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Mixité et vivre-ensemble: milieux populaires en centre ville

Comment se portent les milieux populaires en centre ville? Quel est l'impact d'une situation de mixité sociale imposée dans un contexte singulier, et comment celle-ci amène à l'insertion sociale?

UNIVERSITE LUMIERE LYON II Département de Sociologie Mixité et vivre ensemble : milieux populaires en centre-ville Une étude du cas des personnes habitant des logements en diffus isolés, logées par Habitat et Humanisme à Lyon. Par Guillaume Sergent Sous la direction de Loïc Bonneval Mai 2015 1 UNIVERSITE LUMIERE LYON II Département de Sociologie Mixité et vivre ensemble : milieux populaires en centre-ville Une étude du cas des personnes habitant des logements en diffus isolés, logées par Habitat et Humanisme à Lyon. Par Guillaume Sergent Sous la direction de Loïc Bonneval Mai 2015 Remerciements : Je tiens à remercier en particulier Loïc Bonneval pour son aide et sa disponibilité en tant que directeur de recherche. Je tiens aussi à remercier les autres enseignants du séminaire de recherche « Espaces, mobilités et socialisation », Jean-Yves Authier et Isabelle Mallon pour leurs précieux conseils et leur apport dans ce séminaire. Je voudrais aussi remercier mon père, Jean-Pierre Sergent, pour avoir partagé avec moi sa grande expérience en matière d’écriture en ayant relu et corrigé mon mémoire au fur et à mesure de sa construction. Je tiens aussi à le remercier pour ses conseils, son soutien, et pour m’avoir nourri durant la période de rédaction. Je tiens enfin à remercier les personnes autour de moi, qui m’ont soutenu tout au long de la construction de ce mémoire durant cette année, en particulier Marie, et de m’avoir supporté pendant ces périodes intenses de stress. Illustration de couverture : Le bal du moulin de la Galette, Auguste Renoir, 1876. 2 Table des matières Introduction .................................................................................................................. 4 1. Construction d’un objet de recherche ..................................................................... 6 1.1 Apports théoriques sur les cohabitations en milieu urbain ........................................................... 6 1.1.1 Des contextes urbains en changement ..................................................................................................6 1.1.2 Coexistence et compromis ..........................................................................................................................8 1.1.3 Sociabilités et proximité spatiale ......................................................................................................... 10 1.1.4 Mixité et sociabilités : quels facteurs déterminants ? Quels enjeux ?.................................... 13 1.2 De la théorie au cas pratique : Problématique et hypothèses..................................................... 18 1.3 Présentation du terrain ............................................................................................................................... 23 1.3.1 La double action d’Habitat et Humanisme ...................................................................................... 23 1.3.2 Le diffus, une action de mixité originale ........................................................................................... 26 1.4 Méthodologie et échantillon ...................................................................................................................... 27 1.4.1 Une enquête ethnographique avant tout .............................................................................................. 27 1.4.2 Un dispositif d’enquête en mouvement .................................................................................................. 30 2. Analyse de la situation des locataires HH habitant en logements isolés ................. 34 2.1 Echantillon et contextes................................................................................................................................... 35 2.1.1 Des caractéristiques sociodémographiques variées ......................................................................... 35 2.1.2 Typologies des quartiers étudiés .............................................................................................................. 36 2.2 Les dimensions intégratrices des sociabilités de proximité ............................................................ 39 2.2.1 Sociabilités dans le logement ..................................................................................................................... 39 2.2.2 Comment les locataires HH voisinent ? .................................................................................................. 41 2.2.3 Usages du quartier et sociabilités de proximité ................................................................................. 44 2.2.4 Réseaux de sociabilité, intégration et isolement................................................................................ 47 2.3 L’expérience de mixité en terme de vécu et de ressenti .................................................................... 50 2.3.1 Images du logement ....................................................................................................................................... 50 2.3.2 Images du voisinage et des voisins ........................................................................................................... 52 2.3.3 Représentations et valeur du quartier ................................................................................................... 54 2.4 Bilan de la mixité ................................................................................................................................................ 59 2.4.1 Une situation vue comme une amélioration des conditions de vie ............................................ 60 2.4.2 Mais des pratiques de sociabilités très limitées .................................................................................. 61 Conclusion ................................................................................................................... 63 Bibliographie ............................................................................................................... 65 Annexes....................................................................................................................... 67 Guide d’entretien ........................................................................................................................................................ 67 Carte des locataires interviewés ......................................................................................................................... 73 Profil sociologique des enquêtés : ...................................................................................................................... 74 Extraits d’entretien ................................................................................................................................................... 82 3 Introduction Mon travail de recherche porte sur les personnes issues de milieux populaires habitant en centre-ville, en prenant le cas particulier de locataires logés par l’association Habitat et Humanisme (HH) habitant dans des logements individuels à Lyon. Ce travail cherche à interroger l’impact de la mixité sociale sur l’insertion de ménages appartenant aux classes populaires, en s’appuyant sur les pratiques de sociabilité développées dans ce contexte et leur dimension intégratrice, ainsi que sur le vécu et le ressenti de cette expérience de mixité. Il se base sur un cas de mixité particulier, des personnes sélectionnées pour leur faible revenu et mélangées à d’autres résidents du privé par une opération singulière, et tente de comprendre comment dans cette situation de cohabitation entre plusieurs groupes sociaux s’organise la vie en commun. Partant de cette idée, la nature du travail de terrain est de comprendre comment est vécue et perçue l’expérience de mixité pour ces locataires, et quelles types de relations se nouent entre ces différents groupes. De manière plus générale, en quoi une situation de mixité implique t-elle des relations de proximité, telle les relations de voisinages ou les sociabilités de quartier, et en quoi celles-ci peuvent-elles être bénéfiques ? Quelle est la nature des liens créés dans cette situation entre les locataires HH et leurs voisins ? En somme, est-ce que la proximité spatiale dans le cas présent conduit à un rapprochement de classes sociales différentes, ou au contraire débouche sur des situations de conflits ou d’évitement ? Plus généralement, ce travail cherche à questionner la place des classes populaires dans un milieu urbain marqué par la ségrégation et des inégalités. Dans un contexte où on assiste à un retour en force des populations aisées dans les centres-villes, et à l’inverse à un départ, ou une relégation des classes populaires vers les banlieues, on se pose la question de l’importance de l’ancrage en centre-ville. Dans le cas des locataires HH en diffus, on se demande en quoi le fait de vivre dans des quartiers centraux de Lyon favorise leur insertion sociale, ou professionnelle ? Le fait d’habiter dans un quartier central permet-il de créer de nouveaux réseaux, de développer des liens de nature étroites (amitiés, entraides) avec les autres habitants, et donc de s’insérer socialement ? En somme, l’insertion spatiale par le logement suffit-elle à entrainer l’insertion sociale ? 4 Enfin, dans une situation de mixité sociale par le logement, on peut se demander dans quelle mesure celui-ci est mobilisé par ses occupants comme ressource dans la gestion de leur vie relationnelle. Si pour Yves Grafmeyer le logement est un des « pôles autour desquels s’organisent les sociabilités » (2001, p. 103), il est aussi un indicateur de statut social. On peut se demander dans le cas présent de quelle manière il est mis en valeur comme point d’appui pour tisser de nouvelles relations, ou en entretenir des anciennes, mais aussi pour s’intégrer dans un espace local au moyen de sociabilités de proximité. Ce mémoire rend compte d’une enquête réalisée auprès de personnes logées par l’association Habitat et Humanisme à Lyon. Elle est de nature qualitative, réalisée par entretiens semi-directifs. La particularité de ces personnes est d’habiter dans des logements individuels situés dans des immeubles appartenant au secteur privé, ces derniers ne comportant généralement pas plus d’un seul logement HH. Cette opération est appelée « en diffus », ou « isolée » 1 et est la plus rependue en terme de logements loués pour HH Rhône2. Ce sont aussi des personnes issues ou faisant partie des classes populaires, les critères d’attribution des logements reposent essentiellement sur le revenu des personnes, et en partie leurs difficultés financières ou à trouver un logement. Pour des besoins de comparaison, l’enquête a eu lieu dans deux contextes d’habitation, l’un aisé et l’autre plus diversifié. Les entretiens réalisés sont au nombre de huit, mais rapportent le discours de dix personnes, deux ayant été réalisé avec deux enquêtés. Des rencontres avec l’association et quelques uns de ses responsables ont été faite en parallèle. Le plan de ce mémoire est découpé en deux grandes parties. La première présentera les lectures autour de mon objet de recherches portant sur la cohabitation, la mixité sociale et les pratiques de sociabilité, et comment s’articulent ensemble ces éléments. On verra ensuite quelques éléments de définition de la problématique et les hypothèses formulées. Puis la description du terrain de recherche et les méthodes utilisées pendant l’enquête, ainsi que le dispositif d’enquête. La deuxième partie portera sur l’étude des matériaux et présentera les résultats obtenus de façon à répondre à la problématique. 1 L’autre opération mettant en jeu des logements individuels est celle dite des « logements diffus groupés », où un même immeuble ne contient que des logements HH. Le terme « diffus » dans ce mémoire renverra toujours aux logements des logements isolés. 2 http://www.habitat-humanisme.org/rhone/chiffres-cles-du-rhone 5 1. Construction d’un objet de recherche 1.1 Apports théoriques sur les cohabitations en milieu urbain 1.1.1 Des contextes urbains en changement A l’heure où les grandes villes de la planète, New-York, Paris, Londres ou Tokyo se vident petit à petit de leurs dernières populations pauvres, les reléguant dans des banlieues de plus en plus loin du centre-ville, on peut s’interroger sur la place qu’occupe ces populations dans les processus d’embourgeoisement ou de gentrification et se demander où vivent les classes populaires aujourd’hui ? Si ces processus peuvent amener à la spécialisation et à la division sociale de l’espace urbain, voire à l’évincement des classes populaires des centres-villes vers des quartiers périphériques (Clerval, 2013), on voit apparaître des mouvements contraires, indépendants des mécanismes du marché immobilier, visant à maintenir ou à loger ces classes populaires dans les centres-villes des métropoles et à les faire coexister avec des catégories socio-professionnelles différentes. Ces mouvements sont de natures diverses, déterminés ou par des acteurs particuliers, ou par les mouvements naturels des populations. Rappelons cette belle phrase d’Yves Grafmeyer : « Le devenir des villes est inséparable du mouvement des hommes » (1999, p. 158). Certains peuvent être le résultat des volontés de nature publique, à la manière d’institutions comme les offices publics d’aménagement et de construction (OPAC) qui gèrent les logements sociaux et les différentes lois qui les régissent, comme la loi d’orientation pour la ville (LOV) votée en 1991 et plus tard la loi pour la solidarité et le renouvellement urbain (SRU) votée en 2000, qui fixent les grands axes en matière de logement social et imposent aux communes des règles contre le déficit de logements sociaux en les obligeant à réaliser de tels logements. Une des premières manœuvres a donc été de rééquilibrer les logements sociaux entre les communes qui en avaient trop et celles qui n’en avaient pas assez, voire pas du tout. Plus récemment la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) votée en 2014 vient compléter les réglementations existantes en terme d’encadrement des loyers, de garantie et d’innovation. Elle impose notamment un seuil minimum de 25% de logements sociaux pour les communes de plus de 3500 habitants. Le logement occupe donc une place centrale dans l’orientation des politiques urbaines. Pour Emmanuelle Deschamps, il « figure au cœur des mécanismes de ségrégation entraînant une polarisation des populations défavorisées dans 6 certains espaces urbains » (Deschamps, 2003, p. 81). Agir sur le logement revient donc, semble t-il, à agir sur des inégalités spatiales dans le but de corriger des inégalités sociales. Les phénomènes qui nous intéressent en particulier dans cette enquête sont des phénomènes dé-ségrégatifs, visant à la fois à lutter contre l’exil des classes populaires vers les banlieues en les réinsérant dans des quartiers centraux ou proches du centre dans les grandes villes, et donc aussi à les faires coexister au sein de quartiers, ou d’immeubles, avec des classes sociales différentes de la leurs, plus aisées. L’objectif de mixité sociale est né de la volonté de rééquilibrer les franges les plus pauvres de la population entre les communes qui en comptaient trop et celles qui n’en avaient pas assez. Elle se traduit donc, comme on l’a dit plus haut, par un rééquilibre du parc des logements sociaux, notamment incité par les lois qu’on a déjà citées. La mixité sociale n’apparaît donc pas au début comme un moyen de compenser les inégalités sociales, le but étant de brasser les groupes sociaux « pour éviter les poches de pauvreté » (Deschamps, 2003, p. 82), localisées à certains endroits, et « pour rendre la pauvreté moins voyante sans pour autant diminuer le nombre de personnes démunies » (2003, p. 82). A terme, la mixité a fini par être considérée comme solution à tous les problèmes urbains, notamment par les élus qui se sont « convertis à l’idée que les « problèmes » de leurs « quartiers » pouvaient être liés à un manque de mixité sociale » (Blanc, Bidou-Zachariasen, 2010, p. 10). Que ce soit dans les centres urbains aisés ou les quartiers périphériques pauvres, la mixité sociale apparaît « comme l’antidote à la ségrégation et à la « ghettoïsation » des quartiers » (2010, p. 11) tant chez les élus que chez les urbanistes ou architectes. De façon plus large, la diversité de la population, qu’elle soit sociale, culturelle, ou ethnique dans un même espace est vue comme un moyen de renforcer la cohésion sociale et la bonne entente entre les différentes fractions qui composent la société actuelle. Mais est-il dit que la proximité spatiale de groupes différents crée mécaniquement des liens de bonne entente ? Existe-t-il une situation de mixité qui favoriserait plus que d’autres la création de liens sociaux ? Certains groupes sont-ils plus à même de s’ouvrir à d’autres et de développer des relations sociales quand ils cohabitent avec d’autres groupes ? Ces questions, largement abordées dans la littérature sociologique, nécessitent de prendre en compte la diversité de contextes d’habitats dans les villes actuelles et des actions de mixité mises en œuvre, mais aussi de connaître les habitudes de sociabilité des individus selon leurs caractéristiques sociodémographiques, comme leur appartenance sociale, leur âge, ou leur sexe. On prendra comme définition des classes populaires celle d’Olivier Schwartz (2011) pour qui elles se 7 définissent d’une part par leur position sociale, celle d’un groupe dominé, d’autre part à partir de propriétés de type « culturologique », qui caractérisent l’ensemble « de spécificités, portant sur les pratiques et les comportements culturels, qui tendent à les séparer des classes dominantes et des normes dominantes. » (2011, p. 6). 1.1.2 Coexistence et compromis Au regard de nombreux textes et ouvrages scientifiques décrivant le partage d’un même espace entre différentes populations, la première chose frappante est la présence de nombreux termes renvoyant à ce phénomène : cohabitation, coexistence, coprésence. Le texte d’Yves Grafmeyer sur la coexistence en milieu urbain (1999) m’a permis d’y voir plus clair dans ce champ lexical, en jouant sur le sens du mot composition. Elle est pour lui une coprésence, la « configuration associant des éléments différents qui sont, en suivant l’étymologie, « posés ensemble » et agencés entre eux. » (1999, p. 157), que ces éléments soient la structure du bâti déjà en place et autres éléments physiques de l’urbain, ou des populations « plus ou moins hétérogènes dont les habitats, les réseaux relationnels et les pratiques se distribuent selon certaines règles au sein de l’espace de la ville. » (1999, p. 158). Ces éléments qui composent donc la ville s’agencent en partie selon des mouvements, qu’ils soient naturels ou liées à l’intervention d’acteurs privés ou publics, qui définissent une physionomie urbaine « tant dans les structures matérielles de la ville que dans la distribution territoriale des activités, des groupes sociaux et des pratiques » (1999, p. 58). Le décalage entre ces mouvements naturels et la volonté des acteurs produit des effets de composition de l’espace urbain, invasion, ségrégation, gentrification, largement étudiés par la sociologie urbaine et dans lesquels s’organisent les interactions, les rapports sociaux et les relations sociales. Dans les sciences sociales, les situations d’hétérogénéité renvoient à deux dimensions, les différences sociales d’une part et les différences culturelles, ethniques, religieuses d’autre part. La première renvoie aux place occupées par les individus dans la division du travail, et donc à leur inégalités socioéconomiques qui en découlent, et c’est celle qui nous intéresse le plus dans ce mémoire. C’est là que, toujours selon Yves Grafmeyer, que la composition renvoie au registre sémantique du compromis, c’est-à-dire de la négociation, de la transaction : « Dans la mesure où la ville est un espace partagé, elle est un milieu de vie qui amène tout un chacun à « composer » avec autrui, et peut-être, du coup, avec soi-même » (1999, p. 159). Ce compromis s’exprime à travers des enjeux qui convergent ou divergent, des luttes d’intérêts, qu’elles soient entre l’Etat et les collectivités 8 locales, les élus et les associations de quartier, et qui déterminent de façons multiples l’organisation des relations entre les différents protagonistes. Ces compromis s’expriment quotidiennement dans des situations d’hétérogénéité sociales à travers des stratégies selon les groupes d’appartenance, qu’elles soient d’ajustement ou d’évitement, et qui se différencient selon les contextes de cohabitation. Qui habite où ? Avec qui ? Comment et pourquoi ? La littérature sociologique en ce qui concerne la cohabitation entre différentes catégories de personnes et ses effets est abondante, et montre que la proximité spatiale entre des personnes issues de milieux sociaux différents ne débouche pas toujours sur la créations de liens entre elles, mais peut amener des situations d’isolement, de conflits ou d’évitements. Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire insistent dans leur travail sur les grands ensembles (1970) sur plusieurs points, et avant toute chose sur le rôle primordial de l’organisme chargé de la sélection de la population lorsqu’elles ont été préconstruites au préalable : « L’analyse doit prendre en compte le type d’organisme et le type de filière par lesquels on accède à des grands ensembles, conditions administratives secondaires en apparence, mais en fait, conditions déterminantes de la formation de la population » (Chamboredon, Lemaire, 1970, p. 7). Ils montrent que les différents critères d’attribution, qui varient selon les organismes, contribuent à la fabrication d’une population selon des logiques différentes de celles du marché, qui aboutiront dans certains cas à des populations plus ou moins homogènes. Ils montrent également que ces processus de fabrication jouent un rôle déterminant sur les formes des rapports et des interactions à venir entre les habitants d’une même unité d’habitation, plus que ne le font les prédispositions de chacun à la sociabilité. Selon eux, on ne peut comprendre la structure des rapports sociaux entre habitants sans prendre en compte leur position dans leur trajectoire de vie individuelle et des « contraintes objectives qui, pour chaque groupe, définissent le possible et l’impossible en matière de logement » (1970, p. 12), bien souvent corrélés à leur capacité à pouvoir ou non changer de logement. Les trajectoires individuelles, mais aussi d’autre facteurs comme l’âge, le diplôme ou l’ancienneté de résidence se combinent pour expliquer les dispositions de chacun à tisser des liens et à organiser sa vie relationnelle. Les conduites de sociabilité des individus sont donc déterminées par leur appartenance à un groupe social, mais aussi à la façon dont ce groupe entretien des rapports avec les autres groupes. Dans une situation de mixité, ces conduites « ne se comprennent pas sans référence à l’hétérogénéité de la population et aux 9 différentes manières dont les différents groupes peuvent, étant donné les normes de sociabilité propres à leur classe, répondre à cette situation » (Chamboredon, Lemaire, 1970, p. 13). On verra dans un autre cas, celui des locataires sociaux dans les quartiers aisés de Paris étudié par Lydie Launay (2014), que la cohabitation entre différents groupes sociaux débouche sur des organisations différentes des sociabilités, et que celles-ci s’agencent selon différents critères. 