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A propos de Mark Wagner, Like Joseph in Beauty. Contribution à l’étude des muwashshahât de Sâlim Shabazî

2011, Pount n°5

Notes de lecture À PROPOS DE MARK WAGNER, LIKE JOSEPH IN BEAUTY, CONTRIBUTION À L’ÉTUDE DES MUWAŠŠAḤĀT DE SĀLIM ŠABAZĪ JULIEN DUFOUR* L e Yémen, comme les autres contrées arabophones, a connu à partir du e XII s. une ivresse venue d’occident, qui a bouleversé sa vie littéraire et dont il n’a toujours pas dégrisé. La bonne société s’est prise de passion pour les chansons nouvelles dont les Andalous avaient donné l’exemple et qui charmaient par leurs mélodies variées, la fraîcheur raffinée de leurs sonorités et de leurs images cointes et gaies : c’est ce qu’on appela le muwaššaḥ, d’un mot qui évoque, on ne sait trop pourquoi, des colliers de perles ou des écharpes brodées portées en sautoir. Une poésie strophique aux savantes arabesques de rimes et de rythmes fit désormais un contrepoint bienvenu à l’austère qaṣīdah héritée de l’Arabie ancienne. Le Yémen, cependant, ne s’en tint pas à l’imitation des Andalous et, par des chemins qui nous demeurent très obscurs, élabora une forme tout à fait particulière de muwaššaḥ. On voit ainsi émerger au XIVe s., dans une langue en général dépourvue des désinences flexionnelles de l’arabe classique et accueillant volontiers quelques éléments dialectaux, une poésie qui finit par prendre le nom de ḥumaynī. Elle est à la base du répertoire pratiqué aujourd’hui par exemple à Sanaa, mais aussi dans nombre de traditions poético-musicales de la péninsule Arabique. Mark Wagner, Like Joseph in Beauty1 Si les origines restent dans l’ombre, c’est en revanche un éclairage abondant et précis que procure désormais, pour les époques ultérieures, l’ouvrage de Mark Wagner Like Joseph in Beauty. Il y avait déjà eu de * Université de Strasbourg ; chercheur associé au Centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa. 1 Mark Wagner, Like Joseph in Beauty, Yemeni Vernacular Poetry and Arab-Jewish Symbiosis. Leyde/Boston, Brill, 2009, 354 p. ISBN 978 90 04 16840 4. Pount, 5 (2011) : 139-187 140 Julien Dufour bonnes études de cette poésie, principalement les travaux de Jaˁfar al-Ẓafārī et de Muḥammad ˁAbduh Ġānim1. Mais Wagner apporte deux contributions essentielles. D’une part, il s’attache, sur une période qui va du XVIe s. à nos jours, à distinguer et à caractériser les différents courants littéraires qui ont eu le ḥumaynī comme mode d’expression. S’appuyant sur un énorme travail de dépouillement de textes, souvent manuscrits – chroniques historiques, ouvrages biographiques, recueils poétiques, textes de controverse politique ou religieuse –, il expose les conditions sociales et politiques auxquelles ont répondu les développements de cette poésie suivant les milieux et les époques. D’autre part, il inclut dans le champ de son étude la riche production juive yéménite en arabe et hébreu, dont il montre qu’elle s’inscrit dans l’aventure du ḥumaynī. Ce faisant, il contribue à abattre une cloison épistémologique certes absurde mais rarement franchie dans les faits. Évoquons en quelques lignes ce que le lecteur trouvera dans Like Joseph in Beauty, qui est en fait une version remaniée de la thèse de doctorat de l’auteur (Wagner, 2004). En signalant dès maintenant que chaque chapitre est abondamment illustré de poèmes traduits et analysés, ce qui rend la lecture fort agréable. En introduction, l’auteur constate que ce qu’il appelle la poésie yéménite juive et la poésie yéménite arabe ont généralement été étudiées séparément, avec comme conséquence que l’étude du ḥumaynī « arabe » n’a pas profité de celle du muwaššaḥ « juif », et que ce dernier a le plus souvent été considéré comme une élaboration en vase clos, sans rapport avec le reste de la poésie yéménite. Il annonce sa thèse : ces deux poésies ne sont que deux aspects d’un même phénomène, dont on ne peut comprendre l’un sans l’autre. Le chapitre I retrace rapidement ce qu’on sait de l’histoire des débuts du ḥumaynī, en s’appuyant principalement sur le travail d’al-Ẓafārī : 1966, jusqu’ici malheureusement inédit2. Le rôle des milieux soufis à l’époque rasūlide est déterminant, et l’un des modèles semble avoir été le muwaššaḥ mystique d’auteurs comme Ibn ˁArabī, al-Šāḏilī, al-Tilimsānī et al-Šuštarī, où le vocabulaire et les lieux communs de la poésie courtoise (ghazal) sont employés avec une portée symbolique. Wagner montre ensuite comment cette histoire a été récrite postérieurement, au début du XVIIe s., à une époque où les milieux dirigeants du nouveau pouvoir des imams qāsimides voyaient le soufisme d’un mauvais œil. Le personnage-clé est Muḥammad b. Šaraf 1 2 Ġanim, 1987 et Dafari, 1966. Bien qu’il ait donné lieu à trois articles dans la revue Al-Yaman (al-Ẓafārī 1992, 1996, 2000), dont Wagner ne semble pas avoir eu connaissance. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 141 al-Dīn (mort en 1601), poète soufi des régions zaydites dont la biographie fut massivement caviardée par son neveu, ˁĪsā b. Luṭf Allāh. Ce dernier, minimisant le rôle du soufisme, rattache les origines du ḥumaynī à Ibn Fulaytah, un poète de la cour rasūlide dont l’influence semble avoir été pour le moins limitée, et réussit un tour de force historique : l’abondante poésie mystique de Muḥammad b. Šaraf al-Dīn va être prise au pied de la lettre comme poésie amoureuse et constituer le fondement du ghazal chanté sanaani jusqu’à nos jours. Le deuxième chapitre est consacré au dialecte dans la poésie ḥumaynī. Après avoir constaté que le ghazal comporte en général peu d’éléments dialectaux, l’auteur fait surtout porter son analyse sur des poètes des XVIIe et e XVIII s., entre autres sur le cercle d’al-Safīnah, autour de ˁAlī al-Ḫafanjī (mort en 1766-1767), qui développe une poésie parodiant le ghazal et le panégyrique traditionnel en ayant recours aux sujets les plus triviaux : milieux sociaux inférieurs, femmes, cuisine, débauches diverses, dans une langue puisant à tous les dialectes et sociolectes de l’époque. Ayant recours au terme d’hétéroglossie, Wagner développe l’idée que les dialectalismes du ḥumaynī seraient un code-switching visant à produire un effet humoristique en s’appuyant sur le mépris de la bonne société pour les classes populaires ou serviles. L’auteur s’étend, dans un troisième chapitre particulièrement riche et documenté, sur ce qu’il appelle un âge d’or du ḥumaynī, allant de la moitié du XVIIe s. au XIXe s. Il montre comment la poésie a bénéficié d’un patronage de la part de l’imam, des nobles, des gouverneurs de provinces, et comment elle était un véritable moyen de grandir en crédit et de gravir les échelons de l’appareil d’État. Il s’agit là bien sûr de l’État zaydite. Le chapitre IV, plus composite, après avoir discuté la notion de hazl – légèreté à la fois du sujet et de la langue – traite des modes de production et de transmission des œuvres, en particulier des sources de l’inspiration : visite onirique d’un saint ou d’un illustre prédécesseur, génie familier ou personnel, cuisine poétique, les réponses varient suivant les époques et les courants de pensée. Le cinquième chapitre est consacré à Sālim Šabazī, poète juif originaire de Šarˁab et ayant vécu à Taez (taˁizz 1). Sa date de naissance semble pouvoir être fixée à 1619. On ne sait pas grand-chose sur sa mort, mais Wagner arrive à la conclusion qu’elle a dû survenir aux alentours de 1679. L’œuvre de ce poète prolifique, dont l’influence fut énorme sur toute la culture judéoyéménite, n’a pas fait l’objet d’une édition critique. Wagner s’appuie 1 Le nom de cette ville, nommée Taezz par ses habitants (ar. littéral : taˁizz), située entre Sanaa et Aden, peine à trouver une forme usuelle stable en français. La rédaction de Pount a choisi de retenir définitivement la graphie « Taez ». Voir dans cette livraison, pages 75-99, le texte que Noha Sadek consacre à l’histoire de cette grande ville yéménite (NDLR). 142 Julien Dufour principalement sur le groupe de manuscrits édité par Seri et Tobi1, tout en invitant à la prudence sur l’attribution de ce document que les éditeurs estiment autographe. Au vu du fac-simile, on ne peut que lui donner mille fois raison. L’auteur fait le point sur les recherches concernant les origines de cette poésie symbolique et ésotérique, et estime que la thèse d’une origine juive extra-yéménite n’est pas fondée. Son hypothèse est que les correspondances sont à chercher avec le ḥumaynī soufi. À travers l’étude de trois poèmes de Šabazī et leur comparaison avec l’œuvre de Bā Maḫramah (mort en 1546-47), il montre comment une phraséologie lyrico-mystique musulmane est reprise et réinterprétée dans un cadre cabalistique juif. C’est ainsi que l’on trouve l’expression bi-ḥusn al-yūsufī l-fattān « for I am like Joseph in Beauty »2 qui évoque chez Muḥammad b. Šaraf al-Dīn Waylāh°min yūsufī l-jamālī « Hélas, je souffre de celui qui est beau comme Joseph »3, ou ˀa-min šiˁāˁi l-šuhubī / ṣawwarta ḥusnan yūsufiyyā « est-ce avec les rayons des étoiles que tu as créé cette beauté semblable à celle de Joseph ? »4 Wagner étudie ensuite la réception de l’œuvre de Šabazī par les époques postérieures, en suivant deux axes. D’un côté le travail de Yaḥyā Qoraḥ (1840-1881). Cet auteur yéménite cherche à interpréter l’ésotérisme šabazien, et pour ce faire développe tout une critique textuelle et littéraire : il rassemble des manuscrits, observe les performances chantées, les compare avec celles des musulmans, étudie la langue, les figures de styles, en un véritable travail d’exégète. À l’inverse Yaḥyā Qāfiḥ (1849-1932) et les penseurs du mouvement dit Dor Deˁah veulent en finir avec la cabbale, vue comme un facteur d’arriération ; dans le même temps ils sont gênés par l’érotisme de Šabazī ainsi que par sa proximité avec une culture arabe. Cependant la place centrale de cet auteur dans la culture juive yéménite le rend incontournable, encore plus à partir de l’émigration vers Israël, qui va rendre encore plus impérieux les besoins identitaires de cette communauté. L’héritage šabazien finit donc par être accepté, mais non sans conditions : son symbolisme doit être compris à un niveau purement philosophique ; ses appels mystiques vers Sion sont interprétés comme un sionisme religieux ; et tout lien avec ce qui est arabe et musulman est nié. Les évolutions et bouleversements du ḥumaynī au XXe s. font l’objet du chapitre VII. Aden devient dans les années 1930-1940 la capitale du chant sanaani, les musiciens du Nord fuyant l’interdiction du chant par les autorités de l’imam. Des styles locaux sont créés au Sud, souvent de toutes pièces : l’adéni dans la mouvance du Club musical d’Aden, le laḥjī avec 1 Seri & Tobi, 1976. Wagner, 2009 : 187. 3 MM 101b. 4 MM 147. 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 143 al-Qumindān (1878-1937), le yāfiˁī autour de la poésie de Yaḥyā ˁUmar, le ḥaḍramī autour du poète al-Miḥḍār et du musicien Abū Bakr Sālim. Au Nord aussi, avec les événements de 1948 puis la révolution de 1962, un nouveau type de ḥumaynī politique se développe. La poésie dialectale est vue comme un moyen de toucher le peuple et elle prend une très forte dimension didactique. Pour finir ce tour d’horizon du ḥumaynī au XXe s., Wagner étudie le destin de la poésie de Šabazī en Palestine mandataire, puis en Israël. Il montre comment, à partir de l’entre-deux-guerres, une tradition yéménite européanisée – avec une artiste comme Zephira –, ou du moins écrite et fixée – avec des chercheurs comme Yeḥiˀel ˁAdāqī et Uri Sharvit –, sert à la constitution d’une culture nationale israélienne. Un deuxième mouvement, à partir des années 1970, voit les musiciens yéménites jouer un rôle moteur dans le développement d’une musique dite mizraḥi, accompagnant l’émergence d’une identité « orientale », s’opposant à un establishment travailliste d’origine surtout européenne. La poésie šabazienne passe à l’ethno-techno, en particulier avec l’album Fifty Gates of Wisdom (1988) de la chanteuse Ofra Haza. La rupture avec un milieu musulman et arabe est consommée. Seules les strophes en hébreu des poèmes sont conservées, et le reste de l’œuvre devient incompréhensible à la plupart des Israéliens d’origine yéménite. On voit que c’est un travail très riche que celui de Wagner. Il est en outre abondamment documenté, et le nombre des références n’est pas le moindre de ses intérêts. Dans sa capacité à mettre en rapport les facettes les plus diverses du ḥumaynī, il procure une vue d’ensemble qui manquait cruellement, et sur laquelle on peut désormais s’appuyer pour approfondir tel ou tel aspect. C’est incontestablement un ouvrage de référence pour quiconque s’intéresse à la littérature yéménite. La critique se limitera ici à un point, sur lequel je ne peux suivre Wagner. Il s’agit de l’idée, défendue dans le chapitre II et reprise en conclusion de l’ouvrage, selon laquelle l’essence fondamentale du ḥumaynī serait un emploi humoristique du dialecte tirant parti d’un effet littéraire de codeswitching. Il me semble en effet que les lieux, les époques et les auteurs diffèrent et requièrent des analyses différentes. Un Ḫafanjī joue bel et bien avec les codes, et pas seulement linguistiques. Il les pervertit à plaisir et en tire un effet littéraire et humoristique, c’est indéniable. Quand ˁAbd al-Raḥmān al-Ānisī place des régionalismes dans la bouche de la jeune provinciale qu’il prétend courtiser, on peut considérer aussi qu’il y a jeu linguistique, bien que le cas soit tout à fait différent. Mais quand un soufi de la Tihāma emploie des tihamismes conventionnels dans sa poésie mystique, je ne vois pas où est l’humour. Quand, deux siècles plus tard, Muḥammad b. Šaraf al-Dīn 144 Julien Dufour compose dans cette même tradition soufie, lui empruntant