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Cultures & Conflits 75 | automne 2009 Crises et organisations internationales Chronique bibliographique Autoritarismes et résistances Simon Tordjman Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/conflits/17746 DOI : 10.4000/conflits.17746 ISSN : 1777-5345 Éditeur : CCLS - Centre d'études sur les conflits lilberté et sécurité, L’Harmattan Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2009 Pagination : 125-131 ISBN : 978-2-296-11477-7 ISSN : 1157-996X Référence électronique Simon Tordjman, « Autoritarismes et résistances », Cultures & Conflits [En ligne], 75 | automne 2009, mis en ligne le 20 janvier 2011, consulté le 30 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ conflits/17746 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.17746 Creative Commons License Autoritarismes et résistances Simon TORDJMAN Simon Tordjman est doctorant en relations internationales, associé au CERI. Il travaille depuis 2006 sous la direction du professeur Guillaume Devin sur l’exportation de la catégorie de société civile au sein de divers régimes autoritaires asiatiques (Ouzbékistan, Kirghizstan, Birmanie). Il a effectué plusieurs missions de courte et longue durée auprès d’organisations internationales, de représentations diplomatiques, d’institutions européennes et d’ONG. Depuis 2007, il enseigne la sociologie des relations internationales (Master) et une introduction aux théories de la démocratisation (1er Cycle/Europe centrale et orientale) à Sciences-Po. Contact : simon.tordjman@sciences-po.org Scott J. C., La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Editions Amsterdam, 2009, 270 p. Dabène O., Geisser V., Massardier G., (dir.), Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXIe siècle : convergences Nord-Sud : mélanges offerts à Michel Camau, Paris, La Découverte, 2008, 334 p. A u moment où l’espérance démocratique semble s’éroder sous le double effet des mesures liberticides prises au nom de la défense des démocraties libérales du Nord 1 et de la consolidation de systèmes autoritaires au Sud, les études sur les formes et les mécanismes de limitation du pluralisme bénéficient d’une actualité et d’un intérêt renouvelés. A quelques mois d’intervalle, deux ouvrages sont ainsi apparus sur les rayons des librairies francophones : l’un, dirigé par Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier, se propose de regarder le fonctionnement des régimes libéraux occidentaux à l’aune d’éclairages et de propositions tirés de l’étude de systèmes dits autoritaires ; le second est quant à lui une réédition de l’ouvrage écrit en anglais en 1990 par James C. Scott et traduit en français sous le titre La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne. Tout en se gardant de mettre sur le même plan démocraties et autoritarismes, le premier refuse l’idée d’une dif1 . Bigo D., Bonelli L., Deltombe T., (dir.), Au nom du 11 septembre. Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme, Paris, La découverte, 2008. 126 Cultures & Conflits n°75 - hiver 2009 férence radicale et intangible entre les deux types de régime. A partir des travaux de Juan Linz, abondamment cité par les différents auteurs de l’ouvrage, il développe une analyse dynamique des processus conjoints de restriction du pluralisme et de transformation des modes de contestation. Contre l’hypothèse développementaliste et transitologique, Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier entendent ainsi montrer la convergence des systèmes politiques du Nord et de Sud vers une « zone grise » 2, produit de la « tyrannie de l’horizontalité démocratique » et d’un « autoritarisme rénové ». Dans la mesure où le livre de James C. Scott s’intéresse non seulement aux différentes structures de domination personnelle (servage, esclavage), mais aussi et surtout à la manière dont celles-ci sont en pratique limitées par des formes d’insubordination et de résistance, La domination et les arts de la résistance pourrait constituer l’envers du premier ouvrage. La domination et les arts de la résistance s’inscrit en effet dans une problématique de l’inversion visant à interroger les mécanismes de domination à partir de leur face cachée et des réactions qu’ils suscitent. Cette perspective du retournement suppose notamment de penser le politique dans un aller-retour permanent entre ses faces formelles et informelles, selon ses mouvements d’intégration et d’atomisation, d’unification et de marginalisation. James C. Scott entend ainsi montrer que toute situation explicite de domination engendre en coulisses