Annales historiques de la
Révolution française
375 | janvier-mars 2014 :
Les Indes Orientales au carrefour des Empires
Comptes rendus
Natalie PETITEAU, JeanMarc
OLIVIER et Sylvie CAUCANAS (dir.),
Les Européens dans les
guerres napoléoniennes
Toulouse, Privat, 2012
ANNIE CRÉPIN
p. 215218
Référence(s) :
Natalie PETITEAU, JeanMarc OLIVIER et Sylvie CAUCANAS (dir.), Les Européens dans les guerres
napoléoniennes. Toulouse, Privat, 2012, 287 p., ISBN 9782708905375, 23 €.
Texte intégral
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Cet ouvrage est le fruit d’un colloque international organisé à Carcassonne par
les Archives départementales de l’Aude en collaboration avec l’Université de
Toulouse et l’association Les Audois, qui inscrit son action à la suite de celle de la
FAOL (Fédération audoise des œuvres laïques). Il s’insère dans une série de
colloques commencés en 1994 qui ont pour finalité de marier exposition de fonds
archivistiques et débats universitaires, voire publication de témoignages inédits.
Ils proposent une approche renouvelée de l’étude des hommes en guerre, comme
le rappelle Rémy Casals dans l’introduction. Les précédents colloques étaient
consacrés dans cette optique à la guerre de 14-18. Celui-ci se propose d’établir un
bilan des travaux récents sur les guerres napoléoniennes, analysées non plus sous
le seul angle événementiel mais sous celui de l’anthropologie historique, dans une
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perspective résolument européenne, encore que celle ci ne soit pas présente au
même degré dans tous les articles.
Quatre parties structurent l’ouvrage, bien que quelques intervention très riches
auraient pu figurer à bon droit dans plusieurs de ces parties sinon dans toutes.
La première partie s’intitule « Quels combattants pour quelles guerres ? » La
dimension européenne du nouveau modèle d’armée qui se forge à cette époque est
évoqué par Antoine Desdoit et Jean-Marc Olivier dans « Les armées européennes
de Jean-Baptiste Bernadotte ». À partir de 1804, ce dernier a sous son
commandement direct ou indirect des milliers de soldats allemands mais aussi
polonais, hollandais et espagnols, originaires des États alliés de la France.
Bernadotte n’apprécie guère de diriger des troupes aussi disparates et qui
éprouvent entre elles des problèmes de communication. Paradoxalement, il établit
au contraire à partir de 1806 de bons contacts avec les officiers suédois qui ont
combattu la France et sont faits prisonniers. Ce sont ces relations qui faciliteront
ultérieurement son accès au trône de Suède.
Le nouveau modèle d’armée fondé sur la conscription induite aussi de nouvelles
formes de violence – ou ressenties comme telles – qui touchent bien plus
d’hommes qu’auparavant. Alan Forrest évoque par exemple « Le départ du
conscrit dans la représentation et la mémoire ». Il distingue de façon très
pertinente deux moments de ce « départ », le jour du tirage et celui où les
conscrits quittent leur village. Ces deux moments-clés sont à la source d’émotions
qui perdurent dans le souvenir individuel et contribuent à forger la mémoire
collective, du moins en France. Ces émotions sont mêlées, voire contradictoires, le
départ pouvant être ressenti dans les communautés et chez les intéressés euxmêmes à la fois comme un arrachement et comme un rite de passage. Le départ
peut aussi être refusé comme le montre Cédric Istasse dans « Les fraudeurs aux
lois consciptionnelles napoléoniennes. Les "mariages simulés" des conscrits des
départements belges en 1813-1815 » dans lequel il se fonde surtout sur l’exemple
du département de Sambre-et-Meuse. Une autre facette de l’expérience de la
violence est celle du premier combat, analysée par Dorothée Malfoy-Noël dans
« Le baptême du feu. Faire ses premières armes dans les armées
napoléoniennes ». Son étude repose sur la lecture de trente et un mémoires des
combattants français. L’auteure précise bien qu’il ne s’agit que d’un échantillon,
même s’il est significatif, et que l’écriture de ces mémoires est influencée par le fait
que la plupart des mémorialistes sélectionnés ont terminé leur carrière avec le
grade d’officier. Elle démontre néanmoins avec beaucoup de pénétration la
transformation qui s’opère chez ces hommes et la distanciation qui leur permet de
survivre psychologiquement.