ses concepts, ses formes, ses images, son vocabulaire et sa syntaxe, je ne crois pas non plus qu’il y ait jeu linguistique. Il y a simplement une tradition poétique possédant sa langue propre, laquelle est composite mais cohérente. Car si le poète ḥumaynī procédait en permanence à un mélange entre arabe classique et arabe dialectal, s’il ne cherchait que le contraste et le passage d’un registre à l’autre, alors on devrait voir apparaître toutes sortes de dialectalismes ; tous les mélanges seraient permis, voire recherchés. Or, ce n’est pas le cas. Si l’on met à part le cas d’al-Ḫafanjī et les quelques poèmes qui, chez les Ānisī et al-ˁAnsī, jouent à imiter un parler local, les dialectalismes du ḥumaynī sont toujours les mêmes, et en nombre somme toute assez limité. Il y a un usage relativement contraignant, même si la norme en est implicite. Rien n’empêche ensuite de jouer avec l’usage, voire de le subvertir, mais il existe. Il est certain que des poètes yéménites ont fait usage des différents registres de langue, ou des dialectes régionaux. Et, évidemment, ils l’ont fait dans le champ du ḥumaynī – où donc auraient-ils pu le faire ? C’est un phénomène remarquable et fort intéressant, que Wagner a bien raison de souligner, mais est-ce la nature même du ḥumaynī ? À une époque inconnue et pour des raisons qui nous échappent, les soufis du sultanat rasūlide ont commencé à employer quelques formes yéménites dans un muwaššaḥ mystico-lyrique par ailleurs très classique de langue, iˁrāb excepté. À partir du XVIIe s., les fonctionnaires d’un vaste État imamite centré sur une capitale en train de développer une véritable culture urbaine ont aimé évoquer des parlers régionaux dans leurs vers, non sans quelque condescendance – tout en continuant à composer de la poésie amoureuse dans la veine de leurs prédécesseurs. Vers la même époque, les juifs du Moyen-Yémen faisaient alterner dans leurs poèmes des strophes en arabe et en hébreu. Un groupe d’aristocrates dépravés de génie a inventé au XVIIIe s. une poésie sanaanie bizarre et passionnante. Aujourd’hui, les Sanaanis continuent à chanter un répertoire de ghazal issu de ces différentes époques en ignorant totalement, pour la plupart, selon quelle chronologie et dans quelles circonstances il s’est constitué. Certes, on peut qualifier tout cela de code-switching. Mais en quoi ce terme éclaire-t-il ces objets et nous permetil de mieux les comprendre ? Il me semble plus fécond de considérer qu’il existe un usage linguistique propre au ḥumaynī, comparable à d’autres variétés d’arabe moyen, un usage ni classique ni dialectal, et de chercher à le décrire à partir d’un corpus donné. Des caractéristiques récurrentes se dégagent alors aux niveaux de la phonétique, de la morphologie, de la syntaxe, du lexique. C’est une fois ce travail effectué qu’on est à même de juger des interférences et jeux entre registres, dont l’existence n’est pas douteuse. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 145 Langue et métrique de trois muwaššaḥāt de Sālim Šabazī Like Joseph in Beauty se clôt sur « Shabazi in Tel-Aviv ». Et l’on sent une pointe d’amertume sous la plume de Wagner quand il évoque ce que sont devenus Šabazī et ses chansons : muséifiés, électrifiés, désarabisés. Non qu’il dénie à quiconque le droit de donner à une œuvre une vie nouvelle dans un contexte nouveau ; mais il semble regretter que l’on ait occulté le Šabazī de Šabaz, l’homme pétri de Cantique des Cantiques et de poésie ḥumaynī, d’hébreu et d’arabe taezi. L’espérance messianique du poète une fois transformée en éloge du sionisme, la déception est grande quand on s’entasse dans une banlieue de Tel Aviv. Et l’on peut lire Like Joseph in Beauty comme un effort pour rendre à cet auteur son pays natal, l’environnement culturel, littéraire et linguistique où il s’est épanoui. Wagner y réussit magistralement, et c’est avec plaisir qu’on le suit sur les chemins tortueux de l’histoire, du sultanat rasūlide à la république arabe, de Zabid à Tel Aviv. Et l’on finit par croire qu’en effet, chaque vendredi soir, Šabazī voyageait et voyage encore, depuis les collines de Taez où il repose, vers Jérusalem, Hébron, Tibériade, Safed, New York aussi parfois. Bien dur serait le cœur de qui n’offrirait à Rabbī Sālim, quand il le croise en route pour de si lointaines contrées, le peu qu’il a à lui proposer. M’autoriserait-on à faire de même, et à ajouter à la table magnifique que Wagner a dressée pour lui, quelque bol de bouillon ou une assiette de ˁaṣīd ? J’aimerais présenter ici en quelques pages ce qu’une expérience du ḥumaynī acquise ailleurs me permet de dire de la poésie šabazienne. Disons tout de suite que je la connais mal et n’ai fait que la parcourir ; la forêt de références dont les branches s’entrecroisent dans les šabaziyyāt est pour moi une selve obscure. Mais sur deux points : la métrique et l’analyse de la langue, je crois pouvoir indiquer l’entrée d’un chemin, bien que je n’aie pu m’y engager que sur quelques mètres. Le lecteur demandera ce qui me permet de parler ainsi. Dans le cadre de la préparation d’un doctorat, j’ai été amené à analyser métriquement et linguistiquement un corpus d’environ cinq cent cinquante poèmes ḥumaynī, écrits en caractères arabes par des Yéménites musulmans ou présumés tels entre le XIVe et le XIXe s.1. Il faut y ajouter la fréquentation, à Sanaa, pendant plusieurs années, de musiciens et d’amateurs de chant sanaani2. Je m’efforcerai ici d’appuyer systématiquement mes dires sur des renvois précis (mais forcément limités en nombre) à des textes de poésie ḥumaynī, 1 2 La liste de ces œuvres est donnée plus bas. Les conclusions de ce travail viennent d’être publiées : Julien Dufour, Huit siècles de poésie chantée au Yémen. Langue, mètres et formes du ˜umaynī, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2011, 454 p. 146 Julien Dufour en privilégiant les exemples empruntés à Muḥammad b. Šaraf al-Dīn, poète de peu antérieur à Šabazī et dont l’importance a déjà été évoquée. L’analyse portera ici sur les trois poèmes que Wagner traduit et étudie aux pages 172 et suivantes. Je n’aurai pas la témérité d’en proposer une traduction en français, et me permettrai de citer le texte anglais que Wagner a eu le courage d’établir1. Dans l’appendice III, il donne en outre une transcription des trois poèmes dans les langues originales et s’applique à les scander. Il estime que la tâche est ardue et que bien des vers résistent à la scansion. Il suppose que le texte prend des libertés avec la prononciation et l’orthographe pour les besoins du mètre et souligne scrupuleusement les lieux comportant, selon lui, une irrégularité métrique difficile ou impossible à corriger. Or, je pense qu’on peut être plus optimiste qu’il ne l’est, et que ces trois pièces se laissent scander de manière régulière dans leur quasi intégrité, une fois posé un nombre très limité de règles de scansion. Les pages qui suivent vont tenter de le montrer, en s’appuyant sur le travail de Wagner et en faisant appel à l’éclairage du ḥumaynī bas-yéménite et sanaani. Questions de métrique La métrique de la poésie ḥumaynī n’a rien d’obscur ni d’aléatoire, contrairement à ce qu’ont affirmé plusieurs auteurs yéménites pourtant fins connaisseurs. Elle est au contraire très simple et régulière. Les principes en sont les suivants. C’est une métrique de type malḥūn, c’est-à-dire en gros que les mots n’ont pas les désinences d’iˁrāb que prescrit la grammaire de l’arabe classique. Ils ont toujours et partout2 pour forme de base celle qu’ils n’ont en arabe classique qu’à la pause. Autrement dit, ils ont sensiblement la même forme qu’en arabe dialectal yéménite, ou qu’en arabe standard moderne parlé. Le sukūn n’est donc pas l’imprévisible « âne de la langue » qu’on évoque parfois, il en est plutôt le constant et indispensable chameau. Pourquoi alors a-t-on parfois l’impression que la fin d’un mot est vocalisée ? Parce que dans la langue du ḥumaynī, comme dans de nombreux dialectes arabes du Moyen Orient, une suite de trois consonnes n’est pas permise3. Si les hasards de la syntaxe font peser un tel risque, il est aussitôt évité : Si et seulement si un mot finissant par deux consonnes est suivi d’un 1 Dans le cours de l’analyse linguistique, je proposerai là où je le peux un mot-à-mot à visée purement pratique. Dans les références aux textes, les chiffres romains indiqueront le poème, les chiffres arabes le vers. 2 Sauf parfois à la rime, et dans quelques cas où apparaît un pseudo-tanwīn qui n’a sans doute pas grand-chose avoir avec de l’iˁrāb. 3 Autrement dit une syllabe ne peut ni commencer ni finir par un groupe consonantique. Ce phénomène est relevé par Serjeant, 1951 : 76 sq. et Semah, 1988 : 228-229. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 147 mot à initiale consonantique, une voyelle brève de disjonction est insérée1 (on la notera ici par °) : qalb + hāyim ⇒ qal|b°|hā|yim Dans tous les autres cas, le taskīn al-ˀawāḫir est de rigueur. Dans une suite comme salab + qalbī, on ne peut jamais au grand jamais voir apparaître une voyelle de disjonction. Un mot finissant par une voyelle longue ou un diphtongue suivie d’une consonne (-āC, -īC, -ūC, -ayC, -awC) peut être considéré ou non comme finissant par deux consonnes, c’est-à-dire qu’il peut ou non développer une voyelle de disjonction devant une initiale consonantique. Ainsi, pour ḏāb + qalbī, on trouvera aussi bien ḏā|b°|qal|bī que ḏāb|qal|bī. Les deux traitements sont sensiblement aussi fréquents l’un que l’autre. Un mot du mètre avant de poursuivre. C’est un schéma exprimable sous la forme d’une combinaison d’unités métriques longues (–) et brèves (U). Il n’y a pas d’unité commune et, normalement, aucune substitution n’y est possible2. Un vers donné fait correspondre à chaque unité métrique longue du mètre une syllabe longue, et à chaque unité métrique brève une syllabe brève. Une syllabe brève est une syllabe formée d’une consonne suivie d’une voyelle phonologiquement brève. Si une syllabe comporte une voyelle phonologiquement longue et/ou si elle est fermée par une consonne, alors elle est longue. Normalement, le schéma métrique d’une strophe vaut pour toutes les autres strophes d’un même poème. Chaque strophe est divisée en segments, chacun terminé par une rime. Les schémas métriques attestés dans le ḥumaynī sont extrêmement nombreux. Ce n’est pas le lieu d’en traiter. Il existe des mots qui, métriquement, fonctionnent comme s’ils avaient une initiale vocalique. Ce sont, d’une part, les mots précédés de l’article défini. D’autre part, les mots commençant par une occlusive glottale, même radicale ou élément de schème (hamzat qaṭˁ), qui peuvent librement être traités comme ayant une initiale consonantique ou vocalique ; dans ce dernier cas, il y a chute métrique de la hamzah3. Une syllabe nouvelle est formée, dont la consonne initiale est la consonne finale du mot précédant l’initiale vocalique : 1 2 3 Dans la pratique sanaanie actuelle, cette voyelle est normalement prononcée lorsque le poème est chanté, et reçoit des timbres variables en fonction de l’environnement phonétique. Elle peut même soutenir un mélisme. Mais quand on cite un vers sans chanter, alors elle peut fort bien ne pas apparaître, surtout dans le cas des mots de type ḏāb traités cidessous. Landberg, 1901 : xxi et passim relève un phénomène semblable pour le Ḥaḍramawt. Cependant, à une unité métrique longue à l’initiale d’un hémistiche peut, de façon minoritaire mais fréquente, correspondre une syllabe brève. Ce qui ne présume en rien ou presque de la prononciation effective. 148 Julien Dufour qalb + al-muˁannā ⇒ qal|bal|mu|ˁan|nā (– – U – –) šāḏin + ˀatlaˁ ⇒ šā|ḏin|ˀat|laˁ (– – – –) ou šā|ḏi|nat|laˁ (– U – –) Devant l’article défini, une finale en -ī peut subir deux traitements : qalbī + al-muḍnā ⇒ qal|bīl|muḍ|nā (– – – –) ou qal|bi|y°l|muḍ|nā (– U – – –) Précisons que le phénomène inverse : hamzat waṣl traitée comme une hamzat qaṭˁ, n’est possible que dans des cas très limités, et en tout cas pas pour l’article défini. On y reviendra. Ces quelques règles permettent d’expliquer la scansion de la quasitotalité des poèmes inclus dans mon corpus1. Leur application est d’une régularité à peu près totale et, avec un peu de pratique, elle prend vite l’évidence du naturel. S’il survient une irrégularité ou une anomalie, elle n’en est que d’autant plus frappante. On trébuche dessus comme sur une pierre. Le vers est faux. Il reste alors à chercher pourquoi. Insistons : il n’y a jamais dans ces textes de distorsion, de compression, d’allongement artificiel d’une voyelle pour les besoins du mètre. Il y a simplement des formes linguistiques que l’orthographe note avec plus ou moins d’exactitude. Une forme du pronom affixe masculin singulier en -hū, avec voyelle longue finale, existe dans la langue arabe, au moins poétique, depuis que celle-ci est attestée ; l’orthographe ne la note généralement pas, la scansion la révèle. Il en va de même pour maˁā « avec », ignoré par la norme classique mais universellement répandu. Ou pour des formes de type yitC1aC2C2aC3, extrêmement fréquentes dans les dialectes là où le classique a yataC1aC2C2aC3. Il y a un jeu de correspondance exacte, selon une règle du jeu, entre les structures du mètre et celles de la phonologie de la langue. Que cette langue ne soit ni vraiment de l’arabe classique ni tout à fait de l’arabe dialectal, c’est certain. Que les règles en question soient arbitraires, c’est sûr aussi ; on aurait pu a priori en imaginer d’autres – et d’autres existent ailleurs dans le monde arabophone. Mais il faut bien constater que ce sont elles qui sont opérantes dans notre corpus, et que la langue que les textes révèlent est de ce point de vue cohérente et régulière. Le poète n’a pas la liberté de la maltraiter, et il ne la plie à aucune forme qui lui soit étrangère. 