Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO)
Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)
Les migrants ruraux dans les métropoles chinoises
– le cas de la municipalité de Shanghai
Le système du hukou à l’origine d’inégalités sociales institutionnalisées
Mémoire réalisé par
Charlotte Ramet
Promoteur
Catherine Gourbin
Lecteur
Paul Servais
Année académique 2014-2015
Master 120 en sciences politiques, orientation relations internationales, finalité action humanitaire
À ma promotrice, Madame Gourbin, pour ses conseils et ses orientations,
À mes parents pour leur soutien inconditionnel et leurs encouragements,
À 小雨 et 小雪 pour leur amitié,
À toutes les autres personnes qui m’ont apporté leur aide durant cette aventure,
notamment 肖天, 小茜 et Raphaël,
Enfin et surtout, aux responsables des organisations qui m’ont gentiment reçue,
Un tout grand merci.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................................. 3
CHAPITRE PREMIER : LES MIGRATIONS EN CHINE À PARTIR DE LA
FIN DES ANNÉES 1970 ............................................................................................ 7
RETOUR SUR VINGT ANS DE RÉFORMES ..................................................... 7
A. DE L’ÉCONOMIE PLANIFIÉE À L’ÉCONOMIE SOCIALISTE DE MARCHÉ ....... 7
B. UN BREF ESPOIR DE DÉMOCRATISATION À PÉKIN ................................... 10
C. LA CHINE EN « QUÊTE DE LA MONDIALITÉ », DERNIERS ÉLANS
RÉFORMATEURS ...................................................................................... 10
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET MIGRATIONS INTÉRIEURES ...... 13
A. LES MIGRATIONS À TRAVERS LE TEMPS .................................................. 13
1. Période pré-réformes : migrations « empêchées » et migration
ordonnées .............................................................................................. 13
2. Fin 1970 – debut 1980 : migrations ordonnées, limitées et
intraprovinciales ................................................................................... 14
3. Des 1985 : migrations organisées, volontaires, et intracontinentales .. 14
4. Années 1990 : mouvement migratoire intensif ..................................... 15
B. L’APPEL DE LA VILLE OU LE REJET DE LA CAMPAGNE ............................ 16
C. UNE POPULATION FLOTTANTE GRANDISSANTE ET INVASIVE ................. 17
D. PREMIÈRE LÉGISLATION NATIONALE DU TRAVAIL : RUPTURE
IDÉOLOGIQUE .......................................................................................... 18
E. POLITIQUES CENTRALES ET POLITIQUES LOCALES ................................. 19
CONCLUSION .................................................................................................... 20
CHAPITRE SECOND : LE SYSTÈME DU HUKOU À L’ORIGINE D’UNE
SÉGRÉGATION ET D’INÉGALITÉS ................................................................. 22
LE SYSTÈME DU HUKOU ................................................................................. 22
A. UN HÉRITAGE DE LA CHINE ANCIENNE ................................................................. 23
B. DES CARACTÉRISTIQUES ENCORE PRÉSENTES AUJOURD’HUI ...................... 24
C. LE SYSTÈME DU HUKOU SOUS LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE .... 25
D. UN INSTRUMENT DE CONTRÔLE SOCIAL AVANT TOUT ................................... 27
E. LE HUKOU À L’ÈRE DES RÉFORMES ........................................................................ 28
F. XXIE SIÈCLE : VERS UN ASSOUPLISSMENT DU SYSTÈME ? ............................. 33
CONSÉQUENCES : LES INÉGALITÉS ............................................................. 40
A. CONDITIONS DE TRAVAIL : EXPLOITATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE ........ 41
B. SÉCURITÉ SOCIALE .................................................................................. 45
1. L’assurance pension .............................................................................. 46
2. L’assurance chômage ............................................................................ 47
3. L’assurance médicale ............................................................................ 48
1
4. L’assurance accident de travail ............................................................. 50
5. L’assurance maternité ........................................................................... 52
C. SANTÉ ....................................................................................................... 52
1.
2.
3.
4.
Les maladies infectieuses et transmissibles .......................................... 54
La santé nutritionnelle .......................................................................... 55
La santé mentale ................................................................................... 56
Les comportements à risque ................................................................. 57
D. INSTRUCTION SCOLAIRE .......................................................................... 57
E. LES « LEFT-BEHIND » ................................................................................ 62
CONCLUSION ..................................................................................................... 67
CHAPITRE TROISIÈME : ÉTUDE DE CAS LA PLACE DES MIGRANTS À
SHANGHAI .............................................................................................................. 70
SHANGHAI .......................................................................................................... 70
A. MODERNISATION FULGURANTE ............................................................... 70
B. VILLE PEUPLÉE AU NIVEAU SOCIOÉCONOMIQUE ÉLEVÉ ......................... 74
C. LES MIGRANTS À SHANGHAI : UNE DESTINATION PRISÉE ....................... 76
DES ORGANISATIONS ENGAGÉES POUR LES FAMILLES MIGRANTES 81
A. LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES ................................... 85
1.
2.
3.
4.
5.
Création et statut ................................................................................... 85
Taille et projets ..................................................................................... 88
Financement et partenariat .................................................................... 90
Obstacles et succès................................................................................ 92
Forces et faiblesses ............................................................................... 93
B. LES BÉNÉFICIAIRES .................................................................................. 94
1.
2.
3.
4.
Situation précaire .................................................................................. 94
Droits des travailleurs migrants ............................................................ 95
Relation avec les bénéficiaires .............................................................. 96
Droit à l’instruction scolaire ................................................................. 97
C. LES AUTORITÉS LOCALES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE ................................... 99
1.
2.
3.
4.
5.
Vision des ONG et relation avec les autorités ...................................... 99
Entre soutien et contrôle ..................................................................... 100
Climat favorable ................................................................................. 102
Le bien-être public aux sacrifices de certains ..................................... 103
Espoir futur ? ...................................................................................... 104
CONCLUSION ................................................................................................... 104
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................... 107
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 110
ANNEXES............................................................................................................... 123
2
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Notre mémoire s’inscrit dans le cadre du Master 120 en sciences politiques,
orientation relations internationales, finalité action humanitaire. Bien que la
problématique des migrants ruraux en Chine ne fasse pas l’objet d’une aide
d’urgence à proprement parler, cette population fait néanmoins face aux mêmes
inégalités d’accès aux droits fondamentaux que les réfugiés. En effet, nous verrons
que les migrants chinois sont reçus par les métropoles tels des citoyens étrangers, des
citoyens de seconde classe. Reconnaissables à leur physique et leur accent, ils sont
victimes de nombreux abus contre lesquels il leur est difficile de se défendre. Sur
base de ce constat, nous étudierons le rôle que jouent les autorités publiques dans
cette ségrégation sociale et l’aide apportée par des organisations de la société civile.
Par ailleurs, notre attachement personnel envers la Chine nous a conduits à étudier
cette problématique qui nous concerne tous, sans que nous en soyons réellement
conscients. Pourtant, les expressions « l’atelier du monde » ou encore « fabriqué en
Chine » nous sont aujourd’hui plus que familières. Loin de nous l’idée de dénoncer
la réalité dans une approche moralisatrice, nous avons toutefois voulu investiguer les
causes profondes d’un développement inégalitaire de la société chinoise.
Notre étude se focalise essentiellement sur le milieu urbain qui témoigne d’une
dichotomie
sociale
institutionnalisée.
Selon
notre
hypothèse,
le
système
d’enregistrement des ménages, dit « système du hukou », constitue l’instrument
étatique à l’origine d’une ségrégation entre citoyens urbains et ruraux. Notre
réflexion nous amènera ainsi à confirmer la croyance selon laquelle des masses de
travailleurs ruraux migrants ont été et sont encore sacrifiés sur l’autel du
développement économique de la Chine qui a connu un tournant à l’instauration des
réformes de Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix.
Au-delà du constat et de l’exposition des inégalités inhérentes au système en place,
nous nous sommes interrogés, d’une part, sur l’existence d’acteurs sociaux qui
tentent d’apporter une solution aux difficultés que rencontrent les migrants et leur
famille en zone urbaine et, d’autre part, sur la relation que ceux-ci entretiennent avec
les autorités publiques. L’objectif de ces questions étant entre autres de définir si des
changements positifs prennent progressivement place en faveur de la population
3
migrante, nous avons décidé de nous rendre à Shanghai, une des grandes métropoles
accueillant les travailleurs migrants dans laquelle nous avons nous-mêmes résidés
plusieurs années.
Afin de vérifier notre première hypothèse, nous nous sommes d’abord exclusivement
appuyés sur des sources secondaires comprenant des monographies, articles
scientifiques, contributions à des conférences, ouvrages collectifs et working papers,
études et rapports officiels, mais aussi des sources accessibles en ligne telles que des
informations et statistiques tirés des sites officiels et des articles de presse. Nous
avons par ailleurs analysé les cadres légaux en consultant les lois nationales et
municipales et autres décisions à caractère légal des autorités chinoises, ainsi que
deux observations et recommandations internationales émanant des Nations Unies.
Ensuite, comme nous l’avons laissé entendre, notre étude de cas se base
principalement sur des sources primaires, soit des entretiens que nous avons réalisés
au début de cette année 2015 auprès de huit organisations non gouvernementales
ayant pour bénéficiaires (exclusivement ou partiellement) la population migrante.
Notre méthodologie relative aux entretiens menés et les problèmes rencontrés quant à
l’échantillon seront détaillés dans le dernier chapitre. Nous avons cependant
agrémenté l’analyse de nos entretiens de quelques sources secondaires dans le but de
confirmer certaines informations reçues.
Dans l’ensemble, les sources que nous avons consultées étant fort variées et
accessibles, nous pensons avoir dressé un tableau relativement objectif de la
problématique. La seule remarque que nous avons soulignée, en se référant à un
auteur particulier, est celle des chiffres et statistiques qu’il est difficilement possible
de vérifier et valider, mais qui permettent tout de même au lecteur de disposer
d’estimations de référence.
Notre mémoire se divise en trois chapitres. Le premier consiste en une remise en
contexte de la Chine à la sortie de la période maoïste et l’arrivée des réformes
économiques qui introduisent « la main invisible » du marché. Nous constatons que
celles-ci débouchent également sur un relâchement des restrictions de circulation afin
de permettre à une main-d’œuvre rurale d’œuvrer pour le développement national.
Ceci nous amène donc au second chapitre dans lequel nous étudions le système du
hukou qui régule ces mouvements migratoires et classe les citoyens selon leur lieu
4
d’origine auquel sont attachés leurs droits. Nous détaillons ainsi cinq catégories
d’inégalités induites par le système. Dans le troisième et dernier chapitre, nous
présentons d’abord les particularités de la ville de Shanghai et enfin les résultats de
nos entretiens.
5
« Mon sang a coulé, je me suis battu, je suis passé par tellement de peine toutes ces
années et je n'ai toujours rien en poche. Nous nous sommes rendu compte que nous
n'appartenons pas à ce monde, nous avons emprunté tellement de chemins différents,
fait couler tellement de notre sang et de notre sueur, toujours rien en poche.
Shenzhen, de qui es-tu le monde? Es-tu le monde des travailleurs? Tu es le monde
des gens riches, pourquoi? Tu as rejeté les travailleurs aux marges, pourquoi? Cette
société est-elle juste? Elle est injuste, que devons-nous faire ? Chacun devrait se
souvenir de ceci, la solidarité, c'est la force. »1
Travailleur migrant, février 2012
1
« Au-delà des résistances légitimes », in : GIVRON P., FLORENCE E., « La violation des droits
humains en Chine au nom des nécessités liées à la croissance économique. », Conférence-échanges
du groupe Amnesty n°19, Court-Saint-Etienne, 25 septembre 2014.
6
CHAPITRE PREMIER : LES MIGRATIONS EN CHINE À
PARTIR DE LA FIN DES ANNÉES 1970
Ce premier chapitre se divise en deux parties et consiste en une introduction qui
permettra au lecteur de comprendre le contexte plus large dans lequel se situe notre
étude. Nous revenons tout d’abord sur les réformes économiques qui ont été mises en
place en Chine à partir de la fin des années 1970. Nous y décrivons de manière
succincte le virage qu’a connu l’Empire du Milieu en termes de modèle économique
et les transformations qui ont suivi la période maoïste. Nous mentionnons par ailleurs
les événements de Tiananmen qui ont marqué les mémoires et qui, s’ils avaient
abouti, auraient sans doute changé l’orientation de nos recherches. Enfin, nous
exposons les dernières impulsions de développement qui ont permis à la Chine
d’obtenir la place qu’elle occupe actuellement dans le paysage économique mondial.
Dans la seconde partie du présent chapitre, nous établissons les liens existants entre
les réformes économiques et les migrations intérieures de la main-d’œuvre qui ont
contribué au développement du pays. Nous posons la question des motifs de la
migration vers les zones urbaines et abordons la manière dont les travailleurs y sont
accueillis. Nous présentons finalement la première législation du travail qui a changé
la relation entre l’employeur et le travailleur ainsi qu’une tentative de l’État central
de réguler le marché de l’emploi afin que la migration profite à l’ensemble de la
population.
RETOUR SUR VINGT ANS DE RÉFORMES
A. DE L’ÉCONOMIE PLANIFIÉE À L’ÉCONOMIE SOCIALISTE DE MARCHÉ
C’est au successeur du Grand Timonier que la Chine doit la mise en application de la
politique des « Quatre Modernisations » ( 四 个
代 化 , sige xiandaihua). Deng
Xiaoping a ainsi initié une transformation qui mènera progressivement le pays à
devenir ce que tous surnomment aujourd’hui « l’atelier du monde ». Le Troisième
Plénum du Comité central en 1978 donna le coup d’envoi des réformes économiques
dans quatre domaines parmi lesquels l’agriculture et l’industrie. Le ton était donné :
il s’agissait de rattraper le retard que la Chine avait accusé durant l’ère maoïste.
Celle-ci laissait à la nouvelle administration un déficit de 6,5 milliards de yuans
7
(1 milliard d’euros)2, 20 millions de personnes sans emploi, et 100 millions sousalimentées.
Deng Xiaoping insista d’autre part sur la dictature politique. Le Parti devait en effet
reconstruire sa légitimité, qui avait été mise à mal à la suite de la Révolution
culturelle de Mao. Cela ne serait pas sans conséquences :
« And because of this insistence on political dictatorship, China’s economy became
a predatory economy, its social structure became an elite-dominating social
stratification that sacrificed the interests of the peasants and workers and other
people at the bottom, who had little chance for upward social mobility […]. »3
La mise en œuvre était bien réfléchie et prudente, passant par des phases
d’expérimentation dans les quatre localités érigées en zones économiques spéciales
(ZES) dès 1979 : Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen (ainsi que l’île de Hainan, au
cours des années 1980).4 L’objectif allait de pair avec la politique d’ouverture de la
Chine sur le marché mondial, cherchant à attirer les investissements directs étrangers,
développer le commerce extérieur et encourager le transfert technologique.
Au cours de la décennie suivante, deux autres types d’unités économiques seront
utilisées à ces mêmes fins : des zones de développement économique et technique, et
des zones privilégiées de commerce extérieur et d’investissement. En 1984, ce sont
donc quatorze villes côtières qui furent sélectionnées afin de participer à ce
mouvement national de modernisation et d’industrialisation, parmi lesquelles
Shanghai, Canton, Pékin et Tianjin (cf. Annexe 1). Cette deuxième vague de
transformation était en effet concentrée sur la périphérie est de la Chine, dont les
villes précitées étaient déjà mieux prédisposées à l’accueil de nouveaux projets
industriels venant de l’étranger. Le courant réformateur était bel et bien lancé tandis
que les autorités annonçaient publiquement leur intention de purger le parti
communiste des membres s’opposant aux changements en cours.5 L’on peut ajouter
que l’ouverture de Shanghai, plus particulièrement, représentait une avancée
La conversion des devises s’effectue au taux du 22 juillet 2015 : 1000 yuans = 147 euros.
LU R.-C., Chinese Democracy and Elite Thinking, New York: Palgrave Macmillan, 2011, p.62.
4
BENSON L., La Chine depuis 1949, Bruxelles : éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, p.85.
5
OBORNE M., « Les zones économiques spéciales de la République populaire chinoise », Revue
trimestrielle du CEPII, 1985, n°21, pp.51-79.
2
3
8
importante pour la ville, qui, du fait de son passé colonial et capitaliste, avait été
reléguée au second plan pendant plus de trois décennies.6
Parmi les ZES, Shenzhen se développa le plus rapidement, attirant de nombreux
travailleurs qui voulaient, eux aussi, profiter de la croissance économique, la plus
élevée enregistrée en Chine à la fin de la décennie quatre-vingt. Dans les zones
rurales, les réformes qui consistaient en la redistribution et la privatisation
progressives des terres eurent un premier impact positif. Le taux de croissance de la
production agricole s’élevait bientôt à 9% en moyenne par an. 7 Les paysans étant
désormais autonomes et libres de vendre le surplus des récoltes sur le marché, le
revenu par habitant aurait augmenté en moyenne de 15% par an, de 1979 à 1984. 8 En
parallèle, des entreprises locales ( 乡 镇 企 业 , xiangzhen qiye), principalement de
manufacture et de transformation, voyaient le jour et contribuaient ainsi à 58% de la
production totale des campagnes. Malgré les disparités, la population accueillait avec
engouement le slogan « s’enrichir est un motif de gloire » ( 致 富 光 荣 , zhifu
guangrong).
Toutefois, dès 1985, les revenus des populations rurales, provenant de l’agriculture
mais également des activités subsidiaires, connurent une forte chute en raison de
nombreux problèmes propres aux campagnes, notamment le manque de terres
cultivables, mais surtout du fait du manque de mesures gouvernementales concrètes
pour y faire face et améliorer le sort des paysans du centre et de l’Ouest du pays.9
En ville, la modernisation s’avérait au début plus difficile, les ouvriers se montrant
réticents à perdre les nombreux avantages dont ils disposaient dans les entreprises
d’État. Celles-ci leur conféraient le fameux « bol de riz en fer » (铁饭碗, tiefanwan),
soit un emploi sûr et stable, mais également logement, soins de santé, pension,… Or,
PAULES X., La Chine. Des guerres de l’opium à nos jours, Paris : La Documentation française,
« Documentation photographique », n° 8093, 2013, pp.54-55.
7
BENSON L., op.cit, pp.85-95.
8
LU X. “Peasants Are so Poor, the Countryside Is so Arduous” Dushu, n°1, 2001, cité dans : HUANG
P., « Problématique rurale et développement inégal en Chine », in Le miracle chinois vu de l’intérieur,
Louvain-la-Neuve – Paris : Centre tricontinental – Éditions Syllepse, « Alternatives Sud », 2005,
vol.XII, pp.49-75.
9
FROISSART C., La Chine et ses migrants : la conquête d’une citoyenneté, Rennes : Presses
Universitaires de Rennes, 2013, pp.73-76.
6
9
le gouvernement entamait progressivement la fermeture ou la privatisation des unités
de travail (单位, danwei) en déficit ou celles dont les rendements stagnaient.10
B. UN BREF ESPOIR DE DÉMOCRATISATION À PÉKIN
Aux Quatre Modernisations s’ajouta une cinquième, revendiquée par les
mouvements estudiantins : la démocratie. Représentés entre autres par Wei
Jingsheng, ils avaient, dès le début de la prise au pouvoir de Deng Xiaoping, exercé
avec vigueur les « Quatre Droits fondamentaux » que leur avait accordés la
Constitution de 1978, soit le droit de critiquer librement (大鸣, daming), d’exprimer
ses idées (大防, dafang), de se réunir pour débattre (大辩论, dabianlun) et d’écrire
sur des affiches à grands caractères (大字报, dazibao). Suite à la ferveur naissante
des revendications, ces derniers furent révoqués dès 1980. Les répressions qui
tentèrent de rompre cette dynamique n’eurent que peu d’effets, et le mouvement
s’amplifia. Des intellectuels et autres célébrités s’y joignirent jusqu’à provoquer les
événements tragiques de la place Tiananmen le 4 juin 1989. Comme on le sait, les
manifestations des étudiants et leurs partisans furent sévèrement réprimées par les
autorités chinoises, impliquant une intervention militaire. Notons que des actions
similaires surgir dans d’autres villes de Chine, en solidarité.11
C. LA CHINE EN « QUÊTE DE LA MONDIALITÉ », DERNIERS ÉLANS RÉFORMATEURS
L’événement de Tiananmen aurait pu décider les autorités chinoises à faire marche
arrière, d’autant plus que les conservateurs du parti y voyaient là une preuve que les
changements récents n’étaient guère de bon augure. Toutefois, deux ans plus tard, la
chute et la dissolution de l’URSS, autrefois modèle économique et mentor de la
Chine, confortèrent Deng Xiaoping dans sa décision :
« Le Parti f[it] donc un pari (gagnant jusqu’à présent) : la prospérité, fruit d’une
accélération des réformes, contribue à minimiser l’expression des mécontentements.
Par ailleurs, il repr[it] la main en matière de propagande en mettant en avant une
rhétorique antioccidentale, exploitant habilement les sanctions prises par la
12
communauté internationale après Tiananmen. »
10
BENSON L., op.cit.
Id., pp.98-106.
12
PAULES X., op.cit., p.14.
11
10
Le numéro un du Parti communiste chinois (PCC) effectua alors un voyage très
médiatisé dans les ZES de la province méridionale de Canton, qui confirma la
poursuite des réformes.13
Enfin, les dernières impulsions concernèrent les villes intérieures du pays. C’est ainsi
qu’en 1992, la Vallée du Yangzi (长江流域, Changjiang liuyu), entre autres, retrouva
son importance passée.14 Elle avait en effet fonctionné tel un axe de pénétration dans
les terres intérieures de la Chine pour les explorateurs, navigateurs et marchands
venus de l’Occident. Elle assurerait désormais un rôle dans la modernisation
économique et industrielle de la région, facilitant notamment la liaison entre
Chongqing (une des villes principales de la province du Sichuan) et Shanghai.15
Dès la seconde moitié des années 1990, de nombreuses entreprises publiques en
déficit avaient fait l’objet d’un démantèlement. En effet, d’une part, le gouvernement
encourageait la privatisation ou les joint ventures et d’autre part, il avait facilité le
processus de mise en faillite. La transition devait toutefois se faire d’une manière
subtile car les autorités faisaient face à un dilemme : trop rapide, les ouvriers poussés
à la retraite ou au chômage, souvent sans récupérer l’entièreté des compensations
qu’il leur était dues, risquaient de manifester leur mécontentement (des
manifestations avaient déjà été organisées dès 1997),16 mais trop lente, la crise de la
dette risquait de s’aggraver. En outre, la question demeurait de savoir comment l’État
chinois allait-il, à travers le 15e Congrès du Parti communiste, résoudre les
problèmes qui s’annonçaient avec l’accession au marché des services sociaux (tels
que l’enseignement, les logements et les soins de santé) qui brisait définitivement le
bol en fer pour des masses de travailleurs.17
Et cela ne serait pas sans sacrifice à en croire le mot d’ordre que le nouveau leader
chinois, Jiang Zemin avait lancé en 1997 lors du 15e Congrès : « To cut workforce
13
BENSON L., op.cit., pp.107-109.
PAULES X., op.cit., pp.54-55.
15
SANJUAN T., (a) « L’invention du Yangzi. Linéarité fluviale, segmentation provinciale et
métropolisation littorale », Géocarrefour, 2004, vol. LXXIX, n°1, p.6.
16
“While some early reformers called for the gradual development of a controlled labour market, fear
of social instability that might arise from rapid change and open unemployment meant that caution
was exercised in implementing reform measures.” In: COOK S., MAURER-FAZIO M. (eds), The
Workers’ State Meets the Market: Labour in China’s Transition, London: Frank Cass & Co, 1999,
pp.2-3.
17
WELLER R., LI J., “From State-Owned Enterprise to Joint Venture: A Case Study of the Crisis in
Urban Social Services”, The China Journal, 2000, n°43, pp. 83-99.
14
11
and raise efficiency » ( 减人增效 , jianren zengxiao). Ce fut effectivement le cas,
toutefois la Chine devrait faire face à ce nouveau fardeau social :
« But because they were too many redundant workers in an enterprise, which had
become a huge burden, many of the workers (old-aged or unskilled), for the sake of
the reform, had to leave their long protected employment and welfare. A huge
unemployed population thus became a serious social problem for the cities and
nation as a whole. »18
Au démantèlement des entreprises publiques, s’ajoutèrent donc bientôt la
restructuration industrielle, la modernisation économique, l’urbanisation, la transition
économique, et l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Celle-ci, en
particulier, signifiait que les entreprises d’État seraient non seulement en concurrence
avec un nombre croissant d’entreprises privées mais devraient également faire face à
l’arrivée sur le marché chinois de produits importés.19
En effet, au début du nouveau siècle, la Chine franchit un nouveau pas dans l’histoire
de son développement économique, sous la direction de Jiang Zemin. Les opposants
aux réformes avaient en effet été réduits à une minorité au sein du Parti, ce qui lui
permit de faire entrer le pays dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC),
désormais vue comme une opportunité. 20 Et le calcul s’avéra correct alors que la
balance commerciale affichait déjà des excédents record dès 2005.21
Toutefois, l’entrée dans le marché mondial exposait désormais le pays aux crises
économiques mondiales. La Chine fut ainsi touchée par la crise de 2008 qui affecta
davantage la population migrante : 20 à 30 millions de migrants ruraux se
retrouvaient sans emploi en mars 2009.22
18
LU R.-C., op.cit., p.63.
SOLINGER D., “Chinese Urban Jobs and the WTO”, The China Journal, 2003, n°49, pp.64-65.
20
PAULES X., op.cit.
21
« Balance commerciale, Chine », Perspective Monde : Université de Sherbrooke, [accès en
ligne],http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=CH
N&codeStat=NE.RSB.GNFS.CD&codeStat2=x, dernière consultation le 20 février 2015.
22
FIX M., et al, Migration and the Global Recession, Washington D.C.: Migration Policy Institute,
2009, pp.40-51.
19
12
DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET MIGRATIONS INTÉRIEURES
A. LES MIGRATIONS À TRAVERS LE TEMPS 23
1. Période pré-réformes : migrations « empêchées » et migration ordonnées
Mis en place en 1958, le système d’enregistrement des ménages (le système du
hukou), qui sera discuté dans le chapitre suivant, empêchait le libre déplacement de
la population en dehors de son lieu d’origine : « In the pre-reform era, it was
extremely difficult for Chinese people to move to and seek employment in a city other
than their registered residence. »24
Alors que la Chine était en proie à une pénurie de céréales, les autorités voulaient à
tout prix éviter un exode rural, mais également maintenir l’ordre dans les zones
urbaines, tenant à l’écart les paysans considérés comme « menaçants » à cet égard.25
« L’objectif du PCC était d’empêcher l’apparition d’énormes conurbations – et de
nombreux problèmes associés à une très forte concentration de populations
urbaines. »26
Dès les années 1960, apparaissent par ailleurs des migrations ordonnées voire
forcées et cette fois-ci vers les zones rurales, processus que le gouvernement chinois
avait entamé afin de contrer l’urbanisation. Des citadins furent envoyés à la
campagne suite à des pénuries alimentaires dans les villes (de 1959 à 1961), un
chômage et une croissance démographique trop importants : près de 20 millions de
fonctionnaires ainsi que 26 à 28 millions de citoyens originaires du milieu urbain
furent ainsi déplacés vers les campagnes.27
Les effets seront immédiats avec une diminution du taux de croissance de la
population urbaine de 4,4% par an jusqu’en 1965. 28 Par la suite, la Révolution
23
Classification reprise dans : ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d) « Routes migratoires et
circulations en Chine : entre mobilités intracontinentales et transnationalisme », Revue européenne des
migrations internationales, 2004, vol. XX, n°3, pp.9-13.
24
LU H., The Right to Work in China: Chinese Labor Legislation in the Light of the International
Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Cambridge: Intersentia, 2011, p.121.
25
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit.
26
BENSON L., op.cit., p.129. Le terme conurbation y est défini comme étant une « Zone urbaine
densément peuplée qui inclut une grande ville, sa grande banlieue et de petites localités ».
27
WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford,
California: Stanford University Press, 2005, p.47.
28
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit.
13
culturelle sera à l’origine de l’envoi de près de 17 millions de « jeunes citadins
instruits » dans les campagnes ( 山 乡, shangshan xiaxiang).29
2. Fin 1970 – début 1980 : migrations ordonnées, limitées et intraprovinciales
Les réformes économiques ont été à l’origine de nouvelles migrations limitées vers
les villes, grâce au relâchement des restrictions de déplacement et l’autorisation de
résider temporairement en ville, à travers un certificat. Les campagnes entrant dans
une phase de « décollectivisation », les terres appartenaient désormais aux familles
qui en reprenaient la gestion, tandis que les autorités les encouragèrent à en accroître
le rendement via l’industrialisation. La surabondance de la main-d’œuvre agricole et
ce nouveau « système de responsabilité familiale » (家庭承包制 , jiating chengbao
zhi), soit le début du démantèlement des communes populaires 30 , incitèrent les
résidants ruraux à créer des entreprises locales31, dans leur canton ou province, soit, à
« quitter la terre sans quitter la campagne » (离土不离乡, litu bu lixiang) :
« In 1983, the government began to allow farmers to engage in long distance
transport and marketing of their products in cities. In 1984 the State started to
encourage farmers to leave agricultural production and, where appropriate, to work
32
in nearby small towns. »
Ces migrations intraprovinciales sont ainsi limitées à un espace restreint qu’est le
canton ou la province.33
3. Dès 1985 : migrations organisées, volontaires, et intracontinentales
Progressivement, avec l’assouplissement du système d’enregistrement, les migrations
s’étendirent à toute la Chine continentale. Les autorités favorisaient ainsi des
mouvements migratoires larges et ouverts, intracontinentaux ou interprovinciaux,
WANG J., Les migrations intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris : L’Harmattan, 2012,
p.32 ; PAULES X., op.cit., pp.12-13 ; pp.52-53.
30
(人民公社, renmin gongshe) Ce mode d’organisation productrice fut définitivement supprimé en
1983 dans toute la Chine. Désormais « débarrassés du joug qui les asservissait à la terre », les
ménages s’engageaient directement auprès de l’État, retrouvant ainsi une liberté quant à la production
et leur choix professionnel. In : WANG J., op.cit., p.36.
31
Celles-ci purent absorber une grande partie de la main-d’œuvre excédentaire jusqu’à la moitié des
années 1990. À partir de cette période, ces entreprises non agricoles connurent un ralentissement en
raison de la concurrence des entreprises urbaines. Ainsi, l’emploi rural n’était plus assuré que pour la
moitié des travailleurs. In : FROISSART C., op.cit., p.76.
32
YANG D. T., ZHOU H., “Rural – Urban Disparity and Sectoral Labour Allocation”, in COOK S.,
MAURER-FAZIO M. (eds), op.cit., p.120.
33
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (a) « Inégalités, disqualification sociale et violences
symboliques à Shanghai : l’accès à l’emploi urbain des provinciaux », Journal des anthropologues,
2004, n°96-97, pp. 234-236.
29
14
incitant cette fois à « quitter la terre et la campagne » ( 离 土 又 离 乡 , litu you
lixiang).34 :
« A major policy reform took place in 1988, when the central government officially
relaxed the controls over labour flows. It was announced that farmers could move to
cities if they could provide their own staple and were financially capable of running
business. This was a landmark deregulation which removed the legal restrictions on
rural-to-urban migration. »35
À côté des migrations volontaires, un système de migrations organisées a par ailleurs
été établi dans le but de lutter contre la pauvreté à travers le développement de
marchés de l’emploi dans les villes, visant en particulier la population migrante
venant de l’Ouest de la Chine. Il s’agissait toutefois d’un autre type de dispositif de
contrôle dans lequel des acteurs publics et privés étaient impliqués dans sa mise en
œuvre. En effet, les agences d’emploi intermédiaires bien qu’indépendantes restaient
sous le contrôle du Bureau du travail local afin d’assurer la protection des marchés
d’emploi réservé à la population urbaine.36 En outre, sous condition d’enregistrement
auprès de la sécurité publique, la location d’habitations privées ou de chambres
d’hôtes était dorénavant autorisée pour les migrants, ce qui favorisa davantage leurs
séjours en ville.37
4. Années 1990 : mouvement migratoire intensif
Dans les années 1990, les migrations individuelles et volontaires prirent une telle
ampleur que l’on pouvait qualifier le mouvement comme intensif, les autorités et les
médias le décrivant même telle « une vague de migrants » (民工潮, mingongchao).38
À titre indicatif,39 en 1992, le nombre de travailleurs migrants dans les villes était
estimé à 46 millions.40 Les migrations interprovinciales sont, elles, passées de 9,2
millions en 1990 (soit 0,81% de la population totale) à 32,3 millions en 2000 (soit
34
Ibid.
YANG D. T., ZHOU H., op.cit.
36
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d) op.cit.
37
SOLINGER D., Contesting Citizenship in Urban China: Peasant Migrants, the State, and the Logic
of the Market, Berkeley: University of California Press, 1999, p.50, cité dans : FROISSART C.,
op.cit., p.72.
38
FROISSART C., op.cit., p.87.
39
Il convient de souligner que le phénomène des migrations en Chine, d’un point de vue numérique,
est difficilement estimable. Les recensements nationaux ou diverses études présentent des obstacles
tels que : la définition du migrant en termes spatio-temporels mais aussi en termes de classification
des types de migration selon, entre autres, l’objectif, l’origine, le type de hukou ; le caractère officiel
ou non de la migration ; la représentativité ; …et la terminologie désignant les migrants qui prête aussi
à confusion. In : Id., pp.87-90.
40
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (c) op.cit.
35
15
3% de la population totale).41 L’on peut en outre noter qu’au début de la décennie
1990, les migrations (dont 70 à 80% se faisaient vers des villes moyennes et grandes)
concernaient principalement des jeunes hommes seuls à la recherche d’un emploi
temporaire. Ensuite, vers le milieu des années 1990, les migrations féminines et
familiales connurent une augmentation ; de même la durée et la distance des séjours
se sont allongées. La fréquence des migrations s’est également accrue, ne se limitant
plus au rythme des activités agricoles.42
B. L’APPEL DE LA VILLE OU LE REJET DE LA CAMPAGNE
À partir de 1992, les villes côtières et mégalopoles telles que Shanghai et Pékin
nécessitèrent une importante main-d’œuvre rurale pour mener à bien les projets
économiques et d’infrastructures de grande envergure qui y étaient lancés.
Wang note à ce propos : « Cette situation correspond parfaitement au modèle de
Lewis (1954), selon lequel le secteur traditionnel (agricole) fournit de nombreux
travailleurs à bas prix au secteur moderne qui est le moteur essentiel du
43
développement économique. »
D’une part, les paysans étaient encouragés à rejoindre la ville car, en raison d’un
changement dans le système d’enregistrement des ménages (cf. infra), elle était
désormais à leur portée. D’autre part, la situation dans le milieu rural ne leur laissait
guère de choix : privatisation des terres, forte pression démographique, manque de
terres arables… Les campagnes n’offraient plus suffisamment d’opportunités, ainsi
la main-d’œuvre excédentaire (estimée entre 100 et 150 millions de personnes
pendant la première moitié des années 1990)44 partait en masse pour la ville où des
emplois dans divers domaines étaient disponibles. En outre, le métier agricole n’avait
plus rien d’attrayant comparé aux rémunérations nettement plus élevées qu’offraient
le milieu urbain.45
Les revenus dans les villes étaient en moyenne deux fois plus élevés que dans les
campagnes. De plus, les conditions de vie dans les régions intérieures du pays étaient
encore parfois rudes et pauvres, en termes d’accès à des services de base tels que
CHAN, K. W., “China, Internal Migration”, in Immanuel Ness and Peter Bellwood (eds.), The
Encyclopedia of Global Migration, Blackwell Publishing, 2013, 3444 p.
42
FROISSART C., op.cit., p.91.
43
WANG J., op.cit., p.37.
44
SOLINGER D., op.cit., p.155, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.74.
45
HUANG P., « Problématique rurale et développement inégal en Chine », in Le miracle chinois vu
de l’intérieur, Louvain-la-Neuve – Paris : Centre tricontinental – Éditions Syllepse, « Alternatives
Sud », 2005, vol.XII, pp.49-75.
41
16
l’électricité, l’instruction primaire ou encore les soins de santé. À cela s’ajoutaient
également des problèmes de corruption des fonctionnaires locaux dont les paysans
étaient victimes à coup de prélèvements abusifs.46
Les impôts dans les zones rurales ont par ailleurs toujours été plus élevés que dans
les zones urbaines :
« China had long been an agricultural nation in the history, and agricultural tax had
contributed a lot to the government’s fiscal budget in the past. [...]Since the
foundation of the People’s Republic of China, to promote China’s industrialization,
the farmers had been levied on heavy agricultural tax. In 1950, the agricultural tax
contributed to 39% of the national fiscal revenue. The taxes levied on agricultural
sectors include three components –the agricultural tax, taxes on special agricultural
products and agricultural surtax. »47
Une étude de 1995 a révélé que l’ensemble des impôts, taxes et cotisations auxquels
étaient soumis les ruraux correspondaient à une somme 30 fois plus élevées que pour
les citadins.48
C. UNE POPULATION FLOTTANTE GRANDISSANTE ET INVASIVE
Dans les années 1990, de plus en plus de jeunes issus des zones rurales migrèrent
donc vers les villes afin d’y trouver un emploi temporaire dans la construction, par
exemple – nous verrons dans notre étude de cas que certains marchés leur étaient
fermés. Logés sur place dans des abris éphémères, ces travailleurs se déplaçaient de
site en site, au gré des opportunités. Malgré sa contribution au développement urbain,
cette « population flottante » n’était pourtant pas bien reçue par la population locale,
souvent décriée pour son comportement et accusée de menus larcins. Les migrantes,
elles, étaient pointées du doigt pour échapper au contrôle des naissances :
« Lorsque des femmes vinrent grossirent les rangs, elles furent à leur tour
considérées comme des fauteuses de troubles. Comme ces femmes échappaient aussi
au contrôle du comité de planning familial de leur village, les fonctionnaires virent
en elles de possibles contrevenantes à la politique de l’enfant unique, même si
49
aucune statistique ne venait le confirmer. »
46
BENSON L., op.cit., pp.112-113.
WANG X., SHEN Y., “The effect of China's agricultural tax abolition on rural families' incomes
and production”, China Economic Review, 2014, vol.XXIX, pp.185-199.
48
FABRE G., Chine: Le piège des inégalités, Dossier de la Documentation Française, n°834, février
2000, p.37, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.77.
49
BENSON L., op.cit., p.130. Voir également note n°259.
47
17
Bientôt, cette population fut rejointe par les travailleurs licenciés suite aux
privatisations et faillites d’entreprises publiques.50 Notons par ailleurs que cet afflux
d’ouvriers non qualifiés, considéré comme invasif, était un sujet fort médiatisé à
l’époque, en particulier sous les rubriques relatives à l’ordre et la sécurité des milieux
urbains.51
Soulignons que, contrairement à ce qui a pu être décrit, les migrants ne représentaient
pas une concurrence sur le marché de l’emploi dans la ville, car ils occupaient, dans
un premier temps, des postes « sales, dangereux et éreintants », méprisés par les
citadins et pourtant nécessaires au développement économique. Les secteurs du
bâtiment, des mines, des travaux publics, de l’industrie chimique et des travaux
d’hygiène publique étaient les plus concernés. Par la suite les travailleurs migrants
ont également été employés dans la restauration et l’hôtellerie, le commerce de détail
et instituts de beauté, répondant ainsi à une demande croissante de la population
urbaine dont le niveau de vie se développait peu à peu.52
D. PREMIÈRE LÉGISLATION NATIONALE DU TRAVAIL : RUPTURE IDÉOLOGIQUE
En 1994, les autorités votèrent la première loi nationale relative au travail et aux
droits des travailleurs, un événement sans précédent dans l’histoire de la République
populaire de Chine. La loi établissait des principes fondamentaux en termes de
relations contractuelles et redéfinissait le rôle de régulateur qui incombait à l’État.
Quant aux travailleurs, ils jouissaient désormais des droits suivants : le droit d’être
rémunérés pour le travail presté, le droit à des jours de repos et aux congés, le droit à
un environnement de travail sûr et le droit à une assurance sociale. Toutefois, dans la
pratique, ces droits demeuraient les plus couramment violés. Il fut également décidé
l’établissement d’un système de salaire minimum, dont le niveau devait être fixé par
les provinces. Enfin, la loi établissait des mesures de protection envers les femmes,
afin, entre autres, qu’elles ne puissent faire l’objet de discrimination tant lors du
recrutement qu’en termes salariaux.53
50
Id., pp.129-131.
HUANG P., op.cit., p.52.
52
FROISSART C., op.cit., p.71.
53
LEE C.-K., Against the Law: Labor Protests in China’s Rustbelt and Sunbelt, Berkeley: University
of California Press, 2007, pp.45-46.
51
18
Dans un sens, le fait même de la création de la loi équivalait à reconnaître que les
travailleurs, se trouvant en position inférieure vis-à-vis de l’employeur, nécessitaient
désormais d’être protégés. Leur relation n’était donc plus égale et harmonieuse
comme le voulait l’idéologie socialiste. Il est également intéressant de noter que la
loi ne faisait plus de distinction entre les travailleurs selon le type d’entreprise qui les
employait ; ils étaient dorénavant tous placés sur un pied d’égalité face à la
législation :
« […] the Labor Law abolishes previous distinctions among workers in different
types of enterprises – for example, state, collective, private, migrant, temporary, or
permanent – and provides a uniform framework as well as setting labor standards
that are applicable to all workers in all types of enterprises. » 54
Enfin, la loi sous-entendait que l’État ne serait plus responsable pour les aides et
assurances sociales du travailleur, déléguant cette charge à l’employeur et aux
travailleurs eux-mêmes.55
E. POLITIQUES CENTRALES ET POLITIQUES LOCALES
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les politiques de l’État central en Chine
ne sont pas toujours automatiquement et aisément appliquées à tout le territoire.
Fin 2000, constituée en grande majorité (près de 90%) d’une main-d’œuvre rurale
non qualifiée à la recherche d’emploi non agricole, la population flottante s’élevait à
80 millions de personnes dans les centres urbains et aux alentours. En outre, suite,
entre autres, à la crise asiatique de 1997, il était de plus en plus difficile d’obtenir un
emploi, même les plus précaires se faisant rares. Face au taux de chômage record
(officiellement 6,19 millions de chômeurs, dont une majorité de moins de 35 ans et
7,69 millions de travailleurs licenciés)56 et à la pression engendrée par les migrants
« mobiles » dans les villes 57 , Pékin prit des mesures à travers son nouveau plan
quinquennal afin de mitiger les conséquences liées à la présence de la population
54
Id, p.45.
Id., pp.45-46. Nous verrons dans le chapitre second les différents types d’assurances et la part de
responsabilité de l’employeur et du travailleur dans le système de cotisation, ainsi que les inégalités
inhérentes à cette nouvelle pratique.
56
Ces deux chiffres sont parfois combinés, ainsi au total le nombre de travailleurs sans emploi était
estimé entre 19 et 30 millions de personnes à la moitié de l’année 2001. In : HUANG P., op cit., p.64 ;
LEE C.-K., op.cit., p.49
57
L’on peut également ajouter que l’écart de revenus entre les campagnes et les villes s’était
davantage creusé dans les années 2000 (le salaire des travailleurs urbains était quatre fois plus élevé
que dans les campagnes), et la population rurale représentait désormais moins de la moitié de la
population totale chinoise. In : BENSON L., op.cit., p.136.
55
19
flottante, mais également afin d’atténuer les désavantages auxquels celle-ci était
exposée en raison du système discriminatoire. Le plan prévoyait notamment la mise
en place d’un marché national du travail unifié, la suppression des quotas visant à
limiter l’afflux de main-d’œuvre et l’instauration d’un système d’inscription de la
main-d’œuvre afin de faciliter l’obtention d’emploi et de sécurité sociale. Toutefois,
en raison de la divergence d’intérêts au sein des différentes divisions administratives,
il n’était pas aisé pour l’autorité centrale d’imposer ces nouvelles politiques à une
échelle nationale. Des différends ont ainsi conduit les autorités locales à imposer tout
de même des contraintes aux migrants telles que l’investissement d’un capital ou la
détention d’un diplôme supérieur.58
Ceci dit, nous verrons dans le chapitre suivant un cas contraire, où les autorités
décentralisées ont été plus loin que la législation nationale, en faveur des migrants
cette-fois ci.
CONCLUSION
Comme nous venons de le voir, la Chine a connu des transformations majeures dès la
fin des années 1970. Au niveau de son modèle économique d’abord, cela s’est traduit
par la mise en place des « Quatre Modernisations », notamment la modernisation
industrielle. Afin de rattraper le retard accumulé sous Mao en favorisant les
investissements
étrangers et
les échanges
technologiques,
des
zones
de
développement furent instaurées tout au long de la côte est du pays. Au début de la
décennie quatre-vingt-dix, les villes intérieures furent à leur tour visées par les
réformes afin de soutenir le mouvement national. Malgré la transition délicate qui
signifiait le sacrifice de certains, la Chine parvint finalement à s’imposer sur la scène
économique mondiale dès le milieu des années 2000.
Parallèlement aux réformes, nous avons étudié l’évolution des flux migratoires. De
l’interdiction de circuler librement sur le territoire chinois, les réformes ont permis
progressivement un relâchement du système qui régit les déplacements intérieurs,
permettant peu à peu aux travailleurs ruraux de chercher de l’emploi en ville jusqu’à
atteindre des proportions élevées en termes de distance, de durée et de fréquence. Les
migrants étaient d’une part attirés par la ville, ses opportunités d’emploi et de
58
HUANG P., op.cit., pp.53-63.
20
revenus plus élevés. D’autre part, les multiples difficultés rencontrées en zones
rurales ne faisaient que les pousser vers les centres urbains. Pourtant, les emplois
temporaires ne leur offraient que peu de commodité, les postes occupés étaient en
général les plus pénibles et les citadins ne montraient à leur égard que du mépris et
de la suspicion. Afin de réguler les relations de travail et protéger les migrants de
pratiques abusives, une législation nationale du travail vit le jour en 1994. Celle-ci
fut en quelque sorte le témoin de la transformation idéologique de la société chinoise,
entérinant en outre le retrait de l’État de l’agenda social. Enfin, nous avons souligné
le pouvoir de décision que les autorités locales détiennent en matière de gestion de la
migration. Parfois, ces dernières peuvent ainsi aller à l’encontre d’une décision prise
au niveau central.
Dans le chapitre suivant, nous reviendrons sur l’origine du système qui régule les
mouvements migratoires avant d’analyser plus en détails les inégalités qui en
découlent.
21
CHAPITRE SECOND : LE SYSTÈME DU HUKOU À
L’ORIGINE D’UNE SÉGRÉGATION ET D’INÉGALITÉS
Après avoir brièvement présenté le contexte des réformes économiques et l’essor des
flux migratoires vers les villes, dans ce second chapitre, nous nous attardons tout
d’abord sur l’évolution historique du système du hukou qui est, selon notre
hypothèse, la cause principale de la ségrégation et des inégalités dont les migrants
ruraux sont victimes. Nous remontons jusqu’en Chine ancienne aux origines du
système et relevons trois caractéristiques qui sont encore présentes actuellement.
Nous présentons le système à l’époque de la Chine populaire maoïste et les
adaptations qu’il connut durant l’ère des réformes économiques parallèlement à
l’intensification des flux migratoires. Nous terminons cette première partie en
relatant des initiatives en faveur des migrants prises non seulement au niveau central
mais également au niveau local, ce qui laisse penser à certains que le système du
hukou s’assouplit peu à peu. Toutefois, nous remettons ces jugements en question
dans la deuxième partie en détaillant des inégalités qui subsistent. Les thèmes
suivants y sont abordés: conditions de travail, sécurité sociale, santé, instruction
scolaire. Enfin, nous étudions la question des enfants et autres proches laissés
derrière, une conséquence qui découle de la difficulté des migrants à les emmener en
ville, pour les raisons que nous exposons précédemment.
LE SYSTÈME DU HUKOU
Comme nous l’avons déjà laissé entendre, les mouvements de la population ont
toujours été régulés et contrôlés par le gouvernement chinois. L’outil utilisé à ces
fins est appelé en chinois le hukou ( 户 口 , littéralement le « foyer » et ses
« membres », aussi appelé 户 籍 , huji) et consiste en un système administratif
d’enregistrement des ménages. Chaque citoyen dispose d’un livret dans lequel sont
reprises les informations suivantes à son sujet : la date et le lieu de naissance, le lieu
d’enregistrement, la nature agricole ou non-agricole du hukou, le niveau
d’instruction et la profession exercée,… Aussi anodin paraît-il, ce système est
pourtant à l’origine d’une ségrégation entre les populations rurale et urbaine,
privilégiant la seconde. Ainsi, selon le type de hukou dont un citoyen dispose, les
22
droits qui lui sont conférés diffèrent.59 « China’s hukou system has created “internal
migrant workers” who have problems similar to those encountered by cross-border
migrant workers. » 60 Revenons d’abord brièvement sur l’origine du hukou et
analysons ensuite la façon dont il a permis au régime d’industrialiser le pays tout en
évitant l’urbanisation.61
A. UN HÉRITAGE DE LA CHINE ANCIENNE
La dynastie des Xia (夏朝, Xia chao, XXI-XVIe siècle av. J.-C.) aurait été la première
à instaurer un système de recensement de la population et d’enregistrement des
ménages. Celui-ci permettait en particulier le contrôle social et la mise en œuvre du
système d’imposition. Toutefois, le système qui se rapproche davantage du hukou
actuel et dont les historiens ont pu trouver des traces est le baojia (保甲, un « bao »
correspondant à dix « jia » qui à leur tour représentent chacun dix foyers), un
système de « responsabilité mutuelle et collective » mis en place à la fin de la
Période des Printemps et Automnes (春秋, chunqiu VIII-Ve siècle av. J.-C.). À cette
époque déjà, il répertoriait la population selon le lieu de résidence et entravait la
migration intérieure.62
Le baojia fut ensuite repris par le Royaume des Qin ( 秦 ) durant la Période des
Royaumes combattants ( 战 国 , zhanguo, V-IIIe siècle av. J.-C.), organisant les
familles en collectivités responsables devant l’État. Le contrôle social était assuré via
un système de surveillance liant directement les foyers et clans à l’État central. Si
une personne du clan venait à enfreindre la loi ou à migrer illégalement, l’ensemble
des foyers appartenant à celui-ci se voyaient punir de la même manière.63
59
FROISSART C., op.cit., pp.47-48.
LU H., op.cit., p.122. Il est à noter que la Chine n’a pas été seule à restreindre la mobilité de ses
citoyens sur base de leur lieu d’origine. En 2001, une étude recensait au moins 33 pays dans le monde
dans lesquels un système similaire a exclu différents groupes de la population. In : WANG F.-L.,
op.cit., p.152, cité dans : WANG J., op.cit., p.43. Pour plus d’information sur l’étude, voir : FUSSELL
J., “Group Classification on National ID Cards as a Factor in Genocide and Ethnic Cleansing”, in:
Seminar Series of the Yale University, Genocide Studies Program, New Haven, 2001, [online]:
http://www.preventgenocide.org/prevent/removing-facilitating-factors/IDcards/, dernière consultation
le 3 mai 2015.
61
FROISSART C., op.cit.
62
WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford,
California: Stanford University Press, 2005, p.42.
63
FROISSART C., op.cit., pp.48-49. Notons que le baojia fut également utilisé par le Parti
nationaliste (de 1927 à 1949) dans le cadre de sa lutte contre l’ennemi, les partisans communistes. In :
WANG F.-L., op.cit., pp.41-42.
60
23
À coup de levée d’impôts et de sanctions sévères pour les contrevenants, le baojia
permit aux Qin de s’imposer aux autres Royaumes. Le système fut alors rendu
obligatoire à tout le territoire lors de la réunification en 221 av. J.-C., sous l’égide du
premier empereur chinois, Qin Shi Huang (秦始皇). Le système fut toutefois révisé,
d’autres mécanismes de contrôle social furent imposés : chaque citoyen devait
désormais rapporter aux autorités son lieu de résidence, âge, genre et profession. Ces
informations étaient vérifiées trois fois par an et tout changement devait d’abord être
approuvé par les autorités avant de pouvoir se déplacer dans une autre localité. Les
migrants illégaux, désignés sous le terme de « fugitifs » (亡民, wangmin), risquaient
de cruels châtiments.64
B. DES CARACTÉRISTIQUES ENCORE PRÉSENTES AUJOURD’HUI
Les différentes dynasties qui ont succédé à l’ère des Qin ont amené des changements
dans le système d’enregistrement tantôt plus strict, tantôt plus souple, gardant
cependant les mêmes objectifs relatifs à la levée d’impôts (officiellement jusqu’en
1772), au contrôle social et à la stratification de la population. Le système a
également permis aux autorités de réguler les migrations intérieures et disposer de la
population comme bon leur semblait :
Par exemple, de 1683 à 1796, plus d’un million de paysans du Huguang (ancienne
province qui unissait celles actuelles du Hubei et Hunan) furent envoyés dans la
province du Sichuan dans le cadre d’une campagne de récupération des terres fertiles
65
qui avaient été dévastées par les guerres et les fléaux.
Nous ne détaillerons pas ici tous les changements, mais noterons tout de même trois
évolutions, parmi d’autres, qui ont perduré dans le temps et qui sont encore adoptées
actuellement par le Parti communiste :66
1. La protection des données recueillies : sous la dynastie des Song (宋朝, Song
chao, X-XIIe siècle), cinq façons de recueillir les informations relatives au hukou ont
été développées. En outre, ces dernières étaient classées secret d’État.67
64
Id., pp.32-35.
SUN X.-F., Qingdai qianqi de yimin tian sichuan (Moving people to fill up Sichuan in early Qing
Dynasty), Chengdu: Sichuan University Press, 1997, pp.26-28. Cité dans : WANG F.-L., op.cit.,
pp.39-40.
66
Ces trois caractéristiques sont reprises dans : WANG F.-L., op.cit., pp.38-39.
67
Actuellement cela concerne en particulier les « populations ciblées » (cf. infra). Les informations
rassemblées sont classées secrètes, et les manuels de police insistent sur cet aspect. In : WANG F.-L.,
op.cit., pp.106-107.
65
24
2. L’usage d’un livret : c’est à la dynastie des Ming (明朝, Ming chao, XIVXVIIe siècle) que l’on doit le livret de résidence (户帖, hutie) sur lequel figurent des
numéros de série. Ancêtre du livret utilisé actuellement ( 户口簿 , hukoubu, aussi
appelé 户口本, hukouben), il permettait aux familles de disposer d’une copie de leur
registre officiel (cf. Annexe 2).
3. Les inégalités inhérentes au hukou : le système impérial induisait déjà des
traitements différents selon la catégorie à laquelle appartenait la population. Par
exemple, dans les registres datant de la dynastie des Ming et des Qing ( 清朝, Qing
chao, XVII-XXe siècle), les ménages étaient classés en différentes catégories suivant
la profession exercée. Il existait alors, pour les personnes ordinaires, quatre types de
hukou : militaires, paysans, commerçants ou artisans. Bien que le statut fut égal au
regard de la loi pour ces quatre catégories, différents traitements leur étaient réservés
notamment concernant le droit de circuler. Il en était de même pour celles qui
existaient au niveau des classes inférieures (bien qu’il fût aboli sous les Qing, les
discriminations
subsistèrent).
Toutefois,
le
système
impérial
n’excluait
principalement que des groupes minoritaires et marginaux, et non une majorité de la
population comme c’est le cas avec le hukou actuel qui pénalise l’ensemble de la
population rurale (cf. infra).68
C. LE SYSTÈME DU HUKOU SOUS LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE
La fonction fiscale du hukou fut finalement restaurée à partir de 1949 par le Parti
communiste chinois (PCC) qui réussit à l’imposer à nouveau à toute la Chine
continentale à travers l’économie centrale planifiée :
« Only the PRC after 1949 in a central-planning economy, managed to nationally
restore and greatly enhance the economic function of the hukou system, turning it
into a full blown institutional exclusion [that] allow[ed] the government to extract
enormous value from the excluded majority of the Chinese people. »69 « One study
estimates that Beijing extracted about 600 million RMB from the excluded peasants
in the 1950 – 80s, equivalent of the PRC’s total fixed capital investment in the thirty
years. »70
Quant à la migration intérieure, elle était d’abord librement autorisée, les premières
lois régissant le système provenaient directement de celles en vigueur dans la Chine
68
Id., p.39.
Id., p.40.
70
CHENG T., 1992, cité dans : Id., p.215.
69
25
nationaliste. Notons que, avant même la création de la République populaire, le Parti
communiste avait organisé l’enregistrement des ménages dans les zones libérées en
se référant au système mis en place par le Parti nationaliste. Et en 1948, les premiers
hukou urbains étaient déjà délivrés dans la région nord-est du pays. Dès l’année
suivante, le Parti communiste établit des règles spécifiques pour les gouvernements
locaux des zones métropolitaines telles que Pékin et Shanghai, afin que ceux-ci se
chargent de la gestion locale du système.71
Une des raisons principales qui a poussé le Parti communiste à maintenir le système
du hukou est sa contribution à l’ordre social grâce à la division hiérarchique
centralisée de la société. Les données enregistrées sur chaque citoyen permettaient au
régime de garder un œil sur les ennemis et autres « personnes douteuses ». Le
système fonctionnait bien : dès la première année du régime, ils furent
respectivement près de 14.000 et plus de 24.000 à être retrouvés à Pékin.72
À la suite de la création du Ministère de la Sécurité publique, les premiers règlements
relatifs à la gestion nationale du hukou virent le jour et les autorités annoncèrent leur
intention de l’instaurer progressivement en commençant d’abord par les villes.
L’objectif du système avait également été publié : « to maintain social peace and
order, safeguard the people’s security, and protect their freedom of residence and
movement. »73 Bien que libres de circuler, les citoyens urbains devaient tout de même
obtenir une autorisation officielle avant de pouvoir se déplacer.
En 1953, les premiers hukou ruraux firent leur apparition. Enfin, deux années plus
tard, le système du hukou permanent fut établi et le Ministère de la Sécurité publique
désigné pour l’entièreté de sa gestion, à l’aide de ses bureaux locaux et postes de
police implantés aussi bien dans les zones urbaines que rurales. En parallèle, une
politique centralisée de l’achat et la vente des grains (统购统销, tonggou tongxiao)
fut mise en œuvre, privilégiant les citoyens urbains dont la ration était garantie et à
un prix fixe. Cette politique annonçait déjà la discrimination dont les paysans étaient
amenés à souffrir, notamment lors du « Grand Bond en avant ».
74
Au début de
71
Id., pp.42-43.
Id., p.44.
73
Id. pp.44-45.
74
Mis en place de 1958 à 1961, ce mouvement économique aurait coûté la vie à trente millions de
personnes, essentiellement dans les campagnes. Durant cette période, les paysans furent mis à rude
épreuve afin de remplir les quotas réclamés par l’État et destinés à alimenter les populations urbaines.
72
26
l’année 1958, le système du hukou entra finalement en vigueur dans tout le pays lors
de l’adoption des « Règlements sur l’Enregistrement du Hukou » par le Comité
permanent de l’Assemblée populaire nationale.
75
Accompagnés d’un « Avis
additionnel sur les directives visant à mettre fin aux mouvements aveugles de la
population rurale [盲流, mangliu] », les règlements avaient explicitement l’intention
de restreindre la circulation des citoyens et en particulier la migration vers les zones
urbaines.76
D. UN INSTRUMENT DE CONTRÔLE SOCIAL AVANT TOUT
Comme nous l’avons déjà mentionné, bien que le système contribuât au contrôle de
la migration intérieure, à l’allocation des ressources, ou encore à des fins
démographiques77, les autorités ont cependant davantage insisté sur sa fonction dans
le domaine de la sécurité publique. Ainsi, dans les « Huit Mesures pour la Gestion de
la Sécurité publique », publiées par le Ministère de la Sécurité publique en 1959,
mais également dans les « Dix Mesures pour la Sécurité publique », promulguées par
le Parti communiste en 1962, il était souligné qu’un renforcement du rôle du hukou
dans le maintien de l’ordre publique était nécessaire, notamment via la gestion des
« populations ciblées ».
En chinois 重 点 人 口 (zhongdian renkou), ces populations, considérées comme
potentiellement menaçantes envers le régime, se voient attribuées des catégories
spéciales de hukou (actuellement au nombre de cinq, allant de « menace pour la
sécurité nationale » à « utilisateurs de stupéfiants ») et sont surveillées par les polices
en charge du hukou, mais également via les « informateurs secrets » locaux. Cette
pratique remonte à la dynastie des Qing. 78
Dans les documents officiels du Parti, le système du hukou est en outre répertorié
sous les rubriques « Sécurité publique », « Ordre social » et « Administration
publique ». Au cours des années 1960, les migrations ordonnées voire forcées vers
les campagnes, orchestrées à travers des mesures administratives, avaient ainsi eu
Des résultats gonflés concernant les récoltes et des mauvaises pratiques imposées par les cadres
locaux furent en partie responsables des famines qui frappèrent les zones rurales trois années de suite.
BENSON L., op.cit. pp.63-68.
75
WANG F.-L., op.cit., p.45.
76
LU H., op.cit., p.121.
77
“The moderate urban population growth from 10.6 per cent in 1949 to 17.9 per cent in 1978 reflects
the sectoral labour mobility restrictions.” In: YANG D. T., ZHOU H., op.cit., p.120.
78
WANG F.-L., op.cit., pp.101-109.
