Nothing Special   »   [go: up one dir, main page]

Academia.eduAcademia.edu

« Cet ailleurs qui est ici » : de l'usage du dépaysement dans You Are Not Needed Now d'Annette Lapointe

2021, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

“ Cet ailleurs qui est ici ” : de l’usage du dépaysement dans You Are Not Needed Now d’Annette Lapointe Claire Omhovère To cite this version: Claire Omhovère. “ Cet ailleurs qui est ici ” : de l’usage du dépaysement dans You Are Not Needed Now d’Annette Lapointe. Textures : cahiers du CEMIA, 2021. ฀hal-03460641฀ HAL Id: hal-03460641 https://univ-montpellier3-paul-valery.hal.science/hal-03460641 Submitted on 1 Dec 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. « Cet ailleurs qui est ici » : de l’usage du dépaysement dans You Are Not Needed Now d’Annette Lapointe Claire Omhovère Université Paul-Valéry Montpellier 3 You Are Not Needed Now (2017) rassemble onze nouvelles dont l’auteur, originaire de la Saskatchewan, vit et enseigne au nord de l’Alberta dans l’Ouest canadien. Née en 1978 Annette Lapointe appartient à une génération d’écrivains qui reste ancrée dans le courant régionaliste d’une littérature dite « des Prairies », dont les codes établis dans les premières décennies du siècle passé n’ont cessé d’être remodelés, du réalisme rural de la première moitié du XXème jusqu’aux innovations postmodernes qui donnèrent naissance au « régionalisme expérimental » de la fin du siècle1. A l’heure où les modes de vie sont devenus aussi urbains, connectés et mobiles dans les provinces de l’Ouest qu’à de nombreux autres endroits à la surface du globe, la littérature des Prairies ne s’est pourtant pas diluée dans les mutations post-nationales que traverse le Canada depuis la fin du siècle dernier2. A chaque nouvelle parution d’une histoire littéraire, un chapitre est dédié aux courants régionalistes qui n’ont rien perdu de leur vitalité dans un pays aussi immense que contrasté. L’imposant Oxford Handbook, dirigé en 2016 par Cynthia Sugars, n’est pas en reste. Dans le chapitre « Retracing Prairie Literature », Alison Calder interroge les exclusions sur lesquelles l’homogénéité du canon régional repose : minoration de la voix des femmes, effacement de la présence autochtone mais aussi suppression d’environnements autres que la ruralité investie en ses débuts par cette littérature de peuplement ou « settler literature ». La place qu’y occupe le paysage assortie d’un puissant déterminisme géographique ont en effet longtemps servi à démarquer un type d’intrigue, un profil de personnage ainsi qu’une esthétique reconnaissables entre tous3. A la suite d’Alison Calder qui nous engage à « retracer » la littérature des Prairies pour en dégager les aspects occultés, cet article propose d’identifier les stratégies de dépaysement à l’œuvre dans Your Are Not Needed Now afin de discerner comment l’écriture de Lapointe parvient à décaler le canon dans lequel elle s’inscrit pour mieux le renouveler. Dépayser commence chez Lapointe par « dépaysager4 ». Ses nouvelles se détournent du lieu commun du paysage pour interroger ce que Georges Didi- 1 Janice Fiamengo, « Regionalism and Urbanism », The Cambridge Companion to Canadian Literature, Eva-Marie Kröller (dir.), Cambridge, CUP, 2004, p. 250. 2 Voir Franck Davey, Post-National Arguments: The Politics of the Anglophone-Canadian Novel since 1967, Toronto, The University of Toronto Press, 1993. 3 Alison Calder, « Retracing Prairie Literature », The Oxford Handbook of Canadian Literature, Cynthia Sugars (dir.), Oxford, OUP, 2016, p. 702. 4 C’est le terme judicieux qu’Anne-Sophie Letessier utilise dans l’article qu’elle consacre à Monkey Beach, roman de l’écrivaine amérindienne Eden Robinson, où le refus du regard paysager a lui aussi une double dimension esthétique et politique. 1 Huberman nomme les « lieux du commun5 » dans un contexte où la refonte du concept de commun est devenue chose nécessaire face aux crises qu’engendrent les économies extractives à l’échelle de la planète6 mais aussi, très localement, dans le tissu des sociétés de peuplement nées de l’expansion coloniale, là où les modalités du vivre ensemble continuent de faire débat, au sein-même de la nation comme dans la littérature où s’imaginent les identités collectives. Dépaysement et paysage Dans l’ouvrage qu’il lui consacre, Jean-Christophe Bailly s’arrête sur l’écart entre l’ici et l’ailleurs que suppose le dépaysement. Dans son sens premier, le mot évoque le plaisant sentiment d’étrangeté qu’éprouve le touriste quand, transporté ailleurs, dans un ici provisoire, son regard se trouve comme lavé de ses certitudes7. Le dépaysement, tel que Bailly le cultive, renvoie à une autre forme de déplacement : il intervient à rebours de l’exotisme, dans les traits d’un pays familier où « ce que l’on connaît ou croyait connaître s’est transporté de soi-même dans un ailleurs indiscernable mais présent. Quel est donc, se demande-t-on alors, quel est donc cet ailleurs qui est ici 8 ? » Ce même questionnement parcourt les littératures postcoloniales nées à l’écart des centres métropolitains où s’exercent les forces centripètes du conformisme culturel. Dans ces littératures, le dépaysement se rencontre aux deux niveaux mis en évidence par Bailly. En termes de réception, le dépaysement qu’elles procurent expliquerait selon certains leur succès auprès d’un public occidental friant d’exotisme9. Mais le dépaysement intervient bien avant la réception de l’oeuvre, dès l’origine pourrait-on dire, dans le hiatus qui sépare la langue colonisatrice du pays qu’elle investit. Bien que le mot n’existe pas en anglais, c’est en effet en termes de dépaysement, de dislocation et de réinscription dans un espace-tiers, qu’Homi Bhabha envisage l’étrangeté des processus de mimétisme et d’hybridation résultant de la diffusion d’une culture occidentale reprise, déformée et transformée à chacune de ses itérations locales10. La littérature des Prairies, elle aussi, naît dans cet écart, dès les premiers récits d’exploration où la composition paysagère s’affirme initialement comme une aspiration difficile à satisfaire, avant que des tentatives de mises en forme inédites ne débouchent, chez les écrivains réalistes des années 1940, sur une esthétique géométrique tendant vers l’abstraction. C’est ce qu’illustrent ces deux célèbres 5 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, l’œil de l’histoire 4, Paris, Minuit, 2012, p. 98 : « C’est notre regard, notre volonté de regard, qu’il faut investir de cette responsabilité politique élémentaire consistant à ne pas laisser dépérir le lieu du commun en tant que question ouverte dans le lieu commun en tant que solution toute trouvée ». Je rejoins les analyses fort justes que Marie Laniel propose de ce passage dans son propre article. 6 Sur cette question, voir Pierre Dargot et Christian Laval, Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2015, p. 11 et Corine Pelluchon, Éthique de la considération, Paris, Seuil, 2018, p. 15-16. 