1.1.3 Sociabilités et proximité spatiale En plus d’être un objet d’étude, la sociabilité est aussi un enjeu de société devant être assimilée aux nombreux débats sur la mixité, la cohabitation, l’intégration. Celle-ci, pour reprendre la définition d’Yves Grafmeyer (1995), est « l’ensemble des relations effectivement entretenues par une personne avec d’autres personnes ». Les pratiques de sociabilité se déclinent sous plusieurs formes, et sont réparties inégalement selon les caractéristiques sociales et démographiques des individus. Les enquêtes statistiques nationales réalisées par l’INSEE et l’INED en 1982-1983 permettent de dégager les différentes variables et comment elles se combinent, afin de les mesurer. On voit, comme le montre François Héran (1988) qu’elles se déclinent différemment selon les groupes sociaux à la manière d’une pratique culturelle. Socialement ordonnée, la sociabilité est fortement corrélée avec le revenu et le diplôme. Elle est plus intense dans les milieux supérieurs, artistes et professions libérales surtout, et décline quand on descend la pyramide sociale, apparaissant beaucoup plus limitée dans les classes populaires, en particulier chez les ouvriers. Les relations sociales sont aussi ordonnées selon l’interlocuteur choisi, et en fonction de ses caractéristiques, si celui-ci fait parti du même milieu social, familial, professionnel ou générationnel : « On fréquente d’abord ses pairs » (Héran, 1988, p. 6), mais aussi de la nature du lien qui les unissent. Ainsi, au cours d’une même période donnée, les ouvriers fréquenteront davantage leur réseau familial que les cadres supérieurs. Héran apporte aussi une définition des liens forts ou étroits. Ceux-ci correspondent à la création d’amitiés, de sorties communes, ou de relations d’entraides. La sociabilité obéit aussi à une dynamique temporelle et varie en fonction de l’âge des individus. Héran distingue trois âges de la sociabilité : « la jeunesse est le temps privilégié des amitiés, la maturité celui des relations de travail et la vieillesse celui des relations de parenté » (1988, p. 21), qui varient aussi selon les milieux sociaux. Il tire la même conclusion selon le sexe de la personne, la sociabilité se répartissant entre hommes et 10 femmes selon la traditionnelle division sexuelles entre interne et externe, les femmes étant plus impliquées dans les relations familiales et de voisinage, tandis que les hommes vont plus vers les relations amicales et les associations. Mais au bout du compte, ceux qui ont une sociabilité élevée sont plus à même d’étendre leur réseaux relationnels et d’avoir de nouvelles sociabilités à portée plus lointaine, obéissant ainsi à une logique de cumul : plus on cumule de connaissances, plus on est à même d’en créer, et inversement. Selon les termes de Héran, « les relations vont aux relations ». La sociabilité fait donc figure de capital culturel. Cette conclusion rejoint celle de Michel Forsé (1981) dans son étude sur la sociabilité. Si selon lui des facteurs démographiques tels que l’âge ou le type de ménage permettent de l’expliquer, ce sont surtout des déterminants socio-économiques et culturels qui permettent de comprendre l’évolution de grandes tendances, sans toutefois omettre qu’elle est l’apanage des classes supérieures. Mais les sociabilités s’inscrivent aussi dans une dimension spatiale, de proximité, en particulier quand elles sont liées au logement. On parlera d’avantage des relations entretenues avec des personnes en-dehors du foyer plutôt que de celles entre les membres de la maison. Car au delà des relations entre les membres du foyer, le logement joue un rôle particulier dans l’organisation de la vie relationnelle, qui varie selon le type d’habitat. Il peut être utilisé pour nouer contact avec les habitants du voisinage, mais aussi pour recevoir, héberger ou accueillir d’autres personnes, il est « une source de contacts avec les habitants du voisinage, et peut lui-même s’ouvrir à diverses personnes – proches ou moins proches – qui ne font pas partie du foyer » (Grafmeyer, 2001, p. 103). Il constitue donc un pôle central autour duquel s’organisent les sociabilités. Pour Grafmeyer, elles sont de deux types, d’une part les relations de voisinage, et d’une autre toutes les relations qui n’impliquent pas forcément le partage d’une même espace de vie, du type liens familiaux ou amicaux, relations professionnelles, ou associatives. Dans l’ensemble de la vie relationnelle et sociale, le logement est utilisé comme ressource, à la fois pour recevoir, héberger, mais aussi pour s’approprier un quartier, un mode de vie. Dans un sens plus large, l’habitat, qui recouvre à la fois le type de logement, le statut d’occupation, les activités offertes dans le quartier et l’ancienneté de résidence (Authier, Grafmeyer, 1998) est un lieu producteur de sociabilités. Les relations de voisinage, basées de fait sur la proximité résidentielle, constituent un bon indicateur pour mesurer le vivre ensemble. En se basant sur l’enquête « Contacts » 11 réalisée par l’INSEE et l’INED, François Héran (1987) montre que les sociabilités de voisinage sont très inégalement réparties chez les individus selon le type d’habitat, mais aussi la structure du ménage, l’âge, ou le diplôme. Ainsi, la notion même de voisin varie avec la densité de l’habitat, celle-ci devenant plus restreinte à mesure que l’habitat se densifie : « Dans l’ensemble, plus on a de voisins, au sens physique du terme, moins on se reconnaît de « voisins » et moins on « voisine ». » (Héran, 1987, p. 45). En somme, elle recouvre une aire géographique plus importante à la campagne qu’en ville. Les relations de voisinage varient aussi selon l’appartenance sociale, selon leur intensité. Elles vont de « aucune relation » aux liens étroits. On voit qu’elles sont plus intenses chez les cadres ou les agriculteurs, mais diminuent chez les ouvriers non qualifiés et les employés. Elles sont aussi plus intenses lorsque l’habitat est individuel, en maison plutôt qu’en immeuble, peu importe la catégorie socioprofessionnelle. On note que l’ancienneté d’installation dans le logement chez Héran « est un facteur dont il ne faut pas surestimer l’importance » (1987, p. 44), sauf lorsqu’on observe des liens étroit avec les voisins, tandis qu’elle constitue une variable explicative de la sociabilité chez Yves Grafmeyer lorsqu’on prend en compte le fait qu’elle est une notion subjective qui varie selon les sites observés (Authier, Grafmeyer, 1998), ou lorsqu’elle est corrélée avec d’autres variables statistiques, comme l’âge de l’individu, ou que ces relations se tissent dans ou en-dehors de l’immeuble (Grafmeyer, 2001). Le chapitre d’Yves Grafmeyer sur les sociabilités liées au logement dans « Du domicile à la ville » dirigé par Jean-Yves Authier apporte quelques compléments, dans le cas d’une étude menée dans des quartiers anciens, en faisant la distinction entre sociabilités de proximité et les autres. S’il remarque dans un premier temps une relation positive entre les relations établies dans l’immeuble et celles en-dehors, suivant la logique de cumul, il constate que les relations de voisinages sont socialement différenciées, selon qui voisine et où. Ainsi, il se dégage que les femmes voisinent davantage avec les voisins d’immeuble alors que les hommes voisinent plus en-dehors, mais les écarts entre les deux sont peu marqués. Les relations sont de même plus fréquentes à l’intérieur de l’immeuble à mesure que l’âge de la personne augmente, que les interactions soient étroites ou minimales, excepté les désaccords ou conflits. Mais il remarque que l’âge ne constitue pas un critère à part entière, il doit être pris en compte en rapport avec l’intensité des relations, et avec qui elles s’appliquent. On voit que les pratiques de sociabilité sont étudiées de différentes façons, qu’elles soient établies par une situation de proximité ou non. On pourrait rajouter que les réseaux 12 sociaux par Internet, les communications instantanées à travers le globe, et l’augmentation exponentielle de l’accès à ces moyens de communications rend nécessaire de prendre en compte ces nouvelles données pour comprendre l’organisation de la vie relationnelle chez les individus aujourd’hui. Maintenant qu’on a parlé des sociabilités dans une dimension de proximité, à travers les sociabilités liées au logement et les relations de voisinage, nous allons voir comment elles se pratiquent dans une situation résidentielle de mixité sociale. 1.1.4 Mixité et sociabilités : quels facteurs déterminants ? Quels enjeux ? Comment s’organisent les sociabilités de chacun dans une situation de mixité sociale ? Quels facteurs explicatifs, ou quelle combinaison de facteurs permettent de comprendre l’agencement des sociabilités entre les différents groupes sociaux ? De façon plus large, en quoi une opération purement spatiale comme la mixité amène t-elle à l’insertion des personnes les plus démunies, et à terme corrige les inégalités sociales ? Les différentes situations de mixité sociale, qui conduisent à la proximité spatiale d’individus appartenant à des groupes sociaux différents, sont autant de situations dans lesquelles les sociabilités s’agencent de manière particulière. De manière générale, des liens se créent qu’ils soient forts ou faibles, même si ceux-ci prennent la forme des formes différentes. Le chapitre sur les propriétaires et les locataires dans l’ouvrage Habiter Lyon d’Yves Grafmeyer (1991) apporte un cas de mixité intéressant basé sur les statuts d’occupation, et nous éclair sur l’utilisation des différentes variables et leurs répercussions sur l’agencement de la coexistence au sein d’un même immeuble. On constate, d’après une enquête comparative entre deux quartiers de Lyon, l’un socialement homogène, Brotteaux et l’autre plus hétérogène, Croix-Rousse, que le statut d’occupation joue très différemment sur rapports sociaux entre ces groupes, dépendant largement du contexte d’habitat mais pas seulement. L’ancienneté de résidence est diversement appréciée selon le quartier, et l’âge de la personne. On sera considéré comme ancien dans un quartier comme Croix-Rousse avec une ancienneté moindre en valeur absolue qu’à Brotteaux. De même, on ne sera pas considéré comme ancien, à ancienneté d’installation égale, si on 40 ans ou 60. Si ces variables jouent peu lorsqu’elles sont prises indépendamment l’unes de l’autres, elles prennent tout leur sens quand elles sont associées. De même, le statut social de la personne et la taille du logement constituent autant des facteurs à prendre en compte. On voit pourtant que les résultats pris de manière comparative ne sont pas du tout les mêmes en fonction du quartier choisi. Ici c’est dans « l’histoire du peuplement qu’il faut voir la 13 principale source des différenciations qui se répercutent sur les formes de coexistence, de sociabilité, ou d’évitement. » (Grafmeyer, 1991, p. 180). Pour conclure, l’opposition entre locataires et propriétaires, même si elle a des impacts différents selon les quartiers qui peuvent être négligeables dans certains cas, a néanmoins une certaines incidence dans la gestion des rapports de voisinage entre les habitants, et dans leur perception de leur façon de coexister. Le statut d’occupation renvoie à des différences de positions dans les trajectoires individuelles de chacun, qui, on l’a vu, structurent les rapports sociaux entre habitants, et ont toutes les chances de renvoyer chacun à son appartenance sociale. Autre opposition entre deux populations vivant dans un même immeuble, celui de milieux populaires vivant dans les quartiers aisés à Paris. Parmi les différents types d’opérations urbaines visant à réintroduire les classes populaires dans les centres-villes, celles qui concernent l’acquisition-conventionnement de logements individuels par les organismes HLM éparpillés dans différents immeubles constituent une initiative originale et intéressante. La présence d’une personne aux revenus modestes au sein d’une autre population peut être perçue et vécue de différentes manières, que ce soit de la part des nouveaux locataires, ou des plus anciens habitants. C’est le cas de cohabitation sur lequel s’est penchée Lydie Launay (2014) lors de son enquête sur les beaux quartiers parisiens. Dans cette opération très semblable à celle que j’étudie, elle observe les effets de cette cohabitation dans un contexte de mixité forcée entre des classes dominantes et populaires, majoritairement immigrées, au sein du 8ème arrondissement, un quartier central et bourgeois de Paris, et la manière dont ces dernières perçoivent la coexistence dans ce quartier. Elle montre que les rapports sociaux entre ces deux populations sont régis par des systèmes de domination de l’espace, en plus du symbolique, de la part des catégories aisées et prennent la forme de domination ethnique, en plus de celle de classe, les habitants des logements sociaux étant identifiées comme immigrées. Ces derniers se trouvent contraints de répondre de deux façons à cette situation. Les « embourgeoisés » cherchent à s’adapter aux normes de la population dominante. Habiter dans les beaux quartiers, à proximité des élites du pays est pour eux une « valorisation sociale » et un espoir d’ascension, en particulier pour leurs enfants qui apprendront les normes légitimes dans les écoles du quartier. Les liens qu’ils avaient créés dans leur ancien quartier ont tendance à se dénouer avec l’éloignement spatial et social, qui s’instaure entre eux et leurs anciens réseaux. A l’inverse, les autres qu’elle appelle « les décalés » ne parviennent pas à s’adapter à leur nouveau mode de vie et privilégient les anciens réseaux au détriment des nouveaux. Ceux-ci 14 continuent à maintenir des liens forts avec leur ancien quartier, voire pour certains, espèrent même retourner y habiter. On voit ici que la proximité spatiale ne débouche pas toujours sur des relations harmonieuses entre les habitants, et donc n’atténue pas mécaniquement la distance sociale, conclusion similaire à l’étude de Chamboredon et Lemaire (1970). On voit aussi dans cet article l’importance du quartier et de ceux qui l’habitent dans la perception des individus sur leur trajectoire individuelle. Un quartier socialement valorisé peut offrir le rêve d’une ascension sociale, ou tout du moins un changement de trajectoire vers un avenir meilleur, que ce soit pour eux ou pour leur descendance. L’importance de l’ancrage en centre-ville, ou en quartier valorisé, se reflète aussi chez les catégories de population les plus défavorisées comme un maintien de leur trajectoire individuelle. Pour Nicolas Bernard, « la pauvreté ne saurait être comprise en dehors de sa dimension spatiale » (Bernard, 2007, p. 51). Dans un autre article, on va voir l’importance d’habiter en centre-ville, et donc du facteur spatial sur le social. Car il y a aussi ceux qui se maintiennent et qui ne bénéficient pas forcément de l’aide publique, comme le cas des mal-logés parisiens étudiés par Pascale Dietrich-Ragon (2014). Elle montre que les choix résidentiels qui guident sa population sont marqués par une peur de « l’exil » vers la banlieue, perçue comme un déclassement social, même si ce changement entraînerait une amélioration certaine des conditions de logement. Dans un contexte de marché de l’immobilier hyper sélectif, ces personnes voient le fait d’habiter dans la capitale comme une compensation à leur situation sociale défavorisée, voire comme une marge de manœuvre vers un destin meilleur, qui pallie un manque de confiance et une incertitude, tandis que la banlieue est perçue négativement comme un lieu « dégradant et étranger », « où logent les groupes sociaux les moins bien placés dans la hiérarchie sociale » (Dietrich-Ragon, p. 21). On voit ici l’importance de l’ancrage dans la capitale, qu’il soit affectif, fait d’attaches ou de repères, ou pour répondre à des besoins pratiques, comme éviter une augmentation des temps de transports. Les propositions de logement sociaux en banlieue, souvent moins chers et plus confortables, sont systématiquement rejetées, que ce soit par peur de l’inconnu ou par peur de déclassement. L’attache à Paris est aussi vue par ces personnes comme une promesse d’insertion professionnelle et comme un ascenseur social : « malgré les conditions de vie déplorables qu’elle leur offre, la capitale est logée par les mal-logés comme un gage d’insertion sociale » (Dietrich-Ragon, p. 26). Ici aussi, on voit l’importance du quartier sur le devenir des individus, ou du moins 15 sur la perception qu’ils ont de leur devenir, au détriment de la qualité de vie que peut leur offrir leur logement. On voit que les qualités intrinsèques du logement sont mises en retrait par rapport aux bénéfices potentiels qu’il apporterait à ses occupants. Tous ces facteurs se combinent pour expliquer la résistance à l’exil de ces personnes. Dans les deux articles précédents, l’ancrage en centre-ville est globalement perçu comme une situation socialement avantageuse par les catégories populaires, qui peut permettre sinon d’acquérir les normes et la culture des classes supérieures dans l’objectif d’une possible ascension, tout au moins d’éviter un possible déclassement géographique et donc social. La mixité sociale en centre-ville fait figure d’élément central pour rééquilibrer les inégalités sociales et spatiales. Elle est pourtant une notion au contenu sémantique varié, pouvant sous-entendre différentes idées, parfois paradoxales. Synonyme de diversité sociale ou culturelle, elle est souvent vue comme une solution à des inégalités sociales et économiques. Présente dans de nombreux registres, utilisée par de nombreux hommes politiques, urbanistes ou sociologues, la notion de mixité sociale apparaît comme une notion aux facettes multiples, et amène la question : de quoi parle t-on exactement quand on parle de mixité sociale ? Pour y répondre, Philippe Genestier (2010), architecte et urbaniste, analyse les différentes connotations de la mixité, parfois contradictoires, qu’elles soient une approche statistique, un idéal ou une pure rhétorique et dans quels registres discursifs elles sont utilisées. En partie appuyé sur des données statistiques, le discours sur la mixité se veut objectif, mais il est aussi associé à un souci de justice sociale, d’égalité et d’harmonie, tour à tour vœu pieux ou mot d’ordre. Vue comme un remède aux problèmes urbains, la mixité est une normalité, un but à atteindre, tandis que son inverse, la ségrégation est un écart qu’il faut corriger. Pourtant, elle tend à réduire les problèmes sociaux à une simple dimension spatiale, sans prendre en compte les déterminants socio-économiques des individus. Pour Philippe Genestier : « le mot « mixité » témoigne d’un ethnocentrisme qui interdit de percevoir en quoi une faiblesse du capital économique empêchant de résider dans un quartier convoité par des couches plus aisées ne correspond pas nécessairement à une absence de capital social et relationnel » (Genestier, 2010, p. 34). Indissociables l’une de l’autre, la mixité et la ségrégation se comprennent par une relation d’opposition, mais tendent à ne pas avoir un sens bien défini une fois isolées. Pourtant, comme le fait remarquer Nicolas Bernard, la ségrégation sociale est le fait de l’autre. Suffit-il de faire 16 cohabiter des populations qui ne veulent pas se mélanger pour assurer leur intégration ? Comme il le dit lui-même, « sur le terrain, personne ne semble vouloir se mélanger à l’autre : ni les riches, méfiants à l’égard de ce quart-monde étranger et fuyant cette promis- cuité qu’ils jugent malsaine, ni même les pauvres, craignant de se couper de leurs réseaux d’entraide informels en déménageant dans un quartier plus huppé et mal à l’aise face au regard stigmatisant (et proprement réifiant) des bien logés » (Bernard, 2007, p.58). On l’a vu, la mixité sociale est à la fois une situation particulière dans l’organisation des sociabilités entre les individus issus de différents groupes sociaux, mais elle est aussi un enjeu de société, au contenu sémantique varié. Si les individus gèrent leur vie relationnelle par rapport aux autres catégories de personne qui les entoure, on voit que la mixité sociale introduit des facteurs dans cette organisation des sociabilités. S’intéresser aux formes et à l’intensité que prennent ces sociabilités dans une situation de mixité sociale permet de comprendre en partie comment s’agencent les rapports sociaux entre des groupes sociaux, et donc si ceux-ci se rapprochent ou non. L’étude des sociabilités en situation de mixité est donc utile pour évaluer le degré d’insertion des classes populaires, ou à contrario leur isolement. Mais si la proximité de différentes classes sociales amène parfois des échanges entre elles, on ne voit pas forcément en quoi elle agit sur les inégalités proprement économiques, même si dans certains cas, comme on l’a vu, elle offre la promesse d’une insertion professionnelle ou d’une ascension sociale, ou bien l’acquisition des normes des cultures dominantes. Elle confère certes des avantages pour les milieux populaires, qui, en étant proches des dynamiques urbaines et sociales, voient plus d’opportunités que lorsqu’ils sont relégués dans des périphéries exclues de ces dynamismes. Mais on ne peut pourtant pas affirmer qu’elle est utile à tout le monde, du moins pas sans prendre en compte les différences de position dans les trajectoires de chacun. L’importance d’avoir un logement dans le centre varie donc, que ce soit pour le jeune homme de 25 ans qui souhaite démarrer sa carrière professionnelle, que pour la personne de 65 qui la termine. Comprendre une situation de mixité, et donc comprendre son impact en terme d’insertion, requiert de prendre en compte les caractéristiques sociales de chacun comme l’âge, mais aussi le milieu professionnel, l’origine sociale, la composition de la famille, ainsi que les préférences qui sont liées à ces caractéristiques. Dans la prochaine partie, on verra comment articuler les différents écrits sociologiques avec le cas qui nous intéresse ici, et comment formuler à partir de là les hypothèses et la problématique de ce mémoire 17 1.2 De la théorie au cas pratique : Problématique et hypothèses L’idée directrice de ce mémoire est de comprendre dans quelle mesure une situation de mixité sociale joue sur l’insertion de personnes issues de milieux populaires, en prenant le cas particulier des personnes logées « en diffus » par d’Habitat et Humanisme. Cette situation de mixité sociale possède trois caractéristiques importantes. En premier lieu, les populations sont préconstruites selon un mode de sélection particulier, basé sur les difficultés matérielles des demandeurs. On a vu en partie le rôle de l’organisme sur la fabrication d’une population et donc sur les rapports qui en découlent dans un cadre de mixité forcée. On reviendra plus en détails sur ces conditions de sélection lors de la présentation de ma population. En second lieu, cette mixité a pour cadre des quartiers du centre ville de Lyon. Or on a vu aussi l’importance de l’ancrage dans des quartiers centraux, et/ou valorisés socialement. Pour des besoins de comparaison, mon enquête de terrain a eu lieu sur deux contextes d’habitat, l’un homogène et aisé, l’autre plus diversifié et hétérogène. La troisième caractéristique, celle qui nous intéresse le plus et qui m’a conduit à faire ce mémoire, est le caractère isolé de l’implantation « en diffus » des ménages en difficultés. Rappelons-le, cette opération consiste à implanter ces ménages au sein d’immeubles où habitent déjà des résidents du privé. Ce placement souvent aléatoire, en fonction des logiques d’acquisition ou de gestion de logement par HH, ne comportera dans la grande majorité des cas pas plus d’un logement par adresse. Cette opération diffère des politiques publiques de logement, comme le passage d’immeubles ou d’habitations sous statut HLM, par sa faible visibilité. Du fait HH fonctionne aussi, par l’intermédiaire de sa régie, Régie Nouvelle, comme une régie immobilière classique, les logements qu’ils gèrent ne changent pas de statut, et peuvent être rétrocédés à leur propriétaire dès que ceux-ci en font la demande. Un appartement géré par la régie peut donc avoir une durée de vie limitée en tant que logement à vocation sociale. Les anciennes personnes habitant l’immeuble ont moins de chance (mais pas dans tous les cas) de reconnaître le locataire HH comme « social », et appartenant à un milieu moins favorisé. On peut supposer que dans une situation de ce type, l’instauration de barrières entre les groupes sociaux, ou de toute autre forme de séparation, a moins de chance de se produire. Cette dernière caractéristique est fondamentale car elle constitue une originalité par rapport à d’autres politiques d’instauration de mixité sociale, et produira sans doute des effets différents de ceux observés par d’autres travaux sociologiques. 