27
pour objectif de maintenir un contrôle social, menacé par une urbanisation trop
rapide et une pression sur les rations alimentaires allouées par l’État.79
Bien que mis à l’épreuve à deux reprises et en proie à de nombreuses campagnes
politiques durant l’ère maoïste, le système du hukou fut maintenu et son rôle dans le
contrôle social et l’exclusion institutionnelle davantage renforcé :
« For three decades (1960s-1980s), the hukou system affixed the workers to their
danweis (work units) and communes, respectively in the cities and the countryside,
reduced labor mobility to a minimum, halted China’s urbanization, and created a
deep, comprehensive discrimination against the majority rural residents. »80
Seules quelques façons permettaient aux ruraux d’outrepasser le système et devenir
citoyens urbains (cf. Annexe 3) : l’instruction supérieure ( 学, shangxue, il fallait
pour cela passer par un processus de sélection défini par les autorités, et, à partir de
1977, réussir l’examen d’entrée national, très compétitif), le service militaire (参军,
canjun, l’accession au rang d’officier octroyait automatiquement un hukou urbain), le
mariage (certains arrangements pouvaient donner lieu à un changement de hukou)81,
et surtout, l’emploi civil (招工, zhaogong, le recrutement était toutefois étroitement
contrôlé) :
« The civilian job recruitments were the largest source of agricultural to nonagricultural conversions, but they were strictly controlled by labour bureaus
because the state had to provide the individuals with food rationing, housing,
medical care, fuel, and other urban privileges. Through these institutional barriers,
82
the government effectively controlled the sectoral allocation of labour. »
E. LE HUKOU À L’ÈRE DES RÉFORMES
À partir de 1978, les réformes économiques entreprises sous Deng Xiaoping ont
mené à des adaptations du système du hukou. Certaines mesures ont été initiées par
le gouvernement à différents niveaux afin de l’accommoder aux vagues de
migrations spontanées, constituant la « population flottante », et de migrations
illégales. L’essor économique de la Chine constituait en effet une opportunité
d’urbanisation rapide, en particulier après les années 1990, et l’État se devait de
renforcer la gestion du système. 83 Les autorités faisaient preuve d’ambivalence
79
Id., p.46.
Id., p.47.
81
Id., pp.47-48.
82
YANG D. T., ZHOU H., op.cit., p.119.
83
WANG F.-L, op.cit, p.49.
80
28
envers les migrations intérieures. Reconnaissant que celles-ci étaient inévitables
voire nécessaires afin d’assurer le développement urbain et la croissance
économique, l’État était contraint de les autoriser, tout en voulant garder le contrôle
de ces populations, en particulier dans les grandes villes.84
Notons également que le système du hukou (et l’exclusion qu’il induit), bien que
d’application depuis les débuts de la Chine populaire, n’apparut qu’en 1974 dans la
Constitution chinoise. Une façon (quoique tardive) de reconnaître la réalité légale, la
première Constitution de 1954 garantissant jusque-là le droit de la libre migration (迁
85
徙, qianxi, ou 迁移, qianyi).
Un changement notable fut celui relatif à l’approvisionnement alimentaire et
l’allocation d’autres ressources par l’État, amenés à disparaître pour progressivement
laisser place au marché. Ce « système monopolistique » fut supprimé dès 1985 :86
« During the period of economic reform and transition to a market economy, the
communes were disbanded and food rationing was phased out, and rural-urban
migration became an important phenomenon. This reflected a growing urban need
for migrant labour but also the weakening power to control movement. »87
C’est donc avec l’arrivée des réformes que les cartes de rationnement disparurent au
profit de cartes d’identité personnelles (身份证, shenfenzheng). « Plus concrètement,
tout jeune paysan disposant d’un peu d’argent et d’une carte d’identité pouvait, s’il le
désirait, se rendre en ville pour y chercher un emploi temporaire ou saisonnier. »88
Ce changement, qui enregistrait désormais les citoyens de manière individuelle et
non plus familiale,89 fut avalisé lors de la 6e Assemblée nationale populaire et permit
d’améliorer et standardiser le système du hukou. Sur les cartes d’identité figurait le
lieu de délivrance du hukou, mais sa catégorie – indication discriminatoire voire
insultante – n’était désormais plus mentionnée. Notons que ce nouveau système est
entré officiellement en vigueur et appliqué dans toute la Chine en 1989.90
84
FROISSART C., op.cit., p.93.
La libre migration fait toujours défaut dans la Constitution de 1982 et ses divers amendements.
WANG F.-L, op.cit, pp.58-59.
86
WANG J., op.cit., p.37.
87
KNIGHT J., et al, “Chinese Rural Migrants in Urban Enterprises: Three Perspectives”, in COOK
S., MAURER-FAZIO M. (eds), op.cit., pp.73-74.
88
HUANG P., op.cit., p.51.
89
LU H, op.cit., p.123.
90
WANG F.-L, op.cit, pp.51-52; LU H., op.cit.
85
29
Malgré cette plus grande liberté de mouvement, il demeurait toutefois extrêmement
difficile pour les migrants d’acquérir un hukou urbain et une résidence permanente
en ville. Nous avons déjà énoncé le fait qu’ils exerçaient des emplois délaissés par la
population urbaine, correspondant principalement aux emplois les moins plaisants,
moins qualifiés et moins rémunérés. Les migrants bénéficiaient de conditions moins
avantageuses en termes de logement et de sécurité sociale. En outre, du fait d’un
manque d’informations, de contacts ou d’alternatives, ils étaient davantage soumis à
la loi du marché, à leurs dépens :91
« Along with the economic reform started in 1978, the pre-reform labor allocation
was gradually eliminated and ruthless rules of the labor market started to play.
While the reform brought more freedom of choice, it also took away some pre-reform
protection that disadvantaged groups used benefit from and threw them into a “free”
92
market that they were not prepared for. »
Face à la migration croissante vers les villes, les autorités instaurèrent des quotas
pour freiner l’urbanisation, ne permettant qu’un taux annuel de croissance de la
population urbaine totale (lié au changement de hukou) de 0,15% et 0,2% par la
suite. Toutefois, ces mesures concernaient essentiellement les migrants éduqués,
talentueux ou riches, qui, après sélection et cinq ans de résidence sous un statut
transitoire, étaient amenés à jouir des mêmes droits et statut que les citoyens
locaux.93 Parallèlement, les migrations volontaires avec ou sans autorisation s’étaient
accentuées à une telle vitesse que le gouvernement central dut prendre d’autres
mesures.94
Ainsi, une série de règlements et décrets furent promulgués dans les années 1980. En
1983, le Comité central du Parti jugeait le système du hukou comme étant l’élément
principal de gestion de la sécurité publique dans sa publication « À propos des
questions relatives au renforcement et à la réforme de la Sécurité publique ». 95
L’année suivante, ce fut le Conseil d’État qui publia à son tour « Avis sur la question
des paysans migrant dans le but de résider en ville ». À condition de disposer d’une
résidence fixe ou d’un emploi stable, les paysans et leur famille pouvaient désormais
91
KNIGHT J., et al, op.cit., pp.74-102.
LU H., op.cit., p.58.
93
WANG F.-L, op.cit, p.51; LU H., op.cit., p.123.
94
WANG F.-L, op.cit, pp.50-51.
95
Ibid.
92
30
obtenir le hukou au niveau du canton (ou à un niveau inférieur au district).96 Enfin,
en 1985, les « Règlements provisoires sur la gestion du hukou des résidents urbains
temporaires », publiés par le Ministère de la Sécurité publique, ainsi qu’une série
d’autres règlements autorisaient l’octroi d’un permis de résidence temporaire (暂居证,
zanjuzheng, ou 暂 住 证 , zanzhuzheng) aux personnes (de plus de 16 ans, l’âge
minimum d’admission à l’emploi)97 migrant en zone urbaine pour un temps défini
(supérieur à trois mois)98 dans le cadre d’une activité légitime ou à des fins d’emploi
(cf. Annexe 4). Au début de la décennie 1990, la ville est ainsi devenue de plus en
plus accessible, que ce soit au niveau du logement, de l’emploi ou des services
publics. Cependant, une disparité importante en termes d’allocation des ressources
demeurait en raison du système discriminatoire du hukou, notamment dans le
domaine de l’instruction scolaire.99
À la même période, des contrôles de police réguliers mais aussi des « campagnes de
nettoyage », désignées sous le terme de « frapper fort » (严打, yanda), tentaient de
dissuader les migrants d’emprunter les voies illégales. Donnant suite aux répressions
du mouvement de Tiananmen, ces campagnes étaient approuvées par les autorités
centrales dans diverses publications officielles notamment la « Décision concernant
le renforcement du contrôle général de l’ordre social », datant de 1991. Des milliers
de policiers étaient ainsi mobilisés mais également plus d’une dizaine de milliers de
cadres du parti, fonctionnaires et autres activistes afin de contrôler l’identité des
travailleurs dans des quartiers ciblés. La plupart des personnes arrêtées étaient
soumises à de lourdes amendes et envoyées dans des centres d’hébergement et de
rapatriement (收容遣送所, shourong qiansong suo) pour une durée indéterminée et
sans aucun recours à une procédure judiciaire. Les conditions d’hygiène y étaient
déplorables et les règlements trop vagues donnaient lieu à des pratiques arbitraires et
violentes. À l’origine créés pour rapatrier les contrevenants au régime ou indésirables
du milieu urbain, les centres ont progressivement intégré les migrants ruraux jusqu’à
96
À partir de 2001, le changement au niveau même du district fut également possible. In : LU H.,
op.cit., p.122.
97
Ibid.
98
Id., p.123.
99
WANG F.-L, op.cit.
31
devenir pratique courante et formelle parallèlement à l’intensification des flux
migratoires.100
Il est intéressant de remarquer que, bien qu’il soit essentiellement discriminatoire
envers les ruraux, le système du hukou a eu un impact sur les citoyens urbains,
contraints eux aussi de travailler dans leur région d’origine. Même après le
lancement des réformes économiques, les candidats à l’emploi devaient en général
être en possession d’un hukou local, en particulier, et dans une proportion
considérable, dans les grandes métropoles de Pékin et de Shanghai.101
Vers la moitié des années 1990, les réformes relatives au système du hukou
s’intensifièrent, mais des différences apparurent entre les différentes divisions
administratives. Les gouvernements locaux de nombreuses villes prirent des mesures
afin de restreindre l’accès des travailleurs ruraux à certains types de secteurs et
d’emploi. Des employeurs se virent même contraints de licencier du personnel
migrant. Les règlements publiés à cet effet visaient à promouvoir l’emploi urbain
pour les travailleurs locaux victimes de la crise des entreprises étatiques.102
Le « hukou au sceau bleu » (蓝印户口, lanyin hukou ; en comparaison au sceau rouge
utilisé pour les hukou normaux) légalisait une migration urbaine à la manière de la
« Green card » des États-Unis. Lancé dans les années 1990, ce programme fut
appliqué dans de nombreuses villes telles que Shanghai, Canton, Tianjin et
Shenzhen. Il pouvait être octroyé suite à un investissement dans la ville, immobilier
par exemple, ou l’obtention d’un emploi réservé à des personnes disposant d’un
niveau d’instruction élevé.103
En 1998, le Ministère de la Sécurité publique décida d’élargir à toute la nation le
système du « hukou au sceau bleu », qui facilitait l’installation en zone urbaine des
migrants jouissant d’un certain potentiel, qu’il soit financier ou intellectuel.
L’objectif pour les villes était d’attirer ainsi les « meilleurs » migrants.104
Un autre changement débuta à la même période permettant à certains de franchir les
barrières à la migration. Tandis que, auparavant, « Le nouveau-né [était] enregistré
selon les informations de sa mère, quel que [fut] son lieu de naissance. », à partir de
100
FROISSART C., op.cit., pp.119-128. Froissart offre une description des centres détaillée et
agrémentée de témoignages.
101
WANG F.-L, op.cit.
102
WANG F.-L, op.cit, p.128.
103
Id., p.51; LU H., op.cit., p.123
104
Id., p.51; LU H., op.cit.
32
1998, les enfants purent hériter du statut du hukou paternel ou maternel.105 De la
sorte, les mariages entre ruraux et urbains ou mariages interrégionaux pouvaient
faciliter la migration de la génération à venir. Le Ministère de la Sécurité publique
élargit également les conditions du regroupement familial.106 Dans le même temps,
on notait un affaiblissement de l’application du système du hukou au niveau de
l’administration, en raison de la perte d’autorité du pouvoir central, de la corruption
de la police et des fonctionnaires, de la décentralisation politique et de l’opinion
publique désormais tournée vers le monde extérieur.107
F. XXIE SIÈCLE : VERS UN ASSOUPLISSMENT DU SYSTÈME ?
« Today, residence is still a factor obstructing Chinese people from freely seeking
employment and equally enjoying social security benefits. »108 En effet, bien que la
migration vers les villes soit progressivement facilitée, les inégalités demeurent pour
les populations rurales désireuses de profiter du développement urbain. Nous
présenterons ici les réformes qui se sont récemment succédé avant d’étudier plus en
détails, dans la partie suivante, les inégalités qui subsistent.
À la fin de l’année 2001, le Conseil des Affaires d’État a ordonné aux petites villes
comptant moins de 100.000 habitants d’accorder un hukou urbain à tout résident
disposant d’un domicile et d’un emploi fixes. Bien que certaines provinces (le
Sichuan, par exemple) l’aient plus tard élargie aux villes de taille moyenne, cette
réforme ne concernait toutefois guère les grandes métropoles alors qu’elles
accueillent le plus grand nombre de migrants.109
Une année plus tard, des règlements locaux allaient plus loin que la législation
nationale du travail en matière de lutte contre les pratiques discriminatoires.
Auparavant, la Loi de 1994 contenait une disposition de non-discrimination sur base
de l’appartenance ethnique, la race, le sexe ou la croyance religieuse des travailleurs.
En 2000 et 2001, des règlements complétaient les lacunes de la législation en
incluant également la discrimination lors du processus du recrutement et en
WANG J., op.cit., p.34. Wang ajoute que cela s’expliquait peut-être du fait que les femmes
migraient moins auparavant.
106
WANG F.-L, op.cit, p.52 ; WANG J., op.cit., p.44.
107
WANG F.-L, op.cit.
108
LU H., op.cit, p.121.
109
Id., p.129 ; WANG J., op.cit.
105
33
prévoyant une sanction administrative en cas de non-respect. Toutefois, au regard du
droit international, la protection accordée n’est toujours pas suffisante.
En décembre 2002, la province de Canton publiait un règlement dans lequel les
discriminations interdites étaient reprises sous la forme d’une liste non exhaustive et
prévoyait en outre des compensations pour les victimes. Les autorités de la zone
économique spéciale de Shenzhen ont également publié des dispositions similaires,
mais en ajoutant expressément la discrimination sur base de la localité, ce qui fait
directement référence au hukou. Shenzhen fait ainsi figure d’exception alors que « In
China, […] discrimination based on residence is pervasive. »
Malgré l’existence de certaines lois progressistes, en pratique il reste très difficile
aux travailleurs de faire valoir leurs droits et protéger leurs intérêts.110
Dans les régions ouest de la Chine, des mesures d’assouplissement quant à la
mobilité des citoyens furent accordées par le Ministère de la Sécurité publique et, en
parallèle, un accroissement, voire une suppression, des quotas de transfert du hukou
est observé dans les petites villes à partir de 2003.111
Depuis 2003 également, la distinction agricole/non-agricole a été supprimée dans
certaines provinces (au nombre de treize en 2009) : La province du Jiangsu fut la
première à remplacer tous les types de hukou existants (y compris le « hukou au
sceau bleu ») par un seul et même « hukou des résidents » (居民户口, jumin hukou).
Par conséquent, les citoyens du Jiangsu ne sont légalement plus divisés selon leur
origine rurale ou urbaine. Par la suite, d’autres provinces ont également adopté cette
mesure. Toutefois, la suppression de la distinction ne signifie pas que les barrières à
la migration aient, elles aussi, été levées :
Un rapport du Ministère de la Sécurité publique de 2005 fut ainsi extrapolé par les
médias étrangers qui y voyaient l’annonce de la suppression progressive du système.
En réalité, le rapport faisait seulement état de ce qui avait déjà été entrepris depuis la
fin des années 1990. Il ne s’agissait en aucun cas d’un changement de politique. Les
conséquences de ce nouveau « système unifié » ( 统 一 制 度 , tongyi zhidu) sont
doubles. D’une part, la localisation de la gestion du système octroie aux autorités
locales le pouvoir de décider du nombre de transferts de hukou et leurs critères
d’admission, mettant fin aux quotas imposés par l’État central. Ceci n’a donc aucune
incidence sur les paysans ordinaires, du moins en ce qui concerne leur migration vers
les grandes villes. D’autre part, la suppression de la distinction agricole/non-agricole
est un phénomène intra urbain et non interurbain, encore moins national. Les
110
111
LU H., op.cit, pp.88-90.
WANG J., op.cit.
34
citoyens ruraux touchés par la réforme sont en fait ceux des banlieues, déjà
112
« urbanisés » en quelque sorte, sans plus de réelle attache à la terre.
Seules certaines conditions, déterminées par les autorités provinciales, permettent le
transfert du hukou. Celles-ci visent bien entendu une catégorie de migrants plus
favorisée. Pour les plus défavorisés, le hukou actuel en tant que tel ne constitue pas
un obstacle à la mobilité, mais « It is the social services and social security benefits
that are attached to hukou that prevent internal migrants from freely settling in the
place they would like to move to. » 113
Toujours en 2003, un changement d’autant plus remarquable s’est produit suite à
l’« Avis sur la gestion et les services des paysans entrant dans la ville à des fins
d’emploi ». Le Conseil d’État a ainsi officiellement mis fin aux restrictions imposées
aux citoyens ruraux désireux de travailler en ville. Ceux-ci n’ont dès lors plus besoin
d’obtenir un permis de travail ni toute autre obligation administrative et peuvent jouir
de certains services de l’emploi. À travers le document, les autorités reconnaissent le
rôle positif que les travailleurs ruraux ont joué en faveur du développement urbain et
de la prospérité sociale. L’accès à l’emploi en zone urbaine se voit non seulement
facilité, mais la conclusion d’un contrat de travail (écrit) est désormais une procédure
obligatoire pour l’employeur. Outre cette mesure dont l’objectif premier est de
protéger le travailleur, les arriérés salariaux sont par ailleurs rendus interdits.
Pour le secteur public, l’établissement d’un contrat de travail était devenu pratique
commune dès la fin des années 1990, bien qu’il fut considéré telle une simple
formalité et les termes peu pris au sérieux par les parties impliquées. Quant au
secteur privé, des études ont estimé que, à cette même époque, seuls 23 à 30% des
travailleurs migrants possédaient un contrat de travail. Parmi ceux-ci, nombreux
avaient signalé ne pas avoir eu droit à lire les termes du contrat et il arrivait même
que l’employeur imite la signature du travailleur. En 2003, les autorités centrales
commencèrent à montrer une volonté de lutter contre ces pratiques, et en particulier
les abus au niveau salarial qui étaient la cause de 70% des conflits de travail
officiellement enregistrés l’année précédente. En 2008, la Loi sur le contrat de travail
entérinait l’avis de 2003. 114
Selon cet avis encore, les travailleurs peuvent suivre des formations professionnelles,
qui doivent être fournies par les autorités locales et les employeurs. En outre, des
efforts envers l’accès à l’instruction y sont décidés : d’une part, les enfants de
migrants jouissent d’un accès égal aux établissements scolaires publics de la ville.
CHAN K. W., BUCKINGHAM W., “Is China Abolishing the Hukou System?”, The China
Quarterly, 2008, vol.CXCV, pp 582-606.
113
LU H., op.cit, pp.123-124.
114
LEE C.-K., op.cit., p.42 ; pp.164-165. ; LU H., op.cit, p.121.
112
35
D’autre part, un soutien financier doit être apporté pour la mise en place d’écoles qui
accueillent exclusivement ces enfants. Enfin, des droits fonciers sont accordés aux
travailleurs ruraux, qui peuvent utiliser le sol à des fins de sécurité financière, sans
craindre la confiscation des terres qui est depuis lors interdite. L’Avis de 2003 fut
complété plus tard par une série de règlements complémentaires du Ministère du
Travail et de la Sécurité sociale qui éliminent ainsi les obstacles légaux à la
migration.115
« The so called “three-no” [ 无, san wu] people (people who have no legal hukou
papers, no permanent local residence, and no permanent local job) are often termed
[盲流] mangliu (blind floaters). In the 2000s, there were still plenty of horror series
of forced repatriation of “undocumented” floating people. » :116
Sun Zhigang était un diplômé universitaire de 27 ans, originaire du Hunan. Il fut
arrêté le 17 mars 2003, et faute de pouvoir présenter sa carte d’identité, il fut
emmené d’abord dans un commissariat et ensuite transféré dans un centre de
détention et de rapatriement. Malgré sa situation légale dans la ville de Canton et
malgré les réclamations de son colocataire et de son employeur afin de le faire sortir,
le décès de Sun Zhigang fut annoncé trois jours plus tard. L’autopsie, dont les
résultats furent publiés près d’un mois plus tard, révéla que le jeune homme était
mort à la suite de coups et blessures. S’en suivirent une indignation et une colère
collectives, relayées par la presse et les réseaux sociaux. Les événements désormais
jugés comme intolérables, l’ensemble de la population s’est mobilisée pour réclamer
justice et éviter que cela ne se reproduise. Des juristes se sont appuyés sur la
Constitution chinoise pour dénoncer des contradictions et le besoin de réformer le
système en place, datant de 1982. Les autorités nationales ont répondu à cet appel,
toutefois non sans intérêts. La nouvelle administration au pouvoir cette année-là,
représentée par Hu Jintao, saisit en effet l’occasion pour réorienter la politique et
asseoir son autorité en répondant de manière inattendue à « l’épreuve publique ». Il
ne s’agit toutefois pas d’un projet de démocratisation, le démontrent notamment plus
tard les arrestations de responsables du premier journal à avoir dénoncé les faits ; le
Nanfang dushibao, quotidien cantonais plus ouvert et critique.117
En 2003, l’« Affaire de Sun Zhigang » avait pris une telle ampleur que le Conseil
d’État décida d’abolir le système de garde et de rapatriement pour les migrants
« illégaux ».118 À la place, un projet de loi est proposé afin de « prêter assistance aux
vagabonds et aux mendiants ». Les centres de détention furent désormais appelés
« centres d’accueil », et le rapatriement ne fut plus mentionné ; les autorités
encourageront plutôt les personnes à retourner dans leur lieu d’origine. Par ailleurs,
115
LU H., op.cit, pp.128-129.
WANG F.-L., op.cit., p.231.
117
THIREAU I., HUA L., « De l’épreuve publique la reconnaissance d’un public : le scandale de Sun
Zhigang », Politix, 2005, vol.III, n°71, pp.137-164.
118
WANG J., op.cit., p.251.
116
36
dans un souci de protection de leurs droits, le texte fait état de « huit interdictions »
concernant des actions que le personnel en charge des centres ne peut en aucun cas
commettre à l’encontre des personnes qui y résident ou de leurs proches.119
Trois ans plus tard, conscient de l’écart entre les textes de loi qui éliminaient de jure
la discrimination envers les ruraux et leur application de facto, le Conseil d’État a
émis plusieurs « Avis sur la façon de résoudre les problèmes relatifs aux travailleurs
ruraux migrants ». Ces avis de 2006 consistent davantage en un constat des efforts
encore nécessaires que de véritables changements mis en place. Toutefois, les
migrants y sont désormais vus de façon positive et les autorités démontrent la volonté
de respecter leurs droits.
Par exemple, l’article 5 desdits avis reconnaît que l’une des difficultés majeures à
résoudre est le principe de l’égalité de traitement. L’article suivant propose une
solution pratique aux retards de paiement des travailleurs, obligeant les employeurs
« récidivistes » à déposer une garantie à la banque. L’article 16 met l’accent sur le
problème de sécurité sociale, que les gouvernements décentralisés se voient dans
l’obligation de solutionner de manière prioritaire, notamment en ce qui concerne les
assurances médicales et d’accident de travail, et progressivement, le système de
pensions.
En revanche, l’article 26 pose question quant à la volonté réelle des autorités
d’éliminer la discrimination. Les petites et moyennes villes sont invitées à relâcher
leur système de contrôle et accorder davantage de transferts de hukou, tandis que les
grandes villes doivent faciliter l’accès en priorité aux migrants les mieux qualifiés et
éduqués, tel que le voulait déjà la pratique. Ainsi, deux types de discrimination
s’installent ; d’une part, entre travailleurs migrants moins et mieux qualifiés, d’autre
part, entre les petites villes et les plus grandes.120
Froissart note également cette dichotomie entre villes de grande et moindre
importance. Les habitants des premières jouissent des meilleures conditions sociales
et attirent davantage les migrants. Ce sont donc elles également qui contrôlent le plus
strictement la migration permanente, notamment Pékin.121
En 2006 également, le gouvernement central a supprimé le critère du hukou pour
l’admission aux examens d’entrée à l’exercice de la fonction publique. En théorie,
tout citoyen, quel que soit son lieu d’origine, a donc l’opportunité de devenir
119
Renmin Ribao (le Quotidien du Peuple), 20 juin 2003, cité dans : THIREAU I., HUA L., op.cit.,
p.159 ; WANG F.-L., op.cit., p.191.
120
LU H., op.cit, pp.130-131; CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit., p.601.
121
Cité dans : WANG J., op.cit., pp.45-46.
37
fonctionnaire. Auparavant, 80% des nouveaux postes à l’administration centrale
requéraient d’être en possession d’un hukou de Pékin.122
Concernant le droit du travail, le Comité permanent de l'Assemblée populaire
nationale a promulgué en 2007 la Loi sur la promotion de l’emploi, en réponse aux
grèves croissantes des travailleurs migrants en raison d’impayés salariaux et de
conditions de travail dangereuses (cf. Annexe 5).123
Selon l’article 31 : « Rural workers who go to cities for employment shall enjoy
equal right to work as urban workers do. No discriminating restrictions may be
placed on the rural workers who go to cities for employment. »124 En outre, l’article
62 prévoit la possibilité d’une action judiciaire pour les victimes de discrimination :
« Where anyone practices discrimination in employment in violation of the
provisions of this Law, the workers concerned may lodge a lawsuit in the people’s
court. »125
Cependant, la loi ne contient pas de définition précise du concept même de la
discrimination, ainsi laissée à la seule discrétion du juge. Au regard des traités
internationaux, la loi ne procure pas une protection suffisante en la matière.126
À plusieurs reprises, des réformes locales ont été lancées puis finalement annulées.
Face à l’ampleur et la difficulté de la tâche, les autorités locales décident parfois
même de restreindre les critères d’admission des migrants. Au fil des années, le
système du hukou n’a donc pas vraiment évolué et continue de compromettre
l’harmonie sociale. La décentralisation de la gestion du système en la matière permet
aux autorités locales de « counteract the central government’s goals and wellintentioned rhetoric ». Bien qu’il soit certain que le système ait aussi servi les
intérêts des autorités nationales, en permettant in fine l’envol économique du pays.127
Un dernier exemple illustre la difficulté de la mise en application des lois :
122
CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit.
KAHN J., BARBOZA D., “As Unrest Rises, China Broadens Workers' Rights”, The New York
Times :
New
York,
[online
access],
http://query.nytimes.com/gst/abstract.html?res=9805E4D8173EF933A05755C0A9619C8B63,
dernière consultation le 14 mai 2015. Cité dans: CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit.
124
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (a)
Employment Promotion Law of the People’s Republic of China, 30 August 2007, Presidential Order
No.
70,
art.
27,
available
at:
http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/MONOGRAPH/76984/81380/F1735089926/76984.pdf, dernière
consultation le 9 mai 2015. Cité dans : LU H., op.cit, p.92.
125
Ibid, art. 62. Cité dans : LU H., op.cit., pp.92-93.
126
LU H., op.cit., pp.91-95.
127
CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit., pp.603-604.
123
38
« The Labour Contract Law, implemented on 1 January 2008, mandates that all
workers should have a written contract with their employer detailing the terms and
conditions of their employment. However, according to the Ministry of Human
Resources and Social Security, in first year of the law’s enactment, more than 15
million Chinese workers had not signed a labour contract. »128
En effet, il est difficile de faire respecter ces lois car elles tentent en général de
corriger des pratiques abusives courantes, qui ont été appliquées durant des années au
su de tous, en ce compris les autorités :
Par exemple, l’article 9 de la Loi sur le contrat de travail fait précisément référence à
l’une d’entre elles : « During recruitment, the employer may not retain the
employees’ Resident Identity Card or other credentials, nor may it require them to
129
provide guarantee or collect property from them under other names. »
Actuellement, le système du hukou a prioritairement pour objectif de contrôler la
taille de la population dans les métropoles et de préserver un système équilibré des
services publics. Bien que cela paraisse légitime de la part des autorités, le hukou
actuel induit encore un traitement inégal entre les citoyens selon leur lieu d’origine.
Ainsi, il est difficile d’argumenter en faveur de celui-ci alors même qu’il bafoue un
droit humain fondamental : la liberté de mouvement. En 2005, le Comité des Nations
Unies pour les droits économiques et sociaux (Comité DESC) a d’ailleurs appelé la
Chine « to implement its decision to dismantle the hukou system of national
household registration and to ensure that in any system that replaces it, internal
migrants will be able to enjoy the same work, social security, housing, health and
education benefits enjoyed by those in the urban areas. »130 (cf. infra)
L’année dernière, en 2014, bien que tenant compte des avancées sur ce plan, le
Comité DESC a réitéré ses inquiétudes auprès des autorités chinoises et les a invitées
à renforcer leurs efforts vers une abolition du système du hukou.131
“Migrant workers without a labour contract go unpaid for nearly a year”, China Labour Bulletin:
Hong Kong, 29 May 2009, [online access], http://www.clb.org.hk/en/content/migrant-workerswithout-labour-contract-go-unpaid-nearly-year, dernière consultation le 15 juillet 2015.
129
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (b) Labour
Contract Law of the People’s Republic of China, 29 June 2007, Presidential Order No. 65, available
at: http://www.12333sh.gov.cn/200912333/2009english/laws/200911/P020091105359417211156.pdf.
130
UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (a) UN Committee on
Economic, Social and Cultural Rights: Concluding observations: People's Republic of China
(including Hong Kong and Macao), 13 May 2005, E/C.12/1/Add.107, para. 46, disponible sur :
http://www.refworld.org/docid/43f306770.html, dernière consultation le 9 mai 2015. Cité dans : LU
H., op.cit, p.132.
131
UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (b) Concluding observations
on the second periodic report of China, including Hong Kong, China, and Macao, China, 13 June
128
39
Depuis le début du siècle, la nécessaire révision du système, voire son abolition132,
fait d’ailleurs l’objet d’un débat ouvert au sein de la République populaire de Chine,
notamment par le biais d’Internet, mais également dans la presse et les cercles
académiques. Toutefois, « Knowing that the PRC hukou system performs key
functions crucial to China’s sociopolitical stability, governance, and economic
development, most Chinese academicians and policy makers do not believe in or call
for abolishing the hukou system. » 133 En raison de son ancrage politique et culturel,
le système d’enregistrement de la population ne semble guère près de disparaître, et
les réformes entreprises sont bien contrôlées et encore assez limitées. Même au sein
des zones économiques spéciales, les expérimentations du système ne sont pas
permises.
Quoi qu’il en soit, l’abolition du système du hukou ne paraît pas être une option pour
les grandes villes qui sont plusieurs à plaider en faveur de son maintien, de manière
indéfinie. 134 Leurs motivations ne sont pas seulement politiques, mais également
économiques et sociales. Intégrer ces centaines de millions de migrants dans les
villes nécessiterait des dépenses publiques massives ou un tout autre système de
réallocation et répartition des ressources : « Urbanization and free internal migration
without adequate resources to back them up would mean either a rapid decay of the
existing urban sector or simply just a nominal change of the hukou type without any
real benefits to the excluded rural population. »135
CONSÉQUENCES : LES INÉGALITÉS
Tandis que les ruraux migrent vers les villes dans l’espoir d’améliorer leurs
conditions de vie, ils doivent faire face à de nombreux obstacles et abus qui,
finalement, ne leur permettent ni de s’intégrer, ni de jouir des bénéfices que présente
la vie urbaine. Les emplois que les travailleurs migrants parviennent à obtenir sont
souvent mal payés, précaires et offrent peu de sécurité sociale, sans parler des
conditions de travail et du salaire qui ne respectent pas souvent le minimum légal. En
raison du manque d’application de la loi, les migrants ont peu de recours pour faire
2014, E/C.12/CHN/CO/2, available
consultation le 9 mai 2015.
132
WANG F.-L., op.cit., p.196.
133
Id., pp.52-53; pp.59-60.
134
Ibid.
135
Id., pp.197-198.
at:
http://www.refworld.org/docid/53c77e524.html,
dernière
40
légitimer leurs droits. Nombre d’entre eux ne possèdent pas de contrat de travail et
peu d’entreprises disposent de syndicat (aussi limités en termes d’efficacité et
d’indépendance qu’ils puissent l’être en Chine).136 Dans cette dernière partie, nous
dresserons un tableau sommaire des différentes situations d’inégalités auxquelles
sont exposés les migrants et leur famille.
A. CONDITIONS DE TRAVAIL : EXPLOITATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE
Officiellement estimé en 2005 à 180 millions de personnes, l’excès de la maind’œuvre rurale en Chine est tel que les travailleurs à la recherche d’emploi dans les
villes ont très peu d’espace pour négocier des conditions de travail dignes. Ajouter à
cela le fait que la plupart des migrants soient employés dans le secteur informel, bien
souvent, ils sont sujets à l’exploitation et au travail forcé à travers des pratiques
illégales de l’employeur (contre lesquelles la Loi sur le contrat de travail de 2008
tentent de lutter, cf. supra) : confiscation de la carte d’identité ou autre document
personnel, retenues salariales ou impayés, garantie financière prélevée à
l’embauche… D’autres facteurs de dépendance sont le logement et l’alimentation,
fournis généralement sur le lieu de travail. Notons par ailleurs que le premier
consiste souvent en des tentes ou préfabriqués dans le secteur de la construction et
des nattes à même le sol dans le secteur des services,137 ou encore des dortoirs avec
des chambres de 26m² partagées en moyenne par douze travailleurs.138
Des enquêtes réalisées dans la ville de Chengdu, capitale de la province intérieure du
Sichuan, dénoncent d’autres abus, qui ne représentent pourtant pas les plus graves.
Le nombre d’heures de travail effectuées ne correspond pas à celui prévu dans la loi,
qui s’élève normalement à huit heures journalières et quarante-quatre
hebdomadaires. En 2000, un recensement estimait en réalité le travail presté par la
majorité des migrants entre 10 et 14 heures par jour.139 Lee note à cet égard : “Th[e]
‘dormitory labor system’ serves employers by keeping labor available on tap,
facilitating flexible extension of the workday, inhibiting workers’ job-search time,
reducing the cost of social reproduction, and strengthening the employer control
over workers’ personal lives.”
136
LU H., op.cit., pp.125-126.
FROISSART C., op.cit., pp.148-149.
138
LEE C.-K., op.cit., p.57.
139
WU X., GUO X. (dir.), 2003, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.149. Pun Ngai témoigne à la
suite d’une immersion dans une usine de fabrication de Shenzhen en 1996, que l’emploi du temps
habituel des ouvrières était de 11 à 12 heures par jour. Bien que le nombre d’heures supplémentaires,
le travail de nuit, et les jours de repos fassent aussi l’objet de réglementations internes, celles-ci
n’étaient que très peu respectées. In : NGAI P., Made in China : Vivre avec les ouvrières chinoises, La
Tour d’Aigue : éditions de l’Aube, 2012, pp.140-141.
137
41
Bien souvent, les employeurs n’accordent pas, ou seulement en partie, aux
travailleurs le nombre d’heures de repos et jours de congé légalement permis. En
outre, les heures supplémentaires dépassent elles aussi la limite légale et sont souvent
non rémunérées, tandis que, légalement, celles-ci valent une fois et demie à trois fois
plus que les heures de travail normales. La prestation hebdomadaire est estimée en
moyenne à 6,65 jours, au lieu des 5,5 jours tel le veut la loi.140
Les salaires des migrants sont également nettement inférieurs (jusqu’à deux fois
inférieurs) à la moyenne de ceux des travailleurs urbains locaux. Cela est souvent le
résultat d’expériences malheureuses que les migrants subissent en raison d’agences
de l’emploi peu scrupuleuses, qui agissent en complicité avec les employeurs. Des
frais administratifs, caution et autres coûts sont imposés aux demandeurs d’emploi, et
parfois en vain, ceux-ci étant victimes d’abus ou d’escroquerie :
Les agences fournissent parfois de faux contrats et disparaissent avec l’argent des
migrants. Elles (ou les employeurs eux-mêmes) donnent aussi de fausses
informations sur le travail à effectuer afin de forcer le travailleur à démissionner et
141
lui retenir salaires, garanties ou autres frais soutirés. L’article 8 de la Loi sur le
contrat de travail instaure donc le droit du travailleur à recevoir toutes les
informations quant au travail qu’il aura à accomplir et ses conditions.142
Dû au manque de contrôle, les agences officielles ne font pas figure d’exception et,
même via ces canaux, les migrants sont parfois rémunérés en deçà du minimum
légal. Dans le secteur de la construction, malgré le respect des barèmes, les salaires
impayés sont fréquents en raison de l’usage de la sous-traitance à plusieurs niveaux.
Il est ainsi très difficile aux ouvriers de récupérer leur dû. Ici encore, les entreprises
de construction étatiques sont également concernées par ce problème, et représentent
même près d’un tiers des cas :143
Selon une étude publiée en 2003, le trois quart des migrants rencontrent des
difficultés à obtenir leur salaire. Chaque année, ils sont nombreux à menacer de se
suicider en sautant d’un immeuble ou en s’immolant par le feu en raison d’impayés.
Ces mesures désespérées se passent en général avant le retour des migrants dans leur
144
famille pour célébrer le Nouvel An chinois.
La liste des abus étant assez longue, nous terminerons par une observation de
l’environnement de travail, où les normes de sécurité ne sont pas assez respectées,
140
WANG Y., NI Y., 2001, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.149.
FROISSART C., op.cit., pp.150-151.
142
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (b), op.cit.
143
FROISSART C., op.cit., pp.149-152.
144
LEE C.-K., op.cit., p.164.
141
42
toujours aux dépens de la vie et de la santé des travailleurs migrants. 145 Le secteur
minier est un des plus affectés :
Selon les chiffres officiels (mais il arrive souvent que les employeurs essaient de
dissimuler les faits et parfois en connivence avec les autorités locales)146, rien que
pour l’année 2005, ce sont 3000 explosions mortelles qui ont été recensées. Il y
aurait chaque année 20.000 décès causés par la négligence en matière de sécurité
dans les mines. Les chiffres pour 2014 sont nettement plus élevés, malgré la baisse
proclamée : « Un total de 269.000 accidents se sont produits au cours des onze
premiers mois de l'année dernière en Chine, soit une diminution de 4,7%. Ceux-ci
ont fait 57.000 morts, en baisse de 6,1%. »147 La demande de charbon, première
source énergétique en Chine, est telle qu’elle incite les responsables miniers à
produire au-delà des capacités, au mépris de la sécurité des travailleurs : systèmes de
ventilation non adaptés, installations électriques désuètes, manque de sorties de
secours…148
Malgré la création d’un Bureau de surveillance par le gouvernement central, la
corruption au niveau des autorités locales ne permet pas une bonne mise en place des
réglementations. Lors d’accidents, les familles des victimes sont isolées afin d’éviter
les protestations. Les compensations en cas de décès varient entre moins de 2.000 et
20.000 yuans (300 à 3000 euros), en fonction de la qualification de l’ouvrier. En
tentant de lutter contre les exploitations illégales, le gouvernement a décidé de
privatiser certains sites d’exploitation. Les galeries sont louées pour des périodes
courtes et les exploitants ne voient ainsi aucun intérêt à investir dans la sécurité. Les
mineurs expérimentés sont licenciés en faveur d’une main-d’œuvre peu ou non
qualifiée à bas prix. 149
Dans les industries de l’électronique, de nombreux produits chimiques toxiques pour
la santé des travailleurs sont employés et provoquent toutes sortes de troubles allant
des maux de tête, vertiges, aux irritations de la gorge, nausées, troubles digestifs,…
145
Pour plus de détails quant aux impacts des maladies et accidents professionnels sur les familles des
migrants à leur retour dans la ville natale, voir : CHEN C., et al, Coming Home: The Return of
Migrant Workers with Illness or Work-Related Injuries in China’s Hubei and Sichuan Provinces,
Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°5, 2014, 23 p.
146
WU S., 2005, et CAI C., 2005, cités dans : FROISSART C., op.cit., p.153. L’atteste d’ailleurs un
article récent de la presse chinoise. 31 personnes, dont des membres du département de la sécurité du
travail, sont soupçonnées d’avoir dissimulé trois accidents mortels, le plus ancien remontant à 2009.
Voir : « Chine : 31 personnes sous enquête pour dissimulation d'accidents de mine », Xinhua : Pékin,
http://french.xinhuanet.com/societe/201411
décembre
2014,
[accès
en
ligne],
12/11/c_133848535.htm, dernière consultation le 24 mai 2015.
147
« Chine : 31 personnes sous enquête pour dissimulation d'accidents de mine », op.cit.
148
Un problème encore actuel. Voir : « La Chine fermera 5.000 petites mines pour des raisons de
sécurité », Xinhua : Pékin, 4 mars 2015, [accès en ligne], http://french.xinhuanet.com/societe/201503/04/c_134038019.htm, dernière consultation le 24 mai 2015.
149
HAN D., Mon combat pour les ouvriers chinois, Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon, 2014, pp.135145.
43
Selon une étude, en 2010, dans près de 45% des cas, l’entreprise ne disposait pas de
matériels de sécurité. En outre, 60% ne procuraient aucune formation concernant les
mesures de sécurité, ce qui a été démontré comme étant une des causes principales
des accidents.150
Si les précautions nécessaires ne sont pas prises, les travailleurs (qui sont en général
des femmes dans ce secteur) risquent d’encourir des problèmes de santé à long
terme. Notons enfin que les comportements à l’intérieur de ce type d’usine font
l’objet d’une stricte réglementation et toute violation est pénalisée financièrement :
Par exemple, parler dans l’atelier est interdit, et toute infraction est sanctionnée de 5
yuans (environ 0,70 €). Ou encore, quitter son poste pour aller aux toilettes sans
demander l’autorisation coûtera à l’ouvrier 2 yuans (environ 0,30 €). Les appels
téléphoniques mènent à une sanction plus grave : le licenciement immédiat et la
déduction de tous les salaires. Bien entendu, les ouvrières défient parfois les règles
pour combattre la somnolence et l’ennui. Les contremaîtres tolèrent eux aussi
certains comportements, considérant le règlement trop rigide, et font preuve d’une
certaine compassion, pour le bon fonctionnement des lignes de production.151
Le non respect des lois du travail combiné à la pression pour atteindre des quotas de
production chaque fois plus élevés dans des conditions dangereuses, épuisent les
ouvriers et les exposent à des risques élevés :
Amnesty international a d’ailleurs dénoncé la gravité de la situation : à Shenzhen,
pour l’année 1998, au total plus de 12.000 travailleurs d’usine avaient été victimes
de blessures et 80 étaient décédés. Environ 13 travailleurs par jour perdaient un doigt
ou un bras.152 Au niveau national, le nombre de décès dus à l’exercice d’une activité
professionnelle s’élevait à 140.000 en 2002. L’année suivante, ce chiffre avait
augmenté de 19%.153
Bien que toutes les violations citées ci-dessus fassent l’objet d’interdiction à travers
de nombreux articles de la Loi du travail de 1994, il est évident que leur application
fait défaut dans la majorité des cas. Au vu du nombre de conventions internationales
relatives au travail que la Chine n’a pas encore ratifiées, les conditions nécessaires au
respect total des travailleurs et de leurs droits sont encore loin d’être suffisantes.154
150
GRANSOW B., et al, Chinese Migrant Workers and Occupational Injuries: A Case Study of the
Manufacturing Industry in the Pearl River Delta, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working
Paper”, n°1, 2014, p.14.
151
NGAI P., op.cit., pp.150-152 ; pp.244-250.
152
Amnesty International, ASA 17/015/2002, cité dans : LEE C.-K., op.cit., p.168.
153
KHAN J., 2003, cité dans : LEE C.-K., op.cit.
154
Entre autres, la Convention sur la protection du salaire de 1949, la Convention sur le repos
hebdomadaire de 1957, Convention sur les services de santé au travail de 1985, ou encore la
Convention sur les travailleurs migrants (révisée) de 1949,… Pour la liste complète voir : “Up-to-date
Conventions not ratified by China”, International Labour Organization: Geneva, [online access],
http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:11210:0::NO:11210:P11210_COUNTRY_ID:103404,
dernière consultation le 21 mai 2015.
44
B. SÉCURITÉ SOCIALE
Outre les pauvres conditions de travail, les migrants sont très peu nombreux à
bénéficier d’une sécurité sociale. En effet, ils participent peu aux cotisations, en
raison d’une méconnaissance du système, du caractère informel de leur emploi qui ne
leur permet pas de contribuer aux assurances, ou encore de leur réticence à voir leur
part salariale amputée davantage. Les employeurs préfèrent également garder les
coûts salariaux le plus bas possible, en particulier lorsqu’il s’agit de travailleurs
temporaires. La situation est la même pour les entreprises d’État, qui profitent en
outre du peu de contrôle.155 Or, selon la « Loi sur les assurances sociales » de 2011,
tout employé, y compris les travailleurs migrants, doit être couvert par un système de
sécurité sociale. L’article 95 le stipule précisement : « Rural migrant workers shall
participate in social insurance in accordance with this Law. »156
Cependant, une pratique courante des gouvernements locaux peut en partie expliquer
le faible taux de participation au système. Ceux-ci permettent aux employeurs de
n’inscrire que 10 à 20% de leurs travailleurs, au lieu d’encourager les entreprises à
atteindre un taux de couverture sociale total.157 De plus, comme nous le verrons cidessous, que les conditions d’accès aux bénéfices sociaux varient ou non pour les
migrants, dans les deux cas, ceux-ci se trouvent bien souvent désavantagés. Il semble
certain que le système des assurances sociales en Chine n’a pas été conçu pour des
travailleurs mobiles, étant donné qu’il est fortement localisé. Bien que le taux de
couverture sociale des migrants augmente, actuellement il ne représente encore que
la moitié de la moyenne nationale.158
Le système de sécurité sociale comprend en général : l’assurance pension,
l’assurance chômage, l’assurance médicale, l’assurance accident du travail et
l’assurance maternité. Il se différencie de l’aide sociale qui est fournie par le
gouvernement urbain local aux résidents détenant un hukou local et ne requiert
aucune cotisation. Au contraire, le système de sécurité sociale s’inscrit dans un cadre
155
FROISSART C., op.cit., p.152 ; WANG J., pp.56-57.
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) Social
Insurance Law of the People’s Republic of China, 28 October 2010, Presidential Order No. 35,
available
at:
www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/89811/103254/F583615375/CHN89811.pdf.
157
LEE C.-K., op.cit., pp.47-48.
158
“China’s Social Security System”, China Labour Bulletin: Hong Kong, April 2014, [online access],
http://www.clb.org.hk/en/view-resource-centre-content/110107, dernière consultation le 24 mai 2015.
156
45
de cotisation tripartite (l’employeur, le salarié et les autorités publiques). Malgré
l’obligation des migrants temporaires de s’y affilier, le taux reste très faible, comme
nous le verrons dans chacun des cas ci-dessous (cf. Annexe 6).159
1. L’assurance pension
La mobilité des migrants est une des raisons principales du faible taux d’affiliation
aux assurances, notamment l’assurance pension. En outre, leur salaire étant déjà peu
élevé, ils sont réticents à l’idée de devoir en reverser une partie sur un compte
individuel, soit 8% pour l’assurance pension, selon le règlement de 1997 :
« Employers have routinely claimed in the past that they have not paid social
insurance contributions for migrant workers because the workers themselves are not
interested in a pension. […] [However], the underlying reason migrant workers are
unhappy about making pension contributions is not because the rates are too high
but rather because their basic salaries are too low and any deductions will have a
major impact on their day-to-day living standards. »160
De son côté, l’employeur doit contribuer au compte social à hauteur de 20% des
salaires de l’ensemble de la main-d’œuvre qu’il emploie. Lorsque les travailleurs
migrent vers une autre ville, le transfert du compte personnel est possible,
contrairement au compte social, dont la gestion se fait au niveau local. Les taux de
cotisation peuvent aussi varier d’une région à l’autre. Par ailleurs, afin de pouvoir
bénéficier de la retraite, le temps requis de cotisation continue s’élève à 15 ans
minimum (réitéré à l’article 16 de la Loi de 2011).161
Il est bien entendu rare pour les migrants de rester aussi longtemps dans une seule et
même entreprise ou région. Dans le cas contraire, les travailleurs peuvent retarder
leur retraite, payer la somme des contributions manquante, transférer leurs fonds au
régime de chômage, ou encore, recevoir l’entièreté de leur compte personnel.
En 2006, seuls 15% des migrants étaient affiliés à une caisse de pension. Dans la
province de Canton, le taux de désaffiliation s’élevait à 95% cette année-là. Pour les
caisses locales, cela représente des gains qui se chiffrent à des centaines de millions
de yuans (des dizaines de millions d’euros) par an, aux dépens des travailleurs
159
WANG J., op.cit., pp.53-54.
“China’s Social Security System”, op.cit.
161
L’âge de la retraite est établi actuellement à 50 ans pour les femmes (excepté les fonctionnaires qui
doivent travailler 5 ans de plus) et 60 ans pour les hommes. Le montant du compte personnel (y
compris les intérêts) est divisé en 120 parts mensuelles, que le pensionné recevra sur une période de
10 ans. À condition que l’assuré ait cotisé constamment pendant 15 ans, à cela s’ajoute la part du
compte social, calculée en fonction du nombre d’années de travail, du salaire moyen local et de
l’espérance de vie, et qui est quant à elle allouée jusqu’au décès. In : Ibid.
160
46
migrants. Selon les statistiques officielles, en 2013, le taux d’affiliation avait à peine
162
augmenté et s’élevait à 15,7%.
À cet égard, il est également intéressant de noter que plus de la moitié des
travailleurs migrants (53% selon une enquête de 2013) font partie des anciennes
générations, nées avant les années 1980. Récemment, nombre d’entre eux se sont
manifestés afin de réclamer leur droit à la sécurité sociale, notamment à la pension.
« As the migrant workforce continues to age, those demands will only get louder. »163
2. L’assurance chômage
Selon le « Règlement sur l’assurance chômage » de 1999, l’employeur doit
contribuer à hauteur de 2% des dépenses salariales totales, tandis que l’employé
reverse 1% de son salaire. Les contributions alimentent un fonds commun qui est
géré par l’administration provinciale. Une cotisation de minimum 1 an à plus de 10
ans donne au chômeur le droit à une allocation pendant une période allant de 12 à 24
mois, équivalant en général à un pourcentage allant de 70 à 80% du salaire minimum
local. Le salaire minimum étant lui-même fixé à un taux tellement bas, l’allocation
perçue par les travailleurs ne peut être considérée comme un minimum vital.164
Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas aux travailleurs migrants, pour lesquels seul
l’employeur cotise. Selon l’article 21, pour être éligibles, ils doivent avoir travaillé
au minimum un an dans une entreprise qui décide de ne pas renouveler leur contrat
lorsque celui-ci prend fin ou lorsque l’entreprise y met fin à l’avance. Touché une
seule fois, le montant de l’indemnité est calculé en fonction de l’ancienneté du
travailleur et du taux fixé par les autorités provinciales.
Par exemple, à Canton, celui-ci représente 12% du salaire mensuel de l’année
écoulée et au-delà d’un an de cotisation, chaque mois d’ancienneté équivaut à un
point supplémentaire. Pour les travailleurs migrants dans la province du Zhejiang,
l’indemnité représente 40% de celle octroyée aux travailleurs locaux. Selon les
estimations du Ministère du Travail et de la Sécurité sociale, le taux des migrants
affiliés à une assurance chômage était inférieur à 20% en 2006.165
WANG J., op.cit. ; LEE C.-K., op.cit., pp.46-48 ; People’s Republic of China’s Standing
Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit ; “China’s Social Security System”, op.cit.
163
“China’s Social Security System”, op.cit.
164
Ibid.
165
WANG J., op.cit., pp. 54-55 ; LEE C.-K., op.cit., p.52 ; People's Republic of China’s State
Council, Unemployment Insurance Regulations of the People’s Republic of China, 22 January 1999,
State Council’s Decree No.258, available at: http://www.asianlii.org/cn/legis/cen/laws/roui413/#1.
162
47
Notons par ailleurs que la Loi sur les assurances sociales de 2011 prévoit le transfert
des prestations de chômage, qui peuvent ainsi être revendiquées indépendamment du
lieu. Cependant, des réformes structurelles seront nécessaires à la mise en pratique de
cette politique, notamment dans les zones rurales où il n’existe encore aucun système
qui permette aux migrants de recevoir les indemnités de chômage pour un travail
presté en zone urbaine. Les autorités locales règlent ce problème en leur versant alors
un montant bien inférieur à ce dont ils auraient légalement droit.166
3. L’assurance médicale
À partir 1998, après la réalisation de projets pilotes, le Conseil d’État a sommé toutes
les provinces de mettre en place un système de base d’assurance santé, géré au
niveau des départements municipaux du travail et de la sécurité sociale. Ici
également ce sont les employeurs et les travailleurs qui cotisent à un fonds
d’assurance local, à hauteur de 6% à 12% pour les premiers et 2% pour les seconds.
Le compte individuel de l’employé couvre les frais médicaux d’un montant
équivalent à 10% maximum du salaire annuel moyen local. En cas de solde
insuffisant, c’est au travailleur de compléter de sa poche, ce qui arrive fréquemment.
Le compte social prend la relève pour des frais médicaux supérieurs au montant
fixé167 (et plafonné à 5 fois le salaire annuel moyen).168
Selon l’article 27 de la Loi de 2011, lors de la retraite, si un certain nombre d’années
de contributions a été atteint, les avantages de l’assurance sont pleinement acquis,
sans versement supplémentaire nécessaire. Par ailleurs, l’article 32 établit, en théorie,
que « Where an individual is employed in a different overall planning area, his/her
basic medical insurance relationship shall be transferred with him/her, and the
contribution period shall be calculated on a cumulative basis. »169
Cependant, tout comme les autres systèmes d’assurance, le développement de celuici a été inégal, non seulement en termes de couverture mais aussi d’accès effectif aux
avantages, variant selon la volonté politique, la situation économique et la gestion
locales.170
“China’s Social Security System”, op.cit.
Les traitements couverts par le fonds public d’assurance sont repris sur une liste exhaustive dressée
par les autorités. Pour tout autre traitement, les frais sont à prendre en charge personnellement, via le
compte individuel du travailleur, de ses fonds propres ou par le biais d’une assurance privée. In : Ibid.
168
LEE C.-K., op.cit., pp.54-55 ; “China’s Social Security System”, op.cit.
169
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit.
170
“Countries judged to have the least fair financing of health systems include Sierra Leone,
Myanmar, Brazil, China, Viet Nam, Nepal, Russian Federation, Peru and Cambodia.” In: “World
166
167
48
Une étude comparative l’a d’ailleurs démontré en 2001 : à Shenyang, capitale de la
province de Liaoning située dans le nord-est de la Chine, seuls 9,1% des travailleurs
étaient couverts contre 88,6% à Shanghai. 171 Toutefois, dans les deux villes, des
retards au niveau du remboursement des prestations sociales ont été signalés,
respectivement dans 27,7% et 18,9% des cas. Contrairement à ce qu’indique la Loi
sur les assurances sociales de 2011, les assurés doivent souvent avancer le montant à
prendre en charge et ensuite le réclamer aux autorités.172
Nous remarquons à nouveau qu’il est difficile de faire respecter la loi à toutes les
entreprises et davantage encore dans les localités moins développées.173
Quant aux travailleurs migrants, leur taux d’affiliation demeure très faible :
En 2002, une enquête du Bureau de la sécurité sociale de Chengdu a révélé que seuls
2% parmi les travailleurs migrants possédaient une assurance médicale.174 Selon une
étude menée à Hangzhou, capitale de la province de Zhejiang, 81% des migrants ne
disposaient pas d’assurance médicale. Pour plus de la moitié (53%), il s’agissait de
leur propre choix : « they prefered to pay out of pocket for what they used, rather
than be burdened by regular payments. » 175 Selon des statistiques officielles, au
niveau national ce taux s’élevait à 10% en 2006. 176 En 2007, le nombre total
d’affiliés avait connu une hausse de plus de 60 millions de travailleurs, parmi
lesquels 7,6 millions de migrants.177 En 2013, le taux d’affiliation de ces derniers
178
avait en effet augmenté mais ne s’élevait tout de même encore qu’à 17,6%.
Pour faire face à ce problème étant donné « [the] strong association between
insurance coverage and Hukou registration status » 179 , le gouvernement central
encourage donc les villes à inclure les migrants dans leur système d’assurance,
notamment celles dont le développement dépend de la main-d’œuvre :
« En raison du nombre très important de travailleurs qu’elles reçoivent, la province
de Guangdong [Canton], et plus particulièrement la ville de Shenzhen, ont mis en
place dès la fin des années 1990 des règlements visant à faciliter et à accélérer leur
Health Organization Assesses the World's Health Systems”, World Health Organization (WHO):
Geneva, 21 June 2000, [online access], http://www.who.int/whr/2000/media_centre/press_release/en/,
dernière consultation le 9 juin 2015.
171
Voir aussi Milcent C. qui s’appuie sur une étude comparative officielle menée dans cinq grandes
destinations des migrants : MILCENT C., “Healthcare for Migrants in Urban China: A New Frontier”,
China Perspectives, 2010, vol.IV, pp.33-46.
172
“China’s Social Security System”, op.cit.
173
LEE C.-K., op.cit.
174
FROISSART C., op.cit.
175
HESKETH T., et al, “Health Status and Access to Health Care of Migrant Workers in China”,
Public Health Reports, 2008, vol.CXXIII, p.194.
176
WANG J., op.cit., p.56.
177
« Chine: la couverture médicale et de retraite de base profite à plus de 200 millions de personnes »,
Xinhua : Pékin, 22 janvier 2008, [accès en ligne], http://www.french.xinhuanet.com/french/200801/22/content_564496.htm, dernière consultation le 3 juin 2015.
178
“China’s Social Security System”, op.cit.
179
LAM K., JOHNSTON J., “Health insurance and healthcare utilisation for Shenzhen residents: a
tale of registrants and migrants?”, BioMed Central (BMC) Public Health, 2012, vol.XII, n°868, p.5.
49
180
intégration dans le système de sécurité sociale des urbains. » En 2005, la ville de
Shenzhen, dont la population est composée de plus de 70% de migrants, a initié une
politique qui permet aux travailleurs migrants de demander un remboursement allant
jusqu’à 60.000 yuans (9.000 euros), à condition d’avoir versé une cotisation
mensuelle de 4 yuans (0,60 €) pour l’employé, et 8 (1,20 €) pour l’employeur. Après
un an de mise en œuvre, plus d’un million de travailleurs avaient pu bénéficier du
programme.181
Malgré ces quelques efforts, il apparaît évident que les avantages pour les travailleurs
migrants ne sont pas aussi étendus que ceux des résidents urbains locaux, d’autant
plus que, en général, les contributions ne sont pas transférables. 182 Une étude, qui a
pourtant démontré les avantages que l’assurance médicale procure aux migrants,
rappelle en effet l’imperfection du système au niveau des remboursements et de la
coordination entre les différentes plateformes. Et de conclure que : « none of the
insurance schemes have made significant improvement for migrant workers in all of
the three outcome categories, i.e. the accessibility, affordability and appropriateness
of medical care. »183
4. L’assurance accident de travail
Malgré les grands progrès réalisés ces dix dernières années en termes de couverture,
notamment après la publication du règlement de 2003, actuellement, seul un quart de
la population active possède une assurance accident de travail. Le fonds concerné est
uniquement alimenté par l’employeur à hauteur de 0,5 à plus de 2% des salaires de la
main-d’œuvre selon une estimation des risques établie par le gouvernement central
en fonction des secteurs d’activité.184
Les articles 37 et 38 de la Loi sur les assurances sociales établissent une distinction
entre les différents frais relatifs à un accident du travail ou une maladie
professionnelle, une partie devant être prise en charge directement par l’employeur
(notamment, le salaire durant la période de traitement et les allocations d’invalidité
pour les cas modérément sévères) et une autre partie par le fonds d’assurance (entre
autres, les frais médicaux, d’hospitalisation et de rééducation ou encore les frais
funéraires, en cas de décès).185
180
FROISSART C., op.cit., p.269.
WANG J., op.cit., pp.55-56.
182
BARBER S., YAO L., Health insurance systems in China: A briefing note – World Health Report
(2010) Background Paper No 37, Beijing: World Health Organization (WHO) China, 2010, pp.22-23.
183
QIN X., et al, “Does Participating in Health Insurance Benefit the Migrant Workers in China? An
Empirical Investigation”, 2nd Global Symposium on Health Systems Research, Beijing, China, 2012,
p.26.
184
“China’s Social Security System”, op.cit. ; WANG J., op.cit. p.56
185
People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit.
181
50
Dans le cas où il ne cotise pas, l’employeur se voit dans l’obligation de couvrir luimême tous les frais. Toutefois, dans la majorité des cas, celui-ci n’accepte de payer
que les frais minimum de traitements pour la durée d’hospitalisation du travailleur.
Pour répondre à ce problème, la Loi sur les assurances sociales prévoit à l’article 41
que le montant dû doit alors être avancé par le gouvernement local, via le fonds
d’assurance, et peut ensuite être réclamé ou saisi auprès de l’employeur. Cependant,
une enquête conduite à Pékin un an après la publication de la Loi a révélé que seuls
3% des municipalités avaient émis un règlement d’application et 77% s’opposaient
fermement à cette mesure.186
Quoi qu’il en soit, l’assurance ne fonctionne en réalité que dans les cas où il n’y a
aucune contestation des faits et des coûts engendrés et si l’employeur a cotisé sans
faute. Dans le cas contraire, notamment si la relation professionnelle ne peut être
établie, les avantages peuvent être refusés ou leur versement retardé de plusieurs
années.
