LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE
COMMERCE PARMI LES HOMMES D'AFFAIRES TOSCANS DE LA
RENAISSANCE (FIN XIVE-DÉBUT XVIE SIÈCLE)
Angela Orlandi
ESKA | « Entreprises et histoire »
ISSN 1161-2770
ISBN 9782747219129
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------!Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Angela Orlandi, « Les précurseurs des voyageurs et représentants de commerce parmi les
hommes d'affaires toscans de la Renaissance (fin XIVe-début XVIe siècle) », Entreprises et
histoire 2012/1 (n° 66), p. 22-36.
DOI 10.3917/eh.066.0022
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2012/1 n° 66 | pages 22 à 36
LES COMMIS VOYAGEURS, ACTEURS
ET TÉMOINS DE LA GRANDE TRANSFORMATION
LES PRÉCURSEURS
DES VOYAGEURS
ET REPRÉSENTANTS
DE COMMERCE PARMI
LES HOMMES D’AFFAIRES
TOSCANS DE LA RENAISSANCE
(FIN XIVe-DÉBUT XVIe SIÈCLE)
par Angela ORLANDI
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Dipartimento di Scienze Economiche
Università di Firenze
Les livres de compte et la correspondance de marchands toscans à la fin
du Moyen Âge contiennent des accords contractuels réglementant des
activités semblables à celles du voyageur de commerce ou de l’agent
commercial. Mais ceux qui en viennent à les exercer travaillent pour plusieurs clients à la fois et gardent une certaine autonomie dans la fixation
des prix des produits qui leur sont confiés. Ils ne s’en intègrent pas
moins dans la constitution d’entreprises en réseaux qui combinent
recherche de l’information, sens de la coopération et culture du risque.
De la fin du XIVe à la fin du XVIe siècle, les Florentins ont joué un rôle fondamental dans les économies européenne et
méditerranéenne. Comme l’a fort bien souligné Fernand Braudel, même si elle n’a pas
été au centre des marchés mondiaux,
Florence pouvait compter sans aucun doute
sur un système manufacturier particulièrement développé, un réseau financier effica-
ce et capillaire, une très forte capacité d’investissement et un système d’organisation
des entreprises innovateur et rentable1. Ses
agents économiques étaient présents partout
où se présentaient des occasions de gagner
de l’argent : de Bruges à Constantinople, de
Londres à Tunis, de Paris à Venise et aux
places espagnoles, dans tous ces lieux les
Toscans avaient des correspondants, des
entreprises et des filiales. Soutenus par un
1
F. Braudel, « L’Italia fuori d’Italia. Due secoli e tre Italie », in R. Romano, C. Vivanti (a cura di), Storia d’Italia.
t. IV : Dalla caduta dell’impero romano al secolo XVIII. L’economia delle tre Italie, Turin, Einaudi, 1974, p. 20892248, p. 2137.
22
ENTREPRISES ET HISTOIRE, 2012, N° 66, pages 22 à 36
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© Éditions ESKA, 2012
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
dernières années du XIVe siècle et au cours
du siècle suivant, que furent perfectionnés
divers outils tels que le compte courant de
correspondance, la lettre de change, l’ouverture de crédit ou le découvert bancaire,
qui marquèrent la naissance de la banque
dite moderne3.
On connaît bien également les activités
spéculatives des Toscans sur le marché des
changes et de la finance, entre le XIIIe et le
XVIe siècle, activités qui trouvèrent leur
couronnement dans le rôle que les
Florentins jouèrent sur la place de Lyon, où
non seulement ils furent les principaux
souscripteurs des titres de la dette publique
d’Henri II de Valois, mais où ils exercèrent
aussi une influence prépondérante sur la
bourse des changes et des marchandises4.
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2 Parmi les nombreuses études consacrées à l’économie florentine entre le Bas Moyen-Âge et l’Époque Moderne,
voir B. Dini, « L’economia fiorentina dal 1450 al 1530 », in Saggi su una economia-mondo. Firenze e l’Italia fra
Mediterraneo ed Europa (secc. XIII-XVI), Pise, Pacini,1995, p. 187-214.
F. Franceschi, L. Molà, «L’economia del Rinascimento : dalle teorie della crisi alla ‘preistoria del consumismo’ »,
in M. Fantoni (a cura di), Il Rinascimento italiano e l’Europa, Storia e storiografia, t. I, Vicenza, Colla Editore,
2005, p. 185-200 ; R. Goldthwaite, The Economy of Renaissance Florence, Baltimore, Johns Hopkins University
Press, 2009 ; Id., Private Wealth in Renaissance Florence. A Study of Four Families, Princeton, Princeton
University Press, 1968 ; H. Hoshino, « Il commercio fiorentino nell’Impero Ottomano : costi e profitti negli anni
1484-1488 », , in F. Franceschi, S. Tognetti (a cura di), Industria internazionale tessile e commercio nella Firenze
del tardo Medioevo, Florence, Olschki, 2001 ; F. Melis, L’economia fiorentina nel Rinascimento, introduction de B.
Dini, Florence, Le Monnier, 1984 ; Id., Industria e commercio nella Toscana medievale, introduction de M.
Tangheroni, Florence, Le Monnier, 1989.
3 F. Melis, La banca pisana e le origini della banca moderna, introduction de L. De Rosa Florence, Le Monnier, 1987 ;
voir également R. de Roover, Il Banco Medici dalle origini al declino (1397-1494), Florence, Nuova Italia, 1988 et Id.,
L’évolution de la lettre de change XIVe-XVIIIe siècle, Paris, Librairie des Sciences Politiques et Sociales, 1937.
4 Sur les foires de Lyon et la présence toscane dans cette ville, voir F. Bayard, « Les Bonvisi, marchands-banquiers
à Lyon, 1575-1629 », Annales. ESC, XXVI, 1971, 6, p. 1234-1269 ; J. Boucher, Présence italienne à Lyon à la
Renaissance. Du milieu du XVe à la fin du XVIe siècle, Lyon, LUDG, 1994 ; M. Brésard, Les foires de Lyon aux XVe
et XVIe siècles, Paris, Auguste Picard Éditeur, 1914 ; M. Cassandro, Le fiere di Lione e gli uomini di affari italiani
nel Cinquecento, Florence, Tipografia Baccini & Chiappi, 1979 ; Id., « Lettere di cambio alle fiere di Lione », in
G. Motta (a cura di), Studi dedicati a C. Trasselli, Rubettino, Soveria Mannelli, 1983, p. 189-208 ; Id., « I forestieri a Lione nel ‘400 e ‘500 : la nazione fiorentina », in G. Rosetti (a cura di), Dentro la città. Stranieri e realtà urbane nell’Europa dei secoli XII-XVI, Naples, GISEM Liguori, 1989, p. 151-162 ; Id., « Caratteri dell’attività bancaria fiorentina nei secoli XVI e XVI », in Banchi pubblici, banchi privati e monti di Pietà nell’Europa preindustriale. Amministrazione, tecniche operative e ruoli economici, Atti del Convegno-Genova, 1-6 ottobre 1990, 2 vol.,
Gênes, Società Ligure di Storia Patria, 1991, t. I, p. 341-366 ; R. Doucet, La Banque Capponi à Lyon en 1556,
Lyon, Imprimerie Nouvelle Lyonnaise, 1939 ; R. Gascon, « Les Italiens dans la Renaissance économique lyonnaise au XVIe siècle », Revue des Études Italiennes, 1958, p. 167-181 ; Id., « Quelques aspects du rôle des Italiens dans
la crise des foires de Lyon du dernier tiers du XVIe siècle », Cahiers d’Histoire, V, 1960, 1, p. 45-64 ; Id., Grand
commerce et vie urbaine au XVIe siècle. Lyon et ses marchands (environs de 1520-environs de 1580), 2 vol., ParisLa Haye, Mouton, 1971 ; H. Kellenbenz, « Les foires de Lyon dans la politique de Charles-Quint », Cahiers
d’Histoire, V, 1960, 1, p. 17-31 ; E. Picot, Les Italiens en France au XVIe siècle, Bordeaux, Imprimerie
Gounouilhon, 1928 (réimpression anastatique, Rome, Vecchierelli, 1995) ; A. Rouche, « La nation florentine de
Lyon au commencement du XVIe siècle », Revue d’Histoire de Lyon, t. 11, fasc. 1, 1912, p. 26-65. Sur le rôle joué
par les marchands-banquiers florentins en particulier dans la dette publique française, voir A. Orlandi, Le Grand
Parti. Fiorentini a Lione e il debito pubblico francese nel XVI secolo, Florence, Olschki, 2002.