1 Quelques poèmes relèvent d’une autre métrique et sont immédiatement repérables comme tels. En outre, on a laissé ici de côté quelques points de détails ou des phénomènes rares. Ces règles sont énoncées dans Dufour 2003. Serjeant 1951 : 77 donne pour la poésie du Ḥaḍramawt des indications tout à fait comparables. Mais certaines des règles qu’il relève ne s’appliquent pas à notre corpus (simplification des géminées finales, scansions kitābk pour kitābak). Il faut dire que cet auteur classe sous une même catégorie ḥumaynī des types de poésie qui mériteraient sans doute d’être distingués. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 149 Trois poèmes de Sālim Šabazī La question qui se pose est la suivante : la poésie en arabe de Sālim Šabazī relève-t-elle de la même métrique, du même jeu de règles, que le corpus qui m’a servi à élaborer celles énoncées ci-dessus ? Je vais m’attacher à montrer que la réponse est clairement oui, à condition d’ajouter une règle – ou peut-être deux –, que nous verrons. Quant à la langue employée, elle est elle aussi tout à fait comparable, mais se distingue néanmoins par un certain nombre de caractéristiques, absentes de mes textes. Je n’ai pas cherché à déterminer une valeur métrique pour chaque signe vocalique employé par le manuscrit. Comme pour les textes en écriture arabe, j’ai considéré qu’on avait affaire à une orthographe, et j’ai cherché à distinguer quel état de langue elle recouvrait, en imaginant a priori que cette langue avait quelque chance de ressembler à ce que je connais des dialectes yéménites et du reste du ḥumaynī. Or, on constate que si l’on prononce ces textes comme du yéménite standard d’aujourd’hui, et qu’on y applique les règles de scansion du ḥumaynī, alors presque tout tombe juste métriquement. Ne pouvant croire que ce soit là l’effet du hasard, je considère qu’il faut partir de là pour déterminer les principes de l’orthographe, et non l’inverse. Les tableaux qui suivent rendent visible le découpage syllabique de la scansion, ce qui permet au lecteur d’évaluer facilement la conformité du texte au mètre. Dans le même temps, l’orthographe adoptée permet de savoir pour chaque voyelle comment le manuscrit la note (signes vocaliques et matres lectionis) ou, éventuellement, l’omet ; mes ajouts ou interprétations sont ainsi repérables. Les lieux où apparaît une difficulté de scansion sont distingués par un fond grisé, et ne peuvent donc passer inaperçus. Les remarques de métrique et de langue que le texte exigeait ont été regroupées à la fin pour la clarté de l’exposé ; il y est fait des renvois par anticipation. Mais dévoilons dès maintenant la règle métrique supplémentaire qu’il faut introduire : un mot finissant par une consonne géminée peut être traité comme finissant par une consonne simple : kull + mā ⇒ kul|l°|mā (– U –) ou kul|mā (– –). À quoi bon, dira-t-on, passer tant de temps à discuter de la valeur métrique de lettres si fines, de voyelles si furtives ? D’abord, pourquoi pas ? Si on le fait pour le latin, pourquoi ne pas le faire pour l’arabe yéménite du e XVII s. ? Que la poésie de Šabazī vaille ou non celle de Virgile, les gens qui s’en nourrissent se valent tous, et leurs langues méritent une égale attention. Mais il me semble aussi que la métrique est un outil puissant d’analyse du texte. Elle permet de cerner de près la langue d’un auteur, de voir ce que l’orthographe ne montre pas. Et puis le poète ne nous dit-il pas : Wa-l-aḥruf kān hunāk tunẓar / tunīr mutrādifīn 150 Julien Dufour « On pouvait y voir les lettres rayonner, les unes à la suite des autres » ? Prêtons donc quelque attention à des lettres que cet homme n’a pas dû combiner à la légère. Transcription du manuscrit Les manuscrits reproduits en fac-similé dans Seri & Tobi 1976 sont datés par Tobi de la fin du XVIIe s., et seraient, selon lui, de la main de Šabazī luimême. Wagner remarque1 que plusieurs mains alternent dans chacun des ouvrages, qui semblent être formés de documents divers reliés après coup. Et en effet, d’une section à l’autre, forme et espacement des lettres, tracé et placement des signes vocaliques, usage du dagesh, présence de guidons – tout change si l’on y regarde de près. Il convient sans doute d’être très prudent sur les dates de copie de ces textes, et peut-être même parfois sur leur provenance. La lecture du manuscrit qui va être proposée ici s’appuie à tout instant sur celle de Wagner et lui doit donc beaucoup, même si des choix différents ont souvent fini par être faits. Il ne m’a pas semblé utile cependant, sauf dans quelques cas difficiles, de signaler chaque lecture ou scansion de Wagner reprise ou rejetée. Transcription de l’hébreu Le manuscrit emploie sept signes vocaliques, tous suscrits. Le schwa est une courte ligne horizontale. Le patah est semblable, mais surmonté d’un point ou d’une petite ligne perpendiculaire qui lui donne la forme d’un petit T majuscule renversé. Le qamets est semblable mais basculé d’un quart de tour vers la gauche et prend l’aspect d’un v très ouvert. Le holem est formé de deux points l’un sur l’autre. Le qibbuts est une petite barre verticale, éventuellement incurvée vers le haut et la droite. Le tsere est formé de deux points côte à côte. Le hireq est un point suscrit. Ces signes seront transcrits respectivement ə, a, ɒ, o, u, e, i. Les quatre derniers seront transcrits ô, û, ê, î lorsqu’ils sont accompagnés de la mater lectionis correspondante (respectivement vav, vav, yod, yod). Il n’y a qu’un symbole pour le schwa, quelle que soit la nature de la consonne sur laquelle il porte2. Quand la conjonction wə- se trouve devant une consonne labiale, le schwa est noté par un qibbuts. Il n’en continue pas moins à compter pour une brève dans le mètre si rien ne vient fermer la syllabe. Il est alors transcrit ŭ. 1 2 Wagner, 2009 : 154. Morag, 1963 : 178 sqq. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 151 Le dagesh n’est employé que de manière erratique. Il précède parfois la lettre à laquelle il s’applique, surtout si cette dernière est précédée d’un lamed. En outre, l’état du manuscrit et du fac-simile ne permet pas toujours de reconnaître si l’on a affaire à un dagesh ou à une tache du papier. J’ai indiqué par des caractères gras les cas où j’ai cru le distinguer clairement. J’ai choisi de restituer les géminations et les spirantisations les plus habituelles en hébreu biblique ; c’est un choix arbitraire visant à faciliter les équivalences avec la prononciation yéménite ; le manuscrit lui-même ne donne que fort peu d’indices à ce sujet. Le manuscrit ne distingue pas les he mobiles des quiescents, de même pour les aleph ; la transcription ne s’y efforcera pas non plus. Le sin, en revanche, est systématiquement distingué par un crochet. Il sera transcrit par ś. Si une lettre est en exposant, c’est que le manuscrit ne la donne pas mais que je la supplée. Si elle est en indice, c’est que le manuscrit la donne mais qu’elle ne compte pas dans le mètre ou qu’elle n’est qu’un artifice orthographique. Transcription de l’arabe Les mêmes signes vocaliques sont employés pour noter l’arabe, à l’exception du qamets, qui n’apparaît pas. Wagner a cru pouvoir déterminer que le schwa indiquait une syllabe brève et le patah une syllabe longue. Cette hypothèse est à l’origine d’une bonne partie des problèmes de scansion qu’il rencontre. En fait, le scribe n’a pas pour ambition de noter le mètre, il emploie simplement une orthographe, très régulière d’ailleurs, pour écrire les mots arabes d’une manière qui permette de les identifier. La régularité métrique va de soi pour tout locuteur de la langue habitué à la chanson, et n’a sans doute pas de raison d’être explicitée. Cependant, des considérations prosodiques entrent en jeu dans l’écriture, ce qui peut induire en erreur. Le système est le suivant. Le /a/ bref de l’arabe est rendu par schwa en syllabe ouverte et par patah en syllabe fermée1 ; la transcription sera respectivement ɐ et a. Le /i/ bref est rendu par hireq qaton (transcription : i), sauf en syllabe fermée finale de mot où il est rendu par un tsere (transcription : e)2, généralement surmonté d’un signe en forme de tilde (auquel cas le e est mis en italique). Le /u/ bref est rendu par qibbuts (transcription : u). Le /ā/ long de l’arabe est rendu par patah suivi d’une mater lectionis, généralement aleph, dans quelques mots yod (transcription ā 1 2 Seules exceptions : I-40 ˁalâ ; I-8 tɐtjaljal ; I-37 kās ˀɐl-šɐrāb ; et I-26 jɐmmal, où la gémination est pourtant rendue nécessaire par le sens, le mètre et l’usage du tilde. Cela ne vaut pas, cependant, pour le mot min « qui » ou « de », écrit avec hireq qaton. D’autre part, la première partie du manuscrit (jusqu’au folio 60), emploie souvent le hireq qaton en syllabe fermée. 152 Julien Dufour et â respectivement). Le /ī/ est rendu par hireq suivi d’un yod (transcription : ī). Le /ū/ est rendu par qibbuts suivi d’un vav (transcription : ū). Mais c’est au niveau du mot graphique que s’appliquent ces règles. Un /a/ en syllabe fermée finale de mot sera donc toujours noté patah, même si le mot suivant a une initiale vocalique qui fait que notre /a/, métriquement, n’est plus en syllabe fermée, mais ouverte. On trouve ainsi écrit mandab albuḏūr (I-10), qui doit être scandé man|da|bal|bu|ḏūr, où la deuxième syllabe est ouverte et brève ; ou bien sakrɐtī (I-29) avec un schwa contre jannat alḫuldī (III-20) avec patah. Les trois textes ne comportent pas d’exception à cette règle, et c’est là que la scansion achoppe si l’on croit que le patah indique toujours une syllabe longue. Autre effet de cette règle du mot graphique : l’article défini (toujours noté par la ligature aleph-lamed) est toujours vocalisé ˀal-, avec patah, même si en fait sa voyelle s’élide derrière une finale vocalique. Ce n’est que s’il est précédé d’une préposition graphiquement liée au mot que l’aleph cesse d’être vocalisé, indiquant alors la chute de la hamzat waṣl et de sa voyelle. Dans le premier cas, un a sera transcrit en indice (I-34 : diwā al-ḫāṭer) ; dans le deuxième cas, seul le lamed sera transcrit (II-13 : bi-l-dīn). De même, la double possibilité de scansion d’une finale -ī devant l’article défini n’apparaît pas du tout dans l’écriture et seule la scansion la révèle. Ainsi al-ˁawhɐjī al-ˀaḫḍar (III-9) et dājiy al-ẓɐlām (I-1) s’écrivent exactement pareil, avec un patah sur l’aleph-lam : chaque mot est vocalisé comme s’il était isolé, mais il ne l’est pas et la scansion ne doit pas se laisser abuser par l’orthographe. Pour la même raison sans doute, aucune des voyelles de liaison que la métrique décèle n’est notée aux jointures de mots. Elles le sont en revanche à l’intérieur d’un mot graphique, presque toujours par un schwa, par exemple quand un pronom est suffixé à un nom finissant par deux consonnes : fī ˁaqlɐhū (I-17). En écrivant les mots sous la forme qu’ils auraient à l’état isolé, le scribe s’inscrit en fait dans une lignée fort ancienne. L’orthographe de l’arabe classique ne fait pas autre chose dans son ductus consonantique, qui note la forme pausale alors même que la forme contextuelle n’est est pas déductible. Le ḥumaynī, où les formes contextuelles des mots découlent en revanche de la juxtaposition des formes pausales n’a pas a fortiori de raison d’en user autrement. À trois reprises1, un /i/ bref est noté par hireq suivi de yod, toujours dans le même mot : jinān, visiblement au sens de « paradis ». La transcription adoptée est ì. 1 I-3, 24, II-20. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 153 Un tsade muni d’un crochet note aussi bien le ḍād que le ẓāˀ de l’arabe. Ils sont distingués ici dans la transcription pour faciliter la lecture. Le même crochet transforme le t en ṯ, le d en ḏ, le k en ḫ, le g en ġ. Le pe note le /f/ et est transcrit f. La suite aleph plus lamed est toujours1 notée par une ligature spéciale, résolue dans la transcription. Dans d’autres textes judéo-arabes, cette ligature sert également pour lamed plus aleph ; ce n’est pas le cas dans les poèmes étudiés ici. Des dagesh apparaissent ça et là dans le texte arabe. Ils semblent indiquer une prononciation non spirante plutôt qu’une gémination, et sont de toute façon redondants, les phonèmes spirants de l’arabe étant distingués d’une autre manière. Ils sont néanmoins rendus dans la transcription par l’usage de caractères gras. Parfois, le simple usage du patah est en quelque sorte un moyen de noter la gémination de la consonne subséquente, puisque son apparition suffit à indiquer une syllabe fermée. Un signe de la forme d’un tilde se rencontre assez fréquemment ; la transcription le représente par l’usage de l’italique. Il apparaît qu’il a quatre fonctions. Il est un équivalent de la šaddah et note la gémination, de manière fréquente mais non systématique. Il est un équivalent du sukūn et surmonte une consonne non vocalisée, en particulier les matres lectionis ; dans cet emploi, il est particulièrement affectionné à la rime, où il prend une valeur presque décorative. Il accompagne généralement le tsere dans la notation du /i/ bref en syllabe fermée finale. En quelques endroits enfin (par exemple II-31, 39), il semble être un équivalent de la waṣlah et noter la chute de l’occlusive glottale. On pourrait résumer ces quatre emplois en disant que le tilde est un indicateur de syllabe fermée. Son positionnement est beaucoup moins précis que celui des signes vocaliques, eux-mêmes parfois ballottés par quelque ressac. Il est placé un cran au-dessus de ces derniers, et souvent à cheval sur les deux lettres de la syllabe qu’il concerne, parfois un peu plus loin. J’ai noté l’italique sur la consonne (ou la voyelle longue) concernée, même quand le tilde se trouvait sur la lettre voisine. Quand, cependant, il s’était égaré trop loin, je l’ai transcrit là où il était, laissant apparaître la bizarrerie. Là aussi, l’orthographe note le mot tel qu’il est isolément sans se soucier de la métrique, et une géminée finale comptant comme une simple peut recevoir le tilde : waˀtem̃ li-mā ˀawˁadtɐnā « et accomplis ce que tu nous as promis » (II-36). J’ai restitué la gémination là où le sens et le mètre l’imposaient. Si le tilde est présent, la double consonne est notée en italique. 