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Limites du sport en droit musulman et arabe - Sami Aldeeb

1996

Limites du sport en droit musulman et arabe - Sami Aldeeb

Limites du sport en droit musulman et arabe par Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh docteur en droit Collaborateur scientifique Institut suisse de droit comparé Dorigny, 1015 Lausanne www.sami-aldeeb.com saldeeb@bluewin.ch Septembre 1996 I. Qualification du sport A. Catégories du droit musulman Devant chaque acte, que ce soit la prière, le jeûne, le mariage, la vente, l'utilisation du cure-dent, l'entrée dans le bain ou la pratique du sport, le musulman se pose la même question: s'agit-il d'un acte interdit, blâmable, permis, recommandé ou obligatoire. Ce sont les cinq catégories pour classifier les actes humains. Pour parvenir à cette fin, le musulman se réfère avant tout au Coran considéré un message divin, visant à conduire l'humanité vers ce qui est son bien, Dieu étant seul en mesure de décider ce qui est bien et ce qui est mal Voir par exemple ce que dit la 2e déclaration du Conseil islamique de 1981, dans Aldeeb Abu-Sahlieh S. A., Les musulmans face aux droits de l'homme, Winkler, Bochum 1994, p. 487.. S'il n'y trouve pas de réponse claire, il s'adresse à la tradition (sunnah) de Mahomet, pour interpréter et compléter le Coran. Cette tradition désigne l'ensemble des dires, des faits et des approbations implicites ou explicites attribués à Mahomet, prophète infaillible et modèle que tout musulman doit suivre. Mais l'authenticité de ces récits n'est pas admise par tous. A côté de ces deux sources, le juriste musulman moderne se réfère à la tradition des compagnons de Mahomet, aux écrits des juristes classiques qui ont systématisé le droit musulman et aux opinions des autorités religieuses modernes exprimées notamment sous la forme de fatwas (décisions en conformité avec le droit musulman). Il est cependant faux de croire que le droit musulman est un corpus juris cohérent, unanimement admis par tous les musulmans. D'autre part, le droit musulman n'est plus la seule référence législative dans les pays arabo-musulmans. En effet, ces pays, tout en déclarant le droit musulman comme une source, voire la source principale du droit, ont construit un système juridique hybride comportant des normes inspirées du droit musulman classique et du droit occidental. Ce qui n'est pas sans créer des conflits, parfois violents, entre les régimes arabes et les milieux religieux. Cette opposition entre le droit positif et les normes religieuses se manifeste aussi dans le monde occidental comme dans le cas des adversaires de l'avortement. B. Le sport de l'antiquité à aujourd'hui Dans la société grecque antique, berceau des jeux olympiques, les activités sportives étaient conçues comme un pendant du culte à la divinité. Pierre de Coubertin, fondateur des jeux olympiques modernes, écrit: En Grèce, la recherche de la beauté du corps apparaît très tôt comme un objet digne des efforts de l'homme en même temps que comme un moyen d'honorer les dieux [..]. La société dépeinte dans l'Iliade est déjà fortement sportive: luttes, courses à pied, lancers... compétitions solennelles en vue desquelles chacun s'entraîne et qu'entoure un appareil religieux: la religion de l'athlétisme est créée. Elle aura bientôt ses cérémonies périodiques et ses temples pour le culte quotidien. Les cérémonies, ce seront les grands jeux [...] Les temples, ce seront les gymnases, foyers de vie municipale assemblant adolescents, adultes, vieillards autour de cette préoccupation d'exalter la vie humaine qui est à la base de tout l'hellénisme et se reflète si nettement dans sa conception d'un au-delà crépusculaire où domine le regret du séjour terrestre Coubertin P. de, Textes choisis, Weidmann, Zurich 1986, tome II, p. 33. Voir aussi Bonnetain P., Dieu dans le stade, L'Aire, Lausanne 1991, p. 349.. Sous les romains, les jeux ont continué à être liés aux divinités, mais des divinités en chair et en os, à savoir les empereurs et impératrices. Ils se sont largement développés et se déroulaient dans les cirques et les amphithéâtres. Mais en même temps, ils sont devenus plus violents et prirent la tournure de combats mortels, avec participation de fauves. Ce virement tragique est illustré par le salut des acteurs au début des jeux: Caesar, morituri te salutant Bickel, B.-J., Religion et sport, Éditions Oeuvre St-Augustin, St-Maurice 1944, pp. 32-38.. Rome se christianise. Mais on ne trouve rien dans l'enseignement du Christ sur le sport. Dans sa 1ère épître aux Corinthiens, Saint Paul écrit: Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix? Courez donc de manière à l'emporter. Tout athlète se prive de tout; mais eux, c'est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable. Et c'est bien ainsi que je cours, moi, non à l'aventure; c'est ainsi que je fait du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage, de peur qu'après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié (I Corinthiens, 9:24-27). Cette position ambiguë donna lieu à des attitudes contradictoires face au sport. Clément d'Alexandrie (mort vers l'an 215) recommande à ses auditeurs, païens ou chrétiens, la pratique du sport. Il propose plus particulièrement certains sports aux sédentaires et déconseille, pour les femmes, les sports trop violents. Le Jansénisme, lui, est plus méfiant. De même Montherlant (1896-1972). Pour cet académicien français, "l'orgueil de la vie qui physiologiquement est l'essence et le critérium du sport, ne peut être accordé avec l'Écriture qui l'a maudit". Pie XII, par contre, écrit en 1952 au congrès scientifique du sport: "Mettez votre joie dans la pratique correcte du sport afin que soit sans cesse plus florissante la santé physique et psychique et que se fortifie le corps au service de l'esprit" Brossard Y., Vues chrétiennes sur le sport, Flammarion, Paris 1961, pp. 184-191.. Dans l'époque moderne, le sport essaie d'être au-dessus des religions, voire de les substituer Voir sur ce point Jakobi P & Rösch, H-E (Hg.), Sport und Religion, Matthias-Grünewald-Verlag, Mainz, 2e éd. 1986; Hoffman S J, (ed.), Sport and religion, Human Kinetics Books, Champagn, Illinois, 1992.. Avery Brundage (Président du C.I.O. de 1952 à 1972), se référant au concept "religion de l'athlétisme" de Pierre de Coubertin cité plus haut, présente le Mouvement olympique comme la religion de toutes les religions: "Le Mouvement Olympique, religion du XXe siècle à la portée universelle, est fondé sur les principes de base de toutes les autres religions". "Chrétiens, musulmans, hindous, bouddhistes et athées, tous respectent les principes fondamentaux de notre Mouvement: loyauté, respect réciproque, fair-play et esprit sportif. Voilà des principes qui pourraient être la base de toutes les religions". Pour lui, la base de l'Olympisme est une règle d'or, "Golden Rule", commune à toutes les grandes religions pratiquées dans le monde. Les Jeux Olympiques sont un exemple de tolérance et de démocratie. Ils rapprochent tous le peuples sans aucune discrimination de couleur de peau, de religion, d'origine sociale ou de convictions politiques Gafner, R (dir.), Un siècle du Comité international olympique: l'idée, les présidents, l'oeuvre, Comité international olympique, Lausanne 1995, vol. II, p. 87.. Paul Bonnetain démontre comment la presse sportive française fait souvent usage du vocabulaire biblique Bonnetain, op. cit., p. 19., y compris par l'anticlérical Canard enchaîné Ibid., pp. 65-67., très souvent sans que les journalistes s'en rendent compte Ibid., p. 291.. Les jeux olympiques étaient l'occasion d'une trêve entre les belligérants, même si cela ne semble pas avoir toujours été respecté. L'Olympisme moderne conçu par Pierre de Coubertin en 1894 a pour but "de contribuer à bâtir un monde pacifique et meilleur en éduquant la jeunesse par le moyen du sport pratiqué sans discrimination d'aucune sorte et dans l'esprit olympique qui exige la compréhension mutuelle, l'esprit d'amitié, la solidarité et le fair-play" (point 4 des principes fondamentaux de la Charte). Dans sa résolution 1996/45 relative à "l'idéal olympique", adoptée le 19 avril 1996, la Commission des droits de l'homme de l'ONU "affirme une fois encore que le mouvement olympique apporte un concours précieux à la promotion, à la protection et à la mise en oeuvre des droits de l'homme ainsi qu'à l'instauration de l'amitié et au maintien de la paix à l'échelle mondiale" E/CN.4/1996/L.11/Add. 2, pp. 12-13.. C. Le sport dans la conception musulmane La société musulmane n'a pas octroyé au sport le rôle qu'il avait dans la société grecque. Dans le peu d'espace qui lui est consacré, le souci des juristes musulmans classiques et modernes est essentiellement de savoir dans quelle catégorie des cinq décrites plus haut il faut le classer: interdit, blâmable, permis, recommandé ou obligatoire. Pour répondre à cette question, il leur faut commencer par scruter ce qu'en dit le Coran. On trouve peu de référence dans le Coran au