une critique privée. A partir de l’étude de sociétés cloisonnées (sociétés esclavagistes, castes), il s’agira donc pour lui d’informer le politique à partir de ses dimensions souterraines ; de développer un cadre d’analyse à même de saisir l’infrapolitique des dominés et les formes cachées de désobéissance qu’ils développent. Quand l’ouvrage d’Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier entend affiner notre compréhension de la démocratie par l’éclairage de régimes au pluralisme limité, James C. Scott vise à repenser la domination à l’aune des résistances qu’elle recèle et s’efforce dans le même temps de dissimuler. James C. Scott opte ainsi pour une approche du pouvoir largement héritée de Foucault, par ailleurs abondamment cité au cours du livre. Refusant tout monolithisme du pouvoir 3, il opte ainsi pour une approche largement héritée de Foucault et précisée dans le cadre d’un entretien retranscrit à la fin de l’ouvrage : « si le pouvoir existe dans toutes les sphères sociales, toutes ont également leur texte caché. Même si les travailleurs, le plus souvent, ne disent rien contre leur patron en public, ni même entre collègues, chaque situation sociale engendre son texte privé qui apparaîtra tôt ou tard dans des cercles de confiance » 4. 2 . Voir par ailleurs l’usage de la formule chez Primo Levi qui, le premier utilise l’expression de « zone grise » (Levi P., Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz, (trad. Maugé A.), Paris, Gallimard, 1999). 3 . Foucault M., Dits et écrits, Vol. II 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 302 : « L’idée qu’il y a, à un endroit donné, ou émanant d’un point donné, quelque chose qui est un pouvoir, me paraît reposer sur une analyse truquée, et qui, en tout cas ne rend pas compte d’un nombre considérable de phénomènes. Le pouvoir, c’est en réalité des relations, un faisceau plus ou moins organisé, plus ou moins pyramidalisé, plus ou moins coordonné, de relations ». 4 . Scott J. C., La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne (trad. Ruchet O.), Paris, Editions Amsterdam, janvier 2009, p. 250. 5 . L’ouvrage de Dabène et al. fait d’ailleurs abondamment référence au politiste espagnol Juan Linz qui aura pensé, parmi les premiers, les régimes au-delà de leurs dimensions strictement formelles. Sa conception de la démocratie se refuse ainsi à faire explicitement référence au système électoral et opte pour une formulation particulièrement flexible: « un système démocratique est celui qui permet la libre expression des préférences politiques de chacun sous le couvert des libertés fondamentales d’association, d’information et de communication, dans le but d’instaurer à intervalles réguliers, une compétition ouverte et non violente entre des leaders qui postulent pour le pouvoir. » (Linz J., Régimes totalitaires et autoritaires, Paris, Armand Colin, 2000, p. 28). 6 . Ibid., p. 33. 7 . Scott J. C., The Moral Economy of the Peasant : Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven, Yale University Press, 1977. 8 . Scott J. C., Weapons of the Weak : Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale University Press, 1985. 9 . Scott J. C., op.cit., 2009, p. 199. 10 . Ibid., p. 220. Autoritarismes et résistances - S. TORDJMAN 127 La domination chez Scott comme l’autoritarisme chez Dabène et al. ne signifient pas l’éradication de toute forme de pluralisme. Ce dernier parvient en effet toujours à s’extraire et à se déployer par delà les tentatives de restriction conduites par le haut. Les deux ouvrages laissent alors sourdre, en creux, une conception ouverte de la démocratie qui se fonde sur la réappropriation sociale du politique, au-delà de ses seules dimensions formelles, électorales et/ou institutionnelles 5. Mais dès lors qu’il entend saisir le sens des pratiques d’insubordination au sein de régimes autoritaires, James C. Scott rappelle que le chercheur s’expose à deux difficultés d’ordre méthodologique. La première tient à la superposition et à la coexistence de plusieurs régimes discursifs liés à autant de pratiques de pouvoir et de dissidence. La seconde renvoie aux modalités et procédures d’identification de ces différents discours. L’auteur en identifie trois registres selon qu’ils désignent les situations et pratiques de domination mises en œuvre par les élites dominantes (texte public), les énoncés des dominés qui se situent à l’arrière-scène (texte caché) et ceux situés entre les deux premières, caractérisés par le déguisement et le double jeu des acteurs. Cette diversité des niveaux et des pratiques de désobéissance