Nous avons vu que nombre de travailleurs migrants ne possèdent pas de contrat de
travail, ce qui les désavantage fortement dans ce cas-ci. Quant aux maladies
professionnelles qui se déclarent souvent plus tard, il est leur également difficile de
prouver le lien avec un travail effectué antérieurement et souvent sans contrat. Sur
les 6 millions de travailleurs chinois qui seraient atteints de pneumoconiose, seuls
10% d’entre eux ont été reconnus par le gouvernement. 187
Même en cas de décès, il n’est pas certain que la famille de la victime reçoive une
compensation du fonds d’assurance. En 2012, sur 72.000 décès sur le lieu de travail
officiellement reportés, un tiers seulement ont été certifiés être liés au travail et donc
éligibles pour la prise en charge des frais et des compensations éventuelles. La
majorité des cas mortels se règlent finalement par des accords privés ou un geste des
autorités locales afin d’éviter toute contestation.
Il est à noter que le taux de couverture de l’assurance accident de travail parmi les
migrants (près de 20% en 2006 et 30% en 2013) est plus élevé comparé aux autres
assurances, étant donné qu’ils travaillent en majorité dans des secteurs à risque et
que les contributions que l’employeur doit payer sont assez basses. 188 Le
gouvernement de Pékin a d’ailleurs réaffirmé que tout travailleur migrant possédant
un contrat formel devait y être affilié. Chaque année, 100.000 travailleurs trouvent
“China’s Social Security System”, op.cit. ; People’s Republic of China’s Standing Committee of
the National People’s Congress, (c) op.cit. ; WANG J., op.cit. p.56.
187
“China’s Social Security System”, op.cit. Pour plus d’information, voir : “Time to Pay the Bill –
China’s obligation to the victims of pneumoconiosis”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 28 April
2013, [online access],
http://www.clb.org.hk/en/sites/default/files/File/research_reports/Time%20to%20Pay%20the%20Bill.
pdf, dernière consultation le 2 juin 2015.
188
“China’s Social Security System”, op.cit. ; People’s Republic of China’s Standing Committee of
the National People’s Congress, (c) op.cit. ; WANG J., op.cit.
186
51
accidentellement la mort et 700.000 se blessent dans l’exercice de leur fonction, la
189
majorité étant des travailleurs temporaires.
5. L’assurance maternité
Les employeurs sont également les seuls à contribuer au fonds d’assurance maternité,
à un taux déterminé par les autorités locales. C’est une des raisons pour laquelle
aucune migrante n’est affiliée à une assurance maternité dans la ville de Chengdu. 190
À Pékin par exemple, le taux s’élève à 0,8% du salaire de l’employée concernée,
tandis qu’à Canton, la contribution de 1% est basée sur le salaire mensuel moyen
local. Le fonds couvre tous les frais liés à la maternité, des contrôles prénataux aux
indemnités durant le congé de maternité (qui s’élève à 98 jours, selon la Disposition
spéciale sur la protection des employées datant de 2012).191
Ici encore, malgré le taux de couverture qui a presque quadruplé cette dernière
décennie (passant de 44 millions d’affiliées en 2004 à 164 millions en 2013), les
avantages réels sont limités (en 2013, seules 5,2 millions d’employées en avaient
profité). Il est encore fréquent pour les employeurs d’éviter d’embaucher ou de
trouver un moyen de licencier des femmes susceptibles d'avoir des obligations
maternelles. D’autres pratiques courantes consistent à se renseigner sur leurs projets
et les soumettre à des conditions contractuelles illégales, ou encore, lorsqu’elles sont
enceintes, à les forcer à démissionner en leur assignant des tâches trop lourdes.192
L’on peut comprendre dans ce cadre qu’il soit encore plus difficile pour des
migrantes de faire valoir leurs droits et qu’elles décident ainsi de ne contracter
aucune assurance maternité.
C. SANTÉ
À côté des pauvres conditions de travail et du manque d’accès à la sécurité sociale,
un autre domaine affecté par le système du hukou est la santé. La relation entre la
migration intérieure en Chine et les risques sanitaires a donné lieu à une littérature
abondante. Les migrants et leur famille représentent en effet un groupe vulnérable,
dû notamment au manque d’accès aux services et aux systèmes d’assurance santé,
189
WANG J., op.cit.
FROISSART C., op.cit., p.152.
191
Cf. les articles 55 et 56 de la Loi sur les assurances sociales. In: People’s Republic of China’s
Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit.
192
“China’s Social Security System”, op.cit.
190
52
aux pauvres conditions de travail et de vie, à une connaissance limitée des risques
liés à la santé, des maladies et des moyens de prévention, et enfin, à leur faible statut
socioéconomique :
Wei X. et al ont comparé les quatre groupes de résidents dans une même localité, à
savoir les résidents urbains et ruraux locaux, et les migrants urbains et ruraux. Ils
confirment dans la conclusion de leur étude que le groupe le plus désavantagé en
matière de connaissance et d’utilisation des services de santé est bien le groupe des
193
migrants ruraux.
Il a été démontré que leur taux d’immunisation est plus faible et qu’ils sont plus à
risque de contracter des maladies infectieuses (entre autres, la tuberculose, la
malaria, l’hépatite, la rougeole,…) et plus exposés aux maladies professionnelles.194
Le taux de mortalité maternelle parmi la population migrante est également plus
élevé :
En 2005 à Shanghai, il a été estimé à 48 décès pour 100.000 naissances vivantes
contre 1,64/100.000 pour la population urbaine locale. La raison principale étant une
sous-utilisation des services en ville, elle-même causée par la contrainte économique
et l’incapacité de payer, le manque de connaissances et de sensibilisation aux
problèmes de santé, un manque d’information et d’accessibilité aux services, enfin,
les contraintes politiques et institutionnelles, telles que l’absence d’assurance
santé.195
En outre, les stéréotypes négatifs qu’il existe à l’encontre de la population migrante
semblent jouer un rôle dans l’accès égal aux traitements :
« [S]tereotyping by public health professionals of floating populations that depicts
them as having ‘poor sanitary habits, poor immune systems, irresponsible risk
behaviours, and to have failed to obtain vaccinations for themselves or their
children’ has denied migrant from getting health services needed to mitigate the
spread of infectious disease. More efforts are needed facilitate targeted prevention
programmes by elimination of restrictive residence-based eligibility criteria for
196
access to health services. »
À cet effet, le gouvernement central, via les différents ministères concernés, a montré
en 2009 sa volonté d’améliorer la situation lors de la publication des « Propositions
WEI X., et al, “Comparing Knowledge and Use of Health Services of Migrants from Rural and
Urban Areas in Kunming City, China”, Journal of Biosocial Science, 2010, vol.XLII, pp.743-756.
194
BARBER S., YAO L., op.cit., pp.22-23 ; MOU J., et al, (a) “Health of China’s rural-urban
migrants and their families: a review of literature from 2000 to 2012”, British Medical Bulletin, 2013,
n°106, p.22 ; SHI Y., et al, “Lack of health risk awareness in low-income Chinese youth migrants:
assessment and associated factors”, Environmental Health and Preventive Medicine, 2012, vol.XVII,
pp.385-393.
195
ZHENG Z., et al, Reproductive Health and Access to Services among Rural-to-Urban Migrants in
China, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°4, 2013, pp.4-5.
196
MASON K., 2012, cité dans : MOU J., et al, (a), op.cit., p.24.
193
53
sur la promotion de l'égalisation des services primaires de santé publique » et du
« Protocole national des services de santé publique ». Les deux documents
appelaient l’ensemble des services de santé publique à améliorer leur accessibilité à
tous les résidents, y compris les migrants. La mise en place opérationnelle des
principes dictés relevait toutefois de la décision des autorités locales. 197
1. Les maladies infectieuses et transmissibles
Dans un souci de protection de la santé publique, les chercheurs qui plaident pour
une meilleure prise en charge des migrants au niveau des maladies infectieuses,
mettent en avant le fait que celle-ci bénéficierait à l’ensemble de la population et
préviendrait le déclenchement d’épidémies. En effet, la grande mobilité des migrants
ne permet pas d’assurer leur suivi (dans 86,3% des cas pour la tuberculose, par
exemple) et engendre ainsi le risque qu’ils deviennent vecteurs de maladies entre les
différentes zones urbaines où ils circulent, mais aussi à leur retour en zone rurale. 198
Une théorie afin de lutter efficacement contre la transmission des maladies promeut
la mise en place d’une politique axée sur les cinq phases de la migration : avant le
départ, durant le voyage, à destination, en détention (pour les migrants illégaux), et
au retour (cf. Annexe 7).199
Mise à part la vaccination dans le milieu scolaire, des sessions d’information sur la
santé paraissent être un des meilleurs moyens de prévention. Des projets ont déjà vu
le jour, notamment dans les provinces les plus touchées par l’émigration. Les
organisations non gouvernementales jouent également un rôle bénéfique dans la
sensibilisation à la santé auprès des migrants, dans la localité de départ comme à
destination (à Shenzhen, par exemple). 200 Une solution avancée pour améliorer
l’accès aux services à destination est de régulariser les centres de santé informels
(souvent ouverts par des migrants eux-mêmes) dans lesquels la plupart des migrants
se rendent pour des raisons économiques et faute d’assurance santé.201
197
ZHENG Z., et al, op.cit., p.14.
STRAND M., et al, “Presence and Awareness of Infectious Disease among Chinese Migrant
Workers”, International Quarterly of Community Health Education, 2007, vol.XXVI, n°4, pp.379395.
199
Théorie développée par Zimmerman et al, 2011, cité dans : TUCKER J. D., et al, The Influence of
Migration on the Burden of and Response to Infectious Disease Threats in China, Geneva: UNRISD –
Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°3, 2013, pp.1-12.
200
XIANG B., (b) “Migration and Health in China: Problems, Obstacles and Solutions”, Asian
MetaCenter, 2004, n°17, pp.25-26.
201
XIANG B., (b) op.cit., pp.26-27 ; ZHANG Z., “The Health Status of Migrant Workers in China”,
Harvard University: Cambridge (Massachusetts), 20 January 2014, [online access]:
http://hir.harvard.edu/the-health-status-of-migrant-workers-in-china, dernière consultation le 25 mai
2015.
198
54
Concernant les maladies et infections sexuellement transmissibles, de nombreuses
recherches relatives aux comportements et aux connaissances des migrants ont été
effectuées. D’après les résultats, malgré une prévalence relativement modérée, la
population migrante présente tout de même un comportement à risque plus élevé :
Les femmes travaillent souvent dans des salons de beauté, centres de massage et
discothèques, soit des environnements propices aux activités sexuelles
commerciales.202 20% des travailleurs migrants y auraient d’ailleurs déjà pris part.203
De plus, l’usage du préservatif est peu élevé parmi les migrants (68% déclarent ne
jamais l’utiliser), bien qu’ils fassent preuve d’une bonne connaissance quant à la
transmission du VIH/SIDA. Et pourtant, plus d’un tiers (35,2%) des migrants
interrogés croyaient à tort que le SIDA est une maladie guérissable.204
En ville, les résidents locaux affectés par le VIH/SIDA sont pris en charge
gratuitement. En raison du coût élevé que cela représente pour les autorités locales,
les travailleurs temporaires n’ont donc pas accès à ces services. 205 Les efforts de
prévention contre le VIH ont longtemps ignoré la population migrante. Parmi celleci, moins de 1% seulement aurait été atteinte par les programmes de prévention
actuels. Par ailleurs, les systèmes de surveillance n’incluent pas toujours les
migrants.206
2. La santé nutritionnelle
Des chercheurs ont en outre démontré le lien qu’il existe entre l’état nutritionnel et
sanitaire des migrants et leurs revenus : « [Adequate meals and rest] are often
ignored by both migrant workers themselves and their employers who provide meals
and demand overtime work because of economic pressure »207.
Tout d’abord, il a été constaté que les travailleurs dans le secteur de la construction
ne peuvent s’alimenter aux heures indiquées. Ensuite, par souci d’économie ou par
manque de sensibilisation, le repas du midi qui est fourni en général par l’employeur
ne répond pas aux besoins nutritionnels des employés. Par ailleurs, ces derniers
n’attachent eux-mêmes pas assez d’importance au dernier repas de la journée, en
raison de fausses croyances personnelles. Enfin, le salaire étant remis à la fin du
mois (sans tenir compte des retards et impayés), leur productivité du mois affectera
WANG W., et al, “Prevalence and Risks for Sexually Transmitted Infections Among a National
Sample of Migrants vs. Non-migrants in China”, International Journal of STD and AIDS, 2010,
vol.XXI, n°6, pp.410-415.
203
TUCKER J. D., et al, op.cit., p.5. Rappelons tout de même que, au même titre que la toxicomanie,
la prostitution est une pratique illégale en Chine.
204
STRAND M., et al, op.cit., pp.386-387.
205
MOU J., et al, (a) op.cit., pp.23-24.
206
TUCKER J. D., et al, op.cit., p.7.
207
ZHENG S., et al, “Do Nutrition and Health Affect Migrant Workers’ Incomes? Some Evidence
from Beijing, China”, China & World Economy, 2010, vol.XVIII, n°5, p.121.
202
55
leur salaire et donc les dépenses qu’ils pourront effectuer le mois suivant en matière
d’alimentation et de santé.
Afin de permettre aux migrants d’exercer au mieux leur travail, grâce à un meilleur
état nutritionnel et une meilleure santé, et ainsi augmenter leurs revenus (notamment
via les primes), l’étude conclut à la nécessité de programmes éducationnels à cet
égard, d’autant plus que ceux-ci seraient non seulement faciles à mettre en place
mais aussi rentables.208
3. La santé mentale
La santé mentale est elle aussi affectée lors de la migration. Les causes sont
multiples : l’intégration difficile dans la vie urbaine, l’insatisfaction au travail, mais
également la charge de travail, le stress causé par la situation économique, la
séparation familiale, la discrimination… Les symptômes sont divers et parmi les plus
communs se trouvent notamment l’insomnie et la dépression :
Cette dernière toucherait en effet plus d’un cinquième des migrants209, la prévalence
étant toutefois moins élevée dans la tranche d’âge moyen et lorsque la période de
migration est inférieure à 6 mois. Notons qu’un niveau d’instruction plus élevé
augmente le risque de développer des symptômes de la dépression, en raison du
décalage entre les attentes (de la part du migrant ou de ses proches) et la réalité
ressentie comme : « being trapped as a migrant worker ». Plus un migrant est
mobile (et donc plus courts sont ses séjours, plus instable et précaire est sa situation),
plus il sera enclin à être affecté par la dépression. Remarquons enfin que les deux
genres sont concernés par le problème, sans distinction significative. La présence de
la famille a une influence positive, mais plutôt au début de la période de
migration.210
Ce mal-être constant explique sans doute aussi les taux élevés de suicides et de
tentatives de suicide chez les migrants :
« My daughter cannot get married. She went out to work when she was 15 and now
has severe psychological problems due to the long period of time she spent working
in the city and dealing with the stress of work and daily life. She is now at home and
cannot work anymore. She started a fire in the house twice, almost killing herself. I
had to hold her when she felt bad. She sometimes does not even recognize me. » 211
Id., pp.105-124. Voir aussi : LU L., et al, “Health-Related Quality of Life and Its Correlates among
Chinese Migrants in Small- and Medium-Sized Enterprises in Two Cities of Guangdong”, Public
Library of Science (PLoS) ONE, 2014, vol.IX, n°1, 10 p.
209
Résultat conclu par deux etudes : MOU J., et al, (b) “Internal Migration and Depressive Symptoms
among Migrant Factory Workers in Shenzhen, China”, Journal of Community Psychology, 2011,
vol.XXXIX, n°2, pp.212-230. QIU P., et al, “Depression and Associated Factors in Internal Migrant
Workers in China”, Journal of Affective Disorders, 2011, vol.CXXXIV, n°1-3, pp.198-207.
210
MOU J., et al, (b) op.cit.
211
CHEN C., et al, op.cit., p.14.
208
56
Les problèmes évoqués ci-dessus surviennent également parmi la population
d’enfants de migrants, qu’ils soient avec leurs parents en ville, ou qu’ils aient été
laissés à la campagne (cf. infra).212
4. Les comportements à risque
Enfin, d’autres comportements à risque tels que la consommation d’alcool, de drogue
et de tabac ont également fait l’objet d’études au sein de la population migrante. Tel
que le remarque l’une d’elles : « Discrimination, rapid mobility, instability of living
and employment conditions, and increased influence of urban lifestyle are all factors
that likely contribute to increased vulnerability to tobacco use and other risk
behaviors. »213 Tel l’ont confirmé plusieurs études, la consommation de tabac est en
effet significativement plus élevée chez les migrants :214
La prévalence du tabagisme parmi les migrants varie entre 19% et 27%, selon la
localité et le secteur de travail. Au quotidien, le tabac est davantage consommé par
les hommes et associé à la consommation d’alcool pour les plus gros fumeurs, ainsi
qu’à l’usage d’internet, via les cybercafés.215
D. INSTRUCTION SCOLAIRE
Comme nous l’avons énoncé dans le chapitre antérieur, le milieu des années 1990
correspond à une intensification des mouvements migratoires, avec, entre autres, des
migrations familiales.216 En 2004, le nombre d’enfants de migrants en zone urbaine a
été estimé allant de 2 à 6 millions sur l’ensemble du territoire chinois. 217 Ce chiffre
ne cessant d’évoluer, se pose alors la question de leur instruction. En effet, neuf
années de scolarité sont obligatoires en Chine, comprenant six ans d’école primaire
et trois ans de collège (premier cycle de l’école secondaire). 218 Pourtant, jusqu’alors,
MOU J., et al, (a) op.cit., pp.25-26 ; YANG T. et al, “Mental Health Status and Related
Characteristics of Chinese Male Rural–Urban Migrant Workers”, Community Mental Health Journal,
2011, vol XLVIII, n°3, pp.342-351.
213
FINCH K., et al, “Smoking Knowledge, Attitudes, and Behaviors Among Rural-to-Urban Migrant
Women in Beijing, China”, Asia-Pacific Journal of Public Health (APJPH), 2010, vol. XXII, n°3,
pp.342-353.
214
Voir notamment : CUI X., et al, “Work stress, life stress, and smoking among rural–urban migrant
workers in China”, BioMed Central Public Health, 2012, vol.XII, pp.979-986.
215
MOU J., et al, (c) “Tobacco Smoking Among Migrant Factory Workers in Shenzhen, China”,
Nicotine and Tobacco Research – Oxford Journal, 2012, vol.XV, n°1, pp.69-76.
216
Voir également SOLINGER D., op.cit., cité dans : WANG J., op.cit., p.57.
217
KWONG, 2004, cité dans : WANG J., op.cit.
218
Cf. article 2 de la Loi sur l’instruction obligatoire, adoptée en 1986, et l’article 18 de la Loi sur
l’éducation de 1995. Il est également indiqué que tous doivent œuvrer en faveur de cette mesure, aussi
bien les autorités gouvernementales, à tous les niveaux, que les parents et tuteurs des enfants. In :
212
57
l’instruction publique était inaccessible aux enfants qui ne possédaient pas de hukou
local.219 Cela va pourtant à l’encontre des objectifs d’un pays communiste comme le
remarque Benson :
« L’un des objectifs de la RPC [République populaire de Chine] était d’offrir une
formation à tous ses citoyens. Les efforts en ce sens remontent aux années cinquante
mais furent interrompus par les campagnes politiques et économiques. Des progrès
furent accomplis néanmoins avec la réduction du taux d’analphabétisme des adultes
et la scolarisation de tous les garçons et toutes les filles à l’école primaire. » Quant à
l’obligation scolaire, elle ajoute : « de manière non officielle, beaucoup d’enfants ont
commencé à l’école primaire sans jamais la terminer, en partie parce que durant l’ère
des réformes, les écoles de tous les niveaux se mirent à réclamer un minerval. […]
les familles les plus pauvres eurent tendance à retirer leurs enfants – leurs filles en
général – de l’école après quelques années seulement. »220
En 1996, afin de faire appliquer l’obligation scolaire à la population migrante, la
Commission d’État pour l’Éducation (par la suite le Ministère de l’Éducation) publia
un règlement qui visait à restreindre la migration des enfants en âge scolaire, via
l’aide de la police en charge du hukou.221
L’accès à l’instruction est un droit fondamental pour lequel nombreux sont les
migrants et intellectuels prêts à se mobiliser car il représente une opportunité unique
pour les groupes défavorisés d’améliorer leur condition sociale. Reconnaissant les
bénéfices que la scolarisation peut apporter au développement de la nation ainsi qu’à
la stabilité sociale (mais sans doute aussi en raison d’une pression internationale)222,
le gouvernement chinois s’est ensuite montré plus ouvert face à cette problématique.
Ainsi, des directives centrales ont été publiées afin de permettre aux enfants des
migrants d’étudier en ville.
En 1998, les « Mesures provisoires pour la scolarisation des enfants et adolescents
issus de la population flottante » appelaient toutes les municipalités à organiser des
classes pour les enfants migrants dans les écoles publiques, moyennant des charges
People’s Republic of China’s National People's Congress, Compulsory Education Law of the People's
Republic of China, 12 April 1986, Presidential Order No. 38, available at:
http://www.china.org.cn/english/government/207401.htm ; People’s Republic of China’s National
People’s Congress, Education Law of the People's Republic of China, 18 March 1995, Presidential
Order No. 45, available at: http://www.china.org.cn/english/education/184669.htm.
219
WANG J., op.cit., p.58.
220
BENSON L., op.cit, pp.127-128.
221
WANG F.-L., op.cit., p.193.
222
Notamment les inspections effectuées par des rapporteurs des Nations Unies. La Chine a en effet
signé et ratifié des conventions internationales dans lesquelles sont explicitement mentionnés les
droits à l’éducation ; elle fut ainsi rappelée à l’ordre afin de les mettre en application.
In : FROISSART C., op.cit., pp.281-283.
58
additionnelles raisonnables (et à condition que ceux-ci résident en ville depuis plus
de 6 mois et n’aient aucun proche parent ou tuteur qui puisse s’en occuper à la
campagne.) 223 En outre, le document légalisait les écoles privées réservées aux
migrants, qui avaient vu le jour depuis la décennie quatre-vingt-dix mais se voyaient
constamment fermées par les autorités locales :
En effet, tenues par des migrants non professionnels, et parfois même illettrés, ces
écoles privées présentaient des conditions tellement pauvres que les autorités
préféraient les fermer pour ne pas être tenues responsables, comme indiqué
légalement, en cas d’accidents tels que l’effondrement du bâtiment ou une
intoxication alimentaire. Une école primaire pour migrants à Pékin a ainsi changé
224
trois fois de lieu en trois mois de temps.
Toutefois, la réglementation fut loin d’être appliquée par tous. Dans la plupart des
cas, les institutions ont imposé des frais supplémentaires élevés à des fins de
dissuasion (un coût annuel de 1080 à 2580 yuans à Pékin, de 160 à 380 euros), alors
qu’une majorité de familles migrantes ne possédaient même pas les moyens
financiers pour couvrir l’inscription d’une école privée (entre 300 et 600 yuans par
an, de 44 à 88 euros).
À titre d’exemple, entre 1999 et 2000 à Pékin, sur les 100.000 enfants de migrants
225
que comptait la ville, 87,5% n’avaient accès à aucune institution scolaire. Et en
2004 au niveau national, sur 20 millions d’enfants migrants, deux tiers n’avaient
toujours pas accès à l’instruction publique.226
En 2001, le Conseil d’État publiait sa « Décision pour la réforme et le
développement de l’instruction élémentaire », rappelant à nouveau les principes à
suivre afin de rendre l’instruction accessible à tous en zone urbaine. Toutefois,
l’intégration des enfants migrants dans les établissements publics, signifiait
également un coût supplémentaire à la charge des autorités locales qu’elles n’étaient
pas prêtes à assumer, la gestion du financement public ayant été décentralisée, tandis
que l’État central lui-même n’alloue environ que 2% du PNB à l’éducation227 :
« […] as part of the wider agenda of decentralising its public finance management,
China reformed its educational system in 1985 such that different levels of
government would be responsible for the provision, supervision and financing of
education. Budget allocation is based strictly on the assumption that public
223
Ibid.
XIANG B., (a) “How Far are the Left-Behind Left Behind? A Preliminary Study in Rural China”,
Population Space Place, 2007, n°13, pp.181-182.
225
WANG F.-L., op.cit., pp.193-194.
226
BASTID-BRUGUIERE, cité dans : WANG J., op.cit., pp.59-60.
227
FROISSART C., op.cit., pp.282-284.
224
59
education is for the hukou population only. Although it is self-evident that migrant
parents are contributing to the local revenue, the local government could argue that
serving migrants would violate budget regulations. » 228
Conscient des défis encore présents, le Conseil d’État formula en 2003 un « Avis
pour améliorer l’instruction obligatoire des enfants de travailleurs migrants » qui
insistait pour que celle-ci soit intégrée dans les plans de développement locaux et que
les autorités locales dégagent des fonds en vue de réduire la charge financière
incombée aux familles migrantes et d’ouvrir de nouvelles écoles destinée à leurs
enfants. L’année suivante, l’Assemblée populaire nationale abolissait en outre toutes
les taxes relatives à la scolarité.229
Qu’importe leur nombre, les politiques centrales n’ont pas abouti à un
développement homogène de l’accès à l’instruction parmi la population des enfants
migrants. Les mesures qui ont suivi aux niveaux provinciaux et municipaux ont été
fort variées. Si des écoles ont été construites afin d’accueillir les migrants, celles-ci
se situent souvent dans les banlieues et présentent des conditions inférieures en
comparaison aux établissements locaux. Quoi qu’il en soit, le fardeau financier serait
bien trop lourd pour les localités qui accueillent le plus grand nombre de familles
migrantes :
C’est le cas notamment pour la province de Canton qui devrait, dans l’idéal, pouvoir
offrir une place dans un établissement scolaire à plus d’un million d’enfants. Quand
bien même les villes seraient capables d’accueillir l’ensemble des enfants, une autre
raison les retient d’investir trop dans l’accès à l’instruction : la peur d’attirer
davantage de familles. « In Suzhou City, for instance, there is an annual increase of
about 50,000 children of migrant rural workers. If 1,000 children were to be
accommodated in one school, there would be a need to build 50 schools every year
in just one city. The city is capable of accomplishing such a task but is concerned
that this would lead to a further rapid increase in the influx of further migrants with
children. » 230
Cela explique également le fait que dans de nombreux cas, étant incapables de les
accueillir tous, les municipalités imposent des conditions telles que seuls les enfants
des familles migrantes plus stables et plus aisées peuvent accéder à l’éducation
publique. Ceux-ci doivent par exemple fournir un certificat de résidence temporaire,
228
XIANG B., (a) op.cit., p.181.
WANG J., op.cit., pp.58-59.
230
Human Development Report China 2007/08: Access for All – Basic Public Services for 1.3 billion
people, Beijing: United Nations Development Programme (UNDP) China – China Institute for
Reform and Development, 2008, p.108.
229
60
une attestation d’emploi, un permis d’instruction (entre autres à Pékin, où les
autorités ne l’accordent qu’à un seul enfant par famille), …231
Ces conditions favorisent en réalité les migrants qui possèdent un hukou urbain. Les
autorités jouent d’ailleurs sur cette ambigüité terminologique en avançant des
chiffres mirobolants d’enfants migrants désormais intégrés dans les écoles publiques,
mais, en réalité, il s’agit en grande partie de migrants urbains, qui ne sont pas les
plus vulnérables. 232 Par exemple dans l’extrait suivant, le type de migrants n’est pas
précisé : « Grâce à l'aide financière de l'autorité centrale, 13,94 millions d'élèves
accompagnant leurs parents travailleurs migrants ont pu suivre l'enseignement
obligatoire dans les villes où ceux-ci sont installés […]. » 233
Par ailleurs, l’exemption des taxes de scolarité temporaire n’est appliquée que dans
une minorité des cas, sur présentation de certains documents qui éliminent ainsi une
majorité des enfants. Froissart note à ce propos :
« Comme les réformes du hukou et de la sécurité sociale, [cette mesure] sert une
politique d’immigration sélective qui approfondit la stratification sociale dans la
mesure où elle favorise l’élite. Elle permet aussi à l’État de rassoir son contrôle sur
l’économie et la société : la demande d’avis d’imposition et de contrat de travail sert
une reprise en main de l’économie informelle, celle de permis de résidence favorise
le contrôle social ; aussi cette politique a-t-elle sans aucun doute encouragé une
partie des migrants à régulariser leur situation. »234
Quant à la légalisation et régularisation des écoles privées destinées aux enfants
migrants, elles n’ont parfois tout simplement pas été mises en œuvre, ou seulement
un instant :
À Chengdu, en 2004, la situation d’une école avait attiré l’attention des médias
officiels et locaux, qui avaient ainsi suivi les négociations avec les autorités
municipales dans le cadre de sa régularisation annoncée. La vague médiatique
passée, l’école a finalement été fermée, pénalisant plus de 700 élèves et les
propriétaires qui s’étaient endettés pour investir plus d’un million de yuans (150.000
euros) dans les infrastructures. Le cas n’est pourtant pas unique et est encore loin
d’illustrer les vastes campagnes de fermeture qui ont eu lieu dans les métropoles de
Pékin et de Shanghai.235
Pour les enfants migrants qui parviendraient à obtenir une place subsidiée dans une
école publique, celle-ci est assurée seulement jusqu’à la fin de la période obligatoire.
À partir du lycée, les frais doivent à nouveau être entièrement pris en charge par les
231
WANG J., op.cit., pp.59-60.
FROISSART C., op.cit., p.305.
233
« Texte intégral du Rapport sur les budgets central et locaux – III) Exécution du budget en 2013 »,
Agence
de
Presse
Xinhua :
Beijing,
15
mars
2014,
[accès
en
ligne],
http://french.xinhuanet.com/chine/2014-03/15/c_133188687_3.htm, dernière consultation le 10 juin
2015.
234
FROISSART C., op.cit.
235
Id., pp.306-309.
232
61
familles, ainsi, dans la majorité des cas, les enfants se voient contraints d’abandonner
l’école ou de rentrer dans leur ville natale poursuivre leur éducation. Et s’il leur était
possible de continuer leur formation en zone urbaine, les examens d’entrée au lycée
et à l’université se tenant automatiquement dans le lieu d’enregistrement du hukou,
ils n’auraient d’autre choix que de retourner à deux reprises dans leur ville natale afin
de passer ces épreuves. En outre, les programmes de cours variant selon les localités,
les examens des zones rurales sont reconnus pour être plus sélectifs :236
« [T]he entire school enrolment system is also place-based. This also leads to
discrepancies between what migrant students have studied in the place of destination
and the examinations that they take in the place of origin. »237
Récemment, des efforts ont été fournis et, dans son dernier rapport d’activités, le
gouvernement central montre sa volonté de diminuer les inégalités relatives à
l’instruction :
« L'égalité des chances dans l'éducation a poursuivi sa marche en avant. […] Le
nombre de provinces où les enfants de paysans venus travailler en ville peuvent
s'inscrire au gaokao [concours national d'entrée à l'université] dans la ville où sont
employés leurs parents a été porté à 28. Pour la deuxième année consécutive, le
nombre des élèves provenant de régions rurales pauvres admis dans une école
supérieure de premier ordre a progressé de plus de 10%. Grâce à nos efforts, les
dépenses budgétaires destinées à l'éducation ont atteint plus de 4% du PIB. »238
E. LES « LEFT-BEHIND »
Nous nous devons enfin d’évoquer une dernière conséquence du système du hukou
sur les familles chinoises : les « left-behind » ou les membres qui ont été « laissés
derrière » par les migrants. Trois groupes en sont victimes, surnommés en chinois
« l’armée 38-61-99 » : il s’agit des femmes (mariées) (célébrées le 8 mars), des
enfants (célébrés le 1er juin) et des personnes âgées (célébrées le 9 septembre en
Chine) qui « occupent » les campagnes. En effet, il est souvent difficile pour les
migrants d’emmener leur famille en ville : le système du hukou, nous l’avons vu, les
poussent souvent à s’engager dans des emplois informels et précaires où ils ne
236
FROISSART C., op.cit., p.308.
XIANG B., (a) op.cit., p.182.
238
« Texte intégral : Rapport d'activité du gouvernement 2015 », Agence de Presse Xinhua : Beijing,
16 mars 2015, [accès en ligne], http://french.xinhuanet.com/chine/2015-03/16/c_134071651_3.htm,
dernière consultation le 25 juillet 2015.
237
62
jouissent ni de salaires sûrs ni d’avantages sociaux. Leur situation est instable, et ils
changent souvent de localité, à la recherche de nouvelles opportunités. 239
Actuellement, le nombre d’enfants laissés seuls dans les campagnes est estimé à plus
de 61 millions.240
Le Comité des Nations Unies pour les droits économiques et sociaux (Comité
DESC) a d’ailleurs insisté sur ce problème, exprimant sa profonde inquiétude dans
ses observations finales de 2014 : « The Committee urges the State party to take all
necessary effective family-support measures to avoid the separation of children from
their family environment and to ensure that children, particularly those from rural
areas, can be raised by their parents. »241
Le phénomène préoccupe d’ailleurs l’ensemble de la population chinoise, alertée
notamment lors d’un scandale de lait frelaté en 2004242 qui a davantage touché les
enfants d’Anhui, figurant parmi les provinces qui comptent le plus grand nombre de
parents migrants.243
En effet, les médias rapportent souvent des drames qui surviennent dans les
campagnes en raison de leur absence (viols, accidents mortels…). Un discours
prônant la famille a ainsi vu le jour, soulignant que « leaving one’s children behind
[is] a sin » ou encore que « mothers have no excuse whatsoever to leave children
behind ».244
Conscients de leur devoir parental, qui est aussi une des raisons de leur migration, les
parents se trouvent face à dilemme comme le décrit ce témoignage :
« All I am doing now is for the children. But when you are away earning money for
them, they learn all the bad things. [But] if I stay home, who is going to earn the
money? ».245
239
Le terme en chinois 留守者, liushouzhe, désigne plutôt « ceux qui restent », sous-entendant « ceux
qui attendent le retour des migrants ». In : XIANG B., (a) op.cit., p.181.
240
They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, Beijing:
Center for Child Rights and Corporate Social Responsibility (CCR CSR), 2013, p.7.
241
UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (b) op.cit.
242
Entre 2003 et 2004, près de 200 nourrissons laissés à la campagne par leurs parents migrants ont
souffert de malnutrition sévère (et plusieurs dizaines en seraient morts), en raison d’un lait de
mauvaise qualité et peu cher administré pour la plupart des cas par les grands-parents peu éduqués
(eux-mêmes « laissés derrière »), qui furent lents à réagir aux symptômes. In : XIANG B., (a) op.cit.,
p.180 ; WATTS J., “Chinese baby milk blamed for 50 deaths”, The Guardian: London, 21 April 2004,
[online access], http://www.theguardian.com/world/2004/apr/21/china.jonathanwatts, dernière
consultation le 4 juin 2015.
243
Par exemple, une enquête menée dans une école primaire de la province, dans la ville de Tian
Chang, a révélé que dans 58,5% des cas, un des deux parents était absent, et 37,2%, les deux parents
avaient migré. In : QIAN M., 2004, cité dans : XIANG B., (a) op.cit., p.185.
244
XIANG B., (a) op.cit.
245
Id., p.180.
63
Paradoxalement, la première raison pour laquelle les migrants décident de ne pas
emmener leurs enfants en ville est le manque de temps pour pouvoir s’en occuper.246
Il leur est difficile de trouver un équilibre entre les besoins financiers de la famille et
les besoins personnels de leurs enfants, dû également au manque d’un système d’aide
sociale dans les localités d’origine. Selon une étude, la majorité (60%) des migrants
confirment que la migration a un impact positif sur leur situation économique.247
Les conséquences pour les enfants « left-behind », âgés en moyenne entre 2 et 6 ans,
sont nombreuses, tant aux niveaux psychologique, comportemental, qu’éducationnel :
Après de longs mois ou de longues années généralement pris en charge par leurs
grands-parents ou un proche parent, les enfants rejettent leurs parents, montrent des
comportements extrêmes soit très agressifs, soit introvertis, et ont du mal à
communiquer, à se socialiser. Ils souffrent d’anxiété, de dépression, d’une faible
estime de soi, et ont tendance à être pessimistes. Cela se reflète également dans leurs
résultats scolaires : le taux de décrochage étant plus élevé parmi ce groupe
d’enfants.248
Le fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a lui-même mis en place, avec
ses partenaires, un programme destiné aux enfants « left-behind » et continue de
plaider pour une meilleure prise en charge du problème :249
« Children left behind by migration suffer the burdens of separation. Many see their
parents rarely – often only once a year. Some live with grandparents who have
limited ability to care for young children. Ten percent of left-behind children live on
their own, or without any family members. These left-behind children lack care,
protection and guidance. The risks they face are both psychological and physical.
Their rates of childhood injury and accidental death are higher than that of their
peers. »250
Toutefois, des études comparatives démontrent que les enfants dont les parents sont
présents n’obtiennent pas de si meilleurs résultats à l’école et sont presqu’aussi
enclin à développer des problèmes comportementaux et psychologiques. Certains
They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, op.cit.,
p.28.
247
Id., p.8; p.16.
248
XIANG B., (a) op.cit., pp.181-182 ; pp.185-186 ; They Are Also Parents – A Study on Migrant
Workers with Left-behind Children in China, op.cit., p.7 ; p.14 ; p.20 ; pp.25-26.
249
“UN CALLING ASIA: "Left-behind" children growing up alone in China”, United Nations Radio:
New York, 6 February 2015, [online access], http://www.unmultimedia.org/radio/english/2015/02/uncalling-asia-left-behind-children-growing-up-alone-in-china/#.VXGYaEaExrk, dernière consultation
le 4 juin 2015.
250
“Our Priorities – Children Affected by Migration”, UNICEF China: Beijing, [online access],
http://www.unicef.cn/en/index.php?m=content&c=index&a=lists&catid=130, dernière consultation le
4 juin 2015.
246
64
argumentent que le nœud du problème réside dans le fait que l’ensemble des zones
rurales a été abandonné :
Ce sont les conséquences d’un manque de financement dans les services de base,
notamment l’éducation. Les enfants sont également « abandonnés » par les
enseignants, qui préfèrent se rendre en ville, leur salaire et emploi à la campagne
n’étant pas garantis.251
Quant aux deux autres groupes « left-behind », les impacts de la migration sont
différents.
D’une part, les personnes âgées : plus de 70% de la population de plus de 60 ans
vivait en zone rurale.252 Réticentes à l’idée de devenir un fardeau pour leurs enfants
(et ce même lorsque l’enfant mène une vie plus aisée), celles-ci travaillent en général
jusqu’à ce que la santé ne le leur permette vraiment plus, parfois au-delà des 70
ans. 253 Selon les résultats d’une étude menée dans 6 provinces chinoises, les
personnes dont les enfants ont migré travaillent en effet davantage. Cependant, il
n’est pas possible de conclure que la migration influe négativement sur le bien-être
des anciens, car la bonne santé et la capacité d’un parent âgé à pouvoir travailler est
prise en compte dans la décision de migrer. 254 Ainsi, la tendance serait plutôt
inversée : si la santé d’un parent est mauvaise, l’enfant décide de ne pas migrer ou
d’interrompre sa migration :
“The worker often ha[s] no choice but to return home in order to take care for their
own ailing parents – who in turn often serve as the main caregivers fo the left-behind
children. As one of the factory managers stated in the interview “more than 70% of
staff eventually resign to go home and look after their parents”.” 255
En outre, les personnes dont les enfants ont migré se sentiraient certes plus seules,
mais plus satisfaites :
251
XIANG B., (a) op.cit., p.181; p.186.
Id., p.183.
253
Rappelons que les traditions chinoises ont été bouleversées, notamment avec la réforme de la
politique de planification familiale au début des années 1970. Les parents ont eu moins d’enfants qui
puissent les soutenir, parfois aucun fils, ou même, s’ils ont eu un enfant, certains ne peuvent ou ne
veulent pas se charger de leurs vieux parents. De plus, les parents ne peuvent s’appuyer sur une
allocation de retraite, en raison du faible système de sécurité sociale comme nous l’avons vu plus haut.
In : PANG L., et al, “Working until You Drop: The Elderly of Rural China”, The China Journal,
2004, n° 52, pp.73-94.
254
Ibid.
255
They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, op.cit.,
p.36.
252
65
L’accès à la terre leur assure en effet une sécurité économique minimale et s’ils
reçoivent en outre une petite somme de leur enfant, cela ne leur procurera que
davantage de sécurité et donc de satisfaction : « even a marginal increase in cash
contributions from the children can lead to great monetary security and thus more
emotional satisfaction. »256
D’ailleurs, les migrants et leurs parents ont eux-mêmes trouvé des solutions,
notamment la mise en place de « services sociaux payants » :
Afin de ne pas accumuler d’obligations sociales excessives, les enfants migrants font
régulièrement ou occasionnellement appel aux services d’autres membres du village,
qu’ils vont rémunérer financièrement. Cela s’applique également entre les enfants
257
d’une même famille, dans le cas où les parents auraient eu plusieurs fils : celui qui
migre et ne peut donc à son tour s’occuper de ses parents, défraie le frère qui le
remplace.258
D’autre part, pour les femmes restées à la campagne, la migration de l’époux peutêtre vue comme une manière de valoriser sa part de responsabilité dans les revenus
du foyer et ainsi une opportunité d’améliorer son statut via l’autonomisation.
Cependant, d’aucuns y voient plutôt la réalisation d’une tradition patriarcale :
« Before the girls are married, they have nothing to do at home, so they go to cities
to work. After marriage, they have to do the housework for the in-laws. They can’t
go anymore. »259
Contrairement à l’homme, le mariage influence la migration des femmes, la plupart
d’entre elles migrant à la période prémaritale.
À ce sujet, Pun Ngai écrit : « La famille patriarcale chinoise, bien qu’elle ait subi une
transformation rapide au cours de la période des réformes, impose de fortes
contraintes sur le déroulement de la vie des femmes chinoises rurales […]. La
majorité des travailleuses migrantes, qui sont souvent jeunes et célibataires, ont
XIANG B., (a) op.cit., pp.183-184. Ce résultat a été confirmé par une autre étude : “Migration also
may benefit sending families via receipt of remittances. Receipt of remittances appears to partly
compensate for the absence of family members, reducing the mental health costs by nearly half, so
that they are no longer statistically significant.” In: LU Y. et al, “Migration and depressive symptoms
in migrant-sending areas: findings from the survey of internal migration and health in China”,
International Journal of Public Health, 2012, n°57, p.696.
257
Les filles, elles, s’en vont dans la belle-famille une fois mariée (cf. infra).
258
XIANG B., (a) op.cit., p.185.
259
Id., p.183. Outre le devoir familial et le système du hukou, un autre obstacle leur a été imposé par
la politique de planification familiale chinoise : “Every married woman who doesn’t stay in her
hometown, like this victim who works at another city, has to come back to her hometown regularly for
a pregnancy check-up—required periodically to determine whether a woman is illegally pregnant.”
Cette règle est strictement appliquée et toute infraction peut être durement réprimée, comme le
témoigne un couple migrant : “We were beaten and illegally detained by the Family Planning
Officials of Nanzhan Town Family Planning Office simply because we were one day late to report for
a pregnancy check-up.” In : LITTLEJOHN R., China’s One Child Policy: New Evidence of Coercion
Forced Abortion, Sterilization, Contraception And the Practice of “Implication”, California:
Women’s Rights Without Frontiers, 2011, p.3. À Shanghai, une disposition a toutefois récemment été
prise pour permettre aux femmes migrantes d’effectuer ces contrôles depuis leur lieu de résidence. Cf.
note n°320.
256
66
encore à se battre pour prendre leurs propres décisions concernant le travail salarié et
le mariage. L’intervalle de temps entre le milieu et la fin des vingt premières années
d’une femme est typiquement le point où la famille décide si elle lui permet ou non
de travailler en ville. […] Quitter le travail pour se marier et retourner à la vie
villageoise est encore une caractéristique commune à la plupart des filles migrantes
qui travaillent […]. »260
Des chercheurs ont également noté que l’implication croissante des femmes « leftbehind » dans l’agriculture (69,1% en 2004) s’explique non pas comme étant le
résultat d’une autonomisation, mais plutôt par le fait que le secteur soit devenu
marginal. Enfin, les migrants eux-mêmes renvoient à l’expression chinoise « Man
are breadwinners, women are homemakers » ( 男主外,女主内, nan zhuwai, nü
zhunei) pour justifier le phénomène de la femme « left-behind ».261
CONCLUSION
Dans ce second chapitre, nous avons tout d’abord montré que le système
d’enregistrement des ménages, dit « système du hukou », est un héritage de la Chine
ancienne. Déjà à cette époque, il avait pour objectif d’assurer le contrôle social tout
en soutenant les recettes publiques via l’imposition. Plus encore, il classifiait la
population de manière socio-spatiale et définissait en fonction les droits des citoyens,
notamment celui de circuler.
Sous la République populaire de Mao, le système fut maintenu et le rôle qu’il jouait
dans le secteur de la sécurité publique fut accentué. Avec l’arrivée des réformes
économiques, des adaptations du système ont dû être mises en place. D’un côté,
celui-ci devait permettre à la main-d’œuvre mobile de contribuer au développement
du pays. D’un autre côté, sa gestion devait être renforcée afin que ces migrations ne
perturbent pas l’équilibre démographique ni l’ordre public. Malgré une plus grande
liberté de circulation accordée à des fins d’emploi, les conditions et services auxquels
les migrants avaient accès demeuraient inférieurs à ceux dont jouissaient les résidents
urbains locaux. Les migrants illégaux étaient chassés et malmenés par la police en
charge et envoyés dans des centres de rapatriement. Alors que les barrières à la
migration s’élevaient dans les années 1990, les grandes métropoles proposaient des
alternatives pour attirer les migrants les plus cultivés, talentueux ou riches.
260
261
NGAI P., op.cit., pp.13-14.
XIANG B., (a) op.cit., pp.182-183.
67
Le début du XXIe siècle a vu l’établissement de réformes en faveur des travailleurs
ruraux : des législations contre les discriminations et des avancées en matière de
protection des travailleurs, la suppression des quotas de transfert de hukou dans
certaines villes de taille modérée, l’abolissement de la distinction entre le hukou
agricole et non-agricole,… Cependant, la décentralisation de la gestion du système a
permis à certaines zones urbaines de maintenir voire de renforcer les obstacles à
l’intégration des ruraux. En effet, le hukou en tant que tel n’empêche pas la mobilité
mais bien l’accès aux services et à la citoyenneté en milieu urbain. Le débat quant à
l’abolition du système est peut-être ouvert, mais son issue paraît compromise par les
intérêts politiques, sociaux et économiques des grandes métropoles et autres pôles de
développement qui forment les destinations principales des migrants.
Nous avons ensuite détaillé certaines inégalités qui touchent encore actuellement les
migrants. Malgré les progrès récents en matière législative, les droits des travailleurs
migrants demeurent bafoués. Que ce soit dans le secteur privé ou public, les
employeurs profitent du peu de contrôle au niveau des conditions de travail ou des
cotisations sociales pour garder les coûts de production les plus bas possibles aux
dépens de la santé et du bien-être des travailleurs. Souvent employés dans un cadre
informel, ils ne disposent d’aucun recours pour faire valoir leurs intérêts. Leur statut,
leur mobilité et leur caractère temporaire les rendent vulnérables sur de nombreux
aspects. Nous avons notamment étudié la question sanitaire : en raison d’un manque
d’accès aux services, mais aussi faute de programmes de prévention et d’éducation
en la matière, la population migrante est la plus exposée aux risques. La situation
dans laquelle ils vivent en zone urbaine les affecte également mentalement.
Cependant, les migrants eux-mêmes ne sont pas les seuls à souffrir du système
discriminatoires. Leurs enfants ont difficilement accès à l’instruction publique en
ville. Les autorités locales se sont montrées assez réticentes à adopter les dispositions
prises au niveau central afin de faciliter cet accès étant donné que le financement
serait à leur propre charge. Cela a conduit une majorité des migrants à se mouvoir
sans leurs enfants, qui restent dès lors sous la responsabilité de leur épouse ou des
grands-parents. Bien que les conséquences de cet abandon soient nettement plus
notables chez les enfants, cette population, désignée sous le nom de « left-behind »,
souffre de cette politique de ségrégation unique à la Chine. D’aucuns argumentent
68
toutefois que l’ensemble des zones rurales paie aujourd’hui le prix d’un
développement économique à deux vitesses.
Dans le chapitre suivant et dernier, nous conclurons notre étude en présentant au
lecteur une analyse plus locale de la problématique des migrants ruraux.
69
CHAPITRE TROISIÈME : ÉTUDE DE CAS
LA PLACE DES MIGRANTS À SHANGHAI
Après avoir détaillé l’origine du système du hukou et les inégalités qu’il induit, nous
terminons par une étude de cas prenant place dans la ville de Shanghai. Nous
présenterons d’abord brièvement celle-ci, son évolution rapide en termes
urbanistiques, démographiques et socioéconomiques ainsi que la place accordée aux
migrants dans cette grande métropole. Nous partagerons ensuite les résultats des
entretiens que nous avons menés au mois de janvier 2015 auprès de huit
organisations non gouvernementales engagées à améliorer l’intégration de la
population migrante à Shanghai et en particulier l’instruction, l’éducation et la santé
des enfants ayant accompagné leurs parents dans la ville. Divisée en trois parties,
l’analyse portera sur la situation des organisations, de leurs bénéficiaires et enfin de
l’environnement politique et social dans lequel elles agissent.
SHANGHAI
A. MODERNISATION FULGURANTE
Capitale économique de la Chine et l’une des quatre municipalités relevant
directement de l’autorité centrale262, Shanghai a connu une évolution incroyable ces
vingt dernières années, une des plus rapides au monde, affichant une croissance
économique à deux chiffres presque chaque année depuis 1992.263 La municipalité
s’étend sur plus de 6300 km² et présente une forte densité de population qui s’élève à
3800 personnes/km².264
« En vingt ans, Shanghai a connu l'équivalent des aménagements haussmanniens, de
la modernisation automobile et des restructurations postmodernes et contemporaines
265
de Paris, des années 1850 au début du XXIe siècle. »
262
Les trois autres étant Pékin, Tianjin et Chongqing. Shanghai comprend 18 districts et un comté
(l’île de Chongming, la troisième île de Chine en termes de superficie).
263
“Shanghai Population 2015”, World Population Review: New York, 19 November 2014, [online
access], http://worldpopulationreview.com/world-cities/shanghai-population/, dernière consultation le
15 juin 2015.
264
“Shanghai Statistical Yearbook 2014”, Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de
Shanghai) : Shanghai, 2014, [accès en ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/data/toTjnj.xhtml?y=2014e,
dernière consultation le 15 juillet 2015.
265
SANJUAN T., (b) « Shanghai : l'exemple d'une métropolisation accélérée », Constructif, 2010,
n°26, 3 p.
70
Sa position stratégique en tant que ville côtière à l’embouchure du fleuve Yangzi ne
pouvait que la propulser sur le devant de la scène économique. C’est d’ailleurs une
des raisons de la présence étrangère dès les années 1840. Shanghai vécut à cette
époque sa première urbanisation moderne avec l’implantation des concessions
française et internationale et bientôt, la ville devint un centre financier et commercial
majeur de l’Extrême-Orient. Un siècle plus tard, lors de la fondation de la
République populaire en 1949, les secteurs manufacturiers et industriels furent
développés afin de remettre sur pied l’économie nationale. De consommatrice, la
ville se transforma en productrice, contribuant entre un dixième et un sixième de
l’ensemble des recettes du pays. À l’ère des réformes en 1978, l’attention se dirigea
toutefois principalement vers Shenzhen. Shanghai perdit de son importance dans
l’économie nationale. Les conditions de vie à cette période se détériorèrent tandis
que certains quartiers surpeuplés prenaient des allures de bidonvilles.266
C’est en 1991-1992 que les autorités centrales virent les capacités de développement
que Shanghai offrait comme ouverture sur les provinces intérieures de la Vallée du
Yangzi. Via le nouveau district de Pudong 267 , situé sur la rive est de la rivière
Huangpu, la ville allait bientôt devenir un centre économique, financier et
commercial international. Ces changements rapides ont notamment été permis grâce
à la réforme du système fiscal, laissant plus d’autonomie au gouvernement local, et
celle du système de logement, déchargeant les autorités de leurs obligations
socialistes au profit du marché. Shanghai avait désormais les moyens de se construire
une image moderne, en phase avec son importance retrouvée au niveau national :268
Très vite, le paysage de la ville s’est transformé au gré des diverses prouesses
architecturales, notamment des ponts (Nanpu, 1991 ; Yangpu, 1993 ; Xupu, 1996 ;
Lupu, 2002), des tours (Perle de l'Orient, 1994 ; Jinmao, 1999 ; Centre financier
mondial de Shanghai, 2008), une avenue dessinée par un cabinet français (l’avenue
du Siècle, longue de 5 km et large de 100m)… Parmi les autres attractions
internationales présentées en 2004 figuraient le Maglev, train magnétique à grande
vitesse de conception allemande, et le circuit international du Grand Prix automobile
de Chine. Mais encore les viaducs routiers du centre-ville, la place du Peuple, la rue
269
piétonnière de Nankin, les grands hôtels, le quartier de Xintiandi...
Enfin,
266
SHA Y., et al, Shanghai Urbanism at Medium Scale, New York-Berlin: Springer-Verlag,
“Springer Geography”, 2014, vol.XIII, pp.9-18.
267
Voir notamment : JIA H., WARD R. M., “Shanghai's Frontier: Pudong New Development Area”,
The Geographical Bulletin, 1998, vol.XL, n°1, pp.11-21.
268
SHA Y., et al, op.cit.
269
SANJUAN T., (b) op.cit.
71
Shanghai ouvrira bientôt les portes de la seconde plus haute tour du monde, la
270
Shanghai Tower qui s’élève à 632 mètres.
En vue de soutenir le développement de la ville, des zones spéciales de
développement économique et technologique ont été établies.271 Et plus récemment,
en septembre 2013, une zone pilote de libre-échange a vu le jour à Pudong.272 En
effet, Shanghai doit en grande partie son évolution rapide à son tissu économique
diversifié, qui comprend les secteurs de la communication, l’électronique et
l’information, la biomédecine, l’industrie automobile, la fabrication de produits
chimiques raffinés, pétroliers et d’acier, la fabrication d’équipements complets, la
finance, les assurances, le secteur immobilier, les électroménagers, et le tourisme.273
En 2013, les industries de service (en particulier les activités de détail et de gros, le
secteur financier et le marché de l’immobilier) ont contribué à plus de 60% du PIB
de Shanghai274 qui s’élevait au total à plus de 2160 milliards de yuans (320 milliards
d’euros), le PIB le plus élevé du pays au niveau municipal.275
La même année, plus de 174.000 étrangers étaient officiellement enregistrés à
Shanghai, ce qui correspond à un quart de la population étrangère résidant en Chine.
La majorité d’entre eux sont japonais (21,6%), américains (15%) et sud-coréens
(11,8%), et plus de la moitié sont des employés d’entreprises étrangères et leurs
270
LOUNIANGOU N. C., « Shanghai Tower : la plus haute tour chinoise bientôt finie », Le Nouvel
Observateur :
Paris,
4
août
2014,
[accès
en
ligne],
http://tempsreel.nouvelobs.com/immobilier/monde/20140804.OBS5470/shanghai-tower-la-plushaute-chinoise-bientot-finie.html, dernière consultation le 16 juin 2015.
271
DOUAY N., « Shanghai : l’évolution des styles de la planification urbaine – L’émergence d’une
« urbanisation harmonieuse » ? », Perspectives Chinoises, 2008, n°4, pp.16-26.
272
Fin 2014, celle-ci accueillait 23.243 entreprises. La zone de libre-échange comprenait au départ
près de 30 km² (Waigaoqiao Free Trade Zone, Waigaoqiao Free Trade Logistics Park, Yangshan Free
Trade Port Area, and Pudong Airport Free Trade Zone), mais s’est élargie pour atteindre plus de 120
km² (Lujiazui Financial Zone, Jinqiao Development Zone, Zhangjiang High Tech Park). Enfin, la
zone utilisée lors de l’Exposition universelle de 2010 (Expo Park Development Zone) en fait
également partie. In : “China (Shanghai) Pilot Free Trade Zone”, China (Shanghai) Pilot Free Trade
Zone : Shanghai, 2014, [online access], http://en.china-shftz.gov.cn/About-FTZ/Introduction/,
dernière consultation le 15 juin 2015.
273
YANG G., Global Urban Development Metropolitan Economic Strategy Report – Shanghai's
Economic Development: Its Opportunities and Challenges in the 21st Century, Washington: Global
Urban Development, 2002, pp.5-9.
274
WONG B., “Shanghai: Market Profile”, Hong Kong Trade Development Council (HKTDC)
http://china-tradeResearch: Hong Kong,
22 December 2014, [online
access],
research.hktdc.com/business-news/article/Fast-Facts/Shanghai-MarketProfile/ff/en/1/1X000000/1X06BVOR.htm, dernière consultation le 16 juin 2015.
275
“China Statistical Yearbook 2014”, National Bureau of Statistics of China: Beijing, 2014, [online
access], http://www.stats.gov.cn/tjsj/ndsj/2014/indexeh.htm, dernière consultation le 15 juillet 2015.
72
proches. 276 En tant que ville cosmopolite, Shanghai représente l’ouverture de la
Chine vers l’extérieur. Elle compte 66 villes en jumelage dans le monde et accueille
55 consulats étrangers.277
Un événement de marketing remarquable fut l’organisation de l’exposition
universelle en 2010, qui a attiré plus de 73 millions de visiteurs (dont 4,2 millions
d’étrangers) 278 , et à laquelle 192 pays et 50 organisations internationales ont
participé, un record.279
L’exposition, dont le thème et slogan « Better City, Better Life »280 résonnait dans
toute la ville, a également mobilisé 200.000 volontaires (sélectionnés parmi plus de
560.000 candidats dont 3.000 étrangers). Ceux-ci ont soutenu l’organisation durant
les six mois de l’événement aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du site, à travers
281
la ville. La planification et le design de ce dernier ont d’ailleurs fait l’objet d’une
compétition, remportée par une entreprise française. Enfin, d’un point de vue de la
planification urbaine, l’exposition fut l’occasion de développer mais également de
rénover d’autres infrastructures telles que l’aéroport international de Pudong.282
Les quelque cinquante-neuf milliards de dollars investis par le gouvernement chinois
pour l’organisation de cet événement ont sans doute laissé un goût amer à certains :
« Pour dégager la voie et permettre l’affichage de la prospérité chinoise lors de
l’exposition, les organisateurs ont expulsé de force 18.000 résidents de leurs
maisons. Le mythe de la « société harmonieuse » de la Chine a été imposé de force
par la police qui a harcelé et détenu les dissidents politiques, dégagé des rues les
petits commerçants et emprisonné plus de 6.000 pauvres de la ville lors d’une
opération répressive menée contre « le vol, le jeu, la prostitution et la vente de
matériel pornographique. » […] Dans une tentative d’apaiser avant l’exposition la
classe ouvrière de la ville, les autorités de Shanghai ont augmenté le salaire
“Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. Le nombre réel d’étrangers serait cependant
beaucoup plus élevé. In : “Shanghai Population 2015”, op.cit.
277
“Shanghai World Expo”, Shanghai Expo : Shanghai, 2010, [online access],
http://www.expo2010.cn/expo/expoenglish/oe/sacf/userobject1ai35592.html, dernière consultation le
15 juin 2015.
278
BARBOZA D., “Shanghai Expo Sets Record With 73 Million Visitors”, The New York Times:
New
York,
2
November
2010,
[online
access],
http://www.nytimes.com/2010/11/03/world/asia/03shanghai.html?_r=0, dernière consultation le 15
juin 2015.
279
“Number of World Expo international exhibitors set a record”, People’s Daily: Beijing, 18 January
2010, [access online], http://en.people.cn/90001/90782/90872/6872003.html, dernière consultation le
15 juin 2015.
280
Le thème renvoie lui-même au concept de l’harmonie qui a été mis en avant par la ville à cette
occasion : “The "City of Harmony" features harmonious co-existence of diverse cultures, harmonious
economic development, harmonious living in the age of science and technology, harmonious
functioning of communities, the cells of the city, and harmonious interactions between urban and
rural areas.” In: “Shanghai World Expo”, op.cit.
281
“Shanghai selects 70,000 volunteers for World Expo 2010”, People’s Daily: Beijing, 19 January
2010, [access online], http://en.people.cn/90001/90776/90882/6873375.html, dernière consultation le
15 juin 2015.
282
DOUAY N., op.cit., p.21.
276
73
minimum et les allocations chômage, et ont fourni au compte goutte des billets
283
d'entrée gratuits aux résidents de la ville. »
B. VILLE PEUPLÉE AU NIVEAU SOCIOÉCONOMIQUE ÉLEVÉ
Shanghai est la plus peuplée des villes chinoises mais aussi du monde entier et
affiche en outre un niveau d’espérance de vie parmi les plus élevés au monde, soit
au-delà de 82 ans (près de 85 ans en ce qui concerne les femmes). Le taux
d’accroissement naturel de la ville est toutefois négatif depuis 1993 (-0,8‰ comparé
à la moyenne nationale de 4,92‰) en raison d’un faible taux de fertilité.284 À la fin
de l’année 2013, la population a dépassé les 24 millions de personnes, dont plus de
14 millions de résidents permanents et près de 10 millions de résidents temporaires.
