouvernement étranger » doit être entendue
comme désignant un « État souverain ». En effet, conduite à statuer sur la légalité
de l’avis favorable à l’extradition d’un ressortissant paraguayen émis par la chambre
de l’instruction à la suite d’une demande d’extradition de Hong-Kong, la chambre
afirme : « qu’est privé de l’une des conditions essentielles de son existence légale
l’avis de la chambre de l’instruction rendu sur une demande d’extradition n’émanant
pas d’un État souverain ». Elle précise « qu’aucune convention d’extradition n’existe
entre la France et ladite région, pourtant habilitée, en application de l’article 96 de
la Loi fondamentale adoptée le 4 avril 1990, à conclure, avec l’aide ou l’autorisation
du gouvernement de la République populaire de Chine, de telles conventions » (Cass.
Crim., 14 février 2012, M. Candado Salinas, n° 11-87679, Bull. n° 41 ; BeNilloucHe,
« Extradition vers Hong Kong : éclairage sur le statut juridique de la région sous
souveraineté chinoise », D., 2012, p. 931 ; maziau, « La réception du droit international (public) par la Cour de cassation », JDI, 2013-3, p. 791-819, précité). Or, selon
la Chambre criminelle, « la région administrative spéciale de Hong-Kong ne constitue
pas un État souverain au sens des articles susvisés » (voy. trigeaud, RGDIP, 2012,
p. 434). Toujours est-il que, en déinitive, faute d’avoir été saisie par un État, aucune
demande d’extradition n’existait au sens du code de procédure pénale si bien que
l’arrêt de la chambre de l’instruction ne peut qu’être cassé et annulé.
43. Par ailleurs, il a pu être relevé que l’arrêt de la Chambre criminelle « est
important au regard du contrôle que la Cour de cassation exerce en matière d’extradition puisque, pour la première fois, elle vériie la régularité externe d’une
demande – la qualité du demandeur – chose qu’elle ne faisait pas jusqu’à présent
en laissant ce soin, soit aux juges du fond jusqu’alors souverains dans leur pouvoir
d’appréciation, soit au Conseil d’État, lui laissant la possibilité de critiquer le refus
de la Cour d’exercer un tel contrôle au travers de son propre contrôle de la légalité
du décret d’extradition » (voy. maziau, loc. cit).
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2. Extradition et peine non déinitive
44. Il résulte de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957
que les États parties s’engagent à livrer les individus recherchés aux ins d’exécution d’une peine exécutoire d’une durée minimum de quatre mois. Saisie d’une
demande des autorités d’Ankara sur le fondement de cet instrument, la France
décide d’y faire droit. Le ressortissant turc visé par la demande d’extradition tente
d’obtenir l’annulation de celle-ci devant le Conseil d’État au motif que la peine
qui lui a été inligée ne serait pas déinitive. À plusieurs reprises le Conseil d’État
a pu afirmer dans le passé qu’un « décret d’extradition ne peut intervenir pour
l’exécution d’une condamnation pénale que si celle-ci est devenue déinitive » (CE,
30 mai 2005, Pirvulescu, n° 256357 ; cette chronique, AFDI, 2006, p. 792). La Haute
juridiction administrative abandonne cette position aux motifs qu’elle ne repose ni
sur une disposition de la Convention européenne d’extradition ni sur un principe
général du droit de l’extradition (CE, 12 décembre 2012, Mehmet K., n° 360887 ;
AJDA, 2012, p. 2408).
3. Extradition vers le Rwanda et accusation de crime de génocide
45. Contrairement à plusieurs pays comme le Canada ou la Norvège, la France
n’a jamais extradé vers le Rwanda des personnes accusées de participation au génocide de 1994. Plusieurs fois saisie de cette épineuse question, la Cour de cassation
a constamment considéré que les conditions d’une extradition vers Kigali n’étaient
pas réunies. L’affaire relative à l’extradition de M. Muhayimana livre une éclatante
démonstration de la position de la Cour de cassation sur une question toujours
aussi sensible (Cass. Crim., 11 juillet 2012, M. Claude Muhayimana, n° 12-82.502).
Deux principes justiient les refus successifs d’extradition des personnes réclamées par Kigali dans le cadre d’accusations de génocide : la « légalité des délits
et des peines » et la « non-rétroactivité de la loi pénale » selon lesquels on ne peut
être jugé pour une infraction qui n’était pas déinie par la loi au moment où les
faits auraient été commis. Le génocide est poursuivi au Rwanda en vertu de lois
postérieures (1996 et 2004) aux faits de 1994. Malgré ces obstacles, la chambre
d’instruction de la Cour d’appel de Rouen (CA Rouen, 29 mars 2012) a rendu un
avis favorable à la demande d’extradition de M. Muhayimana vers le Rwanda.