7 Jean-François Bailly, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, 2011, p. 477. 8 Ibid. 9 Voir Graham Huggan, The Postcolonial Exotic. Marketing the Margins, New York, Routledge, 2001. 10 Homi Bhabha, The Location of Culture, London, Routledge, 1994, p. 227. 2 passages, respectivement extraits de As For Me and My House (1941) de Sinclair Ross et de Who Has Seen the Wind (1947) de W.O. Mitchell : I turned once and looked back at Horizon, the huddled little clutter of houses and stores, the five grain elevators, aloof and imperturbable, like ancient obelisks, and behind the dust clouds, lapping at the sky. […] I walked on, remembering how I used to think that only a great artist could ever paint the prairie, the vacancy and stillness of it, the bare essentials of a landscape, sky and earth […]11. Here was the least common denominator of nature, the skeleton requirements simply, of land and sky – Saskatchewan prairie12. La critique des années soixante-dix saluera la vision de ces auteurs-démiurges capables de donner corps à un univers fictionnel à partir de si peu et, par là-même, de conférer aux Prairies une existence distincte du reste de la nation 13 . C’est ce qu’exprime le fameux aphorisme de Robert Kroetsch, « The fiction makes us real14 », tant cité au cours de ces mêmes années pour souligner combien l’investissement imaginaire de ces espaces reposait sur l’élaboration de « ritournelles » territorialisantes15. La ritournelle paysagère servant d’ancrage à la littérature des Prairies fera l’objet de diverses réévaluations à compter des années 2000. Des critiques comme Richard Cavell feront alors valoir qu’en dépeignant ces contrées comme nues, simples et austères, les écrivains avaient instauré le vide nécessaire au déploiement de leur art. De fait, l’abstraction d’un paysage réduit à l’intersection de quelques lignes n’a été possible qu’une fois oblitérées les Premières Nations, les traces laissées par leur occupation des terres, tout comme la violence coloniale visant à leur anéantissement16. Procéder à cette relecture du passé a également mis en évidence la spectralité d’une littérature hantée par le déni des violences perpétrées à l’encontre des autochtones, mais aussi de certaines minorités visibles, en raison de la « pédagogie de l’oubli » mise au service du modèle de société promu par les pères fondateurs de la Confédération17. Bien qu’elle soit aujourd’hui entrée dans l’ère du soupçon18, cette tradition paysagère continue d’être invoquée quand il s’agit d’estampiller la production 11 Sinclair Ross, As For Me and My House [1941], Toronto, McClelland & Stewart, 1957, p. 59. W.O. Mitchell, Who Has Seen the Wind, 1947, Toronto, McMillan of Canada, 1960, p. 3. 13 Voir notamment les deux principaux ouvrages critiques à s’être intéressés au courant régionaliste des Prairies à cette période : Laurie Ricou, Vertical Man / Horizontal World, Vancouver, BC, University of British Columbia Press, 1973 et Dick Harrison, Unnamed Country: The Struggle for a Canadian Prairie Fiction, Edmonton, AB, University of Alberta Press, 1977. 14 Robert Kroetsch, Creation, avec James Bacque et Pierre Gravel, Toronto, New Press, 1970, p. 63. 15 Gilles Deleuze et Félix Guattari, « De la ritournelle », Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980, p. 381433. 16 Margery Fee, Literary Land Claims. The “Indian Land Question” from Pontiac’s War to Attawapiskat, Waterloo, ON, Wilfrid Laurier University Press, 2015, p. 9-10. 17 Daniel Coleman, White Civility. The Literary Project of English Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2006, p. 30-31. 18 Point que développe Aritha van Herk dans « Curtailed by the Sublime : Canada, Nature and the Contingencies of Beauty », dans The Memory of Nature in Aboriginal, Canadian and American 12 3 régionale à l’intention d’un lectorat national, voire international. La critique qui salua la parution du recueil de Lapointe dans le Globe & Mail annonce d’emblée la couleur, forcément locale : « [Lapointe’s] stories are like the Prairies themselves : harsh and austere, but imbued with a rugged beauty19 ». Cette comparaison assène, avec la force du lieu commun, un ensemble de traits qui gomment l’excentricité du recueil pour le rendre conforme à ce qu’annoncent dépliants touristiques et guides littéraires dans cette région du globe. Le recours au stéréotype paysager instaure une familiarité là où les nouvelles font pourtant preuve de réserve. Car, du paysage, il y en a peu, voire pas du tout dans You Are not Needed Now. Cette retenue est source de dépaysement dans un recueil où chaque ici se double d’un ailleurs insaisissable. Il est donc douteux que l’entrée en matière du Globe and Mail aide le lecteur à s’orienter dans des nouvelles qui, à l’inverse, abordent un espace géographique caractérisé par son éloignement et sa marginalité, « on the edge of the world » (Needed p. 68). Mal ou peu défini, le lieu de l’intrigue est souvent introduit par un écart, la distance qui le sépare des métropoles de l’Ontario ou, plus fréquemment encore, de Vancouver tout à l’ouest (Needed p. 27, 43, 73, 82, 90, 93, 165, 218). A l’imprécision de ces entre-deux qui ne tiennent qu’à l’existence d’un autre lieu davantage visible que celui où se déroulent les intrigues, s’ajoute un flou que le voisinage des États-Unis rend perceptible. En effet, bien que les deux pays partagent une même géographie, ils l’occupent fort différemment de part et d’autre de leur frontière commune : « This is nowhere. She can almost see over the American border from Terry’s yard, and farther if she takes out one of the horses » (Needed p. 49). Ce cheval qu’il faut pousser hors-champ pour contempler la vue se distingue de l’élément du décor auquel le western nous a habitués. Il ne s’agit pas ici d’un ranch mais dans une pension pour chevaux de course à la retraite. Non loin de là, les membres de la famille royale britannique continuent d’élever des pur-sang destinés à l’hippodrome ou au terrain de polo (Needed p. 45). La loyauté à la Couronne a laissé des traces de ce côté du 49ème parallèle : l’Ouest canadien offre une apparence plus policée, mieux ordonnée et pourtant moins dotée en repères que le « wild wild west » étatsunien. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes. Dans « When You Tilt Your Head Just So the World Will Crack », le conducteur d’un autobus contraint un jeune couple de passagers passablement éméchés à débarquer en pyjama au milieu des champs, après deux jours d’un interminable voyage sur une ligne transcontinentale : « They weren’t really anywhere. There was a little pavillion, and the sign said they were on the Saskatchewan-Manitoba border. Tourist information, maps, points of interest. Nobody was smoking. The air was just a bit cold, left over from the night » (Needed p. 65). Avec l’adverbe « really », la voix narrative prend une inflexion qui marque la différence entre sensation subjective et intellection de l’espace, entre l’espace tel qu’il est vécu et l’espace que représentent le discours ou la carte, puisque les passagers sont forcés de descendre à un endroit qui est la fois nulle Contexts, Françoise Besson, Claire Omhovère et Héliane Ventura (dir.), Newcastle upon Trent, Cambridge Scholars Publishing, 2014, p. 54-72. 