sport. Dans le récit de Joseph, on lit ce passage: "Ils [les frères de Joseph] revinrent le soir chez leur père en pleurant et ils dirent: "O notre père! Nous étions partis pour jouer à la course; nous avions laissé Joseph auprès de nos affaires. Le loup l'a dévoré. Tu ne nous croiras pas, et, cependant, nous sommes véridiques" (12:16-17). Ceci indiquerait que la course est permise, sinon les frères de Joseph ne l'auraient pas pratiquée. Il y a ensuite le fameux verset relatif à la préparation pour la guerre: Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez, de force et de cavaleries, afin d'effrayer l'ennemi de Dieu et le vôtre et d'autres encore, que vous ne connaissez pas, en dehors de ceux-ci, mais que Dieu connaît (8:60). Invoquant ce verset, l'auteur égyptien d'une thèse récente de doctorat en droit dit que le sport est un moyen qui sert à rendre plus forte la personne; par conséquent, il doit être considéré comme une pratique obligatoire ordonnée par Dieu Naqrish, Z. J. M., Qubul al-makhatir, Thèse de la Faculté de droit d'Ain-Shams, Le Caire 1994, p. 198. On retrouve ce même raisonnement chez l'Imam Shaltut (Shaltut, M., Min tawgihat al-islam, 7e éd., Dar al-shuruq, Le Caire & Beyrouth 1983, p. 148).. Mais ce sont surtout des récits de Mahomet qui fondent la position islamique en matière du sport. Mahomet aurait dit: - "La vraie force consiste à tirer à l'arc", phrase qu'il aurait répété à trois reprises. - "Dieu fait entrer au paradis pour chaque flèche trois personnes: celui qui la fait, celui qui la fournit dans la voie de Dieu, et celui qui la tire dans la voie de Dieu". - "Le croyant fort est meilleur et préférable à Dieu que le croyant faible". - "Tout ce dont s'amuse le fils d'Adam est vain (batil) à l'exception de trois: tirer une flèche de son arc, dresser son cheval et jouer avec les siens. Ces trois relèvent de la droiture". - "Occupez-vous à tirer à l'arc, car c'est le meilleur amusement". - "Celui qui n'a pas appris à tirer à l'arc, n'est plus de nous". - "Enseignez à vos enfants à nager et à tirer à l'arc, et dressez-les pour qu'ils se mettent sur le dos du cheval en sautant". On rapporte aussi que Mahomet avait fait la course avec sa femme 'A'ishah, pratiqué la course à cheval, approuvé de telles courses, assisté avec sa femme 'A'ishah à des combats de lances qui se déroulaient dans sa propre mosquée, gagné la lutte contre un infidèle. Des récits des compagnons de Mahomet vont dans le même sens Pour ces récits, voir Al-Shawkani, M., Nayl al-awtar, Dar al-gil, Beyrouth (s.d.), vol. 8, pp. 245-257; Naqrish, op. cit.,, pp. 199-201; Madkour, M. S., Nazariyyat al-ibahah 'ind al-ussuliyyin wal-fuqaha', 2e éd., Dar al-nahdah al-'arabiyyah, Le Caire 1984, pp. 463-464.. Naqrish, auteur égyptien moderne, conclut que ces récits légitiment la pratique du sport et la persévérance dans une telle pratique afin de maintenir la force acquise. Ceci, dit-il, est en conformité avec l'esprit du droit musulman qui vise à protéger le corps et la raison. Naqrish invoque enfin l'argument de l'unanimité: aucun auteur classique ne s'est prononcé contre la pratique du sport. Selon cet auteur, en droit positif, le sport est un droit, mais en droit musulman, c'est un devoir servant à "élever la parole de Dieu" Naqrish, op. cit., p. 202.. Le sport trouve ainsi sa légitimation en tant que moyen de renforcement de l'individu et du groupe. Dans la relation entre individus, le sport est un défi visant à abaisser l'orgueil des mécréants Al-Shawkani, op. cit., vol. 8, p. 256.. Il participe au projet collectif d'étendre l'expansion de la religion par le gihad Ibid., vol. 8, pp. 246-247.. Il s'agit donc d'une conception du sport au service d'une cause religieuse. Dans une publication intitulée "Sport in the Islamic Republic of Iran", le message introductif de M. Juan Antonio Samaranch dit que dans les XXIVe olympiades les athlètes iraniens "will join the athletes of the world in the greatest four-yearly sports festival, the Olympic Games, in a spirit of friendship, united in fair and equal competition, and in the hope of bringing Peace between all nations of the world" Sport in the Islamic Republic of Iran, (1988?), p. 3.. Le président du Comité olympique iranien présente la participation des athlètes iraniens sous une autre lumière: "Iran athletes taking part in the upcoming Olympic Games are representatives of liberated nation who rose in revolt with the aim of bringing social justice to their society and who paid justice dearly for the realisation of its goals". Il signale que l'Iran, par sa confiance en lui-même, a pu défier les complots du Grand Satan -les États-Unis- dans le domaine économique et militaire et à faire face aux forces sionistes et impérialistes. Le même esprit de confiance en soi-même anime les athlètes iraniens, le sport étant comme un moyen de s'affirmer personnellement. La compétition renforce l'individu et sa confiance en lui-même pour mieux servir la communauté alors que l'homme faible ne pense qu'à lui-même. Les musulmans ont besoin de santé et de force pour mieux servir Dieu. "Indeed this philosophy is to be regarded as the climax of man's desire. He who makes himself strong in order to serve God, will also serve his own needs and the needs of his society". Cette mobilisation du sport pour s'affirmer sur le plan national et religieux ne se limite pas à l'Iran. On voit parfois à la télévision des sportifs qui mettent leur victoire au service de leur foi en la lui attribuant. Dans un match de boxe opposant deux noirs américains, l'un chrétien et l'autre musulman, chacun a considéré sa victoire comme la victoire de sa foi. On rappellera dans le même sens la levée de poing des sportifs noirs sur les podiums en signe de soutien à la cause des noirs aux États-Unis. Il s'agit cependant ici d'initiatives isolées et non pas d'une conception préconçue. Un chercheur maghrébin fait remarquer que le sport a été introduit dans les pays d'Afrique du Nord par la colonisation et les écoles missionnaires. Il était limité aux colons privilégiés. Cette image du sport colonial est restée longtemps ancrée dans la mentalité des couches sociales modestes, et elle est loin d'être encore totalement évacuées Sakouhi, F., Insertion par le sport des jeunes d'origine maghrébine des banlieues en difficulté, in Migration Société, vol. 8, no 45, mai-juin 1996, p. 87.. Il signale en outre que les sportifs sont généralement considérés comme des "amuseurs de foule". Les sportifs, surtout les footballeurs, ont été longtemps traités de kleb essouk (chiens de souk), de khourjias (tapeurs dans un ballon) qui passent leur vie futilement à courir derrière une balle. Ces qualificatifs linguistiques sont très symboliques et traduisent le statut social dégradant et peu glorieux des acteurs investissant le monde sportif Ibid., p. 87.. Cette image négative du sport n'est valable que dans certains milieux conservateurs. En effet, le sport attire aujourd'hui de plus en plus de jeunes et de spectateurs dans le monde arabo-musulman. II. Limites du sport Comme nous venons de le voir, en droit musulman, la pratique du sport est en soi licite, voire obligatoire, du fait qu'elle peut renforcer l'individu et le groupe. Il faut cependant que le sport ne se heurte pas à des interdits religieux qui en limitent la pratique. C'est ce que nous verrons dans les points suivants. A. Sport, promiscuité et normes vestimentaires 1. De l'antiquité à aujourd'hui Platon, dans ses lois, dit: "Mon code énoncera exactement les mêmes obligations pour les filles que pour les garçons, les filles doivent recevoir le même entraînement. Et je ne ferai de réserves ni pour l'équitation ni pour le sport" Cité par Caillois, R. (dir.),Jeux et sport, Gallimard, Paris 1967, p. 1294.. Mais dans la Grèce antique, la femme était exclue du champ sportif, aussi bien que du champ de la gestion sociale. Était-ce parce qu'elle était inapte à la guerre; affaire de muscle et de disponibilité agressive permanente? Était-ce parce que le sport y était associé à la nudité - le mot grec "gymnein" veut dire "à nu" - et que l'homme en face de la nudité féminine devient incontrôlable? Diegenant, A., Les valeurs religieuses comme composantes de l'humanisme planétaire et comme moment d'identification entre les individus et la les peuples, in Sport et religions, Congrès mondial, 16-18 mai 1993, Cap D'Agde, Languedoc-Roussillon, France, 1993, p. 39. Dans les Jeux olympiques modernes, la participation progressive des femmes s'est heurtée à l'opposition de Pierre de Coubertin. Déjà en 1912, celui-ci écrivait: "Nous estimons que le Jeux Olympiques doivent être réservés aux hommes [...]