Stéphane Calvet dont les travaux sont connus des lecteurs des AHRF
(notamment par un article paru dans le n° 2 de 2007 Guerre(s), Société(s),
Mémoire) note lui aussi que, si la bataille en est le point culminant, la violence de
guerre connaît alors d’autres formes, par exemple celle vécue au moment de
l’incorporation. À travers le corpus départemental qu’il a constitué pour sa thèse,
celui des officiers de la Charente, corpus fondé sur la correspondance et les
dossiers de retraite des combattants, il repère les traces physiques et psychiques
de la violence dans leurs trajectoires individuelles. Il met à mal la vision héroïque,
(mais celle-ci n’est-elle pas désormais largement caduque ?) et fait remarquer
combien les actions d’éclat sont rares sur le champ de bataille. C’est surtout leur
endurance qui fait tenir et survivre ces hommes. Il affirme aussi qu’un seuil de
violence est franchi entre 1805 et 1815 et que ce phénomène était en germe dès la
Révolution qui tente de jeter les bases d’une guerre totale. Nous le suivrons moins
sur ce point qui est repris dans la seconde partie « Combattre et survivre au
quotidien »
Nicolas Cadet dont les travaux sont également connus de nos lecteurs offre une
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belle leçon de méthodologie dans « La question de la "brutalisation" des conflits à
l’époque napoléonienne : l’exemple de la guerre de Calabre de 1806-1807 ». Il se
livre d’abord à un état de la question à propos de notions qui alimentent un débat
entre historiens depuis quelques années. Il déplore l’emploi un peu hâtif et trop
systématique de ces notions et leur application mécanique aux conflits de la
Révolution et de l’Empire. Quant au franchissement d’un seuil de violence et au
caractère inexorable de la marche vers la guerre totale, il se montre réservé tout en
expliquant comment et à quelles conditions on peut utiliser des concepts
stimulants : il en fait une démonstration magistrale à propos de la guerre de
Calabre qui fut l’objet de sa thèse.
De même, Walter Bruyère-Ostells s’interroge sur le seuil de brutalisation qui
aurait été franchi pendant les guerres napoléoniennes en se consacrant à
« Borodino : pistes de réflexion anthropologique d’une bataille napoléonienne ».
Lui-aussi parvient à des conclusions nuancées au terme d’une analyse menée avec
finesse et pénétration dans la lignée de John Keegan dont il se réclame. Il estime
que, si un palier est franchi quant à la mortalité sur le champ de bataille, il paraît
peu pertinent d’affirmer une plus grande brutalisation du combattant. Celle-ci est
davantage avérée sur les théâtres de la petite guerre. L’étude bien menée de JeanMarc Lafon intitulée « Des violeurs et des meurtriers ordinaires ? Les officiers et
soldats napoléoniens en Espagne : analyse du sac de Castro Urdiales (Cantabrie,
11 mai 1813) » en donne une tragique illustration dans laquelle l’auteur introduit
le concept de « désorientation »qu’il préfère à celui de brutalisation.
Vladimir Brnadić, dans « Gagner les cœurs et les esprits. Officiers et soldats
illyriens de l’armée napoléonienne (1809-1814) », revient à une étude plus
classique à propos de la formation des contingents alliés, en l’occurrence croates,
et des combats auxquels ils prirent part.
Les massacres de la petite guerre mettent aux prises miliaires et civils et c’est à
ces derniers qu’est consacrée la troisième partie : « Les civils face aux militaires ».
Les conscrits sont d’abord des civils et leurs réactions face à l’appel font l’objet
d’une étude fort dense d’Aurélien Lignereux : « Les Européens face à la
conscription napoléonienne (1800-1814) ». Le premier apport de cette analyse est
de sortir du cadre national et d’envisager celui des cent-trente départements. La
second apport est d’inverser l’approche généralement adoptée qui part de l’ «
esquive » pour aboutir à l’insoumission avérée. L’auteur, lui, pour repenser
l’insoumission, place la rébellion à l’origine de sa démarche. Il confirme que le
clivage entre dociles et rebelles ne sépare pas anciens et nouveaux départements.