AVRIL 2012 – N° 66
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réseau de relations commerciales efficace, à
travers les voies et les routes qui reliaient
ces comptoirs, ils faisaient voyager toutes
sortes de marchandises pour des valeurs et
des quantités considérables grâce à l’importance des capitaux directement investis ou
réunis par l’intermédiaire d’associations
d’affaires temporaires. Dans cette florissante activité d’intermédiation commerciale,
les produits intérieurs avaient également
une place non négligeable, notamment les
tissus de laine, surtout au XIVe siècle, ainsi
que les soieries et les tissus de soie brodés
en or qui, à partir du milieu du XVe siècle,
dépassèrent en qualité la production orientale2. On sait que le goût du risque et la capacité d’innovation des Toscans se manifestaient aussi dans le secteur bancaire et
financier. Et c’est justement là, à partir des
ANGELA ORLANDI
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Tout cela assurait des avantages concurrentiels aux entreprises dirigées par des
négociants qui savaient manier les outils
commerciaux et financiers dans la perspective d’une réduction toujours plus poussée
des délais et de ce que l’on appellerait
aujourd’hui les coûts de transaction.
Pour comprendre ces aspects, les historiens du Moyen Âge et de l’Époque Moderne
ont longuement analysé la comptabilité et les
correspondances commerciales florentines et
toscanes. Ces sources, émanant des entreprises, fournissent des informations intéressantes autant que variées sur la mobilité mercantile et sur les mécanismes des échanges à
courte et longue distance. Dans cette documentation, on reconnaît sans peine des activités particulières d’achat et de vente réalisées par des agents spécialisés qui agissaient
pour le compte d’entreprises auxquelles ils
n’appartenaient pas toujours. On examinera
ici plusieurs cas concrets et des personnages
qui, en vertu d’accords verbaux ou écrits
avec les entreprises pour le compte desquelles ils travaillaient, apparaissent comme
les précurseurs de nos commis voyageurs et
agents de commerce actuels.
LE COMMERCE
DE COMMISSION
À partir de la seconde moitié du
XIVe siècle, l’élargissement du champ des
affaires, la complexification des trafics de
marchandises et la diversification de leurs
provenances provoquèrent, surtout dans le
milieu toscan, une transformation significative des sociétés de capitaux en de véritables « systèmes d’entreprises »6, composés de compagnies distinctes et réparties sur
divers territoires mais toutes soumises à la
direction d’un même associé majoritaire.
C’était sur la base de tels réseaux que se
développaient les rapports commerciaux
avec d’autres entreprises toscanes et étrangères. Ils pouvaient prendre des formes
diverses, puisque, parallèlement au commerce individuel, s’étaient généralisées les
opérations d’achat et de vente en participation ou en commission. Selon leurs besoins,
les entreprises apparaissaient donc tantôt en
position de commettant, tantôt de commissionnaire et, au terme de chaque opération,
l’entreprise commissionnaire débitait ou
créditait le total des coûts ou des bénéfices
transcrits avec précision dans un relevé des
comptes – compte des coûts et des frais ou
compte de bénéfice net – envoyé au commettant. Dans ce genre de transaction, les
accords noués entre sociétés ou entre particuliers fonctionnaient selon une logique de
réciprocité, reposant sur une confiance
mutuelle et sur le respect de l’entière autonomie des parties ; en contrepartie, l’achat
ou la vente en commission donnait le droit
au commissionnaire d’obtenir une provision7. Surtout dans la documentation toscane du tout début du XVe siècle, il n’est pas
5 G. Nigro, « L’economia », in V. Baldacci (a cura di), Eccellenza, innovazione, creatività nella storia della Toscana,
Florence, Edizioni dell’Assemblea, 2008, p. 25-45, p. 26.
6 Le terme a été créé par Federigo Melis dans F. Melis, « Le società commerciali a Firenze dalla seconda metà del
XIV secolo al XVI secolo », in M. Spallanzani (a cura di), L’azienda nel Medioevo, Florence, Le Monnier, 1991,
p. 161-178, p. 166.
7 La provision était calculée selon un pourcentage variable estimé à partir du coût d’achat ou de la valeur des ventes des marchandises achetées ou vendues par le commissionnaire pour le compte du commettant.
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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On a pu observer que la société et l’économie toscanes présentaient certains traits
typiques d’un système en croissance rapide : tendance aux investissements productifs, culture du risque, dynamisme social,
aptitude à l’innovation ; c’était là l’expression de l’humus culturel propre aux villes
dotées entre autres d’un système de formation efficace qui faisait confiance à un grand
nombre de jeunes gens fortement déterminés à entreprendre5.
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
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Il s’agissait de personnes qui opéraient
pour le compte d’une société ou d’un marchand à partir d’un contrat souscrit devant
notaire ou sous seing privé. Ces documents
conféraient une certaine solennité à l’accord
noué entre les parties, et contribuaient à
mieux définir les tâches respectives, lesquelles dérivaient également de la coutume
et des exigences du moment des entreprises
contractantes. Dans leur réalité concrète, les
accords offraient tout un éventail de modalités qui pouvaient aller du contrat de travail
subordonné à la forme d’une association
temporaire d’affaires. Souvent dans ces cas,
l’agent – le mot est utilisé ici dans son sens
le plus général – recevait une procuration
qui l’habilitait à représenter l’entreprise et
qui avait une valeur juridique aux yeux des
tiers.
Le marchand de Prato Francesco di
Marco Datini constitue probablement un
des exemples les plus célèbres de ce type
d’entreprises : entre la fin du XIVe et la première décennie du XVe siècle, il pouvait
s’enorgueillir de diriger un véritable réseau
de filiales implantées non seulement sur les
marchés italiens (Florence, Prato, Pise,
Gênes), mais aussi en Provence, à Avignon,
et en Catalogne avec une compagnie divisée
en trois sociétés à Barcelone, Valence et
Palma de Majorque8.
L’action d’intermédiation commerciale
de ces entreprises, comme d’une grande
partie des compagnies florentines du XVe et
du XVIe siècle qui travaillaient à l’étranger,
se réalisait en achetant, pour leur propre
compte ou en commission, des matières
premières et des produits manufacturés en
Méditerranée orientale et occidentale et en
les redistribuant entre la Méditerranée et les
pays du Nord de l’Europe.
L’analyse de la comptabilité des compagnies de Datini montre que, du point de
vue opérationnel, la composante principale
de leurs trafics était représentée par le commerce en commission, sur lequel était appliquée une provision de 1,5 % sur le bénéfice
brut ou sur le prix d’achat du produit.