. De tels sports pratiqués par des femmes constituent-ils donc un spectacle recommandable devant les foules qu'assemble une Olympiade?" Il résume sa conception des olympiades dans la formule suivante: "l'exaltation solennelle et périodique de l'athlétisme mâle avec l'internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l'art pour cadre et l'applaudissement féminin pour récompense" Coubertin, op. cit., tome II, pp. 705-706.. En 1931, il critique le fait que le C.I.O. ait ouvert à nouveau la porte des Jeux aux femmes: Jusqu'en 1928, elles n'étaient admises que pour la natation et le tennis. Les voici admises désormais à l'escrime et, ce qui est plus grave, aux épreuves d'athlétisme, lesquelles ont lieu dans le stade. Cette décision se trouve avoir coïncidé avec la condamnation solennelle prononcée par le pape Pie XI contre la participation féminine aux concours sportifs publics [...]. L'expérience amènera l'opinion à départager adversaires et partisans. Mais ce qui importe en attendant, c'est la cession de la promiscuité parce que cette promiscuité empêche la pédagogie sportive d'exercer utilement son action non pas seulement sur les adolescents mais aussi bien sur les adultes Ibid., tome II, pp. 293-294.. En 1935, il croyait encore que le rôle des femmes aux Jeux olympiques "devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs" Ibid., tome II, p. 438.. En 1936, il dit à un journaliste: "Le seul véritable héros olympique, je l'ai toujours dit, c'est l'adulte mâle individuel" Ibid., tome II, p. 307. Sur la position de Coubertin, voir Callebat, L., Pierre de Coubertin, Fayard, Paris 1988, pp. 191-192. Dans sa formule actuelle, la règle 3.2 de la Charte olympique dit: Toute forme de discrimination à l'égard d'un pays ou d'une personne, qu'elle soit pour des raisons raciales, religieuses, politiques, de sexe ou autres est incompatible avec l'appartenance au Mouvement olympique. Cette Charte olympique favorise l'introduction de nouveaux sports féminins puisque pour être admis au programme il leur suffit d'être pratiqués dans un minimum de 40 pays sur 3 continent, contre 70 pays et 4 continents pour un sport masculin (règle 52). Les femmes sont toujours sous-représentées dans les jeux olympiques. Bien qu'on constate que la participation des femmes est en constante progression, cette participation à tous les échelons est loin encore d'être à parité avec les hommes. Ainsi dans les jeux d'été de la XXVe Olympiade tenus à Barcelone en 1992, seulement 2851 athlètes femmes ont participé aux jeux contre 7108 athlètes hommes Rapport officiel des jeux de la XXVe Olympiade, COOB'92, Barcelone, 1992-1993, vol. 4, p. 397.. On remarquera aussi qu'aux jeux d'hiver, seules six disciplines sur huit sont ouvertes aux femmes. Le bobsleigh et le hockey restent pour l'instant masculins. Mais dans les prochains jeux d'hiver qui auront lieu à Nigano en 1998, seul le bobsleigh sera masculin. Il n'y a pas de sports mixtes aux jeux d'hiver, mais le patinage par couple et la danse sur glace sont les deux épreuves olympiques où l'homme et la femme sont totalement complémentaires. A côté du problème de la participation de la femme au sport, il y a celui de la morale. La Charte olympique prévoit un code médical et prescrit des règles strictes en matière de publicité sur les vêtements et les équipements, mais elle ne comporte aucune norme relative à la morale (normes vestimentaires, promiscuité entre hommes et femmes). Or, c'est un problème qui touche particulièrement les musulmans comme on le verra plus loin, mais aussi certains milieux féministes occidentaux. Ces derniers dénoncent "l'exploitation sexuelle et la chosification" des femmes qui peut prendre toutes sortes de formes, qui vont d'une mauvaise couverture médiatique aux attouchements équivoques Lenskyj, H. J., Les femmes, le sport et l'activité physique: thèmes de recherches choisis, Centre de documentation pour le sport, Sport Canada, Gloucester (Ontario) 1994, p. 29.. La tenue vestimentaire fait partie de cette exploitation. Lenskyj écrit: "Les tenues moulantes et le maquillage voyant que l'on exige habituellement dans beaucoup de ces disciplines contribuent à l'image d'objet sexuel que les femmes sont obligées de donner" Ibid., pp. 29-30.. Elle signale que les femmes qui veulent réussir dans le domaine sportif doivent montrer "un degré de tolérance élevé à l'égard du harcèlement sexuel" Ibid., p. 33.. Malgré ces critiques, il ne semble pas que ces milieux féministes occidentaux souhaitent séparer les hommes des femmes dans le sport. 2. La conception musulmane a) Droit musulman classique Le droit musulman a établi des normes interdisant la promiscuité entre hommes et femmes et imposant des tenues vestimentaires strictes surtout à ces dernières. Il nous suffit ici de citer deux passages du Coran: Dis aux croyantes: de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer que l'extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu'à leurs époux, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux, ou à leurs fils, ou aux fils de leurs époux, ou à leurs frères, ou aux fils de leurs frères, ou aux fils de leurs soeurs, ou à leurs servantes ou à leurs esclaves, ou à leurs serviteurs mâles incapables d'actes sexuels (lam yazharu ‘ala ‘awrat al-nisa’) ou aux garçons impubères. Dis-leur encore de ne pas frapper le sol de leurs pieds pour montrer leurs atours cachés (24:31). Dis aux croyants: de baisser leurs regards, d'être chastes. Ce sera plus pur pour eux (24:30) Voir aussi Coran 24:27; 33:32-33, 53, 59.. Le Coran (7:26-27) et de nombreux récits de Mahomet interdisent aussi la nudité en public. A partir de ces deux sources, les légistes musulmans ont déterminé la partie du corps que l'on ne peut exposer, partie qualifiée de 'awrah, ou saw'ah (honteuse, défectueuse): - Dans les rapports d'homme à homme: la partie honteuse s'étend du nombril au genou. Ainsi il est interdit à un homme de regarder la cuisse d'un autre homme. - Dans les rapports de femme à femme: la partie honteuse s'étend du nombril au genou aussi. Certains cependant interdisent à la femme non-musulmane de regarder le corps d'une femme musulmane afin qu'elle ne le décrive à son mari non-musulman. - Dans les rapports de femme à homme: la femme peut regarder toute partie du corps de son mari. En ce qui concerne le corps du père, du frère et de l'oncle paternel ou maternel, elle n'a pas le droit de regarder sa partie entre le nombril et le genou. Pour les autres personnes, il est interdit à la femme de regarder leur corps, mais certains légistes lui interdisent de regarder seulement la partie entre le nombril et le genou. - Dans les rapports d'homme à femme: des légistes disent que tout le corps de la femme constitue une partie honteuse, y compris son ongle. Certains légistes cependant en excluent son visage et ses deux mains. Les uns et les autres invoquent des versets coraniques et des récits de Mahomet à l'appui de leur avis Al-Sabuni, M., Rawa’i‘ al-bayan, tafsir ayat al-ahkam min al-Qur'an, éd. 3, Maktabat al-Ghazali, Damas 1980, vol. II, pp. 151-161. Voir des développements dans Idris, 'A-al-F. M., Ahkam al-'awrah fil-fiqh al-islami, Le Caire 1993, vol. 2, pp. 451-549.. Ces normes sont d'application générale, y compris dans le sport. Se référant au récit de la course de Mahomet avec sa femme 'A'ishah, Al-Shawkani dit que la course entre hommes et femmes n'est permise que s'ils sont "maharim" Al-Shawkani, op. cit., vol. 8, p. 256., terme qui indique les personnes qu'on ne peut légalement épouser. C'est une référence directe au verset 24:31 cité plus haut. Ce qui signifie que l'homme peut faire la course avec sa femme, sa mère, sa grand-mère, sa belle-mère, sa tante, sa fille et sa nièce; mais il ne peut la faire avec sa cousine ou sa voisine. A Bagdad, au dixième siècle, il y avait plus que 120'000 bains Al-Munawi, 'A-al-R., Kitab al-nuzhah al-zahiyyah fi ahkam al-himmam al-shar'iyyah wal-tibbiyyah, édité par 'A-al-H. S. H., Al-Dar al-masriyyah al-lubnaniyyah, Le Caire 1987, pp. 7-9.. Plusieurs écrits classiques traitant des aspects médicaux et légaux leur ont été consacrés. Ces écrits rapportent certains récits de Mahomet maudissant le bain parce qu'ils étaient fréquentés par des gens nus. D'autres récits commandent aux hommes de n'y entrer que couverts et de ne pas regarder la nudité des autres. Ils interdisent aux femmes d'y entrer, sauf en cas de maladie. Certains auteurs cependant estiment que les femmes ont le droit de fréquenter les bains parce qu'elles en auraient plus besoin que les hommes, ceux-ci pouvant se laver dans les fleuves Idris, op. cit., vol. 1, pp. 266-285.. Dans tous les cas, il est interdit aux hommes et aux femmes de fréquenter les bains simultanément Al-Munawi, op. cit., p. 45.. b) Position actuelle Dans les pays arabo-musulmans On trouve dans la société arabo-musulmane des femmes qui occupent les fonctions les plus élevées sur le plan politique, académique et économique, habillées à la dernière mode, étudiant ou travaillant côte à côte des hommes. A Tunis des femmes règlent le trafic routier et contrôle les billets dans les transports publics. En même temps, on trouve des femmes couvertes dans la rue de la tête aux pieds. Elles ne sont jamais présentées aux invités mâles et le repas est pris par les hommes sans les femmes. Lorsqu'elles voyagent en transports publics, elles sont mises à la fin du bus, dans un compartiment avec des fenêtres