VILLAGES D’ÉGYPTE
GOURNA
D’HIER À AUJOURD’HUI
Sous la direction de Michèle Broze et Emmanuel Serdiuk
Catalogue de l’exposition d’esquisses et de photographies
créée au Cercle des Voyageurs à Bruxelles
du 9 novembre au 1er décembre 2007
Centre d'Études Comparées des Civilisations Anciennes de l'Université Libre de Bruxelles - Egyptologica asbl.
Avec le concours de l'Échevinat de la Culture de la Ville de Bruxelles - Schepenambt voor Cultuur - Stad
Brussel
Graphisme de la couverture: Sébastien Dumont, d’après une esquisse d’Ammar.
Dos de couverture : vue de Gourna. Photo Henri-Frédéric Blondeau.
Imprimé à Bruxelles. Novembre 2007.
OBSERVATIONS DE TERRAIN AU VILLAGE DE GURNET MAR ‘AY :
REGARDS CROISÉS ENTRE L’ARCHITECTURE ET L’ANTHROPOLOGIE SOCIALE ET CULTURELLE
Cet article sur le village de Gurnet Mar ‘ay est le résultat d’un travail croisé entre un architecte et un
anthropologue, qui vise à mettre en lumière la logique et les étapes de la constitution de l’habitat traditionnel de
la nécropole thébaine.
Ce patrimoine architectural et culturel a été et est encore trop souvent occulté par l’attention portée le plus
souvent exclusivement aux monuments pharaoniques.
Durant des décennies, on a fouillé de nombreux monuments en ne recherchant que la couche
« d’excellence », tout en ignorant les strates historiques intermédiaires pourtant riches en informations.
C’est ce qui arrive aux villages de la montagne thébaine, relégués d’une certaine manière au rang de
sangsues patrimoniales, auxquels on refuse toute qualité intrinsèque.
L’UNESCO, qui a classé en 1979 la vallée occidentale thébaine au titre de Patrimoine Mondial, ne voit pas
de problèmes aux destructions des villages, si celles-ci sont réalisées en accord avec la population1. Dans un
rapport rendu en 2001 sur « la question des villages de Gurna installés sur les tombes de la nécropole de
Thèbes », J.-P. Braun déclare qu’en termes de patrimoine, « on ne peut pas mettre sur le même plan les tombes
pharaoniques et les maisons en briques de terre crues construites dessus »2. En complétant plus loin : « l’intérêt
des hameaux actuels de Gurna est plus ethnologique et sentimental qu’architectural. Les modes de mise en
œuvre de la brique, la typologie des maisons, ou la morphologie de ces villages n’établissent pas un exemple
d’architecture ou de mode d’habiter unique ou exceptionnel ».
Si l’on ne peut qu’accepter, pour partie, la réalité des points de vue véhiculés par ces documents, on peut
cependant s’étonner du déni de la qualité patrimoniale des villages gurnawi. La question du patrimoine revêt
donc ici une importance toute particulière. Le caractère exceptionnel du patrimoine pharaonique de la nécropole
thébaine ne porte pas à discussion, mais l’on peut s’émouvoir de voir disparaître une part traditionnelle et
culturelle non négligeable, tout en constatant comment la stigmatisation récurrente d’une population peut
conduire à l’ignorance d’un territoire3.
La magnificence et le gigantisme des réalisations antiques, leur quantité, leur mise en oeuvre paysagère,
sont autant d’éléments qui portent à une réelle émotion physique et esthétique. L’empreinte antique est si forte
qu’elle prédomine sur tous les autres secteurs, si bien que le tourisme est devenu l’unique source de
développement de la région. Malheureusement, les campagnes de protection et de mise en valeur du patrimoine
pharaonique se font au détriment de la population locale qui, traditionnellement, s’est développée sur le
patrimoine et autour de lui, en limite des terres inondables par les crues du Nil.
1
UNESCO, Réactive Monitoring Report 6 /6/2006.
Icomos, rapport 2001.
3
À ce sujet, voir l’article consacré aux Gurnawi d'hier et d'aujourd'hui.
2
La population précaire de la vallée thébaine se retrouve dés lors dans une situation difficile, car seul le
tourisme permet sa survie, et en même temps, sa présence est considérée par les investisseurs privés et publics
comme nuisible au commerce.