La compagnie installée en Catalogne,
par exemple, outre les opérations qu’elle
menait pour son compte ou en association,
effectuait de nombreux achats en commission pour toute une série de produits bien
spécifiques, parmi lesquels la grana – une
substance renommée pour teindre en rouge
les tissus, que l’on appelle cochenille en
français – et la laine ont eu une importance
particulière. Le siège de Valence était spécialisé en particulier dans le secteur de la
laine produite dans la région du Maestrazgo
(une région montagneuse riche en troupeaux, délimitée par Tortosa, Forcall,
Allepuz, Castellón de la Plana et la
Méditerranée)9. Pour se procurer les grosses
quantités qui lui étaient commandées, la
compagnie s’organisa pour acquérir la
matière première directement sur les lieux
de production, ce qui fut possible grâce au
recours à des agents que nous pouvons
8
Sur l’histoire du groupe Datini, voir F. Melis, Aspetti della vita economica medievale. (Studi nell’Archivio Datini
di Prato), Sienne, Monte dei Paschi di Siena, 1962, ainsi que le récent ouvrage publié à l’occasion du sixième centenaire de la mort du Marchand de Prato, G. Nigro (a cura di), Francesco di Marco Datini. L’uomo il mercante,
Prato, Fondazione Istituto Internazionale di Storia Economica “F. Datini”, 2010.
9 A. Orlandi, Mercanzie e denaro : la corrispondenza datiniana tra Valenza e Maiorca (1395-1398), Valence,
Universitat de València, 2008 ; Id., « La compagnia di Catalogna : un successo quasi inatteso », in G. Nigro (a cura
di), Francesco di Marco Datini, op. cit., p. 357-387.
AVRIL 2012 – N° 66
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rare de rencontrer le terme de commissaria,
qui désignait un marchand ou une société à
qui on s’adressait avec une certaine fréquence. C’est à l’intérieur de ce monde,
mais hors des logiques des accords sociétaires et des activités en commissions, que
l’on peut reconnaître les précurseurs du
commis voyageur et de l’agent.
considérer comme des sortes d’ancêtres de
nos actuels commis voyageurs.
faisait aussi des affaires importantes – pour
lui-même et pour la compagnie – dans le
commerce du safran, du miel, de la cire, des
peaux et des substances tinctoriales.
TUCCIO DI GENNAIO,
UN PRÉCURSEUR
DU COMMIS VOYAGEUR
Les achats de laine exigeaient de sa part
une présence assidue dans un grand nombre
des petits centres de production de cette
région qui en comptait plus de deux cents.
Dans les premiers temps, ses visites aux
fournisseurs, que ces derniers soient marchands ou propriétaires de troupeaux,
avaient une véritable fonction d’établissement des rapports et de prise de contact ;
mais, par la suite, Tuccio continua souvent à
contrôler le poids de la laine tondue et le
marquage des balles qui étaient préparées
pour l’envoi ; parfois, il suivait lui-même
l’acheminement de la marchandise vers les
principaux ports d’embarquement, Peñiscola
ou Oropesa.
Ce fut notamment le cas de Tuccio di
Gennaio, un natif de Prato qui connaissait
bien la langue et les usages de ces lieux. Au
cours des dernières années du XIVe siècle,
Tuccio, sur la base d’une rétribution (salaire et provision) et du remboursement de ses
frais, s’occupa d’acheter de la laine dans
toute la région ; il était basé à Sant Matteu,
la principale place de référence de ces
laines10.
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Tuccio savait tirer parti des besoins
financiers de ses fournisseurs grâce aux disponibilités financières considérables que le
groupe mettait à sa disposition et qui lui
permettaient de garantir des délais rapides
de paiement en monnaie d’or (la plus
demandée). Cette tactique s’avéra particulièrement efficace et plaça le marchand dans
une position privilégiée par rapport aux
autres entreprises étrangères et locales.
C’est ainsi que dans une missive de mars
1398, destinée au directeur de Valence,
Tuccio écrivait que le bruit des bons paiements garantis par le groupe Datini s’était
tellement répandu parmi les opérateurs
locaux que les vendeurs lui auraient même
cédé la laine 6 deniers moins cher11.
La structure opérationnelle voulue par le
marchand dans la petite capitale du
Maestrazgo était avant tout spécialisée dans
le commerce de la laine, même si Tuccio
Mais quel type de rapport liait Tuccio à
la compagnie Datini ? Malheureusement le
« Mémorial de Valence », le registre sur
lequel étaient reportées les principales opérations commerciales, contient seulement
l’indication générique d’un salaire à verser
à Tuccio12 ; cet élément clarifie déjà un premier aspect de son rôle : c’était un simple
employé de la compagnie de Valence, mais,
comme on le verra, il jouissait d’une plus
grande liberté et de critères de rétribution
différents de ceux d’un simple salarié. Pour
reconstruire ses liens contractuels avec la
compagnie de Catalogne, nous possédons
également les deux « cahiers aux laines » 13
que le Toscan de Prato tint durant son séjour
à Sant Mateu et que vient compléter une
riche correspondance. L’étude de cette
documentation nous permet d’éclaircir cer-
10 F. Melis, Aspetti, op. cit., p. 255-256 ; A. Orlandi, “Un pratese del Maestrazgo. Tuccio di Gennaio, commerciante di lana”, in G. Nigro (a cura di), Francesco di Marco Datini, op. cit., p. 389-396.
11 Archivio di Stato di Prato, Fondo, Datini (que l’on indiquera désormais sous le sigle ASPO, Datini), Sant MateuValence, Tuccio di Gennaio à Francesco Datini et Luca del Sera et à ses compagnons, 22 mars 1398, c. 1v.
12 F. Melis, Aspetti, op. cit., p. 266-267.
13 ASPO, Datini, Libri delle lane di Sant Matteu, n. 938 et n. 939.
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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ANGELA ORLANDI
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
Avant toute chose, Tuccio n’avait aucune autonomie gestionnaire ni administrative : en effet, toutes les dépenses de fonctionnement étaient autorisées depuis
Valence, qui pourvoyait aussi à leur inscription comptable. Il résulte de l’analyse des
deux « cahiers aux laines » que notre marchand se limitait à envoyer à Valence les
relevés de compte des opérations accomplies. Le comptable de Valence transcrivait
alors ces données dans le mémorial, puis
dans le grand livre sous forme de comptes
ouverts à Tuccio lui-même.
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Tuccio achetait de la laine en fonction
des demandes que les clients adressaient
aux filiales de la compagnie de Catalogne,
lesquelles lui transmettaient ensuite les
ordres avec les quantités nécessaires. Pour
chaque achat étaient imputées toutes les
dépenses occasionnées (coût initial, pesage,
arrimage, transport jusqu’à la mer, stockage, taxes et autre) et le coût final était débité directement à la filiale qui avait commandé la laine.
Quant aux droits et aux devoirs qui
liaient les parties, quels étaient les accords ?
En ce qui concerne les droits, nous pouvons
en distinguer au moins trois : la rétribution,
le remboursement des frais et une provision.
La rétribution de Tuccio consistait en un
salaire qui entre le 23 août 1397 et le 31 janvier 1400 s’éleva à 37.10.0 lires barcelonaises par an ce qui, au change de 16 sous le
florin, équivalait à 46.17.6 florins14. Par
rapport aux salaires de ses collègues de
Valence, celui de Tuccio était légèrement
plus bas, puisque les autres employés de
Valence touchaient environ 50 florins par
an. Toutefois le salaire moindre était compensé par le droit de provision. Dans le
compte ouvert pour les frais liés aux lots
achetés, on trouve en effet la rubrique
« pour ma provision », qui était calculée sur
le prix d’achat de la laine selon un pourcentage qui oscillait entre 1 % et 1,5 %15.