Ces derniers étaient responsables de 85,7% de la croissance démographique cette
année-là.285 Notons également le déséquilibre que la ville connaît au niveau du ratio
homme/femme estimé à 1,13, bien que le problème soit davantage sérieux à l’échelle
nationale, avec un ratio de 1,19. Les autorités tentent de réduire cet écart qui serait dû
en grande partie à la politique de la planification familiale.286
Selon le recensement national de 2010, la population totale de Shanghai se divise
comme suit : 8,6% se trouve dans la tranche des 0 à 14 ans, 81,3% ont entre 15 et 64
ans et les plus de 65 ans comptent pour 10,1%. De manière plus détaillée, parmi la
population permanente, l’on recense : 10,7% de moins de 17 ans, 21,9% entre 18 et
34 ans, 40,3% entre 35 et 59 ans, et 27,1% de plus de 60 ans.287
En 2010 toujours, parmi la population âgée de plus de 15 ans, 23,6% avait un niveau
d’instruction élevé, 61,8% un niveau d’instruction moyen (soit 22,6% pour
l’enseignement secondaire supérieur et 39,2% pour le cycle inférieur), et 14,6% un
CHAN J., « L’exposition universelle de Shanghai: l’extravagance capitaliste et la misère sociale »,
World
Socialist
Web
Site :
Michigan,
15
mai
2010,
[online
access],
http://www.wsws.org/francais/News/2010/mai2010/expo-m15.shtml, dernière consultation le 15
juillet 2015.
284
“China Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai),
Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de Shanghai) : Shanghai, décembre 2013, [accès en
ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/frontshgl/63606.html, dernière consultation le 15 juillet 2015.
285
WU N., “Shanghai's permanent population exceeds 24 million”, China Daily: Beijing, 27 February
2014, [online access], http://www.chinadaily.com.cn/china/2014-02/27/content_17311272.htm,
dernière consultation le 15 juin 2015.
286
“Shanghai Population 2015”, op.cit. ; « Chine : première baisse du ratio hommes/femmes à la
naissance », Xinhua : Pékin, 4 juin 2010, [accès en ligne], http://french.china.org.cn/china/txt/201006/04/content_20184864.htm, dernière consultation le 20 juillet 2015.
287
“Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit. ; “Shanghai Statistical Yearbook
2014”, op.cit.
283
74
niveau d’instruction bas. En 2013, le taux de scolarisation pour les neuf années
d’enseignement obligatoire (et gratuit) dépassait 99,9%. Le taux de chômage officiel
s’élevait quant à lui à 4,2% 288 (calculé en excluant la zone rurale, les migrants
ruraux, les étrangers et les travailleurs en situation précaire, les temps partiels ou les
emplois occasionnels).289 Ajoutons également que parmi la population de plus de 15
ans, la proportion de personnes illettrées est de 3,64% (les femmes sont les plus
touchées avec 5,39%, contre 1,99% chez les hommes).290
En 2013 toujours, les dépenses annuelles moyennes de consommation des ménages
par habitant à Shanghai étaient parmi les plus élevées de Chine à plus de
26.200 yuans (3.900 euros). Les revenus annuels moyens disponibles des ménages
par habitant à Shanghai étaient eux les plus élevés à 42.200 yuans (6.200 euros). En
comparaison, les moyennes nationales respectives pour la même année dépassaient
13.200 yuans (2.000 euros) et 18.300 yuans (2.700 euros). Notons que le nombre
moyen de personnes par ménage à Shanghai est de 2,7.291
En ce qui concerne le produit intérieur brut (PIB) par habitant, Shanghai possédait le
plus élevé de Chine jusqu’en 2010. En 2013, son PIB par habitant s’élevant à plus de
90.000 yuans (13.200 euros), la ville se classait désormais troisième derrière Tianjin
(près de 100.000 yuans, 14.700 euros) et Pékin (plus de 93.000 yuans,
13.700 euros).292
En dix ans, le salaire mensuel minimum est passé de 570 yuans (84 euros) à 1620
yuans (240 euros) en 2013. Le salaire moyen annuel qui s’élevait à moins de 15.500
yuans (2.300 euros) en 2000 atteignait en 2013 plus de 60.400 yuans (8.900
euros).293 Notons donc la différence, le salaire minimum représente un peu moins
d’un tiers du salaire moyen à Shanghai.294
Selon le Hurun Wealth Report de 2014, Shanghai compte près de 160.000
millionnaires, définis comme possédant au moins 10 millions de yuans (1,5 million
“Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit.
“Wages and employment”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 4 August 2015, [online access],
http://www.clb.org.hk/en/content/wages-and-employment, dernière consultation le 4 août 2015.
290
“China Statistical Yearbook 2014”, op.cit.
291
“Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit.
292
Ibid.
293
“Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit.
294
“Wages and employment”, op.cit.
288
289
75
d’euros). La ville se classe ainsi en deuxième position après Pékin qui en compte
plus de 190.000, mais loin devant la troisième ville, Shenzhen (plus de 50.000).295
Enfin en termes de santé, en 2013, le nombre de médecins à Shanghai s’élevait à
24/10.000 habitants, contre 15/10.000 au niveau national. Le taux de mortalité
infantile était de 5,73‰ et le taux de mortalité maternelle 7,08/100.000. Au niveau
national, les taux s’élevaient respectivement à 9,5‰ et 23,2/10.000.296
C. LES MIGRANTS À SHANGHAI : UNE DESTINATION PRISÉE
Shanghai est en effet la seconde destination des migrants après la province de
Canton.297 Au niveau municipal, elle est considérée comme « the largest migrant
megacity of China ».298 Le nombre de migrants à long terme (plus de six mois)299 a
triplé en dix ans et représente actuellement plus de 40% de la population de
Shanghai. Les provinces d’origine sont principalement Anhui (29%), Jiangsu (près
de 17%), Henan (près de 9%) et Sichuan (7%). Par ailleurs, la majorité des migrants
(près de 80%) sont originaires des zones rurales (cf. Annexe 8).300
Entre 1949 et 1982 déjà, la population shanghaienne avait doublé, passant de 6 à
12 millions de personnes, dû en grande partie à l’immigration planifiée en soutien à
l’industrie manufacturière. 301 À partir de la moitié des années quatre-vingt, tandis
que les migrations spontanées faisaient leur apparition, les autorités municipales
mirent en place des dispositifs de contrôle, via les agences intérimaires.302 Ce n’est
qu’au milieu des années 1990 que des quotas ont été instaurés pour l’ensemble de la
population migrante, sans distinguer leur lieu d’origine. Les migrants illégaux furent
la cible de la police locale, qui contrôlait notamment l’identité des travailleurs à
295
Hurun Wealth Report 2014, Shanghai: Hurun Research Institute, 2014, 35 p.
“Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “Shanghai gailan” (Un aperçu général de
Shanghai), op.cit. ; “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit.
297
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) « Les travailleurs migrants à Shanghai : Inégalités, niches
économiques et diversité des parcours d'accès à l'emploi », Perspectives chinoises, 2005, n°85, p.9.
298
MOU J., et al, (a), op.cit., p.31.
299
Selon une étude menée à Shanghai, environ 52% des migrants y résidaient depuis 5 ans et plus. In :
WU W., “Migrant Settlement and Spatial Distribution in Metropolitan Shanghai”, The Professional
Geographer, 2008, vol.LX, n°1, p.103.
300
“Shanghai Population 2015”, op.cit.
301
SHA Y., et al, p.10
302
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit., pp.12-13.
296
76
l’entrée des grands sites de construction. À Shanghai, plus de 10.000 migrants par an
étaient arrêtés, soumis à des amendes et rapatriés de force. 303
Pour les plus qualifiés304, Shanghai attribuait un « hukou au sceau bleu », qui fut
remplacé dès 2002 par une « carte de résident de Shanghai » ( 海居住证, Shanghai
juzhuzheng). 305 Les conditions d’obtention de celle-ci sont bien entendu plus
élevées ; les migrants doivent notamment faire preuve d’un certain niveau
d’instruction ou de compétences. Les meilleurs élèves sont bien récompensés :
« In Shanghai, about 30 percent of college graduates who are originally from other
provinces, usually the cream of the crop, are routinely “selected” to become
Shanghai hukou holders each year and stay in the prosperous city permanently. […]
Shanghai started in 2002 to openly siphon talent at a much younger age. Some thirty
Shanghai “top high schools” were allowed to recruit fifty best middle-school
graduates each from other provinces for a hefty fee of 50,000 Yuan RMB per pupil
(two to five years’ average wages in Shanghai). The main lure is that those outsiders
can participate as local residents in Shanghai’s much easier college admissions
process twice. »306
Le paiement des impôts et la cotisation à la sécurité sociale sont d’autres critères
d’éligibilité. Une fois acquise, la carte de résidence confère certains avantages qui
peuvent toutefois être aussi vite retirés si le migrant ne remplit pas les exigences
d’intégration. Précisons qu’elle doit être renouvelée à plusieurs reprises sur une
période de 15 ans avant de pouvoir solliciter un hukou urbain.307 Shanghai est classée
première dans le tableau des restrictions quant au transfert de hukou (cf. Annexe 9).
Bien que les critères requis pour le permis de résidence temporaire soient moins
stricts, ils présentent un double standard qui exclut la majorité des migrants, et en
particulier les plus vulnérables. En effet, les migrants doivent posséder soit un
contrat de travail de plus de six mois soit une licence commerciale. D’autre part, ils
doivent être propriétaires à Shanghai ou locataires en possession d’un contrat de bail
de plus de six mois :
Les règles concernant le logement sont elles-mêmes discriminatoires. En effet, les
migrants éligibles au permis de résidence doivent obligatoirement louer une surface
303
WANG F.-L., op.cit, p.97.
Aussi appelés « personnes de talent » (人才, rencai).
305
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) op.cit., pp.2-3.
306
WANG F.-L., op.cit., p.202.
307
FROISSART C., op.cit., p.380.
304
77
de 10m² minimum par personne. Le propriétaire doit en outre lui-même se rendre à
308
la police afin d’enregistrer le locataire.
Une caractéristique des migrants internes en Chine est de peu investir à destination.
Ainsi la priorité à leur arrivée est de trouver un logement peu coûteux qui soit proche
du lieu de travail. À Shanghai, la majorité d’entre eux (60%) louent ou partagent un
logement, entre autres dans la banlieue rurale où les résidents, qui ont perdu leurs
terres agricoles au profit du développement urbain, voient dans la location de
logements aux migrants une source de revenus intéressante. Par ailleurs, près de 30%
des migrants à Shanghai vivent dans des dortoirs, fournis par l’employeur dans le
secteur public. Toutefois, ceux-ci sont en général surpeuplés et offrent peu de
commodités. Souvent, ils vivent aussi dans des abris temporaires ou structures
précaires qui servent en outre d’entrepôt sur le lieu de travail.309
La rapide transformation urbanistique de la ville a créé une juxtaposition croissante
de villages ruraux, logements pour d’anciens résidents du centre-ville délocalisés,
communautés migrantes et nouveaux projets de logements commerciaux. Dans
certains quartiers, la population migrante a dépassé la population locale. 310 Une
enquête réalisée dans un quartier délabré ( 棚 户 区 , penghuqu) a révélé que la
cohabitation « forcée » entre locaux 311 et migrants ne se passe parfois non sans
frictions, en raison de stéréotypes dégradants dont ces derniers sont victimes.
Comme la plupart des « penghuqu », celui-là est toutefois amené à disparaître, à
coup de compensations pour les premiers, tandis que les migrants seront simplement
expulsés comme le témoigne un résident local : « Ici, c’est trop sale et trop en
désordre, la seule solution c’est de tout raser et d’expulser complètement ces gens
venus de l’extérieur, de cette façon on aura la paix. Les migrants sont tous locataires,
en tant que propriétaires nous avons le droit pour nous et eux ils n’auront aucune
compensation. »312 Selon les mesures officielles, seuls les migrants détenteurs d’un
permis de résidence d’une année complète sans discontinuité, ne possédant aucun
ZHAO Y., PADOVANI F., « Expulsion des résidents d’habitats délabrés (penghuqu) et
reconstruction de la vie des nouveaux migrants à Shanghai. Enquête sur le quartier de Yuan He
Nong. », L’Espace Politique, 2014, vol.XXII, n°1, p.10.
309
WU W., “Migrant Settlement and Spatial Distribution in Metropolitan Shanghai”, The Professional
Geographer, 2008, vol.LX, n°1, p.102; pp.111-112.
310
Id., p.109 ; p.117.
311
Forcée dans le sens où ceux-ci n’ont pas les moyens financiers de déménager dans un autre quartier
qui serait aussi bien localisé et aussi bon marché. Toutefois, les locaux sont eux-mêmes d’anciens
migrants venus à Shanghai avant 1949. Ils détiennent donc le hukou local et sont considérés comme
de vrais Shanghaïens.
312
Id, pp.6-10. Voir aussi : ZHAO Y., Construction des espaces urbains et renovation d’un quartier de
Shanghai : la problématique de la migration et du changement social, Shanghai : Shanghai Joint
Publishing Co, 2011, 430 p.
308
78
autre logement en ville et directement affectés par la destruction (sur confirmation de
313
sept témoins) du logement peuvent espérer recevoir une compensation.
L’intégration des migrants ruraux en ville souffre effectivement de l’image négative
que les citadins ont à leur égard. Une enquête menée à Shanghai a révélé que ces
derniers considéraient leur présence comme néfaste sur un ou plusieurs des
aspects suivants : l’emploi, l’environnement, la sécurité, le trafic routier et les
transports. Plus encore, la moitié des participants pensaient qu’il était normal et
légitime que les migrants perçoivent un salaire inférieur aux leurs.314
L’accès à l’emploi des migrants à Shanghai s’est vu restreint dans les années 1990 :
les secteurs tertiaire et secondaire (sauf en cas d’une urgente nécessité pour ce
dernier) leur étant interdits. En outre une liste publiée par le Bureau du travail et de la
protection sociale reprenait une vingtaine d’emplois également inaccessibles, et
davantage les métiers « visibles » (par exemple, chauffeur de taxi et standardiste).
Bien que cette liste ait été modifiée en 2001 pour répondre aux besoins du marché, il
reste encore cinq types d’emplois desquels les migrants demeurent exclus, même
lorsqu’ils sont en possession d’un permis de résidence temporaire (entre autres, agent
de service dans les institutions publiques, agent de la propreté des espaces publics,
agent de la sécurité publique…). De plus, les entreprises sont tenues d’engager en
priorité les résidents locaux qui doivent représenter de 15 à 30% du personnel avant
de pouvoir accepter de la main-d’œuvre rurale.
Cependant, les règles sont parfois contournées, comme le raconte une migrante
sichuanaise à Shanghai : « Mon mari a cherché du travail, mais il n’avait pas le droit
d’être chauffeur, non seulement chauffeur de taxi, mais aussi chauffeur pour des
entreprises et autres. Finalement, il a été employé par un entrepreneur hongkongais
qui a fait faire des faux papiers attestant qu’il n’était pas un migrant. Cela fait huit
ans qu’il est dans ce métier avec des faux papiers. » 315
Selon une enquête officielle récemment menée dans le district de banlieue Fengxian,
plus de 65% des migrants ruraux ont entre 30 et 49 ans, et plus de 63% ont achevé le
premier cycle de l’instruction secondaire. Plus de 63% également sont employés
dans l’industrie manufacturière et près de 17% travaillent dans le secteur de la
construction. Parmi les autres secteurs qu’ils occupent se trouvent l’emploi
domestique, le commerce du gros et du détail, le transport de marchandises,
313
ZHAO Y., PADOVANI F., op.cit., p.11.
DING J., STOCKMAN N., in PIEKE F. N., MALLEE H (eds.), 1999, cité dans : FROISSART C.
op.cit., p.159.
315
ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) op.cit., p.4. Voir aussi : WANG J., op.cit., p.52.
314
79
l’agriculture, la pisciculture… Par ailleurs, près de 60% des migrants interrogés
avaient signé un contrat de travail et moins de 5% ont reporté être victimes d’arriérés
salariaux pour la période de 2013 et 2014. En outre, plus de 82% ont répondu savoir
vers quel organisme se tourner s’ils rencontrent ce type de problèmes.316
En 2002, le gouvernement de Shanghai publiait les procédures d’adhésion au
nouveau système intégré de sécurité sociale (qui couvre accidents de travail,
traitements hospitaliers et allocations de retraite), révisée ensuite en 2004.
Selon le document, toute institution, organisation, entreprise publique ou privée qui
emploie un travailleur venant d’une autre localité doit remplir les procédures
d’inscription endéans les 30 premiers jours d’emploi du travailleur. Dans le secteur
de construction, le taux de cotisation est plus faible (5,5% au lieu de 12,5%) et les
entreprises concernées bénéficient en outre d’un appui administratif de la
Commission municipale de la construction et du Bureau du travail. 317
Quant à la sécurité sociale en matière de santé, les migrants à Shanghai ont accès à
l’« Assurance hospitalisation des travailleurs migrants de Shanghai », conçue
spécialement pour eux, et au « Nouveau Système de coopératives rurales de services
de soins médicaux ». 318 Selon une étude de 2010, les taux de couverture s’élèvent
respectivement à 36,5% et 72,9%, contre 16,7% ne disposant d’aucune assurance
santé. Le taux plus faible de la première s’explique par le fait que la cotisation
dépend entièrement de l’employeur, et démontre les limites de l’initiative.319
Tel que l’indiquent les « Dispositions de la Municipalité de Shanghai sur les
Services et la gestion de la population actuelle » en vigueur depuis novembre 2012,
les migrants détenteurs d’un permis de résidence temporaire peuvent recevoir
gratuitement des services relatifs au planning familial320 (article 12) ; recevoir des
“Wailai nongmingong gongzi bei tuoqian bizhong bu gao, dan reng xu guanzhu he baohu” (La
proportion des arriérés salariaux parmi les migrants ruraux n’est pas élevée, mais une attention et une
protection demeurent nécessaires), Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de Shanghai) :
Shanghai, 4 janvier 2015, [accès en ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/fxbg/201501/275947.html,
dernière consultation le 16 juin 2015.
317
People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (c) Revision of the
“Interim Procedures of Shanghai Municipality on the Comprehensive Insurance for Out-of-town
Employees”,
30
August
2004,
Decree
No.
34,
available
at:
http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules1708.htm.
318
TUCKER J. D., et al, op.cit., p.7.
319
ZHAO D., et al, “Coverage and utilization of the health insurance among migrant workers in
Shanghai, China.”, Chinese Medical Journal, 2011, vol.CXXIV, n°15, pp.2328-2334.
320
La mise en œuvre du planning familial chez les migrants a fait l’objet de dispositions détaillées en
2011. Notons que les femmes mariées migrantes à Shanghai, en possession d’un permis de résidence,
peuvent effectuer les contrôles du planning familial dans les centres de la ville et les certificats
octroyés sont alors automatiquement transmis aux autorités compétentes de son lieu d’origine. Voir :
316
80
services de santé publique moyennant des frais limités (article 13) ; inscrire leurs
enfants d’âge scolaire obligatoire auprès de l’administration du district dans lequel ils
résident et celle-ci prendra les dispositions nécessaires pour répondre à leurs besoins
d’instruction (article 14).321
L’article 15 souligne à nouveau les droits et avantages procurés par le permis de
résidence temporaire : « Shanghai inhabitants holding Shanghai Residence Permit
may be eligible for the benefits and conveniences of public services in the aspects of
children’s education, family planning, public health, social insurance, license
issuance, application for scientific or technical projects, qualification appraisal,
tests and evaluations, and selection for and award of related honorary titles. »322
Notons enfin qu’à l’article 5, il est prévu que les administrations responsables
puissent faire appel aux organisations à but non lucratif pour la mise en œuvre les
différents services disponibles à la population de la ville, y compris les résidents
temporaires :
« Depending on the need of the services and management of the actual population in
their jurisdiction, the town/township people’s governments or sub-district offices
may explore the method of government payment for the services and non-profit
organizations implementation of such services. »323 Froissart conclut à ce propos :
« Cette intégration inégalitaire au sein des villes continuera par ailleurs à se faire au
moindre coût pour l’État, des solutions étant désormais cherchées du côté des ONG
– dont les programmes sont financés tout autant par des fonds privés que publics – et
qui sont de plus en plus appelées à jouer un rôle de sous-traitants de l’État. Cette
évolution vers une charité semi-institutionnalisée va bien entendu à l’encontre de la
324
construction d’un État social garantissant l’égalité des droits. »
DES ORGANISATIONS ENGAGÉES POUR LES FAMILLES
MIGRANTES
Afin d’étudier plus en profondeur les inégalités rencontrées par les migrants et qui,
selon notre hypothèse, découlent du système du hukou, nous avons décidé de mener
People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (a) Provisions of Shanghai
Municipality on Family Planning for the Migrant Population, 22 December 2011, Decree No. 74,
available at: http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules20409.htm.
321
Les documents à fournir pour l’inscription d’un enfant migrant sont décrites à l’article 14 des
« Procédures de la Municipalité de Shanghai sur la mise en place de la Loi sur l’éducation obligatoire
de la République de Chine ». Il s’agit notamment du certificat de travail. Voir : People’s Republic of
China’s Standing Committee of Shanghai Municipal People’s Congress, “Procedures of Shanghai
Municipality on the Implementation of the ‘Compulsory Education Law of the People’s Republic of
China’”,
24
February
2009,
Announcement
No.9,
available
at:
http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/locallawsin10669.htm.
322
People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (b) Provisions of
Shanghai Municipality on Services and Management of the Actual Population, 12 September 2012,
Decree
No.
86,
available
at:
http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules22931.htm.
323
Ibid.
324
FROISSART C., op.cit., p.381.
81
des entretiens auprès d’organisations non gouvernementales (ONG) situées à
Shanghai. Notre objectif de départ était de mettre en exergue les difficultés
rencontrées par les migrants ruraux dans le milieu urbain. Le choix de la municipalité
est avant tout personnel. Ayant vécu à Shanghai plusieurs années, nous voulions
investiguer un aspect de la ville auquel nous n’avions été que trop peu sensibilisés,
malgré certes des disparités sociales criantes et une confrontation quotidienne avec la
misère et l’opulence. Nous avons donc procédé à une recherche en ligne des
différentes ONG présentes sur le territoire chinois, via notamment le répertoire de
« China Development Brief », un centre de recherche pour le développement de la
société civile de Pékin (créé en 1996 et officiellement enregistré en 2003).325 Très
vite, nous avons réalisé la difficulté à trouver, à Shanghai, des organisations dont la
mission consiste en la défense des droits des travailleurs migrants. Nous aurions aimé
en particulier interroger la branche shanghaienne de « Little Bird Migrant Workers
Mutual Support Hotline », mais le numéro d’appel figurant sur le site internet était
invalide et aucune adresse physique dans la ville n’était renseignée.326
La seule organisation poursuivant cet objectif que nous avons réussi à interroger se
situe dans la ville voisine de Suzhou (province du Jiangsu), mais nous devons
admettre que sa situation était des plus précaires. Dans la même ville, nous avions
par ailleurs trouvé une organisation similaire, mais qui a toutefois refusé l’entretien,
sans donner de raison spécifique. Nous avons appris plus tard que l’organisation,
nommée « Migrant Workers’ Home » avait cessé de fonctionner sous la pression du
gouvernement local.
Ainsi, nous avons redirigé notre recherche en incluant toute organisation ayant parmi
leurs bénéficiaires les migrants et leur famille. Après contact par voie électronique et
téléphonique, nous avons initialement obtenu l’accord de huit ONG au total, sept à
“China Development Brief – NGO Directory”, China Development Brief: Beijing, 2015, [online
access], http://chinadevelopmentbrief.cn/directory/, dernière consultation le 20 juin 2015. Voir aussi :
“Migrant Resource Network (MRN) – NGO Directory”, Migrant Resource Network: Beijing, 2009,
[online access], http://www.mrn-china.org/site/index.php?option=com_sobi2&Itemid=58&lang=en,
dernière consultation le 20 juin 2015 ; “China CSR Map – Organizations”, China CSR Map: Beijing,
[online access], http://www.chinacsrmap.org/Org_List_EN.asp, dernière consultation le 20 juin 2015.
326
« Since its establishment in 1999, Little Bird has been committed to the protection of the legal
rights of migrant workers in China’s major cities. Since 1999 and ending in December 2012, […]
Little Bird has helped migrant workers around the country obtain over 180 million Chinese Yuan
(approximately $30 million) in wage arrears. » In: TAI J. W., Building Civil Society in Authoritarian
China: Importance of Leadership Connections for Establishing Effective Nongovernmental
Organizations in a Non-Democracy, New York-Berlin: Springer-Verlag, “Springer Brief in
Environment, Security, Development and Peace”, vol.XX, 2015, p.36 ; pp.56-58.
325
82
Shanghai et celle de Suzhou mentionnée ci-dessus. Toutefois sur place, malgré notre
insistance, nous avons dû faire face à deux désistements (les organisations HandsOn
Shanghai et Raising Community Service Center), par faute de temps semble-t-il.
Grâce aux renseignements d’une des ONG interrogées (Stepping Stones), nous avons
réussi à obtenir un entretien supplémentaire avec une autre ONG (Shanghai Young
Bakers). Enfin, nous avons recontacté une ONG (Xintu) qui avait au départ décliné
notre invitation en arguant du fait que certains de leurs bénéficiaires appartenaient à
la « population flottante » et qu’il ne s’agissait donc pas seulement des « migrants
ruraux ». Notre persévérance a fini par payer et nous avons reçu sans problème
l’accord de la responsable du projet qui nous intéressait.
Parmi les cinq autres organisations avec lesquelles nous avons pu entrer en contact,
les refus étaient justifiés par le motif qu’elles n’avaient réalisé que rarement un projet
visant la population migrante ou qu’il arrivait que leurs projets touchent celle-ci mais
sans y être spécifiquement dirigés. Elles ne voyaient donc pas l’intérêt de nous
répondre.
Nous avons donc finalement réalisé huit entretiens au total (cf. tableau ci-dessous et
Annexe 10). Notons que durant notre séjour à Shanghai, nous sommes en outre restés
trois jours en tant que bénévole dans l’ONG Stepping Stones. L’idée était de nous
plonger dans l’atmosphère d’une ONG de la ville et avoir davantage d’opportunité de
discuter avec le directeur de projet, M. Carrier, qui a lui-même vécu avec des
migrants ruraux dans le cadre de sa thèse de doctorat.
L’analyse des huit entretiens semi-dirigés menés au mois de janvier 2015 et d’une
durée variant d’une demi-heure à plus d’une heure et demie se divisera en trois
parties : nous nous pencherons d’abord sur la situation des organisations dans la ville
en reprenant des éléments tels que l’année de création, l’enregistrement, la taille, le
domaine d’action, les bénéficiaires, les projets, les partenaires… La seconde partie
sera centrée sur la situation des bénéficiaires. Nous présenterons les inégalités dont
ils sont victimes, les difficultés auxquelles ils sont confrontés, leur adaptation dans le
milieu urbain, leur participation aux activités de l’ONG et le message qui leur est
adressé à travers les projets menés. Enfin, nous nous intéresserons à l’environnement
politique dans lequel évoluent les organisations et l’attitude du gouvernement local à
leur égard. Nous noterons par ailleurs l’émergence d’une prise de conscience et d’un
83
engagement de la société civile, avant de conclure sur la vision des organisations
quant à la situation future.
NOM
CRÉATION
ET STATUT
ONG
internationale
créée en 1999 à
Shanghai,
enregistrée
localement en
2004. Le projet
pour les
migrants a été
créé en 2006.
MISSION ET
BÉNÉFICIAIRES
"Inspire passion for
environmental and community
service in the Chinese youth".
Parmi les projets, la plupart
visant à la protection de
l'environnement, se trouve
"KidStrong" dont la mission
est : "Building a brighter
future for migrant children". Enfants migrants des écoles
pour migrants
PROJETS VISANT LES MIGRANTS
FONDS
Au sein du projet "KidStrong" :
- activités sur l’hygiène, la nutrition (plus
distribution d'encas), les soins dentaires et de la
vue (consultations, lunettes)
- "Love curriculum" : activités artistiques pour
redonner confiance.
- cours d'anglais (plus rares)
- camps d'été (visites dans le centre ville)
Privés
Stepping
Stones
ONG
internationale
créée et
enregistrée en
2006 à Hong
Kong mais
active sur
Shanghai depuis
lors. Enregistrée
localement à
Shanghai en
2013.
"To improve the education
and general welfare of
disadvantaged children of
China." - Les enfants
migrants des écoles migrantes
(surtout primaires) et des
centres communautaires.
Privés
JiuQian
Shanghai
Volunteer
Center
ONG chinoise
créée en 2006 à
Shanghai et
enregistrée en
2008.
"To offer a better educational
environment for children who
cannot develop their talents
because of poverty, and to
wake up their nature of
freedom as individuals and
public awareness as citizens."
- Les enfants migrants
surtout (10 à 16 ans), et dans
une moindre mesure leurs
parents.
Included
ONG chinoise
créée en 2006 à
Pékin, en 2009 à
Shanghai, et
enregistrée en
2012.
"Improving the lives of
children of migrant workers
and their communities through
social and educational
programs." - Les familles
migrantes.
Différents projets :
- "English teaching programme"
(principalement dans les écoles pour migrants,
mais aussi aux jeunes de Shanghai Young
Bakers et aux sans-abris aidés par une ONG
locale)
- "I care" (soins de la vue, consultations et
lunettes)
- programme de tutorat dans les centres
communautaires (devoirs)
- cours dans le milieu rural (sur place lors de
"Rural Trips" avec les volontaires ou par
vidéoconférence)
Différentes activités :
- cours la semaine et le weekend (musique et
chant et autres cours à option : reporters,
science, informatique, artisanat…)
- camps d'hiver et d'été
- session d'information avec les parents sur
l'éducation familiale et les droits du travail
- activités avec les volontaires étrangers
- représentations artistiques
- activité d'intégration dans la ville et visites
- "Retour ds sa ville natale" : représentations et
activités dans les villes natales des enfants
4 catégories d'activités :
- le développement des enfants en bas âge
(coloriage, chant pour les enfants, et cours sur
l'éducation des enfants pour les parents)
- le développement des jeunes adolescents
(devoirs et cours à option)
- des activités d'éducation familiale pour les
parents (et apprentissage de l'utilisation de
l'ordinateur, la lecture et l'écriture...)
- le développement de la communauté (activités
et événements organisés le weekend).
Shanghai
Roots and
Shoots
Privés et
publics
Privés et
publics
(depuis
2013
seulemen
t)
84
SuZhou
On Action
Internatio
nal
Cultural
Center
ONG chinoise
créée et
enregistrée en
2006 à Pékin,
active à Suzhou
depuis 2008.
Enregistrée sous
le statut
d'entreprise
indépendante.
Shanghai
Lequn
Social
Work
Service
ONG chinoise
créée et
enregistrée en
2003 dans
l'incubateur
d'ONG de
Pudong.
Shanghai
Young
Bakers
Programme de
charité
international
créé et
enregistré en
2008 via une
fondation
hongkongaise,
active sur
Shanghai depuis
lors. Dipose en
outre d'une
entreprise
sociale depuis
2011.
ONG chinoise
créée et
enregistrée en
2006 dans
l'incubateur
d'ONG de
Pudong. Le
projet pour
migrants a été
créé en 2009.
Xintu
Center for
Communit
y Health
Promotion
"Action Changes Survival":
providing legal aid, promoting
corporate social responsibility,
builduig up knowledge,
physical and mental capacity
of individual migrant workers
and promoting of the building
of a civil society. - Les
ouvriers migrants, surtout
industriels et parfois dans le
secteur de la construction.
"To respond to the needs of
children, youths, the elderly,
and special needs groups
through specialized social
work services." - Enfants
migrants des écoles pour
migrants.
Au départ :
- défense active des droits des travailleurs.
"Enable disadvantaged youth
to lead independent lives
through a qualified,
empowering job." - Jeunes
migrants de 17 à 23 ans
venant de milieu défavorisé
(des provinces du Henan,
Anhui, Gansu et Shaanxi)
Formation de 11 mois : stages en alternance
- cours d'anglais
- cours "de vie " (s’adapter à un environnement
professionnel, communiquer, gérer les conflits,
avoir confiance en eux)
- cours de gestion financière
- cours sur la rédaction d'un CV et l'entretien
professionnel
- activités bénévoles
- cours de français pour les meilleurs qui sont
envoyés à Aurillac en France pour passer leur
certificat d'aptitude professionnelle (CAP)
- aide d'autres ONG à créer leurs propres
programmes de formation en boulangerie
(Tibet, Pékin, Chengdu).
Dans le programme "Nouveaux citoyens" :
- formation d' "Ambassadeurs de santé" et
"Responsables des centres de vie"
- "Maman enceinte et en bonne santé"
(grossesse et nutrition de l'enfant)
- "Le Port vert" (violence familiale)
- "Des belles femmes" (santé sexuelle et
prévention maternité précoce)
- "Toi et moi en bonne santé" (IST et SIDA)
- "S'adapter à la ville"
- "Les parents surveillent leurs enfants"
"To improve health outcomes
of people and revent of
disease, particularly for the
vulnerable groups, through
building the capacity of
community based
organizations and health
service providers." - Tous les
groupes vulnérables, parmi
lesquels la communauté
migrante.
Actuellement, activités secondaires :
- conseils juridiques (via communication
téléphonique ou électronique)
- diffusion des lois et promotion aux
négociations collectives (via des ouvriers
volontaires).
- projet d'intégration des migrants (cherche des
fonds)
Dans le programme "S'intégrer dans la société" :
- "J'habite à Shanghai"
- "Parlons de Shanghai de long en large"
(visites)
- "Grandir sainement" (nutrition)
- "Améliorer sa santé"
- "Mon beau village natal"
- "À la recherche du futur moi" (futur métier)
- "Cap sur mon rève" (futur métier)
- "Éducation à la sécurité" - Activités bénévoles
Privés
Privés et
publics
(surtout
pour les
projets
visant la
populatio
n locale)
Privés
Privés et
publics
(surtout
pour les
projets
visant la
populatio
n locale)
A. LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES
1. Création et statut
L’apparition des organisations non gouvernementales (ONG) et du domaine
associatif en Chine remonte plus particulièrement au milieu des années 1990. Parmi
85
celles officiellement enregistrées, leur nombre a connu un pic en 2004 et n’a cessé de
s’accroître pour dépasser 540.000 en 2013. Ce chiffre serait toutefois loin de la
réalité selon des chercheurs qui ont estimé leur nombre à plus de 8 millions en
2008.327
Parmi les huit ONG que nous avons interrogées, six ont été créées après 2006.
Roots&Shoots, créée en 1999, a toutefois lancé son projet auprès des enfants
migrants en 2006. Ajoutons également que HandsOn Shanghai et Raising
Community Service Center, que nous aurions dû rencontrer, ont été créées
respectivement en 2004 et 2008. Nous pouvons ainsi remarquer que le phénomène
est effectivement plutôt récent, mais que les ONG avec lesquelles nous nous sommes
entretenus comptent tout de même entre six et neuf ans d’expérience, voire jusqu’à
quinze ans pour la plus ancienne, Roots&Shoots.
La date de création d’une ONG ne correspond pas toujours, voire rarement, à sa date
d’enregistrement officiel. Si Roots&Shoots évoquait le fait que la procédure est tout
simplement longue, cela n’a pourtant pas été le cas pour toutes. Lequn et Xintu ont
été enregistrées dès leur création. Elles font en réalité partie d’un incubateur
d’organisations sociales, une plateforme fondée et fournie par le gouvernement local
du district de Pudong. Selon Stepping Stones, dont le délai d’obtention de son statut
officiel a été de sept ans, il s’agit surtout de s’appuyer sur son réseau de contacts,
bien que, quoi qu’il en soit, la décision relève toujours de la discrétion des autorités
locales.
L’enregistrement présente de nombreux avantages pour une organisation. Désormais
officielle, elle peut recevoir non plus uniquement des donations personnelles, mais
également des fonds d’entreprises privées, de fondations ou d’associations et
participer aux appels à propositions publics. Cela facilite ainsi la mise en œuvre des
projets, notamment aussi grâce à davantage de confiance accordée par les
partenaires, et les démarches administratives telles que les paiements salariaux. Les
ONG qui y parviennent sont enregistrées sous le statut d’« organisation sans but
lucratif » (Non-Profit Organization). Une des difficultés de la procédure
d’enregistrement qui a été imposée à partir de 1989 est d’obtenir le parrainage d’un
Id., pp.20-22 ; CHAN C. K., “Community-based Organizations for Migrant Workers’ Rights: the
Emergence of Labour NGOs in China”, Community Development Journal, 2013, vol.XLVIII, n°1,
pp.6-8.
327
86
organisme public ou semi-public, qui assure la supervision de l’organisation 328 :
Shanghai Roots&Shoots a en effet énoncé avoir en son sein un département
appartenant au gouvernement à des fins de supervision. Shanghai Young Bakers
nous a toutefois avoué que la supervision dont ils faisaient l’objet était loin d’être
effective. Stepping Stones a expliqué avoir toujours été supervisés, parfois même de
façon « dissimulée ». Lequn a clairement énoncé faire l’objet d’audits des comptes et
des services, comme toute organisation se trouvant dans l’incubateur, ce qui inclut
également Xintu. Included et JiuQian ne l’ont pas mentionné directement, mais l’on
peut supposer, compte tenu de leur statut et relation avec le gouvernement ou
d’autres agences publiques, qu’elles ne font pas exception. Enfin, au vu de
l’existence précaire de Suzhou On Action, nous supposons que les contrôles soient
difficiles à exercer, d’autant plus que l’ONG a tout intérêt de se tenir à l’écart des
autorités.
Dans l’attente d’être enregistrées, les organisations usent de diverses stratégies. La
plus répandue est de travailler sous le couvert d’une autre organisation qui est, elle,
officiellement active sur le territoire. Par exemple, ce fut le cas de Stepping Stones
avant que l’organisation ne soit enregistrée à Shanghai en 2013. Shanghai Young
Bakers est en partie enregistré comme un programme d’une fondation hongkongaise.
Une autre façon de procéder est de s’établir en tant qu’entreprise indépendante ou
société à responsabilité limitée. Bien que légalement semblable à une entité à
caractère commercial, l’organisation ne poursuit pas de but lucratif. Enfin,
l’organisation peut décider de fonctionner indéfiniment de manière non officielle, en
gardant profil bas.329
L’organisation de défense des droits des travailleurs, Suzhou On Action (et sa
« maison-mère » de Pékin), est la seule des huit ONG que nous avons rencontrées à
être enregistrée en tant qu’entreprise indépendante. Cela n’est sans doute pas anodin
compte tenu de leur mission. En outre, face aux obstacles de mise en œuvre
rencontrés actuellement, les responsables agissent sous le couvert d’une autre
organisation qu’ils ont eux-mêmes enregistrés.
328
329
TAI J. W., op.cit., pp.24-25 ; CHAN C. K., op.cit., pp.9-11.
CHAN C. K., op.cit.
87
Toutefois, il semblerait que les autorités favorisent tout de même l’enregistrement
des ONG pour éviter qu’elles n’agissent de manière clandestine, d’en perdre le
contrôle et inciter la pratique de malversations financières.330
2. Taille et projets
La taille des organisations que nous avons interrogées varie fortement, de trois à
soixante-dix employés (en excluant les centres dont certaines disposent dans d’autres
villes chinoises ou à l’étranger). Et si l’on prend seulement en compte les employés
chargés des projets liés aux migrants et leur famille, leur nombre va de un à dix.
Toutefois, pour la mise en œuvre des activités, les sept ONG situées à Shanghai
opèrent toutes avec des volontaires et bénévoles, jusqu’à plusieurs centaines par an.
Par exemple, Stepping Stones compte environ 350 volontaires et JiuQian reçoit
l’aide de 200 à 300 volontaires par an. Celle de Suzhou travaille également par
l’intermédiaire d’ouvriers volontaires qui aident à la diffusion des informations dans
les usines.
Parmi notre échantillon, les domaines d’activités sont principalement l’éducation et
la santé, à l’exception de l’organisation de Suzhou qui, comme nous l’avons
mentionné, agit dans le secteur du droit.
Quant aux bénéficiaires, ce sont pour la plupart les enfants et adolescents migrants,
bien que des activités incluent également leurs parents. En ce qui concerne les
premiers, les projets visent à améliorer l’enseignement de divers branches telles que
l’anglais, la musique, l’informatique…, mais également à mieux s’intégrer dans la
ville et s’adapter à la vie urbaine à travers des visites, rencontres et autres activités
pour renforcer la confiance en soi et envisager l’avenir de manière positive. Certaines
organisations enseignent par ailleurs les bonnes pratiques nutritionnelles et
d’hygiène. Roots&Shoots et Stepping Stones se sont en outre centrées sur les
problèmes dentaires et de la vue, offrant aux enfants consultations et soins le cas
échéant.
En ce qui concerne les parents, les différents cours qui leur sont destinés, avec la
participation d’experts, visent entre autres à améliorer la relation et la
communication qu’ils ont avec leurs enfants, les sensibiliser à la sécurité et aux
330
TAI J. W., op.cit. ; CHAN C. K., op.cit.
88
accidents domestiques, les aider dans leur recherche d’emploi en cas de nécessité,
leur apprendre à utiliser l’ordinateur, ou encore, les informer du cadre légal au
travail. En général, les organisations tentent de toute façon d’établir un contact avec
eux afin qu’ils prennent conscience des activités menées auprès de leurs enfants.
Stepping Stones et Roots&Shoots sont toutefois davantage en contact avec les
professeurs des élèves qu’ils aident, les parents étant trop occupés. Certains parmi
ces derniers pensent même que la présence des professeurs-volontaires de Stepping
Stones est une initiative des responsables des établissements et ne cherchent pas
vraiment à les connaître.
Nous avons toutefois relevé une exception dans la façon d’opérer. Xintu, qui travaille
dans le secteur de la planification familiale, ne procède pas de manière directe dans
l’aide apportée aux communautés migrantes de Shanghai. Son objectif étant de les
autonomiser, l’ONG forme des « ambassadeurs de santé » et responsables de
« centres de vie » qui proviennent de la communauté. Ceux-ci sont chargés de mener
les projets et, à terme, de lever les fonds par eux-mêmes. Les bénéficiaires s’y
réfèrent alors directement et ne sont pas forcément conscients de l’aide reçue, ce que
ne recherche pas nécessairement l’organisation. Contrairement à Roots&Shoots qui
nous a affirmé que, lorsque les enfants reçoivent à l’école des collations nutritives,
ceux-ci en connaissent bien la provenance.
Une autre ONG se démarque par son projet : au-delà de chercher à améliorer
l’instruction des enfants migrants, Shanghai Young Bakers propose une formation
professionnelle en pâtisserie-boulangerie à des jeunes adultes venant de milieux
défavorisés. Bien qu’il s’agisse dans ce cadre d’une migration « organisée » plutôt
que « volontaire », il nous a paru intéressant d’en tenir tout de même compte dans
notre analyse car les difficultés que l’organisation rencontre et divers éléments
énoncés convergent avec le reste des témoignages (cf. infra). De plus, l’ONG
travaille en partenariat avec certaines des organisations rencontrées : Stepping Stones
y envoie ses professeurs d’anglais bénévoles et certains migrants formés en
boulangerie-pâtisserie étaient auparavant des bénéficiaires de JiuQian.
De manière générale, les missions poursuivies se rejoignent en ce sens que toutes les
ONG cherchent à développer les compétences des enfants, des parents voire de
89
l’ensemble de la communauté migrante, de les intégrer dans la ville et leur donner
l’opportunité d’améliorer leur futur.
Pour atteindre leur objectif, soit les organisations se déplacent elles-mêmes dans les
écoles
pour
migrants
(essentiellement
les
écoles
primaires)
ou
centres
communautaires où elles offrent leurs services, soit elles disposent d’un ou plusieurs
centres dans lesquels les activités sont tenues. Étant donné leurs ressources limitées,
les sites sur lesquels les ONG interviennent ne sont pas nombreux, variant de un à
six. Une autre raison qui explique l’ampleur relativement restreinte des activités est
la volonté de privilégier la qualité avant la quantité. Seule l’organisation Stepping
Stones fait exception car elle intervient sur une trentaine de sites, comprenant des
écoles, des centres communautaires et des associations partenaires. Cependant, le
responsable des projets nous a tout de même confié que la charge de l’ensemble des
projets qu’ils ont en place est à la limite de leurs capacités.
3. Financement et partenariat
Pour financer leurs projets destinés aux migrants, les ONG s’appuient davantage sur
des fonds privés que publics, et davantage étrangers que chinois. Les financements
proviennent de chambres de commerce et ambassades (via les galas de charité
organisés), banques, entreprises, fondations et autres associations…
En raison de leur caractère international, certaines organisations jouissent d’une
bonne réputation auprès des bailleurs qui viennent parfois les trouver spontanément :
Roots&Shoots (qui fait partie d’un réseau international fondé par le Dr Jane
Goodall), Shanghai Young Bakers (créé par des Français de la Jeune Chambre
économique française) et Stepping Stones (dont la directrice est franco-britannique et
dispose d’un bon réseau de contacts).
Cependant, ces organisations-là ne remportent pas les appels à propositions publics,
le gouvernement favorisant plutôt les petites ONG locales ayant un impact local. Une
exception toutefois est Included : pourtant présent à l’international, ils ont
récemment obtenu des fonds publics. Nous pensons que la raison de ce changement
(assez récent) est l’établissement d’un partenariat avec l’association des résidents du
quartier où ils sont implantés.
90
Outre leur avantage à se trouver dans l’incubateur d’ONG de Pudong, Xintu et
Lequn reçoivent des financements publics. Ceux-ci visent en majorité leurs projets
destinés à d’autres populations vulnérables de Shanghai, mais leur permettent tout de
même de maintenir leurs projets auprès des migrants. De même, deux centres de
JiuQian sont financés par le gouvernement local du district de Pudong. Nous
pouvons établir un rapprochement avec le fait que ce district est celui qui accueille le
plus grand nombre de familles migrantes. Il paraît plus enclin à financer des projets
qui visent cette population vulnérable, bien que généralement, en contrepartie, les
organisations doivent s’engager à mener des activités pour la population locale.
Par ailleurs, les ONG remarquent que non seulement la compétition pour l’obtention
des financements est de plus en plus rude, mais aussi que la situation économique
favorable de la Chine ralentit l’aide internationale. Enfin, parmi les autres difficultés
présentes, on retrouve les exigences des bailleurs quant à l’allocation des fonds et le
manque de stabilité des financements privés. Il est en effet difficile d’attirer
l’attention sur la population migrante qui ne paraît pas aussi nécessiteuse et
vulnérable aux yeux des observateurs extérieurs.
Lors de nos entretiens, nous nous sommes aussi intéressés à la thématique du
plaidoyer. La moitié des ONG interrogées communique en effet avec le
gouvernement local, et plus particulièrement les bureaux concernés par leur secteur
d’intervention. Toutefois, conscientes de leur pouvoir d’action limité, ces
organisations ne font pas du plaidoyer leur priorité. Elles ont également précisé ne
pas se trouver dans la bonne position pour s’adresser au gouvernement, ne pas être en
contact avec les bonnes personnes. Parmi les quatre autres organisations, Stepping
Stones sensibilise davantage le public chinois et étranger aux problèmes des migrants
lors d’activités avec les entreprises et universités internationales. À Suzhou, la
mission est plus délicate pour On Action étant donné le sujet sensible de sa mission.
Ainsi le plaidoyer se fait plutôt auprès d’organisations localisées à Hong Kong et à
l’étranger, notamment aux États-Unis. Enfin, Shanghai Young Bakers ne fait pas de
plaidoyer et nous n’avons pas l’information pour JiuQian.
Les partenaires de mises en œuvre sont essentiellement privés. Seul Xintu travaille
avec des hôpitaux qui appartiennent au Bureau du planning familial de Shanghai.
Outre les dons matériels et alimentaires, les entreprises et écoles internationales
91
apportent leur aide durant les activités via l’envoi d’employés ou étudiants
volontaires. Pour les premiers, c’est aussi l’occasion de promouvoir le travail en
équipe (teambuilding). Des hôpitaux et centres de santé privés collaborent pour les
consultations et soins apportés aux enfants des migrants et envoient des experts lors
des séances d’information offertes aux parents. Les associations universitaires et de
quartiers apportent aussi leur soutien via leurs bénévoles. Enfin certaines
organisations collaborent avec d’autres ONG notamment dans le cadre d’une
entraide mutuelle. Stepping Stones envoient par exemple ses volontaires pour
l’enseignement de l’anglais aux jeunes adultes migrants de Shanghai Young Bakers.
Lequn a par ailleurs déjà permis à une organisation à prendre le relais pour un projet
dont ils avaient obtenu le financement mais dont l’objectif s’écartait de leur mission
et expertise. Suzhou On Action échange des informations relatives à la défense des
travailleurs migrants avec des ONG et bureaux d’avocats situés à Canton, Shenzhen
et Hong Kong.
4. Obstacles et succès
De plusieurs dizaines à plusieurs milliers par an, le nombre de bénéficiaires touchés
dépend bien entendu de la manière dont les ONG fonctionnent, du type de projets et
de l’ampleur des ressources. Au-delà des chiffres, nous avons posé la question des
obstacles et succès rencontrés par les organisations.
D’une part, les croyances et le comportement des parents limitent parfois l’impact
des projets relatifs aux soins et à l’hygiène des enfants. Malgré les conseils d’experts
sur les bénéfices du port des lunettes, d’une opération de la vue, ou encore de
l’hygiène corporelle, certains migrants refusent parfois ou vont à l’encontre de l’aide
apportée. Le peu de temps libre dont les parents disposent dû à une lourde charge de
travail imposée ne leur permet pas souvent de participer aux activités proposées et
rend la communication avec les organisations difficile. De même, pour les ONG qui
travaillent dans les écoles pour migrants, les professeurs sont surchargés et ne
peuvent ou ne veulent donc pas toujours s’impliquer dans les projets. Roots&Shoots
a aussi mentionné la langue comme barrière à la participation de la communauté
expatriée. Enfin, Shanghai Young Bakers regrette que les jeunes adultes prenant part
à la formation ne soient peut-être pas forcément les plus défavorisés, la sélection
initiale se faisant au travers des organisations partenaires.
92
D’autre part, les organisations sont positives quant aux changements de
comportements obtenus grâce aux activités mises en place. Les enfants migrants sont
plus confiants, plus indépendants, plus ouverts. Ils montrent plus d’assurance,
s’intègrent mieux, communiquent plus facilement et ce, même avec les bénévoles
étrangers. Xintu note que les communautés migrantes aidées de façon indirecte
développent une autonomie certaine et un sens de l’entreprenariat. Lequn a
également remarqué que les migrants se permettent désormais de penser à leur vie
sociale. Outre la maturité acquise, les bénéficiaires de Shanghai Young Bakers se
voient en général offrir plusieurs opportunités d’emploi à la fin de leur formation.
Enfin, malgré la mise en œuvre difficile des projets, Suzhou On Action voit
également de manière positive la prise de conscience des ouvriers migrants quant à
leur force collective.
5. Forces et faiblesses
Enfin, nous avons demandé aux organisations de nous citer leurs forces et faiblesses.
Concernant les premières, Roots&Shoots a évoqué la bonne réputation dont
l’organisation jouit et la relation de confiance établie avec ses bailleurs et partenaires.
Xintu a souligné sa façon d’opérer comme étant sa force car l’ONG permet ainsi à la
communauté de développer ses propres capacités, ce qui leur apporte une solution
durable. Les forces de Lequn sont une équipe jeune, dynamique et innovante, un
travail proche de la population et une interconnexion entre les différents
départements. Les enfants migrants ont ainsi la possibilité de participer à des
activités dans les maisons de repos où ils interviennent via à un autre projet. Included
nous a parlé de leurs progrès constants, la confiance qu’ils ont réussie à instaurer
avec les migrants mais aussi les résidents locaux, ainsi que le partenariat noué avec
l’association du quartier. JiuQian a mis en avant le fait qu’ils agissent dans un
domaine particulier, soit la musique et le chant. Stepping Stones jouit avant tout du
leadership, de la motivation et expérience de sa directrice, mais également d’un très
bon réseau de contacts et de bénévoles. Shanghai Young Bakers utilise bien les
réseaux sociaux et différents moyens de communication pour mettre en avant leurs
partenaires et bailleurs. La valeur commerciale de la formation qu’ils proposent peut
en outre bénéficier à d’autres organisations et ainsi atteindre indirectement de
nombreux bénéficiaires dans toute la Chine. Par ailleurs, ces trois dernières ONG ont
toutes évoqué leur professionnalisme et expertise. Finalement, Suzhou On Action se
93
félicite du travail accompli avec les ouvriers-bénévoles et de l’organisation de ses
activités.
Quant aux faiblesses, les organisations font dans l’ensemble face aux mêmes
problèmes, à savoir le manque de compétences quant à la récolte de fonds, le manque
et l’instabilité du personnel, le manque de redevabilité (accountability) (que ce soit
auprès des bailleurs que des bénéficiaires), ainsi que de promotion et évaluation des
projets, parfois en raison du peu d’expertise dans ce domaine ou du peu de temps à
pouvoir y consacrer. Mis à part le problème relatif au personnel, Suzhou On Action a
pour sa part également mentionné le faible impact en raison des limites et obstacles
imposés par le gouvernement local.
B. LES BÉNÉFICIAIRES
1. Situation précaire
Un logement d’à peine plus de 10m² sans cuisine ni toilette dans la périphérie rurale
de Shanghai, en très mauvais état avec de médiocres conditions sanitaires et
d’hygiène, et abritant parfois plusieurs membres d’une même famille… Dressée lors
de nos entretiens, cette description des conditions de vie des familles migrantes à
Shanghai nous rappelle que la migration est loin d’équivaloir à une ascension sociale.
Une fois en ville, les migrants font face à une grande pression économique et leur
préoccupation première (mais également la raison principale de la migration) est de
gagner leur vie.
Tandis que les parents travaillent jour et nuit, les enfants laissés seuls dans les
maisons encourent des risques d’accidents. De nombreuses noyades sont notamment
reportées durant les vacances scolaires d’été. Les repas pauvres en nutriments sont
parfois préparés par l’ainé qui se charge du ménage en l’absence des parents. Il peut
en effet se passer un mois sans que ceux-ci ne voient leurs enfants, rentrant trop tard
et se levant très tôt pour aller travailler. L’on comprend dans cette situation que la
relation parent-enfant ait des difficultés à se développer.
Selon les ONG, à Shanghai, le logement, l’instruction et les soins de santé
constituent les besoins fondamentaux des migrants. Et tel que Lequn l’a remarqué, si
des enfants ont accès à l’instruction, il reste tout de même des aspects à prendre en
compte notamment le développement personnel, la sécurité et l’intégration dans la
94
ville. Il apparaît en effet que dans le milieu urbain, les migrants et leurs enfants se
sentent bien souvent méprisés par la population shanghaienne et, n’ayant pas accès
aux mêmes services, relégués à un statut inférieur.
2. Droits des travailleurs migrants
Suzhou On Action nous a pour sa part confirmé que les ouvriers-migrants à Suzhou
mais également à Shanghai sont victimes de divers abus (impayés et arriérés
salariaux, mauvaises conditions de travail, exposition à des substances nocives,
maladies professionnelles, risques sécuritaires, heures supplémentaires abusives,
salaires de base trop peu élevé…). Dans ce contexte, les syndicats ne sont pas d’un
grand soutien car ils n’entreprennent aucune consultation auprès des ouvriers et
représentent davantage les intérêts de l’entreprise et des cadres supérieurs, ayant été
créés par ceux-là même. De nombreuses grèves ont lieu mais ne sont pas souvent
portées à la connaissance du public. Bien souvent, elles n’aboutissent guère en raison
d’une mauvaise organisation et stratégie des ouvriers.
D’après On Action, cela dépend réellement du lieu, de la dynamique parmi les
ouvriers, de l’usine… À Canton, les grèves et actions collectives ont en général plus
d’effet et les travailleurs parviennent plus souvent à obtenir gain de cause grâce à
leur meilleure organisation. Nous supposons également que la présence des ONG,
plus nombreuses dans cette province, joue un rôle important dans la défense des
droits des ouvriers. Enfin, leur existence est certainement due à davantage
d’ouverture de la part des autorités locales, leur volonté de mieux protéger les
travailleurs et éviter des abus tels que durant « l’affaire de Sun Zhigang ».
Les recours en justice ne sont pas non plus aisés car ils requièrent beaucoup de temps
et d’argent, sans garantie du résultat. Les ouvriers-migrants se retrouvent ainsi sans
moyen pour faire valoir leurs droits, c’est pourquoi la présence et l’aide de l’ONG est
indispensable.
La responsable de projets de Suzhou On Action n’avait pas connaissance de
l’existence d’organisation de défense des droits des travailleurs à Shanghai. Suivant
de près toute situation ayant trait à la protection des ouvriers-migrants partout en
Chine, elle nous a affirmé que la situation dans la municipalité shanghaienne
présentait de nombreuses similitudes. Le dernier exemple qui nous a été donné
95
remonte à mai 2014, avant l’ouverture de l’IE Expo ( 中 国
博 会 , zhongguo
huanbohui). La police antiémeute et des policiers armés avaient été dépêchés tout
autour du site, le réseau téléphonique coupé, l’accès à internet bloqué,… Après deux
semaines de grèves contre des pratiques abusives d’une usine étrangère, les ouvriers
n’ont pas réussi à obtenir les compensations réclamées.
3. Relation avec les bénéficiaires
Au niveau de la participation des bénéficiaires, toutes les organisations nous ont
affirmé que leurs projets suscitent de bonnes réactions et de l’intérêt parmi la
population migrante. Les contacts sont réguliers et s’établissent sur une base
volontaire et de confiance. Mis à part les obstacles que nous avons déjà évoqués,
Lequn précise qu’ils interviennent seulement dans les établissements scolaires où les
professeurs et directeurs sont convaincus de l’impact social positif apporté et
soutiennent entièrement leurs projets. Il est en effet arrivé que le corps enseignant
aille à l’encontre des objectifs de l’ONG. Désormais, dans les écoles où celle-ci est
présente, les activités et cours sont intégrés aux horaires des élèves.
C’est également le cas pour Stepping Stones qui nous a expliqué que sa présence
dans les écoles dépendait de la volonté des directeurs et le fait qu’ils croient ou non
au projet mis en place, c’est pourquoi il est leur important de maintenir de bonnes
relations avec ceux-ci. De plus, la présence d’étrangers dans l’école peut parfois être
considérée comme « risquée » car soumise à l’enregistrement auprès du bureau du
district. Cependant, comme l’organisation a finalement obtenu un statut local officiel,
ce problème ne se rencontre plus vraiment. Stepping Stones a par ailleurs souligné
que le contact avec les bénéficiaires était toutefois difficile à maintenir à long terme
car d’une année à l’autre, la moitié des élèves pouvait changer.
Ajoutons enfin que JiuQian connaît bien les familles des enfants qu’ils aident. Leur
nombre étant plus restreint, l’organisation tient un dossier sur chacun d’entre eux et
effectue même une visite à domicile. Deux des enfants aidés sont revenus plus tard
dans l’ONG en tant que volontaires, puis stagiaires et y sont à présent employés.
C’est également le cas pour Shanghai Young Bakers. Le nombre de bénéficiaires ne
s’élevant qu’à une trentaine par an, l’organisation connaît bien leur passé parfois
difficile. Par ailleurs, les professeurs qui dispensent aujourd’hui la formation sont
aussi d’anciens étudiants, sélectionnés parmi la première promotion.
96
À travers leurs projets et activités, chacune des organisations tentent aussi de faire
passer des messages aux migrants et de leur inculquer des valeurs telles que la
solidarité, l’entraide, l’altruisme, l’amour, ainsi que la confiance en soi et en la vie.
En effet, la plupart des ONG invitent leurs bénéficiaires à participer eux-mêmes en
tant que bénévoles à des activités et événements durant lesquels ils ont l’opportunité
d’aider à leur tour d’autres personnes vulnérables. Le but est également de leur
montrer qu’il n’y a pas de honte à recevoir de l’aide, que leurs difficultés sont
temporaires et qu’ils peuvent s’en sortir. Les ONG visent à les responsabiliser et les
intégrer dans la ville en leur apprenant notamment le savoir-vivre et la
communication avec autrui.
4. Droit à l’instruction scolaire
Selon les informations reçues, le nombre officiel actuel d’enfants migrants à
Shanghai atteindrait près d’un demi-million. Parmi eux, environ 60% auraient été
admis dans les écoles publiques et le reste, soit moins de 200.000 enfants, seraient
répartis dans les 162 écoles réservées exclusivement aux migrants. Depuis 2008, le
gouvernement a repris progressivement un certain contrôle sur les écoles privées via
l’octroi de subsides annuels à hauteur de plusieurs milliers de yuans par enfant (mais
la gestion de l’école reste tout de même assurée de manière privée). Selon JiuQian, la
réforme est actuellement encore en cours dans le district de Pudong qui compte le
plus grand nombre d’enfants migrants.331
Concernant les subsides octroyés, Roots&Shoots a avancé le chiffre de 5000 yuans
(700 euros), bien que, au lancement du plan d’action en décembre 2007, la somme
annuelle de 1900 yuans (280 euros) était mentionnée.332 Notre hypothèse est que le
coût ait en effet pu évoluer333 mais qu’il faille toutefois tenir compte des différentes
règles selon les districts, ce qui pourrait faire varier la hauteur des subsides alloués
d’un endroit à l’autre. Notons également que les subsides étant accordés en fonction
du nombre d’élèves, les directeurs d’écoles ont intérêt à en recruter un maximum, ce
YAN Y., “Children of migrant workers get education subsidy in Shanghai”, Xinhua: Beijing, 24
December 2007, [online access], http://www.gov.cn/english/2007-12/24/content_842383.htm,
dernière consultation le 28 juin 2015.
332
Ibid.
333
Cette hypothèse se confirme à la lecture d’une étude réalisée en 2011-2012. La somme allouée lors
de cette année académique était de 4.500 yuans par élève. In : CHEN Y., FENG S., Access to Public
Schools and the Education of Migrant Children in China, Bonn: Institute for the Study of Labor
(IZA), “Discussion Paper”, n°6853, 2012, p.8.