La juridiction d’instruction a contourné ce problème en invoquant, d’une part,
les conventions internationales de 1948 (génocide) et 1968 (imprescriptibilité des
crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) ratiiées par Kigali en 1975 et,
d’autre part, des dispositions du code pénal rwandais de 1977 réprimant des crimes
de droit commun comme l’assassinat et le viol. Elle a ainsi considéré que le génocide et les crimes contre l’humanité sont bien incriminés et réprimés par le droit
rwandais en 1994. C’est cet avis positif qui est l’objet d’une contestation devant la
chambre criminelle de la Cour de cassation.
46. Divers moyens de cassation sont mis en avant par le demandeur. Il est
reproché à la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Rouen de s’être exclusivement appuyée sur le constat fait par la Cour de Strasbourg des évolutions législatives
rwandaises (Cour EDH, Ahorugeze c. Suède, arrêt, 27 octobre 2010, n° 37075/09,
§ 129) pour afirmer que le demandeur ne serait pas exposé à des traitements
contraires à l’article 3 de la CEDH. La Chambre criminelle de la Cour de cassation
ne peut que constater le défaut de recherche effective par la chambre d’instruction de
l’absence de risque de traitement contraire à l’article 3 alors que, contrairement aux
autorités suédoises (État requis dans l’affaire examinée par la Cour de Strasbourg),
les autorités françaises n’ont pas demandé et obtenu de Kigali de garanties quant
au traitement de la personne visée par la demande d’extradition.
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L’application et l’interprétation de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide sont également en cause. L’article 7 de la convention de 1948 dispose que « [l]e génocide et les autres actes énumérés à l’article III
ne seront pas considérés comme des crimes politiques pour ce qui est de l’extradition ». La chambre de l’instruction s’est fondée sur cette disposition pour afirmer
que la demande d’extradition adressée aux autorités françaises n’obéissait pas à
des motifs politiques. Or, ici encore l’examen paraît bien rapide, la disqualiication
politique du crime de génocide n’excluant pas qu’un caractère politique puisse être
reconnu à la demande d’extradition elle-même.
Comme nous le verrons dans les livraisons futures de cette chronique, le
parcours judiciaire de cette demande d’extradition a donné à la chambre criminelle de la Cour de cassation l’occasion de se prononcer à nouveau sur ces questions
(Cass. crim., 26 février 2014, n° 13-87.888, publié au Bulletin 2).
Section III : Conditions de nomination des chefs de missions diplomatiques
47. Les nominations faites par le Président de la République à l’approche du
terme de son mandat sont toujours très attentivement scrutées. Ce fut le cas de
la nomination par décrets présidentiels datés des 10 février et 4 mai 2012 de deux
conseillers de Nicolas Sarkozy aux postes respectifs d’ambassadeur de la République
française en Indonésie et en Thaïlande (pour mémoire, le second tour de l’élection
présidentielle s’est déroulé le 6 mai 2012). Saisi d’un recours du syndicat CFDT
du Ministère des affaires étrangères, le Conseil d’État annule les deux décrets en
juillet 2012 (CE, 23 juillet 2012, Syndicat CFDT du Ministère des affaires étrangères, n° 359387 et n° 357157 ; AJDA, 2012, p. 1482).
48. Sur le fondement du décret du 6 mars 1969 (n° 69-222), tel que modiié
par le décret du 25 mai 2009 (n° 2009-588), parmi les catégories de personnes
pouvant être nommées aux emplois de chef de mission diplomatique, igurent les
conseillers des affaires étrangères quel que soit leur grade mais à la condition
qu’ils justiient de dix ans de service dans un corps de catégorie A, dont au moins
trois ans à l’étranger et puissent démontrer « notamment par l’exercice de responsabilités d’encadrement, leur aptitude à occuper ces emplois ». Les deux anciens
conseillers du chef de l’État remplissant les deux premières conditions, c’est cette
dernière notion d’aptitude à l’exercice des fonctions qui est au cœur du contentieux.
Le Conseil d’État considère, dans les deux cas, que les conseillers des affaires
étrangères proposés pouvaient justiier de l’exercice de fonctions d’animation et de
coordination lors de leurs missions auprès de la Présidence de la République et de
la représentation française auprès de l’ONU pour l’un, et de l’ambassade de France
à Pékin pour l’autre. Mais ni l’un ni l’autre ne pouvaient justiier avoir exercé au
cours de leur carrière des « fonctions de direction, d’organisation et de gestion de
services ou une partie de service ».
2. La Chambre criminelle retient dans cette affaire que ne répond pas aux conditions essentielles de
son existence légale, car il méconnaît les dispositions de l’article 696-3, 1° du Code de procédure pénale et
le principe de légalité criminelle, consacré par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
ainsi que par la Convention européenne des droits de l’homme et ayant valeur constitutionnelle en droit
français, l’arrêt de la Chambre de l’instruction qui donne un avis favorable à une demande d’extradition
visant les infractions de crime contre l’humanité et de génocide, en l’absence, à la date de commission des
faits, d’une déinition précise et accessible de leurs éléments constitutifs et de la prévision d’une peine
par la loi de l’État requérant, permettant de les considérer comme punis par la loi dudit État au sens de
la disposition légale précitée.