Quand l’occasion se présentait, Tuccio
concluait également, pour son compte personnel, des opérations d’achat et de vente de
différents produits, tels que l’orge, le pastel,
les toiles, l’agnine, ajoutant ainsi à son
salaire le gain éventuel qu’il pouvait en retirer. Dans certains milieux toscans, l’interdiction faite aux associés et aux collaborateurs de conclure des affaires pour leur propre compte était sans cesse rappelée dans
les échanges épistolaires, bien qu’en réalité
cette pratique fût tolérée. Dans le cas de
Tuccio, il est probable qu’il y ait eu une
autorisation explicite, car il notait ces opérations dans le registre qui était soumis à la
révision du directeur de Valence ; à cet
égard, la différence est notable avec les
normes actuelles concernant le représentant
de commerce.
Il faut enfin évoquer les frais que le marchand engageait pour sa nourriture, son
logement et naturellement pour les fréquents voyages auxquels son travail l’obligeait.
Il est intéressant de noter que tout le personnel (y compris les garçons et les domestiques) des compagnies Datini était à la
charge de l’entreprise pour les « frais du
manger et du boire, du lavage des vêtements
et du portage de l’eau », ainsi que pour le
logement, bien sûr, qui souvent ne faisait
qu’un avec le magasin16. Il s’agissait d’un
complément de salaire non négligeable, surtout pour ceux qui travaillaient à l’étranger ;
14
F. Melis, Aspetti, op. cit., p. 267, note 3.
15
On trouvera les comptes relatifs aux frais engagés pour l’achat des laines in ASPO, Datini, 938.
16
F. Melis, Aspetti, op. cit., p. 315.
AVRIL 2012 – N° 66
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tains aspects, même s’il en laisse d’autres
dans l’ombre.
ANGELA ORLANDI
En l’absence, comme on l’a dit, de document formel, la reconstruction concrète de
ces différents aspects s’avère cependant
complexe, à quelques exceptions près.
Ainsi, quelques mois après le début de ses
activités, Tuccio indique dans une missive
que, par jour, il ne dépensait pas plus de
« 18 deniers, sans les bougies […] on ne
peut pas dire que je dépense trop »17.
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À vrai dire, bien qu’il se contentât de
peu, il dépensa plus du double : en huit
mois (avril-novembre 1398), il déboursa
60 lires18, ce qui correspondait à 5 sous par
jour. On n’a trouvé aucun commentaire de
la part de ses employeurs et il est donc difficile de dire jusqu’à quel point Tuccio a
surveillé ses dépenses. On peut tout au plus
hasarder une estimation qui, très approximativement, permet quelques comparaisons. Si on observe les prix de certains produits alimentaires, avec 3 sous il aurait pu
manger des mets fins à satiété : un poulet et
deux pains au déjeuner et un beau poisson
au dîner ; 3 sous, c’était aussi le salaire
journalier qu’il payait à chacun des nombreux collaborateurs locaux engagés pour
emballer, peser et transporter la laine en
139819.
Dans les 60 lires dépensées était par
ailleurs compris l’entretien d’un mulet qui
fut acheté à Valence par Luca del Sera pour
le prix de 7 lires et 15 sous et expédié à Sant
Mateu20. Il s’agissait d’une aide indispen-
sable, obtenue après d’âpres discussions
avec le directeur de Valence, enfin convaincu qu’il lui convenait de faciliter les
voyages continuels que son représentant
devait effectuer dans la région du
Maestrazgo, particulièrement difficile d’accès. D’après la comptabilité tenue par
Tuccio, ces frais étaient imputés aux prix
généraux d’achat de toutes les laines durant
cette période et enregistrés dans son compte
boni21.
En ce qui concerne les devoirs qui incombaient à Tuccio, ils se résumaient à se comporter en « bon marchand ». L’expression est
difficile à définir avec exactitude : elle impliquait vraisemblablement une préparation adéquate, un savoir-faire, des compétences spécifiques et surtout la fidélité à l’entreprise.
Les recommandations qu’adresse
Tuccio à son frère Giovanni, qui avait,
durant l’été 1400, commencé à collaborer
avec la compagnie Datini à Ibiza, nous
aident justement à imaginer les manières de
se comporter auxquelles lui-même devait se
conformer dans ces lieux. Le première règle
était de vivre avec parcimonie et donc de
réduire le plus possible ses dépenses personnelles. Ainsi reprochait-il à son frère :
« tu mets trop d’ardeur à dépenser de l’argent et pas assez à en gagner »22 ; d’autres
règles fondamentales préconisaient d’écrire
souvent à tous ses correspondants et de travailler dur. Un bon collaborateur se devait
de donner une image positive tout en évitant
d’aller au-delà des consignes reçues ; il ne
devait pas s’enrichir dans des opérations
qu’il ne maîtrisait pas suffisamment et il
devait garder le secret sur les activités qu’il
17
ASPO, Datini, Peñiscola-Barcelone, Tuccio di Gennaio à Francesco Datini et Luca del Sera, 11 décembre 1397,
c. 1v.
18 ASPO, Livre des laines, cc. 84t.-85t.
19 ASPO, Datini, Valence-Barcelone, Tuccio di Gennaio à Simone di Andrea Bellandi, 12 mars 1399, c. 1r.
20 ASPO, Livre des laines, cc. 27t.-28r.
21 Le compte « Avanzi » ou « Avanzi e Disavanzi » correspondait au Compte Profits et Pertes d’aujourd’hui.
22 « tropo se’ volenteroso a spendere e ‘l contradio se’ a ‘giengnarti a guadangnali » ; ASPO, Datini, Valence-Ibiza,
Tuccio di Gennaio à Giovanni di Gennaio, 2 juillet 1400, c. 1r.
28
ENTREPRISES ET HISTOIRE
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ce droit était parfois explicitement mentionné dans les actes constitutifs de l’entreprise,
qui indiquaient par contre toujours les cas
où le salaire n’incluait pas les frais.
devait réaliser ; enfin, il lui était interdit de
jouer et de trop céder aux charmes féminins23.
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Le respect de ces principes était fondamental pour témoigner de sa fidélité à l’entreprise : c’est ce que prouve l’attitude de
Datini, qui ne manqua pas de licencier ses
collaborateurs qu’il soupçonnait de comportements incorrects à l’égard du groupe.
Francesco n’avait pas un caractère facile et,
très exigeant avec lui-même, il en demandait autant à ses associés et ses employés.
Dans ses lettres, reproches et rappels à l’ordre dénotent une attitude vigilante et sévère24 ; malgré cela, il éprouva une immense
déception lorsque Stoldo di Lorenzo di ser
Berizo, ami de longue date et directeur
historique de l’entreprise de Florence, fut
accusé de manifester une attention excessive pour ses affaires personnelles et se vit
contraint de quitter la société en 140425. Ces
mécanismes de contrôle absolu à l’égard
des associés et du personnel touchaient
aussi les entreprises avec lesquelles les marchands toscans étaient en rapport ou pensaient entrer en affaires. Ils reposaient sur
une vigilance très poussée et sur un échange
intense d’informations relatives aux places,
aux comportements et à la solvabilité des
agents. Ces échanges d’informations alimentaient les mécanismes de confiance et
contribuaient ainsi à renforcer la solidité du
réseau. Federigo Melis, contestant l’utilité
des seules sources notariales pour étudier
les caractéristiques de la présence florentine
dans la Péninsule ibérique, a remarqué que
la confiance acquise grâce à ces systèmes de
contrôle réciproque avait poussé les marchands florentins à se passer d’un notaire
pour la majeure partie de leurs contrats.