Si pour ceux-ci le facteur « prénational » ne semble pas déterminant pour
expliquer la rébellion, en revanche la conscription s’ajoute aux griefs de toute
nature qu’ils entretiennent contre « la France conquérante ».
Précisément un conquérant peut devenir un occupant mais il peut aussi être fait
prisonnier et il entretient ainsi des rapports avec les civils, naturellement
différents dans les deux cas. Le point de vue des occupés est évoqué avec finesse
par Claudie Paye dans un dense article : « La diffusion des truchements français et
russes en territoires allemands sous le Premier Empire ». Lesdits truchements
sont des manuels d’apprentissage des langues de ceux qui sont susceptibles de
devenir des occupants. Il sont révélateurs des arrangements que les occupés
espèrent aménager avec ceux-ci, en même temps certains revêtent parfois une
dimension politique, contestataire de la conquête napoléonienne. Cet aspect a
longtemps échappé à la recherche historique et c’est un apport incontestable de
cette communication que de donner un éclairage nouveau sur ces ouvrages.
Jacques Hantraye, qui a lui aussi contribué au numéro des AHRF évoqué plus
haut, retrace le parcours géographique et mental d’un Prussien dans
« L’expérience de la captivité à la fin du Premier Empire : Otto Friedrich Wehran
en France en 1814 » qui a laissé le récit de sa captivité. Ce récit publié en 1847 a
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été rédigé à partir de notes prises sur le vif puis remaniées en 1834 après un
voyage en France. Il s’agit d’un récit de formation, celle d’un individu mais aussi
celle d’un Allemand qui découvre d’autres Allemands, enfin celle d’un Européen
qui élabore une vision nuancée des relations entre Français et Prussiens.
Dans la quatrième partie « Symboles, mythes et mémoires », Marie-Pierre Rey
met l’accent sur l’expérience humaine « hors norme », pour reprendre ses termes,
que fut la campagne de Russie dans « De l’uniforme à l’accoutrement : une
métaphore de la retraite ? Réalité et symbolique du vêtement dans la campagne de
Russie de 1812 ». Son étude est autant anthropologique que symbolique, et son
thème dominant est l’inadaptation au froid des combattants de la Grande Armée,
très inférieurs en cela à leurs adversaires russes. C’est cette inadaptation et non le
froid lui-même qui est la cause de la déroute. La conclusion de cette étude
suggestive porte le titre significatif : « Des spectres décharnés de "carnaval" : vers
l’animalisation de la Grande Armée ».
Dans le registre du symbolique, Leigthon S. James s’interroge sur
« L’héroïsation des guerriers allemands ?». En effet, les motivations des
volontaires sont plus diverses et parfois plus triviales que ne le laisse à penser le
mythe formé ultérieurement, le soldat des guerres de libération est plus complexe
que l’image donnée par la légende romantique. Il existe des tensions entre les
volontaires, l’armée régulière et la population civile et aussi des mémoires
concurrentes, officielle et dynastique ou patriotique et volontariste. Précisément
quant à « La mémoire des combats », intitulé de sa communication, Natalie
Petiteau déconstruit l’écriture des mémorialistes ou plutôt montre à quelles
conditions l’historien/n/e peut se servir de ces sources, précieuses si – et
seulement si – il/elle « les prend pour ce qu’elles sont » et s’il/elle rend
intelligibles les processus qui ont mené à leur élaboration.
Au terme de ce colloque, Natalie Petiteau évoque dans la conclusion les pistes
ouvertes par les communications mais qu’il faut impérativement continuer à
tracer.
Pour citer cet article
Référence papier
Annie Crépin, « Natalie PETITEAU, JeanMarc OLIVIER et Sylvie CAUCANAS (dir.), Les
Européens dans les guerres napoléoniennes », Annales historiques de la Révolution
française, 375 | 2014, 215218.
Référence électronique
Annie Crépin, « Natalie PETITEAU, JeanMarc OLIVIER et Sylvie CAUCANAS (dir.), Les
Européens dans les guerres napoléoniennes », Annales historiques de la Révolution
française [En ligne], 375 | janviermars 2014, mis en ligne le 08 juillet 2014, consulté le 05
août 2015. URL : http://ahrf.revues.org/13104
Auteur
Annie Crépin
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