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Allocution prononcée à l’occasion de l’octroi d’un doctorat honorifique par Aix-Marseille Université le 13 novembre 2018 Ejan Mackaay Professeur émérite à l'Université de Montréal et Fellow, Cirano ejan.mackaay@umontreal.ca L’honneur qui m’est aujourd’hui conféré me remplit d’une profonde gratitude. Il couronne une collaboration sur un demi-siècle avec des chercheurs d’Aix. Elle a touché les deux grands volets de mon action scientifique. 1. J’ai toujours voulu rendre le droit plus accessible. Dans un premier temps, cela voulait dire rendre les textes du droit plus facilement repérables. Pour y parvenir, on a misé sur les technologies de l’information. L’Université de Montréal a lancé un projet de recherche en ce sens, DATUM, pour la jurisprudence. Ce projet m’a amené une première fois à Aix pour y rencontrer le professeur Edmond Bertrand, directeur de l’Institut d’études judiciaires. On discutait à l’époque de la question de savoir si l’on devait automatiser les fiches résumant des décisions ou mettre carrément en mémoire le texte intégral de celles-ci. Et comment créer un thésaurus de termes porteurs d’éventuelles recherches et des substituts (synomymes). 1 Avance rapide. Cette recherche, menée à travers le monde, a maintenant atteint sa cible. Partout, les textes de loi et de règlements, de décisions judiciaires et administratives et, pour une bonne partie, d’articles et de textes de doctrine sont accessibles en temps réel, assez facilement, au-delà des frontières nationales. Cela a donné un immense élan au droit comparé. Mais les fruits de cette recherche dépassent largement le droit. Nos journaux, nos livres scientifiques et littéraires, nos (pré)publications scientifiques, des encyclopédies et dictionnaires, les nouvelles de toutes sortes ne sont-ils pas disponibles partout, en tout temps et sur tout appareil, y compris l’iPad, le téléphone intelligent, la iWatch ? Pour le droit, le défi est désormais de concevoir des systèmes qui répondent intelligemment aux questions des non-juristes sur leurs problèmes juridiques. Les technologies de l’information ont aussi facilité la tâche du législateur. Tout le monde pouvant désormais tout trouver instantanément, pourquoi se priver de légiférer : c’est l’inflation législative. Les juristes croulent sous les textes et sont obnubilés par le souci d’en trouver s’appliquant à leurs cas. Cela risque de faire oublier que le droit ne se réduit pas à un système logique de textes ; qu’il n’est accepté que s’il produit des effets sociaux désirables. 2 2. Cela m’amène au second volet de mon action scientifique. Comment évaluer ces effets ? Les Français ont cherché la réponse dans la sociologie du droit, de Gurvitch et Lévy-Bruhl à Carbonnier. D’autres, tels Étienne Le Roy et Norbert Rouland, se sont tournés vers l’anthropologie du droit. Ni l’une ni l’autre approche n’est vraiment parvenue à un outil opérationnel s’appliquant à l’ensemble du droit. L’analyse économique du droit est la dernière venue parmi les tentatives d’appréhender l’effet des règles juridiques. Elle est née aux États-Unis dans les années 1960 et s’est progressivement propagée vers tous les pays du monde. L’analyse économique du droit part des prémisses que toute règle juridique modifie les coûts et les avantages associés aux comportements visés et que les citoyens, prenant acte de ces signaux, adaptent leurs comportements de manière rationnelle, donc prévisible, pour se prévaloir des avantages et éviter des coûts. L’objectif de la règle juridique peut alors être formulé en termes de ses effets incitatifs. À l’usage, on a découvert que cette approche permettait d’arriver à des explications éclairantes de règles juridiques dans à peu près tous les champs du droit. La responsabilité civile peut ainsi être analysée comme visant à encourager les auteurs de dommages potentiels à autrui à prendre des mesures de précaution à leur disposition qui sont moins onéreuses que 3 l’accident et ses dommages ainsi évités. On minimise la somme des coûts des accidents et des précautions visant à les éviter. Les composantes de la responsabilité s’expliquent aisément. La faute consiste à laisser se produire un accident qu’on aurait pu éviter à bon compte. Les dommages prouvés en cour et que le fautif doit payer lui servent de barème pour déterminer les précautions justifiables. La causalité restreint le signal des mesures de précaution à prendre aux personnes qui ont une prise effective sur l’événement dommageable. L’exigence de la faculté de discernement sert à éviter d’envoyer ce signal à des personnes qui n’y sont pas sensibles et à l’envoyer à un proche, qui, lui, l’est bien. Une fois ce cadre théorique établi, on peut étudier des extensions, comme l’à-propos d’une responsabilité sans égard à la faute, les signaux à envoyer en cas de préjudice intentionnel, l’à-propos des dommages exemplaires, etc. Des analyses semblables ont été réalisées dans tous les champs du droit. L’analyse économique du droit s’avère un puissant outil pour la politique législative, pour la doctrine et pour la pratique qui rédige des contrats complexes ou qui conçoit des interprétations de textes suivant leurs effets pour plaider une cause devant une cour. L’analyse économique du droit rend service à toutes les composantes de la profession juridique. Elle ne remplace pas le savoir-faire du juriste 4 dans l’interprétation des textes. Mais elle en est un complément indispensable et devrait faire partie de la formation de tout juriste. 5