Dans un article de 1998, Avner Greif
reprend ces thèmes en soulignant que la
confiance qui régnait entre les marchands
était moins due à un système de sanctions
sociales qu’à la conséquence de mécanismes de contrôle réciproque de la réputation et de la solvabilité26.
Les marchands avaient parfaitement
conscience que « Dieu punissait les malhonnêtes tandis que les hommes les auraient
isolés »27. À cet égard, l’attitude du directeur de l’entreprise Datini de Valence est
emblématique : en effet, quand il apprit que
leur correspondant à Bruges, Deo Ambrogi,
risquait sa fortune au jeu, il le remplaça par
les Mannini, qu’il considérait comme plus
dignes de confiance28.
Pour les membres de la compagnie
Datini de Catalogne, la capacité de nouer
des rapports cordiaux et positifs avec les
Maures et les Juifs présents à Valence et à
Majorque comptait beaucoup, d’autant plus
23
Sur ces aspects, voir les missives suivantes : ASPO, Datini, Valence-Ibiza, Tuccio di Gennaio à Giovanni di
Gennaio, 17 janvier 1401 ; 12 juillet 1400 ; 7 mars 1401.
24 Voir à ce propos la lettre du 11 décembre 1390 dans laquelle il rappelait à l’ordre plutôt durement Stoldo di
Lorenzo di ser Berizo et Falduccio di Lombardo ou encore celle du 16 avril 1406 dans laquelle il réprimanda
Simone Bellandi, associé de l’entreprise de Barcelone, G. Nigro, « Francesco e la compagnia Datini di Firenze nel
sistema dei traffici commerciali », in G. Nigro (a cura di), Francesco di Marco Datini, op. cit., p. 235-254, p. 241245.
25 P. Nanni, Ragionare tra mercanti. Per una rilettura della personalità di Francesco di Marco Datini (1335ca.1410), Pise, Pacini, 2010, p. 180-181 ; G. Nigro, “Francesco e la compagnia Datini di Firenze”, art. cit., p. 241.
26 A. Greif, « Théorie des jeux et analyse historique des institutions. Les institutions économiques du Moyen Âge »,
Annales. HSS, mai-juin, 1998, p. 597-633. Voir aussi A. Molho et D. Ramanda Curto, « Les réseaux marchands à
l’époque moderne », Annales HSS, mai-juin 2003, p. 597-633 ; F. Trivellato, « Juifs de Livourne, Italiens de
Lisbonne, Hindous de Goa. Réseaux marchands et échanges interculturels à l’époque moderne », Annales HSS, maijuin 2003, p. 581-603 ; Id., The Familiarity of Strangers. The Sephardic Diaspora, Livorno and Cross-cultural
Trade in the Early Modern Period, New Haven,Yale University Press, 2009.
27 G. Nigro, “Francesco e la compagnia Datini di Firenze”, art. cit., p. 245.
28 A. Orlandi, Mercanzie e denaro, op. cit., p. 493.
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LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
ANGELA ORLANDI
En mai 1398, Faraig ben Muça da
Honaïn écrivait à Luca del Sera que s’il
avait l’intention d’envoyer des marchandises, en particulier de grosses perles
blanches, il le servirait volontiers et sans
l’exposer au risque de séquestration du
chargement, car il disposait à la cour de
bonnes relations qui l’autorisaient à agir en
toute sécurité29.
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Les rapports de confiance agissaient
donc sur plusieurs fronts, et pas seulement
entre des entreprises provenant des mêmes
régions et bénéficiant d’habitudes et de
mentalités semblables ; Luca del Sera, pour
donner encore un exemple de ce qui se passait dans les aires de référence de Tuccio,
avait établi un véritable rapport de confiance et d’amitié avec Alí Abenxarnit, représentant d’une des plus importantes familles
de la communauté mauresque de Valence.
Au début de 1403, Alí envoya son neveu
Fillel à Alger, et, en accord avec del Sera, il
décida que Fillel expédierait les marchandises au siège de Datini à Majorque, marchandises qu’il aurait ensuite fait acheminer, grâce à un document de franchise spécial, vers Valence30. C’était là un expédient
pour éviter le contrôle catalan des trafics
avec les marchés barbaresques.
Pour en revenir à Tuccio, on dira pour
conclure que si la typologie de ses activités
ne correspond pas parfaitement au profil du
commis voyageur prévu par la législation
italienne actuelle, elle s’en rapproche tout
de même beaucoup.
Dans la législation italienne actuelle, le
commis voyageur conclut des contrats au
nom et pour le compte d’un chef d’entreprise, hors des locaux de l’entreprise, en
échange d’une rémunération constituée
d’un salaire fixe, avec ou sans provision. Il
s’agit d’ordinaire d’opérations de vente et le
rapport qui lie le commis voyageur à son
employeur entre dans la catégorie du travail
subordonné31. Tuccio représentait l’entreprise commerciale Datini, pour le compte de
laquelle il cherchait et concluait des affaires
dans des localités autres que celle où se
trouvait l’entreprise ; il était lié à son
employeur par un rapport de travail subordonné pour lequel il percevait un salaire, le
remboursement des frais engagés et une
provision sur les opérations conclues.
Cependant, contrairement aux commis
voyageurs d’aujourd’hui, il ne s’occupait
pratiquement que d’achats, à l’exception de
quelques ventes de galle et de pastel sur les
places de Sant Mateu et de Morella32.
Il faut observer en outre que les activités
d’achat étaient effectuées quasiment en
totale autonomie, même s’il paraît évident
que ses opérations étaient avant tout dictées
par les commandes de laine que lui adressait, en fonction de ses besoins, la compagnie de Valence, et donc, à travers celle-ci,
les autres sociétés en rapport avec le groupe
Datini. Son activité entrait en fait dans les
canons du commerce en commission, avec
29
ASPO, Datini, Honaïn-Valence, Farag Ben Muse à Luca del Sera, 9 mai 1398, c. 1r.
ASPO, Datini, Alger-Majorque, Fillel Abenxarnit à Cristofano Carocci, 9 mars 1403, c. 1r. Dans la section que
réserve le site de l’Archivio di Stato de Prato au fonds Datini, on trouve indiqué comme expéditeur Benexarvit
Fillel, mais le nom correct de la célèbre famille valencienne est Abenxarnit.
31 Voir les articles 1378 et suivants du Code Civil italien relatifs aux règles générales de la représentation et les
articles 2210 et suivants relatifs au commis.
32 ASPO, Datini, Sant Mateu-Valence, Tuccio di Gennaio à Francesco Datini et à ses compagnons, 14 novembre,
1397, c. 1r. et. t. ; Sant Mateu-Valence, Tuccio di Gennaio à Francesco Datini et à ses compagnons, 8 mars 1398,
c. 1t.
30
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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que, plus d’une fois, ces derniers agirent au
nom et pour le compte du groupe Datini
dans les trafics avec les places d’Afrique du
Nord. Le lien personnel était donc déterminant, car on évoluait sur des marchés très
risqués.