19 Steven M. Beattie, « Review : Annette Lapointe's You Are Not Needed Now and Jessica Westhead's Things Not To Do ». The Globe and Mail, 20 octobre 2017, https://beta.theglobeandmail.com/arts/books-and-media/book-reviews. 4 part et parfaitement localisable. Plus qu’ailleurs la frontière est ici perçue comme une ligne abstraite qui passe sans pour autant marquer, départager ou même signifier20. A l’identique, affichettes et prospectus sont mornement énumérés dans une phrase nominale qui ne livre rien de ce qu’il y aurait ici à voir ou à faire. L’indéfinition ne provient donc pas d’un obstacle à la localisation mais d’une retenue dans l’écriture qui s’arrête, avant le paysage qu’elle pourrait investir, sur le kiosque au premier plan. On ne verra rien de ce qu’il pourrait y avoir à contempler au-delà, car le sens de la vue n’est pas sollicité. Le lointain est occulté par l’espace ambiant qui vient à la rencontre du personnage focalisateur et l’enveloppe d’une sensation de froid à sa descente du bus. Le paysage urbain est traité avec tout autant de réserve lorsque le narrateur fournit des repères spatiaux qui ont pour effet contradictoire de cerner le lieu et l’effacer tout à la fois. C’est le cas dans « a Starbucks on Eighth » (Needed p. 122) où l’article indéfini fait surgir l’image d’une enseigne familière pourtant impossible à localiser sur l’une des huitièmes rues (ou avenues ?) qui se croisent dans chacun des quadrants, nord, sud, est ou ouest, qu’occupe la ville. On pourrait discerner ici l’effet homogénéisant, aux antipodes du dépaysement exotique, propre aux non-lieux nés de « l’extension sans précédent des espaces de circulation, consommation et de communication » allant de pair avec la mondialisation 21 . Or, davantage qu’une uniformité, ce brouillage instaure une étrange familiarité. Les villes des Prairies voient ainsi leurs contours pris dans un tissu urbain sans véritable lisière dont l’étendue, de fibres en câbles, se ramifie d’un continent à l’autre. Ce franchissement s’observe lorsque le récit délaisse l’espace concret où les personnages de Lapointe accomplissent leurs actions pour investir l’espace virtuel où s’expriment leurs désirs et leurs aspirations. Sur le câble, par exemple, les personnages regardent volontiers des séries de téléréalité britanniques : The House & Garden Channel does that for Erin. Takes the edges off things. It’s almost – utopian? Yes. It’s utopian. This perfect world where the floors are clean all the time and people come over for dinner carrying red wine and admire your decorating skills. (Needed p. 96) Si ces programmes se gobent comme des anxiolytiques, c’est que la contemplation d’intérieurs aussi lisses que transposables a pour effet de dissoudre les aspérités de l’espace vécu (voir aussi 97, 107 et 138). L’effet est dépaysant au sens premier du terme puisque les spectateurs sont extraits de l’immédiateté du pays pour être projetés dans un ailleurs qui, dans ce cas précis, pourrait résider n’importe où. La séduction de l’utopie telle que l’instance narrative la souligne, s’oppose aux valeurs du terroir longtemps privilégiées dans la littérature des Prairies. Plus que n’importe quel intérieur domestique, l’extérieur y a longtemps concentré les ressources du récit, en termes d’intrigue et d’investissement descriptif, car c’était là qu’intervenaient la découverte, l’exploration et l’exploitation de la nature. Dans la rhétorique classique la 20 Sur le passage de la frontière et ses effets sur ceux qu’elle traverse, voir l’article de Pascale Guibert dans ce même volume. 21 Marc Augé, « Retour sur les “non-lieux”. Les transformations du paysage urbain », Communications, 87, 2, 2010, p. 171-178, https://www.cairn.info/revue-communications-2010-2page-171.htm. 5 description ressortait de l’amplificatio, ce qui eut pour effet d’en diminuer la valeur aux yeux des nombreux critiques qui la rangèrent aux côtés d’autres arts mineurs de l’ornementation parmi lesquels le paysage. « Une description », prévient Paul Valéry, « se compose de phrases que l’on peut, en général, intervertir […]. Ce mode de créer, légitime en principe et auquel tant de fort belles choses sont dues, mène, comme l’abus du paysage, à la diminution de la partie intellectuelle de l’art 22 ». « L’abus du paysage » et, au-delà, celui de la description furent longtemps caractéristiques d’une littérature canadienne qui s’est donné pour vocation l’invention d’un pays. Avant même d’écrire, décrire s’est donc imposé à cet endroit du monde comme un acte inaugural, politique et poétique, n’en déplaise à Valéry. Avoir les pieds dans la poussière, défier l’horizon du regard tout en faisant face à l’acharnement des éléments exigeait une éloquence doublée de vigueur morale. Par le truchement de la littérature, une région de pionniers exprimait non seulement son existence mais aussi sa valeur au reste de la nation, tout particulièrement à l’Establishment de l’Ontario qui longtemps ne vit dans les Prairies qu’un arrière-pays à exploiter, une colonie de seconde zone23. Les personnages de Lapointe n’ont, en apparence, guère en commun avec les patriarches qui incarnaient ces vertus chez Sinclair Ross ou W.O. Mitchell, comme chez d’autres auteurs de premier plan à cette même époque, parmi lesquels Robert Stead ou Margaret Laurence. Les figures de femmes qui, déjà, s’imposent chez Laurence, tiennent le devant de la scène dans You Are Not Needed Now où elles incarnent des phases, voire des modalités du féminin. L’éventail est ici aussi large qu’inclusif : des mères de famille souvent célibataires côtoient des transsexuelles, une femme pasteur lesbienne, quelques prostituées occasionnelles, de féroces retraitées, etc. L’excentricité des personnages, fréquemment renforcée par la marginalité et la précarité sociale, s’exprime aussi, et de manière plus surprenante, à travers une aversion pour le désordre, doublée d’une passion pour le rangement, qualités suffisamment récurrentes pour que l’on s’y attarde. Mettre en ordre : ranger, conserver, reléguer Chez Lapointe, les personnages féminins ne sont pas à strictement parler exclues de l’espace public où certaines occupent des emplois, voire des fonctions longtemps réservés aux hommes. La femme pasteur mentionnée plus haut apparaît dans deux des nouvelles, « Scatterheart » et « Parrothead ». Toujours dans « Parrothead », le compagnon de Bernie travaille à la plonge dans un restaurant de Fort McMurray alors qu’elle-même conduit les poids lourds faisant la navette entre la ville et le site d’extraction des sables bitumineux (Needed p. 25, 179). Malgré leur visibilité, la place des femmes ne semble pourtant jamais aller de soi dans l’espace public. L’aideménagère de « Scatterheart » n’ose plus