Nous tenterons ici de présenter la valeur patrimoniale des villages de Gurna, en étudiant grâce au terrain
l’imbrication symbiotique et le développement des bâtis traditionnels en harmonie avec les hypogées de l’époque
pharaonique sur le territoire de Gurnet Mar ‘ay , seule entité qui, à ce jour, n’a pas été détruite, parmi les villages
traditionnels accrochés à la nécropole thébaine que constitue Gurna.
Nous avons évoqué dans l’article consacré aux voyageurs les raisons qui poussèrent les Gurnawi à investir
les tombes antiques, mais la manière dont l’habitat moderne s’est développé en dehors des tombes n’est pas
claire à première vue. On observe des constructions qui, parfois, comportent un étage, des bâtis à ciel ouvert, des
enclos pour les animaux, et l’ensemble pourrait paraître s’être constitué au gré du hasard. L’étude de terrain nous
a permis pourtant de mettre en évidence des constantes dans le développement des bâtis, tant dans l’extension
des espaces familiaux que dans la répartition des familles au sein même du village. D’autre part, l’observation du
paysage montre comment les aménagements antiques de la montagne sont exploités par la population locale. Les
« planches »4 excavées dans l’Antiquité devant les tombes pour créer un espace dévolu au culte funéraire
constituaient des emplacements plans, qui offriront à l’époque contemporaine l’opportunité de construire. Le
village épouse ainsi au gré de ses besoins le versant est de la montagne thébaine aménagée par les bâtisseurs de
la nécropole.
Les récits de voyageurs, les dessins et gravures, et les photos anciennes sont les premières sources qui
mentionnent une expansion hors des tombes. Ces documents précieux prennent cependant davantage de sens
lorsqu’on les confronte à une étude systématique des demeures familiales perchées à l’heure actuelle sur la
colline de Gurnet Mar ‘ay .
Nous avons pu observer comment se réalise, dans un premier temps, l’aménagement interne d’une tombe
habitée. Le relevé suivant montre que, dans l’antichambre, des murs de séparation permettaient de définir des
espaces destinés à différents usages, lieux de stockage, abris pour les animaux, chambres où l’on installait un lit.
Ces murs sont souvent très bas et n’atteignent pas le plafond, même dans les chambres, de manière à laisser
passer l’air et la lumière. Les niches destinées aux statues funéraires sont utilisées comme espaces de rangement,
ou il arrive parfois qu’elles abritent des lampes. Meubles et murs sont en terre crue, de même que les silos qui
servent parfois, comme ici, à délimiter un espace. Le couloir vers la chambre funéraire peut servir de chambre
destinée aux enfants, que l’on écarte de la porte, tandis que le père de famille dort près de l’entrée. Au fond, il est
possible que l’on abrite encore des animaux. Sur la face interne du mur de façade, on retrouve plusieurs
pigeonniers, toujours réalisés en terre crue, et l’antichambre comprend également un poulailler. L’essentiel de
l’activité domestique se fait cependant à l’extérieur de la tombe. Dans la cour antique, on retrouve des silos, des
mangeoires et des abreuvoirs pour le bétail, la cuisine et enfin des fours à pain. Cet espace extérieur était souvent
occupé de structures sommaires de bois recouvertes de branchages, afin de protéger les hommes et les animaux
des rigueurs du soleil.
4
Nous désignons ainsi les terrasses, en référence à la terminologie utilisée pour décrire l’aménagement du paysage dans le sud de la France.
Il est difficile de déterminer l’époque qui a vu l’apparition des premiers bâtis modernes sur la nécropole5.
Dès le 19ème siècle, on assiste à la recrudescence de constructions extérieures aux tombes. Situation que l’on peut
expliquer par l’élargissement familial dû aux alliances matrimoniales, et la nécessité d’offrir un espace
indépendant aux nouvelles familles nucléaires. Lorsque la famille s’agrandit et que les enfants sont en âge de se
marier, l’espace dévolu à la cour où se déroule les activités domestiques et où se trouvent les abris pour le gros
bétail, est transformé en lieu d’habitation. Les nouveaux espaces réservés au bétail, la plupart du temps délimités
par des murets informels, sont repoussés autour de l’embryon du bâti. Cette mobilité des animaux permet de
constituer une réserve foncière pour le développement à venir. Et les villageois déplacent leurs étables à chaque
fois que la nécessité d’agrandir l’espace habitable est requise.