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
BERNARDO DI BINDO
DE’ BARDI, UN PRÉCURSEUR
DE L’AGENT DE COMMERCE
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Pour trouver une figure qui ressemble à
un agent de commerce moderne, au vu des
matériaux d’archives consultés, il faut se
déplacer de la Méditerranée occidentale à la
Méditerranée orientale et avancer dans le
temps de plusieurs décennies. Depuis la
seconde moitié du XVe siècle, les villes
turques avaient pris une plus grande importance pour les trafics florentins. Du reste,
Mahomet II, après avoir renversé le pouvoir
byzantin, n’avait pas caché qu’il voulait
réduire les nombreux privilèges dont bénéficiaient les marchands vénitiens au profit
des Toscans qui trouvèrent dans la chute de
Constantinople une occasion pour élargir
leur échanges.
Utilisant diverses formes d’accords
commerciaux, les opérateurs toscans
envoyaient dans le Levant leurs marchan-
dises, soit en les confiant à un associé commandité installé à cet effet dans ces territoires, soit par l’intermédiaire d’entreprises
commissionnaires, soit enfin en utilisant
l’action de collaborateurs internes ou
externes33 qui faisaient souvent l’aller et
retour entre la Toscane et Constantinople34.
Dans ces comptoirs, les Toscans achetaient du fil de soie, des substances tinctoriales et des mordants, des épices, des tapis,
des pierres et des métaux précieux ainsi que
des marchandises moins raffinées comme la
laine, les peaux et les draps produits localement. Les marchandises vendues avaient
une valeur tout aussi importante : les embarcations en partance des ports de la Toscane,
ou les caravanes qui depuis Raguse arrivaient sur ces marchés, apportaient des
draps de Londres, des toiles de Hollande, du
savon, des amandes, de l’anis, mais surtout
la production textile florentine, la plus prisée, à savoir des tissus de laine, de soie et de
soie brodés en or (auroserici)35.
On connaît bien le contenu des contrats
des commandites que nous trouvons enregistrés en abondance dans les registres
publics de Florence, appelés justement
Livres des Commandites36. Il s’agissait
33
Par collaborateur interne on entend un associé de la compagnie ou un employé lié formellement à l’entreprise,
par exemple par un accord prévoyant le versement d’un salaire, tandis que le collaborateur externe (qui pouvait être
aussi par ailleurs le collaborateur interne d’une autre entreprise) était lié par des rapports occasionnels réglés au cas
par cas.
34 A. Orlandi, « Oro e monete da Costantinopoli a Firenze in alcuni documenti toscani (secoli XV-XVI) », in S.
Cavaciocchi (a cura di), Relazioni economiche tra Europa e mondo islamico secc. XIII-XVIII, Europe’s economic
relations with the islamic world 13th-18th centuries, Atti della “Trentottesina Settimana di Studi” 1-5 maggio 2006,
Prato, Fondazione Istituto Internazionale di Storia Economica “F. Datini”, 2007, p. 981-1004, p. 982-983.
35 E. Ashtor, « Il commercio italiano col Levante e il suo impatto sull’economia tardomedievale », in Aspetti della
vita economica medievale, Atti del Convegno di Studi nel X Anniversario della morte di Federigo Melis, Florence,
Istituto di Storia Economica, 1985, p. 15-63 ; Id., « L’exportation de textiles occidentaux dans le Proche Orient
musulman au bas Moyen Âge (1370-1517) », in Studi in memoria di Federigo Melis, t. I-V, Naples, Giannini, 1978,
II, p. 303-377 ; Id., “The Volume of Levantine Trade in the Later Middle Ages (1370-1498)”, in Studies of the
Levantine Trade in the Middle Ages, Londres, Variorum, 1978, p. 573-612 ; B. Dini, « Aspetti del commercio di
esportazione dei panni di lana e dei drappi di seta fiorentini in Costantinopoli, negli anni 1522-1531 », in Saggi su
una economia-mondo, op. cit., p. 215-270 ; Id., « L’economia fiorentina dal 1450 al 1530 », in Saggi su una economia-mondo, op. cit., p. 187-214 ; Id., Aspetti del commercio di esportazione, op. cit., p. 231-232 ; Id.,
« L’industria serica in Italia. Secc. XIII-XV », in S. Cavaciocchi (a cura di), La seta in Europa. Secc. XIII-XX, Atti
della “Ventiquattresima Settimana di Studi” 4-9 maggio 1992, Prato, Istituto Internazionale di Storia Economica
“F. Datini”- Florence, Olschki, 1993, p. 91-123 ; H. Hoshino, “Il commercio fiorentino nell’Impero Ottomano”, art.
cit., p. 113-123 ; A. Orlandi, « Oro e monete da Costantinopoli », art. cit.
36 B. Dini, “L’economia fiorentina”, art. cit., p. 187-214.
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31
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quelques particularités cependant qui le rapprochent plutôt du commis voyageur.
ANGELA ORLANDI
À partir de ce schéma contractuel, on
signait des accords qui, en réalité, ne sont
pas envisageables dans la véritable commandite, mais qui sont de simples mandats
de vente et/ou d’achat ou encore, plus simplement, de transport de marchandises, donnés à des figures qui apparaissent comme
des professionnels libres disposés à servir
plusieurs clients.
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L’exemple qu’on proposera ici en la
matière est celui d’un marchand florentin,
Bernardo di Bindo de’ Bardi qui, entre 1527
et 1534, se rendit deux fois dans le Levant38.
Quand Bernardo partit la première fois
(1527-1529), il emportait avec lui différents
types de tissus appartenant à d’autres marchands. Il semble avoir reçu mandat de
vendre des produits manufacturés de grande
valeur. Il s’agissait de 234 draps sopramma-
ni39, de 3 serges, de 2 sanmartini40, de
9 draps de Londres, de 75 picchi41 de tissus
de soie travaillés selon la technique des alti
e bassi et de 63,5 picchi de satin et de telette42. Leur vente rapporta 5991.04.06 florins43, dont plus de 66 % retournèrent en
Toscane sous forme de monnaie et de barres
d’or, ce qui correspondait, pour avoir une
idée de la valeur de l’opération, à plus de
17 kilogrammes de métal jaune.
L’expérience dut être positive : elle fut
répétée quelques années plus tard (15321534). Comme au cours de son voyage précédent, Bardi apportait avec lui des étoffes,
des serges et des draps. Les relevés comptables relatifs à ce second voyage nous
offrent d’intéressants détails sur les engagements que Bernardo avait pris avant son
départ.
À la date du 15 avril 1532, nous trouvons transcrit un accord par lequel Mazingo
Mazzinghi lui donnait commission de
conduire d’Ancône au Levant 13 ballots de
draps et de serge pour une valeur totale de
1324.11.8 ducats d’or en or. Les marchandises appartenaient dans leur totalité à différents membres de la famille Mazzinghi :
449.7.6 ducats à Mazia, 353.13.8 à
37
F. Melis, “Le società commerciali”, art. cit., p. 170-174.
De ces voyages ont été conservés deux registres que Bardi a appelés ainsi : Livre des Débiteurs et des Créditeurs
marqué A et Livre des Débiteurs et des Créditeurs et des Souvenirs. Archivio di Stato di Firenze, Venturi Ginori
Lisci (que l’on indiquera désormais sous le sigle ASF, Venturi Ginori Lisci), n. 454 e n. 455.
39 Du nom de la laine castillane homonyme avec laquelle ils étaient tissés. H. Hoshino, L’Arte della Lana in Firenze
nel Basso Medioevo. Il commercio della lana e il mercato dei panni fiorentini nei secoli XIII-XV, Florence, Olschki,
1980.
40 Il s’agissait des fameux draps de Saint Martin, une production lainière florentine de la meilleure qualité. H.
Hoshino, L’Arte della Lana, op. cit., p. 207-211.