sortir faire les courses à l’approche du terme de sa grossesse. La vieille dame qui l’emploie lui recommande alors de conserver dans son sac un bocal de cornichons qu’elle pourra laisser choir pour détourner l’attention 22 Souligné par Valéry et cité par Philippe Hamon dans Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, p. 18. La double sujétion, politique et économique, dans laquelle l’Ontario a longtemps maintenu les provinces de l’Ouest est à l’origine de divisions encore visibles à l’échelle de la nation, élément qui, avec le particularisme québécois, concourt à expliquer la force et la longévité des allégeances régionales au Canada, voir Fiamengo, art. cit. 23 6 si, d’aventure, elle venait à perdre les eaux. A la peur d’accoucher dans un lieu public s’ajoute la crainte, bien plus forte, de voir exposée la vulnérabilité d’un corps incapable de contenir ou même de retenir ce qu’il abrite. La vieille dame a par ailleurs trouvé sa propre parade face à la dispersion puisque ses placards recèlent, soigneusement rangés dans des boîtes hermétiques et des bocaux de formol, les restes momifiés de ses chers disparus. Disparus mais parfaitement conservés. L’imagerie n’est grotesque qu’en apparence puisqu’elle ne suggère rien des troublantes modifications du corps en devenir que le réalisme-grotesque oppose à la mort24. La tonalité est ici plus sadique que comique, car l’accent est mis sur la rétention, un ordre conservateur qui se prémunit contre la décomposition et les transformations qui l’accompagnent. Des trois âges de la femme qu’incarnent dans « Scatterheart », comme chez Baldung ou Klimt, le nouveau-né, la mère et la femme âgée, c’est la vieillesse qui domine ici avec la transmission aux générations futures d’exigences de civilité, d’ordre et de conservatisme, celles-là même qui présidèrent à l’établissement de la Confédération canadienne sur les principes de « paix, ordre et bon gouvernement » définis à l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Stolen (2006), le tout premier roman de Lapointe, avait déjà pour cadre une province de la Saskatchewan entrée dans l’ère qualifiée par certains de « post-prairie » pour en souligner la contemporanéité25. Malgré une toile de fond où le darkweb et le trafic de stupéfiants étaient devenus choses courantes, l’intrigue reposait sur une organisation de l’espace qui n’avait guère changé depuis l’époque coloniale. De 1670 à 1869, la Compagnie de la Baie d’Hudson reçu de la Couronne britannique la charte l’autorisant à gérer la Terre de Rupert à la façon d’un immense entrepôt de bois et de fourrure. Dans Stolen, les postes de traites ont été remplacés par des silos à grain qui n’abritent plus de céréales mais des déchets toxiques ou des composants électroniques. Les Prairies sont ainsi toujours définies par ce qu’on y relègue, ce qu’on y stocke, ou par ce que des réseaux mondialisés y échangent localement26. De la même manière, les nouvelles de You Are Not Needed Now abondent en lieux réservés à l’accumulation et au stockage : des sous-sols, des box faisant office de garde-meubles (Needed p. 98, 197), des déchèteries (Needed p. 166) où s’entasse la masse indifférenciée de biens de consommation que le terme générique « stuff » désigne, de l’achat à l’obsolescence programmée. Contenir mais aussi trier et ranger sont des activités auxquelles les personnages féminins s’adonnent sans mesure, parfois jusqu’à l’absurde, comme cette assistante-dentaire qui conserve les dents et les prothèses de ses patients dans des pots en verre qu’elle laisse derrière elle, à chaque déménagement, depuis son départ de Cache Creek27 en Colombie-Britannique (Needed p. 77). À l’inverse, les personnages masculins sont dépeints sous les traits de trublions que leurs écarts excluent 24 Mikhail Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Andrée Robel (trad.), Paris, Gallimard, 1970, p. 30. 25 Comme dans l’anthologie qu’ont rassemblée Jon Paul Fiorentino et Robert Kroetsch, Post-Prairie : An Anthology of New Poetry, Vancouver, BC, Talon Books, 2005. 26 Alison Calder, art. cit., p. 704. 27 Le toponyme français est un héritage historique de la traite de la fourrure entre populations autochtones et trappeurs francophones. « Cache » désignait alors un endroit où dissimuler vivres et équipements pour pouvoir les récupérer plus tard, souvent au retour de longues expéditions de chasse. 7 momentanément d’une société où ils finiront, néanmoins, par se ranger, comme ces hippies devenus sur le tard fonctionnaires ou avocats (Needed p. 188). Le partage genré de l’espace qui refusait aux femmes les grands espaces pour traditionnellement les cloîtrer chez-elles, division que Robert Kroetsch et Aritha van Herk tournèrent en dérision dans leurs parodies postmodernes des années quatre-vingt, se reconfigure donc chez Lapointe. Ses figures féminines sont autonomes, mobiles et actives ; rien ne leur interdit l’accès au monde extérieur, bien que ce dernier ne leur soit pas pour autant hospitalier. Lapointe dépeint une société qui, sous ses dehors égalitaires, recèle de nombreuses formes d’exclusion incarnées par les personnages féminins et les lieux qui leur sont associés. Il y a la relégation subie par les retraitées de « Scatterheart » et « Parrothead » dans leurs résidences respectives, puis la marginalité du transsexuel qui trouve refuge dans une réserve autochtone dans « Invisible City », et enfin la précarité des plus jeunes auxquelles des salaires de misère, qualifiés de « shop slave wages » (Needed p. 174), permettent à peine de survivre : nombre d’entre elles n’ont pas d’autre choix que d’accepter l’hospitalité concédée dans un sous-sol, un mobile-home ou un abri de jardin. Les nouvelles de Lapointe s’attachent ici non seulement aux intérieurs où ces femmes trouvent un refuge provisoire mais aussi à l’intériorité de ces mêmes personnages : le recours à la focalisation interne et au style indirect libre permet d’observer au plus près leur mise à l’écart. Le recueil propose une représentation de l’espace où l’empreinte du passé colonial s’observe en termes d’aménagement du territoire, d’exploitation des ressources, qu’elles soient naturelles ou humaines, et de relégation des parties les plus fragiles et les plus pauvres de la population : les Premières Nations dans des réserves, les personnes âgées dans des maisons de retraite, les jeunes marginaux là où on leur accordera refuge. Lapointe s’écarte ici de façon significative des lieux communs qui permirent à la littérature des Prairies d’instaurer une familiarité avec ces contrées, un « out West » perçu comme coupé de l’Europe et de ses prolongements transatlantiques dans les provinces de l’Est du Canada. La première forme de dépaysement à l’œuvre dans You Are Not Needed Now réside dans l’absence d’un regard surplombant, que ce soit de la part des narrateurs ou des focalisateurs qui s’abstiennent de recourir au plan large ainsi qu’au regard paysager qui prend possession de l’espace tout en l’agençant autour de