1 Sauf en II-53 dans le mot ˀilayh. 154 Julien Dufour Comme pour l’hébreu, si une lettre est en exposant, c’est que le manuscrit ne la donne pas mais que je la supplée. Si elle est en indice, c’est que le manuscrit la donne mais qu’elle ne compte pas dans le mètre Femme à Taez vers 1970 (Coll. part.). ou qu’elle n’est qu’un artifice orthographique. La chute métrique de la hamzah est indiquée de cette façon. J’ai restitué les voyelles de liaison là où elles étaient obligatoires ou nécessaires, en les indiquant par °. La gémination du y et du w paraît notée dans le manuscrit par un procédé particulier, qui consiste à redoubler graphiquement la consonne en question1. Je note alors y-yy ou w-ww. Parfois un tilde est ajouté, transcrit par l’italique. À deux ou trois reprises, cependant, ce redoublement n’indique visiblement pas une gémination : li-kull al-ṣuwwar jɐmmal « il parfit toutes les formes » (I-26), muyyassir bi-arzāquh « qui lui fait faveur de sa subsistance » (I-51), et peut-être tifāwwaḍ bi-nūr ˀawwal « il répandit une lumière première » (I-3) ; cf. aussi jāwwid « sois généreux » (f° 496, l. 7). Il est probable que le 1 Ce procédé est relevé par Leslau, 1946 : 264 pour le texte de Ḥayyīm Ḥabšūš. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 155 redoublement note en fait simplement la pleine qualité consonantique d’une lettre qui peut par ailleurs servir de mater lectionis. Poème I (f° 99b-100b) Strophe 1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 U – – U buwɐnutiwɐwawawawu- rayq ṯawhūfāṭāl-ˀanl-ˀaˁl-ˀambaḥ- alwwar r al4 wwaḍ bat hāsāwār al- yɐ- man ġu- yūjì- nān bi- nūr bu- h alr° wa-lb° wa-lj° tɐtkɐ- ram – – – / U – – U – U – yašm alˀaġˀawˀaṯˀaġˀazjalnaj- ˁal ṭal 2 yal wwal mār mār hār jal jal / / / / mɐwɐsɐwɐ- ˁā ṭāqī al- 3 ˀaz- dābat warhī jibɐd° li- y al- 1 hū alwa-lšarq 5 ẓɐˀɐmɐwɐ- lām nām šām šām – – / U – – U – U – rīḥ bīḥ fūḥ ḍal nī nī nī mal ḏal 3 / / / / yɐwɐmɐbɐ- ṭīb hū ˁā saṭ manmušṭalfay- dareˁaḍɐ- b alḥ alt alhū buṣuˁumu- ḏūr dūr ḏūr dām / mɐ- ˁā / bi- l-ˀaf- ṭal- ˁa- t al- ġɐ- 6 yām nā- n° wa-l- ṭɐ- ˁām Strophe 2 10 11 12 13 14 15 16 17 18 1 U – – U – ˀiwɐwafɐwɐfɐmuwuwɐ- lâ jab l-ˀazsubḫaṣ 9 ṣīḥ zayfī lā- ṭālilhāḥāḫalnuṭyyad ˁaqkin 1 b° la- 7 r° n° q alq° bilɐḥīn 2 ḍar- b alh al- tasḥīn tɐ- 8 min ˀafˀin- sāli- 10 sāl-ˀiḥ- sāhū ˀakˀaḫ- ṭā / yɐ- ḫuṣ 11 ḥel- l° wa-l- ḥɐ- rām / ti- ṣal- laq bɐ- hū l- ġɐ- 4 rām Remarque 3. Remarque 1. 3 Remarque 3. 4 La longue ā est notée par l’aleph et le redoublement du vav ne note sans doute pas une gémination (cf. I-26, 51). 5 Cette scansion est tout à fait anormale en ḥumaynī. Un mot terminé par deux consonnes (et non une géminée) doit obligatoirement développer métriquement une voyelle brève de disjonction devant un mot à initiale consonantique. Les exceptions sont rarissimes et se trouvent surtout dans des textes peu fiables. Il n’y a pas moyen ici de scander le vers régulièrement (l’élision de la hamzah de ˀazhī ne ferait qu’empirer les choses). Le sens est cependant satisfaisant, et aucune émendation ne s’impose de manière évidente. 6 Sic. 7 Le ā de allāh est souvent scandé bref en ḥumaynī : ˀaḥbāb° galbī ˀallah al-mustaˁān (MM 180). Dans le poème édité par Tobi 1999, on trouve au vers 43 « yâ allah al-jâr », que le mètre oblige à lire ya llah al-jâr. Pour le Ḥaḍramawt, cf. Serjeant 1951 : 79. 8 On devrait avoir ici une syllabe longue. Le début du vers est, en revanche, parfaitement régulier. 9 Remarque 1. 10 On devrait ici avoir une syllabe longue. 11 Remarque 1. 2 156 Julien Dufour Strophe 3 U 19 20 21 22 23 24 25 26 27 liwɐwuwɐwɐbimilili- – l-ˀamˀajfī dawġānūn alkulmā- – lāˁal dawr alleb r alhayl alḍī U k° lɐrɐqɐˁɐjìkaṣuwu- – wa-lhum tun mar lâ alnān l al5 wwar mus- – ˀafˀidsulyaẓšammakqudjɐmtaq- – lāk rāk lāk hal sī sī sī mal bal / / / / / U ḫɐtumuwu- – laq sabṭīfīh – yawbeḥ ˁah ˁid- U m° lilida- – ṣunˀisˀamt al- U ˁɐmɐrɐˀay- – hū hū hū yyām / bi- jam- ˁah ˁɐ- lâ al- tɐ- mām / mɐ- lek mus- tɐ- ḥīṭ zi- mām Strophe 4 U 28 29 30 31 32 33 34 35 36 šɐmuwɐwɐwɐmudimuwɐ- – rad walḫilkāˁinnīwā alrabˀaf- – ˁaqlaˁ lī s aldī rah ḫābaḫ kā- U libɐbɐšɐfubiṭeˁɐrɐ- – y al- 6 qayt qā rāb nūn kās r al tīq hū – hādānāˀawtufˀazmuḥmuˁtaḫ- – yem yem yem ṣal raq raq raq sal jal / / / / / / wu- min ḏā- qɐ- hū / ˀi- lâ lam si- ker yɐ- hām wɐ- nām – wed 7 wed wed ḫal kaf kaf / / / / / U U wɐmutɐmi- – – ḥar- rak hā- wī rak- nī n al- sā- U qɐlibida- – rīsakwuḥh al- U ḥɐrɐšɐki- – tī tī tī rām Strophe 5 U 37 38 39 40 41 42 1 biwɐmufɐliˁɐ- – kālī ḥiblā ˀɐ- 8 ˀanlā – s ɐlqalbī ẓunnak ḥā- U šɐb° fɐn° sɐlɐ- – rāb mutqum bak mīnā – yā rāˁātabḥ altan- U tuliwuˁa- – sall-ˀafbālā – lī nāder hā- U lin° bite- – ḫāḥādāf al- ṭiyiyini- – rī rī rī ẓām Le texte porte, semble-t-il, wɐˀadas, dont les trois dernières consonnes ont été biffées ; en marge, une autre main a écrit lkn. 2 Il faudrait ici une syllabe brève. Wagner ne retient pas le vav du mot précédent, considérant que cette lettre aussi a été biffée. On peut alors scander lākin ḥīn° ˀaḫṭā – ce qui ne fait que déplacer le problème : l’initiale est longue au lieu d’être brève. 3 Remarque 1. 4 Le ghimel n’est pas vocalisé. 5 Le vav est doublé et surmonté d’un tilde. Cependant le mètre et la langue courante imposent une forme sans gémination (cf. I-51). La synonymie entre les verbes ṣawwar et jammal, interchangeables dans le vocabulaire du ghazal, a pu jouer. 6 Remarque 3. 7 Remarque 1. 8 Remarque 4. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 43 ˀi- lâ 44 wu- min 45 ḏɐ- hab ray- t° fan- nī 1 kaf rā- d° yat- jam- mal ḫāṣ- ṣ° lā yaḏ- ḥal / fɐ- lā / wɐ- lā 157 yas- tɐ- meˁ kɐ- lām yal- ḥɐ- ẓuh tu- ḫām Strophe 6 – zɐ- kī alwɐ- ˀahwa- l-ˀabsɐḫī 2 alwɐ- yaḥmu- yyasˀi- lâ wɐ- yūbi- serU 46 47 48 49 50 51 52 53 54 – nafl alyānafmud ser 3 ˀal- 4 ṭen r al- U s° fut° s° lilifuwɐˁu- – min nūn tatlā ḫalˀarnūn lā lūm – ˁājālāyaˁlāzāḏāyajyas- – zam zam zam jal quh quh quh hal ˀal 5 / / / / / U liwumɐˀi- – ḍaymin ˁālâ – fuh zānī ṭā- U wɐr° tuba- – ˀaknālāt al- U rɐdɐyini- – muh muh muh ˁām / yɐ- ḫef rā- sɐ- hū mɐ- qām / wɐ- lā yah- se- f al- ˁɐ- wām Strophe 7 U 55 56 57 58 59 60 61 62 1 yɐlimuwɐwɐliwɐwu- – jeb ˀan 6 ṭīqad ḥeb 10 kī yuġmin – li-lˁaqˁīḥāmin yanfar ḥā- U ˁɐlɐn° ṭɐyɐšɐḫɐz° – wām hum li-lhum ḥeb 11 reḥ ṭā 13 kib- – nāmaḥqadwa- ˀs- 8 rab- 12 qalḏanruh – mūs rūs dūs 7 bal bak bak bak mal 14 / / / / / U mɐyutɐbi- – ˁā ˁizqiyfaḍ- – ˀahzū yīn luh 9 / wɐ- nā- luh U l° libibi- – ˁilḍayfiˁˀiq- ˀal- 1 ˀiḫ- U mɐfɐlɐti- – hum hum hum sām ti- ṣām Le manuscrit porte un nun et non un gimel. Au folio 100a, ligne 17, le texte porte wɐmin ṭāb, biffé. Dans la marge de gauche à la ligne 16, une autre main a ajouté sɐḫī et, dans la marge de droite à la ligne 17, ˀal-nafs. 3 Le y n’est évidemment pas géminé ici. Cf. I-36. 4 Remarque 2. 5 Le patah (en forme d’équerre) est à cheval sur le samekh et l’aleph-lamed ; on pourrait donc lire yasāl. Mais le yod porte un patah et non un schwa, la syllabe est donc fermée. En outre le samekh a un tilde. Enfin, le mètre et la rime imposent de lire yasˀal et non yasāl. Les deux formes sont bien attestées en ḥumaynī : ˀasˀalk° yā raḥmān (TAMA 35), mā lidahrī ˀasālvh al-ˀiṭlāq (TAMA 83). 6 Le texte porte liliˀan ; c’est évidemment une erreur due à l’ambiguïté de la ligature alephlamed ; on suit ici la correction de Wagner. 7 L’emploi du patah sur le qoph suffit à indiquer que la syllabe est fermée, et que donc le d est géminé. 8 L’aleph n’est pas vocalisé. Le tilde a peut-être ici valeur de waṣlah. 9 Le texte a likullan, biffé et corrigé en marge par bifaḍluh. 10 Remarque 1. 11 Remarque 1. 12 L’emploi du patah sur le resh suffit à indiquer que la syllabe est fermée, et que donc le b est géminé. 13 On pourrait également lire ḫaṭaˀ, qui serait ici équivalent métriquement. 14 Remarque 1. 2 158 Julien Dufour 63 wɐ- rū- ḥuh fɐ- tat- zal- / bi- l-ˀaṭ- mā- ˁ° zal wa-l- ḥu- ṭām Strophe 8 U 64 65 66 67 68 69 70 71 72 wɐfɐfɐwɐ- – tam 2 jal 3 subġā- wu- fī wu- min – qawˁāḥāfer U lɐlin° ḫɐ- – nā ly al- 4 min ṭā 6 ˀis- mu- h ˀatˀiḥ- tɐ- mal – maḥmulyuzmin – kī kī kī ḍal 7 wak- kal mā ḏal 10 / / / / / U biˀiliˀiwunubi/ li/ ˁɐ- – mā lāˁablâ min sabfaḍˀanlayh – laḏhī dun tāb baˁbeḥ luh nuh ˀaš- U ḏ° wɐmuwɐd° liyufɐra- – maqsayšarˀisqawrabġīlā f al- U ṣɐyyɐ- 5 rɐtɐlɐbɐṯɐyɐsɐ- – dī dī dī hām 8 nā 9 nā nā nām lām Poème II (f° 77b- 79a) Strophe 1 – 1 ˀahtɒ2 wa-ˀkî 3 naftɒq4 – ḇaṯ ˀîr nî hîˀ šî bîl gələləbəkəbə- – ḇaˁên yɒfḡɒṣipḵɒl – raṯ śiḵyɒh lûpôr lay- – niḵlî ˀaḥṯî bôlɒh bəwəmətəḏəpə- – ḏɒh raḏɒh nɒḏɒh nê 5 6 7 8 lɒh lôṯ hakḥad- məbəkədə- lawtê14 rûšɒh wah śar hɒ- ˀaḇîm niṣgî- lî ṣəhəṣəwə- ḇɒˀ 13 ḇɒh ḇɒh rôḇ śə- śô- nî 1 kî la-ˁbên wu-ṯ- 1 U U – – / ˁə- yô- nî / ḥə- me- nî 11 / ˀə- ḏô- nî 12 U Remarque 2. Remarque 1. 3 Remarque 1. Le tilde sur le phe concerne sans doute en fait le lamed. 4 Remarque 3. 5 Sic avec schwa. 6 Comme au vers 61, on pourrait tout aussi bien lire ḫaṭaˀ. 7 Remarque 1. 8 On pourrait tout aussi bien scander ˀilâ tāb° wa-ˀistahām (cf. Remarque 5). 9 Ce tawšīḥ, au lieu de suivre le schéma métrique des premiers hémistiches des vers du bayt, a celui des deuxièmes hémistiches, contrairement aux tawšīḥ précédents. 10 Remarque 1. 11 Au lieu de tinnɒḥəmênî ? 12 Le texte ne comporte pas ici de quatrième vers sur ce mètre. 13 Au lieu de ṣɒḇɒˀ ? 14 Au lieu de bɒttê ? 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 9 mig10 wuḇ-2 159 gûf ṭə- ḇɒ- ˁî nip̄- rə- ḏɒh ˁôḏ ˁə- lôṯ ša- ḥar tə- qô- mə- me- nî Strophe 2 – 11 li-lmaˁ12 baytaˁ13 bi-lwa-l14 dāmuz15 wa-l16 taz17 taš18 tan19 tar20 tal- – nafšūn allū dīn jisyem jī alnafkū tāq jū jaˁ bas U s° qɐdɐˀiwam° ḥɐnus° wɐˀimilili- – ġāhā rālâ all-ˀīfī yāfūs taqtaˁlâ n aldānū- – yah ˀal- 3 rī kurmān ḫuṭtuh bi-lṣud bud busˀā- 7 r alr al- – mudˁaqsāsī mumṭ almufjahˁilrabtāṯām ˀibˁaq- – yûmlê ḏasḇôḥîšasip̄šûloḏɒloˁaṯ mô – mɒḡôsîm ṯêḏɒh ḥar ḥɒh ḇɒh hay šɒh hîm rɒwa-ˀ- – ṯî lîm yanû minsadmôˁôtindabkabṣôn yay- 1 U rili 4 litɐsišɐsil° mɐbɐnɐwatil° – kah fī kah ḫuṣ 5 kah 6 māl dā wa-lhā hā hā l-ˀimdā bi-l- – U / hɐ/ rɐ/ bɐ/ hɐ- – wā- hā ḍā- hā lā- hā wā- nī ti- ḥā- nī jì- nā- nī Strophe 3 – 21 šaˀə- 8 yir22 bên yɒ23 šûˁɒ24 ˁizbi-ḏ25 ˀal26 šî27 ya28 ˀû29 ˀaz1 – lî ṣah hašîḇ ḇî lay ḇî ḇar ṭûḇ rɒh šaˁ lay kîr U ˀəˁəhəšəyəbələtəˀəḥəˀəbəšə- U ləšəˁəkənədərərehəbəbəyəḥə- – ḏôḏ han môḏ ḇatḏôḏ rî ḏɒh rî rî rî rî šagḏô U / sə/ tə/ tə/ hə- – – ḡûl- lɒh ḥil- lɒh p̄il- lɒh mô- nî gə- ḇe- nî La syllabe initiale du hitpael semble chuter comme, en arabe, la hamzat waṣl des formes VIII, X, etc. 2 De deux schwa consécutifs, le premier est vocalisé et le second amuï, comme il est normal. 3 Remarque 2. 4 La voyelle de disjonction serait-elle ici notée ? Ce n’est pas l’usage habituel du manuscrit. 5 Remarque 1. 6 La vocalisation de ce mot est peu lisible. 7 La longue n’est pas notée, et l’aleph porte seulement un patah (en forme d’équerre), mais le sens et le mètre réclament un ā. L’orthographe calque sans doute celle de l’arabe, qui n’écrit qu’un alif. 8 Le schwa est noté mais ne compte visiblement pas dans la scansion. Cf. infra « La métrique des parties en hébreu ». 160 30 ˁɒz- Julien Dufour zî wə- zim- rɒ- ṯî yə- na- hə- le- nî Strophe 4 – 31 baywɐ-ˀn- 2 32 wɐ-ˀnwa-ˀɐ- 3 33 taˁwɐ- 5 34 tašdī 35 wi-ˀḏ- 6 36 wa-ˀɐ- 7 37 nar38 nas39 wa-ˀk- 9 40 wa-ˀɐ- – yen ˁem jī alˁīlū taltāq qad kur tem 8 jaˁ maˁ fī alˁiz- rɐˁɐˀɐdɐˀal- 4 ḥaˀiḫuliliˀilišɐzɐ- – ḍāk laysīnā ˀanẓ allâ leq ˁahmā lā naġmānā – ḏal 10 ḥi ḏôn mô leḇ lûḏ nalê niyḇô- – hangɒm hakˁahanˀɒp̄aš ˁawyîm ḏɒḵ U – yā nā r alfī alfus ˀīdāfī d ˀāˀawbayt m all aljam- – ḫānasġāḫaytarmār alˀawbāˁadqudšīḥāˁah U litɐrir° tɐn° huwwayɐtɐṣɐr° simi- – qī nīr qī qabqī taḥdā l alnā nā nā wa-ldā n al- – U / bi/ l° / t° / zɐ- – faḍ- lak nah- lak ẓil- lak mā- nī mɐ- ˁā- nī hɐ- wā- nī Strophe 5 – 41 zɒḵmi42 ˀatˁê43 rapme44 haṣmib45 ḥaz46 miz1 – rɒh šaltɒh nay peˀ ˁôl ṣel bazeq zîz U lələˀəkələyələˁəˁəkə- – nazakol ḇaḏ namɒh ḥɒlɒh niḏnih- U ˁəməwələˁəwŭrətəkənə- – lɒḇ nɒh ˀɒḇ yaḏ ṣɒḇ meḏɒh 11 malˀîm ˀîm U / mə/ ˀə/ ḥə/ lə- – – zô- nô ḏô- nô rô- nô ṭe- nî Avec deux yod difficiles à expliquer (mais cf. I-51). L’aleph n’est pas vocalisé mais porte un tilde qui semble faire office de waṣlah. 3 L’aleph n’est pas vocalisé. Remarque 4. 4 Remarque 2. 5 Dans le reste du ḥumaynī, quand le mètre réclame une syllabe longue à l’initiale d’un hémistiche, une brève est cependant toujours possible, et même fréquente, bien que cette solution soit minoritaire. Il est remarquable de ne rencontrer dans ce poème qu’une seule occurrence de ce phénomène. 6 L’état du manuscrit rend la vocalisation du vav difficile à déterminer. Le ḥireq que je crois apercevoir ne serait certes pas conforme à la vocalisation de wɐ-ˀnˁem (II-31), mais on trouve ailleurs wi-ˀktem al-ser « cache le secret » (f° 2a, l. 1). 7 Remarque 4. 8 Remarque 1. 9 L’aleph n’est pas vocalisé mais porte un tilde qui semble faire office de waṣlah. 10 Le dalet porte un schwa, certainement par erreur. 11 Au lieu de ḥəreḏɒh ? 