41 Le picco d’Alep correspondait à 0,658 mètres. A. Martini, Manuale di metrologia ossia misure, pesi e monete in
uso attualmente e anticamente presso tutti i popoli, Rome, ERA, 1976, p. 178.
42 Tissus de soie.
43 La terminologie des monnaies florentines employées dans les documents comptables entre les années 1530 et
1550 (période au cours de laquelle se déroule l’activité des Bardi) était plutôt complexe : on utilisait comme synonyme le terme de florin, ducat et écu pour indiquer une monnaie de compte équivalant à 140 sous (cette monnaie était
appelée aussi florin de sept lires et florin de monnaie «d’or », « d’or de monnaie »). Par contre, avec le terme écu
d’or en or, on se référait au nouvel écu de 150 sous. À la fin du XVIe siècle les choses s’étaient en partie éclaircies :
à Florence, on utilisait trois monnaies de compte, la lire, le florin/ducat (de 7 lires et donc égal à 140 sous) et l’écu
d’or (de 7 lires et demie, soit 150 sous). R. Goldthwaite, G. Mandich, Studi sulla moneta fiorentina (secoli XIIIXVI), Florence, Olschki, 1994, p. 64-65.
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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d’associations temporaires d’affaires à travers lesquelles un ou plusieurs associés
fournissaient les capitaux et donnaient les
ordres pour faire des échanges commerciaux ou des activités productives à un associé commandité dans un pays donné.
L’associé apportait souvent aussi, outre son
travail, un capital financier37.
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
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Bardi, comme on peut le lire dans le
mémoire, avait la « libre commission de
leur vente ». Cela signifie qu’il pouvait
décider librement où et à qui les écouler
pourvu qu’il le fasse « au prix le plus fort
possible » et qu’il rende compte avec diligence de ce qu’il avait fait, « comme il se
doit chez un bon et loyal marchand ». Le
contenu de cet engagement fut reproduit
dans la comptabilité de Mazzinghi et accepté par Bernardo, qui déclara l’approuver et
s’engagea à respecter l’accord. On a dit que
l’accord entre le commettant et le commissionnaire laissait à ce dernier une grande
liberté d’action. Cette décision peut sembler
encore plus extraordinaire si l’on pense au
voyage long et difficile que Bardi devait
accomplir et aux contextes sociaux et économiques différents qui caractérisaient les
places où il allait devoir vendre des tissus et
des serges. Encore une fois, c’étaient la confiance et les garanties offertes par la circulation intense et rapide d’informations économiques à travers la correspondance commerciale qui entraient en jeu et réglaient
l’action des marchands. Le succès de
Bernardo, comme de tout autre opérateur,
dépendait de la justesse de son comportement. Il savait pertinemment qu’au moment
de rendre compte, un résultat insuffisant et
non motivé le priverait de futurs contrats ;
par ailleurs, il ne succomba jamais à la tentation de déclarer des prix de vente différents de ceux obtenus sur les places orientales afin d’empocher la différence : les missives qui arrivaient à Florence de ces pays
auraient tôt ou tard dévoilé la supercherie !
Si l’on examine les comptes, on s’aperçoit que, pour un voyage long et difficile,
Bardi crut bon de chercher d’autres pistes et
en effet, quatre jours plus tard, le 19 avril
1532, il prit note d’autres accords dans lesquels Mazia et Paradiso Mazzinghi ajoutèrent un mandat supplémentaire afin de
vendre d’autres tissus pour leur compte
exclusif : pour le premier trois serges verts
d’une valeur de 141.10.0 ducats d’or en or
et pour le second un serge vert évalué à
47.3.3 ducats. Dans ce cas aussi, on laissait
à Bardi la libre commission, pourvu qu’il
cède les tissus au prix le plus fort possible et
rende compte des ventes conclues « en bon
et loyal marchand »45.
Malheureusement, la compensation prévue pour l’exécution de ces tâches n’apparaît pas clairement dans ces documents. Il
semble que dans l’accord général était prévue une quote-part sûre et proportionnelle à
la valeur des marchandises qui lui étaient
confiées (probablement payée au début du
voyage) ; on sait toutefois que, de retour à
Florence, lors du compte rendu des résultats
de l’opération, Bardi remit des comptes de
bénéfice net dans lesquels était débitée une
provision de 4 % en sa faveur, que nous
pouvons considérer comme une rétribution
supplémentaire.
À ces missions s’en ajoutèrent d’autres,
à savoir l’engagement de livrer des marchandises à des destinataires indiqués par le
commettant. C’est ce que firent les Lotti
qui, le 4 avril 1532, confièrent à Bardi une
petite caisse de draps à remettre à
Andrianapolis à Francesco di Niccolò
Benci46. Dans le « souvenir » qui réglait le
rapport entre les parties, toutes les dispositions que Bardi devait suivre étaient précisées. Une fois arrivé à Ancône, il devrait
charger la caisse sur l’embarcation également choisie pour arriver à Raguse ou
44
ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 72d.
ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 72s.
46 ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 74s.
45
AVRIL 2012 – N° 66
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Mazingo, 264.17.1 à Bartolomeo et
256.13.5 à Paradiso Mazzinghi44.
ANGELA ORLANDI
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Ici non plus, on ne trouve mention d’aucune rétribution – peut-être fut-elle versée à
l’avance ? –, mais il est précisé que « dans
le respect de la coutume, de ta main, au bas
de l’écrit, tu déclareras avoir reçu ce document et tu t’engageras à respecter son contenu »48. Il s’agissait pour Bardi d’une acceptation formelle de l’engagement qui protégeait le commettant, une procédure qui,
comme l’acte lui-même nous le rappelle,
faisait partie de « l’usage ». Dans d’autres
cas, l’obligation de remettre les tissus au
destinataire était subordonnée à la possibilité de les vendre au comptant au cours du
voyage, en empochant les mêmes commissions qu’à l’ordinaire49.
En outre, presque tous les commettants
demandèrent à Bernardo d’acheter pour leur
compte des biens facilement disponibles sur
les marchés orientaux. C’est ainsi que
Mazingo, par exemple, demanda à Bardi de
lui acheter entre autres un beau cheval
d’une valeur d’au moins 40 écus, et pour sa
femme 40 bras de bochacino50 et 6 bras de
damas de Syrie pour une robe et une paire
de manches51.
À Pesaro, Bardi devait encaisser un crédit d’un peu plus de 40 ducats d’or larges52
pour Antonio Gualtieri ; et avec cet argent il
devait acheter en Turquie un tapis da letucio53 de 5 bras de long et autant de largeur,
de préférence avec des « dessins à l’ancienne mode et à fil serré »54, deux scies pour
couper du bois et une autre plus petite pour
faire des greffes, 4 petits bonnets de soie
légers pour l’été à porter sous le bonnet et
deux plus chauds pour l’hiver ; 4 bonnets
noirs en poil de chameau et un beau cheval
istrien au pelage foncé.
On pourrait allonger encore la liste des
tâches qui incombèrent à Bernardo, mais
celles que nous avons évoquées sont suffisantes pour comprendre quel type d’activi-
47
Ibid.
« per fede dell’osuanzia risoscriverai qui a piè, di tua propia mano, obrigandoti a quanto di sopra e alsì d’avere
ricevuto detto richordo ». Ibid.
49 C’est ce qui arriva à la compagnie des Eredi di Francesco da Magnale qui confia à Bardi des serges, des « soprammani » et des tissus de Saint Martin en stipulant un « souvenir » dans lequel il était explicitement écrit : « Et comme
nous avons confiance en vous, nous vous chargeons, si vous avez l’occasion de vendre au cours du voyage, de vendre au comptant et pas autrement et […] vous prenez les commissions habituelles ». (« E perché abiamo fede in voi
vi diamo chomisione che trovando da vendere per il viagio posiate vendere per denari contanti e non altrimenti e
[…] voi pigliate le provisioni consuete »). ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 74d.