18 Une des mes premières hypothèses était qu’il existe des contextes d’habitat, qu’il s’agisse d’un immeuble ou d’un quartier, où il est plus facile de développer des relations de voisinage que dans d’autres. Mais à la lecture du chapitre d’Yves Grafmeyer sur les sociabilités urbaines (1995), on voit qu’il n’existe pas de contexte de peuplement prédéfini, qu’il soit homogène ou hétérogène, qui favoriserait ou non les relations sociales entre différents groupes : « les données objectives décrivant le degré d’homogénéité ou d’hétérogénéité d’un contexte résidentiel ne permettent pas de préjuger de la manière dont s’agencent localement les relations de voisinage, l’engagement dans la vie associative, les tactiques d’évitements et les conflits ouverts. » (1995, p. 211), ou pour reprendre JeanYves Authier : « la composition sociale d’un quartier ne préjuge pas des modalités de la cohabitation de ses habitants. » (2008, p. 104). De même, comme on l’a vu dans l’article écrit par Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1970), il faut non seulement prendre en compte les caractéristiques des groupes qui partagent un même espace, mais aussi celles des individus en terme de trajectoires et de parcours. Les pratiques sociales qui se développent entre deux groupes sociaux sont donc liées à ces facteurs. Pour reprendre Jean-Yves Authier « les positions sociales des individus, les normes propres à chaque classe ou fraction de classe interviennent dans la structuration des pratiques sociales de coprésence dans les espaces résidentiels. » (2008, p. 105). Pour Yves Grafmeyer, la recherche d’indicateurs « tous terrains » (1999) qui pourrait généraliser des situations de mixité paraît vain. C’est en comparant les différents contextes singuliers qu’on peut faire apparaître des régularités. On peut toutefois ajouter que parmi les différents cas de mixité étudiés en sociologie, bien peu génèrent des relations sociales fortes entre les habitants de groupes différents, en particulier, mais pas uniquement, lorsqu’il s’agit de politiques volontaristes de mixité sociale. On assiste généralement à une entente passive, ou pacifique, plus qu’à une sociabilité approfondie entre les diverses catégories d’habitant. On trouve néanmoins des situations de mixité sociale plus favorables à l’émergence de relations sociales lorsque les différentes communautés ont des intérêts, souvent différents, à cohabiter, ou lorsque les différences entre les populations sont sans ambiguïtés (Authier, 2008). On suppose donc que les locataires HH bénéficient de conditions plus favorables pour s’insérer parmi les populations qu’ils côtoient, ou tout du moins d’éviter des effets stigmatisant associés à leur condition comme c’est le cas chez les locataires en appartements HLM étudiés par Lydie Launay (2014). Au delà de cette caractéristique, 19 plusieurs hypothèses se sont posées quand aux facteurs qui pourraient favoriser l’insertion sociale ou professionnelle de ces personnes. Une première hypothèse est que la présence d’enfants au sein d’un ménage favoriserait la rencontre et la création de liens avec des personnes de l’immeuble ou du quartier. L’intégration des enfants dans les écoles du quartier conduirait à un investissement supplémentaire dans l’espace local de la part des parents, pour ceux qui jugent positive l’influence d’enfants issus de milieux plus aisés (Launay, 2014, p. 44). La présence d’enfants dans les écoles du quartier aurait aussi un impact sur l’intégration des parents, au moyen de rencontres de parents d’élèves. De façon plus générale le quartier, ou l’environnement immédiat, peut être vu comme « un cadre favorable à l’éducation des enfants » (Launay, 2014, p. 43). Education au sens large, qui prendrait un compte l’attrait du quartier comme endroit valorisé socialement, et les conséquences bénéfiques en terme d’apprentissage de normes des dominants. Au contraire les quartiers immigrés seraient associés aux mauvaises fréquentations, et à l’insécurité (Launay, 2014, p. 43). François Héran le montre aussi à travers des résultats statistiques, les couples avec enfants voisinent d’avantage que les personnes seules, et « la présence d’enfants multiplie les occasions de contact avec d’autres foyers » (1987, p. 55). On suppose aussi que les familles nombreuses, ou ayant des enfants en bas âge (ou de santé fragile, ou encore présentant un handicap, qui retiendrait l’attention des autres parents), auraient moins la capacité de développer des liens de proximité et seraient donc plus isolées : « quand on arrive aux familles les plus nombreuses, la sociabilité se restreint » (1987, p. 55). De manière plus générale, la composition du ménage aurait une incidence sur l’intensité des sociabilités. On suppose donc qu’une personne seule a moins d’opportunités d’établir des relations qu’un couple, et plus de chances d’être isolée. En second lieu, on fait l’hypothèse que les personnes ayant déjà des réseaux relationnels étendus ou anciens sont plus à même de développer des nouvelles sociabilités de proximité, suivant la logique de cumul vue par Héran (1988) et Grafmeyer (1997), et de s’insérer plus facilement. On l’a vu, « les relations vont aux relations » (Héran, 1988), « les personnes qui fréquentent un grand nombre d’amis ont aussi les plus grandes changes de sortir avec des collègues, de recevoir la visite de leurs voisins, d’adhérer à de multiples associations » (Héran, 1988, p. 15). On suppose que les personnes ayant le plus d’occasions d’entretenir des sociabilités diverses, celles qui font partie d’une association, qui ont un emploi, ont par conséquent plus d’opportunités d’entretenir des relations avec leurs voisins. Dans le contexte de politique d’HH en matière d’accompagnement des 20 locataires par des travailleurs sociaux ou des bénévoles, on peut penser que les locataires qui bénéficient d’un accompagnement ont des possibilités accrues de développer des liens sociaux avec leur entourage. A contrario, on suppose que les personnes vivant seules, sans emploi et sans accompagnement présentent un plus grand risque de se retrouver en situation d’isolement. On peut supposer que les locataires les plus anciennement installés dans leur logement ont des sociabilités plus abouties en terme d’intensité et de nature des liens que ceux arrivés plus récemment. Mais cette hypothèse risque d’être démentie assez vite si cette caractéristique est prise isolément. Notre hypothèse est que les sociabilités des locataires interrogées ne pourront être pleinement expliquées qu’en articulant les caractéristiques sociodémographiques des personnes avec leur contexte d’habitat. On a vu que dans le cas des logements HLM dans les beaux quartiers parisiens (Launay, 2014) que le contexte d’habitat, l’ancienneté d’installation des anciens habitants et leur mode de peuplement expliquent en partie les rapports de domination qui marquent profondément l’organisation de la vie en commun. Mais ces mêmes indicateurs varient quand ils sont appliqués à des cas particuliers. Pour faire apparaître des régularités, les entretiens avec les locataires HH ont été menés dans plusieurs terrains. Quatre ont été réalisés dans le 6ème arrondissement de Lyon, caractérisé par une population homogène et aisée. Les quatre autres dans des quartiers plus diversifiés. Deux ont été menés dans le 1er arrondissement, un dans le 4ème et un autre au sud de la gare Perrache, dans le quartier Sainte-Blandine. On mettra en relation les contextes d’habitat avec les caractéristiques sociodémographiques des personnes, tel que l’âge, le sexe ou le revenu. On suppose toutefois que les caractéristiques de peuplement des logements « en diffus », qui diffère à la fois des autres opérations menées par HH, mais aussi d’autre politiques publiques en matière de logement, auront des effets différents en terme de vécu de la mixité chez les locataires HH, et donc en terme de formes et d’intensité des sociabilités. Les caractéristiques de cette politique nous font penser qu’elle offrirait de meilleures chances en terme d’intégration de ces locataires avec leurs voisins, mais aussi dans leur quartier, par rapport à d’autres politiques de mixité. On pense notamment au passage d’appartements privés sous le statut HLM, mais aussi aux autres politiques d’HH en terme de mixité, comme celle des logements groupés, où un même immeuble ne comporte que des logements gérés par Régie Nouvelle. En particulier, le caractère isolé de ces logements, le fait que les locataires HH soient en quelque sorte « forcés » de côtoyer au 21 sein de leur immeuble des personnes issues de milieux différents, laisse à croire qu’il y aurait un accroissement de l’investissement dans l’espace local de leur part. Inversement, ce même caractère isolé dissimule en partie le statut « social » du logement, et par extension de la personne, et celle-ci aurait moins de chance de se faire stigmatiser par les autres occupants de l’immeuble. La problématique générale de ce mémoire peut être résumée à la question déjà posée en introduction. En quoi la politique d’instauration de mixité sociale d’Habitat et Humanisme dans le cas des logements en diffus favorise t-elle l’insertion des personnes issues de milieux populaires et en difficultés ? Pour répondre à cette question, on se base sur les sociabilités effectivement entretenues par les locataires HH, en prenant en particulier les sociabilités de proximité, construites à partir du logement, mais aussi au sein de l’immeuble et dans le quartier. A travers ces sociabilités, on tente d’évaluer le degré d’isolement, ou d’insertion de chaque locataire, en prenant en compte leurs caractéristiques socioéconomiques et leur contexte d’habitat. On va donc prendre en compte les sociabilités de proximité comme mesure de l’intégration des locataires dans leur environnement, et se demander comment varient ces sociabilités selon différents facteurs et contextes. 22 1.3 Présentation du terrain 1.3.1 La double action d’Habitat et Humanisme Habitat et Humanisme est une fédération d’associations d’insertion et d’accompagnement par le logement, présente sur toute la France, qui s’est donnée comme objectif depuis 1985 d’aider des personnes en difficultés à accéder à logement, et « dont l’objet social est de loger et d’accompagner les ménages vers l’autonomie, par des actions d’accompagnement variées et adaptées à la problématique des ménages que nous logeons. » (Extrait d’entretien avec F. Souverain, responsable de la gestion locative chez Régie Nouvelle). Il y a une double action pour favoriser l’insertion, celle de loger et celle d’accompagner. Les logements proposés sont inférieurs aux prix du marché, mêlant plusieurs types de bail. La branche Rhône, qui s’occupe de la Métropole de Lyon3 et du département du Rhône, est celle qui gère le plus de logements au sein de la fédération, avec plus de 1400 logements dans son parc4. La grande majorité de leurs logements sont des logements individuels (1100), ou « diffus », et les autres sont pour la plupart des lieux de vie collectifs. La politique d’HH en matière de logement consiste à favoriser la mixité sociale et donc de faire cohabiter ces locataires avec d’autres habitants socialement différenciés, dans des quartiers centraux ou proches du centre dans le Grand Lyon. Il existe aussi d’autre politique de mixité, comme le projet Chorus mélangeant des individus dans un lieu de vie colectif. Les logements individuels, dans leur majorité, appartiennent à des propriétaires solidaires qui les confient à Régie Nouvelle, la régie de HH. Les autres appartiennent à la foncière d’HH. HH possède de nombreux logements individuels regroupés dans des habitats collectifs et organisés selon deux types d’opération. La première concerne les logements isolés, généralement pas plus d’un ou deux par adresses. Dans ce cas, locataires HH côtoient d’autres résidants, propriétaires ou locataires, issus du marché privé. La seconde opération concerne les logements groupés, où une même adresse compte plusieurs logements HH mais aucun logement privé. L’offre de logement se situe entre 110 et 120 chaque année, selon un processus de sélection allant vers la quête des plus démunis, ceux qui n’ont pas la possibilité d’accéder à un logement privé ou même social. 3 4 Depuis le 1er janvier 2015. Données obtenues sur le site : http://www.habitat-humanisme.org/rhone/chiffres-cles-du-rhone 23 Les critères d’attribution de ces logements renvoient aux processus selon lesquels sont sélectionnés les habitant et sont donc déterminants dans la formation de la population (Chamboredon, Lemaire, 1970). Ces critères qu’il faut prendre en compte, sont liés à la politique de l’organisme qui se charge de la sélection. J’ai pris connaissance après un premier entretien avec F. Souverain, responsable de la gestion locative chez Régie Nouvelle. Le but premier est de permettre à des familles en difficulté d’accéder au logement : « On va permettre d’accéder au logement à des familles ou des ménages qui rencontrent des difficultés, qui peuvent être familiales, sociales, économiques, administratives (…) après un délai qui n’est pas forcément défini au départ » (F. Souverain). Les demandes de logement se font par l’intermédiaire de partenaires, mairies, maisons de vie sociale, sous forme de candidatures et vont être étudié par une commission qui prend en compte les ressources disponibles des candidats. Un premier filtrage existe donc, afin de prendre en considération les demandes de personnes qui en ont le plus besoin, selon un ordre de priorités : « L’objectif c’est de sélectionner des candidats, des ménages qui ont besoin de nous, ça c’est une des priorités » (F. Souverain). Il peut parfois s’agir de personnes en attentes de logement social. Il peut aussi s’agir de personnes en difficulté, parfois d’origine étrangère, et ayant du mal à s’intégrer. Sont aussi pris en compte les différents parcours résidentiels et locatifs, leur situation matérielle et les éventuelles difficultés auxquelles ils font face. C’est en général face à des problématiques particulières, perte d’emploi, perte d’un logement privé, loyer trop élevé, que HH aura un rôle à jouer. D’une certaine manière, les responsables de la sélection cherchent à s’assurer que cette personne a vraiment besoin d’eux. On a donc affaire à une population choisie, dont le critère principal est le faible niveau de ressources, « le premier critère va être les ressources » (F. Souverain) et dans une moindre mesure, les difficultés en tout genre. Les candidats sélectionnés n’appartiennent pas seulement aux classes populaires mais sont aussi des personnes en difficulté, que ce soit à trouver un emploi ou un logement, souvent exclues socialement et spatialement. Dans un premier temps, la mission d’HH sera de trouver un logement qui correspond à la fois aux besoins et aux moyens du ménage. Un diagnostic social permet d’évaluer les difficultés réelles du ménage, mais aussi ses ressources : « c’est la différence avec une régie classique, on va prendre en compte tous les revenus, CDD, minima sociaux, prestations de la CAF… » (F. Souverain). Un logement lui sera proposé, que celui-ci aura le droit de refuser. Il pourra donc choisir son logement, en fonction de ses caractéristiques 24 et du contexte local. Dans un deuxième temps, une procédure d’accompagnement sera mise en œuvre, selon la situation de la personne, et selon qu’elle a besoin ou non d’un accompagnement, qui sera mis en place avec des travailleurs sociaux et des bénévoles s’ils estiment que la personne a besoin d’aide pour remplir des papiers, apprendre le français ou simplement besoin d’un bénévole pour l’accompagner dans ses sorties. Ce suivi a pour objectif d’accompagner le locataire vers une meilleure insertion : « on va évaluer la « faculté » de cette famille à accepter un accompagnement, et puis à faire que cet accompagnement puisse faire évoluer cette famille. » (F. Souverain). Concrètement, ce suivi peut prendre différentes formes, par exemple aider la personne dans ses démarches administratives, à trouver un emploi, ou plus simplement l’accompagner dans ses sociabilités, comme aller au cinéma, au musée. Une des particularités d’HH est d’avoir une gestion locative adaptée à ses locataires, de façon à être beaucoup plus proches d’eux, faire en sorte qu’il y ait une bonne appropriation du logement, trouver des solutions en cas d’impayé ou de problèmes techniques dans l’appartement, sans faire appel à une entreprise mais à un bénévole bricoleur qui peut résoudre le problème avec le locataire. Il y a donc une vraie volonté de prise en charge. Ces accompagnements n’ont pas de limite dans le temps. De même qu’il n’y a pas de durée de bail définie, les accompagnements peuvent se poursuivre sur plusieurs années. On aurait aimé prendre en compte l’impact de ce suivi dans le développement des sociabilités des enquêtés, et plus largement dans leur insertion, mais on précise d’emblé qu’aucun des locataires interrogés au cours de l’enquête ne suivaient actuellement d’accompagnement, et seulement deux en avaient bénéficié pour une très courte durée à leur entrée chez HH. Il y a chez HH une volonté de lutter contre l’isolement, à la fois spatial et social. Leur action en terme d’insertion est double, elle passe par le logement dans un premier temps, puis par un accompagnement individuel et personnalisé. Les conditions d’acquisition-conventionnement de leurs logements, dépendants de propriétaires qui acceptent de leur confier leur bien, entraine une multiplicité des contextes résidentiels et permettent des comparaisons entre des situations différentes de mixité sociale. Les logements gérés par l’association à l’échelle du Grand Lyon se situent dans des quartiers très différents, peuplés par des habitants très diverses, que ce soit dans les beaux quartiers de Lyon ou des quartiers plus mixtes. Les locataires interrogés se répartissent entre le 6ème arrondissement d’une part et le quartier des pentes de la Croix-Rousse, et celui de Confluence d’autre part. 25 1.3.2 Le diffus, une action de mixité originale Le cas qui nous intéresse ici est né de la volonté d’une association à favoriser l’insertion sociale par le logement. Il n’est donc pas un mouvement naturel, ni une action publique. L’action concrète d’HH passe par l’acquisition ou la construction de logements destinés à accueillir des catégories populaires dans des quartiers où les prix du marché ne leur permettent plus de s’installer, ou aux anciennes de rester dans leur logement. Le cas du « diffus » en particulier a l’intérêt d’être une mesure discrète, évitant les effets les plus visibles d’une politique volontariste de mixité, et pouvant se soustraire a d’éventuels effets d’évitement, ou de domination symbolique de la part des autres résidants. On peut supposer qu’en tant que mesure originale de mixité, ses effets seront différents de ceux observés dans d’autres cas abordés en sociologie. On verra pourtant que la cohabitation forcée au sein d’un même immeuble a des effets multiples sur l’organisation de la vie sociale chez les individus, ne correspondant pas toujours aux attentes bénéfiques du vivre ensemble, et que ces effets varient beaucoup selon les contextes d’habitat et les trajectoires individuelles de chacun. On l’a dit, cette opération dépend largement de l’offre de logement de la part des propriétaires « solidaires » qui auraient la volonté de confier la gestion de leur bien à Régie Nouvelle. En conséquence, la répartition des logements « en diffus » à l’échelle de Lyon se fait de manière aléatoire, entrainant une grande diversité. La captation de ces logements se fait par des mesures incitatives, notamment par la prise en charge des travaux jusqu’à hauteur de 95% grâce à des subventions. Elle se base aussi sur la notoriété d’HH et de son fondateur, en particulier sur Lyon. L’autre opération concernant des logements individuels chez HH, dite « groupée », implique un contexte d’habitat où des immeubles entiers sont peuplés par des locataires HH, et où la mixité se fait moins dans le cadre de l’immeuble mais plus dans celui du quartier. Cette opération est étudiée en détail par Loïc Bonneval dans le cadre de l’enquête sur le vivre ensemble initiée par HH, et ne fait donc pas partie de ce mémoire. 