lui28. Le dépaysement s’affirme dans le recueil d’abord comme une manière de tourner le dos au paysage. Avec ce volte-face, Lapointe esquive l’affrontement entre langue et pays que Gaile McGregor qualifia naguère de « langscape », mot-valise destiné à exprimer le défi d’une langue tout entière dressée contre l’étrangeté des territoires nouvellement investis. A la confrontation, W. H. New préférera l’image du glissement de terrain dans Land Sliding pour exprimer le rapport dynamique que la littérature anglo-canadienne a instauré entre la langue colonisatrice et une terre sur laquelle elle ne parvient à s’établir qu’en déployant, grâce à sa créativité expressive, les ressources descriptives et figuratives de la langue anglaise29. Ce défi poétique est en apparence absent chez Lapointe. Ses narrateurs manient avec précision une langue 28 Denis E. Cosgrove, « Introductory Essay » pour l’édition de poche de Social Formation and Symbolic Landscape, Madison, University of Wisconsin Press, 1998, p. xi-xxxv. 29 Voir aussi Alison Calder, art. cit., p. 693. 8 qui se veut prosaïque, langue courante qui suit les cheminements de pensée captés par la focalisation interne. Le dépaysement qui découle de ce repli intérieur nécessite, si on veut l’étudier avec davantage de précision, une focale plus serrée que celle adoptée jusqu’à présent. Les pages qui suivent se concentreront donc sur deux nouvelles, « If You Lived Here, You’d Be Home by Now » et « Clean Streets Are Everyone’s Responsibility », où le dépaysement s’observe, comme l’écrit si justement JeanClaude Bailly, à la faveur d’« étranges, imprévues bifurcations qui emmènent le pays au-delà de lui-même le rendant en quelque sorte infini30 ». Bifurcations Le titre « If You Lived Here, You’d be Home by Now » fait écho à un panneau publicitaire planté devant un immeuble de la banlieue ouest de Saskatoon, dans un quartier populaire où les prix s’envolent suite au « Saskaboom » des années 2000. « The New Saskatoon is a town with some money, and aspirations to not be seen as a redneck dump » (Needed 111, souligné par mes soins). La torsion de la forme négative met en relief les préjudices qui restent attachés à la capitale provinciale en dépit de récents développements. Avec la découverte de nouveaux gisements de pétrole et de gaz dont les profits s’ajoutent à ceux que génèrent de vastes ressources en uranium et en potasse, le taux de croissance de la Saskatchewan décollera jusqu’à friser les 5,2 % en 2008, contre 0,8% pour l’ensemble du Canada à la même époque31. Ce n’est pourtant pas l’histoire d’une revanche régionale que révèle cette nouvelle mais son envers, celle des laissés-pour-compte de l’économie extractive. L’intrigue fait se croiser les trajectoires de deux personnages principaux, Penny et Malcolm. Férue d’aménagement intérieur, la première met en vente sur Internet l’appartement dont elle vient de terminer la décoration, avec l’espoir d’empocher la plus-value qui lui permettra d’acquérir un logement dans le centre-ville gentrifié de Saskatoon (Needed pp. 124-125). Face à Penny, dans l’agence pour l’emploi où elle travaille, se trouve Malcolm. Le CV de ce père de famille a échoué sur le bureau de la conseillère après avoir fait le tour des autres services, car Penny n’a pas son pareil pour redonner une apparence engageante aux sans-emplois, « the surplus clients » (Needed p. 111), qui forment le ventre mou d’une économie en surchauffe. Bien que Penny excelle en toilettage de profil, bien que ses conseils en matière de maintien et de discernement vestimentaire en aient sauvé plus d’un, Malcolm va présenter une résistance inattendue à ses talents de décoratrice. De tels ingrédients pourraient laisser présager une issue romantique. On cite souvent ce sarcasme rapporté par Hugh McLennan, autre grand écrivain régionaliste des Maritimes, pour exprimer l’indifférence, voire le mépris tout colonial, que la littérature canadienne suscitait encore au début des années 1960, précisément en raison de son régionalisme : « Boy meets girl in Winnipeg, and who cares ?32 ». L’avenir a pourtant prouvé que la formule n’était pas sans potentiel, ce que Lapointe démontre à son tour avec un « Girl meets 30 Jean-Claude Bailly, op. cit., p. 477. Maura Webber Sadovi, « Global Slowdown Is Finally Reaching Even 'Saskaboom' », The Wall Street Journal, 8 octobre 2008, https://www.wsj.com/articles/ SB122342036252013101. 32 Boutade fréquemment rapportée, notamment par Margaret Atwood qui la commente dans Survival : A Thematic Guide to Canadian Fiction, Toronto, House of Anansi, 1972, p. 182. 31 9 boy in Saskatoon » où l’érotisation ne se limite pas à la rencontre amoureuse. Dans ce domaine, Penny fait ses choix sans états d’âme, en ligne : It’s one of the rules of the Internet that an ordinary looking-girl can get laid when she wants to, as long as her standards aren’t too high. She meets a lot of guys who might be clients of hers but aren’t. They have apartments on one edge of the city or the other, with cheap furniture and fleece blankets covering both the couch and the bed. They’re not quite as good in bed as they think they are, but she has fun, enough fun to make it worth her time. (Needed p. 122) Ce n’est pas la bagatelle, et encore moins les sentiments, qui font tourner la tête de Penny. La question s’immisce dans ce passage à la faveur d’une remarque suggérant, mine de rien, ce que lui coûte le mauvais goût de ses amants d’un soir. La diaphore « bed/in bed » crée un fondu-enchaîné entre le couvre-lit, hideux mais fonctionnel, et la prestation du maître de céans qui ne mérite guère plus qu’on s’y attarde. A dire vrai, ce qui fait vibrer la jeune femme, ce sont plutôt les espoirs qu’éveillent le bien-nommé « Home Calls », site qui cible l’irrépressible désir qu’éprouve chacun pour un chez-soi à son image, au-delà de la mise en relation immédiate entre vendeurs et acquéreurs : « Her profile’s as much a work of art as her apartment. Both are curated versions of the most appealing parts of her. Slightly arty, desirable in a way that’s not quite quantifiable » (Needed p. 124, souligné par mes soins). C’est sur ce détail que pivote la nouvelle : ce presque rien, ce je ne sais quoi dont se nourrit le désir fera que l’appartement de Penny se vendra mais que Malcolm ne trouvera pas preneur, malgré d’indéniables atouts à défaut d’une apparence séduisante. Dans le parallèle entre le bien immobilier qui part et l’employé qui reste sur le carreau, réside la satire mordante d’une société fondée sur l’exploitation de la totalité de ses ressources, matérielles et humaines, à un point tel que les deux se confondent dans des raccourcis comme « the oil and gas people », « the Starbucks boy » ou « the tech people », autant de métonymies qui réduisent des personnes à une main d’œuvre définie par son secteur d’activité (Needed pp. 114, 128, 179, voir aussi pp. 54, 78). Le regard critique que Lapointe porte sur le coût invisible d’une société matérialiste sans considération pour ses