à rideaux noirs tirés; elles sont séparées des hommes par un autre rideau. C'est le cas notamment de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe. Les hommes dans ces pays refusent de serrer la main d'une femme. Ces deux manières de vivre se reflètent dans le domaine sportif. L'éducation physique fait partie intégrante du cursus scolaire dans les pays arabo-musulmans. Mais les écoles sont généralement unisexes. Ce qui signifie que la promiscuité dans le sport est résolu déjà à la base Sfeir, L., The status of Muslim women in sport: conflict between cultural tradition and modernization, in International Review for the sociology of sport, vol. 20, no 4, 1985, p. 292.. Dans les écoles et les universités mixtes, les activités sportives sont généralement faites séparément par les hommes et les femmes. Les entraîneurs des femmes sont en principe des femmes. Cette séparation cependant n'est pas absolue. L'auteur d'un petit livre égyptien opposé à la promiscuité dans les écoles relève que les femmes responsables des activités sportives dans certaines écoles pour les filles font parfois appel à des jeunes hommes sous prétexte que les hommes sont plus sévères et plus stricts. Il se demande sur la moralité de placer des hommes adultes face à des filles s'adonnant à des mouvements des pieds et des mains, faisant bouger leurs seins et montrant ce qu'elles n'ont pas le droit de montrer. Selon lui, la présence des entraîneurs mâles face à des filles est une violation des ordres de Dieu: "Dis-leur [aux femmes] de ne pas frapper le sol de leurs pieds pour montrer leurs atours cachés (24:31) 'Uthman, U. M., Ikhtilat al-gins fi madarissina, Dar al-i'tissam, Le Caire 1986, pp. 29-31.. Cette présence détruit le sentiment de pudeur que le Coran cherche à développer: "Dis aux croyants: de baisser leurs regards, d'être chastes. Ce sera plus pur pour eux. Dieu est bien informé de ce qu'ils font" (24:31). "Dis aux croyantes: de baisser leurs regards, d'être chastes, de ne montrer que l'extérieur de leurs atours" (24:31) Ibid., pp. 15-17.. En dehors des programmes scolaires et universitaires, la participation de la femme dans les activités sportives est réduite Sulayman, N. H., Al-musharakah fil-anshitah al-tarfihiyyah wal-riyadiyyah wal-thaqafiyyah wal-mussawat bayn al-ginsayn, in Al-mar'ah al-masriyyah wal-'adalah al-igtima'iyyah wal-iqtissadiyyah, Dar al-thaqafah, Le Caire 1994, pp. 25-26.. Cela est dû à différentes raisons: - le sport est considéré comme une perte de temps; - le coût financier du sport; - le refus des parents, du fiancé ou du mari à ce que la femme y participe, surtout du fait que les entraîneurs sont souvent des hommes; - l'opposition des milieux religieux qui refusent que les femmes fassent du sport en dehors des salles fermées. En Égypte, la participation des femmes en 1988-89 dans les activités sportives au sein des organismes officiels de la jeunesse est de 12,6% dans les villes, et de 7.2% dans les villages. Ce taux s'élève entre 16 et 40% dans les clubs de première catégorie dont font partie les classes aisées de la société. Les femmes restent cependant exclues des compétitions. Les statistiques officiels démontrent que les femmes représentent 24.6% des membres des clubs sportifs, mais seulement 8% des joueuses. La montée de l'intégrisme dans la société contribue à un recul dans la participation de la femme dans les activités sportives, et à une perte des acquis féminins dans ce domaine Ibid., p. 36.. Il est intéressant ici de relever les différentes opinions des milieux religieux musulmans en rapport avec les activités sportives. Interrogé à propos des clubs pour les femmes, un professeur de l'Université de la Mecque répond: Il existe une règle islamique sage: "La prévention du dommage a la priorité sur la réalisation d'un intérêt". Un principe musulman prescrit aussi de fermer la porte aux prétextes qui peuvent conduire au vice et aux péchés. En apparence, le club sportif féminin est innocent, mais en réalité et dans son résultat, il conduit au vice et donne prétexte à la promiscuité entre les deux sexes à l'entrée, en allant ou en retournant du club. On constate ce mal déjà autour des écoles et les sections universitaires propres aux filles. Mais comme l'enseignement est nécessaire, il nous faut supporter cet inconvénient. Le sport, par contre, n'est pas nécessaire pour les filles, et celles-ci peuvent le pratiquer dans leurs maisons, dans leurs familles, loin des yeux sournois Gamal, A. M., Yas'alunak, 3e éd., Dar ihya' al-'ulum, Beyrouth 1994., p. 756.. Fadl-Allah, chef chiite libanais, interdit de nager dans des piscines mixtes car cela laisse supposer le vice et conduit souvent à ce qui est interdit Fadl-Allah, M. H., Al-Massa'il al-fiqhiyyah, Dar al-malak, Beyrouth 1995, vol. 1, p. 253.. Les étudiants et étudiantes fondamentalistes en Iran, considérant la piscine comme un lieu de débauche, demandèrent au ministre de l'éducation la fermeture de la piscine de la haute école sportive de Téhéran après la révolution iranienne Yaldai, S., Islam und Sport, Instituts für Sportwissenschaft der Universität Düsseldorf, Heft 2, Düsseldorf 1987, p. 76.. Une thèse égyptienne en droit dit que les femmes ne peuvent fréquenter les bains Idris, op. cit., vol I, p. 285.. Les hommes, par contre, peuvent le faire s'ils y entrent couverts, mais à condition qu'ils ne disposent pas de bains dans leurs maisons Ibid., vol. 1, pp. 272-273.. Aucun mot des piscines. Mais il est évident que ces restrictions s'appliquent par analogie aussi à celles-ci. Un cheikh azharite égyptien s'emporte contre la fréquentation des plages par des hommes et des femmes "nus ou presque nus". Il dit que ces hommes et ces femmes qui exposent leurs corps comme on expose des esclaves ont besoin de fouets qui déchirent leur peau en expiation de leurs péchés et de leur manquement à la pudeur. Ils sont éloignés des normes islamiques, chrétiennes et juives. "L'oiseau a ses plumes, et l'animal ses poils, comment donc ces hommes et ces femmes s'abaissent au-dessous des animaux?" Il demande à l'État d'interdire la nudité sur les plages et de fixer un temps pour les hommes, et un autre pour les femmes. Mais comme l'État ne fait pas son devoir, l'auteur en question dit que c'est à chacun de faire respecter les normes au nom du principe: "Ordonner le bien et interdire le mal" 'Awn, K. A., Al-mar'ah fil-islam, 2ème édition, Dar al-'Ulum Al-Riyadh 1983., pp. 193-206.. Remarquons ici que les plages d'Alexandrie dont il est question ici ne sont pas fréquentées par des nudistes; cet auteur traite de nudité le fait de porter le maillot. En fait, dans l'esprit d'un musulman, la femme doit respecter les mêmes normes vestimentaires, au marché comme à la mer. J'ai pu voir en juillet 1996, à côté d'Européennes en maillot, des femmes musulmanes nager avec tous leurs habits dans la Mer Morte et dans la Mer Méditerranée. Étrangement, les maris de ces musulmanes nageaient en maillot. Le droit musulman semble donc s'appliquer différemment, selon qu'on est femme ou homme. Quelqu'un demanda si les filles obligées à porter des pantalons courts (shorts) pendant les activités sportives ne devraient pas abandonner ces activités malgré leur utilité pour le corps. Muhammad Al-Bahi répond que le short que porte la fille adulte pendant qu'elle fait des mouvements en plein air fait perdre à la fille sa pudeur et lui donne le sentiment que son corps est sans protection et sans secret. Le Coran condamne l'exposition ostentatoire du corps de la femme à une autre personne que son mari (tabarrug). La civilisation matérialiste contemporaine a appelé la femme à exposer les parties attrayantes de son corps afin de satisfaire la concupiscence de l'homme. Mais ceci n'est bon ni pour la femme ni pour l'homme. Il ajoute: "Le passé n'est pas tout mal, et le présent n'est pas tout bien. L'Islam n'est pas arriéré en demandant la sauvegarde de la pudeur de la femme. La modernité n'est pas progressiste en appelant à banaliser la femme et à en faire un jouet dont s'amusent parfois les hommes et la délaissent par la suite" Al-Bahiy, M., Ra'y al-din bayn al-sa'il wal-mugib fi kul ma yuhim al-muslim al-mu'assir, Maktabat Wahbah, Le Caire 1979, vol. I-2, pp. 311-313.. Même si les musulmans ne sont pas tous opposés à l'accès de la femme au sport, la séparation des sexes reste un souci constant dans la société arabo-musulmane. En Iran, les activités sportives féminines furent même confiées à un organisme composé uniquement de femmes, et les compétitions sportives se font exclusivement entre les femmes, les hommes étant exclus, que ce soit à titre de participants ou de spectateurs. Sur le plan international On trouve des femmes arabo-musulmanes dans les compétitions internationales. La Turquie, en 1936, fut le premier pays à envoyer des femmes athlètes aux jeux olympiques. L'Iran fit de même en 1964, pour la première et dernière fois jusqu'aux jeux d'Atlanta (voir plus loin). En 1980, des femmes athlètes de l'Algérie, de la Libye et de la Syrie y participèrent. L'Égypte n'envoya