suppose donc de ne pas limiter l’analyse de l’insubordination à ce qu’elle donne immédiatement à voir pour saisir « les formes discrètes de résistance qui n’osent pas dire leur nom » 6. Depuis ses premières analyses des révoltes paysannes en Asie du Sudest 7, et plus particulièrement en Malaisie 8, les modalités d’une résistance discrète et/ou déguisée constituent le champ d’exploration privilégié de James C. Scott. Selon ses propres termes, il s’intéresse à « la lutte prudente menée quotidiennement par les groupes dominés [qui], à l’instar de rayons infrarouges, porte au-delà du segment visible du spectre de leur perception » 9. Mais si ses études visent à la compréhension de l’invisible, elles se heurtent simultanément à la nécessité d’asseoir et de valider les hypothèses développées sur des manifestations tangibles de la résistance. Aussi, la lutte menée par les groupes subalternes, en étant nécessairement ambiguë 10, suppose-t-elle d’être appréhendée à travers une pluralité d’indices et un faisceau hétéroclite de sources. Aux mouvement politiques visibles et structurés, il préfère s’intéresser, dans 128 Cultures & Conflits n°75 - hiver 2009 un éclectisme méthodologique apparent et revendiqué, aux ouvrages littéraires 11, aux textes poétiques, aux chansons 12, à la mise en scène des fêtes nationales 13 ou à l’humour et au déguisement 14 : « Je le dis à mes étudiants : si tout ce que vous lisez c’est de la science politique classique, vous ne ferez au bout du compte que la reproduire. Dans toutes les sciences sociales, les idées neuves proviennent en général d’autres champs, d’autres disciplines » 15. Chez Scott comme chez Dabène, Geisser et Massardier, l’enjeu n’est donc pas tant d’établir des typologies de régimes que de saisir le sens des interactions et des pratiques de médiation entre les sphères privée et publique, entre le texte caché et le texte public, entre le non-dit et la revendication ouverte. « Offert » à Michel Camau qui, en 2002, portait un coup substantiel aux travers des théories de la transition 16, l’ouvrage de Dabène et al. vise au renouvellement des conceptions du développement politique qui, depuis les décennies 1980-1990, lient souvent la libéralisation des espaces politiques à celle de leurs économies. Leur hypothèse de la convergence entend alors substituer aux travers téléologiques des théories de la transition une lecture équivoque et ambiguë des modes et des trajectoires du changement politique. Plus qu’une lecture symétrique des modalités de domination et de résistance, le livre dirigé par Dabène et al., comme celui de James C. Scott, propose un examen complémentaire des modes de restriction du pluralisme et des voies de l’antidiscipline. Si James C. Scott se garde de ne considérer que les mouvements de contestation ouverts et formalisés, il semble cependant gommer de son analyse l’hétérogénéité des textes cachés eux-mêmes et les rapports de domination qui peuvent se développer à l’intérieur même des cercles de l’insubordination. Contre une vision trop binaire de la contestation, Vincent Geisser s’efforce d’ailleurs, dans un chapitre particulièrement stimulant sur « l’autoritarisme des dominés », de « penser l’autoritarisme en dehors de l’Etat » 17. A partir du cas tunisien, il déplace ainsi la focale de l’analyse vers les groupes contestataires eux-mêmes pour en identifier les « formes ordinaires de l’autoritarisme politique ». Alors que James C. Scott s’attache à démontrer l’exis- 11 . Le chapitre I de l’ouvrage propose ainsi une analyse fouillée du livre de George Orwell Comment j’ai tué un éléphant pour appréhender la notion de texte caché au sein des groupes dominants (voir notamment Ibid., p. 15). 12 . Voir notamment le chapitre II et l’analyse des chants élaborés au sein de la communauté noire américaine lors de la période esclavagiste. 13 . Voir notamment le chapitre III qui propose une lecture symbolique des cérémonies officielles organisées par les autorités afin d’asseoir leur maîtrise du texte public sur une dramaturgie particulière des relations de pouvoir. 14 . Voir les chapitres V et VI de l’ouvrage sur l’usage du double jeu dans le contournement du texte public. 15 . Ibid., p. 247. 16 . Camau M., « Société civiles “réelles” et téléologie de la démocratisation », Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 9, n°2, 2002. 