ratés pourrait laisser penser que Lapointe se livre à une mise à jour du réalisme rural des années 1940 dans ce recueil. De fait, des éléments viennent ponctuellement rappeler la continuité entre les anciennes formes d’exploitation économique et leur adaptation contemporaine, ainsi les porcheries devenues industrielles des pages 186-187. Au-delà de l’époque et du décor, rien n’aurait donc fondamentalement changé avec le passage de la ferme au « cubicle farm » (Needed p. 115), cet espace de bureau conçu pour répondre aux mêmes exigences de rendement que l’élevage intensif. Il serait donc possible de conclure provisoirement sur l’idée que le dépaysement, dans ce cas précis l’abandon du paysage comme lieu commun de la littérature des Prairies, alimente une satire sociale doublée d’une dénonciation politique dans « If You Lived Here You’d Be Home By Now ». Cela est également vrai d’autres nouvelles du recueil, particulièrement la toute dernière, « Clean Streets Are Everyone’s Responsibility », où la satire prend des accents gothiques : les conducteurs de bus de Winnipeg reçoivent de la municipalité une circulaire les informant qu’avec l’arrivée du dégel, il leur faudra réceptionner les mains que les passagers auront ramassées sur les trottoirs fraîchement débarrassés de leurs congères. Chaque main 10 sectionnée aura été soigneusement emballée avant de pouvoir être remise à un employé de la ville : It meant I had to check. Pull back the wrapping and ensure that whatever I’d been given wasn’t going to suffocate. They were all hands. People took it very seriously. The snowmelt always reveals a few ugly things that stayed politely frozen all winter. There’s the layer of dog shit and garbage and small animals that didn’t survive. The police force is in my union, for some reason, and they told us that bodies turn up every spring, dead all winter and picked at by scavengers, and suddenly everyone’s very urgent about it, just like the poor guys weren’t missing all winter. (Needed p. 228, souligné par mes soins) La satire épingle les valeurs fondatrices de la civilité canadienne, en premier lieu la politesse, liée de manière elliptique à la rigueur de l’hiver. L’idée que le froid modère les excès observés sous les climats chauds et qu’il encourage, avec l’endurance, la formation de tempéraments vertueux, a cependant une vénérable histoire derrière elle remontant, au-delà des courants hygiénistes du XIXème siècle, jusqu’à la Grèce classique33. Autres qualités mises en avant par les bâtisseurs d’Empire : la propreté et la discipline elles aussi concourent à ce que le grand nettoyage de printemps se déroule vite et bien, balayant de côté la cause des mutilations, que ce soient les accidents dus à la brutalité des températures ou la précarité des populations qui y sont exposées. La diffusion de la circulaire révèle ce que la ville voudrait voir de préférence à ce qu’elle se refuse à regarder. L’exigence de propreté a pour envers le déni de la sourde violence qui dégrade les rapports sociaux dans un contexte où l’expression « every time someone gave me a hand » ne désigne plus le « coup de main » qui oblige tantôt les uns tantôt les autres ni même, au-delà du service rendu, la réciprocité dont dépend la solidité du lien social. Les mains coupées et leurs invisibles propriétaires sont autant d’indices d’une fragmentation du commun dans un espace dépouillé de ses attributs paysagers et, lui aussi, découpé le long d’articulations sommaires, comme cet arrêt de bus à l’intersection de deux artères : « There were some white hands and some brown hands and some black hands, men’s hands and women’s hands. No children’s hands. That helped. I don’t think I could have just accepted a child’s hand from some stranger hunched over waiting at Keewatin and Inkster » (Needed p. 229). La collecte se déroule dans un climat d’effarement contenu qui rappelle l’atmosphère entourant l’investigation des disparitions et meurtres de femmes indigènes (« Missing and Murdered Indigenous Women and Girls ») menée au Canada depuis 2015. L’allusion, si allusion il y a, reste néanmoins discrète, car la narratrice anonyme ne s’immisce pas dans un débat politique mené aujourd’hui par des voix autochtones de premier plan34. Dans « Clean Streets », la couleur des épidermes ne cible pas une seule partie mais l’ensemble d’une population active englobée dans sa toute diversité. Les 33 Coleman, op.cit., p. 137-138. L’enquête du gouvernement fédéral s’est conclue le 30 juin 2019 avec la publication d’un rapport dénonçant les fondements sexistes et raciaux d’un crime aujourd’hui qualifié de « génocide », https://www.mmiwg-ffada.ca. L’investigation, aussi complexe dans son déroulement que douloureuse pour les familles endeuillées, n’a pas mis terme aux disparitions inexpliquées ni aux activités d’associations de bénévoles, comme « Drag the Red », qui continuent de rechercher les restes des disparues dans la rivière qui traverse Winnipeg, voir l’article de Leyland Cecco en bibliographie. 34 11 membres amputés sont majoritairement des mains gauches, coïncidence sur laquelle la conductrice du récit ne s’appesantit pas, peut-être parce que ce détail renvoie à une évidence : un pays où l’on roule à droite alors qu’à pied circulent des gens dont la mobilité est aussi limitée spatialement que socialement. Cette corrélation trouve une expression brutale sur un autocollant à l’arrière d’un pick-up : « Anyone caught on a bus after 30 has failed at life » (Needed p. 230, souligné par l’auteur). Faut-il alors s’étonner que la conductrice du bus reçoive ces mots comme une gifle ? C’est peutêtre là l’effet du pronom distributif « anyone » qui cible chacun dans son individualité à la différence du pronom indéfini, « everyone » dans le titre de la nouvelle, qui s’adresse à l’ensemble des lecteurs tout comme la circulaire municipale à l’ensemble des habitants de la ville. En évoluant de tous vers chacun, la nouvelle se détourne du général pour s’intéresser au particulier : tout le monde veut des rues impeccables, certes, mais chaque vie, aussi minuscule soit-elle, mérite considération. La progression de la nouvelle suit en cela l’itinéraire intérieur d’une narratrice dont la perception, elle aussi, s’affine à mesure que le récit avance. Partie d’une proposition valable pour tous, « everyone », la conductrice achemine le passager du récit vers une destination qui concerne chacun d’entre nous, « anyone », quand parvenue au bout de sa collecte, elle fait part de ses intentions en réponse à celles qu’annonce la municipalité : « [T]hey’re going to give the hands up for adoption. Sort of like kittens. So I put my name in for that. I’ll take in a hand. Maybe bury it in my flower bed. I carry so many of them, I feel like I owe them something » (Needed p. 231). Le masque de la fable gothique révèle, à l’instant où il tombe, le propos politique sous-jacent. Dans la synecdoque « hand », la partie renvoie à un vaste tout : l’ensemble des mains amputées mais aussi la