331
97
qui devient actuellement plus difficile en raison de nouveaux critères imposés (cf.
infra).
Les neuf années de scolarité obligatoire sont désormais également gratuites dans ces
établissements (restent tout de même à la charge des parents les repas, l’uniforme et
autres frais additionnels). Le gouvernement a par ailleurs établi une liste de critères
que les établissements scolaires pour migrants doivent remplir pour pouvoir
continuer à fonctionner et jouir des subventions. Toutefois, les critères d’admission
aux écoles ont eux aussi été revus il y a deux ans, ce qui limite actuellement l’accès
plutôt que de le faciliter, comme l’ont constaté les ONG.
La possession d’un permis de résidence temporaire pour une durée minimale de deux
ans et la preuve de contribuer au système de sécurité sociale de Shanghai sont en
effet des nouvelles conditions instaurées afin de pouvoir inscrire son enfant dans une
école privée pour migrants. Ne pouvant y répondre, une partie des parents ont ainsi
renvoyé leurs enfants dans leur ville natale. En conséquence, le nombre d’élèves a
récemment baissé et les écoles éprouvent des difficultés à en recruter de nouveaux.
Malgré le fait que ces écoles jouissent désormais de meilleures infrastructures, la
qualité de l’enseignement reste pauvre en raison d’un problème de recrutement de
professeurs (dont les salaires sont nettement inférieurs que dans les écoles
publiques). Les professeurs employés sont ainsi peu qualifiés et le nombre d’élèves
par classe trop élevé :
Une étude d’ailleurs a démontré que les performances scolaires des enfants dans les
écoles pour migrants étaient nettement moins bonnes que leurs congénères ayant
obtenu une place dans les écoles publiques. D’aucuns ont toutefois avancé que, dans
ces établissements publics, les enfants migrants font face aux discriminations de la
part de leurs professeurs et camarades ; de la sorte, ils pourraient finalement recevoir
une meilleure instruction dans les écoles leur étant exclusivement réservées.334
Notons finalement que, selon Roots&Shoots et Stepping Stones, les directeurs
acceptent tout de même des enfants dont les parents ne peuvent fournir tous les
documents requis, selon la relation qu’ils entretiennent avec le directeur d’école et
moyennant par ailleurs le versement d’une certaine somme. Face à la présence
d’élèves « illégaux », Roots&Shoots nous a assuré que les autorités locales n’avaient
jusqu’à présent mis en place aucune mesure répressive à leur encontre.
334
Ibid.
98
Les écoles privées pour migrants existent également à Suzhou où il y en aurait près
d’une centaine. Elles présentent souvent des conditions assez médiocres et ne
reçoivent aucune aide du gouvernement local. Contrairement à Shanghai, ce dernier
ne fournit aucun effort afin d’améliorer l’accès des enfants migrants à une instruction
de qualité. Toutefois, la plupart des ouvriers qui reçoivent l’aide de l’organisation On
Action n’ont pas emmené leurs enfants avec eux dans la ville et séjournent dans les
dortoirs fournis par l’usine. De plus, l’ONG a indiqué que la plupart des ouvriers ne
faisaient aucune démarche de régularisation afin d’obtenir un permis de résidence
temporaire et que, de son côté, le gouvernement ne se montrait pas strict à cet égard.
Enfin, comme nous l’avions déjà expliqué dans le chapitre précédent, les enfants
migrants à Shanghai sont amenés à retourner chez eux pour passer les examens de fin
de cycle. Souvent, ils rentrent même plus tôt pour rattraper le décalage qu’il y a dans
les matières enseignées afin de mettre toutes les chances de leur côté aux moments
des épreuves finales. Stepping Stones se félicite que bien souvent les élèves qu’ils
ont aidés parviennent à décrocher les meilleurs résultats en anglais.
C. LES AUTORITÉS LOCALES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE
1. Vision des ONG et relation avec les autorités
En analysant les différents entretiens que nous avons menés, nous pouvons affirmer
que les diverses organisations ont une vision qui n’est ni négative ni positive quant à
l’attitude du gouvernement de Shanghai envers ses migrants. Au vu des efforts
fournis dans le domaine de l’instruction des enfants migrants, le gouvernement local
joue ou pourrait en effet jouer un rôle essentiel dans la résolution de ce problème.
Toutefois, la manière dont les autorités procèdent est encore loin d’être suffisante.
D’un côté, il y a une réelle prise de conscience de leur part et des tentatives de
combler les inégalités (non seulement dans le domaine de l’instruction mais
également de la sécurité sociale). D’un autre côté, il est évident que Shanghai ne
dispose ni d’expérience ni de modèle sur lesquels se baser car la question des
migrants est récente et n’a encore jamais été rencontrée dans une autre ville aussi
peuplée, que ce soit en Chine ou ailleurs dans le monde.
Xintu, qui travaille étroitement avec le Bureau de la planification familiale, a noté
une évolution dans le rapport que le gouvernement de Shanghai entretient avec ses
99
migrants. Celui-ci a tout d’abord voulu limiter la population migrante (au sens large),
leur a ensuite offert certains services, et enfin, a supprimé ces avantages sans pour
autant imposer plus de limites à l’arrivée des migrants. Un exemple terminologique
illustre l’évolution de la relation de coexistence qui apparaît désormais relativement
stable : auparavant appelés « 外地人 » (waidi ren, personnes provenant d’une autre
région de Chine), les migrants sont à présent désignés de manière plus accueillante
sous le terme de « 来沪人员 » (lai hu renyuan, personnel venu à Shanghai). Bien
entendu, dans la pratique, nous avons vu que de nombreuses inégalités demeurent.
Dans le même temps, le gouvernement fait face à d’autres problèmes qu’il règle en
priorité. L’Assemblée populaire locale a ainsi publié au début de cette année un
ensemble de dix projets prioritaires pour la municipalité, parmi lesquels un visait la
population âgée locale, mais aucun ne prenait en compte la population migrante.335
Le gouvernement n’a donc pas encore réellement mis en place de politiques
spécifiques à leur égard, observant toutefois les difficultés auxquelles ils sont
confrontés. C’est pour cette raison que certains appels à propositions ont pour
bénéficiaires les migrants, mais leur nombre reste très limité. Les autorités ont d’une
part construit et subsidié des écoles pour migrants, mais face aux nombres croissants
d’enfants migrants dans la ville, elles ont d’autre part instauré de nouveaux critères
afin de les restreindre. En outre, l’environnement législatif est assez confus et fort
changeant.
2. Entre soutien et contrôle
Toutefois, Shanghai se montre depuis peu plus favorable aux organisations non
gouvernementales à caractère social. Mais le phénomène étant assez nouveau, les
autorités cherchent tout de même à les contrôler. En somme, le gouvernement est
prêt à soutenir les ONG qui répondent à ses attentes, collaborent et mettent par
ailleurs en place des projets qui bénéficient à la population locale. Pourtant, face à
des acteurs étrangers, Stepping Stones a noté qu’une certaine méfiance voire une
suspicion demeure quant à l’objectif final réellement poursuivi. Cela semble
aujourd’hui se confirmer avec un projet de loi présenté par la Commission nationale
“Shanghai 2015 nian « zhengfu gongzuo baogao » shi da guanjianci” (Shanghai 2015 « Plan de
travail gouvernemental » les dix priorités), Le Quotidien du peuple : Pékin, 25 janvier 2015, [accès en
ligne], http://sh.people.com.cn/n/2015/0125/c134768-23676872.html, dernière consultation 15 juillet
2015.
335
100
de sécurité à l’encontre des ONG étrangères qui a provoqué un tollé à l’étranger. En
effet, celui-ci annonce de nouveaux abus et répressions à l’égard du droit à la liberté
d'expression, de réunion et d'association.336
Lorsque nous avons demandé si en fin de compte les organisations ne remplissaient
pas un rôle qui devrait être pris en charge par le gouvernement lui-même, nos
interlocuteurs ont tous répondu par la négative. Ils estiment que, malgré la limite des
actions du gouvernement et des groupes encore marginalisés, celui-ci a déjà montré
des efforts, et certainement davantage que dans d’autres localités. Les ONG
considèrent que leur travail est plutôt complémentaire aux actions du gouvernement.
Bien entendu, elles s’accordent à dire que dans l’idéal, les autorités devraient
permettre à tout enfant de poursuivre son instruction et à toute famille d’avoir un
accès aux services de santé, indépendamment de leur lieu d’origine et situation
socioéconomique. La responsable de l’organisation Included a remarqué sans
équivoque que la solution serait évidemment d’éliminer le système du hukou.
Roots&Shoots a avancé qu’il serait plus simple que les règles s’appliquent de façon
homogène dans toute la Chine, ce qui éviterait une concentration de la population
migrante dans une ville ou l’autre. En effet, nous avons vu que la gestion du système
du hukou est décentralisée et cela mène à des divergences entre les différents niveaux
d’administration. En attendant, le gouvernement de Shanghai ne semble pas imposer
d’obstacles aux organisations et, comme nous l’avons mentionné précédemment, la
moitié des ONG rencontrées reçoivent un soutien financier public non négligeable.
Tandis que, de l’extérieur, nous ne voyons que des abus à décrier, nous nous posons
la question du motif qui conduit les ONG à adopter cette vision relativement
optimiste. S’agit-il d’une certaine pression ressentie par nos interlocuteurs qui ont
voulu nous donner une bonne image de leur gouvernement ? (Notons l’importance
pour les Chinois de « garder la face », toutefois nous avons également interrogé des
étrangers). S’agit-il d’un optimisme « par défaut » ? (La situation pourrait en effet
être pire)… Un autre élément de réponse pourrait être celui que nous détaillons ciRICHARDSON S., “Submission by Human Rights Watch to the National People’s Congress
Standing Committee on the second draft of the Foreign Non-Governmental Organizations
Management Law”, Human Rights Watch: New York, 1 June 2015, [online access],
https://www.hrw.org/news/2015/06/01/submission-human-rights-watch-national-peoples-congressstanding-committee-second, dernière consultation le 15 juillet 2015. Voir aussi : DENYER S., “NGOs
in China fear clampdown as Xi Jinping plans new security controls”, The Guardian: London, 30
March 2015, [online access], http://www.theguardian.com/world/2015/mar/30/ngos-china-fearsecurity-clampdown, dernière consultation le 15 juillet 2015.
336
101
après : un climat favorable à l’établissement d’une société civile (« à la chinoise »,
voudrait-on préciser) qui semble s’installer dans la ville…
3. Climat favorable
Ces dernières années, la ville a connu des changements favorables au développement
d’un esprit de solidarité et de bénévolat au sein de la population locale. Certains ont
identifié plus précisément 2010 comme étant l’année charnière et fait le
rapprochement avec l’organisation de l’Exposition universelle. Depuis lors, il s’avère
notablement plus simple pour les ONG de recruter des volontaires et bénévoles afin
de participer à la mise en œuvre de leurs projets, entre autres, grâce à de nouvelles
plateformes créées à cet effet. La population semble avoir pris conscience de
l’importance des valeurs véhiculées par ce genre d’actions solidaires mais comprend
également mieux l’existence ainsi que les enjeux des organisations sociales et du
secteur non lucratif.
Ce changement a bien entendu d’abord été encouragé par le gouvernement, sinon, tel
que Lequn l’a remarqué, il n’aurait certainement pas vu le jour. Sur les écrans et dans
les transports publics, les propagandes en faveur du bien-être public se mélangent
aux publicités qui n’étaient autrefois que commerciales. Ce nouvel engagement est
relayé par les célébrités, agences de presse et médias qui s’investissent via leur
propre fonds pour la population ou fondation. L’on voit d’ailleurs le nombre de
participants aux événements caritatifs augmenter de plus en plus. Les universités et
entreprises soutiennent aussi le mouvement à travers les associations et groupes de
volontaires dont elles disposent.
Cette tendance n’est pas circonscrite à la municipalité shanghaienne : des
organisations non gouvernementales sont également présentes dans les villes de
Canton, Shenzhen, Pékin et Chengdu. Leur implication croissante suscite
progressivement l’intérêt des citoyens locaux et encourage leur participation. Malgré
tout, Shanghai a l’avantage de posséder une très large population expatriée mais
également des citoyens chinois ayant une ouverture et connaissance de l’étranger
plus avancée. Compte tenu en outre de la part des financements étrangers dans les
projets pour migrants, nous pouvons ainsi avancer l’hypothèse que le nouvel intérêt à
cet égard s’est fait en partie sous une impulsion étrangère.
102
L’idée et le concept de bénévolat s’est aussi répandu à travers les programmes
universitaires en « travail social » ( 社 会 工 作 , shehui gongzuo) qui recrutent un
nombre croissant d’étudiants, comme nous l’a confirmé Lequn. Par ailleurs, Included
nous a confié que certains jeunes bénévoles étaient plutôt motivés par l’obtention
d’un certificat à ajouter à leur curriculum vitae. Nonobstant le fait que l’intention
solidaire soit peut-être détournée dans ce cas, il n’en reste pas moins la preuve que le
bénévolat a acquis une certaine valeur et reconnaissance auprès des employeurs.
4. Le bien-être public aux sacrifices de certains
À quarante minutes de là en train à grande vitesse, la précarité de l’organisation
Suzhou On Action nous a fort marqués. Tout projet en relation avec la défense des
droits-ouvriers est automatiquement suspendu par la police locale. Alors
qu’autrefois, l’ONG pouvait se rendre aux abords des usines, les seules activités qu’il
est aujourd’hui possible de mener sont secondaires et indirectes, via les ouvriersbénévoles. De même lorsque des accidents mortels se produisent, les autorités
agissent rapidement afin qu’aucune information ne soit publiée par les médias. Le
gouvernement local cherche en réalité à préserver un climat stable dans la zone
industrielle afin d’attirer les investisseurs (ou ne pas les éloigner). Ainsi le
gouvernement ne tolère pas les mouvements sociaux et les intérêts des travailleurs
sont largement ignorés notamment en raison du caractère temporaire et hautement
mobile de la migration.
Selon On Action, si les syndicats assumaient pleinement leur rôle en protégeant les
intérêts collectifs, cela permettrait déjà une avancée décisive en la matière. Pourtant,
en termes de prise de conscience, Suzhou connaît une réalité qui n’est pas si éloignée
de Shanghai. D’une part, les travailleurs migrants eux-mêmes sont plus conscients de
leurs droits. Bien que leurs actions ne soient pas encore à la hauteur de cette prise de
conscience et que leur attitude soit plutôt pessimiste quant à l’issue de celles-ci, de
plus en plus d’ouvriers veulent s’engager bénévolement auprès de l’ONG et
transmettre les connaissances au sein des communautés migrantes. D’autre part, les
étudiants universitaires manifestent leur volonté de venir en aide aux travailleurs, et
de manière plus générale, le nombre de bénévoles et d’actions volontaires s’accroît.
Tel que nous l’avons observé dans la ville de Shanghai, ce changement a été induit
103
par le gouvernement local qui promeut désormais le bien-être public et la montée du
secteur tertiaire non-marchand.
5. Espoir futur ?
Finalement, les organisations nous ont fait part de leur opinion quant à la situation
future à Shanghai qui s’avère pour l’ensemble incertaine mais plutôt positive.
Incertaine tout d’abord car il est clair que les décisions prises plus récemment
limitent davantage l’accès des enfants migrants à l’instruction et que les politiques de
développement visent et profitent en premier lieu à la population locale. Toutefois, la
municipalité est reconnue pour être plus ouverte, agir plus rapidement et
effectivement. Ce dynamisme, conjugué à un mouvement nouveau altruiste en faveur
du bien-être public, laisse ainsi penser aux acteurs de la société civile que la situation
évoluera probablement de manière positive. Quand bien même le chemin serait semé
d’embûches, il n’en demeure pas moins un espoir pour les migrants. Les autorités
locales ont en effet pris conscience du problème, et, quand le moment sera venu, il
n’est pas impossible, toujours selon les ONG, que des initiatives en leur faveur
(même soumises à des conditions) soient mises en place. À notre surprise, cet
optimisme s’est également retrouvé lors de notre entretien avec Suzhou On Action
malgré la pression subie.
CONCLUSION
Après avoir analysé les transformations de la Chine contemporaine, dépeint le
tableau des migrations internes qui ont participé à son développement et étudié
l’origine ainsi que les conséquences du système du hukou, dans ce dernier chapitre,
nous avons voulu donner au lecteur une vision plus locale et concrète de la situation
et avons à cet effet sélectionné la municipalité de Shanghai. La ville regorge en effet
de contrastes avec une population urbaine locale qui se fait progressivement rattrapé
en nombre par ses résidents temporaires. Dynamique, cosmopolite, ouverte sur
l’extérieur et jouissant d’une croissance économique et d’un PIB par habitant parmi
les plus élevés du pays…, Shanghai attire une main-d’œuvre rurale qui entend
profiter elle aussi des richesses générées. Bien qu’elle nécessite ces travailleurs pour
assurer son développement économique, la municipalité n’est toutefois pas prête à
leur accorder un traitement égal à celui des citoyens urbains. Malgré les efforts
fournis dans le domaine de la sécurité sociale et de la scolarisation des enfants
104
migrants, l’accès à ces services demeure conditionné par l’obtention d’un permis de
résidence temporaire, qui est également discriminatoire. Seuls les meilleurs peuvent
espérer obtenir un jour le hukou urbain tant convoité.
Tandis que les migrants ruraux de Shanghai luttent quotidiennement pour améliorer
leurs conditions de vie dans cette métropole guère accueillante à leur égard, des
organisations de la société civile ont décidé d’apporter un soutien à cette population
vulnérable. Nous nous sommes ainsi entretenus avec huit d’entre elles afin de
comprendre leur mission, leur fonctionnement et leur regard sur la problématique.
Comme nous venons de le présenter dans notre analyse, les organisations non
gouvernementales (ONG) rencontrées agissent surtout dans le domaine de
l’éducation et de la santé auprès des enfants de la communauté migrante. L’ampleur
des projets menés est en général limitée en raison d’un manque et une instabilité des
ressources humaines et financières. Les ONG s’appuient ainsi sur l’aide de bénévoles
et, dans l’ensemble, les financements reçus sont davantage d’origine privée et
étrangère. Quant au plaidoyer, les ONG en font en particulier auprès du public avec
lequel elles sont déjà en contact, n’estimant pas pouvoir réellement peser auprès des
institutions publiques. Enfin, les projets ont clairement des impacts positifs sur le
développement social des bénéficiaires.
Grâce à nos entretiens, nous avons par ailleurs pu confirmer les informations décrites
dans les chapitres précédents quant aux conditions de vie et de travail des migrants,
leurs priorités et besoins lorsqu’ils séjournent en ville ainsi que les problèmes
d’intégration et d’accès aux services auxquels ils sont confrontés. Dans ce cadre, les
ONG cherchent à leur redonner confiance et espoir à travers leurs activités, leur
apprennent à s’intégrer, à communiquer et tentent de les responsabiliser. À côté de
l’aide fournie, que ce soit des cours d’anglais, de musique ou un accès gratuit à des
soins de santé, les notions de bénévolat et d’altruisme constituent le message central
délivré aux migrants et leurs enfants. Les ONG tiennent en outre à travailler avec des
partenaires qui partagent ces valeurs et croient aux bienfaits de leur mission.
Depuis quelques années, il semblerait que le climat politique et social à Shanghai soit
de plus en plus favorable à l’établissement d’une société civile (« à la chinoise »).
Les initiatives sont toutefois orientées par les autorités qui plaident, notamment via
des spots publicitaires, pour le bien-être public. Les ONG ont identifié 2010 comme
105
étant l’année où ce mouvement a débuté. Cela coïncide ainsi avec l’organisation de
l’Exposition universelle, à la thématique similaire. À cette période, des plateformes
de bénévoles et volontaires ont été créées. Actuellement, le mouvement
s’amplifie avec, entres autres, les entreprises et universités qui disposent de leurs
propres groupes et associations de volontaires. Le secteur du non-marchand s’est
progressivement trouvé une place à Shanghai, mais également dans d’autres
métropoles chinoises. Nous avons toutefois formulé l’hypothèse que pour Shanghai,
et dans le cas du soutien aux migrants en particulier, l’impulsion pourrait par ailleurs
venir de l’étranger, via la communauté expatriée, les représentations diplomatiques,
les universités et entreprises étrangères ainsi que les Chinois ouverts sur le monde
extérieur ou ayant vécu à l’étranger.
Reconnaissant certes les problèmes rencontrés par la population migrante, la
municipalité met cependant en priorité sa population locale. Les ONG interrogées
estiment tout de même que les autorités shanghaiennes assurent une aide
fondamentale aux migrants, aussi minime soit-elle. Il leur semble pour l’instant que
le gouvernement local observe, expérimente et contrôle encore, mais que, en somme,
la direction prise est plutôt positive, en dépit, certainement, d’autres obstacles à
venir.
106
CONCLUSION GÉNÉRALE
Les inégalités sociales en Chine ayant déjà fait l’objet d’études en tout genre, nous
aimerions conclure sur notre contribution à l’analyse de la problématique des
migrants ruraux en zone urbaine.
Tout d’abord, nous avons voulu démontrer que ces inégalités sont le résultat d’un
système qui est ancré dans l’histoire du pays et qui, de ce fait, peut être considéré
comme un instrument traditionnel de gestion de l’ordre social. En effet, malgré le
fait que les écarts sociaux soient davantage visibles depuis l’entrée de la Chine dans
un nouveau modèle économique dit « socialiste de marché », de tout temps, les
autorités ont organisé et contrôlé la société chinoise de manière à éviter des
débordements sociaux et revendications de la population qui pourraient mettre à mal
l’existence du Parti unique. Ajoutons également les caractéristiques géographiques et
démographiques propres au pays qui requièrent sans aucun doute une gestion habile
de la part des autorités en place.
La longue pratique du système d’enregistrement des ménages à travers le temps
indique en outre que sa suppression relève plutôt de l’improbable. D’ailleurs, compte
tenu de certains exemples qui ont été fournis dans notre analyse, nous pensons que
s’il était amené à disparaître de manière définitive, le système du hukou serait
aussitôt remplacé par des mesures restrictives similaires, du moins dans les grandes
métropoles telles que Shanghai. Les autorités locales mais aussi les citoyens urbains
ne permettraient pas de voir leur ville « envahie » par des afflux de travailleurs
ruraux perçus comme une menace à divers égards.
Grâce à nos entretiens, nous avons pu observer cet effet en particulier dans l’accès à
la scolarisation des enfants migrants. Suivant une directive nationale, la municipalité
de Shanghai a montré des efforts dans ce domaine et a finalement permis à la
population migrante d’inscrire leurs enfants gratuitement dans les écoles publiques et
les écoles privées pour migrants. Nonobstant l’écart dans la qualité de
l’enseignement, cela représentait déjà une grande avancée en termes de respect des
droits fondamentaux. Toutefois, devant le nombre croissant d’élèves et la plainte des
parents locaux qui ne voulaient voir leurs enfants mélangés à la population extérieure
(certaines écoles de haut standing avaient d’ailleurs refusé d’appliquer la mesure), les
107
autorités ont actuellement resserrés les critères d’admission, privilégiant à présent les
enfants des familles migrantes les plus aisées.
Ce genre de situation en va-et-vient qui existe à divers niveaux administratifs dans
l’ensemble du territoire donne l’impression que les autorités se trouvent encore dans
une phase d’expérimentation. Cependant, l’issue semble à chaque fois être en
défaveur des migrants ruraux les plus vulnérables.
À notre surprise, les organisations sociales rencontrées ne se montrent néanmoins pas
négatives quant à l’évolution de la situation. Face aux inégalités qui persistent, elles
se voient être une solution complémentaire aux autorités shanghaiennes qui
fourniraient déjà, selon elles, des efforts minimaux. Certaines reçoivent en outre des
fonds publics qui leur permettent de mettre en place des projets visant non seulement
les migrants, mais aussi (et cela fait certainement l’objet d’une condition d’allocation
des fonds) des populations vulnérables locales.
Là est justement le problème, que ce soit la municipalité de Shanghai ou une autre
ville ou province, celle-ci doit faire face à d’autres priorités qui minimisent
finalement l’importance de régler le problème des migrants. C’est pourquoi nous
restons prudents et ne crions pas victoire lorsque les ONG nous décrivent le climat
favorable qui semble s’être installé depuis quelques années. Si nous prenons le cas de
l’Exposition universelle, celle-ci a peut-être encouragé les citoyens à s’investir pour
le bien-être social public, toutefois, nous pensons qu’il s’agit avant tout du bien-être
de la population locale et, tout au plus, des migrants qui sont déjà intégrés dans la
ville (qui viennent en général du milieu urbain).
Quant à l’enthousiasme démontré récemment par les citoyens à l’égard des actions
bénévoles et du volontariat, il a en effet été permis et orienté par les instances
publiques. Cela n’a donc pas été le résultat d’un processus social qui se construit en
vis-à-vis de la sphère politique. De là se pose la question de savoir jusqu’à quand les
autorités chinoises appuieront ou toléreront ce mouvement. Sans vouloir paraître
pessimistes, nous tenons à rappeler que les droits de l’homme sont encore un sujet
sensible voire tabou en Chine. Le projet de loi visant les organisations étrangères qui
a été présenté récemment le confirme d’ailleurs.
108
Enfin, nous constatons, quoique sans grand étonnement, que les ONG n’incluent pas
le plaidoyer dans leur mission principale car, selon elles, elles ne sont pas bien
placées et n’ont aucun pouvoir d’action réel. Or, nous sommes convaincus que le
dialogue avec les politiques doit faire partie intégrante de la mission d’organisations
non gouvernementales. Si celui-ci rencontre un obstacle, alors nous estimons que les
initiatives récentes ne font pas figure d’un avènement de changements sociaux qui
permettraient aux migrants ruraux de participer de manière égalitaire au
développement économique du pays.
Dans ce contexte institutionnel rigide, il nous semble difficile d’envisager quelque
piste d’action possible, car, comme nous l’avons réitéré au fil de notre analyse, tant
que le système du hukou (ou toute autre forme de mesures induisant une ségrégation
sociale) existe, les inégalités subsisteront. Toutefois, il est certain que la présence des
organisations sociales permet d’apporter aux migrants ruraux un soutien nécessaire
en zone urbaine. Ainsi, il est important que celles-ci puissent continuer à mener leurs
actions. Cela les amènera sans doute à maintenir de bonnes relations avec les
autorités (entendez par là : à ne pas aller à l’encontre de leurs décisions).
Enfin, nous pensons qu’une des solutions pour les organisations est d’investir
particulièrement leurs efforts à promouvoir le développement de la communauté
migrante en passant par l’instruction et l’intégration des enfants. À cet effet, il
pourrait être utile d’évaluer l’impact à long terme des actions des ONG sur les
enfants migrants, afin de constater si les opportunités d’émancipation à cet égard sont
bien réelles.
109
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access],
http://www.who.int/whr/2000/media_centre/press_release/en/, dernière consultation
le 9 juin 2015.
Articles et données scientifiques
« Balance commerciale, Chine », Perspective Monde : Université de Sherbrooke,
[accès
en
ligne],
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&cod
ePays=CHN&codeStat=NE.RSB.GNFS.CD&codeStat2=x, dernière consultation le
20 février 2015.
ZHANG Z., “The Health Status of Migrant Workers in China”, Harvard University:
Cambridge
(Massachusetts),
20
January
2014,
[online
access]:
http://hir.harvard.edu/the-health-status-of-migrant-workers-in-china,
dernière
consultation le 25 mai 2015.
Autres sites de recherches
China – Economic Indicators, Trading Economics: New York, 2015, [accès en
ligne], http://www.tradingeconomics.com/china/indicators, dernière consultation le
15 juillet 2015.
“Shanghai Population 2015”, World Population Review: New York, 19 November
2014, [online access], http://worldpopulationreview.com/world-cities/shanghaipopulation/, dernière consultation le 15 juin 2015.
WONG B., “Shanghai: Market Profile”, Hong Kong Trade Development Council
(HKTDC) Research: Hong Kong, 22 December 2014, [online access], http://chinatrade-research.hktdc.com/business-news/article/Fast-Facts/Shanghai-MarketProfile/ff/en/1/1X000000/1X06BVOR.htm, dernière consultation le 16 juin 2015.
121
Pour aller plus loin…
CHAN A., “Strikes in China’s Export Industries in Comparative Perspective”, The
China Journal, 2011, n°65, pp.27-51.
CHAN A., “Class Consciousness of Migrant Workers in South China”, in:
International Workshop at Nanjing University, Labour Dispute Resolution, Nanjing,
2011.
CHAN J., NGAI P., “Suicide as Protest for the New Generation of Chinese Migrant
Workers: Foxconn, Global Capital, and the State” , The Asia Pacific Journal, 2010,
vol.XXXVII, n°2.
CHEN F., “Legal Mobilization by Trade Unions: The Case of Shanghai”, The China
Journal, 2004, n°52, pp.27-45.
CHEN F., “Trade Unions and the Quadripartite Interactions in Strike Settlement in
China”, The China Quarterly, 2010, vol.CCI, pp 104-124.
MUN Y. C., “Forced Flexibility: A Migrant Woman's Struggle for Settlement”, The
China Journal, 2009, n° 61, pp.51-76.
QIU J. L., “‘Power to the People!’ Mobiles, Migrants, and Social Movements in
Asia”, International Journal of Communication, 2004, n°8, pp.376-391.
THIREAU I., HUA L., « Le sens du juste en Chine: En quête d'un nouveau droit du
travail », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2001, n°6, pp.1283-1312.
UNGER J., CHAN A., “The Internal Politics of an Urban Chinese Work
Community: A Case Study of Employee Influence on Decision-Making at a StateOwned Factory”, The China Journal, 2004, n° 52, pp.1-24.
WONG L., “Chinese Migrant Workers: Rights Attainment Deficits, Rights
Consciousness and Personal Strategies”, The China Quarterly, 2011, vol.CCVIII,
pp.870-892.
122
ANNEXES
Liste des annexes :
Annexe 1 : Les zones économiques spéciales en Chine (ZES)……….124
Annexe 2 : Photographie du hukou………………………………...…125
Annexe 3 : Les moyens et conditions d’obtention du hukou urbain.…126
Annexe 4 : Formulaire d’enregistrement de résidence temporaire…...127
Annexe 5 : Protestations des travailleurs migrants………………..….128
Annexe 6 : Couverture sociale des migrants ruraux…………………..129
Annexe 7 : La migration et les maladies transmissibles………….…..130
Annexe 8 : Provinces d’origine et de destination des migrants………131
Annexe 9 : Coefficients de restriction pour le transfert de hukou….…132
Annexe 10 : Les Entretiens……………………………………..…….133
- Guide des entretiens………………………………………..………………134
- Shanghai Roots&Shoots……………………………………...……………135
- Stepping Stones…………………………………………………………….148
- JiuQian Shanghai Volunteer Center……………………….……………….165
- Included…………………………………………………………………….172
- Suzhou On Action International Cultural Center……………………..........179
- Shanghai Lequn Social Work Service………………………………….…..188
- Shanghai Young Bakers……………………………………………………202
- Xintu Center for Community Health Promotion…………………...………215
123
Annexe 1 : Les zones économiques spéciales en Chine (ZES)
Source : PAULES X., La Chine. Des guerres de l’opium à nos jours, Paris : La
Documentation française, « Documentation photographique », n° 8093, 2013, p.55.
124
Annexe 2 : Photographie du hukou
Source : WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou
System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, pp.72-73.
125
Annexe 3 : Les moyens et conditions d’obtention du hukou urbain
Source : WANG J., Les migrations intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris :
L’Harmattan, 2012, p.246.
126
Annexe 4 : Formulaire d’enregistrement de résidence temporaire
Source : WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou
System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, p.76.
127
Annexe 5 : Protestations des travailleurs migrants
Wage arrears protests in China’s manufacturing industry by province: January 2014 -July 2015
Shanghai
Source : “Wages and employment”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 4 August 2015,
[online access], http://www.clb.org.hk/en/content/wages-and-employment, dernière
consultation le 4 août 2015.
128
Annexe 6 : Couverture sociale des migrants ruraux
Dans l’ordre d’apparence :
Source : “China’s Social Security System”, China Labour Bulletin: Hong Kong, April
2014, [online access], http://www.clb.org.hk/en/view-resource-centre-content/110107,
dernière consultation le 24 mai 2015.
129
Annexe 7 : La migration et les maladies transmissibles
Source : Zimmerman et al, 2011, cité dans : TUCKER J. D., et al, The Influence of
Migration on the Burden of and Response to Infectious Disease Threats in China,
Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°3, 2013, p.9 ; p.12.
130
Annexe 8 : Provinces d’origine et de destination des migrants
Source : FROISSART C., La Chine et ses migrants : la conquête d’une citoyenneté,
Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2013, annexe XV.
131
Annexe 9 : Coefficients de restriction pour le transfert de hukou
Ville
Province
Shanghai
Shenzhen
Beijing
Guangzhou
Qingdao
Xiamen
Hangzhou
Suzhou
Dalian
Xi’an
Tianjin
Qinhuangdao
Ningbo
Jinan
Nanjing
Shanghai
Guangdong
Beijing
Guangdong
Shandong
Fujian
Zhejiang
Jiangsu
Liaoning
Shaanxi
Tianjin
Hebei
Zhejiang
Shandong
Jiangsu
Investissement
Coefficient Ordre
2,1049
1
1,5744
5
2,0179
3
1,7422
4
1,5731
6
0,9138
8
0,4391
11
0,4159
12
0,2233
19
2,1049
2
0,9033
10
0,0849
24
0,9129
9
0,4105
14
0,246
18
Emploi
Coefficient
2,4044
1,9531
1,9844
1,7549
1,4083
1,7256
1,6312
1,5685
1,1752
1,1501
1,3692
1,2242
1,3325
1,3331
0,8029
Ordre
1
3
2
4
9
5
6
7
17
20
11
16
14
13
38
Généralisé
Coefficient
3,1762
2,5035
2,4563
2,0549
1,6751
1,5515
1,5427
1,4509
1,4216
1,416
1,3316
1,2816
1,2651
1,1956
1,0646
Ordre
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
Source : WU K., ZHANG L., CHEN X., 2010, cité dans : WANG J., Les migrations
intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris : L’Harmattan, 2012, pp.247-248.
132
Annexe 10 : Les Entretiens
133
Guide des entretiens
Catégories Questions
ONG
Présentation générale de l’ONG
Nom (signification ?)
Sa création (Qui ? où ? dans quel but ?) (origine chinoise/étrangère ?)
Ses valeurs, vision, mission, slogan
L’équipe (combien ? quelle formation et quelle fonction ?)
Statuts de l’ONG (ont-ils changé depuis sa création ?)
Activités
Son/ses bénéficiaires, groupes cibles (divisions en genre, âge, lieu d’origine ?)
Démarche active ou passive par rapport aux bénéficiaires ?
La promotion des activités
Lieux des activités
Les grands projets récents
Le financement des projets (ampleur des projets ?)
Plaidoyer pour la cause des migrants ? auprès de qui ? (quelle portée ?)
Partenariat avec d’autres institutions (publiques/privées) /ONG (chinoises ou étrangères) pour
l’exécution des projets
Résultats
Les résultats obtenus (en chiffres) – quelles incidences (positives ou négatives) sur la
communauté au sens plus large ?
Les échecs (pour quelles raisons ?)
Obstacles à la bonne réalisation ?
Faiblesses et forces de l’ONG (externes et internes)
Changements
L’attitude de l’ONG au niveau de la stratégie/vision/activités/bénéficiaires
Futures ambitions de l’ONG (expansion du personnel ou du lieu d’activités ? ou de
fonctionnement ?) (en conséquence des résultats obtenus, quelles leçons tirées ?)
Bénéficiaires : Migrants/enfants de migrants
Quels sont leurs besoins fondamentaux/ problèmes qu’ils rencontrent ? Quelles priorités ?
Changements récents dans l’attitude des migrants ?
Quel contact a l’ONG avec les migrants ? Connaît-elle leur histoire ?
Si les migrants sont en situation illégale, que fait l’ONG ?
Si les bénéficiaires sont seulement les enfants, rencontrent-ils les parents ? Les
aident/conseillent/renseignent-ils ?
Qu’enseignent-ils aux migrants ou à leurs enfants ? Quel est le message que l’ONG leur adresse ?
Quels sont leurs moyens d’action ?
Gouvernement
Existe-t-il réellement une aide au niveau du gouvernement (ou, sous entendu, les migrants sontils laissés à l’abandon) ?
Quelle vision l’ONG a-t-elle par rapport au gouvernement (lois existantes, à la prise en charge
des migrants…) ? D’après elle, le gouvernement fait-il suffisamment pour aider les migrants ?
Changements récents dans l’attitude du gouvernement (face aux migrants / face aux ONG)
Que devrait-il changer dans sa manière de gérer les migrants, d’après l’ONG ?
Les ONG ne prennent-elles pas en charge ce qui devrait normalement relever de la responsabilité
du gouvernement ?
Comment le gouvernement perçoit-il le travail des ONG ? Encourage-t-il leur travail auprès des
migrants ou s’y oppose-t-il ? Impose-t-il des limites ?
134
16 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Roots and Shoots, Shanghai.*
*L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur
l’ONG, voir son site internet : http://jgi-shanghai.org/en.
Rencontre avec Catharine Gong, directrice du programme KidStrong.
Leur bureau se trouve en plein centre-ville, au sixième étage d’une haute tour de verre.
- The office is really beautiful!
- Yes, it’s very warm, like a family. The relationships between the colleagues are very good.
- So first, can you introduce the organization? Why is it called Shanghai Roots and Shoots?
- Have you heard about this lady, Dr. Jane Goodall?
- No.
- She’s a primatologist. Her research area is chimpanzees. She’s famous for working with
chimpanzees for about 30 years. Since her twenties she started the research. She got some
important outcomes, for example she found out that actually chimpanzees make and use tools. In
the past, we call us human beings because we can make and use tools, which is a big difference
from other animals. But she found out that chimpanzees also do that. So we either redefine human
beings or accept chimpanzees as human beings… things like that. Then in the 80’s, she found that a
lot of chimpanzees died because of the disappearing of the forest. So she started to talk to the
government saying they need to protect the forest and also protect the animals, including
chimpanzees. But the government actually didn’t listen to her in Africa. So she just happened to
meet a group of young people, around 16, then these young people started to talk to their families,
then their families listened and influenced the government. So she thinks that it’s important that
youth has good opinion towards the environment and the animals. So she founded international
Roots and Shoots. Right now, we have around 130 offices around the world. Shanghai is one of
these offices. Our main projects are about environment and animals, as well as community. So the
KidStrong program actually is about community but this is only a small project in this office. Our
main projects are for example planting trees in Mongolia, or teach environmental protection classes
to the students in Shanghai. This is about the organization. But actually, Jane does not manage this
office. Our boss, she is American, her name is Tori Zwisler. She moved to China with her husband
and two sons in the 90’s. So she has been living in Shanghai for about 20 years. And I think in
1999, she met Dr. Goodall for the first time and then talked. She was deeply touched by Jane’s
story then Jane asked her if she wanted to set up an office in Shanghai. She agreed, so she started
the office at home first, then her husband gave her a cubic downstairs on the 15 th floor of this
building. She just started like that. At that time in Shanghai, only three schools had Roots and
Shoots’ group. This kind of group is like a student club, and student can do activities after school.
Now, 15 years later, we have over 200 groups in Shanghai. So that’s how it started.
- In what year did this office start, here in Shanghai?
- Here in Shanghai in 1999.
- Ok, I thought it was more recent.
- No so actually for 15 years. But let’s talk about the KidStrong Program. This program started from
2006. 9 years ago. We found out that migrants’ school conditions were really poor and students
didn’t have good buildings to study. And they didn’t have very good teachers. So, we looked for 4
schools to help them. At that time, there was a lack of teachers like P.E. teachers, music teacher,
painting or drawing teachers. So we focused on sports. We hired sport teachers for them, and also
added P.E. curricula for the teachers to use. Before 2009, actually we paid those teachers, but just
four not that many schools involved…
- Excuse me; the schools that you were involved with were public schools or only private, migrants’
school?
135
- Private schools, migrants’ schools, owned by private persons. Actually these founders are also
migrant people. They moved to the city then they found out this opportunity to earn money. They
didn’t give the students a very good education. But these students’ parents need that kind of school
because they are not allowed to send their children to public schools. They don’t have the hukou.
Do you know the hukou system? They don’t have hukou so their children are not allowed to go to
public schools.
- Neither these years, they still cannot go at all? Because I have read that, maybe not in Shanghai
but I’ve read some public schools have to accept migrants’ children but with extra fees, that
generally they cannot pay…
- First of all, they need to have extra spots for the students. For example, the school can only receive
1000 students, then they have 960 local students to apply for the spots, then they only have 40 spots
left, then they can receive 40 migrant students. There are so many migrant students so they
compete for the spots and then need to pay extra money for their spots. But still, there are limited
places for migrant children in public schools. Nearly half of them have to go to migrants’ school.
But right now, migrants’ schools situation is very different from ten years ago. In 2008, Shanghai
Government started to get the management of these migrants’ schools. So they started to pay for
the migrant children. You know, in the past, these children went to migrant schools, they have to
pay their tuition, their food, their uniform, outing, insurance, everything. But actually, in this
country, the government has the policy for free education until after middle school (初中). 10
years. So, in Shanghai before 2008, these children didn’t receive that kind of benefit, because they
study in Shanghai, if they study in their hometown, they receive that benefit. Now, in shanghai, if
they go to migrant schools, they also enjoy that benefit because the government Education Bureau
will pay the school...
- Pay the teachers?
- Pay the teachers. For every student, they give 5000 Yuan to the school per year. If the school has
1000 students, then that will be …how much? 5 million. So this money includes teachers’ salary,
equipments, books… So now those children don’t pay for tuition anymore, they only pay for food,
for example lunch, uniform, insurance, school fees.
- That’s a big change! So all the children that are accepted in those schools are legally in Shanghai?
What kind of papers do they have to get to be accepted in schools like these? Because of the hukou
system, the migrants that come they don’t have the hukou but…
- You mean what kind of criteria they need? They need temporary hukou, residence certificate. Their
parents have to have more than two years temporary residence certificate and the children also need
to have that kind of certificate, if less than two years, then they are not allowed to go to migrant
schools, they have to go back to their hometown.
- So parents come first, and then they bring their children when they can.
- Right.
- It is very interesting. You said that now the government pays everything, what does this
organization do for the migrants’ children?
- After 2008, they have their own sport teacher, right? So we do not pay for sport teacher and do not
provide curricula, we used to hold sports day for these children. But after 2008, we did not do that
again. We moved our focus to their hygiene and nutrition because we found out that their parents
didn’t pay enough attention on their personal hygiene, for example wash hands, brush teeth and
protect their eye-sight. So every year we have the children to check their eye-sight, and also dental
check-ups. We give these children prescription eyeglasses and also take the children who need
dental treatment to the hospital.
- Do you pay all the fees?
- We pay all the fees, yes. We also teach hygiene and nutrition lessons. We give them nutritious food
every week.
136
- At the school?
- At the school, to every student.
- Also for the hygiene lessons, do you go to school?
- Yes we go to the schools. We train volunteers from universities and communities.
- So the volunteers come here (at the office), you train them, and then the volunteers go to the
schools.
- Yes, that’s right. And we also have curricula; they can use our curricula to teach the students.
- So, you work with more than 200 schools; that’s what you said?
- No actually, I mean about migrant schools, there are only 6 schools that we work with. The 200
schools are Shanghai local schools Roots and Shoots work with. These schools actually do
environmental projects with us. So that’s a different type.
- Okay, so for migrant schools, that’s just only 6.
- Only 6, around 5000 students in total.
- Who fund these projects? And how do you find the funders?
- We have very good relationships with Shanghai’s international schools. Because Tori’s two sons
actually went to Shanghai American School. So through Shanghai American School we were in
touch with other international schools. Then these international schools wanted to help with
migrant schools, actually they’ve always helped these migrant schools. Those international schools
are located in suburb Shanghai and sometimes close to migrant schools, so their students go to
migrant schools to help them and donate some food and clothes or teach them English, things like
that. Then they told us that these schools were in very poor conditions, so we thought we probably
could do something for these schools. So international schools introduced the migrant schools to
us. And we also have foreign staff or volunteers who work here, they also do volunteering for some
organizations, they teach English to migrants’ children because they don’t have good English
teachers, so they also introduced migrant schools to us. Then we started to have the program
funded. At that time, in 2006, we happened to talk with company called BHP Billiton. It’s an
Australian private company and they are very interested in helping migrant children, so we started
that program in 2006.
- Now do you still have contact with that company?
- Yes, this company is still one of the biggest donors of this program.
- Do you have any partnership with public institutions?
- Partnership… I don’t think so. But we have a supervision department that belongs to the
government. They actually oversee our programs. Just making sure that we do everything legal.
- Okay, so just a control, but they don’t help, they just supervise?
- They don’t help, just supervise.
- Can you tell me some obstacles that your organization meets with the projects it does?
- I think mainly is the awareness of children’s parents. As I said, we give free prescription eyeglasses
and we take children to the hospital to give them dental treatment. Sometimes, parents do not
accept our service.
- Really, why?
- Because a few parents think it’s not good for students to wear eyeglasses, even if they are shortsighted. They think that if children wear eyeglasses, their eyesight will get worse and worse. And
also, they don’t think dental problem is a problem.
- Okay, so it’s about their knowledge… so do you do promotion towards parents?
137
- Right, we also hold parents meeting, but not all the parents will attend. They’re very busy with
making a living. The majority of them will come. But for 1 or 2 maybe out of 10 parents that we
meet, although we teach them about eye protection, they still don’t want their children to wear
eyeglasses.
- What would you say the strengths and weaknesses of the organization are?
- About strength, actually we have a very good reputation. Expats of Shanghai, they know about us,
they like us, and they know that we do a lot of good things.
- Do you know how they know about your organization?
- It’s because we often go to events, where they will also go. Like “equal market”, “planting trees”,
like promoting our programs in international schools. More about environmental projects. And they
also know about this program but it’s hard to be involved because these children’s English level is
very low, so international students cannot teach them the classes and even do activities is very
difficult because it’s hard to communicate. So they know about this program but it’s hard to
participate. So I think, it is mainly through international schools that expats know about us. And
also we have a good relationship with international companies, like American companies, French
companies… You know these big companies have seen our departments and they have seen our
programs, they need to donate some money every year to charities…
- They need to? Why?
- They have to, they have this obligation. Everywhere around the world, all these big companies they
have this obligation to pay for the society because they make profit from the society. So they want
to give money to charities that they trust. So we have a good reputation. They would like to donate
to us, so you see (showing the leaflet) all these companies I think they are foreigners. So it’s easier
for us to work with them, because between us there is a kind of trust.
- But they do not control the work…?
- They do not control but they will participate in our programs, their staff will help us with events
and activities…
- Chinese staff?
- Yes, Chinese staff. But it’s difficult for us to get funds from local organizations or from the
government it’s also difficult. It might be easier for us to apply for funds from international
organizations, like Why Hunger is an international organization and also it might be easier for us to
apply for funds from foreign clubs, American clubs, or commercial clubs, you know different
countries have different commercial committees here, like a club, like AmCham, it’s the American
Chamber, and the Australian Chamber…this kind of organizations, it’s easier to work with.
- Why do you think you have difficulties with having money from the government? Because they’re
not aware of the needs?
- It’s because so many grassroots charity organizations are local organizations and they don’t have
opportunities like us to get money from international companies and international organizations, so
the local government thinks that kind of grassroots organizations have the priority to get funds,
they need more help so every time when we apply for money with these organizations we never get
money.
- So if I understand you, the government makes some appeals or some offers, and each organization
send proposals, then you’re not chosen.
- No.
- Okay. Do you only have projects in Shanghai? In China, I mean, do you only exist in Shanghai?
- I have to say mainly in Shanghai. We have the majority of our projects in Shanghai because we’re
registered in Shanghai. Then, sometimes we work in nearby cities like Wuxi, Suzhou, that’s
138
because the companies who work with us have small offices in those cities. They want us to help
them to be involved in charitable activities so we do that. But legally, we are in Shanghai.
- And what is the status of the organization, is it a non-profit organization?
- Yes, a non-profit organization?
- And it has never changed?
- No, never changed, since 2004. Actually our office started in 1999 like I said, but we got registered
in 2004.
- Why the difference?
- It takes time to apply for registration. Some organizations even still haven’t got registered.
- But they can still do the projects meanwhile, before getting registered?
- They can do projects but they cannot legally received funds, actually. Especially from
organizations and companies. They might be able to receive some personal donations then do
activities.
- Okay, do you do advocacy for migrants towards the governments or internationally? Do you talk
about this problem of migrants that come to cities and don’t have access to these or those rights?
- Actually, we don’t do that.
- But you do promotion just with parents, so you have contacts with migrants?
- Yes, we only talk to migrants’ parents, migrants’ school teachers, and our sponsors. Just like that.
The government, we don’t have contact with them about migrant children.
- Can you tell me about the team that is working on those projects with migrant children from
Shanghai Roots and Shoots? You are the director of the program, but what about the others?
- We only have two people working on this program, including me. So I have a colleague who works
with me on this program, only two people, because it’s only for 6 schools, right…
- Do you do the training for volunteers?
- I do the training of volunteers, fundraising, activities. Mainly these things and I will go support the
colleagues about eye care and dental care parts. So, mainly my responsibilities are fundraising and
training, and events.
- When you take the children to hospitals, are they public hospitals or private?
- They are public hospitals.
- But as long as you pay the fees for them, they have access to these hospitals, right? Because, well,
they’re migrants so I don’t know if they really have access to those…
- Wait a minute. Let me think about this hospital… it might be owned by private people because it’s
a hospital with a long history and the department that works with us is the international department
of this hospital. So I wonder if this department is not owned by private people. We tried to work
with famous public hospitals, but they don’t have the capacity to receive so many children to do
dental treatment and eye care. So, I think this hospital partly maybe is private-owned. And another
one is private I think, this one (showing on the leaflet: Cardinal Health Foundation). This one is
private, and this one (pointing at Renai, International Patient Center) like I said is the long-history
public hospital but this international department might be private.
- What about Element Fresh? Do they provide the food for the children?
- Sometimes when we do events, we will ask for some discount on the food. They do not totally
donate the food. But what they do is that they have a customer redemption program. When the
customers spend money in their restaurant they get points, and then they can redeem their points
139
for gifts. And those gifts include coupons for eyeglasses for migrant children, or nutritious
package, school fees… So customers can spend their points in that way.
- It’s a good idea. So did they do that by themselves or did you talk to them about that?
- About this system? They have an agreement with us, so when the customer wants to redeem their
points for migrant children, they send an e-mail to the customer service. Then the restaurant sends
an e-mail to us, and we will inform the customer to which student, what kind of equipment they
donate, then at the end of the year the restaurant will remit the money to us.
- What about this one? (showing Givaudan on the leaflet)
- This is German or Swedish company…it produces spices.
- So they just fund the projects?
- They fund the projects, they give money. Then their employees do volunteering for us.
- So you, yourself, called them, talked to them and said what you needed, you showed them the
projects?
- Actually, they came to us!
- Oh really? Because of your reputation?
- Right. The majority of the sponsors came to us.
- So what are the future ambitions of the organizations towards migrants? Are you going to stay with
6 schools or are you going to expand the team and the activities?
- I think if those schools are stable, because they have some obstacles to recruit students like I said,
the students’ parents need to have at least two-year certificate and students also need two-year
certificate then they are allowed to go to the school. Then some parents don’t have that so the
schools cannot receive this kind of children, the number of students is going down. If they have
difficulties to maintain these schools, then we will look for more schools. If they maintain the
schools at this level, then we will stick to the 6 schools because every year they will have new
students, right? And also another thing is that we need to be long-term, we need to oversee the
changes of the students. We want to do a very detailed and useful work for the students, not just get
involved with a large number of students but only do very shallow things with them.
- You want to see the results…
- We want to see the results and make real changes in their lives, not just look like useful but make
no difference. That’s what we want.
- Did you personally meet the students? Do you go to the schools?
- Yes, we go to schools very often. In each semester we will go to each school about 10 times. For
me, like 3 or 4 times, but for another colleague, she goes there more often, nearly 10 times.
- What does she do? Does she talk to the teachers?
- For example, for prescription eyeglasses, for each campus, she needs to go 3 times with an
ophthalmologist then she needs to go there to check how many students who received eyeglasses
actually wear them. For every campus, she needs to go 1 or 2 times. And also, she needs to go for
the dental care. For dental care, at least twice for each campus. Then we also do activities, I mean
events, like celebrate World Health Day, National Tooth Day… For this kind of events, both of us
go. So for her, I think she goes to each campus at least 10 times every year.
- Are the students aware of the help that they’re getting?
- Right, they know us, then for all the schools, you know some schools started participating earlier
than other schools, so for the older schools, from class 1 to class 5, all the students know about us.
And because every week they are reminded by the food. Every week food comes, and they know:
“How that’s Roots and Shoots’ food!”
140
- That’s nice! And so, on the nutrition side, do you do promotion of nutrition? Do you teach them
what to eat, when to eat?
- Right, I rarely teach students directly, I train volunteers and I take volunteers to the schools to
teach. So, these volunteers teach what to eat, what not to eat, what kind of food is not only
delicious but also healthy, and also food pyramid… For smaller students, we also teach them type,
size, color, shape of the food, of vegetables and fruits, and encourage them to eat more that kind of
food.
- Okay. And what kind of contact you have with the parents? Do you meet them often when you do
the meetings? And if parents don’t come, never come, do you call them, for example?
- Sometimes we call them. Mainly we meet them through parents’ meetings. When we call them,
actually if they never met us, they don’t have the sense of who they are talking with. And telephone
actually is not an efficient way to communicate. Very often they don’t pick up the phone, because
they don’t recognize the number.
- What about the meetings? How many times a year are they held?
- Once a semester.
- Is that enough to make the parents’ mind change or the parents’ attitude change towards their
children?
- It’s hard to say enough, but we can’t make them more often because parents are really busy with
making a living. So if we called for more meetings, I don’t think they would like to come. Also, it’s
an additional workload for the teachers. They need to inform the parents, organize the venue, the
time, everything… So, we think once a semester is enough. Then the rest of the time, we closely
work with teachers because teachers spend a lot of time with the students so for like eyesight care
and hygiene, they can influence the students a lot.
- Do you know the personal stories of those children? Do you know where they come from?
- The majority of them came from Anhui Province. Do you know Anhui? It’s close to Shanghai.
Some came from like Sichuan, Jiangsu, Zhejiang, Jiangxi, Hubei, different provinces. But more
than half of them came from Anhui.
- And they are all mixed together?
- They’re all mixed together, yes.
- So they don’t do any difference between the children.
- No.
- What is the message or the lesson that you teach to the children when you meet them? I mean
because they are migrants, they have all their stories, and they come to the city and think they are
maybe going to have a better life, so do you give them a message of hope or… What kind of
message do you leave them?
- We deliver messages in different ways. We organize summer camp for students from poor families
or single-parent families because their parents or grandparents don’t have time or money to take
them to the city. Some of them have been in this city for years but they’ve never been in the city
center, they’ve never been to Dongfang Mingzhu (the Oriental Pearl Television Tower)… So we
organize summer camps of two days and two nights to take them there and know more about this
city. We also do games to encourage them to have confidence with life. This is one way. Another
way is school fee donation: every semester we’ll have a donation ceremony for students who
receive school fees. We tell them that the difficulties their families encounter are temporary.
Because now they have difficulties so people would like to help them, it’s not a shame to receive
money from others. The difficulties will pass then in the future, we hope they will grow up and
become very useful people for the society and they’ll also have ability to help others who need help
even if they don’t know about them. So we give them positive information and give them
141
confidence about themselves. I think this is a very good message for them. Another way is that we
have a curriculum called “Love curriculum”. In the curriculum we have lessons about how to be
aware of the love from their family, from the class, from the school, from the community.
Sometimes small things, if you don’t pay attention you don’t feel that it’s love. And we tell them
how to show their love to people around them. We use songs, drawing, stories, and also drama,
gifts… to encourage them to express their love and to pay attention to other people’s needs, and use
their own ability to help people around them, even people in their family, even their parents, they
need to show their love to them. So I think through these ways we deliver positive messages to
them.
- Do you do that through the teachers?
- Through volunteers.
- So the students have classes after school, classes of drama or singing…?
- Right. Our volunteer mainly use lunch time so they have like one hour lunch time, then they spend
20 minutes to eat then we have 40 minutes to give lessons to them. Normally the length of the
lesson is only 35 minutes.
- So the volunteers are mostly Chinese people?
- All of them are Chinese.
- But are there foreigners who give English classes, or not so many?
- Only one of our sponsors’ foreign staff gives two English lessons to the students. We don’t do that
a lot, because we are not professionals in this area. There’s an organization called Stepping Stones
in Shanghai and English teaching is their priority, so they have a curriculum and train volunteers.
- Are you in contact with them?
- Yes.
- So you do work together, or you mean you complete each other?
- No, we only exchange information because we work in different schools and work in different
areas. They also do eye care project, like last year or the year before last year. But they don’t
actually do eyeglasses, if children have problems with their eyes, they donate for the operation.
- Okay, so you don’t really work together, you work separately but know what the other is doing.
-
And they work with different partners; I mean the healthcare organization who works with them is
different.
- Are all the migrants’ children you work with legally staying in Shanghai, or have you never met
any “illegal” migrants or “illegal” children here?
- The so-called “illegal children” I’ve also met some, because some schools actually receive some
kind of these children. Because they really need help, the parents ask the schools to help them. So
if the school can, they give some help to them, keep them in classrooms. But these children don’t
receive the 5000 Yuan from the government.
- So your organization helps the schools with those children?
- Right, when we donate the school fees for example, we don’t care if they are legal or not.
- Okay, so you help them, but do you try to make their situation legal or do you try to help them with
the administrative side?
- When we meet people from the Education Bureau or government people, we will communicate and
express our opinion. And also these schools’ principals, schools’ teachers, they have their voice
heard by the government. Well, I don’t know if it makes any difference.
- But if the government knows about those illegal children, they would try to send them back home,
or what do they do? Because I’m sure that they’re aware that some people are illegal?
142
- So far, they didn’t do anything.
- So let’s talk about the government, actually. Do you think that, well apart from the fees, do you
really think the government helps children and migrants here in Shanghai? Do they do their job
and take their responsibility to help people?
- Yes, I think the government plays a very essential role in this area. Before the government took the
management of the schools, the schools were really really poor. Now, when you go to these
schools, the equipment, the bathrooms…are good. So, compared with the rural area, their
equipment are really good. When the employees from our sponsors’ company go to the schools, all
of them say “oh this school is good!”, I say “yes, in Shanghai these migrant schools are very good”.
It’s not like a shabby building with poor desks, poor chairs, so everything looks good. If the
government hadn’t taken the management and paid for the students, it would be impossible for the
students to have that kind of conditions to study. But only in Shanghai those schools have that good
condition. In other cities like in Beijing, Guangzhou, the (local) government doesn’t help migrants’
schools. That’s why in Shanghai now, they don’t have the capacity to receive more migrant
students. So they make the criteria higher and higher. Some migrant students are not allowed to go
to migrants’ schools, like I said. I think the government can’t take more. But still, it’s not fair for
those students. They should have the equal right to receive education, right?
- Yes, I think that as well. I understand, but the thing I found a little bit weird, it’s because when I
was looking for organizations in Shanghai, I mainly found organizations that help migrant
children. But you said that the migrant schools are already helped by the government, and also that
migrant children are in a better shape than in other cities. However, I found more organizations
helping them so I don’t understand why?
- Because the schools are not poor, right? But they are not allowed to spend money on things that
actually migrant children really need. For example, these children, their family rents a room from
rural people, I mean people around Shanghai, in the rural area. Then the housing conditions are
very poor, they don’t have toilet at home, they don’t have space, equipment to take shower. So they
rarely take a shower, or wash hair, then in schools, you even can smell their smelly bodies. Then,
especially in summer, even in summer, some children don’t wash their body. Then, in one of our
partner schools, the principal studied in Japan. He pays a lot attention to personal hygiene. He
wanted to build bathrooms for children and even their parents, for free, at school. He said that “just
after the teaching building, it’s easier to build public bathrooms”. And also said that “the school has
the money, like 200.000 will do”. But when he wrote a report to the Education Bureau. Then, the
Bureau said “No, you can’t spend money on that, the money is for studying”. So for personal
hygiene, eye care, dental care, the school can’t help students with that, because they’re only
allowed to help them with the study! That’s why we pay attention to their help. And some
organization like Stepping Stones they pay attention to the operation. Then the English teaching is
just another difficult obstacle for migrant schools, because it’s hard to get teachers who really
speak good English to teach them, because teachers’ salary is low. That’s why they also need that
kind of help. Some organizations still help them with sports activities because, now they have sport
teachers, but the sport teachers need to teach a lot of classes, like one school only have one sport
teacher, then there are like 10 classes. So the teacher is very busy, the teacher can only finish the
lessons. And he or she doesn’t have energy or time to organize after school activities. So that’s why
these organizations organize activities for the students.
- Okay. And what about hygiene? You said that they don’t take showers, so what do you do? I
understood you do hygiene promotion, but if they don’t have showers at home, how do they wash
themselves?
- We teach them to use a very old way to wash their body, like big basin that they can sit in the
basin; or a small basin that they can just throw the water on the body and also to wash their hair.
We teach them how to wash their body and hair in house in that kind of conditions.
- So do the schools see the difference, now that you have done the program for years? That the
children are not smelly anymore, and that they have a good hygiene?
143
- It’s better, especially with washing hands and washing their faces. About the showers and hair
washing, it’s not very obvious. We can say “you have to wash your hair, wash your body” but you
know, they go home where you can’t force them.
- Why is that, because of the parents?
- Yes, parents don’t think that’s important. Even themselves they don’t wash.
- So even through the meetings you try to pass on this message, but it’s hard for you to do more?