17 . Geisser V., « L’autoritarisme des “dominés” : un mode paradoxal de l’autoritarisme politique ? », in Dabène O., Geisser V., Massardier G., dir., Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXIe siècle : convergences Nord-Sud : mélanges offerts à Michel Camau, Paris, La Découverte, 2008, pp. 181-212. tence de pratiques d’insubordination au sein des situations les plus fermées et cloisonnées (sociétés esclavagistes, féodalisme, régimes totalitaires), l’ouvrage d’Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier souligne les tendances à la restriction du pluralisme au sein même des démocraties occidentales (Gilles Massardier 18), des nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale (Jérôme Heurtaux 19), de l’islamisme légaliste turc (Ahmet Insel 20) ou des Etats latino-américains (Olivier Dabène 21). 18 . Massardier G., « Les espaces non pluralistes dans les démocraties contemporaines », Ibid., pp. 29-56. 19 . Heurtaux J., « Les impensés non démocratiques en Pologne postcommuniste », Ibid., p. 113132. 20 . Insel A., « “Cet Etat n’est pas sans propriétaires !” Forces prétoriennes et autoritarisme en Turquie », Ibid., pp. 133-153. 21 . Dabène O., « Enclaves autoritaires en démocratie : perspectives latino-américaines », Ibid., pp. 89-112. 22 . Carothers T., Ottaway M., (dir.), Funding Virtue: Civil Society Aid and Democracy Promotion, Washington D.C, Carnegie Endowment for International Peace, 2000. 23 . Anderson C. W., « Political judgment and theory in policy analysis », in Portis E. B., Levy M. B., (dir.), Handbook of Political Theory and Policy Science, New York, Greenwood, 1988. Voir également : Edelman M., Pièces et règles du jeu politique, Paris, Le Seuil, 1991. 24 . Vairel F., « L’opposition en situation autoritaire : statut et modes d’action », in Dabène O., Geisser V., Massardier G., op.cit., 2008, pp. 213-232. 25 . Öngün E., « Efficacité et recours aux protecteurs étrangers en contexte autoritaire », in Ibid., pp. 285-302. Autoritarismes et résistances - S. TORDJMAN 129 L’objet d’étude de Scott pourrait cependant nous amener à regretter la place marginale qu’il accorde aux incitations externes pouvant exister à la contestation de régimes autoritaires et à leur double incidence sur les mouvements protestataires et les structures de domination. Le développement considérable de programmes américains et européens destinés, depuis le milieu des années 1980, à soutenir l’émergence des sociétés civiles au sein d’espaces nonpluralistes, constitue en effet un élément de plus en plus important de la formulation de l’insubordination et de la mise en œuvre de la contestation 22. Si, « élaborer une politique ne signifie pas uniquement résoudre des problèmes [mais] également construire des problèmes » 23, la mise en avant de la société civile comme solution à l’autocratie traduit la suspicion accrue des démocraties occidentales à l’égard des Etats du Sud et leur préférence pour des modes d’intervention alternatifs à la seule coopération inter-étatique. Comme le montre Frédéric Vairel à travers le cas marocain, l’insubordination s’est trouvée imprégnée de normes et d’injonctions extérieures transformant radicalement les acteurs, les pratiques et les enjeux de la protestation 24. Emre Öngün montre que dans le contexte turc, à mesure que les luttes syndicales se sont intégrées à de nouveaux circuits internationaux composés d’ONG, de réseaux de syndicats et de sources de financement extérieures au contexte de mobilisation, elles ont été amenées à limiter leur charge protestataire et subversive au profit de la recherche de compromis, conforme aux injonctions extérieures faisant de la négociation le nouveau credo standardisé des mobilisations collectives ainsi soutenues 25. 130 Cultures & Conflits n°75 - hiver 2009 En survalorisant la recherche d’accommodements, la nouvelle doxa de la démocratisation et de la bonne gouvernance a ainsi eu tendance à brouiller la dimension proprement politique des luttes pour y substituer une dimension pragmatique, culturelle ou religieuse (François Burgat) 26. La mondialisation du libéralisme économique avec pour corollaire, la progressive prédominance du secteur privé sur l’autorité publique n’a pas été porteuse d’une libération effective de sociétés jusque-là muselées. Les restrictions qu’elles ont entraînées sur le secteur de la presse ou du syndicalisme (Eberhart Kienle) traduisent d’ailleurs les effets ambigus d’une globalisation qui est loin de jouer de manière univoque sur l’ouverture des espaces au pluralisme limité 27. L’insistance avec laquelle les ONG locales et les bailleurs de fonds insistent généralement sur la spécificité de leurs actions témoigne notamment de l’inscription de plus en plus marquée du changement politique dans une logique purement technique qui, tout en favorisant l’émergence du consensus