26 1.4 Méthodologie et échantillon 1.4.1 Une enquête ethnographique avant tout Pour répondre à la problématique énoncée précédemment, en tenant compte des contraintes de temps et d’accès au terrain, la méthode employée ici est la méthode qualitative par entretiens semi-directifs. Le choix de cette méthode, plutôt que l’enquête quantitative par questionnaires, s’est imposé pour deux raisons. La première tient à la volonté de recueillir par le discours des éléments de parcours de vie, de trajectoire individuelle, de mode de vie et d’habiter, d’éléments biographiques enfin, qui auraient été plus limités par questionnaires, et qui n’aurait pas permis de reconstituer le parcours de chacun dans leur ensemble. C’est une raison purement pratique. On aurait très bien pu interroger les sociabilités des locataires par questionnaire et obtenir des résultats satisfaisants, mais on n’aurait pas su qui sont ces personnes logées par HH, ni ce que leurs trajectoires de vie peuvent nous apprendre sur leurs relations sociales. La seconde raison est plus personnelle. Elle vient d’une volonté de rencontrer, et donc connaître, voir et entendre, les personnes qui sont le sujet de ma recherche et de répondre aux questions que je me posais : « mais qui sont ces personnes ? Pourquoi habitent-elle ici ? Ressemblentelles vraiment à ce que j’imaginais avant de commencer cette enquête ? ». Même si le sociologue n’est pas « l’ami du genre humain » comme l’a si bien dit Peter L. Berger (2006), j’estime qu’il doit être guidé par une certaine passion qui ne le pousse pas seulement à étudier un sujet parce que c’est son métier, ou son intérêt, mais parce qu’il doit, ou devrait avoir envie de connaître et comprendre les individus au delà de son cadre d’étude. J’ajouterais une troisième raison à ce choix qui est l’existence en parallèle de mon enquête de celle menée par Loïc Bonneval et ses étudiants de manière quantitative sur les logements groupés. J’ai privilégié au cours de l’enquête l’utilisation de l’entretien ethnographique comme technique par rapport à l’observation pour des raisons pratiques. Il n’était tout simplement pas possible d’observer les rapports des individus avec leurs voisins. Cependant l’observation n’est jamais totalement absente, et dans une enquête comme celle-ci, j’ai eu l’occasion d’observer, avec circonspection, l’environnement des locataires que j’ai interrogés. Ces observations sont rapportées sous formes de notes au début de mes retranscriptions d’entretien. Elles n’ont pas pour vocation d’expliquer, ou d’engendrer un 27 « effet de réel » et de faire passer l’enquêteur pour Balzac ou tout autre romancier réaliste du XIXème siècle, ou encore pour un explorateur de contrées exotiques (Beaud, Weber, 2003, p. 146). Ces notes servent seulement à fournir une description du cadre de l’entretien et des lieux que j’ai pu visiter, et quelques traces de l’histoire de leurs propriétaires. J’ai voulu limiter l’impact de ces notes d’observation pour éviter toute tentation d’extérioriser des sentiments négatifs ou de compassion à l’égard de mes enquêtés qui auraient pu entrer en contradiction avec la rigueur scientifique exigée pour ce travail. J’ai un temps pensé à utiliser la technique du carnet de bord utilisée au cours de l’enquête « Contacts » en complément des questionnaires. Cette technique repose sur la prise en notes par chaque enquêté, au fur et à mesure des évènements de sociabilités survenus au cours d’une semaine sur un carnet. Mais j’ai pensé ensuite que je pouvais interroger les enquêtés sur la forme et l’intensité de ces sociabilités au cours des entretiens, et recueillir celles qui avaient eu lieu récemment. Le choix de la technique à utiliser pour cette enquête est naturellement tombé sur l’entretien compréhensif. Comme le dit Jean-Claude Kaufmann (2013), c’est une méthode économique et facile d’accès, « il suffit d’avoir un petit enregistreur, un peu d’audace pour frapper aux portes, de nouer la conversation autour d’un groupe de questions, puis de savoir tirer du « matériau » des éléments d’information et d’illustration des idées que l’on développe » (2013, p. 9). J’ai choisi une méthode d’entretien semi-directive, méthode intermédiaire entre l’entretien directif qui laisse peu d’initiative à l’enquêté, et l’entretien non directif, moins précis. L’objectif était d’obtenir un certain nombre de réponses sur des situations assez similaires, et de pouvoir les comparer avec celles d’autres enquêtés. J’ai donc rédigé un guide d’entretien5, que j’ai suivi avec plus ou moins de rigueur au cours des entretiens. L’idée de départ n’a jamais été non plus de constituer un échantillon représentatif. On verra plus loin dans le dispositif d’enquête que les personnes ont été interrogées de façon très aléatoire, voire hasardeuse. Pour Stéphane Beaud et Florence Weber, les entretiens « n’ont pas pour vocation d’être « représentatifs ». » (2003, p. 156). Chacun est unique, apportant un point de vue singulier, et répond dans une certaine mesure à la problématique. Seule l’introduction d’un élément de comparaison entre situations semblables permet de dégager quelques régularités. Dans le cas présent, il s’agit dans la comparaison entre deux contextes d’habitat, de façon qu’il n’y ait pas une trop grande hétérogénéité entre les personnes interrogées. Pour cette raison aussi, le nombre d’entretien 5 Voir en annexes 28 à atteindre n’avait pas été fixé à l’avance. Je l’avais estimé à une dizaine avant de commencer l’enquête de terrain, il m’a fallu revoir ce nombre à la baisse devant la difficulté d’obtenir des entretiens, et la masse de travail que l’analyse représentait compte tenue du temps dont je disposais. J’avais aussi commencé par interroger les personnes suivant les adresses qu’on m’avait données, en ayant l’idée d’interroger une personne par arrondissement de Lyon, et éventuellement un dixième à Villeurbanne. C’est seulement en cours d’enquête que je me suis rendu compte de la difficulté que cette méthode représentait en terme de comparaison, c’est donc à ce moment que j’ai circonscrit mes personnes à interroger à seulement deux zones d’habitat. Les questions posées au cours des entretiens portent sur les sociabilités des locataires HH selon un ordre de grandeur spatiale : celles liées au logement, au voisins, au quartier et à la ville. Elles interrogent aussi les différentes trajectoires individuelles des individus, parcours résidentiel, professionnel, et les différents composants de leur réseaux relationnels : amis, famille, collègues, autres. Enfin, elles s’intéressent aux modes et aux pratiques de vie, liées ou non à leur environnement. Quelques lectures m’ont aidé à me préparer aux situations d’entretien. L’article de Gérard Mauger (1991) sur l’enquête en milieu populaire s’intéresse aux conduites à prendre ou à éviter lors d’enquêtes avec des acteurs socialement en bas de l’échelle. Il souligne que l’arrivée de l’enquêteur sur le terrain n’est pas attendue de la part des enquêtés, et est souvent perçue comme une intrusion. L’enquêteur est perçu comme étranger, issu d’un monde que beaucoup ne connaissent pas. Ce rapport peut produire une situation de malaise : l’enquêteur essayant de se faire passer pour « un des leurs », de se camoufler et d’adopter un langage similaire à celui des enquêtés, ou l’enquêté peut subir une forme de pression, avoir du mal à parler, à se confier au sociologue en ce que sa parole n’est en général valorisée nulle part en-dehors de son milieu, et opérer un repli sur soi. Cette interaction amène à des situations conflictuelles, à « une lutte implicite » opposant deux définitions, et donc deux attendus de la situations : « enquêteur et enquêté agissent sur la situation en y projetant la définition, implicite ou explicite, qu’ils en ont, et tentent de modifier la réalité conformément à leur représentation de la situation » (Mauger, 1991, p. 130). Le terreau du sociologue reposant dans le discours, l’enquêté peut éventuellement avoir peur d’être jugé, testé, évalué, suivant une logique de « pertes et profits symboliques ». Dans ce cas l’amalgame risque d’être commis entre s’ajuster et se camoufler, aider, guérir ou examiner, entre utiliser ses compétences sociales afin de mettre à l’aise, s’ajuster, ou bien créer une fausse identité, dans le faux espoir de s’approcher de 29 l’enquêté, mentir et se mentir donc, au risque de « se griller » auprès de lui. C’est avec ce type de situation, par nature asymétrique, que le sociologue est amené à composer. Même si quelques hypothèses ont été formulées, la vocation de ce travail reste essentiellement inductive. Il cherche à montrer plus qu’à démontrer. Cette enquête est donc avant tout une enquête ethnographique, cherchant à observer les pratiques de sociabilité des ménages logés par HH dans une situation particulière de mixité. Elle utilise comme technique de terrain l’entretien semi-directif, qui vise à rapporter les discours et les récits de vie des personnes interviewées, mais aussi à connaître et comprendre une partie de cette population. L’échantillon de population n’a en effet aucune valeur représentative. On verra que les résultats qui s’appliquent à certains enquêtés ne s’appliquent pas forcément à d’autres, et qu’il est fort à parier qu’il en est de même pour le reste des locataires HH. On va maintenant présenter le dispositif d’enquête. 1.4.2 Un dispositif d’enquête en mouvement Les rencontres avec les locataires HH se sont espacés entre le mois de février et le er 1 mai, date du dernier entretien réalisé. Au total, huit entretiens semi-directifs ont été réalisés, dont deux réalisés avec deux personnes. Une moitié des personnes interviewées habitent le 6ème arrondissement, les autres habitent dans le 4ème, dans le 2ème, et dans le 1er. Les personnes interrogées ont toutes en commun d’être des locataires HH vivant en logements en diffus isolés. Au tout début de mon travail de recherche, j’ai d’abord pensé faire des entretiens avec des locataires HH et leurs voisins d’immeuble, ce qui auraient représenté deux ou trois entretiens pas immeubles. Cette technique aurait permis de croiser les sociabilités selon les deux catégories d’habitant, dans une optique de comparaison entre sociabilités des locataires HH et celles des voisins d’un même immeuble. Même si cette opération était tentante, elle présentait un intérêt moindre en terme de rencontres avec des locataires HH, et a donc assez vite été écartée. C’est par souci de rapprocher ces personnes que j’ai réduit mon terrain d’étude aux deux zones déjà citées, suivant par là les conseils apportés par mes enseignants ainsi que mes collègues étudiants. Pour repérer les adresses où trouver des locataires, des listes d’adresses dans la zone du Grand Lyon m’ont été fournies par HH avant le début des entretiens. Les locataires HH figurant sur ces listes sont majoritairement répartis dans les neufs arrondissements de Lyon, confirmant la vocation d’HH à insérer spatialement leurs locataires. Comme initialement je n’avais pas de cadre prédéfini, je pensais interroger un locataire par arrondissement, j’ai donc commencé par 30 ceux que je connaissais le mieux, le 4ème et 1er d’abord, le 6ème et le 2ème ensuite. C’est au bout de quatre entretiens que j’ai pris la décision de resserrer mon terrain à deux zones. J’ai donc pris le 6ème arrondissement comme zone privilégiée, à comparer avec une zone plus mixte, Croix-Rousse et les Pentes. J’avais déjà réalisé un entretien près de Perrache, au sud des voies ferrées, dans ce qui correspond au quartier Sainte-Blandine. Comme je ne voulais pas perdre cet entretien, je l’inclus donc dans la zone « mixte ». La prise de contact avec les locataires s’est faite de différentes manières. J’ai rencontré ma première enquêtée après avoir laissé un mot dans le hall de son immeuble, prétextant une enquête sociologique sur les relations de voisinage dans l’immeuble, en omettant bien sur la spécificité HH. Je n’ai pas été satisfait de cette méthode, à la fois pour des raisons pratiques et éthiques. Pratiques parce qu’elle ne me permettait pas de m’étendre sur les liens créés avec HH, ou dans le cadre de l’accompagnement, sans paraître « suspect », ou tout du moins, sans éprouver la crainte de me « découvrir ». Ce qui conduit aux raisons éthiques, liées aux fait que je n’ai pas apprécié de devoir dissimuler mon véritable sujet de recherche, surtout lors de la discussion informelle qui a suivi l’entretien, et ainsi de me retrouver dans une situation de gène. Ne pas dire la vérité à la personne enquêtée revient à me mentir à moi-même, et à cacher les vraies raisons qui m’ont poussé à faire ce travail. J’ai donc opté pour la méthode plus « directe », ou à découvert. Je suis donc allé d’immeubles en immeubles dans l’espoir de décrocher des entretiens avec ces locataires. Une des difficultés majeures a été l’accès à ma population, du fait de la présence des codes à l’entrée des immeubles. Elément mineur en apparence, auquel on ne pense pas assez, mais qui se révèle épuisant physiquement et moralement, quand après avoir fait le tour d’un arrondissement et attendu plusieurs quarts d’heure devant chaque porte, on a finalement rencontré personne. Au final, ça ne m’a pas vraiment empêché d’accéder aux personnes : sur huit personnes rencontrées, environ quatre habitaient des immeubles avec codes, les autres avaient des interphones. Mais cet élément a eu une incidence sur les personnes choisies pour les entretiens, introduisant une variable aléatoire beaucoup moins présente quand les immeubles sont dotés d’interphones. A cela s’ajoute bien sur les refus, qui n’ont pas été très nombreux, peut-être quatre ou cinq sur l’ensemble des personnes rencontrées, et les absences. Dans ce dernier cas, j’ai régulièrement laissé des mots dans les boites aux lettres expliquant ma démarche et mon but, et contenant mes coordonnées pour me joindre. A ma grande et heureuse surprise, 31 deux de mes entretiens ont été obtenus de cette façon. J’en conclu qu’il ne faut laisser passer aucune chance. Les entretiens ont tous été réalisés au domicile des personnes interrogées, et presque tous après avoir fixé un rendez-vous, donc en deux temps. Seul le dernier entretien a été réalisé immédiatement après la prise de contact (on était le 1er mai), quand après avoir sonné à l’interphone et m’être présenté, le couple de locataires m’a invité à monter directement pour faire l’entretien. Tous ont été réalisés dans de très bonnes conditions, malgré parfois quelques interruptions provoquées par l’arrivée inopportune d’un ami, d’un parent, du chien ou du chat. L’accueil qui m’a été fait par ces personnes dans leur domicile, dans leur intimité, a été dans un sens extraordinaire puisqu’elles auraient légitimement pu se sentir agressé par ce que ma position « d’apprenti chercheur », d’étudiant en second cycle faisant un mémoire, pouvait contenir de violence symbolique. Bénéficiant de conditions particulièrement favorables, j’ai pu me sentir assez à l’aise dans la conduite de la plupart des entretiens, allant même jusqu’à me passer pratiquement du guide lors des derniers. Certains s’apparentent même à des conversations orientées. On l’a dit les locataires interrogés sont répartis pour moitié dans le 6ème, les autres un peu plus disséminés au nord et au sud de la Presqu’Île. Un plan en annexe permet de voir la situation géographique de chaque enquêté. On l’a dit aussi, le recours à la comparaison de deux contextes d’habitat s’est fait en milieu de parcours, et intègre donc les entretiens réalisés auparavant dans un objectif différent. Ceci explique l’isolement par rapport aux autres de l’entretien n°4 (Ali et Nathalie) au sud de Perrache. On se demande donc comment réagissent des locataires dans des contextes d’habitat différents, et comment ils réagissaient dans un même contexte (ceux du 6ème d’un coté) et comment d’autres réagissait dans des contextes asses similaires mais tout de même différents (les autres). On verra dans la partie consacrée aux résultats si cette méthode a été pertinente ou non. L’échantillon comporte dix personnes interrogées, réparties sur huit entretiens. Sept sont des femmes, et trois des hommes. Une des personnes interrogée au cours d’un entretien, Nathalie, n’est pas à proprement parler locataire chez HH, puisqu’elle est hébergée par Ali et n’a pas signé de bail. Ce qui se dégage de l’échantillon est la grande hétérogénéité de le population à tous les niveaux : âge, ancienneté, diplôme, type de bail, composition du ménage. Les seules données disponibles avant les rencontres étaient le type 32 de bail, et l’ancienneté d’installation. A cause des raisons évoquées plus haut (code, refus, absence), il n’était pas évident de sélectionner les individus selon des critères communs. Certaines caractéristiques communes existent cependant, comme des revenus modestes pour la plupart. On présentera plus longuement les enquêtés dans la deuxième partie, mais on peut d’ores et déjà donner un tableau présentant les caractéristiques principales des enquêtés. Tableau 1 : Caractéristiques principales des enquêtés N ° Locataire Age Adresse logement Arrondissemen t Ancienneté (Année) Type de bail 1 Alice 65 Rue de Cuire 69004 4 Libre 2 Monique 47 Rue Masséna 69006 17 PLAI 3 Lydie Rue Burdeau 69001 3 Très Social 4 Ali et Nathalie 31 A: 42, N: 50 Quai Perrache 69002 3 PST 5 Michelle 40 Rue Vauban 69006 7 PLAI 6 Christophe 43 Rue Robert 69006 15 Libre 7 Stéphanie Jean‐Paul et Hilda 51 Quai Sarrail Rue René Laynaud 69006 10 PLAI 69001 2 PLAI 8 63 et 58 Types de Bail : PLAI : Prêt Locatif Aidé d’Intégration PST : Programme Social Thématique 33 2. Analyse de la situation des locataires HH habitant en logements isolés L’objet de cette partie est de voir ce qu’ont produit les entretiens réalisés avec ma population en terme de connaissances des pratiques objectives de sociabilités et des positions subjectives des individus par rapport à leur situation actuelle de mixité imposée. En terme de contenu, les entretiens ont permis une exploration des réseaux relationnels, de récits biographiques, et aussi du sens que les individus donnent à leur situation actuelle et à leurs pratiques. Suivant le déroulement de l’enquête, les résultats seront articulés par terrains observés, par comparaison entre quartier aisé et quartier mixte. On verra que si on observe des variations de sociabilités entre les deux zones interrogées, le contexte d’habitat seul ne suffit pas à expliquer ces différences. Parmi les différentes variables croisées pour les expliquer, on verra que les propriétés sociales combinées avec les trajectoires sociales et résidentielles des individus influencent fortement la manière dont ces locataires perçoivent leur environnement et s’insèrent dans celui-ci. L’approche par les différentes positions sociales des enquêtés, leurs différences de revenu, ou de diplôme, éclaire peu sur les rapports qu’ils entretiennent avec leur environnement, et dans une plus large mesure, sur leur expérience de mixité. Les différences sociales entre les enquêtés sont peu nettes, et trop disparates, et montrent l’importance de reconstituer les trajectoires sociales et résidentielles ainsi que les lieux de socialisation des habitants. Cette partie abordera dans un premier temps l’analyse des pratiques objectives de sociabilités telles qu’elles m’ont été rapportées, et dans un deuxième temps les positionnements subjectifs des individus par rapport à leur situation et leur perception de l’espace. Mais avant de passer à la partie analyse proprement dite, et dans un souci de contextualisation des données, on présentera de manière succincte l’échantillon de population interrogé et ses caractéristiques, ainsi que la typologie des quartiers enquêtés. 34 2.1 Echantillon et contextes 2.1.1 Des caractéristiques sociodémographiques variées Tableau 2 : Caractéristiques sociodémographiques des enquêtés N Locata ° ire Age Profession Revenu mensu el (€) 1 Alice 65 Aide à domicile 1100 ‐ 2 Moniq ue 47 Fonctionnaire (Sécurité Sociale) 1200 ‐ Dernier diplôme Brevet de secrétariat, de comptabilité Aucun, a arrêté l'école en CM1 31 Aide à domicile (actuellement en arrêt pour congé maternité) 1000/1 100 P: Enseignant à l'université (droit), M: Bac 1100+1 100 (A) P : Assistant médical, M : Femme au foyer ; (N) P : Gaufreur, M : Femme au foyer ‐ P: Financier, M: Femme au foyer 2000 P et M : Forains 1250 P: Cadre, M: Employée A: Licence en lettres Master 2 en droits de l'homme Doctorat, Post‐doc Bac pro service 1200+6 00 (JP) P: inconnu, M: Femme au foyer, (H) P: Menuisier, M: Femme au foyer JP: Diplôme de cuisinier, H: Hôtellerie 3 Lydie Ali et A: Nathal 42, 4 ie N: 50 Michel le Christ 6 ophe Stépha nie 7 5 Jean‐ Paul et 8 Hilda 40 43 51 JP : 63 ; H: 58 A: étancheur, N: Employée dans une usine de chiffon Ancienne auxiliaire de vie scolaire actuellement en reconversion Enseignant chercheur à Lyon 1 (Chimie) Employée service client (Fnac) JP: Cuisinier, Hilda: Invalide Profession des parents Vit en coup le Enfant Non Non Non Oui Non 1 (5 ans, handicapé), enceinte d'un second A: non, N: 3 enfants, qui vivent chez leur père Non 1 (11 ans) Oui 1 bébé de 6 mois Non 1 (18 ans) Oui 5 (dont 1 qui vit à la maison) Non Mon échantillon se compose de sept femmes et de trois hommes. Excepté les femmes interrogées en même temps que leur conjoint, les autres sont des femmes seules, dont trois ayant un enfant à charge. L’âge des personnes interrogées varie de 31 à 65 ans, dont 9 sur dix ont quarante ans ou plus. L’ancienneté d’habitation des personnes présente de grands écarts (voir tableau 1), la plus ancienne est là depuis 17 ans tandis que les plus récents sont arrivés il y deux ans. On voit aussi que les locataires du 6ème arrondissement sont en moyenne installés depuis plus longtemps que les autres. On trouve quelques professions assez similaires, comme celles tournées vers l’aide à la personne et l’aide sociale (Alice, Monique, Lydie, Michelle), les employés du privé (Ali, Nathalie et Stéphanie) ou du public (Jean-Paul et Christophe). Christophe en tant qu’enseignant chercheur apparaît comme une exception tant par son niveau de diplôme que par son revenu. Les revenus des enquêtés, sauf pour Christophe et Michelle, sont assez similaires, de l’ordre de 1200 euros par mois, ce qui les place en-dessous de la moyenne (36190 35 euros) et de la médiane nationale des revenus (29330 euros) pour 20126. Ils sont aussi nettement en-dessous du revenu net moyen déclaré par foyer fiscal à Lyon en 2011 qui est de 28 159 euros, encore plus loin de celui du 6ème arrondissement qui est de 42 621 euros la même année7. Quelques statistiques obtenues sur le site de l’Insee sur les arrondissements de Lyon qui nous intéressent sont disponibles dans la sous-partie suivant, dans le tableau 3. Les origines sociales de cette population sont aussi diverses, bien que certaines nous sont inconnues (soit refus d’en parler, soit pas questionné). Lydie, Michelle, ou Stéphanie sont plutôt issues des classes moyennes ou aisées, tandis que les autres proviennent de milieux plus modestes. De même, on observe une grande diversité de diplômes et de formations, allant de l’arrêt des cours en CM1 jusqu’à la thèse de doctorat. Enfin, on a aussi des structures du ménage très différentes, dont deux personnes seules, trois familles monoparentales, un couple sans enfant, et deux couples avec enfants. On a donc une population relativement semblable en terme d’appartenance sociale et de niveau de vie, marquée par des revenus bas. On voit que certains ménages sont plus marqués par la précarité que d’autres, comme Michelle qui est actuellement sans emploi et qui élève son enfant seule, ou Jean-Paul et Hilda qui ont aussi un enfant à la maison et qui vivent avec un SMIC et une pension d’invalidité. On rappel une dernière fois qu’aucun des enquêtés ne suit actuellement d’accompagnement, et qu’aucun n’a participé récemment à des évènements organisés par l’association. 