Ces étables restent toujours attenantes au bâti. Le bétail, en effet, représente une richesse importante pour
les villageois. Les animaux sont une nécessité fonctionnelle à leur survie et servent quotidiennement aux travaux
paysans. L’absence d’adduction d’eau, dans les villages, oblige les habitants à aller s’approvisionner à dos d’âne
deux à trois fois par jour.
C’est sur la cour antique que l’on construit désormais le nouveau bâti. Cet espace rituel pharaonique
préparait déjà sans le savoir le développement urbain des Gurnawi. En effet, les planches excavées et aménagées
dans l’Antiquité offraient un sol compact, et le terrain était délimité par des murets faits de pierres ou de briques
crues qui entouraient la cour. Ce sol antique allait, à l’époque contemporaine, servir de base solide et
constructive pour la fondation du bâti gurnawi.
5
Nous savons par E. W. Lane, p. 328, que les deux premières habitations en brique crue importantes ont été construites pour des étrangers
s’affairant sur les fouilles. Ces premiers étrangers étaient Piccinini, d’Athanasi, l’agent de Salt et Wilkinson. Ce dernier avait fait construire
une petite forteresse possédant une tour crénelée d’où flottait le drapeau prussien et d’où les archéologues avaient une vue plongeante sur les
antiquités que recelait la plaine de Thèbes. On peut toujours observer aujourd’hui les ruines de ce petit fort, notamment un pan de la tour de
guet.
Construction antique et moderne s’imbriquent désormais de manière structurelle. La nécropole pharaonique
conditionne à la fois le positionnement du bâti gurnawi ainsi que la constitution du tissu urbain, comme nous le
verrons plus tard.
MATÉRIAUX ET ÉTAPES DE CONSTRUCTION DE L’HABITAT TRADITIONNEL : UNE ARCHITECTURE
VERNACULAIRE ÉCOLOGIQUE.
Les maisons traditionnelles de Gurna ne possèdent pas de fondations à proprement parler. En effet, elles
sont accrochées à même le sol. Un berceau constitué d’un amalgame de pierres et de boue permet de réaliser un
espace plan qui accueille le premier lit de briques et empêche également l’humidité du sol de remonter par
capillarité. Les matériaux mis en œuvre dans les constructions proviennent tous des ressources disponibles à
proximité6. Ces ressources sont tout d’abord naturelles. Les briques crues sont faites à partir d’un mélange de
boue7, de paille brisée, d’excréments d’animaux. Les franchissements sont réalisés à l’aide des troncs de palmier,
seule ressource suffisamment abondante en bois dans la vallée. Le palmier a la qualité de pousser rapidement
mais possède par retour le défaut d’être peu résistant. En conséquence, le franchissement ne peut guère dépasser
3,80 m, ce qui conditionne la dimension des pièces. On observe une moyenne de franchissement de l’ordre de
3,50m. Le palmier fournit également de nombreuses ressources, comme les fibres végétales utilisées pour
fabriquer des ficelles. Celles-ci servent à relier des tiges de feuilles de palmier afin de constituer une natte solide
posée sur les poutres et capable d’accueillir une chape de terre crue. Cette chape, solide et souple, atteint 20 cm
d’épaisseur lorsque l’on envisage de construire un étage et 10 cm d’épaisseur lorsqu’elle sert de toiture.
La maison gurnawi présente des récurrences dans sa mise en œuvre mais également dans sa typologie et
son développement. La construction originelle est toujours en correspondance avec la tombe occupée. Sur la
cour antique, un couloir de déserte s’organise et prolonge l’axe du couloir de la tombe. De part et d’autre de cet
axe, des pièces à usage domestique sont distribuées en rez-de-chaussée.