autour de la question traitée, participe d’une tendance plus large de démobilisation politique de la population 28. Face à la consolidation de régimes autoritaires, la plupart des bailleurs de fonds américains et européens engagés dans la promotion de la démocratie et le soutien aux sociétés civiles ont en effet tendance à reformuler leurs appels à projets selon une cible plus spécifique, une teneur moins généraliste et généralement moins polémique qu’ils ne l’avaient jusquelà effectué. Pour s’adapter à ces nouvelles offres de financement et souscrire aux strictes conditions des procédures d’appels d’offre par lesquelles elles sont octroyées, de nombreuses organisations ont alors édulcoré leur discours en en gommant l’ambition démocratique pour se transformer en véritables agences et bureaux d’études spécialisés. En accroissant sa visibilité, la globalisation a rendu l’insubordination moins risquée dans sa pratique. Mais elle a également accru le caractère aléatoire de ses résultats. Dès lors qu’elles intègrent des circuits transnationaux de mobilisation, les pratiques militantes se transforment et évoluent pour embrasser des notions parfois inconnues jusque-là comme celles de la société civile, des problématiques de genre ou des droits de l’homme. Ce faisant, les acteurs tendent à se désolidariser des pratiques de domination des autorités (Michel Camau) 29 mais aussi des pratiques traditionnelles de sociabilité et de solidarité pour apparaître comme les porte-voix de l’indépendance au sein de régimes arbitraires et autocratiques. Or, cette posture de la déconnexion s’expose au risque de la captation du mécontentement social par des groupes politiques extrémistes ou fondamentalistes qui rencontrent un succès grandissant 26 . Burgat F., « Le “dialogue des cultures” : une vraie-fausse réponse à l’autoritarisme », in Ibid., pp. 233-248. 27 . Kienle E., « Libéralisation économique et délibération politique : le nouveau visage de l’autoritarisme », in Ibid., pp. 251-266. 28 . Mouffe C., « Le politique et la dynamique des passions », Politique et Sociétés, vol. 22, n°3, 2003, pp. 143-154. 29 . Camau M., « Le leadership politique aux confins des démocraties et des autoritarismes », in Ibid., pp. 57-88. Rejetant tout structuralisme qui ferait de la société civile le facteur d’ouverture à venir des régimes fermés et, la démocratie, le pendant irrémédiablement autre de l’autoritarisme, les deux livres proposent une analyse interactionniste des mécanismes de domination et de résistance. La lecture croisée de l’ouvrage de Dabène, Geisser et Massardier et de celui de James C. Scott invite à une pensée de l’entre-deux. Le premier met ainsi en lumière la focalisation de l’Occident (diplomaties, bailleurs de fonds, experts et analystes) sur des sociétés civiles fétichisées mais souvent introuvables, sur la multiplication d’acteurs de changement souvent déconnectés de réseaux sociaux préexistants et sur des espaces de lutte inédits et marginalisés. Ce faisant, il se présente moins comme une annonce de l’érosion à venir de l’autoritarisme que comme un appel à alimenter, par la critique, la vitalité de nos démocraties libérales. Appel auquel semble largement souscrire James C. Scott qui, derrière son étude des processus de formulation et de collectivisation du texte caché, redessine les contours d’un corps collectif que l’on pourrait parfois enserrer trop rapidement dans le dilemme trop restrictif de la révolte ou de la résignation, fut-elle négociée. 30 . Voir, pour une vue d’ensemble de ces nouveaux modes de gestion de la contestation : Howell J., « In their own image: donor assistance to civil society », Lusotopie, n°1, 2002. 31 . Zaki L., « La clientélisme, vecteur de politisation en régime autoritaire ? », in Ibid., pp. 157180. Autoritarismes et résistances - S. TORDJMAN 131 auprès de populations, souvent particulièrement touchées par les pratiques autoritaires des élites, mais néanmoins incrédules vis-à-vis d’une éventuelle évolution libérale-démocrate du régime. Ce nouveau management de la contestation 30 ne fait pourtant pas de la dissidence un processus univoque et, en même temps qu’il entraîne une forme d’automutilation et de dépolitisation des mouvements, il suscite le déplacement de la subversion vers de nouveaux acteurs, des espaces inédits et des modalités spécifiques. Dans une contribution bienvenue, Lamia Zaki offre ainsi, à travers l’exemple de la « libéralisation électorale » marocaine des années 1990, une illustration de la réappropriation possible des relais de la démocratisation top-down par les acteurs locaux 31.