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 47 48 49 50 tɒqûˁamwu-ḇ- mîḏ mɒh mɒḵ ṣel bəbəbəkə- ḥɒḵ rɒḇɒh fay- qôṯî tip̄ḵɒ rewəqəyə- – bald alˀaḥnatḥāṭā 1 luh haylaymulˀarruh d ˀiskā- – leġ rābār hayfeẓ min mutmel nā kuh ḍuh ˁaymuh sī al- – niyḥah sāyyā ḥaytāb sarlā dāḥāwa-lnī sāṣā- p̄iṯˁazˀahnɒ- 161 ˀîm ˀam- mə- ṣe- nî ḏɒh hɒˀ mə- lô- nî Strophe 6 – 51 yā šā 52 mā naš53 subġā54 alrab55 faḍ56 li-l57 bā58 lā 59 wu-ˀu- 3 60 wa-ˀš- – ṣānaˁbayrab ḥāfer mulbun luh kul 2 seṭ tanwaḥrab 4 U ḥ° qen° wɐn° ḫɐk° muˁɐbiliẓuḥeli- U yyɐtɐdɐbiwɐˀimisiyikisɐwɐjifi- – tī ṭītī šurtī layh dā wāmā mā mā hū dā y al- – U / b a/ b a/ wu/ h° – l-ˀar- wāḥ l-ˀaq- dāḥ sam- māḥ ṯā- nī yɐ- rā- nī zu- mā- nī Poème III (f° 120b-121b) Strophe 1 U 1 2 3 4 5 6 7 8 ˀəbəwəwərəwəwə- – yumḵɒl hîˀ ḥamˀîhôśɒ- – mɒšaḥqašdɒṯîsîmaḥ- – ṯî rî tî ṯî hɒ p̄ɒh tî U bəwəwəwəbəməbə- – ḥen ḡam hîˀ ṭûḇ har ˀôr haḡ- – taṣˁarḥarḥalsîˁêyô- – bîˀ bî bî bî nay nay nay / / / / / U lətəwŭbə- – ˁam šalḇɒh ḵɒl – qolem libyô- wŭ- ḇɒˀ- ṯî – ḏaš lî bî mɒm U səgəgənə- – ḡûl mûl ˀûl hûl hag- gə- ḇûl Strophe 2 U 9 10 11 12 1 lɐwɐwawɐ- – qayt ˀazl-ˀaḥmū- – alhī alruf sâ – ˁawqawkān kā- U hɐm° hun° – jī alwa-lnāk yat- – ˀaḫmaḥtunnaẓ- – ḍar ḍar ẓar ẓar / / / / / U ˀɐwatuwa- – mīl-ˀamnīr l-ˀaš- – r allāk mutrāf – ˁāṣārāwā- U rifidiqi- – fīn fīn fīn fīn On pourrait transcrire ḫaṭaˀ sans que la scansion en soit affectée. Remarque 1. 3 Remarque 4. 4 Ici aussi, le tilde, bien qu’il soit placé en fin de mot, pourrait bien en fait noter la waṣlah. 2 162 Julien Dufour 13 ġɐ- šā- hū nū- r° rū14 wu- fā- raq kul- l° 1 jis15 wu- bi-l- taw- rā- t° ˀaf16 ḥā- nī mā- nī tā- nī ˁɐ- lā kul- l al- ˀu- ṣūl Strophe 3 U 17 18 19 20 21 22 23 24 šɐwɐmɐwɐnɐwɐwɐ- – – jay- t alṭā- l altā šā nan- ẓur zū- r alsul- ṭān nū- ruh – qawhajnabjanhaymuˁyaq- U l° r° lunakatɐha- – yā yā ġ alt all allī alr al- – widfuqqaṣḫulqudkuršam- – dī dī dī 3 dī sī sī sī / / / / / U wɐfɐbɐwɐ- – jisqahladkul 4 – mī rī nā mā – muḍlā narnas- U mɐyɐtɐtɐ- – ḥel 2 ḥel ḥel ḥel bɐ- ˀay- yā- m al- qɐ- būl / / / / / – ray kay ḇɒlî Strophe 4 U 25 26 27 28 29 30 31 32 1 bəwəˁətəšəˁəwə- – ḥê rûḏaṯ ḥî ḇɒlû 7 liḏ- – nafṣî qonafṭay 6 yaḥḇɒ- – šeḵ lɒḵ ḏaš šî ˀôdɒw rɒyw U ḥəkəˀəˀəhələˀə- – ḇaṣˀayšar šar ḇî qeṣ nî – ṣayaḥɒgɒyazyɒmaˀ- – laṯ laṯ laṯ laṯ mîn mîn mîn U pəwŭbəwə- – zûḇirˀahśiḵ- – qɒˀɒmṯeḵ yô- U ḇəmərəˁə- – ṣî ṣî 5 ṣî ṣî wə- loˀ ˀe- šeḇ hə- ṯûl Remarque 1. Remarque 1. 3 Le mot est partiellement effacé. Wagner hésite sur la lecture et propose hindī ou qanadī, dont seul le premier convient au mètre. Il me semble que la deuxième lettre ressemble plus à un tsade qu’à un nun (cf. le mot qaṣd à la ligne 12 du folio suivant) ; en outre, on aperçoit le patah sur le qoph (qui pourrait être un he). Ce serait donc le mot qaṣd, avec un élément -ī ajouté à la rime, comme deux vers plus bas (cf. Remarque 7). 4 Remarque 1. 5 Sic. Le mem porte un dagesh ; et en effet un piel conviendrait au sens comme au mètre, mais on attendrait alors ˀamməṣî avec patah. 6 Wagner traduit « il appelle les tribus de mon bien-aimé ». Mais l’état construit de šəḇɒṭîm est normalement šiḇṭê. Faudrait-il traduire « mon bien-aimé appelle mes tribus », ou « ô mes tribus, mon bien-aimé appelle » ? Cf. le poème cité par Wagner p. 181 : ziḵrî gəḇaraṯ ˀahəḇɒh / niḏḥê šəḇɒṭîm qɒḇəṣî « Lady, remember our love—gather the banished tribes » (f° 104b). 7 Wagner traduit « ils montent », mais ce serait ˁɒlû (accompli), avec qamets, et le mètre impose en première syllabe un schwa que le manuscrit donne effectivement. On aurait donc ici un impératif « montez ensemble pour la fin des temps ». 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 163 Strophe 5 U 33 34 35 36 37 38 39 40 zɐwɐˀiwuwɐˀɐyɐ- – māqad lâ min hāˁūd ṭīb – nī mā tāb laḏ 2 ḏâ ḫadˁay- – bi-lbaykulbi-lqaṣdām 4 šī U yɐnɐl° kɐd° liwu- – man nā min dīm maṭmaḥmaš- – ˀabšarˀaḫyuˁlūbūrū- – ṭā ṭā ṭā ṭā bī bī bī / / / / / U bibilɐlɐ- – hajyad hū hū ˀu- ṭīˁ – rak mūġufkul 3 – yā sâ rān mā kul 5 mā yɐ- qūl U mukuyɐṭu- – ḥeb 1 teb jeb leb Strophe 6 U 41 42 43 44 45 46 47 48 yɐḫɐmiˀiwɐyɐwɐ- – qūtamn allāˀabhab yat- – l alt alˀamhī alwākulnaẓ- – mašqawrāwāb allan ẓar U tul° ḍ° ḥeqɐˁɐˁɐ- – ˀī al- 6 wa-lwa-ld albūl lâ lâ – faṣˀal- 7 ˀamsubˁinqaṣˁab- – ḥān ḥān ḥān ḥān duh duh duh / / / / / U ˀɐwɐfɐyu- – nā ḥārīd jib – ṣirlī mā fat- – tū muslī ḥun U ġɐtɐḥɐqɐ- – rīb rīb bīb rīb yu- bal- liġ- nā al- 8 ˀu- mūl Traduction des poèmes (Wagner, 2009: 172 sq., 179 sq., 183 sq.9) Poème I 1 The little lightning bolt of Yemen flashed, despite the overwhelming darkness, 1 Remarque 1. Remarque 1. 3 Remarque 1. 4 Le patah sur le khaf suffit à indiquer que la syllabe est fermée, et que donc le d est géminé (le dagesh seul n’est pas signifiant). 5 Remarque 1. 6 Le tav porte clairement un qibbuts. 7 La solution proposée par Wagner de scander al-qawl wa-al-ˀalḥān est à ma connaissance sans exemple en ḥumaynī. 8 La solution proposée par Wagner (yubliġnā al-ˀumūl) pose deux problèmes. D’abord, l’initiale du segment serait longue, ce qui n’arrive nulle part ailleurs dans le poème, et normalement jamais dans les mètres à initiale brève en ḥumaynī. D’autre part, cela obligerait à scander l’article al- comme commençant par une hamzat qaṭˁ. Cette dernière difficulté n’est cependant pas rédhibitoire (cf. Remarque 1). 9 La numérotation des vers a été modifiée pour correspondre à celle de la transcription. Les strophes en hébreu apparaissent en italique. 2 164 Julien Dufour 2 Spurring on sheets of dewy rain to the joy of mankind, 3 The rivers of Paradise are streams, watering the roses and the flowers, 4 It emanates the first light and illuminates the east and the north. 5 It ripens crops, 6 And the rivers and the seas, 7 And the herbs and the flowers. 8 When the storm clouds rise the waves churn, 9 And the noble ocean is loaded with excellent things to eat. 10 Isn’t it wonderful when the wind strikes, ripening the crops in their furrows? 11 Give praise to God, who is the opener of breasts, 12 [The opener] of flowers so that they spread their perfume when Virgo is ascendant. 13 Exalt Him who is the most virtuous, Who spreads out his emanation as wine. 14 He perfected the creation of Man, 15 He is eloquent, making man’s tongue speak, 16 Making good deeds abundant. 17 His Intellect is perfect and he determines that which is licit and that which is forbidden, 18 But when a miserable man sins He still loves him. 19 He created the angels and the spheres on the day of His fashioning, 20 He gave them perception so that they would praise His name, 21 They circle him, obeying his command, 22 And the lunar sphere shines for a set number of days. 23 He overpowers the Sun, 24 Cloaked in the light of Paradise, 25 [Emanating] from the Holy Shrine. 26 He beautifies forms—in His gathering them they reach perfection, 27 In the past and in the future He is the king who governs all affairs. 28 My troubled mind wanders off and my nature is disturbed. 29 I have always remained smitten, longing for drunkenness. 30 My lover is still asleep—he left me, spurned, 31 But the generous nobles sent me a cup of wine. 32 Choice (wines) are selected for me, 33 Shining from a blue cup, 34 Balm for burning thoughts. 35 [The mind of] him who tastes an ancient honeyed wine that grants rest wanders off, 36 His thoughts are upset until he gets drunk and falls asleep. 37 My love, with a drink of wine you would comfort my thoughts, À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 165 38 For I have a heart that is desirous and perplexed by everything, 39 Lover, get up and return—appear at my door! 40 I do not think that you are stingy, however, towards the Muse of poetry. 41 For your hand is generous, 42 And you call for assistance in support of us in our state, 43 Would that [you] would open your hand. 44 He who looks for sustenance behaves admirably and should not pay heed to [idle] talk, 45 [He] is gold without blemish [rest of line obscure]. 46 He who invites guests and honors them has a pure soul, 47 He is stalwart among learned men and every visitor makes him their boon companion. 48 Verses of poetry require the appropriate motifs, 49 And the soul will not tarry when the good times have come. 50 He praises his Creator, 51 Who provides him with sustenance, 52 And gives him many good things to taste. 53 He contemplates—he is not ignorant—his mind becomes light when he stands up, 54 He inquires about the secret of the sciences that the average man never sips. 55 Run of the mill people require laws (which are relaxed among the learned), 56 Their Intellect is preserved, and they exalt their guests, 57 They obey the Holy One an fear Him in their actions, 58 He encompasses them and apportions beneficence to them out of His goodness, 59 Love him who loves the Lord, 60 So that your heart will exult 61 And your sins will be forgiven. 62 He who is surrounded by grievous sin becomes weary and achieves only enmity, 63 His soul shakes violently with lust and vanity. 64 My speech is finished and it has served its purpose well, 65 Exalted be the King on high, the ruler and the lord, 66 Praise be to Him who forgives an errant slave, 67 Who pardons the sin of the man who has gone astray, both the repentant and the bewildered. 68 Having finished my speech, 69 I praise God, 70 For his grace that waters us. 166 Julien Dufour 71 I trust in His Name, for He never sleeps, 72 Noblest peace be upon Him who shows patience for the lowly. Poème II 1 Love for an honored woman illuminates my mind’s eye and my imagination, 2 While I praise her beauty, for she comforts me in my exile. 3 My soul is like a lone bird and each night she greets the face of my Lord, 4 ??? 5 For she is accompanied by the Commander of the Army, 6 Ascending to the Houses of Love. 7 She stands among cherubs. 8 My joy and great exultation are renewed, 9 Parted from my bodily form, 10 She raises me up at dawn. 11 The soul perceives its aim—she is smitten, in love with the Intellect, 12 She travels among brightly shining stars, ascending to the Throne to gain her favor, 13 Holding fast to piety and faith despite being afflicted by the body by means of the Left line, 14 It continually corrupts [corporeal] life—men’s desires are for ignorance and lowliness. 15 The soul wants to know her, 16 To act piously and to worship her Lord, 17 It longs for her orchard. 18 She is saved from sins and trials, 19 She returns to the Abode of Initiation, 20 In the Garden she clothes herself in the light of Intellect. 21 [This is] the request of my awe-inspiring woman to her lover, [a man] who wants the exiles to be a treasure, 22 He stands among myrtles, asking for our return to the way we were in the beginning, 23 Return from your wandering, precious one, arise at dawn and pray, 24 Leave the cast-off handmaiden, wake my multitudes with a call for repentance. 25 Hurry to do good for my God, 26 Recite a new song, 27 Magnify God’s salvation. 28 Perhaps in a time of His choosing He will exalt me, 29 I remember His name and declare His unity, 30 He will refresh my strength and my song. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 167 31 O Creator, make Your will clear, grant us Your favor that we may be illuminated by your grace, 32 Free the sick prisoner, and return us in goodness lest we be destroyed, 33 The souls ascend, going upwards, seeking faith in Your shadow, 34 They yearn for the Abode of Guidance that was created at the beginning of Time. 35 Remember our fathers’ covenant, 36 Fulfill your promise to us, 37 That we may return to our Holy House. 38 We will listen to the melody and themes of poetry— 39 Put an end to the envious Left, 40 Make all of us stronger than our passions 41 Remembering the miserable wretch, [You] send nourishment when it is needed, 42 You are lord of all, a father, my eyes are those of a slave [looking at] his master’s hand, 43 Remove the weight of the handmaid’s son’s yoke from a wounded heart, 44 Rescue a trembling soul—let me escape from those who oppress me. 45 Strengthen miserable people with downcast eyes, 46 Who rejoice in your abundant glory, 47 Calling out at your gate continually. 48 Rise to my assistance and strengthen me, 49 Your people are diligent in their love, 50 Let my refuge be under your wings. 51 Friend, deliver my message! We shall achieve respite and our souls will repose, 52 Among my lords, learned Jews, let us drink and hail each other with the drink of flagons, 53 Praise Him who preserves my life, forgives the sins of the repentant, and shows forbearance, 54 The eternal king, generous, there is no second to Him, 55 His grace is always upon us, 56 He rules everything in His dominion, 57 He spreads out the earth and heaven. 58 My eye cannot see him but he sees me. 59 Proclaim his unity, prostrating yourself, 60 And drink the pure earthly cup. Poème III 1 In her grace, an awe-inspiring woman musters a holy and treasured people, 2 Each dawn and each evening she gives me recompense, 168 Julien Dufour 3 She is my bow and she is my sword and in her my heart is redeemed. 4 She is my cherished and choice one, she leads them to rest throughout their lives. 5 I saw her at Mount Sinai, 6 She increased the light of my eyes, 7 I delighted n my contemplation. 8 I arrived at the limit. 9 I met the dark-skinned gazelle with the long neck, the prince of those who seek esoteric knowledge, 10 He dazzled the assembled people while the angels stood by in their ranks, 11 The letters were assembled there to be seen, sending forth light, one after the other, 12 Moses was watching carefully and the nobles were standing by. 13 He was engulfed in a spiritual light, 14 He left every corporeal thing, 15 He spoke clearly to me about the Torah 16 On all of its principles. 17 You inspired me to speak, my love, though my body is wasting away, 18 Our separation has grown long—How I miss you!—my grief will not cease, 19 When will we reach Jerusalem and leave our land, 20 Gazing upon the Immortal Garden and every inaccessible place, 21 We will visit the Holy Shrine, 22 And the king, elevated upon his Throne, 23 His light brighter than the sun’s, 24 In the days of rejoicing. 