- Yes, it’s really hard, for some things, like washing hands, teachers can organize students to wash
their hands even at school, but for other things, it’s difficult. But we think that it’s better, because
often we go to schools and we see students clearer than before. And also, in the past, when we did
investigations, we asked students: “do you brush your teeth?”, some said “no”, some said “yes”,
but when we asked “how often do you wash your teeth?”, then they say “once a day, once a week,
once every three days”… Now they can brush their teeth at least once a day, for over 90% of them.
- So you do evaluation of that, you go to school and ask them, and you see the difference between
before and after?
- That’s right.
- Okay. Do you think there are obstacles in laws and management that the government has? As you
said that the Education Bureau said no to showers, are there other examples about something the
government should change in its laws or management to try to make the situation better?
- I think the policies that the government gives to migrants’ schools are not stable. They always
change and different districts have different policies in Shanghai. You know there are several
districts like Huangpu, Pudong, Minhang, Jing an, different districts, so every district has different
policies for migrants’ schools. It’s a very difficult way for the migrant schools to know their future,
and also the teachers. You know teachers in migrant schools are different from teachers in public
school. In public schools, they have a stable job, a long term contract, but in migrant school these
teachers don’t have long term contract, and don’t know the future of the schools. They don’t know
neither how long they can have this job. Maybe in one or two years, all migrants’ schools will have
to be shut down. You know in Beijing many migrant schools are already being shut down. So we
don’t know the future… Because of the policies.
- Do you have an example of those changes? For example they changed the number of students
allowed, the number of teachers, or they changed the salary or conditions…?
- I know the entrance criteria for the students are changing. For example, two years or three years
ago. The students didn’t need their parents to have had two years of residence certificate. Now,
they have to have two years. Two years ago, they didn’t need that parents’ evidence of paying
social insurance. Now they need the social insurance. And maybe next year, they’ll need the
certificate of house renting. Some landlord won’t write the certificate for them
- But then how do the migrant get like their residence permit, if they don’t have this certificate? Is it
possible?
- In different districts, like in Minhang district, the landlord is always happy to write the certificate
for the house renter, because it doesn’t bring them trouble. But in Pudong district, because the
house is private and in the future the government would like to take the land, and the landlord can
receive compensation from the government. It makes difference if you write this certificate to
migrant people, then the government says, “if you write it, then the compensation will be lower”.
- Ok, so that’s a pressure from the government.
- That’s a pressure. So, those parents who have the certificate, because they’ve already had the
certificate since they applied for it few years ago. At that time, it didn’t matter, if you have the
renting certificate or not, but now if they want to apply for the resident certificate they have to get
their evidence of renting, so if they live in Pudong it’s very difficult for them.
144
- Because you said that the districts have different rules for the migrant schools, but what about the
residence permit, is it the government of Shanghai or the different district government?
- It is also the district government that controls the policy.
- Okay, so it’s a lot of rules to know about. Do you learn those? Do you know about the differences
between the districts?
- In the districts in the center, there are no migrant schools located in Huanpu, Jing’an,… because the
land is too expensive. All these migrant schools are located in Pudong, Minhang, Songjiang,
Baoshan… these “rural” districts. Then all of our schools are located in two districts, Pudong and
Minhang, so that’s why I know the difference between these two districts.
- So you don’t know and search for the rules in the other districts like Songjiang, you just know that
they are different?
- It’s just that I don’t have contact with people there, so I don’t really know the details of these
districts.
- What about the rules, do you talk to the government about that, that it’s hard for the schools to
know their future because of the different rules and the changes? Do you talk about that to the
government?
- No, we don’t have that kind of opportunity to reach the right person. And actually, we don’t put
energy on that.
- Because you know that they won’t change?
- No, we don’t think that we would make changes…
- Do you think that the government really sees the migrants as a problem to be solved? Or just as a
problem that exists but they don’t really try to change anything…
- I think the government of course sees migrant community as some problem. And they want to
solve the problem. But I wonder if they use good manners to solve the problem. For example, right
for education. They think that now in Shanghai too many migrant children need to be educated, so
they improved the criteria (to get the certificate and be able to enter the schools). I don’t think that
it’s a good way to do that! We might find other ways to solve the problem. For example, we can
also talk to other cities’ government. If every city has the same policy, then there won’t be so many
migrant children in Shanghai. They would select different cities, different areas because the
opportunities would be equal. Right? That’s what I think. And that different district have different
policies is also confusing. It’s registered like… everything is just a mess.
- Is that since 2008 that each district can decide?
- I think before 2008 there was no policy for migrant schools. This government let it be. It says
“okay, this school exists, that exists, we don’t touch them, and they get only registered and pay the
tax, and the children are not hurt.” So that’s okay. After 2008, the government really started to do
something for these schools.
- About the migrant schools, I guess that the salary of the teachers and the conditions are lower than
in public schools?
- Much lower.
- So, who are those teachers? Where do they come from? The suburbs?
- They’re from nearby provinces, like these children’s parents, from different provinces, like Anhui
is still the biggest sending province; I think the majority of them are from Anhui, and Jiangsu.
- So they’re migrants as well?
- As migrant children as well. Their children are migrant children as well; their children go to
migrant schools as well. But I think some of their children go to public schools because maybe they
have better contact with education organization.
145
- But they have to have the money to pay the extra fees?
- Yes they have to pay.
- So the schools have a limited number of students that they can accept, right? I mean the district
government imposes a limit of students in the schools? For example it says “one thousand and no
more”?
- Yes, there is a regulation; the maximum number of children in each class is 50. If there are 10
classrooms, then the school can only have 500 students.
- I’m know sure I’m going to meet migrant school, so do you know the system that they use to
educate children? For example those from Anhui they will have to take the gaokao in Anhui, right?
They have to go back at 18 to take it there?
- Oh yes, they have to go back to their hometown.
- So what do they learn here? The Shanghai system?
- Yes, the textbooks they use are Shanghai textbooks.
- So they have problems when they go back…?
- Yes, that’s why some students go back earlier. If they want to take the high school exam, it’s when
they finish the middle school, so it should be like grade 9; the students very often go back at grade
8. They spend two years in their hometown then take the high school exam. Even more students
when they finish primary school they go back to their hometown before the middle school.
- So, do you think that at last children would have better opportunities? Or it will not really change
their life? I mean the fact that they came here in Shanghai, then they go back to Anhui, they maybe
won’t have the opportunity to come back to Shanghai… Does their life really get better after that?
Because, why do they follow their parents, they can’t stay in their hometown; their grandparents
cannot take care of them, for example…
- What the main point of the question? You mean that in their hometown they cannot get a better
life?
- Yes, first, my question is why do they come with their parents?
- Because when they’re in Shanghai, in primary school, they’re young and little. So they need to be
taken care of by their parents. So that’s why they come with their parents. Then, after primary
school, they’re older so the parents choose to send them back with their grandparents in the
hometown. If they don’t want to go to high school or the university, then they can finish their
middle school in Shanghai, then go look for a job.
- So they have this opportunity to stay in Shanghai and look for a job in Shanghai?
- Yes, they can, but they don’t have the opportunity to continue their education in Shanghai.
- But do you think that staying in Shanghai they would have a better life in the future or not
especially because they will always have difficulties with their payment and other things?
- In Shanghai, if you’re not lazy, I think they can make enough money for themselves. But, if they
want to have a better life, higher income, it’s hard. For example, Shanghai housing is expensive, so
it’s impossible for them to buy a house in Shanghai. And they can only do labor work in Shanghai.
If they go back to their hometown, if they can study hard and pass the national exam then go to the
university, and then in the future maybe they can have a better job, back in their hometown. I think
it’s not a bad idea to live in their hometown, instead of staying in Shanghai as it’s quite difficult.
Just what kind of life do they want? If they want to live in a big city, then they only do labor work
here, if they want a more decent job, maybe they still need to go to the university and go back to
their hometown, a relatively small city or it’s just a town, and then do a relatively decent job. It’s
just a different life for them.
146
-
The last question, do you have news from students that you’ve helped? Do you have news of what
they’ve become?
- Some students we helped went back to their hometown and sometimes wrote to us, saying they
passed the high school exam, now they’re studying in high school. Then they’re going to take the
national exam. And they’re good studying very hard. Because we do not have very personal contact
with students, we always give big lessons or do big activities, so this kind of feedback is very rare.
- But they’re still grateful; you feel that they’re grateful for the help that they received?
- Yes. I think so!
147
19 janvier 2015 – Entretien avec Stepping Stones, Shanghai.*
*L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur
l’ONG, voir son site internet : http://steppingstoneschina.net/.
Rencontre avec Sébastien Carrier (PhD), directeur de projet.
L’organisation se trouve au dernier étage d’un grand immeuble qu’ils partagent avec d’autres ONG.
L’étage est mis gracieusement à disposition par un philanthrope chinois.
Notons que durant notre séjour à Shanghai, nous sommes en outre restés trois jours en tant que
bénévole dans l’ONG Stepping Stones. L’idée était de nous plonger dans l’atmosphère d’une ONG de
la ville et avoir davantage d’opportunité de discuter avec le directeur de projet, M. Carrier, qui a luimême vécu avec des migrants ruraux dans le cadre de sa thèse de doctorat.
- Pouvez-vous présenter l’ONG, le nom, l’année de création et le but de sa création ?
- Stepping Stones a été fondée en 2006. Mais le nom a été choisi en 2008. Donc 2006 c’était en fait
avant, un peu la période pré-fondation. Notre directrice et qui est également la fondatrice de
Stepping Stones, qui s’appelle Corinne Hua, au début, c’était seulement elle et quelques bénévoles,
ses amis, qui allaient chaque semaine dans les écoles pour y enseigner l’anglais. Elle a commencé
ça parce que, bon, elle est en Chine depuis toujours, depuis 25 ans, elle est mariée à un Chinois et
donc à une famille chinoise ici. Elle est diplômée de Cambridge en études chinoises et donc elle
parle chinois parfaitement et elle travaillait dans de grosses boites à Shanghai dans une compagnie
qui s’appelait Pricewaterhouse Coopers, une compagnie internationale de finance, une très grosse
boite. Elle a travaillé là plusieurs années, jusqu’à en avoir marre de travailler pour ces grosses
boites. Et elle a voulu, je pense, en voyant les problèmes en Chine, des inégalités de revenus, elle
voulait faire quelque choses de plus pour la société. Elle a alors quitté son emploi pour en premier
une ONG locale pour apprendre comment les ONG travaillaient en Chine, pendant je pense deux
ans. Et après elle a décidé de la quitter. L’ONG locale travaillait dans le domaine de l’éducation.
Elle a réalisé les problèmes dans les écoles pour migrants. Et donc après quelques années de travail
elle a voulu agir par elle-même après avoir demandé aux directeurs d’écoles qu’est-ce qu’elle
pouvait faire pour les aider. Ils ont tous répondu si vous pouvez venir enseigner l’anglais pour nos
enfants. Et donc c’est comme ça que Stepping Stones est né, c’est donc de l’initiative de Corinne
de vouloir aider les écoles pour migrants à Shanghai. Et donc elle a commencé, finalement, elle
était ici depuis plusieurs années, alors elle a commencé à demander dans son réseau des personnes
qui seraient intéressées de venir avec elle enseigner. Et petit à petit, le nombre de bénévoles a
augmenté, année par année.
-
Des Chinois, je suppose ?
-
Non c’étaient tous des bénévoles « expats »… parce que dans Shanghai, comparé aux autres villes
chinoises, c’est une ville très très internationale avec beaucoup d’expats…donc et elle c’est une des
premières expats à s’établir à Shanghai, son réseau est quand même très étendu avec les nouveaux
arrivants et donc elle a commencé avec son réseau pour recruter des bénévoles. Elle a commencé,
avec quelques bénévoles avec elle, à aller enseigner chaque semaine. Après quelques années
comme ça, le nombre de bénévoles a grossi énormément et donc il fallait à un point enregistrer
l’ONG et aussi devenir plus professionnel, donc avoir des employés plus qualifiés et aussi un
programme beaucoup plus cadré et professionnel.
-
C’était une obligation de devenir une ONG en soi ?
- Mais en fait, elle a commencé, je pense, juste dans l’idée de vouloir aider en fait les personnes, et
quand elle a vu, je pense, le potentiel de développement et aussi que très rapidement quand le
nombre de bénévoles a augmenté très rapidement, et les besoins aussi et les contacts qu’elle se
faisait dans plusieurs écoles, elle a eu l’idée très rapidement de voir comment faire pour fonder une
ONG et aussi s’assurer que l’ONG offre des services de qualité et professionnels pour les
bénéficiaires et aussi en fait pour tout le monde, pour les écoles, pour les bénévoles. Et aussi, il faut
dire aussi que son background à Corinne, c’est une spécialiste de ressources humaines, pour elle de
gérer des employés, de pouvoir gérer une société en fait, c’est quelque chose qu’elle connaissait
148
bien. Donc elle a juste appliqué le modèle de la compagnie où elle travaillait avant pour les ONG.
Maintenant elle est devenue une pionnière en Chine dans le secteur des ONG. Tu as probablement
regardé sur internet mais elle est très très connue à Shanghai mais aussi partout en Chine.
- A-t-elle eu du mal, justement, à fonder cette ONG et à être reconnue?
- Au niveau légal, c’est deux choses très différentes en Chine, pendant très longtemps elle a été
uniquement enregistrée à Hong Kong parce que localement c’est très difficile pour une ONG de
s’enregistrer. Le processus pour s’enregistrer localement, c’est possible au gouvernement de
s’enregistrer, ça appartient au district de la ville qui donne le droit à une organisation de
s’enregistrer comme une NPO, non profit organisation. C’est toujours le gouvernement en fait les
responsables du district qui donnent l’approbation. Mais pour avoir cette approbation, c’est à leur
discrétion. Alors, c’est qu’eux, ils doivent croire en toi et en général, ils ne veulent pas prendre de
risques. Parce que si l’ONG fait des choses contre le gouvernement, ou des projets qui ne sont pas
….en général, l’attitude envers les demandes d’enregistrement est toujours négative parce qu’il n’y
a personne au gouvernement qui veut prendre le risque et le fait d’endosser une ONG peu connue...
Donc il faut avoir de très bons contacts pour pouvoir être enregistré. Donc c’est comme ça en
Chine, et encore plus dans ce secteur-là parce que c’est un secteur très à risque, ce n’est pas juste
une grosse compagnie ou… c’est un secteur en fait où l’on travaille dans l’enseignement dans les
écoles primaires. Donc cela peut être très sensible pour le gouvernement et c’est comme nous par
exemple dans notre bureau, la majorité ne sont pas enregistré comme NPO en Chine parce qu’ils
n’ont pas réussi à travailler leurs contacts à un point de se faire accepter comme étant NPO. Bref
pendant très longtemps on a été uniquement enregistré à Hong Kong.
- Et vous parvenez à faire des projets malgré tout ?
- Oui. Voilà en Chine comment cela fonctionne, c’est toujours … sans être enregistré, par contre on
était en fait sous l’aile des ONG locales déjà enregistrées. Et donc par exemple pour engager nos
employés, on les engageait via une autre ONG, une autre fondation aussi. Aussi Corinne avait en
même temps de très bons contacts avec Soong Ching-ling Foundation. C’est probablement une des
plus grosses fondations en Chine qui est extrêmement riche et puis qui travaille avec les enfants et
les femmes. Et donc, eux, très rapidement ils ont voulu aussi nous donner de l’argent pour nos
opérations, pour pouvoir mener à bien nos projets. Et en même temps, ils ont accepté pour tout ce
qui est en fait documentation de nous aider. Donc eux aussi, on était un peu sous l’aile de Soong
Ching-ling pour exister. Alors, c’est toujours un peu comme ça en Chine, en fait c’est une zone
grise où on n’est pas enregistré mais on peut faire des projets parce qu’on a des partenaires : eux
sont enregistrés, alors si nous avons besoin de documentations, on peut leur demande de les fournir
pour nous pour payer nos employés ou pour pouvoir mener à bien le projets,… donc vous voyez…
Donc pendant très longtemps c’était toujours cette zone grise, mais c’est quelque chose qui est
courant pour les ONG qui travaillent en Chine, c’est très très très répandu. En fait, la majorité des
ONG opèrent comme cela, elles ne sont pas vraiment enregistrées ici mais ils ont toujours des
partenaires qui le permettre d’exister.
- Et le Gouvernement ne pose pas de limites ?
- En fait si on a besoin de documentation ou peu importe, c’est toujours les partenaires qui vont nous
procurer cette documentation-là et en fait c’est tout à fait légal. Officiellement, on est sous la
supervision de cette ONG ou fondation. Mais c’est juste pour l’administration mais il n’y a rien
pour faciliter l’existence de ces projets. Mais pendant longtemps c’était comme ça et alors en 2013,
on a réussi à être enregistré à Shanghai. Donc on est officiellement enregistré en Chine, ce qui
facilite beaucoup de choses ; c’est beaucoup plus facile pour nous de mener à bien des projets,
aussi de collecter des fonds, de payer directement les employés ce qu’on ne pouvait pas faire avant.
- Donc elle a mis quand même pas mal de temps, malgré toutes les relations qu’elle a, à faire
reconnaitre l’ONG ?
-
Mais même avec ça, pour nous c’est vraiment quelque chose d’exceptionnel de finalement être
enregistré. Evidemment on est très très impliqué dans le milieu des ONG en Chine, et chaque fois
que je vais donner des conférences, des présentations à des événements pour les ONG, on est en
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fait souvent presque une des seules à avoir réussi à être enregistrés. La majorité des ONG ne sont
pas encore enregistrés ou le sont sous forme de compagnie, ou ne sont pas enregistrés mais existent
parce qu’elles ont des partenaires qui les aident pour les papiers. Et donc de dire qu’on est
enregistré c’est quand même un exploit en soi et c’est exceptionnel.
- Et les règles changent-elles d’un district à l’autre? Est-ce que c’est plus facile d’un district à
l’autre ?
- D’après ce que j’ai compris en fait, c’est surtout par rapport aux contacts que tu peux développer.
Nous, par exemple, nous ne sommes pas enregistrés ici, mais on est enregistré dans le district de
Minhang, dans le sud-ouest de la ville. On n’a aucune adresse physique là-bas mais on y est
enregistré. On a toutefois un projet là-bas qui justifie en fait notre présence et donc aussi on a une
boîte postale quelque part aussi. Mais on est enregistré là parce que Corinne avait des contacts dans
ce milieu-là et donc on a pu s’enregistrer dans ce district… C’est comme cela que cela fonctionne.
- Et par rapport à la mission de l’ONG en soi ?
- Ok donc, la mission ça a toujours été donc au début c’était clairement pour aider les enfants des
migrants à Shanghai, donc vraiment cette population. Et les aider pour leur donner une meilleure
éducation, améliorer la qualité de leur éducation. Et évidemment parce que Corinne était une expat
et aussi parce qu’on juge de l’extérieur que l’enseignement de l’anglais est probablement la chose
qui constitue un obstacle majeur pour les migrants parce que en Chine l’anglais est très important
dans un curriculum , et pour les enfants car ils vont être testés pour rentrer dans une high school et
aussi à l’université, et les parents des migrants n’ont pas les ressources pour des cours privés et
aussi le niveau d’enseignement est vraiment en deçà de celui qu’on peut voir dans des écoles
normales à Shanghai. Alors les enfants même s’ils ont beaucoup de potentiel et du talent, souvent
c’est en raison de leur performance en anglais qu’ils ne vont pas réussir à entrer au high school ou à
l’université. En plus, c’est vraiment quelque chose avec laquelle on peut vraiment aider, on est
qualifié pour pouvoir aider. Donc la mission a vraiment était pour ça au début, et avec le temps on
a un peu changé notre mission pour inclure le bien-être (welfare en anglais), parce qu’on a aussi un
projet qui s’appelle « I Care Project », qui prend de plus en plus de place et on est d’ailleurs
maintenant en négociation avec Essilor, une compagnie française qui produit des lunettes, une des
plus grosses au monde. Ils aiment beaucoup notre projet et sont prêts à investir énormément
d’argent pour que l’on puisse couvrir toutes les écoles de migrants de Shanghai. Enfin, c’est un
projet en cours que l’on est en train de développer avec Essilor en ce moment et donc ce projet-là
fait en sorte que l’on a un peu élargi notre mission, pas seulement l’éducation mais aussi le bienêtre des enfants.
- Et donc à part l’anglais et ce projet ?
- En fait, l’anglais c’est le projet n°1 et après c’est le projet « I Care », tu as peut-être lu sur le site
web, « I Care » c’est un projet qui veut améliorer les soins pour la vue des enfants des migrants, et
c’est un projet qui est né en fait de l’enseignement de l’anglais. Donc ce sont nos bénévoles qui ont
réalisé qu’il y avait très peu d’enfants qui portaient des lunettes pendant les cours et que beaucoup
vraiment avaient des problèmes avec leur vue, c’était très très évident. Et aussi quand on enseignait
dans les écoles pour migrants, c’était très évident que peu portaient des lunettes mais beaucoup
d’enfants forçaient constamment pour voir le tableau, pour lire. Beaucoup de bénévoles venaient
chaque année nous voir et nous demander de faire quelque chose parce que les enfants n’ont pas de
lunettes et il y a qui ne voient pas très bien et qu’est-ce qu’on peut faire ? Alors c’est comme cela
que le projet a commencé…
- En fait j’ai rencontré une ONG « Root and Shoots » et ils m’ont dit que vous échangiez des
informations…
- Oui ils font des choses un peu similaire, mais nous on travaille beaucoup, on lève des fonds pour
pouvoir couvrir tous les enfants. Alors on fait l’examen de la vue, on achète des lunettes, on donne
aussi une formation aux parents et aux enfants sur l’importance de porter des lunettes et comment
prendre soin de ses yeux. Et aussi, on paie pour les opérations si les enfants ont besoin d’opérations
mineures surtout s’ils ont des strabismes sévères.
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- Rencontrez-vous des obstacles par rapport aux parents ?
- Oui bien sûr, ça on a beaucoup appris avec les années, donc en Chine, surtout dans ces milieux-là,
mais même en milieu urbain je pense, il y a les croyances et les mentalités des parents, par exemple
à chaque fois que l’on fait le projet, on pose aussi des questions aux enfants dans chaque classe, et
on fait un sondage, on leur demande s’ils croient que porter des lunettes en bas-âge ils vont devenir
dépendants. Parce qu’en fait la croyance c’est que ça empire la vue et cela fait que tes yeux vont
devenir dépendants des lunettes, et que tu ne vas pas développer ton plein potentiel. En général, on
a rencontré des enfants qui croient cela dans la classe. Donc au début on a réalisé ce problème avec
les parents et donc on commence à intervenir de plus en plus avec des formations pour les parents.
On est partenaire d’instituts pour la vue très reconnus internationaux donc pour le côté spécialiste,
car nous on n’est pas des physiciens de la vue, on a donc des spécialistes qui viennent avec nous
pour rencontrer les professeurs d’écoles et les parents pour pouvoir leur expliquer. On le fait aussi,
mais on le fait aussi avec des spécialistes pour pouvoir répondre à des questions plus pointues et de
remettre un peu en question cette espèce de croyances qui nuisent au développement de l’enfant. Et
on suit évidemment l’impact de nos projets et on voit qu’on a un taux d’utilisation des lunettes de
plus en plus élevé chez les enfants, donc on essaye beaucoup de faire des formations pour les
parents.
- Ah oui, donc vous évaluez après s’ils portent bien les lunettes… ?
- Oui, mon travail c’est beaucoup ça aussi, c’est de faire des études d’impact et d’évaluation des
projets. Pour le projet I Care, pour les lunettes, j’ai plusieurs façons d’évaluer, il y a des
questionnaires pour les enfants qu’on fait passer avant qu’ils reçoivent leurs lunettes et après. On
regarde. Et ce sont des questions sur leur qualité de vie, sur différentes activités en classe, en
dehors des cours, différentes actions du quotidien, pour voir s’il y a une amélioration après, dans
leurs perceptions, et comment leur perception a changé avec des lunettes. Donc c’est une
méthodologie que j’ai développé avec le temps, donc pour pouvoir faire ce genre de comparaisons.
Et puis, c’est vraiment fascinant de voir comment les enfants sont plus confiants et beaucoup plus
indépendants après. Donc ça c’est une façon. Et aussi, dans ce genre d’études-là ce que je fais c’est
qu’après quelques mois, on retourne dans l’école et on va dans chaque classe. Et on fait sortir
chaque enfant qui a reçu des lunettes, et on fait des interviews pour savoir s’ils portent toujours les
lunettes, s’ils ne portent pas et pourquoi…
- Ça prend longtemps ?
- Ah bien sûr, mais cela fait partie du projet. Alors on a ce genre de choses pour évaluer et aussi,
dans quelques écoles, je suis les enfants qui ont ces lunettes et leurs performances à l’école pour
voir s’il y a une amélioration, on fait aussi des entrevues pour voir ce sont lesquels qui ne portent
pas leurs lunettes, lesquels qui les portent et voir aussi les autres enfants qui n’ont pas besoin de
lunettes, pour voir les comparaisons entre les performances à travers une année.
- Et vous avez de bons résultats ?
- Ah oui, en fait, la dernière fois que je l’ai fait, c’est surtout en mathématiques, on voit une
amélioration vraiment significative pour les enfants.
- Et pourquoi les mathématiques ?
- Ça, ça peut aller plus, j’ai toujours un peu des hypothèses mais bon… Je pense que les
mathématiques demandent beaucoup plus de précision dans beaucoup d’activités et beaucoup de
détails aussi comme un chiffre ou une virgule qui peut changer tout. Donc ça c’est l’explication la
plus simple je pense pour les mathématiques, la vue influence.
- Est-ce que vous parlez aussi avec les professeurs ? S’ils remarquent que les enfants changent de
comportements ?
- Oui c’est ça on essaye aussi de faire de formations avec les professeurs. On leur demande aussi
d’être attentifs, d’essayer d’être là pour, pas forcer mais au moins encourager les enfants à porter
leurs lunettes pour essayer d’influencer le comportement des enfants. Mais c’est très difficile aussi
151
parce que ce ne sont pas nos employés alors on ne peut pas les obliger et eux ils sont débordés.
Mais ça dépend, on voit qu’il y en a qui sont très attentifs au projet et trouvent que c’est une bonne
idée. Donc ils vont essayer et même nous contacter aussi personnellement s’ils jugent qu’un enfant
a peut-être besoin d’une opération. Aussi des fois, ils peuvent nous aider à communiquer avec les
parents. Par exemple, quand on fait un examen et qu’on réalise qu’un enfant a besoin d’une
opération, là il y a un processus de négociation avec les parents, il faut les convaincre que c’est
quelque chose d’essentiel pour leur enfant pour leur futur. Donc on essaye plein de stratégies, avec
les professeurs, avec les spécialistes, avec les docteurs, pour parler aux parents. Mais c’est sûr on
sait que c’est la décision des parents de faire l’opération. Donc il y a des professeurs qui vont nous
aider dans le processus pour communiquer avec les parents, mais il y a en d’autres au contraire qui
trouvent que c’est plus le travail et qui ne veulent pas être impliqués dans le projet.
- Et par rapport au bien-être, est-ce qu’il y a un autre domaine dans lequel vous intervenez ?
- En fait non c’est vraiment les deux projets : l’anglais et les soins pour la vue et surtout l’achat de
lunettes et l’opération.
- Et quelle est l’ampleur de vos projets ? Combien d’écoles combien d’étudiants ?
- En fait, il y a plusieurs façons de l’évaluer mais on a notre programme régulier qui est
l’enseignement de l’anglais dans les écoles pour migrants. Donc ce qu’on fait c’est qu’on remplace
les professeurs locaux pour enseigner l’anglais mais d’une façon avec plus d’activités, avec une
méthodologie je dirais plus occidentale…
- Oui, je vois ce que vous voulez dire, une façon plus ludique d’apprendre la langue… ?
- Oui voilà, et avec plus d’interaction avec les enfants, plus de jeux… et on travaille uniquement
avec des enfants ou presqu’uniquement avec les enfants de primaire, donc des jeux, des activités et
on a développé au fil des années un curriculum très très étoffé. Des spécialistes de l’éducation ont
travaillé avec nous pour développer ce curriculum.
- En tant que bénévoles, ils vous ont aidés à le développer ?
- En fait non. Au début, c’était des bénévoles qui travaillaient pour nous aider. Au début il y avait
tellement de bénévoles à Stepping Stones, mais il y avait des meilleurs et des moins bons. Et les
meilleurs ont commencé à vouloir s’impliquer pour aider les moins bons, en développant des
programmes de cours. (Indiquant un monsieur assez âgé qui passe) Lui, c’est le propriétaire du
bâtiment, qui nous héberge gratuitement, un philanthrope chinois.
- Donc vous parliez des bénévoles…
- Oui donc les meilleurs ont commencé à s’investir pour l’élaboration du programme de cours pour
les bénévoles et à ce moment-là Corinne a réalisé que le programme devenait de plus en plus
important et de plus en plus d’écoles étaient impliquées. Alors c’est là aussi qu’elle a reçu son
premier don d’argent de compagnies et donc elle a utilisé cela pour développer un programme de
formation pour éventuellement engager un spécialiste de l’éducation pour pouvoir aider à former
des bénévoles. Donc offrir une formation aux bénévoles, répondre à leurs questions, les suivre,
faire des formations continues avec les bénévoles et créer des programmes de cours plus étoffés,
plus standardisés. Donc standardiser les leçons pour que tous les bénévoles puissent avoir les
ressources nécessaires pour aller enseigner les cours, parce que la plupart ne sont pas vraiment des
enseignants de formation donc il faut leur enseigner et les encadrer, donc très rapidement, la
première chose qu’elle a fait c’est vraiment de vouloir stabiliser cette partie-là pour assurer une
qualité de l’enseignement. Et donc tu voulais savoir l’ampleur de nos projets. Nous avons notre
programme régulier, qui est l’enseignement dans les écoles pour migrants et aussi l’enseignement
dans les centres communautaires pour migrants. Donc on travaille dans les centres communautaires
où l’on fait aussi des cours magistraux par des professeurs et il y a toujours au moins deux ou trois
bénévoles ensemble, idéalement trois professeurs qui enseignent à un groupe d’enfants.
- Ce sont toujours des enfants vos bénéficiaires ?
152
- Presque toujours, la plupart de nos programmes c’est avec des enfants surtout de l’école primaire.
Mais on a commencé à élargir avec des enfants aussi de dernière année de la garderie donc des
enfants de 5-6 ans mais très peu, un ou deux programmes. Et aussi on a des programmes pour des
enfants de middle school un ou deux programmes. Et on a deux programmes séparés avec des
adultes et ça, c’est une coopération avec d’autres ONG. L’une c’est SHANGHAI YOUNG
BAKERS, qui est aussi une ONG française qui travaillent avec des adolescents migrants,
adolescents ou jeunes adultes qui n’ont pas d’emploi et qui ont arrêté l’école à un certain point, et
ils leur offrent une formation de pâtisserie et en même temps ils les préparent pour des stages dans
des restaurants à Shanghai pour trouver un emploi dans les restaurants. Et nous on leur donne des
cours d’anglais gratuitement, parce que c’est dans leur programme donc chaque semaine on leur
donne un ou deux cours d’anglais parce que la plupart d’entre eux vont travailler dans les
restaurants de Shanghai où il faut savoir parler un peu anglais. Et l’autre ONG s’appelle The
Renewal Center, une ONG qui travaille avec les sans-abris. On fait la même chose, on donne des
cours d’anglais pour aider leurs bénéficiaires à trouver des emplois dans le secteur des services à
Shanghai. Mais sinon, à part ces programmes-là, le reste c’est avec des enfants d’école primaire. Et
donc, dans le programme régulier, on travaille avec 350 bénévoles, chaque semaine, qu’on place
dans différents sites. La session dernière on avait 31 sites, dont 13 ou 14 écoles et le reste ce sont
des centres communautaires ou des partenaires, donc des centres d’autres ONG.
- Dans les centres communautaires ce sont aussi des enfants qui n’ont pas accès à l’éducation ?
- En fait non, ce sont plus des organisations chinoises à but non lucratif, qui sont très bien implantées
en Chine, en fait ce sont plus des NPO très très proches du gouvernement qui très bien implantées
en Chine mais très près du gouvernement, qui ont des programmes avec le gouvernement depuis
plusieurs années et eux, sont en fait payés par le gouvernement. Leurs fonds viennent du
gouvernement local donc du district. Donc le district va allouer des fonds à ces organisations pour
faire des projets pour la population défavorisée de leur district et souvent dans les régions de
migrants, dans des endroits spécifiques où les migrants sont regroupés car les loyers ne sont pas
chers.
- Plus dans les banlieues, je suppose ?
- Dans les banlieues mais il y en a aussi dans des zones plus centrales… mais en majorité c’est plus
dans les banlieues. En fait tous nos programmes sont dans les banlieues, parce que les écoles sont
là, et les migrants sont là, presque tous. Et donc il y a l’école et donc la communauté qui est très
près de l’école en général et dans la communauté il a un centre communautaire qui va être financé
par le gouvernement local mais qui va être opéré par une sorte d’organisation sans but lucratif. Et
donc nous on travaille avec eux. Eux ils nous aident à recruter les enfants, ils connaissent bien la
communauté, ils vont dans toutes les maisons et recrutent les enfants et nous on envoie des
bénévoles chaque semaine pour enseigner l’anglais.
- Donc ça peut être des enfants locaux et des enfants de migrants ?
- En général, non. Il y a quelques centres oui, mais la majorité des centres en général c’est vraiment
que des migrants, parce que le centre communautaire est dans la communauté de migrants et ce
sont uniquement des migrants autour donc eux ils desservent les migrants. C’est le modèle que l’on
suit en général.
- Je suppose que ces centres communautaires sont dans des zones où vous n’agissez pas dans les
écoles, sinon il y aurait une superposition ?
- En fait non, il y a beaucoup d’enfants qui sont dans nos écoles et aussi dans le programme du
centre communautaire. Parce que c’est différent, parce que dans le centre communautaire, on fait
aussi de l’enseignement magistral de l’anglais. Mais la majorité des centres c’est plus pour du
tutorat. C’est un programme de tutorat. On envoie des bénévoles pour aider les enfants à faire leurs
devoirs. Et les bénévoles qu’on envoie là en général ce sont des lycéens d’écoles internationales à
Shanghai. Donc les meilleures écoles internationales, avec beaucoup d’expats, des enfants d’expats
ou des enfants de très riches Chinois. Par exemple SAS (Shanghai American School), SCIS
(Shanghai Community International School)… toutes les grosses écoles et très chères écoles où
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l’on recrute les lycéens de 16-17 ans parfois 18 ans aussi, on les forme et ils vont là pour aider les
enfants à faire leurs devoirs. Et donc cela fait environ 4.500 enfants par semaine dans les écoles et
centres communautaires qui bénéficient de nos programmes. Pour l’autre projet, pour les lunettes
c’est un peu différent, ça dépend des années, mais on voit de plus en plus le nombre qui augmente
énormément. Comme l’année dernière, on a donné près de 800 paires de lunettes, on a fait quelques
opérations et on a fait l’examen de la vue de plus de 5.000 enfants, je pense.
- Généralement, ce sont ces mêmes enfants qui vont dans les écoles où vous avez vos projets ?
- En général oui…mais comme je le disais maintenant on travaille sur un nouveau projet qui peut
peut-être augmenter le nombre d’enfants, de bénéficiaires par dix. Il permettrait de couvrir je pense
15.000 enfants l’année prochaine. Ici, on commence le projet dans des écoles où l’on n’a pas de
bénévoles encore. On va commencer à augmenter le nombre d’écoles avec qui on travaille.
- Et mis à part les bénévoles, l’équipe de l’ONG comprend combien d’employés ?
- En ce moment on est huit employés. Et beaucoup de stagiaires qui travaillent avec nous, on a
toujours au moins trois ou quatre stagiaires avec nous.
- Et quels sont les fonctions des employés ?
- Alors on a Corinne c’est la directrice. Moi je suis chargé des programme, je suis donc le
programme manager. On en a une qui est administrative officer, qui travaille qui est en charge de
toutes les finances, de l’administration, des relations avec le gouvernement local, les banques, qui
effectue le paiement des salaires. Ensuite on a deux coordinateurs de programmes qui sont en
charge de communiquer avec les bénévoles, communiquer avec les écoles et les centres
communautaires, et d’organiser les bénévoles, faire qu’ils remplissent bien toutes les places, et
qu’ils sont soutenus, donc tout ce qui est la communication régulière avec les partenaires, avec les
écoles et les professeurs des écoles. Donc on a deux employés pour ça. On a aussi le trainingmanager qui est en charge de la formation, donc c’est lui qui fait les formations tout au début pour
tous les bénévoles et une fois qu’ils sont formés, il fait aussi des workshops pendant la session et il
fait aussi des visites sur le terrain et va dans les écoles pour observer les bénévoles, leur donner des
conseils. Après ça il y a un project manager qui est en charge de nos projets spéciaux. En fait, il
voyage en milieu rural où on emmène les bénévoles pour enseigner l’anglais pour des périodes plus
courtes…
- Pendant l’été ou pas forcément… ?
- Ça dépend un peu, d’habitude on le fait pendant l’année scolaire, on fait une semaine par exemple
où on va Anhui et Henan, donc on emmène un groupe de bénévoles enseigner dans une école
rurale. Ça peut être aussi un weekend, on fait aussi des weekends. Et donc cette personne est en
charge des voyages et aussi de tous les projets avec les compagnies. De plus en plus, on a des
projets avec des compagnies pour offrir des opportunités de bénévolat pour les employés. Je suis
aussi beaucoup impliqué là-dedans. Par exemple, la semaine dernière j’ai emmené un groupe de
NYU, l’Université de New York, qui était ici pour quelques semaines et on les emmène dans une
école faire une activité. Je fais une présentation sur les migrants en Chine et après la présentation,
on les emmène dans une école où ils observent un cours donné par un enseignant local et puis après
on fait des interactions et des jeux avec les enfants…
- Ce n’est pas déstabilisant pour les enfants de voir des étrangers arrivés un peu comme ça ?
- En fait on est très habitué à faire ce genre de chose, mais c’est vrai que c’est très excitant pour les
enfants de voir un groupe d’étrangers. On fait toujours cela seulement avec une classe donc c’est
une activité avec une dizaine de bénévoles pour une quarantaine d’enfants et on fait des jeux en
petits groupes. C’est vrai que pour eux c’est une pause de leurs cours très rigides, et c’est très dur
pour leur professeur après de reprendre la classe parce qu’ils sont très excités. On fait ça de temps
en temps pour les compagnies. En échange, les compagnies nous donnent un peu d’argent. C’est
une manière de lever des fonds…
- Et c’est aussi un manière de faire un plaidoyer pour la cause des migrants finalement ?
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- Voilà voilà, tout à fait. C’est vraiment ça. Ça rentre dans notre mission d’informer la population sur
la situation des migrants dans les écoles. Pour les enfants aussi, ça leur permet d’échanger avec
d’autres personnes hors de leur milieu…
- C’est une ouverture sur le monde…
- Voilà et pour nous, on passe du temps à organiser cela, mais, en échange, on a un peu d’argent pour
survivre dans notre organisation. Alors on a un employé à temps partiel et qui est en charge du
fundraising, donc écrire les demandes de subvention, aussi en charge des recrutements et d’aller à
toutes les différentes expositions à Shanghai pour présenter Stepping Stones, trouver des bénévoles
et aussi des sponsors.
- Est-ce facile de trouver des sponsors ?
- Est-ce que c’est facile … euh
- Est-ce que vous avez une bonne réputation par rapport à Root and Shoots, par exemple elle me
disait que parfois on n’a même pas besoin d’aller les voir car c’est eux qui viennent vers nous, je
ne sais pas si c’est aussi votre cas ?
- Oui, je pense que c’est de plus en plus, c’est aussi un peu comme ça je pense aussi pour Stepping
Stones. Il n’y a pas beaucoup d’ONG à Shanghai, même en Chine qui sont crédibles, et ce n’est pas
pour être négatif envers les autres, mais dans le sens que c’est vraiment un secteur très nouveau en
Chine et on voit un peu de tout. Il y a des personnes qui ne sont pas vraiment professionnelles et
qui commencent des ONG… Et pour survivre plusieurs années, cela demande crédibilité et
professionnalisme. Il y a d’excellentes ONG mais c’est un secteur très nouveau, et donc il y a de la
compétition au début, il n’y en a que quelques-unes qui sont capables de convaincre les grandes
compagnies et de pouvoir faire des projets avec eux et d’être leur sponsor. La situation change un
peu et je pense qu’il y a de plus en plus d’ONG qui sont meilleures pour rivaliser avec nous avec
Roots and Shoots, ou aussi SYB (Shanghai Young Bakers) qui aussi sont très bons. Mais ça reste
très limité. C’est un secteur dans lequel il n’y a pas beaucoup de joueurs. Mais ça ne rend pas la
tâche si facile, de trouver de l’argent. L’argent reste très difficile à trouver pour les ONG surtout en
Chine, parce qu’on n’a pas de soutien du gouvernement. Donc tout est privé, donc il n’y a aucune
garantie. D’une année à l’autre on peut tous perdre notre emploi ou tous fermer nos programmes.
Ça peut être très fragile des ONG. Mais on a réussi à avoir deux sponsors qui sont très solides et
aussi très réguliers, ils renouvellent chaque année leurs dons alors on est très très chanceux. Mais
c’est sûr que si on reçoit plus d’argent, on pourrait facilement augmenter nos programmes... En ce
moment on est limité à ce genre de programmes qu’on a, parce que c’est le maximum que l’on peut
supporter.
- Et est-ce que vous avez des partenariats avec des organisations internationales, je pense surtout à
l’ONU par exemple…vous avez des contacts peut-être … qui pourraient financer d’autres projets ?
- Oui on a eu quelques contacts avec l’ONU… mais ils ne vont pas financer de petites organisations
comme nous, surtout en Chine, on est très très petit, alors eux lorsqu’ils financent ils veulent avoir
un projet d’une échelle vraiment importante. Mais c’est quelque chose qu’on envisage, maintenant
qu’on est enregistré en Chine, c’est plus facile pour nous de faire ce genre de projets-là. Et c’est
probablement un de nos nouveaux objectifs éventuellement de trouver un nouveau partenaire qui
va pouvoir nous aider à vraiment exploser le nombre de projets. C’est vraiment un besoin de fonds,
on a besoin d’avoir plus d’argent, pour avoir plus d’employés, et pouvoir gérer plus de projets et
peut-être dans plusieurs villes en même temps.
- Mais donc vous avez cette ambition d’élargir vos projets ?
- Oui, tout à fait, si c’est possible. On est vraiment limité par l’argent qu’on peut amasser par année.
Mais c’est quand même bien, on a beaucoup de sponsors avec qui on peut travailler, avec des
compagnies pour nous aider, avec des chambres de commerce aussi, avec qui on travaille
régulièrement, par exemple la Chambre de Commerce australienne, la Chambre de Commerce
américaine, britannique. Ils ont beaucoup plus une culture de bénévolat dans les pays anglo-saxons
en général.
155
- Elles vous aident à faire quoi exactement, à trouver des entreprises qui peuvent vous financer ?
- Non, en fait ils font des levées de fonds pour nous ils font par exemple des galas, des dîners,…
pour nous. Les fonds collectés, des fonds personnels, ils peuvent ramasser pour nous jusqu’à
50.000 à 100.000 Yuans par événement, organisés par les chambres de commerce. Et avec les
compagnies, surtout les compagnies américaines, australiennes c’est la même chose, c’est dans la
culture anglo-saxonne d’aider la communauté. Eux, ils vont choisir un département qui s’occupe de
projets avec les communautés et chaque année, ils demandent aux organisations comme nous de
soumettre des demandes de subventions et de faire des projets avec eux. Alors, chaque année on
leur soumet des projets et souvent, ils sont acceptés. Et dans le projet donc, il y a une partie qui est
une donation pour nous et l’autre partie c’est d’organiser des activités pour leurs employés dans les
écoles. Donc on fait ce genre de choses aussi pour ramasser des fonds.
- Et par rapport à votre relation avec le gouvernement, est-ce que vous êtes contrôlés, supervisés ?
De plus, depuis que vous êtes enregistrés, je ne sais pas si la situation a changé ?
- Oui, on a toujours été, je pense, supervisés ou… comment dire, le gouvernement nous… Il y a des
contrôles réguliers ici. Il y a des personnes donc qui viennent ici pour nous contrôler.
- C’est le gouvernement de Shanghai ou du district ?
- Non c’est local, c’est du district surtout qu’ils vont venir pour regarder ce qu’on fait, pour voir ce
qu’on fait, pour nous poser quelques questions. Parfois même aussi ça peut être des personnes qui
viennent juste sans vraiment dire qui ils sont, peu importe, ils viennent et nous posent des questions
sur ce qu’on fait… Et aussi on est certainement euh… Parfois aussi on a des visites par exemple
dans les écoles aussi, les personnes du district font des enquêtes dans leurs écoles, et là ils voient
des groupes étrangers qui vont enseigner, alors, là il y a des questions qui sont posées. Parfois ils
viennent nous rencontrer pour discuter, pour voir ce qu’on fait dans leurs écoles, dans leurs centres
communautaires, ça peut arriver. Mais, par le passé, c’était un peu plus inquiétant parce qu’on
n’était pas enregistré. Maintenant c’est différent, je pense qu’il faut juste toujours respecter ce
genre de processus, c’est très chinois comme processus… Souvent c’est juste pour…
- Ça peut ne pas être un obstacle…
- Non ce n’est pas un obstacle. C’est juste qu’il faut maintenir de bonnes relations avec le
gouvernement et parfois on le voit aussi cela dans les écoles qu’il faut juste que l’administration
change et les directeurs changent, et ils sont moins convaincus de nos programmes parce qu’il y a
de nouveaux directeurs qui trouvent que c’est prendre un risque qu’ils ne veulent pas prendre,
d’avoir des étrangers qui viennent enseigner dans leurs écoles…
- Ça vous est arrivé donc de changer d’école ?
- Oui, oui, bien sûr ! Pas la majorité des écoles mais ça arrive qu’une école lorsque c’est un nouveau
directeur qui lui, en fait c’est son pouvoir…
- Ça vient du directeur de l’école ?
- Oui , c’est sûrement lui qui décide s’il veut faire ou non des projets avec nous et si lui juge que
c’est trop de problèmes ou trop de risques pour lui, peu importe la raison, il va arrêter le
programme avec cette école-là. Mais c’était plus au début. Maintenant, c’est un peu mieux, c’est un
peu plus facile de les convaincre, et qu’ils ont moins peur du risque que par le passé. Les directeurs
d’écoles qui nous accueillaient, ils prenaient un risque parce que, officiellement, dans leurs
directives, ils ne pouvaient pas avoir d’étrangers dans leurs écoles pour enseigner. Et aussi, ils
devaient absolument enregistrer tout projet avec des étrangers qui venaient dans l’école. Alors
c’était plus risqué pour plusieurs directeurs d’écoles. Et même maintenant, c’est la même chose, on
est des étrangers mais maintenant on est une ONG locale à chaque fois qu’on fait des projets, eux
ils vont enregistrer les projets que l’on fait avec eux au bureau local du département d’éducation du
district. Et ils enregistrent le programme comme étant d’une ONG de Shanghai, qui vient faire un
projet dans notre école et il n’y a pas de mention que l’on est des étrangers, parce qu’on est
officiellement local.
156
- Et vous faites cela, vous avez des soins par rapport aux lunettes, etc., mais par rapport à l’hygiène,
est-ce que vous avez un projet avec les migrants ? Est-ce que vous avez un partenariat avec
d’autres ONG qui agissent là-dessus ?
- On a travaillé des fois, on a fait des projets pour l’hygiène dentaire… C’étaient des bénévoles qui
ont mentionné leur intérêt pour faire ce genre de choses-là et on les a aidés à organiser ce genre de
projets pour eux.
- Mais ça ne venait pas de vous spécifiquement ?
- Non ça ne venait pas de nous, c’était juste pour eux en fait c’était une initiative d’un groupe de
bénévoles et alors nous on a facilité ce projet. C’est aussi comme ça, on est approché par des
personnes qui ont de bonnes idées ou qui veulent faire des choses et on a maintenant tellement de
contacts dans les communautés de migrants, qu’on peut facilement aider à trouver le centre avec
qui travailler parce qu’on pense que ce projet est bon pour eux. Aussi pour les compagnies qui nous
approchent, qui ne veulent pas nous donner de l’argent, ils ne veulent pas faire des activités avec
des migrants mais ils veulent juste donner des biens à la communauté. Alors souvent on les aide à
trouver les personnes qui ont besoin de ce qu’ils veulent donner. Aussi on est très bon pour donner
des idées quoi acheter pour les migrants parce qu’il y a souvent des choses inutiles qui sont
données à la communauté et donc on essaye d’éviter cela. Par exemple, c’est un projet avec une
compagnie australienne qui a fait une levée de fonds en Australie pour une école d’ici. Ils voulaient
donner des livres à l’école mais bon, donner des livres dans une école, et c’est une école qui n’est
pas à Shanghai elle est hors de Shanghai dans des conditions terribles, puis bon, selon mon
expérience, donner des livres à ce genre d’école-là, ils ne vont pas être utilisés, ils n’ont pas de
bibliothèque alors ils vont les mettre dans des boites dans un coin poussiéreux… En général les
enfants ne vont pas voir les livres... Alors quand même on a demandé à cette école qu’est-ce qu’ils
pourraient acheter, et à la place des livres, on a proposé d’acheter des tables et des chaises pour les
enfants qui étaient en conditions terribles à l’école. On a utilisé ce don-là pour acheter des chaises
et des tables.
- Et est-ce que vous profitez toujours de ces opportunités pour parler des problèmes que les migrants
ont, généralement ils ne sont pas vraiment connus… ?
- Oui, bien sûr, en fait, il y a plein de choses, chaque fois qu’on fait des projets. Avec les bénévoles,
premièrement, une partie de la formation, c’est un cours sur les migrants, en Chine, à Shanghai,
leur situation. Et avec les compagnies, il y a beaucoup de compagnies, des universités qui font des
projets avec nous, de plus en plus d’universités. On a eu cette année Duke, l’Université de
Singapour, NYU, IE Business School en Espagne, donc des universités qui font soit des stages à
Shanghai, ou en Chine, ou des voyages qui font partie de leur curriculum, ils font des voyages à
Shanghai, alors ils vont nous contacter pour faire une activité avec des migrants, et une partie de
l’activité c’est une présentation par moi ou Corinne, où on fait un portrait pendant une heure, de la
situation des migrants, la situation de l’éducation des migrants en Chine. Donc c’est un cours un
peu style universitaire sur les migrants en Chine et sur les ONG en Chine, et Stepping Stones. On
profite donc toujours de ces occasions-là pour ouvrir un peu les yeux des personnes sur la situation
des migrants et on a toujours de très très bonnes réactions en général. Les personnes sont vraiment
contentes de connaître une nouvelle réalité dont souvent on ne pense pas ou très très peu de
personnes ont la chance de connaître le problème en profondeur. Cela fait partie du projet.
- Est-ce que l’ONG a des contacts directs avec les migrants, je parle des parents ou des ouvriersmigrants ?
- C’est sûr qu’on travaille plus avec des enfants mais avec les années je dirais surtout nos
coordinateurs de programmes qui sont en communication avec les centres communautaires et avec
les parents. Je dirais qu’il y a quand même des contacts, surtout pour les enfants qui vont dans nos
programmes dans les centres communautaires, donc le weekend, les parents sont sur place. Les
parents vont apporter les enfants et vont les chercher, et souvent ils vont aussi rester pour la leçon.
Donc les bénévoles peuvent aussi avoir des contacts, et aussi nos coordinateurs qui sont souvent sur
157
place, ils ont des contacts avec les parents. Je dirais sinon que c’est surtout avec les responsables
des centres communautaires et des professeurs dans les écoles.
- Et vous n’êtes jamais sollicités par les parents pour que vous les aidiez par exemple
économiquement ou à régler une situation ?
- Non, non, non, c’est très très rare qu’on ait ce genre de demandes. En fait les parents, quand on
enseigne à l’école, ils pensent que c’est un programme organisé par l’école, donc que c’est l’école
qui organise des étrangers à venir enseigner à leurs enfants. Pour la majorité, ils ne vont pas
chercher à nous connaître, qui on est. Ils savent juste qu’il y a des bénévoles qui viennent chaque
semaine pour enseigner à leurs enfants. Dans les centres communautaires c’est un peu la même
chose. C’est le centre communautaire qui organise ce cours d’anglais et souvent on n’est pas
vraiment mentionné et ce n’est pas vraiment ce qu’on recherche non plus nécessairement. On fait
nos projets et la façon la plus facile d’attirer des enfants c’est vraiment que ce soient les personnes
dans les centres communautaires qui aient des contacts avec les parents, ce sont donc eux qui
recrutent les enfants directement. Alors, on n’a pas nécessairement de contacts directs établis avec
les migrants. Et les migrants changent tout le temps. C’est la nature de la migration. C’est souvent
la moitié des enfants de l’école va changer d’une année à l’autre, alors c’est très dur de maintenir
des liens à long terme.
- Et pour confirmer les informations que j’ai eues, les enfants peuvent s’inscrire à l’école une fois
que leurs parents sont établis à Shanghai pendant au moins deux ans, ils ont une résidence
temporaire et un travail et à ce moment-là seulement les enfants peuvent les suivre, si j’ai bien
compris?
- En fait ça change énormément et cela dépend des districts. En général, c’est exact, que les parents
doivent avoir contribué pour deux ans au social welfare, un genre de taxes sociales de Shanghai.
Au moins un des deux parents. Mais ce n’est pas garanti qu’il y ait une place nécessairement pour
l’enfant. Ça c’est un papier que les parents doivent fournir à l’école pour faire accepter leurs
enfants. Mais on a entendu plusieurs cas où les directeurs d’école vont accepter les enfants même
s’ils n’ont pas le papier.
- Malgré que le directeur soit proche du gouvernement ? C’est le gouvernement qui gère l’école,
d’après ce que j’ai compris ?
- Non, pas exactement. C’est financé par le gouvernement, mais c’est souvent géré par quelqu’un qui
est placé par le gouvernement mais soit ces écoles-là, c’étaient des écoles privées par le passé donc
ce sont des écoles qui sont encore privées mais financées par le gouvernement. C’est sûr que ça
n’existe qu’en Chine alors c’est dur à expliquer. Comme par exemple il y a des écoles où, c’est
privé dans le sens où le gouvernement paie le loyer aux directeurs. En fait, c’est le directeur qui est
propriétaire de l’établissement et donc le gouvernement paie le directeur pour gérer l’école, lui paie
le loyer mais en plus lui paie son salaire. Et donc, d’après ce que je comprends, c’est une école qui
était privée, et qui appartenait physiquement à quelqu’un. Donc cette personne-là, est gardée
comme étant le directeur, mais la seule différence c’est que maintenant l’argent vient du
gouvernement et ne vient pas des parents des migrants. Et donc, pour lui il gère encore l’école
d’une manière privée, c’est juste que maintenant la source de revenus est différente. Et il faut
comprendre la manière aussi que les écoles sont payées, c’est par rapport au nombre d’enfants.
Alors quand il y a très peu d’enfants, il y a moins d’argent, alors pour eux c’est avantageux d’avoir
plus d’enfants dans leur école. Alors ils essayent de trouver des manières de pouvoir augmenter le
nombre d’enfants dans leurs écoles. Et de ce que je peux comprendre, la règle des deux ans est de
plus en plus appliquée, mais c’est très récent, ce n’était pas nécessairement ça par le passé. J’ai
aussi vu des cas récemment où c’est flexible, s’il y a des bons contacts avec les parents ou peu
importe, ça va être aussi des « dons » d’argent aux directeurs pour pouvoir aider leurs enfants. Ça
se voit souvent, c’est ce qu’on entend énormément, donner des pots-de-vin aux directeurs d’école
pour que leurs enfants soient acceptés. On a entendu souvent parler de ça. Il y a même des migrants
qui nous disent qu’ils ont dû donner cela pour avoir une place pour leur enfant dans l’école. C’est
très dur. Mais je pense qu’en général, la loi officielle c’est les deux ans.
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- Et par rapport à l’ONG quelles sont les faiblesses, autant internes et externes, et les forces de
l’ONG ?
- Les forces et les faiblesses… Hé bien, je pense que la force c’est vraiment, premièrement je pense,
c’est le leadership pour Corinne. C’est exceptionnel comme personne, elle l’a fondé il y a plusieurs
années, presque 8 ans maintenant, et elle est très très impliquée dans l’organisation. Je pense que
ça, c’est essentiel. Et on peut le voir dans toutes les ONG en Chine pour réussir je pense qu’il faut
un leader extrêmement fort et très patient parce qu’il y a tellement d’obstacles pour une ONG en
Chine et c’est tellement facile de laisser tomber. Donc je pense que le leadership c’est important. Et
aussi, qu’elle soit encore très motivée par l’organisation et qu’elle ait vu grandir l’organisation et
passer de très peu à beaucoup. Elle a beaucoup d’expérience, beaucoup de connaissances, donc
c’est vraiment une force de l’organisation. Aussi je pense aux forces, il y a le fait qu’on travaille
avec une population qui est très désavantagée en Chine, qui a vraiment besoin, on comble un
besoin très important en tant qu’organisation. Nos bénéficiaires sont extrêmement nombreux, et ont
très peu de services et je pense très important pour une organisation d’avoir des bénéficiaires qui
ont vraiment besoin d’aide. Sinon, c’est quoi les autres forces que je pourrais dire… Je pense aussi
à l’expertise. Avec les années on a développé beaucoup d’expertise de l’enseignement de l’anglais.
On a vraiment développé des programmes de cours bien détaillés, très professionnels, de bonnes
formations. Et aussi on a la chance d’avoir un très bon réseau. Un réseau de contacts énorme pour
les bénévoles qui nous permettent malgré le fait que les bénévoles changent tout le temps et qu’on
doive recommencer chaque année, on peut toujours trouver plus de bénévoles année après année.
On a vraiment un bon réseau de contacts. Et puis les faiblesses je dirais c’est toujours… Je pense
qu’on a tendance à prendre trop de projets, on accepte parfois trop. Parce qu’on est des personnes
idéalistes, je pense que pour vouloir travailler dans les ONG il faut être idéaliste et parfois on perd
un peu le… on va vraiment trop au bout de nos ressources, parce qu’on est très limité en termes de
ressources et c’est toujours un peu juste. Et ça je pense que c’est un problème de gestion en
général. C’est toujours de composer avec une organisation avec très peu de ressources en
employés. De réussir à faire tout bien, c’est très très difficile. Et aussi amener à terme les projets, il
y a tellement de projets en même temps, franchement on est toujours très très surchargé. C’est
quelque chose qu’il faut apprendre, à en prendre un peu moins et à faire mieux je pense en général.
Les faiblesses, c’est toujours aussi parmi les employés, il y a un taux de « turnover », de rotation
d’employés, énorme parce qu’on n’a pas les salaires qui sont très élevés évidemment, on ne peut
pas non plus, mais donc on retient très peu nos employés…
- Vous parlez de l’équipe ?
- Oui oui, c’est pour l’équipe. Il y a les bénévoles d’un côté bien sûr, mais il y a aussi l’équipe qui
fait en sorte que c’est dur d’avoir une stabilité dans ce genre d’organisation. Corinne est là depuis
le début, moi je suis aussi là depuis un petit bout de temps, mais les autres, cela change
énormément, parce que… Il y a plein de raisons, mais surtout les salaires, on ne peut pas payer de
bons salaires aux employés, et aussi offrir différentes positions aux employés… Au bout de
plusieurs mois, il n’y a pas de développement de carrière. On a une rotation énorme dans les
employés.
- Oui donc pour mener des actions à long terme, c’est un peu difficile…
- Je pense que parfois on est un peu surchargé, et on prend des projets qui nous font perdre beaucoup
de temps et qui n’ont pas beaucoup d’impact…
- Vous avez un exemple ?
- Pas de perte de temps mais…
- Vous ne voyez pas l’aboutissement peut-être, vous ne voyez pas de résultats concrets ?
- Non, en général, on réussit à mener à terme beaucoup de projets en même temps mais des fois c’est
un peu trop. Par exemple, au début de l’année scolaire, quand on commence tous nos programmes,
en même temps on va prendre aussi des projets avec des compagnies. Mais on est vraiment un
nombre très limité d’employés, alors on est un peu partout en même temps. Et ça prend des
159
semaines à assurer que tout aille bien. En fait c’est beaucoup d’overtime (heures supplémentaires),
on est très très surchargé pendant des périodes. Et on va rarement refuser des projets, donc on va
toujours accepter des projets, parce qu’on veut faire des projets, on veut récolter de l’argent, et
atteindre le plus d’enfants possible évidemment. Et parfois, on a cette difficulté à restreindre nos
champs d’actions.
- Mais vous êtes quand-même content du résultat ?
- Oh oui oui, quand même, parce que je pense qu’en bout de ligne nos résultats sont extrêmement
positifs. Et je pense que cela s’est amélioré d’année en année. Et on s’améliore énormément. Mais
je pense que… En fait ce que je veux dire c’est que je pense que l’ampleur de notre programme est
à la limite de nos capacités en tant qu’équipe. Et je pense qu’on est toujours à cette limite. Donc on
a très peu de temps pour consacrer, par exemple, à des choses qui sont un peu moins prioritaires
pour nos opérations, comme par exemple que ce soit le marketing, le site web et des choses sur
lesquelles je pense on pourrait passer plus de temps pour faire mieux, et peut-être faut que ça soit
un peu moins juste produire des projets. On les connaît très bien, mais on est toujours dans cet état
d’urgence en fait, toujours d’assurer que les projets fonctionnent et que les projets sont bien menés
à terme. Mais on n’a jamais de temps pour passer à autre chose, des choses qui sont par exemple un
peu moins essentielles, comme par exemple le site web, les réseaux sociaux… Ou aussi pour
penser à des différentes stratégies…
- Ce serait un employé en plus finalement, qui s’occupe de communication ou marketing…
- C’est cela, et évidemment, on n’a pas les ressources pour engager quelqu’un, pour faire de la
communication à temps plein. Alors, donc ça tombe sur nous de faire cela mais puisqu’on est
tellement impliqué dans les projets, on a très peu de temps pour se consacrer à ça. Donc c’est
vraiment par rapport à cette balance, en fait, c’est de la gestion, de gérer cette équipe très très fin en
fait, mais c’est très « ONG » comme problématique, je pense. Dans les grandes compagnies il y a
toujours des employés qui ne sont pas utilisés à temps plein, enfin pas toujours. Mais nous, je pense
qu’on pousse un peu trop dans les projets, il faudrait un peu moins pour que les autres départements
de l’organisation puissent se développer aussi…. C’est un peu ce que je dirais comme reproche.