2.1.2 Typologies des quartiers étudiés Comment les sociabilités des locataires HH s’agencent selon des contextes différents ? La mixité est-elle mieux vécue dans un contexte particulier ? Avant de répondre à ces questions il convient de décrire les différents contextes dans lesquels se sont déroulé les entretiens. Une première zone a été privilégiée en interrogeant des locataires dans le 6ème arrondissement de Lyon. Les données obtenues par l’Insee nous apprennent que cet arrondissement est le plus riche de Lyon en terme de revenu net moyen par foyer fiscal, environ 42000 €/an, alors qu’il n’est que de 28000 €/an en moyenne pour Lyon. La structure de la population en 2011 est celle d’un quartier aisé, avec 24,2% de cadres et professions intellectuelles supérieures contre 14,6% d’ouvriers et d’employés, alors que 6 7 Source : Insee Source : Insee 36 ces mêmes populations représentent 17,6% pour les premières et 22,8% pour les secondes à l’échelle de Lyon. Le marché de l’immobilier est aussi un indicateur intéressant. Le prix au mètre carré pour un appartement est plus élevé en moyenne dans cet arrondissement (3925€) que dans le reste de Lyon (3187€)8. Le 6ème arrondissement est historiquement le quartier de prédilection de la bourgeoisie lyonnaise du XIXème siècle, et reste aujourd’hui un quartier aisé. On verra qu’il est largement perçu comme un quartier bourgeois et homogène par la population des locataires HH. Tableau 3 : Données comparatives des arrondissements 6e Arrondissement 1er Arrondissement 2e Arrondissement 4e Arrondissement Population en 2011 48 794 28 932 30 575 35 654 Densité de la population (nombre d'habitants au km²) en 2011 12 942,7 19 160,3 8 966,3 12 168,6 Superficie (en km²) 3,8 1,5 3,4 2,9 Nombre de ménages en 2011 25 643 15 385 16 060 18 02 Nombre total de logements en 2011 29 768 17 809 18 149 19 969 Revenu net déclaré moyen par foyer fiscal en 2011, en euros 42 621 25 977 36 566 31 909 Foyers fiscaux imposables en % de l'ensemble des foyers fiscaux en 2011 71,6 61,2 67,8 68,2 Médiane du revenu fiscal des ménages par unité de consommation en 2011 (en euros) 28 856 21 279 25 122 24 179 Source : Insee Les autres entretiens ont été réalisés de manière plus dispersée. Trois entretiens ont été regroupés dans une zone géographique aux caractéristiques assez semblables, les pentes de la Croix-Rousse (1er) et le Plateau (4ème). Les données sur ces deux arrondissements font apparaître des structures de population assez similaires, et on assiste à 8 Données obtenues sur le site : www.meilleursagents.com, site destiné à informer des professionnels de l’immobilier comme des particuliers pour toutes transaction immobilières à l’échelle nationale 37 une répartition plus équilibrée des différentes catégories sociales. Les catégories populaires, ouvriers et employés, sont plus présentes, de l’ordre de 19,5% de la population dans chaque arrondissement, et les cadres et professions intellectuelles supérieures se situent un peu au dessus de la moyenne, 23% pour le 1er, et 20% pour le 4ème. Les prix au mètre carré, de l’ordre de 3400 euros sont aussi en moyenne inférieurs à ceux du 6ème mais supérieurs à la moyenne de Lyon. Le dernier entretien a été réalisé dans le quartier Sainte-Blandine, au sud la gare Perrache, dans le 2ème arrondissement. Comme cet arrondissement regroupe plusieurs morphologies et populations différentes, les statistiques ne seront pas très pertinentes pour comprendre la réalité de ce quartier. On peut toutefois dire qu’il s’agit d’un quartier d’apparence modeste, coincé entre les rails de la gare et le quartier en transformation rapide de Confluence. C’est le quartier connu pour sa prostitution et son passé lié aux cheminots de la gare Perrache, qui connait actuellement une importante transformation sociale, et est en voie de gentrification rapide. Le prix de l’immobilier au mètre carré est d’environ 3400 euros, très proche des autres quartiers diversifiés étudiés. Dans tous les cas, les personnes interrogées habitent des appartements dans des immeubles de rapport plus ou moins denses. On peut voir en annexes des photos de chaque immeuble prises depuis la rue. Peu sont équipés de parties communes, comme des jardins, des locaux, propices aux rencontres et aux fêtes des voisins. La composition sociale des immeubles est dans chaque cas plus ou moins hétérogène, à part dans celui de Stéphanie. 38 2.2 Les dimensions intégratrices des sociabilités de proximité 2.2.1 Sociabilités dans le logement On se demande ici en quoi les sociabilités liées au logement conduisent à l’intégration locale des locataires HH ? Ces sociabilités peuvent être de deux types, celles pratiquées dans le logement, pour recevoir ou héberger, et celles depuis le logement. Dans l’ensemble les locataires interrogés utilisent leur logement pour recevoir et héberger à différentes échelles, et à des intensités variables. Les personnes reçues ou hébergées sont souvent des proches, les amis ou la famille, plus rarement des voisins ou des habitants du quartier. D’une manière générale, les locataires s’ouvrent peu par le logement aux personnes vivant à proximité de chez eux. On a le cas d’Alice, habitant à Croix-Rousse, qui reçoit fréquemment chez elle de façon indifférenciée ses proches ou ses voisins, ou qui se rend chez eux dans le cadre d’apéros organisés dans l’immeuble: « alors une fois par semaine, on fait un apéro où on reçoit chacun son tour ». Moins liées au contexte d’habitat, même si on constate une plus faible intensité de sociabilités dans le logement chez les locataires habitant le 6ème arrondissement, la propension à inviter des nouvelles personnes chez soi dépendent dans une large mesure des trajectoires individuelles, et dans une moindre, de la composition du ménage. On constate en effet que ce ne sont pas les locataires installés depuis le plus longtemps qui invitent le plus de nouvelles personnes chez eux, mais ceux qui ont connu dans leur passé des conditions défavorables de logement et qui perçoivent leur nouvelle situation comme une amélioration de leur cadre de vie. On a ainsi le cas d’Ali, qui a connu l’hébergement par des amis ou en foyer, et qui vivait dans un studio insalubre à la Guillotière avant d’obtenir son appartement à Perrache : « Si on compare, là bas c’était un rez-de-chaussée, un p’tit studio. Une seule fenêtre et c’est tout petit 21 mètres carrés ! Là on est à presque 40 mètres carrés », et qui maintenant reçoit autant des amis que des voisins : « Y a les voisins du dessus qui sont toujours avec nous. Bah le week-end dernier. Ils étaient là, on a mangé tous là. ». L’inverse se vérifie avec Monique, pour qui l’appréciation du logement est très négative par rapport à l’ancien : « j’me sens pas chez moi, j’me sens observée. Je suis pas en sécurité ici » et qui ne reçoit presque jamais chez elle et n’envisage pas de le faire : « Quand j’aurai un nouveau logement, j’aurai du plaisir à recevoir les gens. ». 39 On observe aussi la logique de cumul déjà citée par François Héran (1988). Ceux qui reçoivent des nouvelles personnes chez eux, notamment leurs voisins, sont ceux qui ont des réseaux relationnels préexistants et étendus. On retrouve Alice, originaire de Lyon, qui a des cercles très étendus de famille et d’amis dans l’agglomération de Lyon, mais aussi dans d’autres villes de France, et qui reçoit et fréquente intensément ses voisins. Mais l’inverse n’est pas forcément vrai. On a ainsi le cas de Christophe, originaire la région lyonnaise, qui privilégie ses anciens réseaux plutôt que la constitution de nouveaux : « j’ai des amis d’enfance qu’habitent à cinq pâtés de maison, j’ai la plupart de mes amis qu’habitent à la Croix-Rousse, j’ai pas de besoin de… déjà j’arrive pas à voir mes amis ». La composition du ménage joue ici un rôle important dans la compréhension des dispositions de chacun à étendre ou non ses réseaux relationnel. Comme Christophe, jeune marié et papa, les locataires ayant des enfants à charge, jeunes ou plus âgés, ouvrent moins leur logement vers l’extérieur, et favorisent davantage les réseaux anciens, constitués de proches. Ici, la composition du ménage rejoint les trajectoires individuelles et familiales, et explique qui on reçoit chez soi. Ainsi, Jean-Paul et Hilda, originaires des Seychelles, reçoivent plutôt leurs enfants et dans une moindre mesure leurs amis : « Souvent, bon, c’est les enfants qui viennent. Après parfois on a des amis, on fait un p’tit repas entre nous. Sans plus. ». Lydie et Michelle, qui ne sont toutes les deux pas originaires de Lyon, reçoivent surtout des amis ou des collègues. Mais ces sociabilités sont beaucoup moins intenses que celles observées chez Alice ou Ali. Sauf pour ces deux derniers, la mobilité résidentielle chez les locataires interrogés s’accompagne rarement d’une recomposition des sociabilités locales et de l’émergence de liens de proximité depuis le logement. De manière générale, les enquêtés privilégient les relations qu’ils ont créé en dehors du cadre du logement, dans un contexte non spatialisé, et invitent chez eux souvent des amis, de la famille, ou des collègues, mais s’ouvrent moins à leur voisins. Les réceptions dans le logement obéissent ainsi à une hiérarchisation des relations. Mais l’intensité de ces réceptions est souvent faible, de l’ordre d’une fois par mois pour certains, aucune pour d’autre, et rejoignent en partie les études menées à ce sujet selon lesquelles les réceptions se hiérarchisent selon les milieux sociaux, et sont moins fréquentes et plus limitées aux intimes dans les milieux populaires qui reçoivent (Grafmeyer, 1997, p. 50). Comme Grafmeyer (2001, p. 122), on constate aussi que les plus anciennement installés sont ceux qui reçoivent et hébergent le moins. On verra dans les parties suivantes les autres aspects des sociabilités de proximité, qu’elles soient liées au voisinage ou basées sur des liens de proximité en dehors du voisinage. 40 2.2.2 Comment les locataires HH voisinent ? Les relations de voisinage constituent un indicateur de choix pour mesurer et appréhender le vivre ensemble. Par définition, elles sont directement induites par la proximité résidentielle, et donnent un aperçu de la façon dont les individus organisent leurs relations de proximité. Dans une situation de mixité par le logement, elles fournissent un indicateur important pour mesurer l’insertion des ménages les plus démunis. La notion de voisin était généralement laissée à l’appréciation des personnes interrogées (dans l’immeuble ou à l’extérieur). Dans l’ensemble, les locataires HH déclarent avoir peu de relations avec leurs voisins. Celles-ci sont souvent décrites comme une absence de fréquentation : « On se fréquente pas » (Michelle), « Bah je les connais pas. A part deux ou trois mais c’est tout. » (Monique), ou par des rencontres sur le pallier ou dans les escaliers : « Mais les voisins, on voit des fois, parfois on les rencontre dans l’escalier. » (Jean-Paul). Elles se limitent souvent à des saluts ou des simples conversations : « et puis se croiser comme ci comme ça bonjour, bonsoir » (Lydie), « Y en a un qui discute en bas, un monsieur qui discute un peu, après y a un monsieur qui discute en haut, sinon les autres il disent bonjour comme ça. » (Hilda), « On se connaît, on se dit bonjour dans le couloir, parce qu’on se fréquente pas tellement » (Michelle), « le peut qu’on se voit c’est bonjour, bonsoir » (Nathalie). Si de manière générale tous les locataires souhaiteraient rencontrer plus de voisins, ils font face à des difficultés liées au contexte d’habitat, comme l’absence de parties communes pour rencontrer ses voisins : « c’est à dire que quand vous avez pas de petit jardi en collectivité dans l’immeuble où les gens peuvent s’asseoir le soir, discuter. Qu’est-ce que vous voulez faire ? Je vais pas aller m’asseoir sur une bagnole en bas dans la rue quoi. » (Christophe), mais aussi liées à la situation sociale des personnes : « Bah on s’voit pas beaucoup quoi. C’est ça quoi, comme c’est un bâtiment où tout le monde bosse, tout le monde travail, donc on arrive pas à la même heure. » (Nathalie). Même si ce n’est pas majoritaire, on trouve quand même des locataires avec des relations de voisinage très développées, comme Alice, pour qui les réceptions avec les voisins s’accompagnent de sorties : « Bah mes voisins du 3ème ils ont un petit chien, donc c’est souvent même le dimanche qu’on part ensemble, se balader. On a été aux illuminations ensembles, enfin je sais pas on a fait deux trois trucs ensemble », et aboutissent à la création de liens fréquents : « parce que si on voit pas quelqu’un depuis un ou deux jours, on va sonner pour voir s’il y pas de souci quand même. Parce que bon y’a 41 des personnes qui sont âgées, et seules » et étroits : « Moi j’ai donné mon téléphone à tout le monde. J’ai dit « comme ça s’il y’a quoi que ce soit vous m’appelez hein, y’a pas de problème » ! ». On observe dans ce cas des liens avec les voisins de natures multiples, discussions, échanges de services, sorties, réceptions et invitations, qui témoignent d’une pleine intégration d’Alice avec les personnes à proximité. Elle est aussi la seule pour qui la notion de voisin ne se limite pas aux seuls voisins d’immeuble, mais englobe les habitants du quartier : « Bah je dirais, oui les habitants, enfin, un petit peu tout le monde ». On peut supposer qu’un immeuble ayant une composition sociale mixte, peuplé par des populations socialement différentes, réduit les écarts sociaux et favorise par conséquent l’émergence de liens étroits de proximité. A l’appui de cette hypothèse, on observe des cas de cohabitation avec un groupe homogène, comme celui de Stéphanie, habitant un immeuble situé sur les quais du 6ème arrondissement et peuplé en majorité par des personnes appartenant à la même classe sociale supérieure, des « notaires » et des « avocats ». Le logement est ici reconnu, c’est le seul cas qu’il m’est été donné de voir, par les anciens habitant comme logement social : « Oh ben c’est sur, ils savent que c’est un logement social. Enfin tout le monde est au courant que c’est loué par HH. ». L’existence d’une différence entre milieu sociaux, mais aussi la connaissance de cette différence, débouche sur des effets stigmatisant de mise à l’écart : « jamais je serai invitée à aller boire un verre chez les gens en face », et des situations conflictuelles : fracture de boite aux lettres, jet d’œufs sur le pare-brise : « Puis après un œuf, lancé sur mon pare-brise. Tout ça parce que ma voiture est restée trois jours dans l’allée ». On constate une forme de régulation de l’espace résidentiel de la part des anciens habitants, similaire à celle observée dans les beaux quartiers parisiens par Lydie Launay (2014). Cette situation conduit à une perception négative des voisins : « Bah y a des gens qui sont vraiment cons ! », « Encore une fois quand les gens sont cons, ils sont cons. Je suis pas là pour les rééduquer ou leur montrer qu’ils sont cons. Ils sont cons ils restent cons. Tans pis pour eux », et des rapports existant : « Moi j’appelle ça du racisme social. », sans pour autant, on le verra ensuite, dégrader l’image du quartier. On a aussi le cas de Christophe, enseignant chercheur à Lyon 1, dans une situation de mixité inversée, qui ne se mélange pas à la population de son immeuble, composée en grande partie d’étudiants : « Mes voisins ? Non parce qu’ici c’est impossible de lier aucune relation de voisinage. Du fait que la plupart, c’est des étudiants, ça bouge énormément. Y a des déménagements toutes les années. ». On voit que les situations de cohabitation avec une 42 population homogène dans un même immeuble peuvent avoir tendance renforcer l’isolement, voire exclure les locataires HH. On constate de fait que si l’expérience de mixité marche mieux dans un contexte d’habitat déjà mixte (Ali et Alice), elle peut être plus limitée, indépendamment de comment elle est perçue, dans les quartiers plus aisés. Pour autant, les cas de cohabitation avec des populations variées au sein de l’immeuble sont plus fréquents, et ne conduisent pas mécaniquement à la création de liens entre les locataires HH et les autres habitants. Dans la plupart des cas, les personnes interrogées voisinent peu, qu’elles habitent le 6ème arrondissement ou ailleurs. Outre les caractéristiques de peuplement de l’immeuble, et plus généralement le contexte d’habitat, l’ancienneté d’installation et la composition du ménage sont des facteurs à prendre en compte. Les locataires les plus anciens, ceux habitant le 6ème, voisinent moins que ceux installés plus récemment, en terme d’intensité et de types de relations. Pour comprendre ce phénomène, il apparaît plus pertinent de prendre en compte la composition du ménage que le contexte d’habitat. On voit par exemple que les femmes seules élevant un enfant, indépendamment de leur âge ou de celui de l’enfant, fréquentent peu leurs voisins, et sont plus centrées sur les relations à l’intérieur du foyer et sur leurs réseaux familiaux ou d’amis. Toujours obéissant à une logique de cumul, on constate que les personnes qui voisinent le plus sont aussi celles qui ont déjà des relations fréquentes et variées. Pour autant, ceux qui ont des réseaux très développés ne voisinent pas mécaniquement. On observe ainsi des phénomènes de substitution (Héran, 1988, p. 15) quand les cercles de relations sont déjà abondants et que la composition du ménage ne permet plus d’en créer de nouveaux, comme dans le cas de Christophe : « Moi j’ai plus besoin… c’est pas un besoin vital d’étendre mon réseau social ». Les dispositions à élargir ses cercles de connaissance depuis son logement, et à établir des liens avec ses voisins, semblent peu liées avec la composition sociale de l’immeuble, ce qui infirme l’hypothèse énoncée plus haut. Si on peut affirmer qu’une composition plus mixte d’un immeuble est une condition favorable à la création de liens entre les habitants, elle n’est pour autant pas suffisante. Ces liens se créent quand la composition familiale le permet, comme Alice, Ali et Nathalie, n’ayant aucune autre contrainte que leur travail. Les relations de voisinage dans des situations de mixité nous permettent d’évaluer la bonne entente entre groupes sociaux différents. Mais si elles sont pratiquées de façons différenciées chez les locataires interrogés, elles ne permettent pas de mesurer pleinement leur intégration. Ainsi, on verra que les locataires ayant peu ou pas de relations avec leurs voisins ne se retrouvent pas 43 forcément dans des situations d’isolement ou de ségrégation. Dans la sous-partie suivante, on verra comment se pratique les sociabilités de quartier et comment elles se conjuguent avec les autres sociabilités. 2.2.3 Usages du quartier et sociabilités de proximité On a vu que le logement amène à construire, ou à entretenir, des relations qui ne sont pas forcément basées sur la proximité résidentielle au moment de l’enquête. On se demande ici comment les locataires HH s’investissent dans leur quartier et comment ils l’utilisent comme lieu de socialisation et d’intégration. Une partie des questions posées aux enquêtés concernait les sociabilités liées au quartier, et les usages qu’ils entretenaient dans l’espace local. Les questions portaient sur la fréquentation de lieux dans le quartier, comme les commerces, les lieux publics, les cafés, ainsi que le temps qu’ils y passaient par rapport a d’autres quartiers. Plusieurs questions portaient aussi sur les réseaux de connaissance établis à proximité. L’identification du quartier était en général laissée à l’appréciation de la personne interrogée (voir encadré plus bas). Les réponses recueillies montrent des usages différenciés selon le contexte d’habitat. Ainsi dans le 6ème, les locataires HH vont d’avantage dans les lieux publics, comme le parc de la Tête d’Or. La promenade est une pratique courante, le quartier étant reconnu comme « calme et aéré » (Stéphanie). Ils y font moins leurs courses pour des raisons de prix trop élevés, et celles-ci se font généralement ailleurs, comme au centre commercial de Part-Dieu. Même attitude en ce qui concerne le marché qu’on fait ailleurs, car il est perçu comme trop cher : « Quand j’dois faire par exemple le marché, je vais ailleurs en fait. C’est rare que je fasse le marché du 6ème, à moins que ça soit ponctuel, pour un truc » (Michelle). Les sorties entres amis ou collègues se font aussi en-dehors, vers des lieux jugés plus propices : « Et l’animation, tout ça, c’est quand même plus vers presqu’ile, qu’ici, quand même. Ici, bon. A part le café qu’est sur la place Maréchal Lyautey, on peut pas dire qu’y est des endroits animés et conviviaux. » (Stéphanie), « Mais manger un coup euh… non on essaie de sortir, d’aller découvrir. La dernière fois qu’on a mangé, on est allé à Valmy. » (Michelle). On constate peu de pratiques de type associatives ou sportives à l’intérieur du quartier. S’ils consacrent en général peu de temps dans leur quartier pour leurs activités, ils sont par contre plus mobiles, et fréquentent d’avantage d’autres quartiers. Cette mobilité se comprend par rapport à leur travail, leurs amis et familles. Les locataires habitant le 6ème sont aussi ceux qui fréquentent 44 le moins d’habitants du quartier. On peut expliquer cela par deux raisons. D’une part ils fréquentent moins leurs voisins et ne sont généralement pas reçus par eux. D’autre part, les prix élevés du quartier font que leurs réseaux de connaissances s’installent moins à proximité. Cette dernière raison a pour effet d’augmenter leur mobilité dans la ville, dans le cadre de visites. Exemple de questions posées et réponses sur l’identification du quartier par les locataires HH : « Vous diriez qu’il va de où à où ? On va dire des Brotteaux à, allez on va dire rue Vendôme. Puis on remonte, on prend le parc de la Tête d’Or et puis voilà. Ca fait plutôt un triangle qu’un carré… » (Michelle) « Pour vous votre quartier il s’étend de où à où ? Pour moi de Masséna jusqu’à la Part-Dieu, et puis après de Masséna à Tête d’or. » (Monique) Les autres locataires s’investissent différemment dans leur quartier. Le facteur prix est beaucoup moins présent dans les réponses recueillies. Le secteur pentes et CroixRousse est beaucoup mis en valeur pour son attrait, et sa composition sociale : « Oh bah moi j’aime bien euh… J’trouve que, si vous voulez, les gens sont très agréables » (Alice). On observe aussi des usages différents, liés à des possibilités variées offertes par le quartier qui se traduisent par des images plutôt positives : « j’aime bien aller dans les petites boutiques de bouquin, pour mon fils, pour moi. Ca j’aime bien… J’aime bien aller dans les boutiques de vêtement aussi parce que j’aime chercher des p’tites fringues pour mon fils. Euh j’aime bien faire le marché, j’aime bien quoi… » (Lydie), « Alors je sais qu’il y a des jardins ouvriers, je sais qu’il y a des associations de sortie, y’a des clubs de cartes, enfin je sais pas quoi, y’a plein de choses… » (Alice), « il y a des marchés, il y a le marché de la Croix-Rousse, le marché ici sur le quai Saint-Antoine. Les magasins de Croix-Rousse, c’est pareil. Il y a l’hôpital qu’est pas loin non plus, les cliniques à Croix-Rousse. On est entouré avec tout, plein de bonnes choses. Mais on est bien ici » (Jean-Paul). Les personnes interrogées passent aussi d’avantage de leur temps libre dans leur quartier plutôt qu’à l’extérieur, en particulier pour Alice et Stéphanie. Les sociabilités liées au quartier se conjuguent de manière différentes avec les autres sociabilités de proximité. Si on observe des logiques de cumul comme Alice qui cumule réceptions à la maison, rencontres avec les voisins et usages variés du quartier, les sociabilités des locataires ont plusieurs manières de s’articuler entres elles. On a le cas de 45 Monique qui reçoit très peu chez elle et qui ne fréquente pas ses voisins, mais qui passe plus de temps libre en-dehors de son logement et dans son quartier (son handicap l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant, et limite de fait sa mobilité urbaine), en allant en restaurant, au cinéma ou au parc. Dans les autres cas, les usages et les sociabilités s’articulent selon les différents réseaux de connaissances, les occasions et les motivations à vouloir découvrir de nouveaux endroits, à connaître mieux la ville. Finalement, si certaines recherches en sociologie montrent dans les grandes villes une diminution de la place du quartier dans la répartition des sociabilités : « en raison de l’éclatement spatial des agglomérations, de l’essor des mobilités de toutes sortes, ou bien encore de l’exigence croissante d’individuation des personnes, on assisterait aujourd’hui, à la fois à un affaiblissement du quartier en tant que territoire et échelle des pratiques sociales au profit du logement et de la ville, et à un affaiblissement des “sociabilités de proximité” au profit des “sociabilités de mobilité” » (Authier, 2008, p. 114), d’autres s’attachent à montrer que la réalité est beaucoup plus complexe. On voit que les sociabilités des personnes interrogées se répartissent géographiquement différemment entre leur logement, leur quartier, et la ville, et que chacun leur accorde plus ou moins d’importance selon différents facteurs. Ainsi, les usages du quartier sont plus limités dans le 6ème arrondissement à cause des prix élevés des commerces de proximité et les faibles revenus des locataires HH. Mais pas seulement. Les trajectoires individuelles, sociales et professionnelles, par lesquelles se construisent des usages et habitudes, et les perceptions des individus expliquent en partie aussi les aptitudes de chacun à s’investir ou non dans le quartier. On a l’exemple de Jean-Paul, cuisinier de profession, qui ne va plus au restaurant, pas seulement parce que c’est trop cher mais parce qu’il n’y trouve pas la qualité : « Et puis ce qui a été annoncé sur le menu et ce qui vient dans l’assiette c’est pas la même chose. Moi je préfère prendre cinquante euros dans ma poche, acheter ce dont j’ai besoin. Je fais ma cuisine, qui me coute moins cher… ». On voit que les atouts du quartier peuvent aussi être mis à profit pour rompre un certain isolement sans pour autant le résoudre, comme dans le cas de Monique qui est la personne interrogée ayant le moins de fréquentation en-dehors de son travail, et qui passe beaucoup de temps au cinéma ou dans les restaurants de son quartier, activités auxquelles elle se livre seule. Le quartier ne se suffit donc pas à lui-même pour s’insérer. Dans une dernière sous-partie, on abordera les réseaux de sociabilité et leur rôle intégrateur. 