25 O Rose, with your living soul gather my scattered ones, 26 Run like a gazelle and bless my might, 27 In your love, seek a holy people that has suffered, 28 My soul, having been exiled, will live again, and my Intellect will advise me. 29 He calls out to my lover’s tribes, 30 They ascend together to the End of Days, 31 I believe in his words. 32 I will not sit in mockery. 33 My time in Yemen passes slowly without you, lover. 34 We had a written marriage contract, borne by Moses’ hand, 35 Doesn’t every sinner repent—Mustn’t He forgive them? 36 He who revels in the Eternal will be given freely when he asks. 37 This is the thing I seek, 38 To be a servant to my beloved, 39 That would sweeten my bread and my drink. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 169 40 Obeying His every command. 41 The eloquent Mashta’ite says—I have become a stranger, 42 I conclude my speech and my melodic patterning in a frightened state, 43 From illnesses and trials, alone, without a lover. 44 O one exalted God, grant us a speedy victory. 45 He controls the gates of joy, 46 He grants whatever He wishes to whomever He chooses, 47 He looks down upon His slave. 48 Let us realize our wishes. Références et abréviations Les trois poèmes de Šabazī sont numérotés en chiffres romains dans l’ordre où ils apparaissent ici. La référence au vers est en chiffres arabes. Par exemple : II-34. Les poèmes de ˁAbd Allāh b. Abī Bakr al-Mazzāḥ (m. après 1426) cités ici se trouvent dans le manuscrit Adab 57 de la Grande Mosquée de Sanaa, encore inédit ; ils sont désignés par leur incipit. Les abréviations suivantes désignent les œuvres d’autres poètes ḥumaynī, ou bien des anthologies poétiques, dont les références exactes sont données dans la bibliographie en fin d’article : NN : Nusaymāt al-saḥar wa-nafaḥāt al-zuhar, dīwān de ˁAbd al-Hādī al-Sūdī (m. 1524). MM : Mubayyatāt wa-muwaššaḥāt, dīwān de Muḥammad b. Šaraf al-Dīn (m. 1601). WD : Wādī al-dūr, dīwān de ˁAlī b. Muḥammad al-ˁAnsī (m. 1726). TAMA : Tarjīˁ al-aṭyār bi-marqaṣ al-ašˁār, dīwān de ˁAbd al-Raḥmān al-Ānisī (m. 1834). ZS : Zamān al-ṣibā, dīwān d’Aḥmad b. ˁAbd al-Raḥmān al-Ānisī (m. 1825). SHKF : Ṣanˁāˀ ḥawat kull fann, dīwān d’Aḥmad b. Ḥusayn al-Muftī (m. 1877). SAT : Safīnat al-adab wa-l-tārīḫ (recueil). ShGhS : Šiˁr al-ġināˀ al-ṣanˁānī (étude et recueil). Les chiffres arabes suivant une de ces références renvoient au poème qui commence à la page en question. Ainsi, la mention MM 43 renvoie au poème de Mubayyatāt wa-muwaššaḥāt qui commence page 43, mais le vers ou le mot étudié peut être à la page 44. Pour l’œuvre d’al-Sūdī cependant, le chiffre renvoie au numéro du poème tel qu’il apparaît dans l’édition, et non au numéro de page. 170 Julien Dufour Quand sont cités en caractères latins des extraits de textes rédigés en caractères arabes (et donc usuellement non vocalisés), le v note une voyelle de timbre difficile à déterminer. Les voyelles de disjonction sont notées (par °) afin de rendre visible le schéma métrique du fragment concerné. Schémas métriques des poèmes Premier poème Schéma métrique : U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U––– U––U––– U––U––– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– La dernière strophe a le schéma : U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–U– U––U–U– U––U–U– U––U–––/U––U–U– U––U–––/U––U–U– Schéma de rimes (les rimes notées en majuscules sont celles qui sont fixes d’une strophe à l’autre) : ab ab ab AB ccc AB AB / cd cd cd AB eee AB AB / … Deuxième poème ––U–––U–/––U–––U–U–– ––U–––U–/––U–––U–U–– ––U–––U–/––U–––U–U–– ––U–––U–/––U–––U–U–– ––U–––U– ––U–––U– ––U–––U– ––U–––U–U–– ––U–––U– ––U–––U–U–– À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 171 Rimes : ab ab AB ccc BAB / de de de AB fff BAB / … Dans la première strophe, la première section n’a que trois vers. Troisième poème U–––U–––/U–––U– U–––U–––/U–––U– U–––U–––/U–––U– U–––U–––/U–––U– U–––U––– U–––U––– U–––U––– U–––U– Rimes : ab ab ab ab ccc B Le premier poème est d’un type banal dans le ḥumaynī. En effet, la structure ab ab ab AB ccc AB AB se situe au troisième rang des formes les plus répandues ; dans une strophe de ce genre, on appelle généralement le quatrain initial bayt, le tercet médian tawšīḥ, et le distique final taqfīl. Je ne connais pas de poème ayant exactement le même schéma métrique que celuici. En revanche, un schéma proche est attesté : U – – U – – – U – – U – U – 4 fois U – – U – – – 3 fois U – – U – – – U – – U – U – 2 fois La seule différence est que les vers du bayt et du taqfīl ne sont pas, comme chez Šabazī, divisés en deux segments portant chacun une rime finale. Le premier exemple de ce schéma se trouve chez al-Sūdī : ˁUḏayb al-limā samsam fuˀādī bi-ˁišqatvh (NN 33). Muḥammad b. Šaraf al-Dīn fait de ce poème une muˁāraḍah : ˁUḏayb al-limā ˁaḏḏab fuˀādī wa-samsamvh (MM 87). Ḥaydar Āġā (m. 1669) démarque à son tour le poème de Šaraf alDīn dans son Ḥawā l-ġunj wa-l-taftīr° wa-l-siḥr° ˀawḥamvh (ShGhS 251). Le poème de Šabazī s’inscrit-il dans cette lignée ? Pas directement, semble-t-il, dans la mesure où aucune rime ou formulation ne rappelle les trois poèmes en question. Mais il pourrait s’agir de la circulation d’une mélodie ayant servi de moule aux poèmes. Remarquons que les schémas métriques de ce genre, apparentés au ṭawīl classique, sont tout à fait rares en ḥumaynī. Le deuxième poème de Šabazī se caractérise par un taqfīl d’une forme inconnue dans mon corpus : un unique segment, de mètre identique au deuxième segment de chaque vers du bayt, suivi d’un vers de deux segments, de schéma identique à un vers entier du bayt. Un poème d’al-Mazzāḥ, ˀAšraf min al-qaṣr al-mašīd, présente un schéma métrique tout à fait comparable : – – U – – – U – / – – U – – – U – U – – 4 fois 172 Julien Dufour – – U – – – U – 3 fois – – U – – – U – / – – U – – – U – U – – 2 fois Mais, comme on le voit, la structure du taqfīl est différente1. Le schéma métrique des vers du troisième poème se retrouve exactement chez Šaraf al-Dīn (MM 70) et chez ˁAbd al-Raḥmān al-Ānisī (TAMA 98), dans des pièces de structure strophique différente. Il appartient à une famille (hazaj/wāfir) qui n’est pas des plus courantes, mais est néanmoins attestée par une dizaine de poèmes de mon corpus. Les bayt sont remarquables, car ils ne comportent aucune rime fixe. Ce phénomène est exceptionnel dans mon corpus, mais il en existe quelques exemples, dont certains anciens2 ; il est en revanche assez fréquent chez Šabazī3. Ce troisième poème de Šabazī a pour taqfīl – mais faut-il garder ce terme ? – un unique segment, là encore de mètre identique au deuxième segment de chaque vers du bayt ; à la différence de ce qu’on a vu dans le deuxième poème, il n’est pas suivi d’un vers complet. Attardons-nous un instant sur ces taqfīl à structure impaire. On a l’impression que – contrairement à ce qui se passe dans le premier poème, type du muwaššāḥ yéménite habituel – le taqfīl n’est pas indépendant du tawšīḥ mais qu’il s’enchaîne sur lui, et l’on pourrait présenter la structure du poème ainsi : dans le bayt, à quatre reprises4, le premier hémistiche de chaque vers pose comme une question, à laquelle répond le deuxième hémistiche ; le tawšīḥ, lui, doit poser trois fois la question avant d’obtenir une réponse ; puis – dans le cas du troisième poème mais non du deuxième – suit une nouvelle question-réponse. Cette structure rappelle étonnamment celle du rondeau français, à tel point qu’on aimerait bien savoir quelle forme musicale se cache derrière le texte de Šabazī. Je n’ai rien rencontré de comparable dans le corpus que j’ai étudié. En revanche, chez Šabazī, ce type de taqfīl abonde. Le manuscrit de Seri & Tobi 1976 comporte 49 muwaššaḥ 1 Seuls un poème de Šaraf al-Dīn (MM 108), deux de ˁAlī al-ˁAnsī (WD 38 et 49) et un de ˁAbd al-Raḥmān al-ˀĀnisī (TAMA 367) reprennent le même schéma métrique – mais dans une structure cette fois tout autre : ab ab ab AB. Les mètres de cette famille (rajaz/sarīˁ) sont cependant les plus couramment employés en ḥumaynī. 2 Ce sont les poèmes ˀAqsamt° law qassam jamālvk et Mā li-damˁ al-ˁayn° fawq al-ḫadd° sāl d’al-Mazzāḥ, auxquels il faut ajouter trois poèmes de Šaraf al-Dīn (MM 56, 136 et 147), et deux de ˁAlī al-ˁAnsī (WD 32 et 50). 3 Il apparaît dans quinze poèmes (Seri & Tobi 1976 : 231). Cf. Semach, 1989 : 257. 4 Au premier bayt, le manuscrit ne donne que trois vers, contre quatre dans les strophes suivantes. Les bayt de trois vers abondent chez Šabazī (alors qu’il n’y en a pas d’exemple dans mon corpus), mais normalement le nombre de vers ne change pas d’une strophe à l’autre. Un autre poème, cependant, semble présenter une asymétrie comparable : ab ab AB ccc AB AB / de de de AB fff AB AB (f° 114a). Deux exemples ne suffisent pas à déterminer si l’on est face à une forme particulière de muwaššaḥ ou à une lacune dans la transmission du texte. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 173 de type yéménite (bayt-tawšīḥ-taqfīl)1, que l’on peut répartir en deux groupes. Dans le premier groupe, qui compte 34 pièces, le bayt se termine par une ou des rimes fixes ; 31 de ces poèmes ont un taqfīl à structure paire. Dans le deuxième groupe, qui comprend 15 pièces, le bayt n’a pas de rime fixe ; 14 de ces poèmes ont un taqfīl à structure impaire. Mis à part quatre exceptions, on peut donc dire que les poèmes à taqfīl impair sont ceux qui n’ont pas de rime fixe dans le bayt, et inversement. Il semble donc y avoir un lien entre ces deux phénomènes, dont l’un est rarissime dans le ḥumaynī non juif et l’autre à ma connaissance totalement absent. La métrique des parties en arabe Remarque 1 Un mot finissant par une consonne géminée peut être traité métriquement comme finissant par une consonne simple et ne pas développer de voyelle de disjonction devant une initiale consonantique. C’est même le traitement le plus fréquent : wɐ-ḥeb min yɐḥeb rabbak « aime qui aime ton Seigneur » (I-59) ; yuˁṭā / lɐhū kul mā ṭuleb « il reçoit tout ce qu’il a demandé » (III-36)2. Mais il peut être aussi traité comme finissant par deux consonnes : ˀilâ tāb kull° min ˀaḫṭā « quiconque a péché, s’il se repent » (III-35) 3. Cet effacement de la géminée est presque totalement absent des textes de mon corpus, où elle n’apparaît qu’une demi-douzaine de fois, presque toujours dans des poèmes anonymes qui sont des qaṣīdah à deux rimes de type rural4, auxquels il faut ajouter quelques exemples isolés et guère probants chez ˁAbd al-Raḥmān et ˀAḥmad al-Ānisī. En revanche, elle est bien attestée ailleurs, dans la poésie dite tribale, et par Serjeant dans le Ḥaḍramawt5. Il s’agit d’un discriminant important, qui distingue un certain type de ḥumaynī du reste de la poésie en langue vulgaire. Le ḥumaynī šabazien est donc clairement à part de ce point de vue. En fin de segment, une consonne géminée rime comme une simple : burayq al- yɐman yašˁal / … / wɐ- ṯawwar ġuyūm al- ṭal « l’éclair du Midi illumine / … / et il fit lever les nuages de rosée » (I-1, 2). Mais c’est là le traitement normal dans le reste du ḥumaynī aussi. Les exemples abondent presque à chaque page. 1 Seri & Tobi 1976 : 231. Et I-14, 53, 64, 65, II-12, 36, III-20, 40. 3 Et I-64, II-13, III-14. 4 ShGhS 254, 332, 337, 342, 343. 5 SERJEANT 1951 : 77. 2 174 Julien Dufour Remarque 2 En quatre endroits1, une difficulté métrique insurmontable a été résolue en scandant l’article défini comme commençant par une hamzat qaṭˁ. Je n’ai pas rencontré cette scansion ailleurs en ḥumaynī2. Il faudrait plus d’exemples pour trancher avec certitude, mais il semble bien que ce soit là la bonne solution. En effet, dans le poème « yɐqūl al-šāˁir al-wāfid »3, on trouve les scansions ˀilâ kam ˀal-zɐmān ˁiddah (f° 48b, l. 1), muẓallil fawqɐhā ˀal-nūr (f° 52b, l. 1) et wɐ-jallī ˀal-humūm ˁannī (f° 52a, l. 7-8). Ce serait une différence majeure avec le ḥumaynī non juif. Remarque 3 Les trois textes de Šabazī attestent le double traitement décrit plus haut des finales en -ī devant l’article défini. Ce -ī peut provenir du pronom suffixe de première personne du singulier : šɐrad ˁaqliy al-hāyem « mon esprit égaré est parti à l’aventure » (I-28) ; ˀilāhī al-wāḥed « mon dieu unique » (III-44). Mais aussi de la dernière syllabe d’une forme verbale ou nominale à troisième consonne radicale faible : mɐˁā dājiy al-ẓɐlām « avec l’obscurité de la nuit » (I-1) ; wɐ-sulṭān muˁtɐlī al-kursī « et un roi monté sur le trône » (III-22). On a même un exemple de terminaison de nisbah fonctionnant comme une finale en -ī : lɐqayt al-ˁawhɐjī al-ˀaḫḍar « j’ai rencontré le brun au long cou » (III-9). Les deux traitements peuvent fort bien apparaître côte à côte : wa-ˀšrab li-kāsī al-ṣāfiy al-zumānī « et je boirai ma coupe pure et [?] » (II-60). Tout cela est extrêmement courant ailleurs en ḥumaynī, et sans doute dans l’ensemble des traditions poétique du Yémen4, devant une initiale vocalique quelle qu’elle soit. Les finales en -ū sont plus rares. Elles ont normalement ailleurs un traitement parallèle à celui des finales en -ī : waˀant° qālū l-yawm (MM 53) ; qāluw al-nās° bukrvh fī saḥar (MM 53), qāluw iḥnā (TAMA 285). Remarque 4 Comme dans le reste du ḥumaynī, la hamzah peut toujours ici tomber métriquement. Les exemples sont très nombreux et ont été signalés en note. Remarquons au passage la forme rayt « j’ai vu » (I-43). En outre, ce phénomène peut donner lieu à la contraction de deux voyelles brèves en une 1 I-52, 62, II-11, 33. Les seules occurrences que j’aie relevées d’un tel phénomène pour l’article défini concernent quelques rarissimes exemples d’interjection avec passage au discours direct (jawwabt° lak ˀal-ḫayr° fī mā tvrā, SHKF 43) ; ce n’est pas le cas ici. Il faut mettre à part le cas du mot allāh, qui est assez fréquemment scandé avec hamzat qaṭˁ : ˀaḥbāb° qalbī ˀallah al-mustaˁān / ruḥtum wa-mā qultum raˁā llāh fulān, MM 180 ; on trouve dans le manuscrit de Seri & Tobi 1976 bi-mā ˀallāh° naṭṭaqnī (f° 52a l. 9) traité de manière comparable. 