50 Il s’agissait d’une toile de coton. N. Tommaseo, Dizionario della lingua italiana, Turin, Unione TipograficoEditrice Torinese, p. 994.
51 ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 75s.
52 Le ducat d’or large était une monnaie sonnante, appelée ainsi après 1490 lorsqu’à Florence, pour essayer de
résoudre la confusion terminologique qui régnait entre les monnaies, on commença à utiliser des termes étrangers
pour la monnaie d’or. On employa donc le mot ducat, ou ducat d’or large, nom de la monnaie vénitienne. R.
Goldthwaite, G. Mandich, Studi sulla moneta fiorentina, op. cit., p. 36.
53 Il s’agissait d’un petit lit.
54 « opera vechia e pelo serato ». ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 76s.
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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Castelnuovo, d’où le voyage se poursuivrait
par voie de terre. Quant au long et périlleux
parcours qui l’amènerait ensuite à
Adrianapolis, on lui recommandait de payer
toutes les taxes qui pèseraient sur les marchandises et de bien faire attention à ce que
ces dernières ne se mouillent pas durant la
traversée des cours d’eau. Arrivé à Edirne, il
devrait remettre la caisse, demander un
récépissé et le remboursement de tous les
frais du voyage. Rien n’était laissé au
hasard : et le commettant expliquait aussi
comment devait se comporter Bardi si
jamais il ne trouvait pas Benci, au cas où ce
dernier serait mort ou en voyage pour revenir dans sa patrie47.
LES PRÉCURSEURS DES VOYAGEURS ET REPRÉSENTANTS DE COMMERCE
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Il ressort de tout cela que Bernardo Bardi
travailla de manière indépendante, et qu’aucun rapport stable ou exclusif ne le liait à ses
commettants. Les compensations étaient
variables, tout comme les fonctions qui lui
étaient attribuées sur la base de la confiance.
Dans la documentation, il est souvent fait
référence aux marchandises comme prises
en commandite55. Il ne s’agissait pas d’une
commandite type, mais plutôt d’un mandat
en vertu duquel les parties ne versaient pas
des capitaux mais des prestations (Bernardo)
et les commanditaires fournissaient des tissus destinés à la vente (ses commettants).
C’est dans ces accords que nous pouvons
entrevoir quelques caractéristiques propres à
assimiler ce personnage à la figure actuelle
de l’agent de commerce.
La législation moderne sur le contrat
d’agence prévoit en effet la promotion de
contrats de vente, dans une zone donnée, en
échange d’une provision. L’agent doit appliquer les prix établis par l’entreprise pour
laquelle il travaille et ne peut être considéré
comme un de ses employés56.
L’engagement de Bardi correspondait
aux clauses du contrat d’agence puisqu’il
exerçait son activité de manière indépendante, qu’il n’était lié à aucun des commettants par un rapport stable et que, dans le
document formel où était acceptée la mission, le versement d’une commission d’importance variable était prévu. Dans l’activité d’agent de Bernardo, il manquait par
contre l’élément de l’exclusivité puisque,
comme on l’a vu, il travailla pour des entreprises concurrentes et, qui plus est, il
conclut aussi des opérations pour son propre
compte au cours de ces voyages.
CONCLUSION
Les contenus contractuels qui réglaient
les rapports variés au sein des réseaux de
marchands, entre eux et avec leurs collaborateurs, n’avaient pas de forme unique ni
définie à l’avance ; ils n’étaient souvent que
le résultat de l’adaptation progressive de
formules et de contenus dictés par l’usage.
À Florence, au cours de la période qui nous
intéresse ici, les quelques normes qui
réglaient l’économie s’adaptaient au fur et à
mesure et avec un certain retard aux pratiques adoptées par les opérateurs économiques qui contrôlaient fondamentalement
les magistratures citadines. Même ce que
l’on appelle aujourd’hui le « droit sociétaire », dont l’importance n’échappait pas aux
organes du gouvernement, ne bénéficiait
pas toujours d’un cadre juridique cohérent.
On en veut pour preuve l’évolution normative des sociétés temporaires d’affaires,
comme la commande et plus tard la commandite, qui était configurée comme une
association entre deux ou plusieurs sujets
dans laquelle la responsabilité du sujet commandité était limitée à la quote-part du capital apportée, tandis que celle du commanditaire était illimitée. À la fin du XVe siècle,
les gérants commencèrent eux aussi à opposer leur propre responsabilité limitée : ces
comportements, rapidement acceptés, devinrent d’usage courant, mais furent transformés en loi seulement dans le dernier quart
du XVIe siècle. Le principe de la responsabilité limitée du commanditaire et du com-
55
Les formules employées dans la documentation sont de cette teneur : « nous donnons en commandite à Bernardo
di Bindo de’ Bardi », ou bien « m’a été donné en commandite ». ASF, Venturi Ginori Lisci, 455, c. 74s et c. 88s.
56 Cf. les articles 1742 et suivants relatifs au contrat d’agence du Code Civil italien. Sur l’évolution de la législation des agences d’affaires, voir aussi Il Digesto Italiano. Enciclopedia metodica e alfabetica di Legislazione,
Dottrina e Giurisprudenza, compilato da distinti giureconsulti italiani, t. II, Première partie, Turin, Unione
Tipografica-Editrice Torinese, 1911-1915, p. 981-982.
AVRIL 2012 – N° 66
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tés il conduisait en voyageant pour le compte de tiers.
ANGELA ORLANDI
Tout cela explique comment et pourquoi, dans cette recherche des précurseurs
du commis voyageur et de l’agent de commerce, l’éventail des contrats qui s’est offert
à nous présente un cadre flou et particulièrement fluide, réglé, plus que par des principes clairs, par la force contractuelle des
individus, par leur aptitude à jouer le rôle de
médiateur et à imposer des solutions offrant
un bon compromis entre les exigences de
l’entreprise et celles du collaborateur. Dans
tout cela, bien évidemment, comptaient
pour beaucoup les capacités, les compétences, l’expérience acquises sur le terrain.
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Bien que correspondant à ce profil,
Tuccio a été beaucoup plus qu’un commis
voyageur actuel ; expert des marchés espa-
gnols, il en connaissait la langue, et l’expérience qu’il y avait acquise joua en sa
faveur : le Marchand de Prato et Luca del
Sera avaient confiance en lui et, bien qu’il
fût lié par un contrat de travail subordonné,
ils lui accordèrent toute autonomie au
niveau des décisions et jusqu’à la possibilité de mener à bien des opérations pour son
compte personnel.
La position de Bernardo de’ Bardi est
encore plus nette : précurseur de l’agent
de commerce, il se distinguait de celui
d’aujourd’hui par l’absence de droits d’exclusivité. Il devait lui aussi sa liberté d’action à sa qualification et à ses compétences ;
les entreprises qui lui avaient confié des
biens à écouler, en effet, ainsi que nombre
d’autres tâches de moindre importance,
étaient suffisamment sûres que Bardi ne
pouvait qu’agir en « bon et loyal marchand ».
57
Sur l’évolution des sociétés d’affaires temporaires à Florence, voir F. Melis, « Le società commerciali », art. cit.,
p. 161-178.
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ENTREPRISES ET HISTOIRE
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mandité fut transféré par analogie à la compagnie qui, de cette façon, de société en
nom collectif se transforma en société à
responsabilité limitée57.