46 2.2.4 Réseaux de sociabilité, intégration et isolement On a vu dans les pages précédentes comment se distribuaient les sociabilités des locataires HH interrogés entre leur logement, leurs voisins et leur quartier. Dans cette souspartie, on verra l’importance des réseaux de sociabilité qu’ils soient ou non basés sur la proximité, comme facteur permettant de mesurer l’isolement ou l’intégration sociale. On se pose donc les questions : qui les locataires HH fréquentent-ils, et à quelle fréquence, et avec qui entretiennent-ils le plus de relations sociales ? Les sociabilités des individus se répartissent entre différents réseaux, constitués par la famille, les amis, les voisins, les collègues de travail, ou les membres de la même association. Les enquêtes menées statistiquement sur les sociabilités montrent que les individus fréquentent d’abord leurs pairs (Héran, 1988), et que ces sociabilités varient selon un certain nombre de facteurs sociodémographiques, comme l’âge, le sexe ou la position sociale de l’individu. Mais ces sociabilités peuvent en partie être expliquée par les différentes trajectoires et parcours de vie des différentes personnes, qu’on s’est efforcé de mettre en lumière au cours des entretiens. Ainsi, les locataires immigrés, ou qui ne sont pas originaires de Lyon (ce qui est le cas d’Ali, Jean-Paul et Hilda, Lydie, et Michelle), fréquentent moins ou pas du tout leur famille, qui vit en partie dans le pays, ou la région d’origine. Ils peuvent moins s’appuyer par conséquent sur les liens familiaux comme soutien ou appui à leur d’intégration. On note toutefois qu’à part Ali, il leur arrive souvent de visiter leurs frères, sœurs, et parents qui vivent dans d’autres régions d’Europe, ou dans leur région d’origine. De leur coté, les locataires originaires Lyon et sa région, sauf dans le cas de Monique, voient régulièrement les membres de leur famille qui vivent à proximité directement dans la ville ou aux alentours. Les réseaux d’amis sont aussi intéressants à comparer. La notion même d’ami varie généralement selon l’interlocuteur, et interfère dans certains cas avec les voisins ou les collègues. Des questions étaient posées sur les réseaux d’amis dans et en-dehors de Lyon. Plusieurs interrogés déclarent avoir des amis vivant en-dehors de Lyon et leur rendre visite de temps en temps. On remarque peu de régularité selon l’âge, le sexe, l’origine sociale ou géographique. Il apparaît aussi des logiques de cumul, avec Alice encore qui déclare rendre fréquemment visite aux amis qu’elle a en-dehors de Lyon. Les amis locaux se distribuent en général indépendamment de l’espace. Ainsi, on l’a dit, on a peu de locataires du 6ème qui déclarent avoir des amis habitant à proximité, du fait de la nature du quartier et de ses prix. 47 Pour autant, si la distribution des amis ne suit pas une logique géographique, les lieux où ils sont fréquentés dépendent souvent du contexte d’habitat. Ainsi, les locataires habitant les quartiers mixtes voient d’avantage leurs amis dans leur quartier, tandis que les locataires du 6ème se retrouvent généralement avec leurs amis dans d’autres quartiers. Le cas d’Alice est intéressant. Pour elle, la notion d’amitié englobe tous les individus avec qui elle entretient de bonnes relations et qui ne font pas partie de la famille. Cela nous donne à réfléchir à la notion d’amitiés, et au processus même de leur création. Beaucoup de nos amitiés ne naissent-elles pas des personnes que nous fréquentons dans le cadre de nos études, de notre travail ? C’est aussi un cas isolé, pour lequel la logique de cumul des relations, mais aussi des sorties, marche pleinement. En parlant des relations avec ses voisins : « Donc vous voyez, y’a des gens avec qui vous pouvez partager, avec qui vous pouvez, pas grand chose, mais avec qui au moins, un peu d’amitié, et avec d’autres, on peut pas. » En parlant d’une collègue de travail : « Bah j’ai une amie, que je vois très souvent, très très souvent. On va au théâtre ensemble, on va voir des ballets, enfin on sort ensemble souvent. » Les relations de travail sont de fait liées aux caractéristiques de l’emploi de la personne, et à sa situation en tant qu’actif. Une personne sans emploi, travaillant à domicile ou seule en tant qu’artisan, risque fort de ne pas constituer de relations de travail, ou du moins dans une plus faible mesure, et donc de pas fréquenter de collègues en dehors du travail. Dans notre échantillon, seule Michelle était sans emploi au moment de l’enquête, et Lydie était en congé maternité. Si on compare la situation de ces deux enquêtées, coupées de leur milieu professionnel au moment de l’enquête, on remarque des réactions différentes. Michelle avait des relations avec ses collègues en-dehors du travail, qu’elle a perdu de vue depuis qu’elle a quitté son emploi. De son coté, Lydie, qui n’avait pas tellement d’occasion de rencontrer ses collègues à son travail n’avait pas plus l’occasion de les fréquenter en-dehors, encore moins depuis qu’elle est en congé. Chez les personnes interrogées, les relations de travail occupent des places différentes dans la répartition des sociabilités. Ainsi pour Stéphanie, qui travail à la Fnac depuis 25 ans, ses relations de travail constituent son principal réseau relationnel en-dehors de la famille, car elle 48 considère ses collègues comme amis : « C’est des personnes avec qui j’ai des relations d’amitié maintenant, c’est plus que des collègues, c’est des amis quoi. », tandis que pour d’autres, elles occupent des places plus faibles, voire minimes. On voit ainsi le cas de personnes qui déclarent ne pas vouloir se mélanger avec les collègues, comme Monique : « J’ai mon travail et à coté j’ai ma vie quoi. », ou comme Ali (en parlant de son patron artisan) : « Ouais je le considère comme collègue mais… on est ami et tout mais… on se voit pas en dehors du travail. ». Ici aussi, la notion d’ami renvoie à une définition différente, qui se comprend comme bonne entente plutôt que liens étroits. Si les caractéristiques des réseaux relationnels des individus dépendent en partie de leurs variables sociodémographiques, on les comprend mieux en analysant les trajectoires de chacun. La formation, ou la déformation des réseaux relationnels s’explique beaucoup par les changements qui interviennent dans la vie des individus. Un déménagement, une nouvelle ville, un nouveau travail sont autant de facteurs qui amènent à recomposer les sociabilités. Voir comment celles-ci se distribuent, spatialement ou non, et en terme d’intensité, nous amène à comprendre comment les personnes s’investissent et s’insèrent socialement. 49 2.3 L’expérience de mixité en terme de vécu et de ressenti Dans le chapitre précédent, on a vu comment les locataires HH répartissent leurs pratiques de sociabilités sur une base de proximité et en terme d’individus. Dans cette partie, on s’intéressera plus à l’expérience de mixité telle qu’elle est vécue et ressentie par les locataires HH. Dans une situation de mixité imposée, il est intéressant de se demander comment les locataires HH ressentent une situation de cohabitation qu’ils n’ont pas forcément choisi. On a vu que les personnes lorsqu’elles font une demande de logement chez HH ont la possibilité, dans une certaine limite, de choisir leur logement. Mais avaientelles envisagé de cohabiter avec d’autres milieux sociaux que les leurs ? Les indicateurs privilégiés pour mesurer cette appréciation suivent l’ordre des pratiques étudiées dans la partie précédente. On va donc se servir de l’image qu’ont les locataires de leur logement, de leurs voisins, et de leur quartier, et comment ces indicateurs se combinent entre eux pour analyser le vécu et le ressenti de leur situation. De manière plus générale, on verra que ces appréciations sont liées à des trajectoires, des changements de situation, et permettent de comprendre si la mixité est vécue comme une situation avantageuse pour les personnes interrogées ou non. On fera ensuite une sorte de bilan, qui reliera pratiques objectives et positions subjectives, afin de mesurer, dans la limite des données recueillies, l’expérience de mixité dans ce cas particulier, et son efficacité en terme d’intégration. 2.3.1 Images du logement Les questions en début d’entretiens concernaient beaucoup le logement, et étaient moins directives, laissant plus de place à sa description et à son appréciation par les personnes interrogées. Les descriptions laissaient en général voir les caractéristiques du logement, les qualités ou les défauts, que les enquêtés mettaient en avant, et donnaient ainsi une première idée de l’image et de l’appréciation qu’ils en avaient : « eh ben, à mes yeux c’est spacieux, c’est fonctionnel, c’est suffisamment grand pour nous deux » (Lydie), « Non et puis c’est bien disposé. Si c’est vrai, il faut dire… comment c’est fait, la chambre est séparée, salle de bains, toilettes. Non, moi j’trouve que non, ça va. On peut pas vivre à trente, mais pour une personne ou deux… » (Nathalie), « Bah le logement il fait 67 mètres carrés. En fait c’était deux appartements distincts qui ont été unifiés en un appartement. Donc en fait il possède deux portes d’entrée, donc il est plus euh… j’dirais son 50 architecture est plus adaptée à une colocation plutôt qu’à une vie de famille. » (Christophe). Dans le cas de Monique, ses propos recueillis dès le début d’entretien, souvent indépendamment de la question posée, montraient l’image très négative qu’elle avait de son logement : « pas adapté (pour une personne handicapée), mal agencé, humide, moisi ». Dans tous les autres cas, le logement était généralement bien apprécié par les locataires. Des questions portaient plus précisément sur l’appréciation, sur les points en particulier que les locataires aimaient ou n’aimaient pas (voir encadré). Les caractéristiques mises en avant sont souvent le confort offert, la taille suffisante pour le ménage, sont cachet. Le facteur prix, bien que présent, apparaît plus en retrait. Exemple de questions posées sur les appréciations des locataires sur leur logement : « Est-ce que vous pouvez me dire ce que vous aimez, ce que vous n’aimez pas ici ? Qu’est-ce que j’aime pas… qu’est-ce que j’aime ? Bah c’est pas non plus un appartement qui a des… il possède par exemple une cuisine correcte, un salon. Une salle de bain mais j’ai pas de baignoire… J’ai qu’une petite salle de bain. Et au niveau du chauffage, c’est pas ça quoi, y a pas du tout d’isolation. » (Extrait d’entretien avec Christophe) « Est-ce qu’il y a des choses que vous aimez en particulier dans ce logement ? Alors, c’que j’aime en particulier, c’que j’ai aimé tout de suite d’ailleurs, c’est : le fait qu’il n’y ait pas de bruit, que j’sois sur la cour. J’le trouve très sécurisé, parce que y a deux codes, deux portes. Et qu’il est lumineux. Alors ouais c’est le calme, c’est surtout très calme. Et puis je le trouve charmant, parce que c’est un vieil appart’, il a plein de boiserie et voilà, j’le trouve très chaleureux. Et est-ce qu’il y a des choses que vous n’aimez pas ? Alors, le moins : enfin, c’est pas que ça me déplait. J’dirais que le moins : moi j’aurais aimé qu’il y ait un balcon. Là y en a pas. Et puis éventuellement une baignoire aussi. Mais là non plus y en a pas. Voilà. Mais à part ça franchement, j’ai rien à reprocher à cet appart’. » (Extrait d’entretien avec Stéphanie) « Est-ce qu’il y a des choses que vous aimez dans ce logement ? Non. » (Extrait d’entretien avec Monique) Dans beaucoup de cas, l’appréciation du logement actuel est corrélée avec celle de l’ancien. Beaucoup de locataires apprécient leur logement en comparaison de leur ancien. Ainsi l’appréciation dans le logement actuel est directement liée avec les caractéristiques de l’ancien, et si le fait d’habiter celui-ci est perçu comme une amélioration ou une détérioration des conditions d’habitat. Le gain d’espace, une économie du prix, ou un 51 emplacement dans un quartier plus central ou plus valorisé, sont des facteurs qui expliquent en grande partie la valorisation du logement actuel : « C’était le prix, la superficie…j’quittais un 38 mètres carrés et là j’en ai presque 60. Pour moi c’était vraiment le jackpot. Et par rapport au prix aussi, entre ce que j’avais pour le 38 mètres carrés, et ici, y’avait que 50 euros de différence. » (Michelle), « bah pour moi j’aime tout, comparé à celui que j’avais avant, j’aime tout… et j’étais ravie quand je l’ai eu. » (Lydie), « Bien sur ! Si on compare, là bas c’était un rez-de-chaussée, un p’tit studio. Une seule fenêtre et… c’est tout petit, 21 mètres carrés. Là on est à presque 40 mètres carrés. » (Ali, interrogé pour savoir si son logement actuel est mieux que son ancien). On voit qu’il n’est généralement pas seulement apprécié pour ses qualités intrinsèques, mais plutôt en comparaison d’un ancien logement plus vétuste, plus petit, ou inversement. Je demandais aussi aux locataires s’ils souhaitaient quitter leur logement, ou projetaient de le faire. Pour Monique, si son logement actuel est plus grand que son ancien, elle dit ne pas s’y sentir à l’aise: « Je me sens pas chez moi. », et souhaite le quitter pour retourner dans son ancien quartier à Villeurbanne. D’autres locataires souhaitaient le quitter, ou en avaient le projet, mais pour des raisons qui s’inscrivaient davantage dans l’évolution de leur trajectoires personnelles. Les images du logement sont aussi liées aux conditions dans lesquelles il a été obtenu. Pour Alice, il est important de rappeler qu’elle a choisi son logement par le biais de petites annonces, et pas parce qu’il était conventionnait pas HH. Dans d’autres cas, comme Monique, son logement lui a été attribué par son organisme d’aide aux personnes handicapées, en partenariat avec HH. En conjuguant les représentations du logement avec les pratiques effectives observées, on voit que les locataires qui reçoivent le plus chez eux sont aussi ceux qui ont une meilleure image de leur logement. Inversement, ceux qui apprécient la qualité de vie que leur offre leur logement ne sont pas ceux qui reçoivent le plus dans leur domicile. 2.3.2 Images du voisinage et des voisins On a obtenu un peu moins d’information sur ce que pensaient les locataires HH de leurs voisins d’immeuble. De manière générale, on peut dire que ceux qui entretiennent de bonnes relations avec leurs voisins ont, sans surprise, une bonne opinion d’eux. Mais ceux pour qui les relations de voisinage sont plus limitées n’exprimaient pas une opinion particulière et bien définie sur leurs voisins. La première question sur les voisins était 52 formulée de la manière suivante : Est-ce que vous pouvez me parler de vos voisins ? Cette question ouverte permettait de laisser à l’interlocuteur décrire ce qu’il notait d’important à propos du voisinage. La bonne entente entre voisins, l’absence de dispute, est un caractère peu mis en avant : « Oui y a une bonne entente, j’veux dire on s’est jamais disputé, y a jamais eu quoi que ce soit dans le bâtiment, on a jamais entendu quoi que ce soit. » (Nathalie). Le caractère mixte de la population est aussi mis en avant : « Pas des grandes familles, oui, il y a des enfants, il y a des personnes âgées aussi, donc y a un peu de tout, c’est un peu mélangé et c’est bien. » (Alice). Dans la majorité des cas, on l’a vu, les relations de voisinage se limitent à une salutation dans les parties communes. On a très peu de longues discussions ou d’échange de service, et de façon générale, de relations étroites entre voisins (sorties communes, amitiés, entraide). On a d’un autre coté peu de relations conflictuelles, sauf de le cas de Stéphanie. Pour elle cependant, ces relations conflictuelles ne prennent pas une importance particulière, n’affectant pas son vécu dans son logement : « Exactement, exactement. J’me dis « oh pauvre con », et puis voilà. Faut passer à autre chose. » Une façon de visualiser l’image des voisins était de demander aux personnes interrogées si elles souhaitaient rencontrer davantage de voisins, et d’avoir plus de relations avec eux. A cette question, beaucoup ont répondu oui. Mais ceux qui ont répondu non nous intéressent plus. On voit que certains locataires ne souhaitent pas avoir plus de relations avec leurs voisins, indépendamment de l’image qu’ils en ont d’eux, mais plutôt pour éviter les conflits, ou par volonté de ne pas mélanger les amis et les voisins : « Fraterniser avec ses voisins, le jour où la personne fait du bruit etcetera c’est plus difficile d’aller lui dire « excuse-moi mais là tu fais du bruit » » (Stéphanie), « Non, c’est pas question de rencontrer ou pas, c’est juste que j’aime pas trop me mêler, parce que pour moi, si y a un souci après avec les voisins, ça peut partir en embrouille si on connaît bien les gens. Moi j’aime pas me mêler dans les conflits, dans les trucs comme ça. Pour moi c’est à part, les voisins, les amis… pour moi c’est autre chose. » (Lydie). Pour autant, quand on demandait à ces même personnes si elles se sentaient isolées : « Ah j’men fous en fait. Enfin j’veux dire… j’m’en fous. Moi je fais ma petite vie » (Stéphanie), « Non, parce que j’ai pas mal d’amis, et puis j’ai le travail » (Lydie). On voit que le fait de rencontrer ses voisins d’immeuble, ou de rester dans son coin, résulte souvent de choix qui ne sont pas forcément liés à des situations matérielles. Le refus de se mélanger se comprend mieux en prenant en compte les différents réseaux des personnes interrogées. Ainsi, on voit que Stéphanie qui rencontre fréquemment ses 53 collègues en dehors du travail ne voit pas l’intérêt de créer des relations de voisinage. C’est aussi le cas pour Christophe, ou pour Lydie, et de manière générale pour tout les autres. On voit apparaître une hiérarchisation des relations sociales, dans laquelle les relations de voisinage sont placées en dernier. Ainsi on voit se produire des phénomènes de substitution, voire de saturation. Les locataires ayant déjà des réseaux relationnels développés ne voient pas toujours l’intérêt de rencontrer de nouvelles personnes, en particulier leurs voisins. On peut donc conclure que ces rencontres avec les voisins sont en partie liées avec les réseaux déjà existant chez les individus, réseaux qui, on l’a vu sont constitués selon les différentes trajectoires sociales et résidentielles de chacun. Celles-ci nous permettent donc de comprendre, une fois encore, l’investissement de chacun dans son environnement. 2.3.3 Représentations et valeur du quartier Plusieurs questions portaient aussi sur les images et à l’attachement au quartier. Pour les premières questions concernant le quartier, je demandais aux locataires de le circonscrire. Dans la plupart des cas, les personnes interrogées arrivaient à le délimiter précisément (voir encadré en 2.2.3). Comme pour le logement ou les voisins, je leur demandais de le décrire avec leurs mots. En général, l’image du quartier est largement positive. Les locataires mettent en général l’accent sur l’ambiance propre au quartier (« vivant », « calme », « sécurisant », « où il fait bon vivre »), un peu moins sur les relations sociales. Il leur était demandé s’ils avaient l’impression d’habiter un quartier central, ou proche du centre, ce à quoi presque tous ont répondu oui, qu’ils vivent dans le 6ème arrondissement ou ailleurs. Dans le cas d’Ali et Nathalie dans le quartier SainteBlandine, on a pu observer au sein d’un même ménage une différence de point de vue : « Est-ce que vous avez l’impression d’habiter dans le centre-ville ? Est-ce que vous diriez que le quartier est central ? Oui. Tout à fait. NATHALIE : Alors là, tu trouves toi ? Ouais. Si, si. C’est le centre quoi. Ouais on est juste derrière la gare, c’est… Carnot, Ampère… c’est le centre ça. NATHALIE : Oui, remarque ouais c’est vrai… C’est vrai qu’on a Carnot pas loin. » (Extrait d’entretien avec Ali et Nathalie). 