des femmes athlètes qu'en 1984 Sfeir, op. cit., p. 287.. Cette année-là, une femme marocaine a obtenu dans la course la médaille d'or, à la surprise du monde entier. Mais dans les jeux olympiques de Barcelone, 18 pays musulmans ont envoyé des équipes exclusivement masculines Il s'agit des pays suivants: Burkina Faso (4), Djibouti (8), Gambie (5), Iran (40), Irak (9), Arabie saoudite (9), Kuwait (36), Libye (6), Liban (13), Mauritanie (6), Niger (3), Oman (5), Pakistan (27), Qatar (31), Soudan (6), Tanzanie (9), Émirats arabes unis (14), Yémen (13). Nous indiquons entre parenthèse le nombre d'athlètes mâles que ces pays ont envoyé à ces jeux (Rapport officiel des jeux de la XXVe Olympiade, vol. 4, pp. 396-397).. Dans ces derniers jeux, la coureuse algérienne Hassiba Boulmerka a remporté une médaille d'or. Dans le monde arabo-musulman, sa victoire fut loin de plaire à tous. En Algérie, le Front islamique du salut la fustigea pour avoir couru "à demi nue" et la contraignit à quitter sa patrie pour pouvoir continuer à s'entraîner dans la sérénité Brooks, G., Les Femmes dans l'Islam, un monde caché, Belfond, Paris 1995, p. 278.. Ne pouvant imposer leurs normes aux compétitions internationales, les islamistes tentent actuellement de dissuader les femmes musulmanes d'y participer en leur offrant à leur place des compétitions purement féminines. L'Iran a créé en 1991 un "Conseil de jeux féminins de solidarité islamique". L'article 3 du statut de ce conseil dit que son objectif est: a) To ensure the observance of the Islamic Principles and Criterion in the Women Sports Games. b) To reinforce the bonds of solidarity existing amongst women in the member countries and to promote the Islamic identity of women in the sports arenas [...]. e) To promote sport culture amongst youths in the member countries within the framework of Islamic values.... L'article 4 ajoute: In order to fulfil the aforesaid objectives, the Council will: a) Hold women sports competitions in accordance with executive rules consistent with the holy Shariah of Islam amongst the affiliated countries every four years which will be called "the Islamic Countries' Women Sports Solidarity Games". L'Iran essaie ainsi de créer des jeux calqués sur les jeux olympiques réservés exclusivement aux femmes musulmanes. Les premiers jeux féminins islamiques ont eu lieu à Téhéran en février 1993, avec la participation de 700 athlètes de 11 pays dans 8 disciplines. Ils ont été entièrement organisés par des femmes, devant un public strictement féminin. Le règlement précisait que les athlètes devaient se présenter ainsi vêtues que le public ne puisse voir d'elles que leurs chevilles et leurs poignets Le Nouveau Quotidien, 16.2.1993. Sur ces jeux, voir Brooks, op. cit., pp. 273-286.. Avant les jeux olympiques d'Atlanta, l'Iran semblait vouloir empêcher les sportives iraniennes d'y participer. Tout en reconnaissant que le prophète Mahomet avait ordonné aux pères d'apprendre la natation et le tir à leurs enfants, le président de l'éducation physique de l'Iran a estimé que la présence simultanée d'hommes et de femmes est une raison suffisante pour empêcher la participation de ces dernières aux jeux d'Atlanta Le Monde, 30.4.1996, pp. 1 et 20.. C'était un appel à peine voilé pour que les pays musulmans fassent de même. Cette attitude de l'Iran et des pays musulmans fut dénoncée par la représentante de la Ligue tunisienne des droits de l'homme devant la Commission des droit de l'homme en 1996. Elle stigmatisa le fait que la discrimination contre les femmes tendait à prendre "des formes nouvelles particulièrement inquiétantes que certaines voix s'efforcent de légitimer par la morale et la culture, pour mieux les institutionnaliser". Elle demanda "que tout soit mis en oeuvre pour que, dans le plein respect de la Charte Olympique, que les États ont l'obligation de respecter et de faire respecter, il soit mis un terme à cette discrimination dès les prochains jeux olympiques d'Atlanta et qu'un bilan des résultats obtenues soit présenté à la Commission lors de sa 53e session" Texte transmis à l'auteur par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, Paris.. La Commission finit par adopter le 19 avril 1996 la résolution relative à "l'idéal olympique" qui "prie tous les États de prendre les mesures appropriées qui s'imposent pour que femmes et hommes participent pleinement, sur un pied d'égalité, sans la moindre discrimination, aux Jeux olympiques, dans l'esprit de l'idéal olympique et suivant les principes du Mouvement olympique" E/CN.4/1996/L.11/Add. 2, pp. 12-13.. Une pétition a circulé sur internet émanant d'Atlanta Plus, The Feminist Majority Foundation, adressée au C.I.O.. Cette pétition dénonce le fait que certains pays participant aux jeux olympiques, en opposition avec les normes anti-discriminatoires de la Charte olympique, n'ont pas d'équipes féminines. Elle dénonce aussi le fait que l'Iran a demandé aux femmes musulmanes du monde entier de renoncer aux jeux olympiques et de participer aux jeux musulmans exclusivement féminins. Elle demande aux C.I.O. d'enquêter sur ces pays et d'exclure des olympiades ceux qui ne permettent pas la participation des femmes. Comme pour faire face à ces critiques, une femme iranienne, championne de tir à la carabine, a participé aux jeux d'Atlanta; elle a porté le drapeau de l'Iran à la cérémonie d'ouverture, habillée d'un manteau long et d'un foulard. La femme en question a déclaré à la presse iranienne: "Nous devons montrer aux médias étrangers que les femmes musulmanes voilées et en respectant les critères islamiques, peuvent participer activement à tous les domaines sportifs" Communiqué de presse du 17 juillet 1996 transmis à l'auteur par le Journal de Genève. En pays de migration Les immigrés musulmans vivant dans les pays occidentaux portent avec eux souvent aussi bien leurs habits que leurs conceptions religieuses. Dans ces pays d'accueil, le sport est perçu comme un moyen d'intégration. Ainsi, en France, notamment pour résoudre le problème des banlieues, les pouvoirs publics ont investi des sommes relativement importantes pour parrainer des projets pivotant autour de cet axe: sport et insertion/intégration Sakouhi, op. cit., p. 81.. Mais l'intégration ne peut se faire à travers la seule gente masculine. Un chercheur maghrébin en France signale la réticence des milieux immigrés musulmans à permettre aux filles de pratiquer le sport. Il écrit: En pratiquant le sport ou l'éducation physique à l'école la fille apprend à découvrir son corps dans une gestuelle différente. Elle va écarter ses jambes, se rouler par terre... et tout ceci en présence de jeunes garçons! Faire du sport signifie l'entretien de son corps, elle va affermir ses formes, les mettre en valeur et accentuer les protubérances dans une tenue vestimentaire sportive "légère" (entendre les deux sens du terme!). Ces idées tourmentent l'esprit des défenseurs du puritanisme musulman, des "grands frères" anéantis par l'échec scolaire, le chômage, déçus par les séries de tentatives d'intégration dans une société qui les a longtemps refusés, mais aussi des parents souvent issus d'un milieu rural archaïque et traditionaliste Ibid., p. 86.. On rencontre aussi ce problème en Suisse. A Lausanne, les parents de deux élèves, une Afghane et une Turque, ont demandé que l'on dispense leurs filles des leçons à la piscine. L'autorisation fut accordée, "car il fallait éviter à tout prix de durcir le conflit", ce qui aurait abouti à une marginalisation bien plus grave des jeunes filles, explique le doyen de l'école avant d'ajouter: "on ne va tout de même pas les forcer à se mettre en maillot, il faut avoir un peu de patience!". Une affaire de piscine aussi a surgie dans le Canton de Zurich; elle est arrivée jusqu'au Tribunal fédéral. Les autorités cantonales avaient refusé la dispense demandée par son père à une fille turque âgée de 11 ans. Celui-ci a invoqué la liberté religieuse et s'est engagé à enseigner lui-même la natation à sa fille. Dans une décision du 18 juin 1993 ATF 119 I 178., le Tribunal fédéral donna raison au père tout en se demandant comment le père pourrait tenir son engagement en Suisse à moins de louer une piscine à lui seul, toutes les piscines publiques étant mixtes. Il opta pour la tolérance tant que cela ne dérange pas excessivement l'organisation de l'école que fréquente la fille. Dans une réponse à des questions posées sur internet, un blanc américain de 26 ans, converti à l'Islam depuis 6 ans, épouse intégralement le point de vue musulman sur le sport. A la question: "Faut-il permettre aux femmes musulmanes de participer aux jeux d'Atlanta?", il répond: "if mixing is not allowed among Muslims it should be worse among non-Muslim competition, which is televised around the world. It raises the level of the chance for immodesty and vulnerability of the woman's security for nothing more than many useless and meaningless competitions which could, if even permissible, be adequately performed among other Muslim women" Lettre adressée à