- Je vais changer de sujet… Quelle est la vision de l’ONG par rapport au gouvernement ? Vous ne
trouvez pas que l’ONG finalement est un peu un substitut du gouvernement par rapport à la
responsabilité de l’éducation qui normalement incomberait au gouvernement ?
- Premièrement je pense qu’il n’y a aucun gouvernement qui peut prétendre à pouvoir aider ou
combler le besoin de sa population. C’est pour cela que des ONG existent même dans des pays
extrêmement développés partout dans le monde. Il y a toujours un besoin, il y a toujours une limite
au champ d’action du gouvernement en général, c’est clair. En Chine, c’est vraiment le paradoxe
chinois de dire que jusqu’à très récemment les ONG étaient même illégales en Chine.
- Vous diriez jusqu’à quelle période ?
- Je dirais fin des années 80, début 90. C’était impossible pour une ONG privée d’opérer en Chine
parce que c’était jugé anti-communiste. L’idée du communisme c’était que le gouvernement
pouvait s’occuper de sa population. Donc cela n’avait pas de sens dans la logique du gouvernement
d’avoir des ONG locales. Et maintenant, la plupart des personnes en Chine, du moins des
décideurs, comprennent ce besoin d’avoir aussi d’autres personnes que le gouvernement pour
s’occuper des plus démunis. Mais ce n’est pas tous les décideurs, ou même les populations, car il y
en a plusieurs qui vont remettre en cause le « pourquoi », « pourquoi on fait ça ». Pour eux, il doit
toujours y avoir un arrière motif pour faire ce genre de choses, parce qu’ils ne comprennent pas
qu’on veuille passer du temps bénévolement à aider, surtout qu’on n’est pas des Chinois… Alors il
y a une méfiance, pas de tout le monde mais c’est encore là. Cette réalité d’avoir des personnes qui
aident sans demander rien en retour, c’est bizarre pour plusieurs, même pour nos bénéficiaires
aussi. Il y a des parents, surtout pour notre projet pour la vue, on a beaucoup de parents en fait qui
pensent au début que c’est une façon qu’on va leur demander de l’argent à un moment dans le
processus alors il faut les convaincre, on doit leur expliquer que non que « c’est payé pour vous »
mais…
160
- Vous pensez que cela est en lien avec la culture chinoise ?
- Je pense que oui, il y a beaucoup de rapport avec la culture, et en fait, tout le communisme aussi. Et
maintenant aussi, tout le développement un peu capitaliste de la Chine, ce mélange des deux qui
fait en sorte qu’il n’y a rien, c’est un peu un communisme à la chinoise, où même les services
normaux à l’hôpital, il faut payer pour les Chinois, alors pour eux, que le gouvernement
communiste te fait payer de l’argent, de comprendre qu’il y a des organisations privées d’étrangers
qui te donnent des services gratuitement… et le lien est un peu difficile à comprendre au début.
Pour plusieurs, ou surtout au début, il faut comprendre le concept de bénévolat parce que c’est
quelque chose de très nouveau. Et ça fait aussi partie, en fait, nous on veut aussi un peu éduquer
cette nouvelle génération à comprendre les valeurs du bénévolat. Ça peut être aussi important
d’aider des personnes plus démunies dans sa communauté. Ça c’est une dimension de ta question.
Donc voilà, je pense qu’il faut un peu justifier auprès des bénéficiaires et aussi auprès du
gouvernement notre existence. Et…je juge par rapport au gouvernement, c’est sûr qu’on pourrait
rentrer dans le détail pour montrer comment les migrants sont traités en Chine. C’est sûr que
personnellement je pense que ça tient très peu un système où tu as besoin d’une main-d’œuvre,
mais tu n’es pas prêt à donner les services à la main-d’œuvre que tu recherches pour tes secteurs
économiques. Mais c’est ça qui arrive avec les migrants, c’est la réalité des choses, c’est sûr que
c’est quelque chose qui … en fait, comme je disais, c’est un peu pour ça qu’on le fait, mais si
jamais, nous on pense toujours que… bon, la Chine c’est un pays qui est extrêmement dynamique,
qui peut changer très rapidement. Et du jour au lendemain ils peuvent dire « ok, bon les migrants,
eh bien, vous avez les mêmes droits que les locaux ». Et ça pourrait arriver du jour au lendemain en
Chine. Donc il y a eu des transformations beaucoup plus importantes se faire très rapidement en
Chine. Alors ça pourrait facilement arriver, donc qu’est ce qu’on fait en tant qu’ONG si jamais le
gouvernement donnait les mêmes droits aux migrants ? C’est sûr donc qu’il faut être très très
flexible, et vouloir être prêt à réorganiser notre organisation. Mais je pense que le besoin va rester
le même. Des personnes vont demeurer défavorisées de toute façon, je pense, dans le contexte,
même si les lois seraient différentes. On le voit, à Shanghai. Il y a quelques années, il n’y avait
aucun enfant de migrants dans les écoles publiques à Shanghai. Maintenant, la majorité sont dans
les écoles publiques. Tu sais sûrement, la réforme de 2008-2010 qui est arrivé. Ce qui est arrivé
c’est en fait, cette décision a commencé à l’époque où toutes les écoles pour les migrants étaient
privées, et tous les parents devaient payer pour l’éducation de leurs enfants. Maintenant, c’est
différent. La majorité des enfants de migrants, environ 60-70 % ont une place dans les écoles
publiques locales. Mais c’est fini, il n’y a plus de place maintenant pour tous les autres, les 30 à
40% d’enfants de migrants sont dans les écoles pour migrants, donc là où on travaille. Mais les
écoles sont subventionnées par le gouvernement, donc les parents ne doivent pas payer d’argent
pour envoyer leurs enfants là. Sauf que les écoles sont dans des conditions pires que celles des
écoles de Shanghai, publiques. Et aussi, les enfants sont beaucoup plus nombreux, les classes sont
trop grandes, la qualité des professeurs est très inférieure aussi, ils ont très peu d’expérience…
- Les professeurs ne sont pas aussi migrants, parfois ?
- Ce sont des migrants, oui. Salaires extrêmement inférieurs que ceux des écoles publiques, années
d’expérience, vraiment très très jeunes, commençant leur carrière, très bas salaires et aussi très peu
de diplômes universitaires dans les écoles pour migrants. Dans le public, c’est l’inverse donc très
bons salaires, très haut niveau d’éducation…
- Et dans le public, les enfants des migrants doivent payer un supplément ?
- À Shanghai, non pas besoin. Donc, c’est ça la réforme de Shanghai. D’abord Shanghai c’est une
des meilleures places en Chine. Il y a vraiment eu ce changement-là drastique à Shanghai. Juste
avant l’Expo (Exposition universelle en 2010). En fait maintenant, ils disent que dans nos écoles
(publiques), on a assez d’enfants de migrants. Il y a une pression des parents de Shanghai, qui ne
veulent pas des enfants de migrants dans leurs écoles. Donc maintenant, le seuil est atteint, ils ne
veulent pas plus d’enfants de migrants dans leurs écoles. Il y a même des écoles qui refusent les
migrants, les meilleures écoles n’ont pas de migrants. Bref, il y a une discrimination qui se fait,
mais, quand même, comparé à ailleurs, la situation est vraiment améliorée. Et puis les parents n’ont
161
plus besoin de payer pour leurs enfants. Et nous, on fait des projets dans d’autres provinces comme
au Zhejiang, Jiangsu où c’est encore privé, les écoles de migrants sont encore privées, la majorité
sont privées, les parents paient et les conditions des écoles sont terribles, et c’est vraiment vraiment
un niveau inférieur comparé à ici. Alors dans ce contexte-là, donc quand c’est arrivé, Stepping
Stones s’est posé la question « est-ce qu’on continue à donner ces services ? », si le gouvernement
semble s’occuper de leurs migrants à Shanghai, du moins, beaucoup mieux que par le passé. Mais,
on a appris, dans ce contexte-là, que l’action du gouvernement est toujours limitée. Même si il y a
une bonne intention, ils veulent, je pense que la réalité fait en sorte qu’il y a toujours une limite à ce
qu’ils peuvent faire. Et il y en a toujours qui sont plus démunis. Et aussi, c’est sûr que ça peut
toujours changer mais bon, en bout de ligne, il y a tellement peu d’organisations comme nous qui
s’occupent de ce qu’on fait. Il y a tellement d’enfants qui ont des besoins d’une meilleure
éducation, que je ne vois pas comment le gouvernement va pouvoir combler tous ces besoins-là
prochainement. Et je crois vraiment qu’il y a toujours une limite à l’action du gouvernement, peu
importe le pays, que ce soit les pays les plus développés au monde, il y a toujours une tranche de la
population que le gouvernement ne peut pas atteindre. Et il faut des personnes plus locales qui ont
d’autres motivations pour faire combler ces besoins-là.
- Et donc, vous confirmez quand même qu’il y a eu une prise de conscience du gouvernement
concernant les problèmes de migrants pour laisser entrer les ONG ?
- Je pense qu’en général, il y a une prise de conscience en Chine pour le problème des migrants.
Surtout si je me réfère aux Chinois avec qui on travaille, les bénévoles chinois. On a de plus en
plus de bénévoles chinois dans notre organisation. Au début, c’était uniquement des expats.
Maintenant on a environ 30-35% de Chinois.
- Mais ils viennent des écoles internationales ou pas forcément ?
- Pas forcément. En fait, il y a donc les jeunes dans les écoles internationales, des Chinois de parents
très riches. Mais aussi, on a des adultes avec qui on travaille et qui ont étudié à l’étranger ou qui
sont universitaires ou on de bons emplois en Chine. Donc ils parlent relativement bien anglais et ils
peuvent redonner à cette communauté
- Mais ce n’est pas vraiment une prise de conscience de conscience chinoise alors s’ils ont été à
l’étranger, je veux dire, ils ont une ouverture…
- Oui bien sûr, mais ça fait partie de la nouvelle génération chinoise, de riches et fortunés Chinois.
En fait, les nouvelles élites en Chine. Certains ont étudié à l’étranger, je veux dire en fait que ce
sont des jeunes professionnels chinois qui sont beaucoup plus ouverts sur le monde que leurs
parents.
- Il y a un changement de toute façon…
- Il y a un changement de toute façon, dans un milieu très élite de Shanghai ou de Pékin. Et parmi
eux on peut voir qu’ils ne sont pas surpris par le fait que l’on veuille aider les migrants. Parce que
pour eux aussi les migrants c’est une population en Chine qui en général est désavantagée. Et donc
ce n’est pas une problématique qui est difficile à vendre aux Chinois, même au gouvernement,
même aux responsables locaux. Ils ne sont pas surpris par ce genre de projets qu’on fait. Dans ce
sens qu’ils comprennent l’importance de l’anglais dans le curriculum chinois, ils savent tous ça.
Souvent ils vont même demander s’il n’y a pas un bénévole pour enseigner à leur enfant. Ce sont
des riches Chinois parce qu’ils comprennent l’anglais, et ils comprennent que les migrants sont
désavantagés, je pense. Tous les Chinois le savent.
- Est-ce que le gouvernement fait assez pour les migrants, est-ce qu’il pourrait faire plus ?
- C’est sûr que oui.
- Mais il y a une prise de conscience…
- La prise de conscience, je pense qu’elle est là, mais l’action n’est pas au même niveau que la prise
de conscience évidemment.
162
- Mais elle pourrait arriver…vous êtes plutôt optimiste, non ?
- C’est sûr que si on regarde les dernières années, je vois quand même une amélioration énorme à
Shanghai. Comparé à avant 2010, les écoles sont meilleures qu’avant, les services sont meilleurs,
les parents ne doivent pas payer d’argent. Mais toujours, quand on compare les écoles locales la
différence est énorme. Et ces enfants-là vont devoir rivaliser pour les mêmes places dans les
universités. Je pense, en ce moment, ils sont tellement avantagés les enfants de Shanghai, qu’il y a
très peu de compétition entre eux. Mais c’est sûr que si on compare avec il y a plusieurs années la
situation a augmenté énormément. Mais il reste encore beaucoup à faire, énormément à faire. Et
surtout, je dirais encore plus hors de Shanghai. À Shanghai, le nombre est énorme, on parle d’un
demi-million d’enfants de migrants, aussi c’est énorme l’impact qu’on peut avoir dans cette
communauté.
- Vous parlez autant dans les écoles publiques que dans les écoles de migrants ?
- Oui, dans les deux, il y a un demi-million d’enfants de migrants. Et environ 300.000 dans les écoles
publiques ou un peu plus, et un peu moins que 200.000 dans les écoles pour migrants.
- Oui, c’est un chiffre assez élevé…
- Oui, c’est le nombre, ça c’est la Chine mais c’est sûr qu’à Shanghai, l’avantage de Shanghai, pour
nous, c’est qu’on peut avoir une base de bénévoles importante parce qu’il y a une communauté
d’expats, une communauté de Chinois instruits aussi. Et de faire ce modèle chinois dans d’autres
villes chinoises c’est très différents, parce qu’il nous manque cette communauté d’expats pour faire
ce genre de projet. Mais on a commencé avec des cours sur internet pour les enfants en milieu
rural. Cela fait maintenant six mois que l’on a commencé ce genre de cours dans trois différentes
localités, au Yunnan, Anhui, Henan. On a classe de multimédia pour les enfants de campagne et on
a les bénévoles ici qui enseignent.
- Une dernière question : quel est le message que vous laisser aux enfants des migrants, quelle leçon
vous leur enseignez ? Je ne parle pas de l’anglais mais est-ce que vous donnez un message
d’espoir par rapport à leur situation, est-ce que leur situation peut s’améliorer ?
- Je pense que oui. On insiste beaucoup sur en fait ce n’est pas juste l’anglais, c’est sûr que notre
mission c’est toujours d’améliorer leur performances en anglais dans les examens mais on essaye
aussi beaucoup d’améliorer leur confiance en soi, à parler une deuxième langue. C’est la chance de
pouvoir et pas juste de mémoriser les choses dans leurs livres, comme ils le font depuis qu’ils sont
jeunes. Mais, la pour la première fois, ils ont la chance de parler. Donc, donner confiance, donner
espoir, c’est toujours un peu sur ça qu’on essaye de dire aussi à nos bénévoles dans les formations.
C’est toujours d’amener quelque chose de différent dans leur vie et puis peut-être les motiver aussi,
de voir que c’est possible de maitriser une autre langue, que c’est possible aussi de faire d’autres
choses, de sortir de leur milieu. Ce qu’on essaye aussi beaucoup de leur montrer c’est l’idée du
bénévolat. C’est aussi pour nos bénévoles étudiants, ceux qui sont en dernière année de high
school, on essaye toujours de leur montrer un peu les valeurs du bénévolat, comment c’est
important, comment c’est valorisant pour toi, pour les autres de redonner à ceux qui sont moins
favorisés dans une société. Et je pense aussi que ça on voit aussi que beaucoup comprennent
pourquoi nos bénévoles font ça, et ça amène toujours des valeurs intéressantes aux enfants de la
nouvelle génération. Mais sinon c’est vraiment juste d’être motivé pour l’école en général, c’est
vraiment plus axé sur l’éducation, donc les motiver et qui se sentent importants aussi, c’est
important de passer du temps sur eux. C’est un peu ça aussi que l’on essaye de leur montrer que
même s’ils sont dans une situation difficile et qu’ils ont très peu de chance d’accéder même au high
school, qu’il y a des personnes qui donnent du temps pour essayer de les aider, donc de voir qu’ils
comptent un peu et qu’ils sont importants quand même, malgré qu’ils comprennent que leur
situation est pas aussi favorables que d’autres c’est toujours ce genre d’atmosphère positive qu’on
essaye de leur transmettre.
- Est-ce que vous avez des nouvelles d’étudiants que vous avez aidés ?
163
- Ben c’est sûr que l’organisation n’est pas très vieille donc on ne peut pas vraiment mesurer mais on
essaye quand même de mesurer en prenant les enfants que l’on a aidés pendant 5-6 ans, c’est sûr
qu’on est une partie de leur éducation. On ne peut pas toujours généraliser mais on a eu des
témoignages de beaucoup d’enfants qui sont retournés, parce que, après leur primaire, ils retournent
dans leur milieu pour faire l’examen d’entrée et souvent ils vont être les premiers de leur classe en
anglais… et ça, c’est assez pour commencer à créer de la confiance chez ces enfants, quand ils
commencent à réussir comme ça, leur confiance augmente. Et il y a quelques-uns qui sont rentrés et
qui sont allés au high school après, et beaucoup qui vont dans les écoles techniques. Mais c’est sûr
que c’est très dur de mesurer l’impact, surtout s’ils sont en primaire aussi donc c’est vraiment juste
pour essayer de commencer leur carrière d’anglais, les motiver un peu pour étudier.
164
23 janvier 2015 – Entretien avec JiuQian Shanghai Volunteer Center, Shanghai.*
*Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur
le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet :
http://www.jiuqian.org/
Rencontre avec Yao Yuan, responsable du centre du district de Pudong.
Le centre se trouve dans la banlieue de Shanghai, dans un endroit plutôt reculé aux allures champêtres.
- Pourriez-vous d’abord présenter l’organisation ? Son nom, l’année de la création, par qui a-t-elle
été créée et dans quel but…?
- D’accord, je vais commencer par une première question.
- Oui, il s’agit surtout de présenter votre organisation.
- Notre nom d’abord est « JiuQian Shanghai Volunteer Center ». En 2001, M. Zhang Yichao étudiait
à l’Université de Fudan. Il enseignait également dans une école primaire pour migrants, à côté de
l’université, appelée LanYing. Peu à peu, il emmenait ses camarades de classes et amis plus jeunes
pour aller donner ensemble des cours dans le centre. Après son diplôme, il a voulu trouver un
endroit pour continuer à enseigner à ces enfants qu’il avait formé si longtemps. C’était en 2006.
Lors d’un salon de recrutement, dans un théâtre, la Chambre de commerce américaine a tenu un
banquet caritatif et a invité les enfants de Zhang Yichao à venir chanter en chœur pour
l’événement. Ils ont réussi à récolter une dizaine de milliers de Yuan. Zhang Yichao a alors utilisé
cet argent pour aider les enfants. Ainsi, depuis 2006, il habite tout près de l’Université de Fudan, et
continue à former les enfants. Tout au début, Zhang Yichao faisait appel à ses camarades de
l’université pour enseigner selon le talent que chacun avait. Par exemple, si je sais jouer à la
guitare, alors je vais leur enseigner la guitare. Si je sais chanter, je vais leur apprendre à chanter. Si
je sais jouer l’harmonica, je leur apprends l’harmonica. Si je sais dessiner, j’enseigne le dessin…
Notre organisation a été enregistrée en tant qu’ONG le 16 mai 2008 dans le district de Pudong et
donc à partir de cette année-là, le statut de JiuQian a été reconnu au niveau national.
- Donc vous avez été reconnus ?
- Oui. Depuis lors, nous avons ouvert 3 centres d’activités pour enfants à Shanghai. Ces centres sont
des centres de programmes pour jeunes. Le premier est ici (district de Pudong), Rue Gutang. Un
autre se trouve dans le district de Yangpu, Rue Daxue, près de l’Université de Fudan. Le dernier se
trouve à Xuanqiao. Le centre de la Rue Gutang et celui de la Rue Daxue accueillent principalement
des enfants de familles pauvres originaires de la ville de Shanghai, ainsi que ceux de parents venus
travailler à Shanghai, originaires d’autres villes chinoises. Ces enfants sont appelés « les enfants de
la population flottante ». Nous les aidons dans ces deux centres en raison de leurs situations
défavorisées. Dans le centre de Nanhui, nous aidons plutôt les personnes en situation de handicap
et les orphelins. Nous leur organisons des ateliers de formation musicale, de chant et d’art. Nous
leur enseignons à dessiner, à chanter dans une chorale, et aussi à jouer de la flute en bambou. Nous
leur apprenons à jouer à des instruments traditionnels chinois.
- Ces enfants vont-ils à l’école ?
- Ceux du centre de Nanhui ?
- Oui.
- Ce sont surtout des enfants très jeunes. Mais en Chine, la loi profère 9 années d’enseignement
obligatoire, ainsi pendant cette période, ils doivent tous étudier. Après la dernière année au collège,
les enfants peuvent parfois rater l’examen d’entrée au lycée, ou arrêter l’école.
- Pourriez-vous présenter l’équipe de travail ? Quelle est votre formation et votre responsabilité, par
exemple ?
- Les employés à temps plein sont au nombre de 6. Le professeur Zhang par contre travaille à temps
plein dans l’école…. À JiuQian, il travaille donc à temps partiel. Les 6 autres employés, y compris
165
moi-même, travaillons comme ceci : un collègue gère les opérations dans le centre de Nanhui. Par
exemple, il est responsable d’organiser les horaires des professeurs, les cours dispensés aux
élèves… Dans le centre qui se trouve rue Daxue, un autre collègue a ces mêmes responsabilités, il
se charge de faire venir les enfants, les heures d’ouvertures, les horaires des professeurs… Il
s’occupe également des activités. Ici, c’est moi le responsable du centre (Pudong). Cela fait 3
responsables. Concernant les trois autres, l’un est le directeur exécutif, il est en charge des 3
centres. Un autre s’occupe des finances. Le dernier s’occupe de la diffusion sur Weixin (réseau de
chat chinois), Weibo (Twitter chinois), et sur notre site.
- Comment rencontrez-vous les enfants ? Comment faites-vous la promotion de vos activités ?
- En fait, nous offrons des services de proximité. Les trois centres de Nanhui, de la rue Daxue et
celui-ci, forment un triangle dans la ville de Shanghai. Entre chaque centre il y a une distance
approximative de 30 km. En général, les enfants que nous recevons habitent dans une zone de 10
km autour des centres. Tout au début de nos activités, nous nous sommes rendus dans les écoles
localisées près des centres, que ce soit des écoles de migrants ou des écoles publiques qui
accueillent beaucoup de migrants, ou à présent nous le faisons également avec des écoles locales.
Nous avons entamé une collaboration, et sommes allés enseigner quelques cours par exemple des
cours de chant, d’allocution… Les enfants savent que les professeurs qui leur enseignent ces cours
viennent de JiuQian. Mais pour les cours de musique, de chant, de reporters, un seul cours n’est pas
suffisant. Donc le weekend, les enfants doivent venir dans nos centres pour perfectionner leur
apprentissage. Ceux-là représentent une partie des enfants que l’on aide. Et ils sont de plus en plus
nombreux à venir s’inscrire aux centres, car en discutant entre eux, certains enfants vont expliquer
à d’autres ce qu’ils apprennent dans le centre le weekend, par exemple à jouer la cithare ou la flute
en bambou, ou encore le chant de chorale. Cela semble donc intéressant pour les enfants qui ne
connaissent pas JiuQian, et qui décident alors d’accompagner leurs amis. Les centres ouvrent leurs
portes à trois périodes de l’année : la première période s’étend de septembre à janvier, la deuxième
de mars à juin. Et la troisième se déroule pendant les vacances d’été, les mois de juillet et août. Les
enfants sont assez libres donc nous préparons des activités pour eux. Nous les aidons à passer des
vacances d’été bien remplies, car elles durent deux mois. En dehors de ces périodes de cours, nous
organisons des activités, pour les vacances d’hiver et d’été par exemple. En hiver, nous accueillons
par exemple un groupe de 5 à 10 enfants pour qu’ils dorment, mangent et passent du temps dans le
centre de JiuQian, pendant une dizaine de jours. Et nous faisons également cette activité en été.
Nous inscrivons les enfants de cette manière : chaque année, nous commençons à les inscrire une à
deux semaines avant la rentrée. Comme le nombre d’employés est assez réduit, seule une personne
est en charge pour chaque centre. Nous enseignons donc en tout à plus ou moins 70 enfants.
Lorsqu’ils arrivent, ils peuvent choisir des cours, selon l’horaire que nous avons préparé. Ils
doivent sélectionner au minimum trois cours par exemple : science où ils peuvent faire toute sorte
d’expériences ; informatique où ils apprennent à utiliser l’ordinateur, internet, à résoudre les
problèmes de réseaux et de système ; artisanat, par exemple ils peuvent dessiner, fabriquer du
savon artisanal, tout est fabriqué par eux-mêmes. Il y a de nombreux cours, plus ou moins 15 par
centre.
- Combien de bénéficiaires comptez-vous par an ?
- À Shanghai, plus ou moins 150 étudiants par an. Cependant, le nombre total de bénéficiaires depuis
le début, c’est difficile à compter car il y a des enfants qui étudient par exemple jusqu’en 1 ère année
du collège, ou jusqu’en 5e ou 6e primaire, ensuite ils continuent leurs études dans leur ville natale.
Ils n’ont pas d’autre choix que de rentrer chez eux, car ils ne peuvent pas passer l’examen de fin de
collège ni celui de fin de lycée à Shanghai. Ainsi, le semestre suivant, il y aura d’anciens élèves
mais également des nouveaux. Voici un dessin d’un de nos enfants, il est en 4e primaire.
- Donc, les enfants, ne pouvant pas passer l’examen de fin de collège, rentrent dans leur ville natale,
c’est bien ça ? Ensuite, reviennent-ils à Shanghai ?
-
Il existe toute sorte de situations. Je vous expliquer précédemment que nous avions un centre à
Puxi, rue Daxue, à côté de l’université de Fudan. Dans ce centre, nous avons maintenant un
employé qui fait partie en réalité des tout premiers étudiants aidés par JiuQian. Depuis 2011, il suit
166
les étudiants du professeur Zhang. Il était rentré à Anhui, sa ville natale, en première année de
lycée. Il a réussi donc l’examen de fin de collège, et ensuite il a passé celui de fin de lycée. Il a
finalement réussi à entrer à l’Université de Anhui, en sociologie. Il est donc revenu à Shanghai,
pour travailler à JiuQian, tout d’abord en tant que volontaire, ensuite en tant que stagiaire, et enfin
il a été employé. C’est également le cas de notre comptable, il faisait partie de nos premiers
groupes d’étudiants. C’est ainsi que l’on s’est développé.
- Les enfants se souviennent donc de vous lorsqu’ils grandissent, et viennent vous voir… ?
- Oui, ils sont nombreux. Il y en également qui après être rentrés chez eux, continuent leur vie là-bas
et ne reviennent pas à Shanghai.
- Quant au nombre de volontaires, à combien s’élève-t-il ?
- À Shanghai, il y en a à peu près 200-300.
- En tant que ONG, pensez-vous que le gouvernement vous aide ou impose plutôt des limites ?
- Par exemple ce centre, que je vous ferai visiter après, c’est un espace qui nous a été fourni par le
gouvernement. Nous avons trois sortes de partenariats : la première c’est l’aide du gouvernement et
de fondations chinoises et étrangères par exemple, en ce qui concerne les étrangères il y a GFC et
GG, une fondation de Genève, quant aux chinoises il y a la Fondation caritative de Shanghai
(Shanghai Cishan Jijinhui), Pudong New Area Spiritual Civilization Bureau (Pudong
Xinqu Jingsheng Wenming Banggongshi). La deuxième ce sont les entreprises, comme Target, des
magasins de détails américains, Johnson Controls, Coca-Cola… ils soutiennent tous nos activités.
La dernière ce sont les privés, par exemple les amis du professeur Zhang aident également JiuQian.
Ce sont principalement ces trois formes d’aide que nous recevons.
- Est-ce facile de récolter des fonds, ou rencontrez-vous des difficultés ?
- Pour le moment c’est plutôt difficile, y compris pour les ressources (au sens plus large), par
exemple les locaux, le matériel, etc. Le problème que l’on rencontre récemment c’est par exemple
lorsqu’on reçoit des fonds, le donateur décide dans quel domaine l’allouer, malgré que pour celuilà, il ne nous manque pas de ressources… donc il reste des domaines non-financés et pour lesquels
il est plus difficile de trouver les fonds.
- Avez-vous des relations avec les parents ?
- Bien évidemment nous en avons.
- Vous connaissez donc leur situation personnelle ?
- Oui, et c’est nécessaire car nous écrivons des dossiers sur chaque enfant. Lorsqu’un enfant vient
dans notre centre, nous lui donnons tout d’abord une fiche d’inscription où il doit décrire sa
situation matérielle. Une semaine plus tard, nos professeurs emmènent des élèves un peu plus âgés
pour aller voir les conditions dans lesquelles le nouvel inscrit vit, s’informer de l’emploi des
parents, et constater le quartier dans lequel se trouve sa maison.
- Est-ce que vous aider également les parents ?
- Pas souvent, notre mission principale porte sur leurs enfants. J’ai découvert que de toute façon, il
est difficile de changer les habitudes des parents qui ont atteint plus de 20 ou 30 ans. Tandis que les
enfants, qui sont encore en primaire, sont plus facilement influençables, car ils sont encore dans
leur phase d’apprentissage. Donc nous nous efforçons surtout de former les enfants. Cependant,
nous organisons des présentations sur l’éducation familiale. Nous invitons des experts en
psychologie de Shanghai, pour qu’ils expliquent aux parents par exemple comment ils doivent
communiquer avec leurs enfants, que faire si les enfants en ont assez. Nous avons également des
présentations sur les droits au travail, par exemple si l’employeur retient le salaire, comment le
réclamer en s’appuyant sur la loi.
- C’est un volontaire qui a étudié le droit qui vient faire ses présentations, n’est-ce pas ?
167
- Oui. Pour ces présentations, nous faisons appel à un conseiller en affaires légales de l’entreprise de
Morgan Stanley.
- Et s’ils rencontrent des problèmes, allez-vous l’aider davantage ou plutôt lui renseigner une autre
ONG qui peut l’aider dans ce domaine ?
- En premier, si JiuQian est capable de résoudre le problème, nous l’aidons nous-mêmes. Si JiuQian
n’est pas suffisamment compétent pour lui venir en aide dans ce domaine, nous requérons les
services d’autres ONG qui ont de l’expérience à cet égard, ou des organisations gouvernementales
pour aider la personne en question.
- Vous avez donc de nombreux partenaires ?
- En effet.
- Mais venir en aide aux parents est plus difficile que d’aider leurs enfants, n’est-ce pas ?
- Oui. Comme je l’ai dit, les parents étant plus âgés, ils ont leurs propres idées et il est donc plus
difficile de changer leur comportement.
- Oui, avec les enfants c’est plus simple, étant donné qu’ils sont plus jeunes. Mais quels aspects de
leur comportement ou idées exactement tentez-vous de changer ? Comment parvenez-vous à les
faire changer ?
- Les enfants que l’on accueille sont jeunes, ils ont entre 10 et 16 ans. En général, lorsqu’ils viennent
d’arriver, à cause des conditions plus pauvres dans lesquelles ils vivent, ils sont assez désordonnés
et sales. Donc tout d’abord, nous avons mis des poubelles dans toutes les pièces, pour qu’ils
attrapent de bonnes habitudes au niveau de l’hygiène et de la propreté. En second, à part les cours
qui leur sont dispensés, nous organisons aussi des activités, par exemple des excursions
printanières et automnales, et aussi des concerts. Durant ces activités, les enfants ont l’opportunité
d’être avec les volontaires, par exemple les bénévoles de l’entreprise Morgan Stanley et ils peuvent
ainsi communiquer avec eux, en formant des paires. Chez eux, ils n’auraient pas du tout cette
opportunité d’apprendre à communiquer avec ce genre d’équipes. La première fois que j’ai eu
l’expérience de collaborer avec une grande entreprise, j’ai remarqué que les enfants n’étaient pas
très enthousiastes d’aller parler avec les bénévoles de sa vie, famille, ses parents. Pourquoi ? Car ils
pensent que ces entreprises, que ce soient des entreprises américaines ou d’autres pays, sont très
impressionnantes. Et aussi, quand je suis arrivé ici, leur contact avec les étrangers était difficile,
lorsqu’il y avait des étrangers, les enfants se cachaient, pas comme aujourd’hui où ils étaient
heureux de parler avec toi. C’est à travers les activités et les cours que les enfants commencent à
communiquer avec les bénévoles, font des représentations sur scène, plus confiants. C’est de cette
façon que petit à petit nous parvenons à leur faire changer de comportement, indirectement et non
de manière brusque, en s’appuyant également sur leur maturité grandissante. Nous avons aussi mis
en place un cours spécialement pour ça, et les aider à s’intégrer plus rapidement dans cette ville.
Par exemple, lors de la première leçon, ils doivent se présenter, préparer 5 minutes où ils parlent
d’eux-mêmes. Il y en a d’autres leçons lors desquelles ils apprennent par exemple à prendre le
métro à Shanghai, comment acheter son ticket, que faire si l’on tombe malade, par exemple en
premier ils doivent se rendre au centre de santé le plus proche pour se faire ausculter et discuter
avec le médecin, comment faire attention à soi, que faire si l’on perd son chemin, si l’on est trompé
par quelqu’un…
- D’accord. Pourriez-vous à présent expliquer comment le gouvernement vous aide-t-il ?
- J’ai déjà énoncé le fait que le gouvernement nous prête cet espace, ce qui représente une grande
aide pour nous. Par exemple, pour le centre de Puxi, comme nous devons payer un loyer de plus ou
moins 10.000 Yuan par mois, donc l’espace est beaucoup plus petit qu’ici. Mise à part cette aide-là,
nous collaborons chaque année pour des projets. Par exemple, en été, nous aidons le gouvernement
du nouveau district de Pudong à organiser des camps d’été pour les jeunes et en échange nous
recevons des fonds, nos enfants participent au projet avec d’autres enfants locaux.
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- Trouvez-vous que cette aide est suffisante ou vous espérez plus, non seulement au niveau des fonds
mais aussi à d’autres niveaux ?
- En réalité, pour les activités, cela dépend si elles sont bien menées, et si elles conviennent pour que
le gouvernement collabore. Si oui, alors bien entendu nous espérons que le gouvernement puisse
nous aider davantage. Nous aimerions par ailleurs recevoir une aide financière de la part des
gouvernements des districts où se trouvent nos autres centres afin de payer les loyers, comme c’est
le cas ici à Pudong. Car si nous récupérons les 10.000 Yuans du loyer, nous pourrions atteindre
plus d’enfants.
- Confirmez-vous que dans chaque district les règles sont différentes pour les écoles de migrants ?
- Cela dépend de quelles sortes de règles vous parlez. Par exemple ici dans le nouveau district de
Pudong, il existe encore des écoles dirigées par des privés alors que dans le district Yangpu il n’y
en a plus. En effet, cela arrive que les règles diffèrent selon le lieu, selon le bureau d’éducation.
Mais les cas ne sont pas nombreux. Le nouveau district de Pudong étant beaucoup plus grand et
accueillant un nombre plus élevé de migrants, les changements sont plus lents à mettre en place.
C’est pour cette raison que dans ce district-ci, il y a encore des écoles de migrants privées, mais
petit à petit le gouvernement local règle cette situation et met en application les nouvelles lois.
- Quels sont d’après vous les besoins fondamentaux que rencontrent les enfants des migrants
lorsqu’ils arrivent à Shanghai ?
- Avant tout l’éducation. En fait, non il y en a trois. Lorsqu’ils arrivent à Shanghai, les ouvriers
migrants, y compris leurs enfants, rencontrent trois besoins. Le premier est l’éducation, le
deuxième concerne les soins de santé, et enfin le logement.
- Qui leur apporte de l’aide dans ces domaines ?
- Au niveau de l’éducation, les écoles peuvent accueillir les enfants des migrants mais sous quelques
conditions. Pour ce qui est des soins de santé, maintenant il se peut que l’entreprise, si elle
comprend un système de sécurité sociale, puisse payer une partie des soins de l’employé. Le mois
passé, le père d’un de nos élèves s’est d’ailleurs blessé le genou. Il a dû rentrer dans sa ville natale
pour consulter le docteur, car à Shanghai les frais sont beaucoup trop élevés.
- Et son enfant ?
- L’enfant est rentré avec lui.
- Et que se passe-t-il lorsque ce sont les enfants qui tombent malades ?
- Il n’y a pas beaucoup de solution. Si c’est une maladie grave, l’enfant rentre chez lui. Si ce n’est
qu’une fièvre ou une grippe, alors il peut se faire soigner à Shanghai. Mais sans assurance, il doit
tout de même payer cette somme.
- N’y a-t-il aucune ONG qui puisse aider ?
- En ce qui nous concerne, nous n’avons pas encore inclut ce domaine-là dans nos activités.
- Pensez-vous alors que le gouvernement devrait intervenir davantage dans ce domaine ?
- Bien sûr !
- Et pensez-vous que dans le futur le gouvernement serait amené à apporter cette aide ? Ou la
situation n’est pas sûre ?
- Ce n’est pas sûr car lorsque le gouvernement met en place une politique, c’est généralement pour
satisfaire la population locale, dans ce cas-ci la population de Shanghai, et certainement pas aider
d’abord la population migrante. Bien qu’il pourrait peut-être le faire progressivement. À partir du
moment où le gouvernement a suffisamment d’argent, il pourrait étendre petit à petit son aide à
d’autres parties de la population, mais en imposant des conditions.
- Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles de votre organisation ?
169
- Notre point fort est le professionnalisme dont nous faisons preuve dans nos services aux enfants
défavorisés, et le fait que ces services soient bien déterminés dans un champ d’action particulier.
Notre point faible est peut-être le fait que nous n’ayons que trois centres. Par exemple, nous ne
sommes pas encore présents dans les districts de Minhang ou Jiading. Cela veut dire que nous ne
pouvons pas agir partout dans Shanghai, c’est une de nos limites. Un autre point faible est le
nombre de nos employés qui est trop restreint, seulement 6 pour 3 centres. Par exemple, notre
comptable à temps-plein, nous l’avons à peine engagé cette année. Donc dans ce secteur, nous
devons encore progresser. Il y a encore d’autres secteurs dans lesquels nous ne sommes pas encore
assez spécialisés.
- Avez-vous l’intention d’étendre la zone de vos activités ?
- Cela dépend, s’il y a des endroits appropriés, nous serions ravis de collaborer. Nous devons
analyser concrètement les espaces. Par exemple, nous avons déjà des centres dans les districts de
Yangpu et Pudong. Ce qu’il est nécessaire d’abord c’est le soutien du gouvernement, et également
si le gouvernement peut nous offrir un espace, alors nous pourrions envisager d’y étendre nos
activités et gérer de nouveaux centres. Mis à part les centres de Shanghai, nous sommes également
à Xishuangbanna dans la province du Yunnan, à Huayuan dans la province d’Anhui, à Xingyu dans
la province de Jiangxi.
- Et vous enseignez également aux enfants ?
- Oui, nous menons exactement les mêmes activités qu’ici à Shanghai.
- J’ai entendu que la plupart des enfants des migrants viennent de la province d’Anhui, c’est
correct ?
- Ils viennent en général des provinces du Zhejiang, de Jiangsu, d’Anhui, et du Sichuan. Et il y en a
aussi du Guizhou.
- Ne pensez-vous pas que votre ONG prend en charge un travail ou une responsabilité qui devrait
être normalement pris en charge par le gouvernement ?
- Nous ne pouvons pas être totalement d’accord avec cette idée. Tout d’abord, concernant
l’éducation des enfants des migrants, la plus grande part de responsabilité devrait en effet être prise
par le gouvernement. Cependant, en tant que citoyen, en tant que ouvriers migrants, c’est
également une responsabilité à prendre. La responsabilité incombe aux deux parties, pas seulement
au gouvernement. Ainsi, face à ce problème social, nous ne considérons pas vraiment apporter de
l’aide au gouvernement à travers nos activités.
- La plus grande difficulté pour la mise en place de vos activités est le financement, ou rencontrezvous d’autres obstacles ?
- Pour la plupart des ONG, les difficultés ne sont pas seulement de lever des fonds, mais de manquer
d’argent, de matériel et de personnel.
- Et cela n’arrive-t-il pas d’être dans l’impossibilité d’organiser une activité à cause du refus du
gouvernement ou du manque de collaboration des parents des élèves ?
- Cela n’est encore jamais arrivé. Les ouvriers migrants et leurs enfants collaborent et soutiennent
beaucoup nos activités. Quant au gouvernement, maintenant il se montre assez favorable face aux
activités de JiuQian.
- Vous trouvez que la situation a changé, s’est améliorée ?
- Oui.
- À quel moment pensez-vous que ce changement a eu lieu ?
- En 2010, après l’Exposition universelle de Shanghai.
- Pour quelles raisons ?
170
- Durant l’exposition, il y avait beaucoup de bénévoles qui proposaient des services. De plus, depuis
l’exposition, il y a une sorte de système qui a été mis en place. Enfin, cela a permis au
gouvernement de mieux comprendre l’importance du volontariat. Depuis 2010, de nombreux
médias en parlent et de nombreux bénévoles participent à des événements et activités.
- Donc vous pensez que depuis 2010, il y a un changement dans la mentalité des Chinois, à Shanghai
du moins, qui veulent ainsi offrir bénévolement leurs services.
- Tout à fait.
- Mais il n’y avait ce genre de mentalité auparavant, n’est-ce pas ? Ou très peu ?
- Oui, ça existait mais très peu.
- Pourriez-vous expliquer votre situation personnelle ? Pourquoi en êtes-vous arrivés à travailler
ici ? Quel était votre objectif ?
- J’ai étudié les relations publiques. Je suis arrivé en 2009 pour prendre part au projet « retour dans
sa ville natale » avec le professeur Zhang. Le concept est que JiuQian emmène 40 enfants et 10
bénévoles dans la ville natale de certains enfants, pour faire des enquêtes, des interviews, et aussi
des représentations artistiques. Pour le projet, nous avons pris le train pendant 48 heures jusqu’à
Chongqing. Moi je suis Shanghaien et c’était la première fois que je faisais un si long voyage en
train. Nous étions 10 bénévoles à mener le groupe, notre travail était très fatigant. Après notre
retour, comme j’étais encore aux études, je suis retourné en cours. Alors les enfants me
téléphonaient en me demandant quand j’allais revenir au centre faire du bénévolat. Cela m’a
vraiment donné l’impression que ces enfants étaient comme mes petits frères et sœurs. Par ailleurs,
j’avais déjà donné des cours à des enfants, mais alors j’étais considéré comme un professeur, il n’y
avait pas la place de créer des relations plus proches, venir chercher l’autre, lui poser des
questions… Petit à petit, à force des appels, je me suis plus impliqué dans le bénévolat. Depuis
2010, je suis donc officiellement entré à JiuQian, d’abord pour un stage et puis comme employé.
En résumé, c’est comme cela que je suis arrivé ici.
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25 janvier 2015 – Entretien avec Included, Shanghai.*
*Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur
le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet :
http://included.org/
Rencontre avec Cillin Xiong, responsable du centre.
Included a changé de bureau, pour une question de ressources financières. L’organisation se trouve à
présent dans un petit espace, avec un bureau, quelques classes et une petite cours de récréation.
Lorsque je mène l’entretien, nous sommes dimanche et il y a des activités organisées pour les enfants
avec des partenaires du Marriott qui ont apporté des en-cas à distribuer.
- Pourriez-vous présenter tout d’abord votre organisation ? Son nom, l’année de sa création et le
fondateur ?
- Notre organisation a d’abord été fondée à Pékin, et ensuite également été enregistrée à Shanghai.
Voulez-vous que je présente le bureau de Pékin ou de Shanghai ?
- Celui de Shanghai.
- D’accord, alors, nous nous appelons « le centre de services pour le quartier de Huoli du district de
Minhang à Shanghai ». Nous avons commencé nos activités en 2009, cependant nous avons été
enregistrés en 2012.
- Le bureau de Pékin a été créé il y a plus longtemps, n’est-ce pas ?
- À Pékin, notre organisation a commencé ses activités en 2006, notre responsable est américain.
- Et vous, vous êtes la responsable du centre de Shanghai, c’est cela ?
- Oui. Je suis la responsable de Shanghai.
- Pourriez-vous présenter votre équipe ? Combien de personnes travaillent avec vous, et quelles sont
leurs responsabilités ?
- Ici à Shanghai, nous n’avons que 4 employés à temps plein, dont moi-même, responsable du centre.
Deux autres sont coordinateurs de projets. Ils organisent des activités et projets ici. La dernière
personne est notre chargé des opérations, il s’occupe de tout en dehors des projets, tel que le
personnel, les finances, …
- Avez-vous aussi des volontaires ?
- Oui, nous avons aussi des volontaires. À Shanghai, ils sont plus ou moins une centaine par
semestre. Les volontaires qui viennent pour les activités en semaine sont principalement des
étudiants des trois universités proches du centre. Le weekend par contre, ce sont plutôt des
employés qui nous aident pour les activités.
- La plupart sont tous des Chinois, n’est-ce pas ?
- En effet. Et nous avons aussi des étrangers, mais ils sont peu nombreux.
- Pouvez-vous expliquer la mission et les objectifs de votre organisation ?
- Notre mission se résume en un slogan : « Que la ville accueillante accepte la population migrante
pleine d’espoir ». Ce qui signifie que nous espérons aider les migrants à s’intégrer davantage dans
la ville.
- Vos bénéficiaires sont donc principalement les migrants ?
- Oui, les travailleurs migrants, appelés aussi la population flottante.
- Et leurs enfants également ?
- Oui cela inclut toute la famille, et les enfants.
- Quant est-il de vos activités ? Celle-ci a plutôt l’air dirigée vers les enfants…
172
- Oui mais leurs parents sont aussi présents. Nos activités peuvent être divisées en 4 parties. La
première concerne le développement des enfants en bas âge, de 1 à 6 ans, et leurs parents
participent également aux activités. La deuxième regroupe les activités de développement pour les
jeunes adolescents, principalement ceux qui sont en primaire de 7 à 13 ans. La troisième comprend
les activités autour de l’éducation familiale, qui sont destinées aux adultes, aux parents. La dernière
concerne le développement de la communauté. Il s’agit d’activités pour toutes les personnes de la
communauté.
- L’activité que vous réalisée en ce moment rentre dans quelle catégorie… la quatrième n’est-cepas ?
- Oui, on peut l’inclure dans la quatrième.
- Et les activités que vous menez avec les enfants, ce sont surtout des classes que vous leur
enseignez ?
- Oui. Pour la catégorie concernant les enfants en bas âge, ce sont les parents qui viennent avec leurs
enfants. Les activités prennent place du mardi au vendredi, lors desquelles nous leur donnons des
cours de deux heures, sur le thème « parents-enfants ». Elles se divisent en deux parties : d’un côté,
les enfants peuvent venir ici et apprendre des choses très simples par exemple apprendre les
couleurs, chanter, colorier… D’un autre côté, nous enseignons à leurs parents comment
communiquer avec leurs enfants, comment les éduquer à la maison. La deuxième catégorie
d’activités, le développement des jeunes adolescents, soit les enfants qui se trouvent en primaire,
prend place du lundi au vendredi, après l’école. Les enfants viennent dans le centre où nous les
aidons à faire leurs devoirs, à lire, ou nous leur enseignons également d’autres cours, comme
l’anglais par exemple. Le samedi, il y a aussi deux sortes d’activités. D’une part, il y a des cours
particuliers durant lesquels nous les aidons à étudier. D’autre part, il y a des cours à option par
exemple de sport, de dessin, de musique,… Il y a un peu de tout.
- Quant aux cours pour les adultes ? C’est la catégorie 3, n’est-ce pas ?
- Oui. La troisième catégorie de cours est destinée aux adultes, elle est également divisée en deux. La
première partie, il s’agit surtout de compétences par exemple, nous leur apprenons à utiliser
l’ordinateur. Il y en a certains qui sont illettrés, donc nous leur apprenons à lire et écrire. La
deuxième partie a pour thème l’éducation à la maison, les relations parentales, les relations parentsenfants.
- Ont-ils suffisamment de temps libre pour participer ? Parce qu’ils viennent surtout à Shanghai
pour travailler, n’est-ce pas ? Ne sont-ils pas tout le temps occupés ?
- Oui tout à fait, ils sont très occupés. Pour les adultes, il n’y a qu’un seul cours par semaine. Ceux
qui sont intéressés et qui peuvent venir, viennent tout simplement. Bien sûr certains sont trop
occupés que pour venir, mais d’autres viennent tout de même.
- À Shanghai vous ne disposez que de ce centre-ci, n’est-ce pas ?
- Oui, nous n’avons que celui-ci à Shanghai pour l’instant.
- Vous dites « pour l’instant », cela veut-il dire que vous aviez d’autres centres auparavant ?
- Nous espérons pouvoir en ouvrir un autre très prochainement.
- Concernant les cours que vous donnez aux adultes, acceptent-ils facilement de participer et de
recevoir votre aide ? Ou rencontrez-vous parfois des difficultés ?
- Non, ils viennent sans problème au centre. Car ce centre est fixe, nous avons toujours été présents
au même endroit, donc ils nous accordent leur confiance. Lorsque nous organisons des activités,
s’ils sont intéressés alors ils viennent sans problème. Une difficulté relativement importante que
nous rencontrons, c’est celle que vous avez mentionnée. Le fait qu’ils viennent ici pour travailler,
donc ils sont en réalité très occupés, leurs journées de travail sont très longues. Pour la plupart, ils
doivent se lever à deux heures ou quatre heures du matin, donc ils sont très fatigués. C’est pour
173
cette raison qu’ils ne veulent pas tous prendre part à nos activités. Donc nous ne pouvons accueillir
que ceux qui ont un peu de temps libre pour venir ici.
- Avez-vous une démarche active par rapport à vos bénéficiaires ? Ou ce sont eux qui viennent
volontairement au centre ?
- En fait, comme cela fait assez longtemps que nous sommes ici, lorsque nous organisons une
activité, nous affichons une annonce à l’entrée du centre, et dans certains cas, ils doivent d’abord
venir s’inscrire pour pouvoir participer.
- Savez-vous dire sur une semaine, ou sur un mois, combien de bénéficiaires participent à vos
activités au centre ?
- Pour les enfants de primaire, en général, nous en accueillons approximativement 35 par jour. Quant
aux activités pour les enfants en bas âge, il y a dix enfants et dix parents chaque jour. Pour les
activités qui s’organisent le weekend, le nombre n’est pas certain. Parfois, le nombre de personnes
qui participent à nos activités du dimanche sont un peu plus nombreux. C’est difficile à évaluer.
- D’accord. Quels sont les besoins les plus importants des migrants lorsqu’ils arrivent à Shanghai ?
- Gagner leur vie. Pour la plupart, c’est la raison principale de leur migration. Ils espèrent gagner un
peu plus d’argent, et permettre à leurs enfants de vivre une vie meilleure et de rester vivre à
Shanghai plus tard.
- Et leurs enfants vont dans les écoles pour migrants, n’est-ce pas ?
- Certains vont dans les écoles spécialement ouvertes pour les migrants, certains vont dans les cinq
écoles publiques pour les locaux.
- Les enfants locaux et migrants y sont mélangés alors ?
- Oui.
- Comment votre organisation récolte-t-elle des fonds ?
- On fait surtout appel aux entreprises et fondations. Récemment nous tentons également de récolter
des fonds auprès du gouvernement.
- Mais la part la plus grande de vos fonds d’où vient-elle ?
- Des entreprises.
- La plupart sont-elles chinoises ?
- Non, la plupart sont étrangères.
- Trouvez-vous facile d’obtenir leur financement ?
- Non, ce n’est pas facile, et de moins en moins facile. D’une part, au regard du monde, comme
l’économie chinoise s’est développée, les étrangers pensent que les Chinois peuvent s’en sortir tous
seuls. D’autre part, les organisations sociales et ONG sont de plus en plus nombreuses en Chine,
donc il y a de plus en plus de compétitions pour l’obtention des fonds, cela devient de plus en plus
difficile.
- Depuis combien de temps avez-vous commencé à tenter d’obtenir des fonds gouvernementaux ?
- À Shanghai, depuis 2013.
- Et à Pékin ?
- Je ne me rappelle plus, peut-être aussi en 2012 ou 2013.
- D’accord. Tous les jours, vous accompagnez les enfants et leurs parents, vous connaissez leurs
problèmes… alors menez-vous des actions de plaidoyer auprès du gouvernement en faveur des
migrants ?
- Oui, parfois, mais pas non plus beaucoup.
174
- Pourquoi, cela est-il trop difficile ?
- Oui, relativement difficile. Dans ce métier, il est nécessaire d’avoir une position plus privilégiée.
Par exemple, en tant que professeur universitaire, ou si vous faites partie d’une association telle que
la Croix Rouge, alors le gouvernement vous accorde sa confiance. Notre organisation ne dispose
pas d’une telle position pour pouvoir communiquer avec le gouvernement de la situation des
migrants, cela n’aurait aucun n’effet.
- Ah d’accord. À la rue Caoxi, où je me suis rendue tout d’abord, avez-vous toujours un bureau ?
- Auparavant nous avions un bureau là, mais depuis l’année dernière nous avons déménagé. La
raison est que notre organisation est plutôt petite, les employés ne sont pas nombreux, si l’on restait
à cet endroit le loyer était trop cher pour nous.
- Mais y meniez-vous des activités avec les enfants du quartier ?
- Non, c’était seulement notre bureau, les activités ont toujours été organisées ici.
- Travaillez-vous en partenariat avec d’autres organisations, privées ou publiques, ou d’autres
ONG ?
- Oui.
- Dans quel contexte ? Je parle ici de collaboration pour la réalisation des activités et non pas des
financements.
- Oui, aujourd’hui par exemple, l’hôtel Marriott participe à l’organisation de l’activité. Par exemple,
nous avons organisé des représentations, les enfants participent aussi, et leurs bénévoles font
également des représentations. Tous participent aux jeux organisés. Et l’hôtel Marriott a par
ailleurs préparé et apporté des en-cas. Parfois, lorsqu’il y a des prix et cadeaux à gagner lors des
jeux, ce sont également eux qui les fournissent.
- Vous aident-ils volontairement ? Vous financent-ils également vos projets ?
- Oui tout à fait. Nous travaillons également en collaboration avec des associations universitaires. Ils
viennent de manière régulière chaque semestre en tant que volontaires. Parfois ils donnent des
cours eux-mêmes, parfois lorsque nous avons besoin de bénévoles lors d’activités, ils nous aident à
en trouver. Nous avons aussi des partenariats avec d’autres organisations qui participent durant nos
activités, comme aujourd’hui, ils peuvent venir faire des animations. Nous allons leur rendre visite
lorsqu’ils font des activités, et vice-versa.
- Pourriez-vous expliquer, depuis le début de la création de l’organisation, quelles réussites avezvous obtenues, quels obstacles avez-vous rencontrés ?
- Il y a une difficulté que nous avons toujours eue et qui reste importante. Il s’agit du personnel. Il est
très difficile de trouver les bonnes personnes pour venir travailler ici et il y a plusieurs raisons.
Premièrement, la localisation de notre centre. Il est très loin par rapport au centre. Venir une fois,
cela paraît encore faisable, mais devoir venir tous les jours jusqu’ici, les personnes ne veulent pas,
c’est trop loin. Deuxièmement, en réalité nos exigences sont très élevées, car les personnes qui
travaillent ici doivent avoir toutes sortes de compétences par exemple, savoir animer les enfants,
communiquer avec les parents, former les volontaires, savoir écrire des rapports d’activités, et bien
d’autres encore. Et en comparaison au niveau de compétences exigées, le niveau de salaire que
nous pouvons offrir est très bas… Dans ce contexte, peu de personnes veulent rejoindre notre
équipe. Et c’est un de nos obstacles, jusqu’à maintenant, et nous n’avons pas vraiment de solution.
Quant à nos réussites… D’abord, le fait d’être présent ici depuis relativement longtemps, et nous
faisons sans cesse des progrès. Nous nous efforçons à chaque fois d’organiser de meilleures
activités, et d’améliorer chaque fois les relations que nous avons avec la communauté. Par ailleurs,
le gouvernement nous fait davantage confiance.
- Depuis quand, diriez-vous ?
175
- En 2013, lorsque nous avons obtenu des financements gouvernementaux pour un projet. En fait, ce
sont eux qui sont venus nous vers nous avec le financement, et nous ont demandé si nous étions
intéressés par le projet.
- Ah oui ?
- Oui, donc nous avons pris ça comme une marque de confiance de leur part, comme s’ils nous
donnaient l’autorisation de continuer notre mission et nos activités, car finalement, nous sommes
tout de même bons dans ce que nous faisons. En outre, nous avons commencé un partenariat avec
l’association des résidents du quartier à côté. Lorsque nous organisons des activités, nous pouvons
leur demander de participer.
- Ce sont des résidents locaux, de Shanghai, n’est-ce pas ?
- Oui. Il y a aussi des résidents migrants, mais le responsable est de Shanghai.
- Et par rapport au gouvernement, vous soutient-il ou impose-t-il certaines limites, certaines
contraintes ou oppositions ?
- On peut dire en fait que maintenant ils sont plutôt en faveur des organisations sociales, mais dans
ce domaine, ils n’ont pas non plus beaucoup d’expériences, car le développement des ONG en
Chine est quelque chose de plutôt nouveau. D’un côté, le gouvernement voudrait vraiment
encourager davantage, mais d’un autre côté, ils ne comprennent pas très bien comment y parvenir,
et veulent tout de même contrôler un peu… Cependant, d’après nous, de notre point de vue,
l’attitude du gouvernement peut être considérée comme étant plutôt bonne. Ils veulent s’assurer que
les organisations sociales s’efforcent réellement à poursuivre leur mission. Si c’est le cas et que les
activités sont menées à bien, alors le gouvernement est enclin à les soutenir davantage. Je pense
que le gouvernement aussi est aussi en train d’apprendre.
-
Pensez-vous donc maintenant que le gouvernement apporte réellement une aide aux migrants ?
Est-ce qu’il veut vraiment résoudre ce problème ?
- En réalité, je ne pense pas. Je pense qu’il doit encore faire des efforts. Le gouvernement veut soidisant aider cette population, mais il ne les apporte pas l’aide dont ils ont réellement besoin. Par
exemple, les migrants se préoccupent le plus de l’éducation de leurs enfants. Or, ces deux dernières
années, le gouvernement n’a pas soutenu les migrants sur cet aspect, au contraire, il a imposé de
nombreuses limites. Il y a beaucoup de personnes qui ne peuvent étudier à Shanghai.
- Oh, vraiment ?
- Oui. Aller à l’école devient de plus en plus difficile, car il faut de nombreux permis et documents,
par exemple le permis de résidence. Donc il me semble que pour eux, il est de plus en plus difficile
de pouvoir étudier à Shanghai.
- Et que pensez-vous que le gouvernement devrait faire pour solutionner ce problème ?
- Le mieux serait bien sûr de supprimer le système du hukou… Leur permettre ainsi d’étudier dans
leur ville de résidence, qu’importe où celle-ci se trouve. Ne pas leur réclamer tant de choses.
- Au travail, les migrants rencontrent également des problèmes similaires, n’est-ce pas ?
- Sur le plan du travail, je pense que maintenant ce n’est pas si mal.
- Pour quelles raisons ?
- Hé bien, à Shanghai ils parviennent toujours à trouver du travail.
- Et qu’en est-il des soins de santé ou autres besoins ?
- Je pense que sur ces aspects, cela va encore car les lois à présent stipulent que l’employeur doit
assurer tous ses employés. Selon moi, le gouvernement a fait des efforts dans ce domaine. Mais
cela reste une impression personnelle.
- Je voudrais savoir si vous ne pensez pas que les organisations à but non lucratif, telles que la
vôtre, prennent en charge une responsabilité qui devrait en réalité incomber au gouvernement ?
176
- Je ne l’avais jamais pensé de cette manière auparavant. Car je pense que le travail des organisations
à but non lucratif devrait être complémentaire à celui du gouvernement, et les deux devraient
travailler en collaboration.
- Mais vous pensez que ce n’est pas encore le cas à présent, semble-t-il ?
- En effet. Il faut peut-être encore un peu de temps… tout le monde doit encore apprendre.
- Comment voyez-vous le futur ? Aussi bien celui de votre organisation que celui des migrants, êtesvous positive ? Pensez vous que la situation va s’améliorer ou cela n’est pas encore sûr ?
- Ce n’est pas certain. Je pense que sur le plan de l’éducation des migrants, le gouvernement a encore
des efforts à faire, car s’il continue à limiter de plus en plus de personnes d’étudier ici, alors je ne
sais pas quelle sera la situation dans le futur. Le mécontentement des migrants pourrait alors
croître, ou alors ils n’auraient plus d’autre solution que de rentrer chez eux.
- Je voudrais savoir quel message vous donner aux migrants et leurs enfants ? Que leur enseignezvous ? Leur donnez-vous de l’espoir, les encouragez-vous par rapport à leur situation ?
- On le fait à travers les activités et les cours. Vous savez, lorsqu’ils vivent en ville, il y a beaucoup
de personnes qui les méprisent. Cela leur donne l’impression d’être différents des citoyens urbains.
Nous nous efforçons donc, durant nos activités, de leur enseigner la politesse et le savoir-vivre. Par
exemple, lorsqu’ils sont en rue, ne pas jeter de déchets par terre… C’est une des choses que nous
leur enseignons. Par ailleurs, lorsque les bénévoles de nos entreprises partenaires et des
associations universitaires viennent faire des activités avec les migrants, c’est d’abord une
opportunité de se mélanger aux citoyens urbains, et nous espérons leur laisser l’impression de faire
réellement partie de cette ville. Nous les emmenons parfois en visite dans la ville…
- Pensez-vous que leur attitude change au fil des activités ? Observez-vous un changement positif ?