masse laborieuse que transporte le bus. A travers la main, cette singularité partagée, le trope désigne donc la totalité d’une main d’œuvre sans voix ni visage qui, jour après jour, transite dans des transports en commun dépeints comme un lieu d’invisibilité sociale35. Là réside l’ironie profonde d’une communauté qui, en ignorant les plus humbles parmi les siens, s’ampute d’une partie d’elle-même. Adopter un de ces membres en déshérence pour ensuite l’enterrer dans un massif de fleurs est une proposition où se mêlent plusieurs significations liées à la mutabilité du grotesque mise en évidence par Bakhtine. Ensevelir une main abandonnée, ce n’est pas dissimuler ce qui dérange mais plutôt transplanter le désordre pour le laisser advenir et s’épanouir. L’image de la platebande est tout aussi instable. On peut y déceler une réduction ironique des vastes espaces qui longtemps alimentèrent les identifications collectives de la littérature de peuplement. Mais dans un registre contemporain, à une époque où l’idée même d’espaces infinis et de ressources inépuisables a fait long feu, la taille de la platebande, aussi modeste que ses ambitions ornementales, offre une vision dépaysante du vivre ensemble dans laquelle 35 Guillaume le Blanc souligne qu’« une vie dont la voix et le visage ont été effacés est une vie qui devient invivable car elle n’est plus appréhendée comme une vie qui compte. C’est un fait social que toutes les voix ne sont pas perçues comme d’égale importance et que toutes les apparitions ne sont pas également accréditées. Les voix comme les visibilités ne s’imposent pas d’elles-mêmes. Ce sont bien davantage des foyers d’organisation du pouvoir, des modes sensibles d’accréditation qui partagent le sensible en lieux dignes de confiance ou, inversement, en lieux de relégation, en paroles audibles ou en voix inaudibles », « Le parlement des inaudibles », Études, 4, avril 2017, p. 57. https://www.cairn.inforevue-etudes-2017-4-page-55.htm. 12 il ne s’agit plus d’occuper et d’exploiter la totalité de l’espace mais de conserver un regard pour ce qui fait tâche (ou « trash ») dans le paysage, de manière à rendre celuici infiniment plus humain parce que plus commun. Le trajet en bus décrit dans « Clean Streets » ramène le lecteur de manière détournée à l’épilogue de « If You Lived Here, You’d Be Home By Now », où Lapointe opère également une reconfiguration du lieu commun du paysage en un lieu du commun. A l’instant où le dénouement de la nouvelle semble poindre, Penny est arrivée à ses fins, ou presque : la voici sur le point d’emménager dans cet immeuble du centre-ville tant convoité. Son triomphe n’atteint pourtant pas la perfection attendue. Son premier appartement ne s’est pas vendu aussi bien qu’escompté. Le capital d’estime-de-soi, qu’encouragée par « Home Calls » elle avait investi dans ses talents de décoratrice, s’en est trouvé bien entamé, lui causant une déception qu’est venu aggraver son fiasco avec Malcolm. C’est précisément au moment où les certitudes du personnage sont ébranlées, alors que satisfaction et blessure narcissique s’affrontent en elle, que le récit bifurque et prend un tour aussi imprévu qu’apparemment superflu, puisque les questions guidant l’intrigue ont trouvé réponse. Penny décide alors sur un coup de tête de prendre le bus qui dessert les quartiers défavorisés où elle sait qu’habite Malcolm : There are vacancy signs hanging from the wooden plaques naming each complex. The Regent’s Arms. Tamarack Place. Silver Gardens. Centennial Park has a small plastic sign thrust into its glassy lawn: If you lived here, you’d be home by now. It’s as good a sign as any. She turns into the parking lot and walks around to find the common area in the back. (Neeeded p. 129, souligné par l’auteur) Les noms des résidences donnent à lire un précipité de l’histoire nationale à travers un concentré des mutations spatiales qui accompagnèrent la formation de la Confédération. L’énumération permet de suivre les transformations qui ont modelé le paysage à mesure que la nation prenait forme : à la taverne surgie à la croisée des chemins succède un lieu-dit qui s’étend en jardins lesquels deviennent parc. Chaque toponyme rappelle donc ce qui fût là pour un temps avant que la croissance de la ville ne vienne l’englober. Le pays semble résider au-delà de ces transformations, dans les qualificatifs qui attestent le passage du temps : colonie de la Couronne, royaume de la forêt et de la fourrure puis dominion et jeune nation désignent autant d’étapes historiques au cours desquelles la possibilité d’avoir un chez-soi, à distinguer de celle d’avoir un toit, semble toujours différée et conditionnelle. C’est ce que la focalisation interne donne à lire à travers le regard de Penny qui, toute nantie qu’elle est, ne possède rien de ce à quoi elle aspire. Malcolm, en revanche, réapparaît à la toute dernière page, entouré des siens, dans l’aire de jeux où les enfants s’amusent sous l’oeil de leurs parents. Cette scène ordinaire baigne dans un clair-obscur qui n’est pas sans rappeler l’épilogue des Vestiges du jour, ce roman de Kazuo Ishiguro où la grisaille du crépuscule se pare de couleurs chaudes avec le réconfort qu’apportent les rapports humains, y compris à ceux que la vie a laissés sur le bas-côté : Penny’s good. She called this just right: the man with the laptop is Malcolm. He doesn’t look up from the screen, just pulls the little girl into his lap and presses 13 his face into her hair. Penny thinks the girl must be about four. Two more kids in the half-dark are his. […] Penny sits down with her back against the building, and watches people collect their kids. It’s getting dark. Even Malcolm closes his laptop and tucks it under one arm, the little girl under the other. He never turns toward Penny. No one challenges her presence. As far as any of them is concerned, she just lives here. (Needed p. 129-130) Il suffit d’une seconde et d’un geste tendre, respirer le parfum d’une nuque d’enfant, pour que le sens de la nouvelle bascule. Les handicaps diagnostiqués chez Malcolm (propreté douteuse, comportement aberrant, maladresse rédhibitoire, bref tout ce qu’un bilan de compétences consignera sous la rubrique « social deficits » aux pages 111, 115 et 119) s’effacent quand Penny observe le même homme au milieu des siens. A la question de la ressource que l’individu représente pour la collectivité se substitue in extremis celle de la relation autour de laquelle celle-ci s’agrège36. Penny n’échappe d’ailleurs pas à l’attraction des cercles qui gravitent autour de Malcolm : sa famille, un voisinage, un quartier et un réseau informatique. C’est l’image qu’implique le polyptote « laptop/lap/laptop » où viennent se loger, dans le pli que désigne le mot « lap », des relations de nature fort différente allant de la tendresse paternelle, jusqu’aux liens électroniques qui intègrent celui dont aucune entreprise ne veut, dans une communauté virtuelle où il a pourtant toute sa place. Cette scène apporte un