Avant l’entrée de la tombe, notons la constitution d’un patio qui permet la liaison entre la sépulture et le
bâti. Cet espace permet un apport de lumière pour la tombe elle-même mais également pour le bâti, car celui-ci
ne possède pas, en général, de fenêtres au rez-de-chaussée. Cette dernière observation répond à la nécessité
culturelle de protéger l’intimité familiale. Pour les mêmes raisons, on constate que les pièces qui composent
l’habitat présentent graduellement différents degrés d’intimité. De l’extérieur vers l’intérieur, on passe
successivement dans une salle de réception accueillant les étrangers, vers une pièce commune de vie familiale,
pour atteindre finalement les pièces considérés comme féminines, telles que la cuisine et les chambres à coucher.
Le patio et le couloir de déserte reliés à l’entrée de la maison permettent aussi la régulation thermique de
l’ensemble du bâtiment. L’appel d’air créé rafraîchit le rez-de-chaussée et l’air s’échappe par le patio8. Un autre
élément important dans le développement de l’habitat est l’utilisation exclusive de toits plats. Ces toits
permettent, lorsqu’il y a élargissement familial, de construire un étage supplémentaire. Dans le patio se trouve un
6
Les pierres et briques provenant des monuments antiques font souvent l’objet de remploi en Egypte. Nous avons parfois observé dans le
village cette pratique pour certains seuils ou certains escaliers.
7
Elle est issue soit des terres agricoles, soit des kôm du lac d’Amenhotep III.
8
L’air réchauffé dans la vallée remonte vers le sommet de la montagne et crée un appel d’air. Toutes les maisons sont orientées face à la
vallée, et le couloir de déserte devient alors un élément important dans la régulation thermique du bâtiment. Notons que toutes les maisons
laissent leur porte d’entrée grande ouverte à cette fin.
escalier qui mène à l’étage où l’on retrouve des chambres à coucher mais aussi généralement un pigeonnier et
une réserve. À l’étage, au niveau de la façade, sont percées des fenêtres sans vitre, mais dotées de volets de bois
plein. Elles ont pour fonction le rafraîchissement des pièces pendant la nuit. L’architecture induite par les
rigueurs climatiques organise des espaces en définitive assez sombre, ce qui confère un sentiment de confort et
un caractère agréable à la maison.
ÉVOLUTION DE L’HABITAT : ENTRE ARCHITECTURE ET PARENTÉ.
Nous proposons maintenant de prendre pour appui le témoignage de la famille de Rajab Ahmad9, qui
appartient au segment Kamaly du lignage al-Bayrât, et qui demeure depuis plusieurs générations sur la colline de
Gurnet Mar ‘ay . Les ancêtres de notre interlocuteur habitaient originellement dans le village qui s’était constitué
au sein de l’enceinte du temple de Medinet Habu et possédaient des jardins ombragés par de nombreux dattiers.
PREMIÈRE GÉNÉRATION KAMALY À GURNET MAR ‘AY . Fin du 19ème siècle : L’ancêtre connu et le plus éloigné de
Rajab était Ismayl, qui a investi une tombe de Gurnet Mar ‘ay . Cette tombe de petite taille appartenait à une
autre famille dont Ismayl avait épousé une des filles. Ismayl l’occupa avec son épouse et son fils al-Amîr, mais
l’élargissement familial a vite impliqué une occupation humaine hors de la sépulture. Nous assistons là au
commencement d’un processus architectural qui évoluera encore, comme nous le verrons. À l’extérieur de la
tombe s’étaient constituées des étables sommaires réalisées à partir de bois et de branchages de palmier.
9
Rajab fut gardien de fouilles (ghafïr) pour le Conseil Suprême des Antiquités, puis travailla dans une centrale téléphonique.
DEUXIÈME GÉNÉRATION. Début du 20ème siècle : La génération des enfants de al-Amîr (Ibrahîm et Ahmad) est
celle qui s’établira en dehors de la tombe. En effet, deux maisons furent érigées par al-Amîr à l’intention de ses
deux fils et de leurs futures familles, en prévision de leur mariage. Ces deux bâtis ne furent occupés que par
Ahmad, Ibrahîm ayant quitté les lieux. Les étables et le four à pain sont repoussés une première fois et les
maisons prennent leur place.
TROISIÈME GÉNÉRATION. Vers 1930 : Ahmad habitait là en compagnie de son épouse et de leurs trois fils
Muhammad, Mahmûd et Rajab (notre interlocuteur). Le développement familial nécessite un accroissement de
leurs ressources animalières. Ceci se traduit par une multiplication des étables qui constituent une réserve
foncière en prévision de l’établissement de ses trois fils.