l'auteur le 20 juin 1996 par Sumatra@gnn.com.. B. Le sport et le jeûne de Ramadan On conçoit en règle générale les pratiques religieuses islamiques comme un sport bénéfique à la santé physique. C'est ainsi que le musulman doit effectuer cinq fois la prière en exécutant plusieurs positions du corps: en bougeant les bras, en se mettant debout et à genoux et en se courbant. On peut aussi citer le pèlerinage à la Mecque sous l'angle sportif Yaldai, op. cit., pp. 45-46.. A côté de cet aspect positif des rituels musulmans, Yaldai signale que le jeûne du mois de Ramadan affecte négativement le sport. Comme le musulman ne peut avoir de l'eau dans sa bouche pendant le jour, il ne peut s'adonner au sport de la nage durant le mois de Ramadan. D'autre part, l'épuisement physique que provoque le jeûne a pour conséquence l'impossibilité de pratiquer un effort sportif physique pendant ce mois, ce qui est contraire aux exigences des compétitions sportives modernes. Yaldai constate à cet effet que les sportifs musulmans se limitent dans ce mois à l'étude théorique du sport Ibid., pp. 64-65.. C. Le sport à risque pour les sportifs La légitimité d'une pratique sportive connaît des limites lorsqu'elle porte atteinte à l'intégrité physique ou à la vie. Nous nous limitons ici aux risques auxquels s'exposent les sportifs eux-mêmes. Sur ce plan, il n'existe pratiquement pas de normes en droit musulman classique relatives au sport. On trouve cependant quelques décisions religieuses modernes qui méritent d'être citées. En octobre 1987, l'Académie du droit musulman, organisme dépendant de la Ligue du monde musulman dont le siège est à la Mecque, a issu la fatwa suivante interdisant la boxe, sport pourtant pratiqué dans les pays arabo-musulmans Penser ici au boxeur noir Cassius Clay, converti à l'Islam avec le nom de Muhammad Ali.: Le Conseil de l'Académie est d'avis, à l'unanimité, que la boxe pratiquée aujourd'hui dans les stades sportifs et les compétitions de nos pays est interdit en droit musulman car ce sport part du principe que les deux parties se permettent de faire subir à l'autre un dommage corporel pouvant conduire parfois à la cécité, à une atteinte grave ou permanente au cerveau, à des fractures graves ou à la mort, sans que celui qui a donné le coup soit considéré comme responsable de son acte, et ce avec des manifestations de joie du public envers le gagnant en raison du dommage subi par l'autre. Or ceci est interdit totalement et partiellement selon les normes du droit musulman. Dieu, à lui la gloire, dit: "Ne vous exposez pas, de vos propres mains, à la perdition" (2:195). Il dit aussi: "Ne vous entre-tuez pas. Dieu est miséricordieux envers vous" (4:29). Mahomet, prière et salut sur lui, dit: "Ni dommage ni dommage réciproque". Partant de ce principe, les légistes musulmans ont établi que si quelqu'un dit à un autre: "Tue-moi", ce dernier n'a pas le droit de le faire. Et s'il le fait, il en est responsable et mérite le châtiment. Par conséquent, l'Académie décide que la boxe ne saurait être appelée un sport, et il n'est pas permis de la pratiquer du fait que le sport se base sur l'exercice physique sans nuisance ou dommage. La boxe doit être supprimée des programmes sportifs locaux; il est interdit d'y participer dans les compétitions internationales. Le Conseil décide en outre qu'il est interdit de transmettre à la télévision une telle activité afin que la jeunesse ne l'apprenne pas et ne l'imite pas. Une décision similaire a été prise par cet organisme à l'encontre de la lutte libre, et pour les mêmes raisons. Le Conseil considère cependant comme licite "toute autre lutte pratiquée simplement pour l'exercice physique sans que les parties ne se permettent de porter atteinte l'une à l'autre" Fatwa prise dans la 10ème session du 17-21 octobre 1987, in Qararat al-magma' al-fiqhi al-islami, session 10-13, 1408-1411 hégire, pp. 25-26.. Interrogé sur la lutte et la boxe, un Professeur de l'Azhar, Ahmad Al-Sharabassi, dit que ces deux sports sont licites sous la forme d'exercice physique, et de manifestation de la défense personnelle, dans les limites du but sportif sain et de normes qui les éloignent de l'agressivité et de l'anarchie, n'exposant pas les parties à des risques et à des atteintes physiques. Al-Sharabassi signale ici que Mahomet avait lutté avec un mécréant. Il ajoute que si ces deux sports se pratiquent en tant qu'agression anarchique brutale, sans loi et sans frein empêchant de porter atteinte à autrui, de tels sports deviennent illicites, car parmi les règles de l'islam: "Le dommage doit être supprimé", et "la prévention du mal a la priorité sur la réalisation des intérêts" Al-Sharabassi, A., Yas'alunak fil-din wal-hayat, Dar al-gil, Beyrouth 1991, vol. 1, pp. 551-555.. Les auteurs musulmans modernes traitent de la responsabilité des sportifs dans les compétitions. A défaut de normes islamiques classiques, ils se réfèrent au droit et aux décisions des tribunaux occidentaux et à quelques normes et décisions arabes inspirées du droit occidental Voir l'ouvrage de Naqrish, op. cit., pp. 205-211, et l'ouvrage d'Al-Balshi, L. A., Qubul al-makhatir al-riyadiyyah wa-dawruh fi tahdid al-mas'uliyyah al-madaniyyah, Thèse de la Faculté de droit d'Ain Shams, Le Caire, 1994.. Ne présentant pas d'intérêt particulier, nous n'en parlerons pas ici. D. Le sport et les enfants Peut-on utiliser les enfants dans les activités sportives? Au lieu de répondre à cette question, j'expose ici brièvement le cas des enfants jockeys dans les courses de chameaux aux Émirats arabes unis. Cette affaire a été longtemps soigneusement cachée. C'est une enquête de la BBC qui la révèle au grand jour Cette enquête fut diffusée par la TSR le 9 juillet 1993 dans l'émission Tell Quel de 20h10, sous le titre Mourir pour des princes. Pour plus de détail, voir Aldeeb Abu-Sahlieh S. A., Les musulmans face aux droits de l'homme, op. cit., pp. 290-292.. Selon cette enquête, depuis des années des milliers de petits Pakistanais et Bangladeshis sont enlevés ou achetés à leurs familles pour participer à des courses de chameaux organisées par les Émirs arabes du Golfe. Âgés souvent moins de dix années, ils risquent leur vie, et parfois la perdent pour le simple plaisir des princes du pétrole. Le rapport relatif aux pratiques des droits de l'homme du Département d'État américain de 1991 ignore tout de ce problème. On y lit: "Les règlements relatifs au travail interdisent l'emploi de personnes âgées de moins de 15 ans. Des dispositions particulières règlent la question de l'emploi de personnes âgées entre 15 et 18 ans" Country reports on Human rights practices for 1991, p. 1633.. Le rapport de 1992, comme par enchantement, découvre le problème et nous apprend que le gouvernement des Émirats a annoncé de nouvelles normes relatives aux courses de chameaux afin d'éliminer l'utilisation de jeunes enfants comme jockeys dans ces courses et de renvoyer les enfants servant actuellement de jockeys à leurs parents. Le rapport ajoute que le Gouvernement avait toléré en 1992 l'emploi d'enfants âgés entre 5 à 8 ans pour monter les chameaux comme jockeys dans des lieux de courses de chameaux dangereux. Apparemment, ces enfants entrent dans le pays illégalement, souvent avec l'assistance d'agents organisés. Mal nourris, afin de ne pas dépasser les 40 Livres, ces enfants sont gardés dans des conditions inhumaines. De nombreux enfants sont soignés dans les hôpitaux gouvernementaux pour des blessures occasionnées dans des accidents en montant les chameaux. Lorsque la police locale est appelée à traiter une dispute en rapport avec ces enfants, ils sont normalement rapatriés Country reports on Human rights practices for 1992, p. 1107.. Ici se termine le rapport en question qui, en outre, nous apprend l'emploi de très jeunes enfants d'origine africaine et sud-asiatique dans des courses de chameaux qui ont lieu aussi au Qatar et que des accidents parfois mortels s'y sont produits Ibid., p. 1078.. E. Le sport et les animaux Le sport ne doit pas devenir un moyen de divertissement futile qui fait souffrir inutilement les animaux. On se base ici sur le fait que Mahomet aurait maudit celui qui tire sur un animal retenu dans un lieu fermé. Il aurait aussi interdit d'opposer les animaux les uns aux autres Al-Shawkani, op. cit., vol. 8, pp. 249-250.. Ayant vu un homme courir derrière ses pigeons, Mahomet aurait dit: "un diable courant derrière un autre" Ibid., vol. 8, p. 257; Naqrish: Qubul al-makhatir, pp. 202-203.. Pour parler concrètement, le droit musulman interdit des sports comme la tauromachie pratiquée en Espagne, le combat des coqs pratiqué en Grande-Bretagne, et le combat des vaches pratiqué en Suisse. On remarquera cependant que dans certains pays musulmans (comme en Afghanistan), on trouve la pratique du combat de chiens. L'Académie du droit musulman, citée plus haut, a pris une fatwa interdisant la tauromachie en ces termes: La tauromachie pratiquée dans certains pays conduit à la mise à mort du taureau par une personne entraînée à porter une arme. Elle