54 On voit que le centre-ville est une notion variable selon les individus. Le coté central du quartier ressort différemment selon les locataires interrogés, et est plus ou moins mis en avant selon les cas comme critère valorisant. Ainsi dans le 6ème, les personnes reconnaissent unanimement être à proximité de la Part-Dieu, du centre commercial et des transports en commun. Cette caractéristique apparait moins souvent chez les autres locataires qui mettent plus en avant les qualités intrinsèques du quartier plutôt que son positionnement dans la ville. Les qualités esthétiques des quartiers sont aussi communément citées quoiqu’elles ressortent différemment selon le lieu. Dans le secteur Croix-Rousse, les habitants pointent souvent le coté « pittoresque », « ancien », « village » du quartier, tandis que dans le 6ème on entend plus « aéré » ou « joli ». Au delà de ces représentations assez convergentes dans leur connotation positive, les locataires HH ont été interrogés sur leur attachement au quartier. Beaucoup témoignent un intérêt assez élevé pour leur quartier. Cet attachement se mesure à la fois en terme de pratiques et en terme de représentation. Les locataires les plus attachés à leur quartier sont ceux qui y ont à la fois des usages multiples et intenses et qui en ont une bonne opinion. Mais cet attachement se comprend aussi par rapport aux autres images et pratiques observées dans les chapitres précédents. Ainsi, Alice cumule une image positive de son logement, de ses voisins et de son quartier, et les pratiques associées. De son coté, Stéphanie a une bonne opinion de son quartier, et de son logement, même si ses relations de voisinage sont très conflictuelles. Les autres expriment des opinions positives de leur quartier dépendent variablement des images et pratiques associées aux logement et aux voisins. Mais encore une fois, les trajectoires individuelles, et l’origine sociale sont des facteurs à prendre en compte pour comprendre l’attachement au quartier. Une des premières choses qu’on remarque est qu’une perception positive du quartier et de ces habitants n’entraine pas mécaniquement la création de liens avec les autres habitants, et inversement. En particulier dans les entretiens réalisés dans le 6ème arrondissement, le quartier, par sa composition sociale ainsi que ses caractéristiques intrinsèques, est perçu chez les enquêtés de manière inégale. La proximité d’une population aisée est plutôt bien perçue par les femmes seules élevant un enfant, comme Stéphanie et Michelle, qui y voient un environnement propice et sécurisant pour élever leur enfant. Pour Michelle, qui élève seule son fils de onze ans : « Si on m’avait proposé un appartement, dans un milieu on va dire un peu plus populaire, j’aurai peut-être dit non, pas par rapport à moi, mais par 55 rapport à lui (le fils), parce que je suis une mère seule, et élevant dans un environnement qui est réputé déjà difficile en lui-même (Guillotière, son précédent quartier), c’est un peu compliqué de serrer la vis en fait. ». Elle donne à son quartier une importance particulière au calme coté qui ressort le plus : « C’est un quartier calme », par rapport à son ancien quartier qui était plus « animé » : « Mais j’ai aussi apprécié le calme ici. Je fais mes petites promenades du soir, au calme. » C’est pour elle un quartier où « Il y fait bon vivre. L’environnement n’est pas mauvais. ». Pour Lydie, dans les pentes de la Croix-Rousse, l’environnement offre des commodités pour son fils qui souffre d’un retard de développement, comme un centre de soin à proximité, une école spécialisée, mais aussi des librairies pour enfant, des boutiques de vêtement. Si elle habitait déjà dans les pentes avant d’arriver chez HH, le prix abordable de son logement actuel lui a permis de se maintenir dans le quartier. Or les institutions spécialisées, centre de soin et école sont tous situés dans le quartier. On comprend mieux son attachement au quartier, et au logement, et son souhait de ne pas le quitter. On voit ici que le quartier est vu de manière positive comme une compensation à une condition défavorable de « mère seule », perception qu’on a vu chez les mal-logés parisiens (Dietrich-Ragon, 2014). On retrouve aussi pour Stéphanie l’importance d’habiter dans un environnement loin du tumulte de la ville : « il n’y a pas de mauvaises fréquentations… j’entends par là, des gens qui trainent la nuit, ou des pochtrons », « là on est dans un quartier calme, idéal pour des gens qui travaillent », qui semble moins lié à sa condition de mère seule (elle partage la garde de son fils de 18 ans avec son ancien mari), qu’à son vécu dans des quartiers plus animés. Comme pour Michelle, l’expérience qu’elle a eu dans son ancien quartier, les pentes de la Croix-Rousse, et où elle dit avoir « tenu » six mois, joue sur son appréciation de sa situation actuelle : « Si je fais la comparaison, sur les pentes ça grouille toute la nuit, il y a des bars, c’est bruyant, les gens font la fiesta ». Cette appréciation peut aussi être liée à des préférences plus personnelles : « je préfère pour habiter, me retirer dans un quartier qu’est calme, où les gens rentrent chez eux le soir. ». On trouve aussi une perception plutôt négative des quartiers d’habitat social : « là où il y a du social, il y a souvent des problèmes », ce qui n’est pas sans rappeler le cas des embourgeoisés dans les beaux quartiers parisiens (Launay, 2014). Se retirer, mais tout en étant à proximité des endroits où l’on va, où l’on a besoin d’aller : « la proximité de la Part-Dieu m’aide beaucoup, que ce soit le centre commercial ou la gare. Ainsi que la proximité du centreville. Et du parc de la Tête d’Or. » (Michelle), « je le trouve très bien situé (en parlant de 56 son quartier), c’est à dire qu’il est pas loin de la presqu’ile » (Stéphanie). On voit pour ces deux locataires la perception positive de leur quartier actuel comme cadre d’habitat, qui contraste avec celle plus négative de leur ancien quartier, ou même des quartiers d’habitat social ou populaire. Cette perception est en partie liée à leur condition de mère seule, mais aussi par rapport à leur parcours résidentiel antérieur, et leur ressenti sur ce parcours. On pourrait aussi penser que cette appréciation est corrélée à la satisfaction que leur procure leur logement à toutes les deux, corrélation qui apparaît plus évidente chez d’autres enquêtés. Si la population locale du quartier est unanimement reconnue par les locataires HH habitant le 6ème comme « riche » ou de « haut standing », elle est appréciée différemment. On a vu que si pour Michelle et Stéphanie leur présence est associée à une ambiance « calme », « tranquille », voire « sécurisante » dans le cas de Stéphanie, elle est appréciée différemment pour Monique : « C’est très bourgeois (ricanement). Enfin les gens sont très égoïstes, très impersonnels quoi », ou pour Christophe : « c’est la partie qui me va bien de cet arrondissement, la partie populaire de Lyon 6ème. ». Cette différence d’appréciation peut s’expliquer en partie par les différences dans les trajectoires, et dans une plus large mesure par des origines sociales et des lieux de socialisation différents. Michelle et Stéphanie sont toutes les deux issues de classes moyennes ou aisées, ayant un père financier pour la première et cadre pour la seconde, tandis que Christophe provient d’un milieu plus modeste, des parents forains habitant à la campagne. Si on ignore l’origine sociale de Monique qui n’a pas voulu me parler de sa famille, on sait que ses parents habitaient Villeurbanne, qu’elle y a habité avant d’arriver dans le 6ème, et qu’elle souhaiterait maintenant y retourner : « Disons qu’à Villeurbanne y a plus de choses, c’est plus animé. ». Le ressenti sur la mixité et le quartier fait lui-même l’objet d’une autoanalyse, comme chez Michelle, qui voit son origine sociale comme facteur explicatif de son rapport au quartier : « Non pas du tout. Pour moi c’est la même chose. C’est peut-être parce qu’à l’origine je viens aussi d’un milieu assez aisé ». On trouve cette corrélation entre image du quartier et origine sociale plus frappante pour Christophe et Monique qui projettent tout deux de quitter leur quartier pour Villeurbanne, même si c’est pour des raisons différentes. Si pour Monique, il s’agit de retrouver un lieu où elle a ses marques, ses familiarités, pour Christophe, ses besoins en terme de logement ne peuvent se réaliser dans un quartier trop cher : « habiter Lyon 6ème c’est hors de prix. ». Ce type de remarque se retrouve essentiellement parmi les locataires habitant le 6ème, mais pas que : « bon alors 57 c’est vrai qu’il y a un quartier là, vers le parc, la rue Tronchet tout ces coins là, alors là je peux vous dire, le soir à 8h du soir, vous avez pas un chat dans les rues, le samedi encore oui, et autrement le dimanche y’a rien, il n’y a même pas un commerce d’ouvert. Alors bien sût il y a le parc de la Tête d’Or qui est derrière, mais bon je vais vous dire, il n’ y a rien autrement. » (Alice). L’analyse du vécu par les trajectoires individuelles permet de comprendre les représentations et les images qu’ont les locataires de leur environnement, et par là leurs pratiques de sociabilités. Les lieux de socialisation, comme dans le cas de Michelle, expliquent en grande partie le rapport développé au quartier. Mais d’autres facteurs sont aussi à prendre en compte, qu’on a moins abordé dans ce mémoire, comme l’âge, le sexe, ou la composition familiale, et qui feraient l’objet d’approfondissements complémentaires. Mais, et c’est tout l’intérêt d’une recherche qualitative, on maintient que les éléments biographiques des individus sont primordiaux pour pouvoir expliquer les représentations de leur environnement. On va conclure cette partie analyse par un bilan de l’expérience de mixité dans le cas du diffus chez les locataires HH à Lyon, et montrer qu’elle est très inégale selon les personnes interrogées en terme d’intégration. 58 2.4 Bilan de la mixité Dans cette partie, il est important de rappeler les caractéristiques de cette situation de mixité par le logement. On est tout d’abord dans une situation de mixité imposée, qui ne résulte pas de mécanismes propres au marché de l’immobilier, mais d’une logique de peuplement selon des critères bien définis par un organisme particulier, Habitat et Humanisme. C’est aussi une situation de mixité géographiquement localisée dans les quartiers centraux de Lyon, dans lesquels vivent des groupes sociaux préétablis, et répartis selon des mouvements historiques de population. Elle implique donc la cohabitation des locataires avec des groupes sociaux qui sont souvent distincts des leurs, pour ne pas dire supérieurs en terme de position sociale. Elle implique aussi un ancrage dans des quartiers valorisés socialement, et possédant des caractéristiques intrinsèques qui peuvent être vues comme des ressources (transports, proximité des lieux de sortie) ou comme facteurs rédhibitoires (trop cher, bruyant). C’est enfin une situation de mixité discrète, à la fois du à l’organisme (qui n’est pas vraiment vu comme un bailleur social), et au caractère isolé des logements (placement aléatoire et unique par immeuble), dans laquelle, sauf dans le cas de Stéphanie, le locataire est rarement identifié, ou s’identifie lui-même, comme habitant un logement social. Cette situation favorise t-elle l’insertion des personnes logées par HH ? Pour mesurer cette insertion, on a montré les différentes pratiques de sociabilité basées sur la proximité et donc en quoi elles étaient intégratrices, donc en quoi elles débouchaient sur la création de liens forts entre les locataires HH et leurs voisins. D’un autre coté, on s’est intéressé aux représentations liées à l’environnement local des enquêtés, et comment ceuxci vivaient leur expérience de mixité. On a vu que les trajectoires individuelles des personnes interrogées, mais pas que, expliquaient en partie comment celles-ci agençaient leurs pratiques et leurs représentations dans ce contexte. L’observation de ces données prises sur un échantillon de population choisie au hasard nous permet d’établir un bilan mitigé de cette situation de mixité en terme d’insertion. On va voir en deux temps que si cette expérience de mixité est globalement vue comme une amélioration des conditions de vie, voire comme une compensation à une condition sociale défavorisée, elle ne débouche pas forcément, en terme de pratiques, à la création de liens forts entre les différents habitants. 59 2.4.1 Une situation vue comme une amélioration des conditions de vie L’opération de logements en diffus isolés offre la possibilité à des personnes en difficulté d’accéder à un logement dans des quartiers de Lyon où celles-ci n’auraient pas forcément les moyens financiers d’habiter, et de cohabiter avec des personnes issues de groupes sociaux qu’elles n’ont pas l’habitude de fréquenter. De façon quasi unanime, les locataires interrogés perçoivent cette situation de manière positive. Leur situation actuelle est vue pour la plupart comme une amélioration de leurs conditions de vie par rapport à leur situation antérieure, que ça soit en terme de logement ou de quartier. Pour plusieurs locataires, cette expérience de mixité est l’opportunité d’accéder à un logement ajusté à leurs faibles revenus et de taille suffisante pour leur ménage. C’est particulièrement vrai pour les femmes élevant un enfant seule, comme Lydie, Michelle, et Stéphanie mais aussi pour les autres types de ménage. De manière générale, les conditions de logement sont considérées comme satisfaisantes, facilitant les échanges à l’intérieur du ménage et les possibilités de recevoir et d’héberger des amis. Satisfaisantes, mais aussi meilleures pour ceux qui ont connu des mauvaises conditions de logements par le passé. Ainsi, beaucoup vivaient auparavant dans des logements trop petits, trop chers ou trop vétustes, et apprécient leur nouveau logement en grande partie par rapport à l’ancien. Dans une moindre mesure, lorsque les locataires changent de quartier, le changement de contexte est perçu comme une bonne chose. Pour les mères seules, comme Michelle, l’arrivée dans un quartier bourgeois comme le 6ème arrondissement est une expérience valorisante, offrant un environnement propice pour elle et son fils. On retrouve aussi ce cas chez Lydie dans les pentes de la Croix-Rousse pour qui le maintien dans son quartier est une donnée importante à cause de la présence d’institutions spécialisées pour son fils. L’handicap de celui-ci l’empêche d’avoir un emploi à temps plein et explique donc sa situation précaire, et l’avantage pour elle d’être à la fois dans ce logement et dans ce quartier : « ça prend beaucoup de temps dans la semaine, ce qui fait que moi j’peux pas beaucoup travailler, et c’est aussi pour ça que c’est pratique d’avoir ce logement, parce que c’est pas cher. ». Dans ce genre de contexte, le logement et le quartier sont vus comme des compensations à une condition sociale défavorable, ou précaire, et à des inégalités résidentielles. Ils offrent des qualités de vie actuelles meilleures, et des perspectives plus favorables en terme de trajectoires futures ou de projets, même si c’est à des échelles différentes selon les individus. Pour Jean-Paul 60 et Hilda, il n’est qu’une étape temporaire avant de retourner aux Seychelles prendre leur retraire. Le logement et le quartier assurent en particulier pour leurs enfants un bon environnement au contraire des quartiers dits « difficiles », comme les quartiers immigrés de Lyon ou les banlieues. Ils évitent ainsi le déclassement (Dietrich-Ragon, 2014) résidentiel, et social, qu’ils pourraient trouver dans des quartiers moins valorisés socialement. 2.4.2 Mais des pratiques de sociabilités très limitées Pourtant, les pratiques sociales basées sur la proximité observées entre les locataires HH et les personnes qui les entoure sont assez peu développées quel que soit le contexte (6ème arrondissement ou ailleurs). Si les locataires HH utilisent leur logement pour recevoir ou héberger dans des intensités variables, ils s’en servent moins pour tisser des relations de voisinage. Globalement, on voit que les mélanges entre catégories sociales, et la création de liens forts ne se fait pas automatiquement. Le seul cas où on atteste des liens forts entre voisins (sorties en commun, amitiés) est celui d’Alice, qui avait déjà l’habitude de rencontrer ses voisins et de s’insérer socialement : « Partout oui, j’ai sympathisé avec les voisins. ». Dans l’autre cas le plus extrême, celui de Monique, la situation de quasi isolement dans laquelle elle vit (elle ne voit pas sa famille, et voit ses amis assez rarement, une à deux fois par mois) n’est pas compensée par des relations de voisinage développées. Dans les autres cas, on suit un schéma identique où les sociabilités de voisinage sont reléguées en bas de la hiérarchie des relations sociales. On voit que ceux qui s’insèrent le mieux sont ceux qui étaient déjà le mieux insérés socialement, que ceux qui ne s’insèrent pas sont ceux qui ne le sont pas du tout, et ceux qui le sont plus ou moins restent au même point. On peut faire l’analogie entre cette situation de mixité en terme de création de liens forts et la fonction mathématique identité9, celle qui n’a aucun effet. On peut aussi lier l’intensité et la nature des relations de voisins aux différents contextes d’habitat, propices ou non pour rencontrer ces voisins. Comme le faisait remarquer Christophe, l’absence de partie commune réduit les possibilités de rencontre, et d’approfondissement de ces rencontres, avec les voisins : « Je vais pas aller m’asseoir sur une bagnole en bas dans la rue quoi. ». De même, on voit un manque d’investissement dans le quartier, en particulier dans le 6ème, du aux prix excessivement élevés pour des personnes appartenant aux milieux populaires. On voit donc, sauf dans des cas extrêmement rares, que mélanger des 9 Qui s’écrit f(x)=x, elle renvoie toujours la valeur qui est utilisée comme variable. 61 personnes qui n’ont rien en commun dans un contexte de mixité résidentielle ne débouche pas forcément sur la création de liens étroits entre elles. Les pratiques de sociabilité observées ici montrent que les locataires interrogés favorisent en grande partie leurs réseaux relationnels anciens aux dépens des potentiels nouveaux. Sauf dans quelques cas, les liens observés entre les locataires et leurs voisins sont de natures et de fréquence trop faibles pour parler d’une véritable insertion sociale. 62 Conclusion En explorant les façons de vivre et d’habiter d’un échantillon de locataires HH pris au hasard et résidant dans des contextes d’habitat différents, ce mémoire a permis de mettre au jour différentes réalités concernant les situations de mixité sociale par le logement. On a vu qu’il existe une grande variété dans les manières dont ces personnes composent avec leur environnement. Les différentes personnes rencontrées au cours des entretiens ont montré une grande diversité de pratiques liées à leur logement, à leur quartier, et à leur vie relationnelle. On a vu que les réceptions dans le logement, les usages du quartier, les rencontres avec amis, collègues ou voisins, dépendent de nombreux facteurs, en grande partie liés aux trajectoires individuelles de chacun, tels que l’âge, la composition du ménage ou la situation professionnelle. Les représentations associées à ces situations sont aussi de natures diverses, à mettre en lien avec les expériences passées, présentes et à venir. Celles-ci nous renseignent sur le vécu et le ressenti des personnes et leur regard sur ce qui les entoure. On voit que les personnes interrogées sont globalement satisfaites de leurs conditions de logement actuel, marquant pour la plupart une progression par rapport à l’ancien logement, voire une compensation par rapport à une situation sociale défavorisée. Mais les pratiques de coprésence observées montrent les limites de l’insertion de ces personnes, leur nature et leur faible intensité interdisant de parler d’une réelle insertion. Rien n’indique, dans le cas d’un mélange entre personnes qui n’ont pas grand chose en commun, comme c’est le cas ici, qu’elles iront les unes vers les autres. On peut toutefois penser qu’il existe des contextes d’habitat plus favorables à l’insertion sociale, tels les immeubles et quartiers habités par des populations socialement mixtes. Pour autant, ces contextes ne sont pas une condition suffisante à la bonne insertion et on voit que celleci dépend pour beaucoup des choix et des dispositions des individus, conditionnés en partie par leur parcours de vie et leur trajectoire sociale. Si l’insertion sociale n’est guère favorisée par la mixité du logement, au moins cette dernière offre-t-elle des opportunités accrues en terme de projets, et des conditions de vie qui compensent les inégalités sociales. On a vu qu’il existe de nombreux cas de mixité sociale par le logement, suscités par des organismes divers et en prenant en compte des situations multiples. La littérature sociologique à l’égard de ces cas et de leurs effets est pléthorique et adopte une tonalité plutôt critique. L’analyse de ces cas en terme de classes sociales, en s’intéressant aux plus défavorisés, apparaît comme une méthode pertinente qui permet d’adopter et de 63 comprendre les points de vue de ceux pour qui ces situations existent. En ce qui concerne la qualité de l’habitat, la mixité sociale permet de corriger les inégalités résidentielles quand celles-ci se cumulent avec les inégalités sociales. Pour autant, elle ne réduit pas les écarts sociaux et économiques qui existent entre les individus et n’agit pas directement sur les inégalités sociales. Néanmoins, ce type d’opération profite, on l’a vu, aux ménages les plus défavorisés en leur donnant accès à un logement décent. L’enquête de type ethnographique permet de mettre en lumière les éléments de parcours des individus et de comprendre et réécrire leur trajectoire résidentielle. La mise en lumière de ces éléments biographiques permet donc non seulement d’avoir une idée de la position sociale des individus, mais aussi de la façon dont ceux-ci se situent par rapport à leur parcours, leur situation actuelle ou leurs projets. Une étude plus approfondie, conduite pendant une plus longue durée, permettrait de mesurer avec davantage de précision l’impact de cette mixité sur les trajectoires individuelles, du point de vue de l’insertion sociale ou professionnelle. 64 Bibliographie AUTHIER, Jean-Yves (dir.) et al. : Du domicile à la ville. Vivre en quartier ancien, Anthropos, Villes, Paris, 2001. AUTHIER, Jean-Yves, “Les pratiques sociales de coprésence dans les espaces résidentiels : mixité et proximité”, dans JAILLET M.-C., MENARD F., PERRIN E., (dir.), Diversité sociale, ségrégation urbaine et mixité, Éditions du PUCA, Coll. « Recherche », 2008, p. 103-122. AUTHIER, Jean-Yves, GRAFMEYER, Yves. Les relations sociales autour du logement. État des savoirs et perspectives de recherche, Plan construction et architecture, Paris, 1997. BEAUD Stéphane, WEBER Florence, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 2003. 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KAUFMANN Jean-Claude, L’entretien compréhensif, Paris, Armand Collin, 2013. LAUNAY Lydie, « Les classes populaires racisées face à la domination dans les beaux quartiers de Paris », Espaces et sociétés, 2014/1 n° 156-157, p. 37-52. MAUGER Gérard, « Enquêter en milieu populaire », Genèses, 6, 1991, pp. 125-143. SCHWARTZ, Olivier, « Peut-on parler des classes populaires ? », La vie des idées, 13 septembre 2011, www.laviedesidees.fr/Peut-on-parler-des-classes.html. 66 Annexes Guide d’entretien Merci d’avoir accepté l’entretien. Dans le cadre de mes études, je réalise une enquête sociologique sur les relations de voisinage et les pratiques de sociabilités à Lyon (des locataires HH, si personne prévenue). Je souhaiterais comprendre comment s’organisent vos rapports aux autres et au quartier par rapport à votre logement. - I- Pour commencer, pouvez-vous me dire comment en êtes-vous arrivé à habiter ici? LOGEMENT 1. CHOIX DU LOGEMENT - Depuis combien de temps habitez-vous ici ? Relances : Où habitiez-vous avant ? Pourquoi avez-vous quitté votre ancien logement ? Est-ce que vous êtes originaire de Lyon ? Si non, quand est-ce que vous êtes arrivé ici ? Pouvez-vous me parlez des endroits où vous avez vécu avant ? o Si étranger : Où êtes-vous né ? Quand êtes-vous arrivé en France ? Pour quelles raisons ? - Pourquoi avez-vous choisi ce logement ? o Relances : qu’est-ce qui vous plaisez particulièrement dans celuici (environnement/quartier, prix, taille, choix imposé par HH) ? En avezvous visité d’autres ? Combien/où ? Est-ce que vous auriez préféré habiter ailleurs, soit dans Lyon, soit dans une autre ville ? Pourquoi ? o Si HH déclaré : Avez-vous obtenu votre logement facilement ? Avez-vous pu le choisir ? Combien de temps avez-vous attendu pour l’obtenir ? Comment en êtes-vous arrivé à opter pour la solution HH ? Avez-vous fait d’autres démarches auprès d’autres bailleurs que HH ? 2. DESCRIPTION DU LOGEMENT - Pouvez-vous me décrire votre logement ? o Relances : Combien y’a t’il de pièces ? Quelle surface fait-il ? A combien se monte le loyer ? Et les charges ? 67 - Qu’est-ce que vous aimez dans ce logement et qu’est-ce que vous n’aimez pas ? o Relances : Est-ce que vous le trouvez assez grand pour vous ? Le trouvezvous trop vétuste ? Trop cher ? Est-ce qu’il y a des choses qui manquent/sont hors d’usage ? Est-il assez confortable/lumineux ? Est-il bien agencé ? Est-ce qu’il y a des choses que vous souhaiteriez améliorer/changer dans votre logement ? - Combien de personnes habitent votre logement ? o Relances : Est-ce que votre logement est adapté à la taille de votre ménage ? Est-ce qu’il y a suffisamment de chambres ? Est-ce qu’il favorise les échanges entre les personnes qui y vivent ? - Aimeriez-vous changer de logement ? o Relances : Si oui, pourquoi ? Qu’est-ce qui ne convient pas dans celui-là ? Qu’est-ce que vous aimeriez qui soit différent à l’avenir ? Par rapport aux autres logements que vous avec occupé dans votre vie, vous le trouvez comment celui-ci ? 3. USAGES INDIVIDUELS ET COLLECTIFS DU LOGEMENT - - - - Est-ce que vous passez beaucoup de temps dans votre logement ? o Relances : Est-ce que vous êtes souvent là les soirs de semaine ? Les samedis ? Les dimanches ? Dans quelle pièce passez-vous le plus de temps, en-dehors de votre chambre ? Est-ce que vous mangez dans votre logement ? Tous les jours ? Qu’est-ce que vous aimez faire dans votre logement? o Relances : Vous lisez ? Vous regardez la télé ? Vous bricolez ? Est-ce que vous avez l’habitude de manger ici ? Avec toute la famille ? Est-ce qu’il y a des moments où vous êtes tous ensemble ? o Relances : A quelles occasions ? Est-ce fréquent ? Est-ce que c’est quelque chose d’important pour vous ? Et pour les autres aussi ? Est-ce qu’il vous arrive de travailler dans votre logement ? o Relances : Si oui, dans quelle pièce ? Tous les jours ? Dans la journée ? Le soir ? Si non, vous travaillez dans quoi ? En quoi ce travail consiste ? II – RELATIONS SOCIALES 1. RELATIONS AUTOUR DU LOGEMENT - Pour vous avoir du monde à la maison c’est quelque chose que vous appréciez ? - Est-ce que vous invitez des gens chez vous ? 