3 Folios 47b à 52b ; quelques strophes sont traduites dans Wagner 2009 : 187. 4 Serjeant 1951 : 77 ; Socin 1900-1 : III-210 & 213. 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 175 longue : wɐ + ˀɐˁīdɐnā « et fais-nous revenir » donne wāˁīdɐnā (II-32). Ce traitement est bien attesté ailleurs aussi : fa-ṣiḥt° wānā fawq° qalbiy ulzam « et je criai, étant fait prisonnier en même temps que mon cœur » (MM 144), avec wānā pour wa-ˀanā. Remarque 5 Le mot ism « nom », est traité ici métriquement de deux manières. Soit avec une hamzat waṣl : wu-ˀuwaḥḥed ˀismuh sājidā « je proclame l’unicité de son nom à genoux » (II-59) ; soit avec une hamzat qaṭˁ : tusabbeḥ li-ˀismɐhū « elle [?] dit les louanges de son nom » (I-20), wu- fī ˀismuh ˀatwakkal « et je me repose sur son nom » (I-71). Un traitement comparable est attesté de façon exceptionnelle chez Muḥammad b. Šaraf al-Dīn : wāqūl° baˁḍ al-nās° w-aḫfiy ismvh « et je dis ‘quelqu’un’ en cachant son nom » (MM 79), où le mot ism fonctionne comme s’il avait une initiale vocalique, amenant la réinterprétation métrique de la finale -ī en -iy. Ailleurs, en revanche, on trouve wa-lī ḫill° ˀaḫfī smvh « j’ai un ami dont je tais le nom » (MM 87). De manière semblable, on trouve ici deux traitements des noms d’actions de forme iC1tiC2āC3 : tanjū min al-ˀāṯām wa-l-ˀimtiḥānī « elle se sauve des péchés et des épreuves » (II-18 ; cf. I-62) ; mais plus fréquemment : biˀiqtisām « en partageant » (I-58), tarjaˁ li-dār al-ˀibtidā « elle revient à la demeure du commencement » (II-19 ; cf. I-72), le poème Yɐqūl al-šāˁir alwāfid fournissant à lui seul cinq autres exemples. Ce dernier traitement est attesté ailleurs, mais rarement : fī ˀizdiyād chez ˁAbd al-Raḥmān al-Ānisī (TAMA 336), wa-lā ˀistaqām chez al-Muftī (SHKF 65)1. Remarque 6 Le pronom suffixe de troisième personne masculin singulier apparaît sous deux formes : -uh et -ɐhū : zɐkī al-nafs° min ˁāzam / li-ḍayfuh wɐˀakrɐmuh « pure est l’âme de qui invite son hôte et lui fait honneur » (I-46), bi-faḍluh « par sa grâce » (I-58), al-mulk° luh mutsarmidā « c’est à lui qu’appartient le règne pour un temps sans fin » (II-54) ; bɐsaṭ fayḍɐhū mudām « il a répandu ses largesses pour l’éternité » (I-13), wu-fī ˁaqlɐhū ˀakmal « son esprit est le plus parfait » (I-17), lɐhū ġufrān yɐjeb « le pardon lui est dû » (III-35). Cette cheville métrique est banale dans tout le reste du ḥumaynī, aussi bien qu’en poésie classique. Mais l’écriture hébraïque révèle un fait sur lequel les manuscrits en alphabet arabe, généralement non vocalisés, restent muets : chacune des deux formes est invariable, même là où la grammaire de l’arabe classique prescrit une voyelle de flexion. En particulier, on ne rencontre pas -ihī. La voyelle précédant le -hū est invariablement notée ɐ : 1 On trouve bien mā ˀinṯanā dans le poème d’Ibn Fulaytah Lī fī rubā ḥājir tel que le donne Ġānim (ShGhS 218), mais il convient d’être prudent car l’établissement du texte est très peu assuré. 176 Julien Dufour muṭīˁah li-ˀamrɐhū « obéissant à son ordre » (I-21). Une forme grammaticale distincte de la langue parlée et coïncidant avec la forme classique est ainsi employée de façon non classique. Sur ce point donc, la flexion casuelle ne joue aucun rôle et semble inconnue, ce qui concorde avec le caractère malḥūn de la métrique du ḥumaynī. Mais on va voir que l’iˁrāb n’est pas totalement absent de cette poésie. Remarque 7 Ici comme dans le reste du ḥumaynī, les rimes sont très majoritairement muqayyadah, c’est-à-dire que les mots ont à la rime comme ailleurs une forme de type malḥūn, donnant lieu à des finales généralement consonantiques. Mais il arrive parfois que, comme en poésie classique, une voyelle de flexion compte pour longue, donnant lieu à une rime muṭlaqah. On retrouve ainsi, sous la forme d’un -ā, la voyelle casuelle du cas direct dans : wa-ˀkfī al-šɐmāl al-ḥāsidā « put an end to the envious left (Wagner) » (II-39), faḍluh ˁɐlaynā dāyimā / li-l-kul bi-mulkuh ḥākimā « sa grâce est éternellement sur nous / régissant tout en sa possession » (II-55, 56 ; cf. passim dans le poème II) ; et un -ī issu de la désinence du cas indirect dans : wɐ-nanẓur jannat al-ḫuldī « nous verrons le Jardin d’éternité » (III-20 ; cf. I-14, 65, 66, II-14, 20, 18, 34, 40). Des exemples ci-dessus on pourrait tirer la conclusion, sans doute juste, et qui vaut aussi pour les textes de mon corpus, que la flexion casuelle, normalement absente en ḥumaynī, peut néanmoins apparaître parfois, uniquement à la rime. Considérons cependant les exemples suivants : wɐ-lī qalb° mutrāwed / li-l-ˀafnān° ḥāyirī « j’ai un cœur plein de désir / fasciné par la beauté » (I-38), wɐ-ˀnjī al-ˀɐsīr al-ġāriqī « sauve le captif en perdition » (II-32), wɐ-nūruh yaqhar al-šamsī « et sa lumière surpasse le soleil » (III-23). On a là une voyelle finale -ī qui ne correspond pas à ce que demanderait la grammaire classique. Dans le premier cas, on pourrait à l’extrême rigueur – et contre la leçon du manuscrit – restituer un -ū et considérer que ī rime avec ū. Mais dans les deux autres cas, c’est un -ā qu’il faudrait, dont on ne saurait que faire. Force est de constater qu’il est loisible de former une rime muṭlaqah par l’adjonction d’un -ī final indépendamment de l’iˁrāb1. Ce phénomène, rare, est néanmoins présent dans mon corpus, mais dans des poèmes de facture particulière, adoptant la forme de la qaṣīdah à deux rimes dite « rurale », comme MM 211, visiblement ajouté fautivement à l’extrême fin du dīwān de Šaraf al-Dīn et dont le style et la langue sont sans rapport avec les autres productions de cet auteur. 1 Le fait est relevé par Bacher 1910 : 68. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 177 La métrique des parties en hébreu Comme le relève Wagner, la scansion des strophes en hébreu est plus univoque. Suivant la pratique initiée par les Andalous, le schwa mobile compte pour une voyelle brève, le schwa quiescent (non noté dans le manuscrit) est une absence de voyelle, toutes les autres voyelles comptent comme longues1. Pas de voyelle de disjonction à la jointure des mots. Dans un poème donné, le mètre est le même que pour les strophes en arabe. Le schwa des consonnes gutturales (hateph, que l’écriture ne distingue pas des autres schwa) semble toutefois pouvoir subir un double traitement, du moins dans les schèmes où une consonne non gutturale aurait un schwa muet. Ainsi, à côté de ˀahəḇɒh (II-6) on trouve bə-ˀahḇɒh (II-49)2. Cet amuïssement est métrique, c’est-à-dire que le schwa ne compte pas dans le mètre, mais rien ne prouve qu’il cessait d’être prononcé3. Particularités linguistiques de l’arabe Remarque 8 On trouve un exemple de futur formé de šā suivi de l’inaccompli : šā naˁqed al-rāḥah tɐṭīb al-ˀarwāḥ « nous prendrons du délassement afin que les âmes soient à l’aise » (II-51). C’est à ma connaissance l’unique et universelle manière de former le futur dans la poésie ḥumaynī. Les exemples abondent d’al-Mazzāḥ à l’époque contemporaine. Remarque 9 Le mot maˁā « avec » apparaît ici quatre fois (I-1, 8, 12, 55), orthographié et scandé avec une voyelle longue finale. Cette forme, différente du classique maˁa, est en revanche standard en arabe parlé yéménite. Elle est extrêmement commune en ḥumaynī depuis les plus anciens textes, à commencer par le poème Qifū bī janb° ḏā l-dār / ˀanā rūḥī maˁā sākinvh d’al-Mazzāḥ. Souvent, la longue n’est pas notée par l’alif et seule la scansion permet de la déceler : wa-sawsan maˁ[ā] kāḏī « et l’iris avec le kadhi » (MM 103) ; parfois, l’orthographe note un alif : ˀallāh maˁā man rāḥ wa-qalbī maˁvh « Dieu garde celui qui est parti en emportant mon cœur » (MM 180, rime en -ˁvh)4. 1 Morag 2001 : 270 sq. Ainsi ˀahḇaṯ gəḇaraṯ (I-1), wa-ˀnî (II-2), la-ˁlôṯ (II-6), šaˀəlî (II-21), wa-ˀyaḥəḏô (II-29), šaḥrî (III-2), bə-ˀahḇɒṯeḵ (III-27), maˀmîn (III-31) ; mais wə-raˁəyônî (II-1), yaˁəmôḏ (II-22), han-naˁəlɒḇ (II-41), han-naˁəṣɒḇ (II-43), wŭ-meḥərônô (II-43), mib-baˁəlê ˁawlɒh (II-44). 3 Cf. Morag 1963 : 183. 4 Cf. Leslau 1946 : 264, qui note que Ḥayyīm Ḥabšūš orthographie ce mot tantôt avec, tantôt sans aleph. 2 178 Julien Dufour Remarque 10 En quatre endroits, on voit apparaître un tanwīn en -un, visiblement sans égard à la déclinaison classique : wu-fī dawrɐtun sullāk / muṭīˁah li-ˀamrɐhū « et ils vont en cercle / obéissant à ses ordres » (I-21), fɐ-subḥān° min yuzkī / li-ˁabdun mušarrɐdī « gloire à celui qui est généreux envers un esclave fugitif » (I-66), al-mulk° luh mutsarmidā / rabbun muhaymel lā siwāh° ṯānī « c’est à lui qu’appartient le règne pour un temps sans fin / seigneur généreux et unique » (II-54), ˀilāhī al-wāḥed al-subḥān / yujib fatḥun qɐrīb « que mon dieu unique, loué soit-il, accorde [?] une prompte délivrance » (III-44). On aimerait mieux comprendre le premier exemple avant de l’interpréter. Mais les trois qui restent présentent le même cas de figure : un nom indéterminé suivi d’un adjectif épithète dépourvu de tanwīn1. Or la chose se retrouve ailleurs : yabtasim ˁan ka-l-niẓām / lāḥ° fī fayrūzajin ˀazraqī « il sourit, laissant apparaître comme un collier [de perles] qui brille parmi la turquoise bleue » (MM 179). Ces tanwīn du ḥumaynī, rares mais bien attestés chez tous les auteurs, mériteraient une étude particulière. Souvent, dans les textes en écriture arabe, seule la scansion permet de les repérer. Ils ont des parallèles dans d’autres formes d’arabe moyen2. En tout cas, quel que soit leur rôle éventuel de cheville métrique, ils relèvent sans doute d’une régularité grammaticale et non de la pure fantaisie du poète ; il faut les distinguer de simples classicismes occasionnels, qui peuvent exister eux aussi. Il est remarquable d’en trouver ici quatre en si peu de pages. On relève aussi un autre tanwīn, en -an celui-là, dans yɐhab kullan ˁɐlâ qaṣduh « il donne à tous selon son dessein » (III-3 ; cf. aussi I-58 et la note). C’est un emploi visiblement différent, que l’on retrouve ailleurs dans le manuscrit : li-kullan qadr° maqṣūduh « à chacun en fonction de son dessein » (f° 52a, l. 2)3. Il faut ajouter aussi ce qui semble être des réalisations à la rime d’un tanwīn en -an : wu-ˀuwaḥḥed ˀismuh sājidā « je proclame à genoux l’unicité de son nom » (II-59). Dans cet exemple (ainsi qu’en II-14, 54, 55), on a ce que la grammaire classique appellerait un ḥāl. Mais le même morphème sert à des prédicats d’existence là où l’arabe classique ne l’emploierait pas : wɐ-qad mā baynɐnā šarṭā / bi-yad mūsâ kuteb « il y avait entre nous un accord / écrit de la main de Moïse » (III-34). Des emplois comparables sont bien documentés ailleurs en arabe moyen 4. 1 Bacher, 1910 relève cet emploi. Lentin, 1997 : 715 sq. 3 Cf. Bacher, 1910 : 69. Cf. aussi le poème publié par Tobi 2008, où l’on trouve aux vers 4 et 37 kullēn dans le sens de « tout le monde ». Les vers métriquement faux sont cependant si abondants que les leçons de ce texte doivent être prises avec la plus grande prudence. 4 Lentin, 1997 : 706 sq. 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 179 Remarque 11 On a un exemple d’inaccompli pluriel en -ū : li-ˀan ˁaqlɐhum maḥrūs / yuˁizzū li-ḍayfɐhum « leur intellect étant protégé / ils honorent leurs hôtes » (I-56). On trouve dans le reste du ḥumaynī aussi bien des formes en -ū qu’en -ūn : taṣaddā li-qatlī tvqūlū ˁalayš « pourquoi, à votre avis, a-t-il entrepris de me tuer ? » (MM 56) ; ˀalā wā rifāqī tvqūlūn° mā-sqīh « ô compagnons, à votre avis que dois-je lui verser à boire ? » (MM 162). Remarque 12 On trouve ici, pour les inaccomplis des cinquième et sixième formes dérivées des racines trilitères et pour les deuxièmes formes des quadrilitères, des schèmes de type yatC1aC2C2aC3, yatC1āC2aC3, yatC1aC2C3aC4 : wu-min rād° yatjammal / fɐ-lā yastɐmeˁ kɐlām « qui veut agir bellement / ne prête pas l’oreille à ce que l’on peut bien dire » (I-44), wu-fī ˀismuh ˀatwakkal « je me repose sur son nom » (I-71), našrab wɐ-nathayyā bi-šurb al-ˀaqdāḥ « nous allons boire et nous apprêter à boire aux coupes » (II-52), wɐ-mūsâ kān° yatnaẓẓar « Moïse regardait » (III-12), wɐ-yatnaẓẓar ˁɐlâ ˁabduh « il prend soin de son serviteur » (III-47) ; wa-l-ˀabyāt° tatlāzam / mɐˁānī tulāyimuh « les vers exigent des figures qui lui conviennent » (I-48), wɐ-lī qalb° mutrāwed « j’ai un cœur plein de désir » (I-38), tunīr mutrādifīn « elles brillent les unes à la suite des autres » (III-11) ; wa-l-ˀamwāj° tɐtjaljal « les vagues grondent » (I-8), wɐ-rūḥuh fɐ-tatzalzal « son âme tremble » (I-63), al-mulk° luh mutsarmidā « c’est à lui qu’appartient le règne pour un temps sans fin » (II-54). Ces formes, très fréquentes dans mon corpus après Muḥammad b. Šaraf al-Dīn, sont totalement absentes jusqu’à cet auteur compris, qui n’offre que des scansions du type lā-talahhaf « je ne regrette pas » (MM 68), nvtašākā « nous nous plaignons » (MM 154). C’est un des rares changements clairement repérables qu’ait connus la langue du ḥumaynī au cours du temps. Ces formes, coïncidant avec la langue dialectale, ont fini par être admises dans cette norme littéraire. La grande rareté des suites de deux syllabes brèves dans les mètres ḥumaynī n’y est sans doute pas pour rien, et ce changement de règle du jeu permet d’intégrer beaucoup plus facilement dans les vers une partie importante du lexique. Un seul exemple ici d’un tel verbe à l’accompli : tifāwwaḍ bi-nūr ˀawwal « il répand une lumière première » (I-4). Mais on trouve au f° 52, l. 13 tibārak mālik al-mulkī « béni soit le détenteur du règne », qui confirme la vocalisation de la première syllabe. Remarquons que l’on n’a pas la forme itC1āC2aC3 (ou itC1aC2C2aC3) qu’on aurait pu attendre au vu des inaccomplis et participes. Dans le cas de tibārak, cependant, le poids de la prononciation classique est tel qu’une forme comme *itbārak a de toute façon peu de chances de survenir. 