est interdite en droit musulman du fait qu'elle conduit à la mort de l'animal par des flèches plantées dans son corps. Il arrive souvent que dans une telle lutte le taureau tue le torero. Cette lutte est un acte sauvage que rejette le droit musulman en vertu du récit du prophète Mahomet: "Une femme est entrée en enfer parce qu'elle avait enfermée sa chatte sans lui donner à manger ou à boire et sans lui permettre de se nourrir des petites bêtes de la terre". Or si l'enfermement de la chatte est châtié par l'enfer le jour de la résurrection, que dire du fait de faire souffrir un taureau par une arme jusqu'à la mort? L'Académie décida aussi d'interdire les combats entre des animaux comme les chameaux, les boucs, les coqs et autres, combats dans lesquels ces animaux se font mal ou se tuent mutuellement Fatwa prise dans la 10ème session du 17-21 octobre 1987, in Qararat al-magma' al-fiqhi al-islami, session 10-13, 1408-1411 hégire, pp. 26-27.. La chasse et la pêche n'est pas interdite en droit musulman, pour autant qu'elle serve comme moyen pour se procurer de la nourriture Le Coran permet la chasse (5:1-2, 4 et 94-96) et la pêche (35:12). Il établit certaines restrictions pour la chasse. Ainsi, il est interdit de chasser en état de sacralisation.. Par contre, si le but est de se divertir en tuant ou en faisant souffrir les animaux, de telles pratiques sont interdites. Mahomet aurait dit que l'oiseau se dressera en accusateur le jour du jugement contre celui qui l'a tué futilement ('abathan) sans utilité (manfi'atan) Al-Shawkani, op. cit., vol. 9, pp. 13-15.. Il faut cependant remarquer que cette règle est rarement respectée par les notables musulmans qui chassent, non pas pour se nourrir, mais pour le plaisir de chasser. F. Le sport et les paris Le droit musulman interdit les jeu de hasard. Deux versets du Coran en parlent: O vous qui croyez! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont une abomination et une oeuvre du Démon, évitez-les. Peut-être serez-vous heureux. Satan veut susciter parmi vous l'hostilité et la haine au moyen du vin et du jeu de hasard. Il veut ainsi vous détourner du souvenir de Dieu et de la prière. Ne vous abstiendrez-vous pas? (5:90-91). Ils t'interrogent au sujet du vin et du jeu de hasard; dis: Ils comportent tous deux, pour les hommes, un grand péché et un avantage, mais le péché qui s'y trouve est plus grand que leur utilité (2:219). On posa les deux questions suivantes au cheikh égyptien, aveugle, 'Abd-al-Hamid Kishk: - Quel est l'avis de la religion si un match de football a eu lieu entre deux équipes, chaque joueur payant une somme déterminée (ce qui signifie que le jeu est contre argent), le tout revenant à l'équipe gagnante qui la distribue entre ses joueurs à égalité? - Qu'en est-il si une personne possède un ballon et le loue à ces deux équipes contre une certaine somme d'argent payée par l'équipe gagnante à partir de l'argent qu'il reçoit? Est-ce que le gain réalisé par celui qui loue le ballon est licite ou illicite? La réponse du cheikh est la suivante: Il n'est pas permis de jouer au football contre de l'argent car il s'agirait là d'un jeu de hasard, et le jeu de hasard est interdit expressément par le Coran (il cite ici le verset 5:90-91). En ce qui concerne le fait de louer le ballon, ceci constitue un acte licite à la condition que le jeu lui-même ne soit pas un jeu de hasard (qimar). Le fait de louer le ballon alors que son propriétaire sait que le jeu est contre argent aide à commettre un interdit, et ceci est interdit en soi en vertu de la règle juridique: Tout ce qui mène à un interdit est interdit. L'argent gagné par le bailleur dans ce cas est de l'argent vicieux: Il est donc interdit de le prendre ou de l'utiliser Kishk, 'A-al-H., Fatawi al-shaykh Kishk, Al-mukhtar al-islami, Le Caire [1994], vol. 8, pp. 61-62.. Cette position du cheikh égyptien qui se veut conforme au droit musulman est en opposition avec le récit selon lequel Mahomet avait lutté avec un non-musulman à plusieurs reprises et il aurait gagné. Dans ce récit, Mahomet avait parié sur une chèvre. Chaque fois qu'il parvenait à mettre par terre son adversaire, il en recevait une. Surpris par la force de Mahomet, l'adversaire s'est converti à l'Islam, et Mahomet lui aurait alors rendu ses chèvres Al-Shawkani, op. cit., vol. 8, pp. 245-257.. S'attardant sur ce récit, Ibn-Hagar l'interprète de deux façons pour en conclure que le pari n'est pas autorisé: 1) Le sens apparent de ce récit est que Mahomet voulait prouver son pouvoir à battre son adversaire et à lui prendre l'argent. Une fois qu'il l'a prouvé, il lui a rendu l'argent. 2) On peut aussi dire que l'adversaire de Mahomet était un mécréant, donc un ennemi dont il est permis de prendre l'argent. Une fois qu'il est devenu musulman, Mahomet lui a rendu son argent Ibn-Hagar, A. M., Kaf al-ri'a' 'an muharramat al-lahuw wal-sama', Dar al-kutub al-'ilmiyyah, Beyrouth 1986, pp. 182-183.. Répondant à une question relative aux courses de chevaux, Al-Sharabassi, professeur de l'Azhar, écrit que l'Islam jette un regard de respect sur les chevaux en tant que moyen de force. Le Coran en parle au verset 8:60 (cité plus haut). De nombreux récits de Mahomet parlent de courses de chevaux et de chameaux. Mahomet lui-même avait une chamelle réputée invincible. Une récompense était prévue pour le vainqueur de ces courses. Les légistes ont cependant mis comme condition pour une telle récompense qu'elle proviennent d'une personne tierce aux courses. Ainsi il est permis que le gouverneur prévoit le paiement d'une prime au vainqueur prise du trésor public ou de son propre argent. Et ceci afin d'inciter les gens à faire de la compétition. Ils permettent aussi que quelqu'un promette une autre personne de la payer si elle le dépasse. Un pari provenant des deux parties est par contre prohibé. Abu-Hanifah considère comme nul un contrat de compétition contre argent. Al-Sharabassi ajoute: Quant aux courses actuelles, elles ne sont qu'une forme de jeux de hasard comportant des dangers et des intrigues. Souvent elles conduisent ceux qui les pratiquent et ceux qui y participent à des malheurs. Elles sont la cause de la destruction de nombreuses familles. Ce sport ne remplit pas les conditions prévues par l'Islam. De ce fait, ce genre de course est illicite Al-Sharabassi, op. cit., vol. 2, pp. 262-264.. Un auteur jordanien écrit que les primes n'est licite que dans certains sports: la course à chevaux et à chameaux, le tir à l'arc, la course et la lutte entre les personnes et la course des pigeons. Le critère dans la licéité ici est la part que prennent de telles courses à la guerre. Mais qu'en est-il des courses de voiture? Il répond qu'une telle course ne participe pas à la guerre, et par conséquent elle ne saurait faire licitement l'objet de récompense. Par contre, une compétition dans laquelle on ferait usage de canons, de mitraillettes, de bombes ou on tirerait sur un objectif, notamment les avions, la récompense dans de telles compétitions est licite Daradkah, Y. A. I., Nazariyyah al-gharar fil-shari'ah al-islamiyyah, Wazarat al-awqaf, Amman 1974, vol. 2, pp. 247-248. Voir aussi dans le même sens Al-Darir, Al-S. M. Al-A., Al-gharar wa-atharuh fil-'uqud, Al-dar al-sudaniyyah lil-kutub, Khartoum & Dar al-gil, Beyrouth 1990, pp. 625-626.. Ce débat a des implications sur le plan de la loi. Sous le titre de "jeu [muqamarah] et pari", le code civil égyptien contient deux articles que nous citons ici: Art. 739 - 1) Toute convention relative au jeu (muqamarah) ou au pari est nulle. 2) Celui qui a perdu au jeu (muqamarah) ou au pari peut, nonobstant toute convention contraire, répéter ce qu'il a payé dans le délai de trois ans à partir du moment où il a effectué le paiement. Il peut prouver le paiement par tous les moyens. Art. 740 - 1) Sont exceptés des dispositions de l'article précédent les paris entre personnes prenant part à des jeux sportifs. Néanmoins le juge peut réduire l'enjeu s'il est excessif. 2) Sont aussi exceptées les loteries légalement autorisées. Un projet de code civil conforme au droit musulman fut préparé par une commission parlementaire égyptienne en 1982, jamais entré en vigueur. Il traite de cette question dans deux articles portant la même numérotation que ceux du code civil actuel. Ce projet reprend la teneur de l'article 739, avec quelques modifications purement formelles, mais il modifie la teneur de l'article 740 comme suit: 1) Sont exceptés des dispositions de l'article précédent le jeu (muqamarah) comportant une prime en faveur de celui qui gagne en atteignant un objectif dans le domaine du sport ou des exercices faisant acquérir la force. 2) La prime peut être de l'un des compétiteurs ou de quelqu'un autre à condition qu'elle soit octroyée au gagnant. 