démenti ironique à l’intitulé de la nouvelle « You Are Not Needed Now » qui donne son titre au recueil. Elle affirme aussi avec simplicité ce que les travaux de philosophes tels que Guillaume le Blanc visent à démontrer par ailleurs, à savoir que la vie des pauvres n’est pas une vie pauvre. Chez Lapointe, cette idée forte trouve son expression dans une langue passe-partout, inclusive, qui vise la dénomination commune bien plus que l’originalité ou l’exception stylistique37. Cette scène est enfin révélatrice du dépaysement qui opère dans l’ensemble du recueil, à chaque fois que le lieu commun du paysage s’efface devant les « lieux du commun », square, supermarché, bus, mobile-home ou bus. Les nouvelles de Lapointe investissent ces endroits ordinaires, sans qualité propre pour y observer l’espace relationnel où se tissent des liens collectifs particulièrement fragiles dans des sociétés de peuplement devenues des sociétés d’immigration comme le Canada. Là où les stigmates de la colonisation restent visibles et où la question de « faire commun » continue de se poser avec acuité, la littérature reste un lieu privilégié où inventer ce qui rassemble. 36 Penser en termes de relation plutôt qu’en termes de ressource fait partie des propositions philosophiques qu’avance Corine Pelluchon pour renouveler l’éthique. On trouvera un déplacement analogue chez François Jullien qui interroge les ressources de la tradition paysagère occidentale à la lumière des corrélations de la pensée chinoise. 37 La métafiction occupe peu de place chez Lapointe mais quand les mots retiennent l’attention de ses personnages, ceux-ci cherchent à s’entendre sur ce que leur sens recouvre davantage que sur ce qu’il exclut, comme dans la discussion des pages 109-110 sur les significations voisines de geek ou de nerd. Cet aspect va de pair avec la façon dont Lapointe se joue des catégories exclusives (notamment celles du genre) dans les nouvelles où la description d’un personnage trans nécessite des lecteurs qu’ils suspendent ou neutralisent son identification comme homme ou femme. De tous les lieux où s’incarne le commun, la réserve indienne est paradoxalement celui qui s’avère le plus hospitalier envers les singularités « trans », ce que démontre « Invisible City ». 14 Bibliographie ATWOOD Margaret, Survival: A Thematic Guide to Canadian Fiction, Toronto, House of Anansi, 1972. AUGÉ Marc, « Retour sur les “non-lieux”. Les transformations du paysage urbain », Communications, 87, 2, 2010, p. 171-178, https://www.cairn.info/revuecommunications-2010-2-page-171.htm, consulté le 26 novembre 2019. BAILLY Jean-François, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, 2011. BAKHTINE Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Andrée Robel (trad.), Paris, Gallimard, 1970. BEATTIE Steven M., « Review : Annette Lapointe's You Are Not Needed Now and Jessica Westhead's Things Not To Do », The Globe and Mail, 20 octobre 2017, https://beta.theglobeandmail.com/arts/books-and-media/book-reviews, consulté le 22 octobre 2019. BHABHA Homi, The Location of Culture, London, Routledge, 1994. CALDER Alison, « Retracing Prairie Literature », dans The Oxford Handbook of Canadian Literature, Cynthia Sugars (dir.), Oxford, OUP, 2016, p. 691-707. CAVELL Richard, « An Ordered Absence: Defeatured Topologies in Canadian Literature », dans Downtown Canada—Writing Canadian Cities, Justin D. Edwards et Douglas Ivison (dir.), Toronto, University of Toronto Press, 2005, p. 14-31. COSGROVE Denis E., « Introductory Essay » pour l’édition de poche de Social Formation and Symbolic Landscape, Madison, University of Wisconsin Press, 1998 p. xi-xxxv. CECCO Leyland, « Canadian volunteers scour river for missing Indigenous women », The Guardian, 9 juin 2019, https://www.theguardian.com/world/2019/jun/09/canada-indigenous-womenreport-violence-drag-the-red, consulté le 12 février 2020. COLEMAN Daniel, White Civility. The Literary Project of English Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2006. DARGOT Pierre et Christian Laval, Commun : essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2015. DAVEY Franck, Post-National Arguments: The Politics of the Anglophone-Canadian Novel since 1967, Toronto, University of Toronto Press, 1993. DELEUZE Gilles et Félix Guattari, « De la ritournelle », Mille plateaux, Paris, Minuit, 1989, p. 381-433. DIDI-HUBERMAN Georges, Peuples exposés, Peuples figurants, L’Œil de l’Histoire 4, Paris, Minuit, 2012. 15 FEE Margery, Literary Land Claims. The “Indian Land Question” from Pontiac’s War to Attawapiskat, Waterloo, ON, Wilfrid Laurier University Press, 2015. FIAMENGO Janice, « Regionalism and Urbanism », dans The Cambridge Companion to Canadian Literature, Eva-Marie Kröller (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 241-262. FIORENTINO Jon Paul et Robert Kroetsch (dir.), Post-Prairie: An Anthology of New Poetry, Vancouver, BC, Talon Books, 2005. HAMON Philippe, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993. HARRISON Dick, Unnamed Country: The Struggle for a Canadian Prairie Fiction, Edmonton, AB, University of Alberta Press, 1977. HUGGAN Graham, The Postcolonial Exotic. Marketing the Margins, New York, Routledge, 2001. ISHIGURO Kazuo, Les Vestiges du jour [1990], Sophie Mayoux (trad.), Paris, Gallimard, 2010. JULLIEN François, Vivre de paysage ou l’impensé de la raison, Paris, Gallimard, 2014. KROETSCH Robert, Creation, avec James Bacque et Pierre Gravel, Toronto, New Press, 1970. LAPOINTE Annette, Stolen, Vancouver, BC, Anvil, 2006. LAPOINTE Annette, You Are Not Needed Now, Vancouver, BC, Anvil, 2017. LE BLANC Guillaume, « Le parlement des inaudibles » Études, 4, avril 2017, p. 55-64. https://www.cairn.inforevue-etudes-2017-4-page-55.htm, consulté le 29 avril 2020. LE BLANC Guillaume, Vies ordinaires, vies précaires, Paris, Seuil, 2016. MCGREGOR Gaile, The Wacousta Syndrome: Explorations in the Canadian Langscape, Toronto, University of Toronto Press, 1985. MITCHELL W.O., Who Has Seen the Wind [1947], Toronto, McMillan of Canada, 1960. NEW W.H., Land Sliding. Imagining Space, Presence and Power in Canadian Writing, Toronto, University of Toronto Press, 1997. PELLUCHON Corine, Éthique de la considération, Paris, Seuil, 2018. RICOU Laurie, Vertical Man/Horizontal World, Vancouver, BC, University of British Columbia P, 1973. ROSS Sinclair, As For Me and My House [1941], Toronto, McClelland & Stewart, 1957. SUGARS Cynthia (dir.), The Oxford Handbook of Canadian Literature, Oxford, OUP, 2016. VAN HERK Aritha, « Curtailed by the Sublime: Canada, Nature and the Contingencies of Beauty » dans The Memory of Nature in Aboriginal, Canadian and American 16 Contexts, Françoise Besson, Claire Omhovère et Héliane Ventura (dir.), Newcastle upon Trent, Cambridge Scholars Publishing, 2014, p. 54-72. WEBBER SADOVI Maura, « Global Slowdown Is Finally Reaching Even 'Saskaboom' », The Wall Street Journal, 8 octobre 2008, https://www.wsj.com/articles/SB122342036252013101, consulté le 5 novembre 2019. 17