68 o Relances : Si non pourquoi (logement trop petit, manque de temps) ? Si oui, à quelles occasions (simples visites, apéritif, diner, hébergement) ? Qui sont les personnes que vous invitez en général (famille, amis, collègues) ? Depuis un mois par exemple, est-ce que c’est arrivé souvent ? Est-ce que vous pouvez me raconter la dernière fois que vous avez invité quelqu’un chez vous ? - Est-ce qu’il vous arrive d’héberger quelqu’un à la maison ? o Relances : Si non, pourquoi ? Si oui, souvent ? Quelles sont les personnes que vous hébergez en général ? Quand était-ce la dernière fois ? Qui étaitce ? Est-ce que vous pouvez me décrire rapidement comment ça s’est passé ? - Votre logement est-il adapté pour recevoir ? o Relances : Est-ce qu’il dispose de pièces pour recevoir/héberger ? Est-ce qu’il vous permet d’établir facilement des relations avec d’autres personnes (disposition, taille, emplacement) ? Est-ce qu’il est proche de vos cercles d’amis, de connaissances ? - Vous aimeriez recevoir plus de manière générale ? 2. RELATIONS DE VOISINAGE - Est-ce que vous pouvez me parler de vos voisins ? o Relances : Ca va jusqu’où pour vous la notion de voisin ? Un habitant du quartier c’est un voisin ? Votre quartier vous le limiteriez à où ? - Pour parler de vos voisins d’immeuble, est-ce que vous en connaissez certains ? o Relances : Si oui, combien ? Est-ce que vous pouvez me raconter comment vous les avez rencontré ? Quels types de contacts vous avez avec eux (salutation, échanges de services, réception, visites, rendez-vous, sorties)? Ces contacts sont-ils fréquents (plusieurs fois par jour, semaine, mois) ? C’est quand la dernière fois que vous avez rencontré un de vos voisins ? Pouvez-vous me raconter ? Est-ce que vous vous réunissez parfois en-dehors de l’immeuble ? - Qu’est-ce que vous pensez de vos voisins d’immeuble ? Est-ce que vous aimeriez en rencontrer plus ? - Est-ce que vous trouvez qu’il est facile de les rencontrer ? o Relances : Est-ce qu’il y a des endroits de l’immeuble/quartier qui permettent de rencontrer facilement vos voisins (escalier, salle commune, parking, bistro, autre) ? Est-ce qu’il existe des réunions/fêtes de voisinage (ou d’autres événements : conseil de quartier, réunion de voisins)? Est-ce qu’il existe des tensions ou des conflits dans votre immeuble ? - 69 - o Relances : Si oui de quels types (bruits, odeurs, dégradations dans l’immeuble) ? Comment elles se manifestent (en décrire l’intensité) ? Est-ce que vous en avez parlé avec eux, essayer de régler le conflit ? Est-ce que vous sentez ou l’impression d’être isolé ? o Relances : Si oui, pourquoi ? Vous voudriez rencontrer plus de personnes ? Faire plus de choses ? 3. RELATION DE TRAVAIL - Est-ce que vous travaillez ? o Relances : Si oui, où se situe votre lieu de travail ? Combien de temps travaillez-vous par semaine ? Combien de fois y allez-vous ? Comment, par quels moyens de transport ? Combien de temps mettez-vous pour y aller ? Vous trouvez ça long ? - Est-ce que votre conjoint travail ? o Relances : mêmes questions - Est-ce que vous voyez des collègues en-dehors du travail ? o Relances : Si oui, combien ? Vous les voyez souvent ? Qu’est-ce que vous faites avec eux ? Vous pouvez me raconter la dernière fois que vous les avez vu en-dehors du travail ? 4. RELATION AVEC BAILLEUR - Est-ce que vous connaissez votre bailleur ? o Si HH déclaré : Quels types de liens vous avez avec HH ? Est-ce que ça été utile pour vous de passez par HH pour trouver un logement ? o Accompagnement : Est-ce que vous suivez un accompagnement HH ? Si oui de quel type ? Avec qui ? Est-ce que vous voyez souvent le bénévole ou le travailleur social ? Quelles types d’activités pratiquez-vous avec lui (sorties culturelles, cours de français, atelier avec d’autres locataires) ? Estce que vous avez des contacts avec d’autres locataires HH ? III – SOCIABILITES LIEES AU QUARTIER 1. DESCRIPTION DU QUARTIER - Pouvez-vous me décrire votre quartier ? o Relances : Comment s’appelle-t‐il ? Pour vous, il s’étend d’où à où ? Est-ce un endroit plutôt calme, plutôt animé ? Est-ce qu’il y a beaucoup de commerces/ d’offre culturelle ? Est-ce que c’est un quartier central, ou 70 - - - proche du centre selon vous ? Est-ce que c’est bien desservi par les transports ? Est-ce que vous trouvez que c’est un quartier mixte ? Quelle population habite ici ? o Relances : Est-ce que ce sont des personnes qui vous ressemblent, qui ont les mêmes modes de vie que vous ? Est-ce que vous appréciez vivre parmi eux ? Si non, vous préféreriez vivre avec des gens qui vous ressemblent ? Et en dehors de l’immeuble, vous connaissez des personnes qui habitent le quartier ? o Relances : Si oui, combien ? Comment les-avez vous connu ? Où est-ce que vous voyez ? Est-ce que vous aimez votre quartier ? o Relances : Si non, qu’est-ce que vous n’aimez pas (le bruit, les gens, les commerces, les prix) ? Si oui, quoi ? Est-ce que vous vous y sentez plutôt à l’aise ? C’est un quartier où il fait bon vivre ? Qu’est-ce qu’il manque dans ce quartier ? Depuis que vous y habitez, est-ce qu’il a changé ? Est-ce que vous avez envie de changer de quartier ? Si oui, pourquoi ? Où aimeriezvous habiter ? 2. USAGES DU QUARTIER - - - - Est-ce que vous passez beaucoup de temps dans votre quartier ? o Relances : Si non, pourquoi (trop cher, rien à faire) ? Si oui, qu’est-ce que vous aimez y faire ? Est-ce que vous faites vos courses dans le quartier ? o Relance : Si non pourquoi ? Où allez-vous ? Si oui, vous allez où (marché, supermarché, épicerie du coin) ? Vous y allez seul ou en famille ? Pouvez-vous me parler des endroits que vous fréquentez dans votre quartier ? o Relances : (commerces, bars, restaurants, équipements publics, médecins, parcs) ? Lesquels vous préférez ? Avec qui ? Est-ce que vous pratiquez un sport ou une activité culturelle dans votre quartier ? Si oui, combien de fois par semaine ? Avec qui ? Est-ce que vous êtes membre d’une association dans votre quartier ? Avec qui ? Est-ce qu’il y a un endroit (ou plusieurs) que vous fréquentez régulièrement, ou que vous aimez particulièrement, en-dehors de chez une connaissance qui habiterait dans le coin ? o Relances : Si oui, lequel (bistro, resto, salle de sport). Pouvez-vous m’en parler ? Qu’est-ce qui vous plait ? A quelle fréquence y allez-vous ? IV – AUTRES SOCIABILITES 1. USAGES DE LA VILLE 71 - Est-ce que vous connaissez bien la ville ? o Relances : Si oui, quelle(s) partie(s) préférez-vous ? Pour quelles raisons ? Lesquelles vous n’aimez pas ? Pourquoi ? - Est-ce que vous fréquentez d’autres endroits de la ville ? o Relances : Si oui, lesquels ? A quelles occasions ? Avec qui ? Est-ce qu’il y a des endroits que vous n’aimez pas ? Pourquoi ? Est-ce qu’il y a un endroit de la ville que vous aimez particulièrement, en-dehors de votre quartier ? o Relances : Qu’allez-vous y faire ? Y allez-vous souvent ? Avec qui ? Quand était-ce la dernière fois ? Vous pouvez me racontez ? - - Est-ce qu’il vous arrive de retourner dans votre ancien quartier ? o Relances : Si oui, à quelles occasions ? Y retournez-vous fréquemment ? Est-ce que vous voyez des gens que vous connaissez là-bas ? 2. MOBILITES/VACANCES - - - - Comment vous déplacez-vous dans la ville en règle générale (à pied, transports en commun, voiture) ? o Relances : Est-ce que vous vous déplacez régulièrement ? Est-ce que vous avez une voiture ? Est-ce que vous prenez les transports en commun ? Si oui, lesquels ? Vous avez un abonnement TCL/vélo’v? Est-ce qu’il vous arrive de partir en vacances ? o Relances : Si oui, pour où ? Pour quelles occasions ? Combien de fois par an ? A quels moments ? Combien de temps ? Est-ce qu’il vous arrive d’aller visiter d’autres personnes ? o Relances : Si non, pourquoi ? Si oui, dans quelles circonstance ? Est-ce que vous allez voir des gens en-dehors de Lyon (et de son agglo) ? Pour quelles raisons ? Où ça ? Qui (familles/amis) ? A quels moments ? Pendant combien de temps ? Pour finir, est-ce que vous pouvez m’indiquer votre revenu mensuel ? Votre dernier diplôme obtenu ? Et votre âge ? Je vous remercie ! 72 Carte des locataires interviewés Tableau 4 : Caractéristiques des logements N° Arrondissement Ancienneté (Année) Type de bail Surface Habitable (m2) Lot Loyer (€) 1 69004 4 Libre 49 T2 400 2 69006 17 PLAI 62 T2 565 3 69001 3 Très Social 60 T4 400 4 69002 3 PST 39 T1 230 5 69006 7 PLAI 60 T2 390 6 69006 15 Libre 64 T4 600 7 69006 10 PLAI 68 T1 400 8 69001 2 PLAI 83 T3 420 73 Profil sociologique des enquêtés : 1) Alice Alice a 65 ans. Elle exerce la profession d’aide à domicile et est rémunérée directement par les personnes pour qui elle travaille. Elle fait cette activité depuis 25 ans. Elle était avant secrétaire de direction dans une agence immobilière, d’où elle a été licenciée. Elle s’est reconvertie dans l’aide à domicile après en avoir entendu parler. Elle dit avoir bien voulu « essayer » et a finalement choisi cette voir jusqu’à aujourd’hui. Elle est détentrice de plusieurs diplômes, « CAP de dactylo », « brevet de secrétariat et d’aide comptable », ainsi que d’ « un truc en informatique ». Elle n’est pas détentrice du baccalauréat. Alice est originaire d’Oullins, dans la banlieue de Lyon. Elle a toujours habité dans ce qu’on appellerait aujourd’hui la Métropole de Lyon. Elle a trois sœurs et deux frères, qui habitent à Lyon ou dans ses environs. Une de ses sœurs habite dans l’Ain. 74 2) Monique Monique est une personne à mobilité réduite, souffrant d’une pathologie appelée IMC pour Infirmité Motrice Cérébrale, et se déplace donc en fauteuil roulant. Elle vit depuis 17 ans seule dans un appartement situé rue Masséna dans le sud-est du 6ème arrondissement, au rez-de-chaussée d’une grande résidence qui comporte de nombreux logements. Elle a 47 ans et travaille à la Sécurité Sociale depuis maintenant 5 ans, où elle gagne environ 1200 euros par mois. Elle n’est détentrice d’aucun diplôme, sa pathologie l’obligeant à arrêter l’école en CM1. Elle a toutefois appris dans des « structures » à compter, remplier des chèques, ou se déplacer librement de façon à être plus autonome. Elle a longtemps fait parti d’un organisme d’aide aux personnes handicapées, l’ARIMC, avant de le quitter pour avoir sa liberté. Elle est originaire de Lyon, et n’a jamais habité endehors de son agglomération. 3) Lydie Lydie est une femme de 31 ans qui vit seule avec son enfant de cinq ans souffrant d’un handicap. Elle habite dans son logement actuel des pentes de la Croix-Rousse, dans le 1er arrondissement, depuis maintenant 3 ans. Elle est originaire de Lille, mais est arrivée à Lyon « de manière plutôt chaotique » en 2006. Elle a travaillé dans plusieurs domaines, a 75 été téléconseillère avant de devenir aide à domicile, le métier qu’elle exerce en ce moment. Elle ne travaille pas actuellement car elle attend un deuxième enfant. Elle a eu un parcours résidentiel assez chaotique, ayant habité en foyer, puis dans un logement insalubre avant d’arriver dans celui-ci. Elle n’a pas fait d’études mais est détentrice du baccalauréat. Son père est professeur de droit à l’université de Lille et sa mère est décédée l’an passé. 4) Ali et Nathalie Ali a 42 ans et est originaire du Soudan. Il est arrivé en France en 2005, et à Lyon en 2007. Il vit dans cet appartement situé au sud de la Gare Perrache avec sa compagne Nathalie, originaire de Saint-Etienne, depuis deux ans. Il exerce la profession d’étancheur et travail pour un artisan. Nathalie elle travail dans une usine qui recycle des chiffons. Il gagnent chacun l’équivalent du SMIC. Ali est détenteur d’une licence en lettres qu’il a obtenu au Soudan. Nathalie a des enfants qui vivent avec leur père, tandis qu’Ali n’en a pas. Son père est assistant médical et sa mère femme au foyer. Pour Nathalie, son père était gaufreur, et sa mère n’a jamais travaillé. 76 5) Michelle Michelle est originaire du Congo (Zaïre) et a 40 ans. Elle élève seule son fils de onze ans dans son appartement situé dans le 6ème arrondissement, entre la rue Garibaldi et les Brotteaux. Elle est venue en France, pour faire ses études à l’université Catholique de Lyon, où elle a obtenu un master 2 en droits de l’homme. Jusqu’en septembre dernier, elle exerçait la profession d’auxiliaire de vie scolaire avant d’arrêter dans l’objectif de trouver un emploi plus en accord avec sa formation. Depuis son arrivée en France, elle a toujours habité des logements gérés par HH, la « Catho » ayant un partenariat avec l’association. Elle occupe son logement actuel depuis 2008. 77 78 6) Christophe Christophe est enseignant-chercheur à Lyon 1. Il est arrivé dans son logement actuel, près des Brotteaux, il y a 15 ans avec son frère quand il était encore étudiant. Il a aujourd’hui 43 ans, et y vit encore, mais maintenant en compagnie de sa femme, d’origine tunisienne, et de leur enfant qui vient de naitre. Suite à ce changement de la composition du ménage, il projette de quitter ce logement pour s’installe dans du privé. Il a grandi dans les alentours de Lyon, chez ses parents qui sont forains. 79 7) Stéphanie Stéphanie a 53 ans, et vit dans un bel appartement sur les quais du 6ème arrondissement depuis 10 ans. Son fils de 18 ans habite avec elle une semaine sur deux en garde partagée avec son père. Stéphanie travaille à la Fnac Bellecour comme employée au service client depuis 25 ans. Elle n’a pas fait d’études supérieures et a obtenu le baccalauréat par un système de validation des acquis d’expérience. Son père était responsable dans les métiers du transport et sa mère employée. 80 8) Jean-Paul et Hilda Jean-Paul et Hilda sont tous les deux originaires des Seychelles, plus précisément de Victoria, la capitale. C’est Jean-Paul qui est arrivé en France le premier dans les années 80 pour achever sa formation de cuisinier. Il a d’abord travaillé dans plusieurs villes comme Toulouse ou Paris, avant de s’installer à Lyon en 1989, avec Hilda qui l’a rejoint. Hilda a longtemps travaillé comme maître d’hôtel avant de devoir arrêter pour cause de polyarthrite. Ils vivent aujourd’hui dans un appartement de plus de 80 mètres carrés le cœur du quartier des pentes de la Croix-Rousse, et ce depuis deux ans. Ils n’ont jamais quitté ce quartier depuis leur arrivée à Lyon. Ils ont respectivement 63 et 58 ans. 81 Extraits d’entretien Les entretiens étant en moyenne relativement longs, entre 15 et 25 pages, il n’est pas jugé utile d’en présenter un seul intégralement. J’ai choisi quelques extraits qui apporteront des informations complémentaires sur certains enquêtés et sur comment ont été menés les entretiens. Lydie (n°3) Alors est-ce que vous pouvez me raconter comment vous êtes arrivé à habiter ici ? Eh ben, j’habitais rue du Bon-Pasteur, avant euh, dans un studio euh, dans un studio, dans un studio… et puis j’ai eu une fin de bail, parce qu’il y avait des travaux à faire et la propriétaire voulait récupérer l’appartement, donc j’ai trois mois pour chercher dans l’urgence un autre logement, et donc je suis passé par euh, bailleurs sociaux euh… plein d’endroits différents… Et puis j’suis tombée sur Habitat et Humanisme (HH) et puis j’ai expliquée ma situation, j’ai fait un dossier, et euh… et voilà en fait, ils m’ont trouvé ce… cet appartement. D’accord. Et ça fait combien de temps que vous habitez ici ? Ca fait depuis trois ans. Donc vous avez du quitter votre logement suite à une fin de bail ? J’avais pas d’autre endroit où aller, j’ai pas de famille dans la région. Voilà, euh… je, j’ai, j’étais séparée, et donc il fallait trouver quelque chose très rapidement, pour moi et mon fils. Ok. Et vous êtes d’abord passé chez des bailleurs sociaux avant de passer par HH ? Oui, des HLM et euh… j’ai tout essayé, la mairie, le préfet… j’ai harcelé un petit peu tout le monde jusqu’à que je tombe sur HH, qui avait quelque chose de libre assez rapidement donc euh… voilà j’ai pris… Et vous recherchiez dans ce quartier ? Pas forcément, j’ai tablé un peu tout, Villeurbanne, tous les arrondissements. J’avais pas de préférence, l’urgence c’était que je trouve quelque chose. Stéphanie (n°7) D’accord. Est-ce que vous pouvez me parler un peu de vos voisins ? Oui. Alors mes voisins qui sont en face euh… ce sont des… alors lui le monsieur il est notaire. Et sa femme ne travaille pas. Je sais qu’ils ont trois enfants, mais les trois enfants n’habitent plus ici, chez eux. Eux, ils sont très sympathiques. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde ici. Voilà, ouais. Parce qu’à part eux, et puis la p’tite dame qu’habite en face… 82 d’un certain âge, le reste euh… pff. Bah y a des gens qui sont vraiment cons ! Moi j’appelle ça du racisme social. Ah ouais ? Ouais, ni plus ni moins. C’est exactement ça. Ca se traduit comment ? Bah ça se traduit par euh… bah par exemple… c’est très con hein mais euh… alors déjà, la boîte aux lettres… on me l’a fracturé. Parce qu’on a pris ma boite aux lettres pour celle d’une autre personne, parce que cette autre personne euh… est un... vraiment un crétin de base, et que sur ça… il a un garage qui donne sur la rue. Et quand les gens se garaient… donc j’pense que maintenant il le fait plus, mais avant les gens se garaient devant son garage… même s’il avait pas besoin de sortir sa voiture, dès qu’il voyait ça, il sortait, il collait des autocollants sur les pare-brises, vous savez qui s’enlèvent pas. Et bah y en à qui ça a pas plus, il s’est renseigné pour savoir à qui appartenait le… le garage. Cette personne en face s’appelle « de ch’ais pas quoi », avec une particule. Moi mon fils s’appelle Demaison, et donc du coup quand le type est entré, dans l’allée, parce la porte était ouverte, il a regardé les boites aux lettres, il a vu Demaison, il a fracturé ma… ma boite aux lettres. Et quand j’me suis plaint, parce que j’ai su pourquoi, quand j’me suis plainte auprès de ce monsieur, il ne s’est pas excusé, il n’a fait aucun geste, il n’a rien fait. Voilà. Donc j’ai du payer ma porte de boite aux lettres. Donc en chêne c’est toujours agréable. Et puis une autre fois, j’avais des pigeons qui essayaient de faire un nid sur le bord de ma fenêtre. Alors à chaque fois qu’ils posaient une brindille, j’enlevais la brindille. Et j’ai retrouvé le tas de brindille sur mon paillasson quand même. Faut vraiment être con ! Bon voilà quoi, c’est… j’trouve ça très con moi. T’as un problème, tu viens taper tu dis « qu’est-ce qu’il se passe ? », « j’ai retrouvé ça », enfin ! Donc c’est ça. Et les bonjours, c’est du bout des lèvres, c’est jamais « bonjour, vous allez bien ? ». Ca fait quand même dix ans que j’habite là. Donc à part avec ma voisine, et cette petite mamie… le reste, y a aucune relation hein. C’est des gens qui prennent un petit peu… voilà, moi j’suis pas propriétaire, j’dois être la seule à pas être propriétaire d’ailleurs ici, c’est tous des propriétaires. Et euh… voilà, enfin ils vous font bien sentir quoi. Pourtant j’fais pas de bruit, rien. Le jour où je partirai, si ils mettent quelqu’un à ma place, et que c‘est quelqu’un qui fait la fiesta, ils vont voir la différence. J’pense que là, ils feront la gueule, ils pourront. Ils ont détectés que vous apparteniez pas au même monde qu’eux ? Oh ben c’est sur, ils savent que c’est un logement… ils savent que c’est un logement social hein. Puisque de toute façon… enfin tout le monde est au courant que c’est loué par HH. Alors ils ont peut-être eu… par le passé des locataires qui étaient, je sais pas, indélicats, ou bruyants, enfin voilà. Mais quand soit même on ne l’est pas… euh voilà, j’trouve que c’est un peu… j’ai pas… j’ai pas vingt ans, j’fais pas la fiesta tous les soirs, enfin… mon fils il est super propre, super poli. Donc euh… à un moment donné, ça va quoi. Le racisme social… c’est comme le racisme tout court d’ailleurs. C’est quelque chose que vous avez subi dès le début ? Très rapidement, oui… très rapidement hein. L’incident de le boite aux lettres c’était y a longtemps par exemple ? 83 C’était y a euh… il doit y avoir sept ans j’crois. Oui sept ans. Les brindilles aussi, il doit y avoir cinq ans à peu près. Depuis y a pas eu… Depuis y pas eu d’autres… manifestations… voilà. Y pas eu d’amélioration ? Non plus. Non plus. Les personnes qui vivent là sont ici depuis longtemps ? Oh j’pense que oui, j’pense que oui. Ca bouge pas trop ? Non ça bouge pas, ouais, ouais. C’est rare. Du coup vous avez quand même réussi à lier contact avec la personne en face ? Oui, voilà. Voilà. Parce que, ils sont vraiment sympathiques. Après j’ai jamais mangé chez eux, ils ont jamais mangé chez moi hein. Mais euh… mais voilà, quand on se rencontre, on parle de… on prend des nouvelles de nos enfants, enfin voilà quoi, quelque chose de simple mais… voilà. Et ils sont chaleureux quoi… à l’indifférence des autres… Ca vous est jamais arrivé d’échanger des services avec l’un ou l’autre ? Non. Non. Ali et Nathalie (n°4) Est-ce que vous pouvez me décrire un peu votre logement ? Quelle surface il fait, il a combien de pièces, vous payez combien de loyer ? D’accord, mon loyer, exactement… la surface c’est 39 mètres carrés, il y a une chambre. Salon… et cuisine de coin. Salle de bains, toilettes. NATHALIE: Non et puis c’est bien disposé. Si c’est vrai, il faut dire… comment c’est fait, la chambre est séparée, salle de bains, toilettes. Non, moi j’trouve que non, ça va. On peut pas vivre à trente, mais pour une personne ou deux… Le loyer, c’est environ 230. Avec les charges ? Les charges, ça change chaque mois, et on peut dire entre 230 et 250. Vous avez pas de reproche particulier sur ce logement ? NATHALIE : Humide. Et on le ressent vraiment. Quand il fait un temps comme ça là comme dehors, on le ressent. Sinon pff… 84 Il est assez lumineux, assez… NATHALIE : Oui. Si, si. Si on ouvre bien le store… Y a pas de défaut particulier ? NATHALIE : Non. Y a rien ! NATHALIE : Non c’est même bien chauffé j’trouve. Vous habitez à deux ici ? Oui ça fait un moment que… elle… habite euh… elle… Ca va vous vous marchez pas trop dessus ? NATHALIE : Non, c’est pour ça que j’disais à deux, trois grands maximums, après c’est pas possible. Deux trois personnes à l’appart’ ouais, mais au bout de trois non c’est pas possible. Avec un enfant c’est pas possible. Parce qu’on voit le voisin déjà en haut, t’as vu c’est pas possible. Euh c’est encore pire ils ont même pas de chambre. Eux ils ont qu’une grande pièce. Sinon non ça va… Non ça va. NATHALIE : En plus on travail tous les deux donc la journée on s’voit pas trop quoi. Lui il va de son coté, moi j’vais du mien alors… On s’retrouve que le soir quoi en gros. Ce qu’il y a de bien c’est qu’au moins on n’est pas tout seul quand on rentre. Ca c’est bien. C’est vrai quand on a quelqu’un avec qui discuter quoi. Tout seul c’est bien mais pas tout le temps, tout le temps quoi. Ca fait de la conversation, ça fait… de la compagnie on va dire. Est-ce que vous aimeriez changer de logement ? Oui bah… comme tout le monde quand même. Vous aimeriez en avoir un autre ? Oui. Un peu plus grand. NATHALIE : Que la cuisine soit séparée. Ouais, que la cuisine… NATHALIE : Cuisine, cuisine. Une cuisine à part quoi. Et le salon à part. Toi tu voudrais une cuisine américaine (rires) ? NATHALIE : Non ça dépend. Donc vous aimeriez en changer, mais là, c’est pas prévu pour tout de suite ? Ouais, nan, pas pressé (rires). NATHALIE : Disons que c’est dans les projets, mais pas tout de suite. 85