3) Il n'est pas permis que les deux compétiteurs fixent une prime à gagner l'un de l'autre. Le mémoire explicatif précise que le pari n'implique aucun effort dans la réalisation du gain. Tel est le cas des spectateurs à une course de chevaux et qui parient sur le cheval gagnant. Par contre, la muqamarah (traduite par "jeu" en français) exige un rôle positif de la part des joueurs dans le but de réaliser un gain. Tel est le cas des sportifs qui jouent sur une prime. Dans le pari comme dans le jeu, il y a donc une prime, acquise par le gagnant dans le premier sans effort, et dans le dernier avec effort. Le pari et le jeu sont tous deux interdits du fait qu'ils sont contraires à la morale (en tant que moyen de gain sans productivité) et à l'ordre public (du fait qu'ils poussent souvent à la ruine, à la haine et à la non-productivité). Le jeu cependant est autorisé dans les conditions suivantes: - Le jeu doit avoir pour objet un sport ou un exercice faisant acquérir la force. Ceci comprend toutes les activités qui renforcent le corps et la santé: la gymnastique, le football, le tennis, la course, la lutte, la course à chevaux, la nage, le lancement des javelots etc.). En sont par contre exclus les jeux d'échec, les jeux de carte, le domino, les roulettes et les loteries. - La prime à gagner (ga'l) dans le jeu peut provenir d'un des participants à la compétition ou d'une personne externe (autorité ou association). Cette prime doit être donnée à celui qui gagne. - Il n'est pas permis que les deux compétiteurs se mettent d'accord sur une prime à gagner par l'un d'eux. Il est donc interdit qu'un compétiteur dise à l'autre: Si je gagne tu me paies, mais si tu gagnes c'est moi qui te paie. Il est aussi interdit que les deux compétiteurs mettent en commun un montant qui reviendrait au gagnant. Il est par contre permis qu'un compétiteur dise: Si tu gagnes, je te paie, mais si je gagne, tu ne me dois rien. De même, il est permis que les deux compétiteurs se mettent d'accord sur un montant qui sera gagné non pas par l'un d'eux, mais par une personne tierce Al-mudhakkarah al-idahiyyah lil-iqtirah bi-mashru' al-qanun al-madani tibqan li-ahkam al-shari'ah al-islamiyyah, Maglis al-sha'b, Le Caire 1982, pp. 290-292... G. Les spectateurs entre les austères et les libéraux Le spectacle des sports pose les mêmes problèmes posés par la pratique du sport, à savoir celui de l'utilité, de la promiscuité et des paris Partant de l'idée que le sport a pour objectif le renforcement du corps et de la raison de la personne et du groupe, Naqrish écrit dans sa thèse de doctorat que cet objectif ne se réalise pas dans le rôle des spectateurs eux-mêmes. Bien au contraire, ces spectateurs perdent leur temps dans le spectacle, oublient Dieu et manquent les prières. De ce fait, la légitimité d'assister à des compétitions sportives est douteuse Naqrish, op. cit., p. 203.. Ce point de vue n'est que le reflet de l'attitude austère de certains légistes classiques à l'égard des autres divertissements, interdisant ainsi le jeu d'échec, les chansons et les instruments de musique en se basant sur des récits attribués à Mahomet. Les légistes libéraux répondent que cela est contraire à l'esprit du Coran qui dit: "il déclare licites, pour eux, les excellentes choses; il déclare illicites, pour eux, ce qui est détestable" (7:157). Ils ajoutent que s'il faut renoncer à tout divertissement, il faudrait renoncer à tout aspect de la vie puisque le Coran dit: "La vie de ce monde n'est que jeu et divertissement" (6:32). Les légistes austères répliquent que ce qui est interdit se limite à ce qui écarte de la voie de Dieu. Et même si on sort lesdits divertissements du domaine de l'interdit, on ne saurait exclure qu'ils puissent conduire à l'interdit. Et celui qui tourne autour du feu, risque d'y tomber Al-Shawkani, op. cit., vol. 8, pp. 257-271.. Fadl-Allah, le chef chiite libanais, dit qu'il ne voit rien de mal à ce que les gens s'intéressent au sport, aux revues sportives ou aux clubs, à condition que cela ne s'éloigne pas des résultats sociaux recherchés par ceux qui s'occupent du domaine social. Il se dit par contre opposé à ce que les jeunes en fassent un but en soi, oubliant la réalité sociale, politique, scientifique et culturelle. Il dénonce le fait que les systèmes politiques et les médias se servent du sport pour détourner la jeunesse et pour détruire ses moeurs. Ainsi dans les pays développés comme l'Europe et les États-Unis, on pousse le peuple à ne penser qu'aux jeux, marginalisant de la sorte les questions politiques et sociales. Des dirigeants du Tiers-Monde font de même pour que le peuple ne se préoccupe pas d'autres problèmes pouvant nuire aux gouverneurs. Tout en se déclarant en faveur des courses de chevaux, Fadl-Allah critique le fait que ces courses soient transformées en lieux de paris interdits. De ce fait, dit-il, "nous refusons à ce que les jeunes assistent à ces courses même s'ils n'y parient pas, en vertu du récit de Mahomet: Les interdits sont les feux ardents de Dieu, celui qui tourne autour d'eux risque d'y tomber" Ahmad, A. & Al-Qadi, 'A., Dunya al-shabab, hiwarat ma' samahat Ayat-Allah Al-Sayyid Muhammad Hussayn Fadl-Allah, Al-'Arif lil-Matbu'at, Beyrouth 1995, pp. 184-188.. Le Professeur Gamal, de l'Université de la Mecque, approuve le sport à condition qu'il ne détourne pas d'un devoir religieux, ne soit pas mêlé à des paris, ne soit pas accompagné d'un interdit et n'empêche pas les étudiants à se consacrer aux études. Il signale que souvent les jeunes et les adultes se laissent entraîner par le spectacle des matchs de football au point d'oublier de faire leurs prières aux heures fixes Gamal, op. cit., p. 197.. Il demande aux clubs sportifs d'intégrer dans leurs activités les devoirs religieux Ibid., pp. 512-513.. Signalons ici que les légistes musulmans considèrent blâmable l'applaudissement en tant que manifestation de joie ou d'admiration, car ceci fait partie des coutumes des mécréants que les musulmans ne doivent pas adopter. Le Chef religieux saoudien, Ibn-Baz, cite à cet égard le Coran qui critique les païens arabes: "Leur prière à la Maison n'est que sifflements et battements de mains". Les musulmans doivent plutôt exprimer leur joie ou admiration comme le faisait Mahomet en disant: "Louange à Dieu", "Dieu est le plus grand". Ibn-Baz rappelle ici que le battement des mains est autorisé aux femmes si celui qui dirige la prière s'assoupit, afin de le réveiller. Les hommes par contre doivent dans ce cas prononcer à haute voie des louanges à Dieu. Si les hommes se mettent à battre des mains, ils font comme font les mécréants et les femmes, or ceci est interdit Ibn-Baz, 'A-al-'A. Ibn-'A., Al-Fatawi, Kitab al-da'wa, Riyad 1995, vol. 1, pp. 227-228.. Les normes relatives à la tenue vestimentaire et la non-promiscuité posent des limites au spectacle du sport. Dans une thèse récente de doctorat en droit, un égyptien dit qu'il est permis à un homme de regarder, sans passion, une femme portant des habits épais qui ne montrant pas la quantité de ses os. L'homme, par contre, ne peut regarder une femme qui porte des habits transparents montrant ce qui est en dessous, ou des habits opaques mais qui collent à sa peau. Cette norme s'applique aussi bien pour la femme présente qu'en photo ou en vidéo Idris, op. cit., vol. 1, pp. 448-450.. Conclusion Nous avons pu voir dans cette étude que le droit musulman a développé une conception particulière du sport. Si on laisse de côté les milieux religieux qui épousent totalement la conception islamique du sport, on remarquera que la question la plus problématique pour la majorité de la population arabo-musulmane concerne les normes vestimentaires et la mixité. Ces deux domaines sont rarement abordés par les organisations sportives occidentales et internationales. Mais ils constituent un objet de confrontation réelle aussi bien à l'intérieur des pays arabo-musulmans que dans les communautés musulmanes vivant en Occident. Il est donc important qu'un dialogue les concernant soit ouvert entre les occidentaux et les musulmans pour parvenir à une solution médiane qui évite de faire de la femme une recluse ou un objet sexuel. D'autre part, le point de vue du droit musulman relatif aux activités sportives violentes comme la boxe, ou celles qui font souffrir inutilement les animaux comme la tauromachie, mérite d'être pris en considération, aussi bien en Occident que dans les pays arabo-musulmans. L'idéal serait que le sport soit considéré par tous comme une activité constructive pour l'homme et la femme, au service de la paix, et non pas une activité destructrice et cynique, en vue de la guerre. I. Qualification du sport 2 A. Catégories du droit musulman 2 B. Le sport de l'antiquité à aujourd'hui 2 C. Le sport dans la conception musulmane 4 II. Limites du sport 7 A. Sport, promiscuité et normes vestimentaires 7 1. De l'antiquité à aujourd'hui 7 2. La conception musulmane 9 a) Droit musulman classique 9 b) Position actuelle 10 Dans les pays arabo-musulmans 10 Sur le plan international 13 En pays de migration 15 B. Le sport et le jeûne de Ramadan 16 C. Le sport à risque pour les sportifs 16 D. Le sport et les enfants 18 E. Le sport et les animaux 18 F. Le sport et les paris 19 G. Les spectateurs entre les austères et les libéraux 22 Conclusion 24 30