QUATRIÈME GÉNÉRATION. Vers 1960 : Trois nouvelles entités sont construites pour accueillir les familles
de Rajab, Muhammad et Mahmûd. A la mort de leur père Ahmad, le bâtiment qu’il occupait fut remployé
comme étable et une partie destinée à recevoir trois fours à pain pour chacune des familles. Une autre partie des
étables est à nouveau repoussée, et la tombe devient une réserve alimentaire.
CINQUIÈME GÉNÉRATION. Fin des années 70 : C’est la dernière phase du développement, avant les interdits
du Conseil Suprême des Antiquités qui empêchaient toute nouvelle construction, et l’entretien des bâtis
existants. Suivant le système de patrilocalité, chacune des familles constituées construit un premier étage pour
accueillir les enfants mâles10 au plus proche du domicile paternel. Les étables sont repoussées, pour réaliser la
zawyya familiale, salle de réception destinée à servir de cadre aux fiançailles, mariages, funérailles, et autres rites
collectifs, …
10
Les trois frères épousèrent leurs cousines croisées patrilatérales (c’est-à-dire les filles de leur oncle, fils lui-même de leur grand-père), les
filles d’Ibrahîm, frère de Ahmad. Ce type d’alliance matrimoniale est une constante au sein des populations musulmanes. Ce système permet
de conserver le patrimoine dans la famille. Rajab eut de ce mariage Muhammad, Mahmûd eut al-Tayyeb et Mustafa, Muhammad eut Ahmad
et Shabân. Muhammad épousa une deuxième femme, C’est probablement pour cette raison que ses fils issus du premier mariage ne
respectèrent pas la patrilocalité.
ÉVOLUTION DU VILLAGE DE GURNET MAR ‘AY : PARENTÉ LIGNAGÈRE ET APPROPRIATION DE L’ESPACE.
Nous avons cherché à déterminer l’occupation spatiale des différents lignages et des différents segments
(de ces lignages) au sein de l’ensemble du village de Gurnet Mar ‘ay . Nous avons pu observer que les tombes
constituent les points de démarrage évidents du développement de l’urbanisation du village. L’organisation
spatiale des tombes antiques induit ainsi la forme que revêt aujourd’hui le tissu urbain. Chronologiquement, un
constat s’impose. Il apparaît, comme nous l’avons vu, que les tombes sont les noyaux initiaux de l’appropriation
de l’espace par la population locale. Par la suite, ces premiers occupants, en sortant des sépultures, constituèrent
les premières marques de l’habitat. Ces occupations premières évoluèrent encore sous l’impulsion du
développement numérique des familles. Les fiefs familiaux prirent ainsi spatialement plus d’importance et la
patrilocalité joua un rôle moteur dans le développement organique du tissu urbain.
Sur la carte lignagère et segmentaire des familles (voir planche I) est présentée la répartition de
l’occupation familiale sur le village de Gurnet Mar ‘ay , qui montre l’évolution patriarcale concentrique autour
de la tombe originelle. On perçoit nettement sur cette carte le rapport intime que le développement du village de
Gurnet Mar ‘ay entretient avec les tombes des hauts dignitaires de la nécropole thébaine. Il est à noter que les
tombes protégées par le Conseil Suprême des Antiquités dans les années 30 ont conduit à la destruction du bâti
attenant. Cette carte nous démontre également le caractère organique qu’induit la patrilocalité et illustre
l’organisation urbaine et sociale des villages traditionnels gurnawi.
La nécropole, ciselée à l’époque pharaonique, correspond à une vision paysagère qui entre en dialogue avec
les temples et la pyramide naturelle que représente la montagne thébaine dans les conceptions funéraires des
anciens Egyptiens. L’empreinte que les bâtisseurs antiques de la nécropole ont imprimée au paysage favorisera
l’occupation opportuniste que nous observons aujourd’hui.
Henri-Frédéric BLONDEAU* et Emmanuel SERDIUK
*Les schémas édités dans cet article , de mme que la carte éditée à la planche 1, sont le fruit des recherches de
H.-F. Blondeau et ont été conçus par lui. Il est interdit de les reproduire ou de les modifier sans son autorisation.