180 Julien Dufour Encore une fois, l’orthographe hébraïque est précieuse, car elle nous donne une occasion unique d’observer la vocalisation des préformantes d’inaccompli, qui semblent ici, d’une manière générale, présenter selon les formes dérivées une alternance -a-/-u- comparable à celle de l’arabe classique : yɐṭīb « il se rabonnit » (I-10) contre yuballiġnā « il nous accorde » (III-11). C’est d’autant plus remarquable que cela ne correspond pas à la façon dont est chanté aujourd’hui le ḥumaynī à Sanaa, où l’on prononce ces formes comme en arabe dialectal, avec yi- dans tous les cas1. Remarque 13 Ces trois poèmes présentent en abondance une construction où ce qui serait en arabe classique un objet direct est introduit par la préposition li- : lil-ˀamlāk° wa-l-ˀaflāk / ḫɐlaq yawm° ṣunˁɐhū « il fit les anges et les astres le jour où il créa » (I-19), tusabbeḥ li-ˀismɐhū « pour qu’ils chantent les louanges de son nom » (I-20), nusabbeḥ li-rabbɐnā « nous chantons les louanges de notre seigneur » (I-69), li-kull al-ṣuwar jɐmmal « il parfit toutes les formes » (I-26), bi-kās ɐl-šɐrāb yā wed / tusallī li-ḫāṭirī « par la coupe de vin, amour, tu consoles mon esprit » (I-37), zɐkī al-nafs° min ˁāzam / liḍayfuh wɐ-ˀakrɐmuh « pure est l’âme de qui invite / son hôte et lui fait honneur » (I-46), wɐ-yaḥmud li-ḫallāquh « il loue son créateur » (I-50), yuˁizzū li-ḍayfɐhum « ils chérissent leur hôte » (I-56), talbas li-nūr al-ˁaql° bi-l-jìnānī « elle se vêt de la lumière de l’intellect au paradis » (II-20), waɐ ˀḏkur li-ˁahd ˀābāyɐnā / wa-ˀ tem li-mā ˀawˁadtɐnā « souviens-toi de l’alliance de nos pères et accomplis ce que tu as promis » (II-35), nasmaˁ li-naġm alšīr° wa-l-mɐˁānī « nous écouterons le son des hymnes et des tropes » (II-38), wa-ˀšrab li-kāsī al-ṣāfiy al-zumānī « je bois à ma coupe pure et [?] » (II-60). On pourrait y ajouter quelques constructions avec un participe, comme bāseṭ li-ˀarḍuh wa-l-sɐmā « donnant généreusement sa terre et le ciel » (II-57), qui s’éloignent moins visiblement de l’usage classique mais relèvent sans doute du même phénomène ; ainsi que fɐ-lā ˀɐẓunn° bak tabḫal « je ne crois pas que tu seras avare… » (I-40), où c’est bi- qui est utilisé. Je n’ai pas relevé de telles constructions dans mon corpus. Bien sûr, des exemples ont pu et dû m’échapper ; mais si c’est le cas, ils sont isolés ; rien de comparable avec la remarquable fréquence ici de cette particule d’accusatif, dont l’emploi a été signalé dans d’autres types de textes2. Remarque 14 À la conjonction ˀiḏā de l’arabe classique correspond ici systématiquement ˀilā : wɐ-ġāfer ḫɐṭā min ḍal / ˀilâ tāb wɐ-ˀistɐhām « il pardonne le péché de qui s’est égaré / si celui-ci se repent et se laisse guider par 1 Ou parfois yu- selon des conditionnements purement phonétiques (contexte emphatique en particulier). 2 Lentin 1997 : 289 sq. À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 181 l’amour » (I-67), ˀilâ tāb kull° min ˀaḫṭā / lɐhū ġufrān yɐjeb « quiconque a péché, s’il se repent / doit être pardonné », wɐ-ˀafkārɐhū taḫjal / ˀilâ lam siker wɐ-nām « et son esprit reste paralysé à moins qu’il ne s’enivre et dorme » (I-36), ˀilâ ṭāb° ḍarb al-rīḥ / yɐṭīb mandab al-buḏūr « lorsque se calment les assauts du vent / le sillon des récoltes prospère » (I-10 ; cf. aussi I-43 et peut-être I-49). Cette conjonction est abondamment attestée dans les parlers des régions de Sanaa et ˁAmrān par Goitein 1970 (voir, par exemple, tous les proverbes commençant par « si/quand… » p. 9-22) ; elle semble très répandue dans de nombreuses régions du Yémen. Rien de tel à ma connaissance dans le reste du ḥumaynī, qui emploie couramment ˀiḏā. Remarque 15 Au pronom interrogatif et relatif man « qui » de l’arabe classique correspond ici toujours min, comme le remarque Wagner. Les textes en écriture arabe n’offrent pour ainsi dire aucune possibilité de repérer une telle forme, qui n’est cependant pas usitée dans le chant sanaani d’aujourd’hui. Elle ne semble pas attestée dans l’ex-Yémen du Nord, mais est employée aujourd’hui plus au sud1. Remarque 16 On relève quelques formes de pseudo-participes, substituts au schème C1āC2iC3 de participe actif. Trois exemples sont sur le schème C1aC2C2āC3 : wɐ-yaḥmud li-ḫallāquh « il loue son créateur » (I-50), ġāfer ḫɐṭā min tāb ˀilayh wu-sammāḥ « il remet son péché et pardonne à qui se repent envers lui2 » (II-53), ˀɐˁūd ḫaddām li-maḥbūbī « je deviens serviteur de mon bienaimé3 » (III-38) ; un autre est sur le schème C1aC2C3ān : yɐqūl al-maštuˀī alfaṣḥān « Al-Maštuˀī au verbe clair dit…4 » (III-41). Remarque 17 D’autres points méritent d’être relevés. La forme ṣirtū « je suis devenu » : ˀɐnā ṣirtū ġɐrīb « je me retrouve esseulé » (III-41). Je n’ai jamais rencontré une telle forme à voyelle longue finale ailleurs en ḥumaynī. Si cette attestation est confirmée, alors il faudrait y voir une conjugaison qultu/qulku attestée dans plusieurs régions du Yémen montagnard, mais en particulier aux alentours d’Ibb et Taez5 ; le -u final fonctionne – au moins dans certains de ces parlers – comme une voyelle longue phonologique, et l’on a par exemple qultūlak / qulkūlak « je t’ai dit »6. 1 Pour Aden, cf. Ġānim 1958 : 16 & passim. Behnstedt, 1985 : 117. 3 Behnstedt, 1985 : 117. 4 Behnstedt, 1985 : 117. 5 Behnstedt, 1985 : 117. 6 Par exemple Diem, 1973 : 138 n° 11. 2 182 Julien Dufour Un exemple de dī (et non pas ḏī) comme pronom relatif : taštāq ˀilâ dār al-hudā / dī qad ḫuleq fī ˀawwal al-zɐmānī « elles sont désireuses de la Demeure du Chemin / qui a été créée au début des temps » (I-34). Le manuscrit atteste par ailleurs surtout ḏī : nɐḏūq al-ḫamr° ḏī qad ṭāb « nous goûtons le vin qui est à point » (f° 52b, l. 10)1. Le relatif ḏī est tout à fait courant dans le Moyen-Yémen2 mais n’est pas non plus sans attestation au sud de Taez3. La forme dī est attestée sporadiquement dans les alentours d’Ibb4. Je n’ai pas relevé dī dans mon corpus, et ḏī seulement deux fois : chez al-Muftī (SHKF 66) et dans un poème anonyme (ShGhS 339). Ailleurs, on trouve normalement allaḏī, peu fréquent à dire vrai ; le manuscrit Seri & Tobi connaît aussi cette forme : bi-l-ˀajsām allɐḏī tahwī « aux corps qui chutent » (f° 49a, l. 5). Dans wa-l-ˀaḥruf kān hunāk tunẓar « on y voyait les lettres » (III-11), le kān exposant temporel reste invariable. En I-36 : ˀilâ lam siker wɐ-nām « à moins qu’il ne s’enivre et dorme », la négation lam suivie d’un accompli est d’un type que je n’ai relevé nulle part ailleurs en ḥumaynī. En revanche, cette tournure est fréquente dans d’autres types d’arabe moyen5. Conclusion Au terme de l’examen d’un si bref échantillon, toute conclusion ne peut être que provisoire. Certaines caractéristiques, cependant, se dégagent assez clairement. Sur un certain nombre de points essentiels, la coïncidence avec le ḥumaynī non juif6 est totale : à l’échelle d’un vers, les schémas métriques ici employés se retrouvent ailleurs à l’identique ; la structure du premier poème est typique du ḥumaynī yéménite dans son ensemble ; les principes de la métrique sont grosso modo les mêmes, jusque dans le traitement de la hamzah et du pronom suffixe de troisième personne masculin singulier ; la réapparition des voyelles d’iˁrāb à la rime, bien qu’irrégulière, est aussi une isoglosse importante, distinguant le ḥumaynī des poésies de tradition purement orale ; le šā- du futur, enfin, est un standard pan-yéménite de ce genre de poésie. Ces textes, cependant, font un usage abondant de ce qui semble n’être ailleurs qu’une tolérance : hamzat qaṭˁ au début des formes verbales ou 1 Cf. Bacher, 1910 : 69. Behnstedt, 1985 : 65. 3 Diem, 1973 : 119, note 3. 4 Behnstedt, 1985 : 65 ; Diem, 1973 : 89. 5 Lentin, 1997 : 764 sq. 6 Ou non spécifiquement juif, car rien ne dit qu’il ait été pratiqué uniquement par des musulmans, même si ses références religieuses explicites, quand il y en a, sont musulmanes. 2 À propos de Marc Wagner, Like Joseph in beauty 183 verbo-nominales censées commencer par une hamzat waṣl, ainsi que dans le mot ism ; adjonction d’un -ī à la rime sans rapport avec la déclinaison. Surtout, trois traits récurrents ici et totalement absents dans le ḥumaynī non juif frappent immédiatement à la lecture : le traitement métrique des mots de type kull comme kul devant initiale consonantique ; la préposition licomme particule accusative ; ˀilā pour ˀiḏā. Et il ne s’agit pas d’un accident : les exemples sont nombreux. Ils suffisent à donner à la langue de ces textes une physionomie tout à fait particulière. On pourrait ajouter la possibilité de scander l’article défini avec hamzat qaṭˁ. Certains traits sont peut-être des dialectalismes : ˀilā, le relatif ḏī/dī, l’accompli ṣirtū. D’autres se retrouvent ailleurs dans des textes en arabe moyen : l’emploi du tanwīn, de li-, des schèmes C1aC2C2āC3 et C1aC2C3ān. Enfin, pour ce qui est des structures de strophe, intimement liées à des formes musicales qui nous échappent, celles des deuxième et troisième poèmes sont originales et surprenantes. Il serait absurde de ne pas inclure une telle poésie dans le champ du ḥumaynī. Mais alors il faut accepter qu’il y a deux sortes de ḥumaynī : celui dont les šabaziyyāt sont le type, et celui représenté par le corpus que j’ai étudié. Entre les deux, les différences métriques, formelles et linguistiques sont évidentes, quelle que soit la parenté fondamentale que, je crois, Wagner a démontrée de façon convaincante. Or, au moment où Šabazī compose, la langue du ḥumaynī non juif est déjà fixée depuis plusieurs siècles, et ne connaîtra pas de bouleversements majeurs jusqu’au XXe s. Pourquoi donc écrit-il différemment ? Quels modèles suit-il ? Invente-t-il une langue nouvelle, ou écrit-il dans une langue déjà existante ? Il faudrait, pour commencer à y voir plus clair, analyser sous cet angle l’ensemble de son œuvre, ainsi, sans doute, que celle de Yosef b. Yisrael, qui l’a précédé, avec moins d’éclat, dans la composition du muwaššaḥ de forme yéménite1. En tout cas, cette langue a perduré après Šabazī. Yosef Tobi édite et traduit un poème écrit vers 1836 en hébreu et arabe, sans doute dans le Moyen-Yémen2. La forme, de type muwaššaḥ, en est tout à fait particulière3. Tobi n’analyse pas le détail des faits de langue, mais on peut remarquer le 1 Je n’ai pas eu accès à la thèse de ˁAmir, 2000, ni aux travaux de Rosen-Moked, 1985 et Fleischer, 1991. 2 Tobi 1999 : 255 sq. 3 ab ab ab ccc AB, c’est-à-dire que c’est un exemple du muwaššaḥ à bayt sans rime fixe, rarissime dans mon corpus, et qui plus est avec des bayt de trois vers, ce que je n’ai jamais rencontré dans le ḥumaynī en alphabet arabe. Je ne connais aucun autre poème de ce type, bien que la poésie de Šabazī comporte nombre de muwaššāḥ à bayt de trois vers de structure comparable (Seri & Tobi, 1976 : 231). Peut-être faut-il donc nuancer l’affirmation de Tobi quand il affirme que « the design of the poem is a typical Yemeni muwashshaḥ » (Tobi, 1999 : 257). 184 Julien Dufour mot ismak scandé ˀismak à deux reprises, la scansion kull pour kul, une demi-douzaine de relatifs ḏī, et quatre pseudo-tanwīn unissant un nom indéterminé à son épithète, dépourvue de tanwīn. Notons qu’on ne peut s’en tirer en mettant ces caractéristiques sur le compte d’un hypothétique judéoarabe yéménite. En effet, l’arabe dans lequel Ḥayyīm Ḥabšūš rédige son récit dans les années 1890 est tout à fait différent de celui étudié ici1. Le ḥumaynī juif semble donc bien posséder une langue littéraire autonome, dont l’histoire et la grammaire restent à écrire. Si le lecteur parvient jusqu’à ces quelques lignes, c’est qu’il est bien courageux, et qu’il a tenu bon, la loupe à la main, dans cette analyse des détails. Mais j’espère lui avoir montré quel dieu – ou quel diable – y réside. Car au terme de ce travail fastidieux, ce qu’on voit apparaître n’a rien de désordonné. C’est au contraire la régularité qui est frappante, aussi bien dans l’orthographe que dans la grammaire ou la métrique. La grande majorité des apparentes bizarreries s’éclairent si on les rapproche les unes des autres ou si on les compare aux enseignements d’autres textes du même genre. Par contraste, les vrais points d’achoppement apparaissent ; ceux dont il faut absolument rendre compte, sans quoi la leçon même du manuscrit devient suspecte. Une telle analyse permet de repérer – au moins partiellement – les fautes de copie, les lacunes, les ajouts, et est donc nécessaire au travail d’établissement d’un texte. Il n’est certes pas vrai que toute irrégularité métrique doive être imputée à une corruption, ni que toutes les corruptions violent la métrique ou la grammaire, mais c’est tout de même souvent le cas. Et l’on n’a pas le droit de se priver de cet outil puisqu’il existe. Je n’ai pas la prétention d’avoir résolu les nombreuses difficultés que posent ces trois textes. Mais je crois que si l’on veut éditer un poème ḥumaynī, on doit obligatoirement le faire passer à un tel crible. Cette littérature, qui est peutêtre ce que le Yémen a écrit de plus original, est encore largement inédite. Nous devons fourbir les outils qui serviront à lui rendre justice. 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At the same time, he draws a picture of Yemeni literary life in modern times, focusing on vernacular poetry. This paper is first and foremost a review of Wagner’s book, emphasizing its importance for the study of Arabic literature during what is often termed a dark age. In a second time, benefiting from Wagner’s study of Shabazi’s poems, one will try to pursue the linguistic and metrical analysis of these pieces in the perspective of refining the techniques required for the edition of such texts. Pount, 5 (2011) : 139-187