- Oui, ils prennent conscience de leur vie et leurs attentes. Par exemple, ils ont maintenant envie
d’aller danser le soir, ou aller visiter un endroit qu’ils ne connaissent pas… Il faut savoir qu’au
début, ils ne pensent qu’à gagner leur vie, manger et dormir. Maintenant, ils réalisent qu’ils
peuvent aussi avoir une vie sociale à côté.
- J’aimerais finalement vous demander quel genre de relation avez-vous avec vos bénéficiaires.
Connaissez-vous leur lieu d’origine, le travail qu’ils font ici à Shanghai, … ?
- Oui, nous connaissons plus ou moins bien ceux qui participent régulièrement à nos activités.
- Et les aidez-vous dans d’autres domaines, mis à part les cours que vous leur donnez ? Par
exemple, s’ils rencontrent des problèmes à leur travail, ne viennent-ils pas vous demander de
l’aide ?
- S’ils nous demandent de l’aide, nous nous efforçons de les aider, mais nous ne promettons pas de
pouvoir y parvenir. Par exemple, s’ils ne trouvent pas de travail, nous ne lui promettons pas que
nous arriverons à lui trouver un emploi. Mais nous demandons autour de nous, nous l’aidons à
rédiger son CV et lui expliquons comment doit-il s’y prendre.
- Pourriez-vous expliquer votre propre situation ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à
venir travailler ici, quelle est votre formation ?
- J’ai étudié la science et l’ingénierie des matériaux, ce qui n’a aucun lien avec ce que je fais ici. Je
n’avais jamais pensé avant que je ferais ce travail. Mais cela fait déjà 4 ans et demi que je suis ici.
En réalité, je voulais changer de métier mais un de mes amis qui travaille également ici m’a dit que
ce travail me correspond très bien. C’est lui qui m’a encouragé à envoyer mon CV. En fait, j’avais
l’impression de ne pas bien comprendre ce métier, mais j’ai tout de même essayé, pour voir un peu
en quoi ce travail consistait. Plus tard, j’ai trouvé que ce métier était plutôt pas mal et intéressant.
Travailler ici me rend assez heureuse, c’est pour cela que je n’ai pas laissé tomber.
- Et vous comptez continuer, non ?
- Oui.
177
- J’ai parlé à d’autres ONG, et ils pensent que, principalement à Shanghai, il y a des changements
récents, par exemple, plus de Chinois qu’auparavant veulent s’impliquer dans le volontariat…
pensez-vous cela également ?
- Oui, ces dernières années. Lorsque j’ai commencé ce travail, il y a 4 ans et demi, et je disais aux
autres que je travaillais dans une ONG, la plupart demandait ce que cela signifiait. Ils me
demandaient si cela revenait à travailler bénévolement, sans salaire. À ce moment-là, les personnes
ne comprenaient vraiment pas ce métier. Les bénévoles étaient principalement tous des étrangers.
Aujourd’hui, de plus en plus de monde comprend en quoi cela consiste. Et le gouvernement fait
également de la promotion au bénévolat, des publicités sur le bien-être public… Il y a aussi des
stars qui s’impliquent en tant que volontaire, aident des fondations… Donc le public comprend de
plus de plus ce domaine. Dans les associations locales qui organisent également des activités, le
nombre de participants augmente de plus en plus.
- Aider les autres rentre dans la mentalité des personnes
- Oui, surtout chez les jeunes. Il y a des personnes plus âgées qui veulent participer, mais moins que
les jeunes. Ceux-ci ont davantage envie de faire des actions bénévoles, ou s’impliquer pour la
communauté.
- En observant ces changements, ne pensez-vous pas que la situation à Shanghai s’améliore de plus
en plus ?
- Oui. En travaillant ici je m’en aperçois de plus en plus. Le nombre de personnes désirant faire du
bénévolat s’accroît. Et au niveau des étudiants aussi. Bien que certains veulent parfois juste obtenir
un certificat. Mais la plupart le font tout de même pour aider autrui. Donc je pense que la situation
plus tard sera encore meilleure.
- Et la situation dans d’autres villes est-elle différente ?
- Je pense que certaines villes prennent en effet plus en compte cet aspect du bien-être public et
l’existence des ONG, surtout dans les villes de Pékin, Shanghai, Canton et Chengdu. En tout cas la
situation à Shanghai peut déjà être considérée comme très bonne sur ce plan.
- Et si vous comparez Shanghai à Pékin, diriez-vous que la situation est plutôt similaire ?
- Non, il y a des différences. Tout d’abord, au niveau de la manière dont le gouvernement fait les
choses.
- Vous voulez dire que le gouvernement gère mieux les choses ici ?
- Oui, je pense que le gouvernement de Shanghai est mieux. Lorsqu’il pense à mettre en place une
politique, leur vitesse d’action est plus rapide. Il agit réellement.
- Pensez-vous que cela à un rapport avec le fait qu’à Shanghai il y a beaucoup d’étrangers ?
- Mais à Pékin aussi, il me semble qu’il y a beaucoup d’étrangers.
- Oui, je veux dire que Shanghai est une ville plus cosmopolite.
- Oui, c’est vrai. Je trouve que l’attitude du gouvernement shanghaien est plus ouverte.
178
27 janvier 2015 – Entretien avec Suzhou On Action International Cultural Center, Suzhou,
province du Jiangsu.*
*Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur
le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet :
http://www.zxd.org.cn/.
Rencontre avec Chen Ling, responsable de projet.
Le centre ne dispose plus de bureau, nous menons donc l’entretien dans une maison de thé tout près de
leur ancien bureau.
- Pourriez-vous tout d’abord présenter un peu l’organisation ? Son nom, sa création… ?
- L’organisation s’appelle Beijing On Action International Cultural Center. En 2008, à la suite d’un
projet, nous avons créé une branche ici à Suzhou. Notre mission est destinée à la population
migrante et ici à Suzhou, principalement des ouvriers industriels. Nous avons également aidé des
ouvriers de construction. Nos activités concernent la protection des droits et la diffusion des lois.
La situation à Suzhou rend l’existence des ONG sur le travail difficile. Au départ il y en avait deux
ici à Suzhou, nous et une autre ONG nommée « Mirgant Workers’ Home », mais ils n’ont plus de
moyen de continuer leurs activités ici. Dans notre cas, nous subissons également la pression du
gouvernement. Nos projets dans ce domaine sont donc en suspens. Pour l’instant, nos services
envers les ouvriers continuent mais sur d’autres aspects qui concernent le travail et d’une manière
secondaire pour les thématiques sensibles, nous ne nous concentrons plus uniquement sur ces
dernières car premièrement, nous manquons de financement, et deuxièmement, l’environnement
politique ne nous le permet pas, donc la situation est difficile.
- En quelle année avez-vous commencé à mener ces projets ?
- En 2008, et par la suite, d’autres projets se sont ajoutés chaque année. Et nous avons pu ainsi payer
le salaire de deux employés et le loyer de notre bureau. L’année dernière, le seul projet que nous
avons organisé est un que nous avons commencé en 2013, car au niveau des financements, il nous
est difficile d’en obtenir, par exemple des financements domestiques, et encore moins venant du
gouvernement, qui ne soutient pas le genre d’activités que nous avons. Tous nos projets reposent
donc sur les fonds obtenus de fondations ou ambassades étrangères. En 2014, notre situation
financière était telle qu’il a fallu nous transformer pour pouvoir continuer à exister. Nous avons
donc enregistré une organisation sociale, elle figure sur ma carte de visite que je vous ai donnée. À
travers celle-ci, nous postulons pour des projets gouvernementaux pour faire des activités destinées
à intégrer les migrants à la communauté locale. Cependant ces activités n’ont pas vraiment de lien
avec la défense des droits des travailleurs. Mais dans le même temps, nous continuons à maintenir
des relations avec les ouvriers. Nous continuons à organiser des activités avec eux, et s’ils ont
besoin de nos services au niveau légal, nous faisons tout pour les aider.
- Qui travaille avec vous ?
- Maintenant le responsable des activités de Suzhou, c’est moi-même. Il y a aussi deux autres
personnes. L’un s’appelle Zhou Yingxian, il était lui-même ouvrier industriel auparavant, ensuite
lorsqu’il est arrivé à Suzhou, il était très intéressé par ce domaine donc il a rejoint notre équipe.
L’autre est un étudiant récemment diplômé de l’université, il s’appelle Ling Jia.
- Quelle est leur formation ?
- Zhou Yingxian a directement été travailler à l’usine après le lycée. C’est à cause de sa situation
familiale, il devait travailler pour pouvoir prendre en charge ses parents. L’autre a obtenu sa licence
en travail social (shehui gongzuo), donc il comprend mieux le domaine dans lequel nous
travaillons.
- Et vous ?
- Moi aussi j’ai étudié le travail social.
- Et comment avez-vous développé un intérêt pour les migrants ?
179
- Au départ, c’était lors de mes études. Le professeur nous expliquait des choses en relation avec ce
sujet. D’ailleurs, notre responsable à ce moment-là s’intéressait beaucoup à la thématique sur
laquelle il a publié de nombreux écrits. C’est une des influences que j’ai reçue. Et puis je suis
arrivée dans ce métier un peu accidentellement. Je ne voulais pas passer à côté de cette opportunité
de travailler dans le monde des organisations sociales, et j’avais envie de travailler ici. Donc, je
suis atterrie à « On Action ». L’organisation a été créée en 2006 à Pékin, et en 2008 est arrivée ici
à Suzhou, donc il me semblait qu’avec l’expérience que l’organisation avait déjà vécue, elle devait
faire preuve d’une certaine force. Et moi, je voulais pouvoir apprendre un peu plus. Ensuite, après
avoir vraiment été impliquée, j’ai réalisé que les ouvriers ne recevaient vraiment aucune aide pour
faire valoir leurs droits. Par exemple, s’ils font face à des problèmes d’arriérés salariaux ou
d’assurances, ils peuvent demander l’aide du gouvernement, mais doivent d’abord remplir une
demande auprès du tribunal, et passer par une étape d’arbitrage, ne parlons pas du temps que cela
prend et sans garantie du résultat. Si jamais l’affaire arrive au procès, il faut payer un montant très
élevé, demander un avocat et y consacrer un temps assez long. Les ouvriers n’ont pas ce temps à
perdre, et comme ils ne sont pas sûrs de l’aboutissement, ils laissent tomber et n’ont pas les moyens
de se battre pour récupérer quelque chose qui leur appartient. À Suzhou malgré la pression du
gouvernement, les ouvriers ont besoin d’une organisation comme nous pour les aider à défendre
leurs droits, c’est pour cela que nous devons continuer à exister.
- Mis à part le côté légal, y a-t-il d’autres domaines pour lesquels vous leur apporter de l’aide ?
- Le partie légale reste la plus importante. Depuis 2014, nous avons commencé petit à petit à
promouvoir les négociations collectives. Parce qu’en Chine, la plupart des usines comportent un
syndicat, mais ils ne représentent pas du tout l’intérêt collectif des ouvriers car il a été créé par les
cadres et n’emploie donc aucun moyen pour entreprendre des consultations auprès des ouvriers par
rapport à leurs conditions et arriérés salariaux. Au contraire, ce genre de syndicats défend les
intérêts de l’entreprise. C’est pour cette raison que nous pensons qu’il est important pour les
ouvriers de pouvoir compter sur leurs propres forces collectives. En 2014 nous avons donc tenté de
travailler sur cet aspect, d’autant plus qu’il y a des ouvriers très intéressés. Cependant, nous faisons
face aux limites du financement, et des politiques en place, nous faisons tous nos efforts mais
n’avons pas encore obtenus de résultats.
- Quant au problème de l’éducation des enfants des migrants ?
- La plupart des ouvriers migrants travaillant dans les industries ont laissé leurs enfants dans leur
ville d’origine. En tout cas, ils sont très très peu à avoir emmené leurs enfants. Si les enfants n’ont
pas le hukou local, ils vont aux écoles pour enfants de migrants.
- Ah cela existe donc ici aussi ?
- Oui il y en a beaucoup, mais au niveau des infrastructures, il y en a dont les conditions sont
vraiment médiocres, d’autres un peu meilleures.
- Les écoles reçoivent-elles l’aide du gouvernement ?
- Il me semble que non, pas du tout.
- Donc la situation n’est pas la même qu’à Shanghai.
- Non, dans ce domaine, le gouvernement local n’a pas encore fourni d’effort comme le fait celui de
Shanghai. Il y a peut-être quelques écoles qui reçoivent de l’aide, mais très peu, d’après les
informations que nous avons sur plusieurs écoles de migrants. À Suzhou, il y a plus ou moins près
d’une centaine d’écoles pour les enfants des migrants. Parmi celles-là, seules 4 remplissent les
critères, au niveau de l’échelle et l’infrastructure, afin que les élèves de primaire puissent passer
l’examen national pour entrer au collège. Quant au reste, les élèves ne peuvent que retourner dans
leur ville natale s’ils veulent pouvoir poursuivre leurs études mais doivent payer des frais assez
élevés pour ce faire.
- Et quant est-il de la situation à Pékin, car vous disiez que le bureau y est installé depuis plus
longtemps ?
180
- En réalité, je ne connais pas bien la situation de Pékin car j’ai toujours été ici à Suzhou.
- Mais savez-vous s’ils rencontrent les mêmes difficultés qu’ici ?
- Vous parlez des migrants et leurs enfants ?
- Oui.
- Je pense que la situation est plus ou moins similaire. Peut-être qu’à Pékin elle est un peu meilleure,
car c’est la capitale et en réalité cela dépend du degré d’ouverture du gouvernement… À Pékin, il
semble que c’est un peu mieux, ou du moins lorsqu’ils organisent les activités avec les ouvriers,
cela n’arrive pas souvent qu’ils soient dérangés par la police. Dans notre cas, malgré que nous
ayons fait enregistrer une autre organisation, nous ne parvenons pas à obtenir des résultats à cause
du gouvernement. Il nous reproche des choses que nous avons faites dans le passé et ne l’accepte
pas.
- Pensez-vous que le gouvernement de Pékin encourage-t-il plus l’existence des ONG ?
- Non, il n’encourage pas non plus, je veux dire qu’au moins il ne pose pas perfidement des
obstacles.
- Vous voulez-dire qu’il ne pose pas de limite ?
- Il pose parfois des limites, mais lorsqu’il y a des problèmes, ils viennent directement trouver le
responsable de l’ONG pour discuter. Si par la suite, ils pensent que les activités ne posent pas de
problème alors ils n’interviennent pas davantage. Ici à Suzhou, ce n’est pas pareil, le gouvernement
ne vient pas discuter avec moi mais tout arrêter directement, qu’importent les activités que nous
menons.
- Que pensez-vous que le gouvernement devrait entreprendre pour régler les problèmes que
rencontrent les ouvriers migrants ? De quelle manière pourrait-il solutionner le problème ?
- Je pense que, en ce qui concerne la réclamation des salaires des migrants, la meilleure façon de
faire c’est à travers un syndicat. Il faudrait que les syndicats qui sont déjà en place puissent remplir
les fonctions qu’ils devraient remplir. Ce serait déjà une très grande avancée sur ce plan.
- La plupart des ouvriers ici font quelle sorte de travail ?
- Nombreux sont ceux qui travaillent dans le domaine de l’ingénierie électrique, c’est-à-dire dans les
nouvelles technologies.
- Et quels sont les problèmes qu’ils rencontrent le plus ?
- Ici, ils ont surtout des problèmes en ce qui concerne les maladies professionnelles. Et aussi, au
niveau des conditions de travail, ce qui a trait à la sécurité. Peut-être avez-vous entendu parler de
l’explosion dans une usine de Kunshan ? Je ne me rappelle plus exactement dans quel domaine. En
tout cas, il y a eu plusieurs explosions qui ont causé plus d’une centaine de blessés et de morts.
C’était un problème sécuritaire assez grave. Et par après évidemment, tout le monde parlait de cette
explosion et des victimes. Mais peu de personnes ont attaché de l’importance au fait que ces
explosions sont dues à la présence de substances dans l’air que les travailleurs inhalent et qui
aboutissent sur une maladie professionnelle.
- En quelle année est-ce arrivé ?
- L’année dernière, en août 2014. Mais si vous cherchez maintenant sur internet, les informations ont
déjà presque toutes été supprimées. Tout début, lorsque cela venait d’arriver, il y avait des
publications, mais dès le 2 août, les informations ont été supprimées. Donc l’événement s’est
produit en juillet, le 26 ou le 27. Et le gouvernement de Suzhou a commencé à éplucher les
informations un article après l’autre, et tout ce qui avait un lien avec l’événement était retiré et
supprimé. Il n’y a peut-être donc plus moyen de voir à présent ce qu’il s’est passé.
- Votre travail à présent doit être difficile à mener, n’ayant plus de bureau, comment trouvez-vous
les personnes qui nécessitent votre aide ?
181
- Nous les avons trouvés tout au début de nos activités. Depuis 2008, nous fonctionnons avec un
groupe d’ouvriers bénévoles. Nous organisons souvent des activités auxquelles ils participent. On
peut dire que nous avons liés des contacts avec eux. Ensuite, sous leur impulsion, de plus en plus
de personnes ont commencé à participer à nos activités, et à comprendre notre objectif. Alors,
lorsqu’ils ont des problèmes, ils nous téléphonent ou nous demandent de les aider directement via
internet. Voilà en trois mots comment nous travaillons.
- Et à présent, quant est-il ?
- Maintenant, nous travaillons davantage de cette façon. En fait, avant nous nous rendions encore
aux entrées des usines, où nous affichions des messages de promotion de nos services. À présent,
nous ne pouvons plus du tout employer cette façon de faire, nous devons davantage nous appuyer
sur les contacts que nous avons liés, pour que ceux-ci puissent nous aider à atteindre plus
d’ouvriers. Nous portons aussi attention à la situation des usines, car, bien qu’il n’y ait aucun
rapport là-dessus, de très nombreuses grèves se passent chaque année, de grandes et de moins
importantes. Certaines pour réclamer une diminution des heures supplémentaires, d’autres pour
réclamer une augmentation des salaires de base… en fait, il y en a de toutes sortes. Nous restons
très attentifs aux événements afin d’intervenir de façon continue.
- Pensez-vous que l’attitude des ouvriers a changé dans le temps ?
- Oui certainement ! Sur le plan de la reconnaissance de leurs droits, oui, il y a du changement, ils
sont plus conscients. Cependant, ils agissent encore peu. Ils montrent plus une attitude insatisfaite
et amère, ils pensent ne pas pouvoir gagner contre l’entreprise ou le gouvernement.
- Quant est-il de l’attitude du gouvernement ? A-t-elle changé ?
- Le gouvernement a toujours recherché à maintenir une situation de stabilité. Il porte peu d’attention
aux conditions de bien-être et conditions de vie des ouvriers. Il peut parfois, mais en général, il
passe par les syndicats, et couvre une petite partie des ouvriers. Cependant les syndicats couvrent le
niveau supérieur des employés. Chacun des ateliers comporte un superviseur pour une équipe. Les
syndicats sont là pour ces superviseurs. Mais pour peut-être 40 ou 50% des employés, qui
constituent les niveaux inférieurs, les ouvriers industriels, la situation ne s’améliore pas. Une des
raisons est aussi leur temporalité. Ils travaillent là cette année, et l’année suivante ils changent de
lieu de travail car les conditions sont mauvaises, les salaires trop bas… donc ils changent de travail
ou quittent carrément Suzhou. L’attitude du gouvernement envers cette population, se résume ainsi
selon nous : tant que les ouvriers ne créent pas de problèmes (/ne se révoltent pas), tout ira bien ;
tant qu’ils ne provoquent aucune incidence négative sur le gouvernement, tout ira bien.
- Savez-vous ce qu’il se passe lorsque le gouvernement trouve des ouvriers qui seraient à Suzhou
« illégalement » ? Des ouvriers qui n’auraient pas le permis de résidence temporaire ?
- Le permis de résidence temporaire ? La plupart des ouvriers ne l’ont pas… ! De toute façon, le
gouvernement ne montre aucune attitude agressive… De ce que je comprends, la décision de faire
le permis de résidence incombe à chacun. Si tu veux, tu le fais, sinon, le gouvernement ne te force
pas à le faire. Le gouvernement ne contrôle pas de façon stricte.
- Pensez-vous que le gouvernement voit les ouvriers-migrants comme un problème à résoudre ? Ou
il voit juste que c’est un problème, mais qui a toujours existé, et ne fait rien pour le résoudre ?
- Je ne sais pas s’ils pensent que c’est un problème à résoudre ou qu’ils ont leur façon de le faire.
Mais en tout cas actuellement, on ne dirait pas qu’ils ont conscience, enfin si, ils en ont conscience,
du moins, ils n’agissent pas pour résoudre le problème des ouvriers-migrants.
- D’après ce que vous disiez, il semble qu’à Suzhou, il est difficile d’exister en tant qu’organisation à
but non lucratif, car le gouvernement ne vous soutient pas du tout, n’est-ce pas ?
- Non, je parlais des organisations comme nous, qui touche aux droits du travail.
- Ah, seulement vous alors ?
- Oui, absolument.
182
- Mais y a-t-il d’autres ONG qui aident également ce groupe de bénéficiaires ?
- Non. Ou tout au plus, il existe des ONG dont le groupe de bénéficiaires est « la population
flottante », ce qui inclut les ouvriers-migrants, mais ils ne constituent pas les bénéficiaires
principaux. Mais les services sont assez restreints, et la plupart se focalisent sur les enfants des
migrants, principalement de leur éducation. Mais si vous parlez d’ONG qui prend en charge
principalement les ouvriers-migrants, alors on peut dire qu’il n’y en a aucune autre.
- Pouvez-vous expliquer justement la différence entre la population flottante et les ouvriersmigrants ?
- Pour être considéré parmi la population flottante à Suzhou, le seul critère est que le lieu de
résidence permanente ne soit pas Suzhou. Moi-même je fais partie de la population flottante, car
mon lieu de résidence permanente est mon lieu d’origine. Si je viens à Suzhou, c’est possible que je
reste un an, deux, trois, quatre ans… Et après ces quelques années, je m’en vais. Pour cela, je suis
aussi considérée comme faisant partie de la population flottante.
- Et celle-ci comprend également les ouvriers-migrants ?
- Oui, les ouvriers-migrants, ou d’autres employés dans une entreprise… tous ceux dont le lieu de
résidence permanente n’est pas Suzhou.
- Et pourquoi, parmi la population flottante, ce sont les ouvriers-migrants qui rencontrent le plus de
problèmes lorsqu’ils viennent ici travailler ? Pourquoi eux ne reçoivent-ils pas l’aide du
gouvernement ?
- En réalité, le gouvernement n’apporte pas beaucoup d’aide lorsqu’il s’agit de l’ensemble de la
population flottante. Cependant, parmi celle-ci, ce sont les ouvriers qui sont le plus affectés par les
problèmes relatifs au travail, car, tout d’abord, ils représentent le plus grand nombre de personnes.
Ensuite, leur charge de travail est la plus élevée. Quant au salaire mensuel qu’ils reçoivent, ce n’est
pas le plus bas, mais par exemple, pour un salaire de 4000 Yuan par mois, ils travaillent peut-être
12 heures par jour. Pour un même salaire, le reste travaille peut-être 8 heures par jour. Leur salaire
de base est en réalité très bas, il équivaut au salaire le plus bas de Suzhou. Et s’ils veulent gagner
un peu plus, alors ils sont obligés de faire des heures supplémentaires.
- Quels résultats votre organisation a-t-elle obtenus ? Êtes-vous parvenus à des réussites ? Ou avezvous connus des échecs, des obstacles…depuis votre création ?
- Nous sommes parvenus à lier petit à petit des liens assez forts avec les ouvriers. Nous avons mené
pas mal de projets. Par exemple, nous avons même aidé à former des jeunes ouvriers, je parle de
jeunes à peine sortis de l’école qui commencent déjà à travailler, et pour cette raison ratent
l’opportunité de continuer leur formation académique. Nous avons obtenus de bons résultats sur ce
projet. Nous avons également fourni des formations aux négociations collectives, ainsi que des
mises en situation. Nous expliquons aux ouvriers qu’il y a des choses que tout seul, il est difficile
d’accomplir, mais si tous les ouvriers industriels se mettent ensemble, ils peuvent parvenir à des
résultats, car ils se battent alors pour des intérêts communs. Sur ce plan, nous avons vraiment réussi
à faire passer le message, ainsi de nombreux ouvriers en ont désormais conscience. C’est une autre
de nos réussites. Par contre, concernant nos échecs, tout d’abord il y a le fait que nous sommes
soumis au gouvernement et nos projets ne peuvent pas avoir plus d’impacts. Nous sommes donc
limités. Nous ne pouvons pas nous rendre « en grande pompe » dans les autres usines de Suzhou
pour recruter d’autres participants et promouvoir nos activités, c’est impossible de le faire de cette
manière. Notre travail rencontre donc des limites. Notre champ d’action se résume aux quelques
usines qui se trouvent dans le nouveau quartier. À cet endroit sont regroupés nos ouvriers bénévoles. Nous aimerions pouvoir promouvoir nos activités directement sur place, mais nous n’en
avons pas la possibilité.
- Et quels sont d’après vous les points forts et les points faibles de votre organisation ?
- Notre point fort, c’est le travail que nous faisons avec nos ouvriers-bénévoles. Et l’organisation de
nos activités est aussi bonne. Notre point faible, c’est que le gouvernement ne puisse pas nous
183
laisser faire nos activités librement. Notre travail est encore trop affecté par le gouvernement.
Cependant, je sais que dans d’autres endroits, y compris pour notre organisation à Pékin, la relation
avec le gouvernement est meilleure, en ce sens que le gouvernement ne s’en mêle pas trop,
l’organisation l’avertit des activités menées, et ce dernier n’intervient pas. Ici à Suzhou, quelle que
soit l’activité que nous menons, si le gouvernement est averti, il vient tout de suite y mettre fin.
Ainsi, je pense qu’au niveau de notre relation avec le gouvernement, il y a encore du chemin à
faire. En outre, notre équipe n’est pas assez stable, le personnel change souvent. Depuis 2008, je ne
me rappelle même plus combien de fois l’équipe a changé. Mais c’est également à cause de
l’instabilité de notre situation, et le fait que le personnel subit une grande pression. En plus, ils ne
veulent pas avoir à faire avec la police. Donc le personnel tourne et cela influence également notre
travail. Par exemple, au moment où un projet est mis en place et parvient enfin à un résultat, le
responsable décide de s’en aller.
- Je n’ai peut-être pas bien compris, mais lorsque vous mettez vos activités en place, il y a des
bénévoles qui viennent vous aider, c’est bien cela ? Parce que vous n’êtes que trois personnes…
- Oui. Bien que les bénéficiaires de nos activités soient les ouvriers, mais ceux-ci nous aident par
exemple dans les préparations ou la coordination de nos activités. Et puis ils participent de manière
solidaire.
- Pensez-vous qu’il y a eu un changement récent au niveau du nombre de personnes qui souhaitent
vous aider en tant que bénévoles ?
- Oui, tout à fait. Notre groupe de bénévoles ne fait qu’augmenter. Mis à part les bénévoles-ouvriers,
nous avons aussi des étudiants universitaires. Ceux-ci soutiennent beaucoup les ouvriers, en
particulier lorsque nous organisons des activités, ils sont très enthousiastes à venir participer.
- Et quand pensez-vous que ce changement a-t-il eu lieu ?
- Je pense que c’est un processus continu, qu’il y a toujours eu cette transformation. En particulier
après 2010, davantage de personnes ont commencé à exprimer ce sens du devoir.
- Pourquoi 2010 ?
- Concrètement je ne sais rien, mais peut-être c’est parce qu’à partir de 2010, le gouvernement a
commencé à promouvoir les activités liées au bien-être public, c’est-à-dire, le développement de ce
que l’on appelle le secteur tertiaire. Donc davantage de personnes ont commencé à comprendre le
secteur non-marchand, et ont commencé à vouloir y prendre part, en participant à des actions de
volontariat.
- Je voudrais encore savoir de quelle façon voyez-vous le futur ? Êtes-vous optimiste ou plutôt
pessimiste ?
- Nous sommes tout de même encore très optimistes par rapport au futur. Malgré que de 2008
jusqu’à présent, notre existence n’a pas été facile, et malgré que la situation de 2008 semblait être
même meilleure qu’à présent, nous trouvons tout de même que sur le plan de la prise de conscience
des ouvriers par rapport à leurs droits, la situation ne fait que s’améliorer. Oui, ils sont nombreux à
avoir conscience de leurs droits, ils n’ont simplement pas encore engagé d’actions à ce sujet. De
plus, le nombre de grèves dans chacune des usines augmente de plus en plus, cela montre qu’une
partie d’entre eux a déjà commencé à agir. Mais pourquoi les grèves n’aboutissent-elles pas ? Je
pense que c’est à cause du manque de stratégie et d’organisation, n’est-ce pas ? Toutefois, c’est un
processus en amélioration constante. À présent, la situation de notre organisation est peut-être
plutôt difficile, mais notre Président Xi Jinping a dit qu’il fallait permettre aux organisations
sociales de s’enregistrer, et il a insisté sur les organisations telles que la nôtre, en charge de la
défense des droits de travail pour la population migrante. En prenant compte de ces paroles, alors je
pense que dans le futur, le gouvernement sera de plus en plus ouvert. En réalité, le gouvernement
comprend et connaît notre mission, et cela peut arriver qu’il l’accepte, en particulier ceux qui sont
souvent en contact avec nous, à condition que nous leur disons ce que nous faisons. Même si, en
fait, le gouvernement sait que ce que nous faisons est correct. Mais alors pourquoi ne soutient-il pas
ou autre ? C’est parce qu’il a aussi ses propres responsabilités à prendre.
184
- Ne pensez-vous pas que le problème se trouve dans le fait que beaucoup de liberté est laissée au
gouvernement local ?
- Si l’on compare, le gouvernement de Pékin est plus ouvert, alors que l’attitude du gouvernement de
Suzhou a, depuis toujours, été de s’efforcer à maintenir une stabilité pour attirer les investissements
étrangers. Il veut éviter les ennuis, donc il ne peut tolérer ces changements sociaux. Au contraire, à
Pékin, la façon de pensée du gouvernement est plus ouverte, et il perçoit mieux la manière dont la
situation va évoluer car il est plus proche du gouvernement central. En fait, je pense que parmi les
autorités supérieures, ils sont plutôt pour que les ouvriers défendent leurs droits, en tout cas, ils ne
s’y opposent pas catégoriquement. Quant aux gouvernements locaux, d’une part ils sont plus
préoccupés que ces actions ne déstabilisent la situation locale. D’autre part, si les entreprises
perdent de l’argent, cela pourrait avoir des conséquences sur leurs revenus fiscaux, cela influence
de façon certaine leurs intérêts financiers. C’est pour cette raison que les gouvernements locaux
soutiennent beaucoup moins ces mouvements.
- Savez-vous les différences qui existent entre la situation de Suzhou et celle de Shanghai ? Car j’ai
surtout interrogé des ONG à Shanghai qui travaillent plus sur le problème de l’éducation des
enfants des migrants.
- À Shanghai en tout cas je n’ai pas connaissance d’ONG qui défendent les droits du travail… En
existe-t-il ?
- Il y en a, mais je n’ai pas réussi à les contacter… Cependant j’aimerais savoir si vous connaissez
les différences entre les deux villes quant à la situation des ouvriers ?
-
En réalité, il y en a beaucoup de similitudes. Je me rappelle l’année dernière une affaire concernant
la protection des droits collectifs dans une usine de Shanghai appelée Nainakasi. L’usine allait se
délocaliser et devait donc licencier la plupart des employés. Avant de s’en aller, ils ont donc
commencé à baisser les salaires. Au départ, le salaire mensuel de certains s’élevait à 6000 Yuans
approximativement. Après la première baisse salariale, il n’était plus que de 4000, et ensuite
3000… quelque chose comme ça. Non seulement les salaires étaient réduits, mais d’autres
avantages ont aussi commencé à être supprimés. Les ouvriers étaient de plus en plus mécontents et
indignés. L’entreprise voulait les forcer à démissionner pour ne devoir leur verser aucune
compensation. Ainsi les ouvriers ont entamé une grève de deux semaines environ. Cependant, nous
sommes intervenus plus tard, car lorsque cela s’est passé, Shanghai devait justement organiser un
événement international, une exposition qui se tenait en mars ou en avril l’année dernière (*IE expo
2014). Le gouvernement a donc contacté les entreprises. Ils ont envoyé la police antiémeute et des
policiers armés. Ils ont placé des barrières tout autour du site ne permettant à personne de sortir.
Cette nouvelle a également été bloquée et à l’intérieur de l’usine, les téléphones portables ne
captaient pas de réseau, et leurs numéros avaient été bloqués. Aucune information n’a donc pu être
publiée. Quand nous avons été avertis de l’événement, la grève était presque terminée. Nous
sommes parvenus à contacter certains des ouvriers sur place. Après deux semaines d’arrêt de
travail, ils n’ont obtenu aucun résultat. Ils étaient très désespérés. En fait, leur situation et celle de
Suzhou sont un peu similaires. Il y a une grande pression de la part du gouvernement, et il y a très
peu d’ONG dans le domaine du travail. Ainsi, les ouvriers reçoivent peu d’aide extérieure. Euxmêmes ont toutefois conscience de leurs droits. Cependant, même s’ils tentent des actions
collectives, ils manquent encore d’organisation et de technique et échouent ainsi à faire valoir leurs
revendications.
- C’est une de vos façons de travailler de s’informer de la situation dans d’autres villes et la
comparer à celle de Suzhou ?
- Oui, il nous arrive d’apprendre en regardant comment la situation est gérée dans d’autres villes,
cependant nous ne pouvons pas reproduire exactement de la même manière de faire, car la situation
dans chaque région est différente, y compris les conditions de travail des ouvriers dans chaque
usine ne sont pas les mêmes. Par exemple, à Canton, malgré que le gouvernement impose
également une grande pression dans ce domaine, lorsque les ouvriers veulent faire grève, ils sont
vraiment animés par une volonté de lutter pour leurs droits, et ce, tous unis, mais s’ils pensent
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qu’ils n’arriveront à rien, alors ils préfèrent partir trouver autre chose. À Suzhou, la pluparts des
ouvriers ne raisonnent pas de cette manière. Ils pensent plutôt, comme on dit en chinois « le fusil
atteint la tête de l’oiseau qui dépasse », ils ne veulent pas être cet oiseau, ne préfèrent pas se faire
remarquer. Donc, la façon d’agir dépend aussi de l’endroit où l’on se trouve, et de la culture des
ouvriers, on ne peut donc pas appliquer la même méthode partout.
- Pouvez-vous m’expliquer les partenaires que vous avez ? Je suppose que vous n’avez pas de
partenaires gouvernementaux, mais plutôt des ONG, ou des organisations privées ?
- Oui nous avons des partenariats, mais pas de partenaires de Suzhou car ici les ONG sont toutes
sous le contrôle du gouvernement. Donc leurs projets vont rarement à l’encontre de la volonté du
gouvernement. Et puis, comme je l’ai mentionné, dans le domaine du droit du travail, il n’existe
plus que notre organisation à Suzhou. Mais nous nous trouvons à présent dans une situation
précaire, car nous ne parvenons pas à obtenir les financements dont nous avons besoin pour nos
projets, nous faisons face à un réel manque de fonds. Donc nos deux employés travaillent dans le
bureau de notre organisation sociale, avec les autres employés, mais nous ne pouvons pas dire à nos
partenaires, au gouvernement ou à d’autres ONG qu’ils sont en fait chargé des services concernant
les droits du travail. Sinon, nous risquerions d’avoir des ennuis.
- Vous dites que vous avez des problèmes de financement mais êtes quand même positifs par rapport
au futur, je ne comprends pas comment pensez-vous continuer à mener vos activités ?
- Vous parlez de l’avenir de l’organisation en elle-même ?
- Oui.
- Ah, sur ce plan, je n’ai pas encore beaucoup réfléchi. Mais je pense que dans le futur, la situation
va s’améliorer peu à peu surtout en raison de l’éveil de la conscience que les ouvriers eux-mêmes
développent concernant leurs droits. Cela veut aussi dire qu’ils commencent à vouloir les défendre,
et grâce à notre aide, il y en aura de plus en plus qui pourront y parvenir. Et je pense que le
gouvernement, sous l’influence des ouvriers mais aussi des autorités supérieures, va aussi réaliser
peu à peu qu’il n’est pas correct de ne rien faire pour cela. Du moins, nous espérons que le
gouvernement aura ce changement d’attitude. Concernant nos fonds, ce n’est pas clair. Auparavant,
les fonds utilisés par notre organisation Suzhou On Action, ce n’est pas moi qui les ai trouvés, mais
Ma Yang. Mais lui-même n’est pas du tout pessimiste, il pense qu’il est encore possible de
développer nos projets. Mais je ne sais pas d’où il tient cette optimisme, peut-être que la situation à
Pékin est un peu meilleure. Concernant nos partenaires, nous en avons dans le sud, à Canton par
exemple, il y a plusieurs ONG qui agissent dans le domaine des droits du travail. Nous avons
beaucoup de contact avec eux, par exemple avec Zeng Peiyang à Panyu, dans la province de
Canton. À Shenzhen il y a une organisation qui s’appelle Zhongguo Laodong Weiquan Lüshisuo
(LaoWeiSuo) (Bureau d’avocats chinois pour la défense des droits du travail), créé par Maître
Duan Yi. Nous avons une bonne relation de collaboration avec eux. Ils nous apportent leur aide sur
des affaires qui se passent ici. À Hong Kong, nous avons aussi des contacts avec Zhongguo
Laodong Tongxun (China Labour Bulletin). Ils organisent souvent des formations ou d’autres
événements auxquels nous assistons. Ils financent également notre bureau qui se trouve à Wuhan.
- Et avez-vous des contacts avec des ONG étrangères ?
- Notre bureau de Pékin a plus de contact, ici à Suzhou nous n’en avons pas beaucoup. Avec Ma
Yang à Pékin, ils parviennent à avoir plus de ressources. Ici, nous avançons vraiment petit à petit,
et à présent nous sommes plutôt face à une période creuse. L’ancien responsable qui travaillait
avant moi ne m’a peut-être pas transmis toutes les ressources dont il disposait. Cela fait à peine un
an que je suis ici, je n’ai pas vraiment encore pu entrer en contact avec beaucoup d’ONG qui se
trouvent dans d’autres régions.
- Faites-vous parfois du plaidoyer envers des institutions étrangères pour améliorer la situation des
ouvriers ?
- Oui. Cette année à Pékin par exemple, il y a eu plusieurs activités avec les États-Unis et le Japon. Il
me semble que ce sont surtout ces deux pays qui soutiennent beaucoup les organisations qui
186
travaillent avec les ouvriers. Et Ma Yang va souvent à l’étranger ou à Hong Kong, où il échange
avec des ONG étrangères, et explique comme la situation évolue.
- Il semble qu’à ce niveau il est très important de collaborer pour pouvoir mieux aider les ouvriers,
n’est-ce pas ?
- Oui tout à fait.
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28 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Lequn Social Work Service, Shanghai.*
*Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur
le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet :
http://www.lequn.org/.
Rencontre avec Zhang Shengye, responsable du projet des enfants migrants.
L’organisation se trouve dans l’incubateur d’ONG de Pudong, construit et fourni par le gouvernement.
- Je vais vous présenter chacun de nos projets un par un. Lequn a été créé très tôt, en 2003, nous
sommes assez fiers de dire que nous sommes la première organisation non lucrative privée à avoir
été créée en Chine, la première organisation de service (fuwu jigou) à caractère social.
- La première ?
- Oui. Nous mettons ce fait en avant car nous sommes les premiers dans le domaine du travail social.
En réalité nous avons commencé en 2002. À ce moment-là, nous n’avions qu’un projet en cours,
dirigé envers les enfants des migrants. Avant ce n’était pas le département de l’administration
civile mais le Bureau du développement social qui, devant les besoins, avait financé le projet pour
voir quels résultats pouvaient être accomplis. Cela a commencé avec un groupe de jeunes diplômés
en assistance sociale, qui étaient eux-mêmes migrants, et non originaires de Shanghai. Après un an
de projet, en voyant que des petits progrès avaient déjà été réalisés, et que la demande était assez
grande en considérant le nombre de migrants à Shanghai et l’inexistence de services, le
gouvernement a pensé qu’il était justifié de donner une autorité Lequn. C’est pourquoi après un an
à fournir des services à une école d’enfants de migrants, Lequn a été créé.
- Et le fondateur est-il lui aussi migrant ?
- Non, en fait Lequn comporte un conseil d’administration. L’organisation a été fondée par des
privés et l’association d’action sociale de Pudong, car nous sommes dans le district de Pudong ici.
L’association d’action sociale de Pudong finance les activités de Lequn. C’est grâce aux fonds
alloués que Lequn a pu démarrer ses projets. La plupart des fondateurs sont des universitaires. Il y
a le Professeur Wu Duo du département du travail social de l’Université Normale de la Chine de
l’Est, il est plutôt réputé dans son domaine et a beaucoup d’expérience. Il y a aussi le directeur
administratif de Hong Kong Christian Service, Monsieur Wu Shuili, mais il a pris sa retraite
l’année dernière. Il s’occupait de la direction. Il y a encore Yang Tuan, directrice de recherches de
l’Académie des sciences sociales à Pékin. Il y a aussi les employés de Pudong Social Workers'
Association qui nous aide. Cela fait déjà 11 ans que nous existons, cette année nous entamons notre
12e année. Notre responsable a changé, il s’agit à présent d’un avocat, il collabore avec un cabinet
d’avocats, il a étudié un Master en action sociale à Hong Kong. Donc ce sont ces personnes qui ont
fondé Lequn, et c’est en partie car ils viennent du monde académique, et non des entreprises, qu’ils
ont remarqué les besoins sociaux donc du sens de l’existence d’une organisation comme Lequn.
Lequn a donc été créé et enregistré, sinon, il aurait été difficile de réaliser les projets. Parce que
l’investissement du gouvernement ne peut pas être si élevé, nous ne reposons pas entièrement sur
l’aide du gouvernement. Il y a certains projets que nous menons en partenariat avec le
gouvernement, mais pour une autre partie des projets, nous devons récolter des fonds et évaluer les
besoins. La création de Lequn n’aurait pas été possible avec des hommes d’affaires, ou des
personnes ayant de nombreuses appréhensions… Car une fois l’organisation créée, la route est
encore longue et pénible. Au début, Lequn a commencé avec les jeunes, et puis a peu à peu aidé
également les personnes âgées. Nous avons aussi fourni des services sociaux dans le domaine
médical. Mais à Shanghai, pour travailler dans ce domaine, il faut vraiment être spécialisé. La
plupart des assistants sociaux médicaux sont des infirmiers de formation. Ils ont d’abord suivi des
études d’infirmier et ensuite obtenu le certificat d’assistants sociaux. Après avoir suivi cette
formation, ils deviennent donc des assistants sociaux médicaux. Intervenir dans ce domaine sans
avoir de personnel ayant suivi de formation médicale est très difficile. Après un moment, nous
avons donc pensé que nous n’étions pas assez spécialisés pour continuer dans ce domaine, alors
nous avons mis fin à certains projets que nous avions. Nous nous sommes également chargés de
services sociaux dans les maisons de repos, mais par la suite, les services sociaux dans ces
188
établissements ont commencé à être pris en charge dans un système, en utilisant les fonds internes
excédentaires. Nous avons donc peu à peu mis fin à ces services. À présent nous nous rendons
surtout dans les communautés où se trouvent des centres de soins pour les personnes âgées. Car,
d’après nous dans les maisons de repos, il y a plus besoin de personnels de santé, qui ont la
capacité de prodiguer des soins et permettent le rétablissement. Lorsque les personnes âgées sont
encore physiquement en forme, alors ils restent à leur domicile et se rendent dans les centres de
soins de la communauté. C’est ceux-là que visent nos services. Le gouvernement nous confie
également des projets concernant cette population. Nous organisons également des activités dans
les communautés.
- Et concernant les jeunes, vous avez commencé ce projet en 2003 et quant est-il à présent ?
- Nous avons toujours maintenu ce projet, depuis le début jusqu’à maintenant. C’est un projet qui a
toujours été au centre de nos préoccupations. Car nous pensons que cette population fait face à de
grands besoins, plus que pour les enfants qui sont dans les écoles publiques. Car ils sont non
seulement dans une période d’apprentissage, et donc ont des besoins communs aux autres enfants,
mais en outre ils doivent suivre leurs parents dans une ville qui leur est étrangère, pour y vivre et
poursuivre leur formation scolaire. Un projet que nous avons mis en œuvre depuis plusieurs années,
c’est celui de « S’intégrer dans la société ». Il est toujours en cours, car nous avons effectué de
nombreuses recherches et en général les enfants qui arrivent avec leurs parents à Shanghai ont en
moyenne 5-6 ans, et ne sortent jamais de leur nouveau lieu de résidence, donc ils ne connaissent
pas Shanghai et la beauté de la ville. Ils ne sont pas Shanghaïens et ne peuvent donc profiter des
politiques mises en place par le gouvernement. Leurs parents travaillent et ils habitent dans les
petits villages ou bourgs de la banlieue de Shanghai, leurs conditions de logement sont très
mauvaises, dans des maisons en mauvais état et très bon marché, et abritent de nombreux membres
d’une même famille. Donc l’environnement dans lequel ils vivent ne reflète pas les meilleures
conditions que la ville a à offrir. En outre, ils ne peuvent profiter d’aucun service social et ne vont
jamais s’amuser, ils ne sortent jamais du village. Ainsi, ils n’ont aucune connaissance de la vie en
ville, ni de sentiment d’intégration.
- Et comment faites-vous ?
- Par exemple, (en me montrant le fascicule) c’est le projet que nous mettons en place cette année.
« J’habite à Shanghai » est un projet d’intégration dans la ville. Il est financé par de nombreuses
personnes. Ce qui est dommage, c’est que les projets financé par le gouvernement visent les jeunes
shanghaïen. Il finance peu les projets envers la population migrante. Mais ce n’est pas si mal, car
chaque année le Comité de la Ligue des jeunesses communistes de Shanghai organise des projets à
leur égard. Ici c’est un projet pour 2015, « Grandir sainement ». Le Comité nous soutient un peu
chaque année dans le financement de ce projet. Cependant, la plupart des fonds d’assistance au
bien-être de la population, ou les projets financés par le gouvernement sont peu dirigés à
l’assistance des enfants des migrants. Ainsi, pour le financement de notre projet « S’intégrer dans
la société », nous avons dû faire appel à de nombreuses entreprises et fondations ces dernières
années, en général une entreprise ou une fondation finance le projet pour une année. Maintenant,
c’est mieux, et ce depuis 2012, l’entreprise américaine TARGET, une chaîne de supermarché aux
États-Unis qui compte également une fondation, finance nos projets. Nous avons présenté nos
projets en réponse à un appel de propositions en 2012, et depuis lors nous recevons des fonds. En
2015, ce sera déjà la 4e année que l’on reçoit leurs financements. Ils prêtent une attention continue
à nos projets et le personnel de leur entreprise à Shanghai collabore 2 à 3 fois par an pour nous
aider à l’organisation d’activités. C’est vraiment une bonne chose car nous avons enfin trouvé un
partenaire qui soutient un de nos projets sur le long terme. Nous avons des activités que nous avons
intitulé « Parlons de Shanghai de long en large », pour lesquels nous avons nous-mêmes préparés
des cours. Nous avons développé des cours sur l’histoire de Shanghai, la culture, l’architecture, les
mets gastronomiques, ses endroits historiques, ses points remarquables, … Et nous nous rendons
dans les écoles pour enfants de migrants, dans le but de leur faire connaître des choses essentielles
sur la ville de Shanghai. S’ils ne connaissent rien de la ville, comment pourront-ils un jour
l’apprécier ? Par la suite, une fois qu’ils ont acquis ces connaissances, nous les emmenons dans
Shanghai pour visiter les points d’intérêt touristique, mais nous le faisons de diverses façons, par
189
exemple en utilisant des jeux d’exploration qui sont très populaires actuellement, à travers des
courses d’orientation, les laisser faire des recherches, les laisser découvrir par eux-mêmes une autre
facette de la ville, dans le Musée des sciences et technologies de Shanghai, ou le Shanghai Urban
Planning Exhibition Center… On les interroge sur le concept de ces musées et centre d’exposition,
sur la façon dont ils ont été construits, quels sont les différents thèmes abordés… Peut-être que
certains encouragent à la protection de l’environnement, à préserver sa santé, ou d’autres visent les
thèmes de la technologie humaine… Nous les laissons chercher par eux-mêmes. Car à travers le
divertissement, il est important d’apprendre des choses. Une fois rentrés des visites, nous
organisons un concours de peinture et de rédactions. Cela leur permet d’avoir le temps de réfléchir
au sens de la visite qu’ils ont effectuée. Notre objectif est aussi de leur apprendre qu’à part recevoir
un soutien des autres, car ces activités sont financées par des entreprises ou des dons privés, ils
deviennent eux-mêmes des membres de la ville, et qu’ils peuvent contribuer à son développement.
Ainsi, nous créons des groupes de volontaires dans les écoles, nous leur donnons une petite
formation. Ensuite nous les emmenons dans des communautés de Shanghai, par exemple dans des
orphelinats, ou des maisons de repos, où ils peuvent rendre des services volontaires.
- Avec la population locale ?
- Oui. Pour qu’ils puissent s’intégrer à la population locale. Nous espérons principalement qu’ils
apprennent à connaître Shanghai, et la culture locale, pour qu’ils aient plus de facilités à s’intégrer
à la population locale. Cela fait maintenant 12 ans que nous organisons ces activités à l’encontre
des enfants des migrants, mais nous avons observé avec le temps qui passe, que par exemple, il y a
des enfants de migrants qui naissent à Shanghai, et lorsqu’ils rentrent dans leur lieu d’origine pour
les fêtes ou le nouvel an, ils disent que les Shanghaïens les méprisent, mais il arrive qu’eux-mêmes
méprisent les personnes de leur lieu d’origine, car leurs conditions de vie se sont améliorées à
Shanghai. Ils critiquent par exemple leurs habitudes d’hygiène qui sont pauvres, ou leur habitation,
la nourriture, les constructions…
- Que faites-vous par rapport à cela ?
- Cela nous a fait réfléchir, par exemple nous avons mis en place le programme « améliorer sa
santé », ou aussi des activités sur le développement personnel. Celui-ci (elle me montre le rapport
d’un projet) est un peu plus spécialisé, c’est pour valoriser le professionnalisme de notre personnel,
nous avons étudié des cas individuels. D’autres activités que nous organisons c’est par exemple les
faire réfléchir en groupe à la beauté de leur lieu d’origine. Ils en font alors des bricolages par
exemple. Parce qu’ils ont parfois des idées préconçues auxquelles ils n’ont jamais eu l’occasion de
réfléchir vraiment. Nous leur donnons alors cette opportunité d’y penser. Et nous analysons les cas
extrêmes pour pouvoir mieux guider les enfants. Nous avons initié le projet « Mon beau village
natal », où nous les invitons tous à s’exprimer, ou d’autres activités, par exemple à travers des
illustrations ils peuvent transmettre leur message. Ils doivent réfléchir et trouver les points forts de
leur village natal, des choses qu’ils ne trouvent pas ici à Shanghai. Par exemple, des montagnes et
des rivières, l’environnement est vraiment meilleur qu’ici, l’air n’est pas pollué… Et nous faisons
la même chose avec Shanghai, même si c’est une grande métropole, il y a aussi de nombreux points
positifs, des choses qui n’existent pas dans leur village natal… Et puis nous leur demandons ce
qu’ils souhaiteraient améliorer à Shanghai, et leur faisons penser qu’ils peuvent y contribuer. Pour
le projet « J’habite à Shanghai », nous avons toujours reçu des fonds, mais le montant n’est pas
élevé au début 20.000 dollars, ensuite 25.000 dollars la troisième année. On regarde d’abord
comment le projet est reçu par le public cible, avant d’augmenter son ampleur progressivement.
Mais à Shanghai, les enfants des migrants sont beaucoup trop nombreux, donc nous faisons appel à
d’autres entreprises pour des projets similaires. Ici il s’agit de l’Oréal, qui finance également des
projets à Shanghai, mais dans d’autres écoles. Nous nous penchons également sur des projets qui
visent des caractéristiques propres à ces enfants. Par exemple, depuis qu’ils sont petits, ils ont
toujours profité des pièces d’eau qui existent dans leur lieu d’origine, des fontaines, de nombreux
endroits dans lesquels ils peuvent nager. Mais à Shanghai, cela peut représenter un danger, surtout
en été, alors qu’ils ne rentrent pas dans leur village à Shanghai et que leurs parents sont très
occupés. Chaque été à Shanghai se produisent de nombreux accidents parmi les enfants des
migrants. Les enfants restent enfermés à la maison, sans la présence de leurs parents, et il y a de
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nombreux éléments dangereux : des outils coupants, des fils électriques, … Il est arrivé que des
enfants mettent le feu à la maison, mais comme ils sont enfermés à clé, ils n’ont pas le moyen de
sortir. Chaque année il y a aussi des enfants qui se noient en voulant nager dans les petites rivières
qui se trouvent dans les villages où ils habitent dans les bourgs autour de Shanghai. Nous avons
donc mis en place des cours sur la sécurité que nous enseignons aux enfants dans les écoles. Nous
nous rendons également dans les villages pour diffuser le message auprès des parents à travers des
cours que nous leur donnons. Oui car le nombre d’accidents reportés chaque année sont plus élevés
au sein de la population migrante. Il y aussi une autre caractéristique des migrants à laquelle nous
nous sommes intéressés : la famille nombreuse. Au début, que ce soit nous-mêmes ou la population
locale de Shanghai, personne ne comprenait pourquoi, alors qu’ils sont déjà pauvres ont-ils tant
d’enfants, cela se voit déjà par leurs vêtements, des fois ils ne mangent pas à leur faim… Par
exemple, ils ont deux ou trois enfants, alors les parents ne donnent pas beaucoup d’argent à chacun
pour qu’ils puissent s’acheter un repas à midi. Lorsque nous sommes dans les écoles, nous avons
déjà vu par exemple des enfants qui n’ont même pas de quoi manger le repas de midi. Cela coûte
environ 5 ou 6 Yuan par jour. Chaque jour les enfants mangent alors un bol de nouilles
instantanées, et des marques bon marché vendues à l’extérieur à 1 Yuan le paquet, qui présentent
tous des problèmes au niveau de l’hygiène alimentaire. Mais les enfants sont très matures, par
exemple dans une famille qui compte 3 enfants mais où les parents ne peuvent permettre qu’à deux
d’entre eux d’aller à l’école, alors le grand frère ou la grande sœur laisse cette opportunité à ses
petits frères ou sœurs. Nous avons aussi vu les grands frères ou sœurs qui ne boivent qu’un bol
d’eau pour midi. Au début, les enfants des migrants ne pouvaient pas étudier au collège. À présent
certains poursuivent leurs études à Shanghai, mais pour l’examen de fin de cycle ils sont obligés de
le passer dans leur lieu d’origine. C’est parce que les enfants sont trop nombreux, ils ne peuvent
pas tous profiter de ce droit à l’éducation. Les parents décident parfois de ne l’accorder qu’à un
seul de leurs enfants, celui qui réussit le mieux. Le reste des enfants doivent commencer à
travailler, car les parents n’ont pas assez d’argent que pour leur permettre à eux aussi d’aller à
l’université. Mais les parents espèrent que leurs enfants réussissent bien et donc que leurs enfants
suivent le collège à Shanghai, mais que les enfants rentrent dans leur ville natale pour le lycée. Car
l’examen de fin de cycle et les matières enseignées à Shanghai sont différentes du reste des villes
où on utilise un modèle national. À Shanghai, l’anglais est difficile mais le reste des matières sont
un peu plus faciles, ce qui fait que si l’enfant a étudié à Shanghai mais passe l’examen dans leur
ville natale, il ne réussira pas aussi bien que les autres enfants, car l’examen lui sera plus difficile.
Au contraire, s’il rentre dans sa ville natale pour le lycée, alors il aura pu passer les tests plus
compliqués, il aura appris la matière un peu plus compliquée et sa moyenne à l’examen de fin de
cycle sera meilleure. Pour le reste, les enfants qui ne sont pas très bons à l’école, ou ceux dont les
parents ne peuvent se permettre de continuer à leur payer les études, dès qu’ils ont fini le collège,
ils vont directement travailler. Ou alors, certains étudient dans les lycées techniques ou
professionnels de Shanghai, et ensuite commencent à travailler.
- Ils travaillent ici à Shanghai ?
- Oui, à Shanghai, car quoi qu’il en soit, à Shanghai, les opportunités sont plus nombreuses et les
salaires plus élevés que dans leur lieu d’origine. Mais le problème pour les enfants qui viennent à
peine de sortir du collège c’est qu’ils ne savent pas quel genre de travail ils doivent chercher. Car
en Chine, il n’y a vraiment qu’à partir de l’université que suit un programme professionnalisant,
que l’on se spécialise dans un domaine. Mais même à ce niveau, cela ne nous aide pas car il n’y a
pas de prise en charge individuelle en fonction des capacités et des envies de chacun. Il s’agit de
cours en auditoire, et les étudiants ne sont pas vraiment orientés de façon personnelle. Le
professeur apprend à rédiger un CV et explique comment sera le métier plus tard, mais au fond cela
reste très vaste. Donc face à la situation des enfants, nous avons mis en place plusieurs projets, dont
l’objectif est en fait le même, mais nous tentons d’atteindre le plus grand nombre d’enfants. Par
exemple, ce projet, financé par la Banque de l’Asie de l’Est, s’appelle « À la recherche du futur
Moi » qui vise à enseigner aux enfants des migrants les bases d’un métier. Et celui-là, intitulé
« Cap sur mon rêve » (Mengxiang Qihang) financé à travers la Shanghai United Foundation qui
agit en tant qu’intermédiaire pour lever des fonds qui proviennent de diverses entreprises ou de
privés. Il a le même objectif que le premier. Ce sont tous deux des projets d’initiation à la
191
profession. Nous avons également préparé une formation, durant laquelle nous cherchons à savoir
quel est le rêve de chacun, quelles sont leurs compétences. Car nous sommes convaincus que tous
ont des côtés forts et des côtés faibles. Tout le monde n’est pas capable d’entrer dans les universités
les plus prestigieuses. Certains sont bons dans le milieu académique, d’autres sont meilleurs dans
les travaux manuels ou dans la machinerie. Notre but est de leur faire découvrir leurs capacités, et
leur développer leur confiance en soi. Il est vrai qu’en Chine, ce qui compte avant tout ce sont les
résultats scolaires. Mais malgré qu’il leur soit difficile d’accéder aux grandes universités chinoises,
nous espérons qu’ils reconnaissent leurs propres qualités, et puissent trouver un chemin vers
l’avenir. Et puis, tous les enfants ont un rêve, mais, à cause de certaines limites, ils n’essaient
même pas de le poursuivre. Par exemple, si l’enfant nous dit qu’il veut être professeur, nous lui
expliquons en quoi consiste ce métier, et quelle formation est nécessaire, donc qu’il a besoin d’un
diplôme de bachelier. Parce que les enfants croient que lorsqu’ils ont fini d’étudier l’école primaire
et le collège, c’est suffisant. Ils ne savent pas qu’ils ont besoin de finir le lycée ou même un
diplôme de bachelier. Certains disent qu’ils veulent être avocats ou policiers, alors nous leur
expliquons qu’ils ont besoin d’un master car ils ne savent même pas ce que c’est. Ainsi, nous leur
donnons quelques informations. Et pour les enfants qui réussissent bien à l’école et pourront peutêtre entrer à l’université plus tard, nous espérons les guider dans leur choix d’études, en fonction de
ce qu’ils veulent devenir, qu’ils sachent quel niveau de formation ils doivent avoir, et donc les
efforts qu’ils doivent fournir pour y parvenir. Mais pour ceux qui iront directement travailler après
le collège ou le lycée, nous voulons les informer sur les métiers qu’ils pourraient exercer. Ou bien,
si leurs parents ne peuvent pas leur offrir des études à l’université, qu’ils puissent avoir un plan,
d’abord ils vont travailler pour pouvoir ensuite se payer les études qu’ils ont besoin de suivre, et
après 5 ou 10 ans, qu’ils puissent aussi réaliser leur rêve, même s’ils doivent d’abord passer par
d’autres emplois avant celui dont ils ont vraiment envie. Nous avons plus facile à atteindre les
enfants qui étudient dans les écoles pour migrants à Shanghai, surtout en primaire. Mais nous
espérons pouvoir développer nos activités aux écoles publiques de Shanghai, dans lesquelles nous
ne pouvons pour l’instant pas intervenir.
- Oui, vous travaillez dans les écoles pour migrants ?
- Oui. Nous faisions d’abord du tutorat, jusqu’en 2010, nous étions basés dans les écoles, trois jours
par semaine à peu près, et nous assistions aux cours, ou alors nous recevions dans un bureau les
étudiants soit individuellement, soit en petits groupes. Avant, le coût du personnel n’était pas trop
élevé, mais petit à petit les salaires moyens à Shanghai ont augmenté, ce qui a imposé une pression
à notre organisation. Les écoles ne nous accordaient pas de subsides, enfin, si certaines qui étaient
vraiment convaincues du service rendu aux enfants nous accordaient une compensation de 300
Yuan par mois, pour payer le transport et le repas à midi, ce qui nous aidait déjà énormément. À
partir de 2010, nous avons continué à nous rendre dans les écoles, mais plutôt dans le cadre de
projet, pour pouvoir avoir des financements suffisants pour couvrir les dépenses relatives au
personnel. Nous avons continué cela jusque l’année dernière où l’on a étendu notre action. Nous
nous rendons désormais dans des quartiers plutôt riches de Shanghai pour fournir des services
payants visant les parents et leurs enfants, des services sociaux, des cours du soir,… dans le but des
récolter des fonds. Nous pouvons avoir autant de motivation qu’il faut ou d’envie d’aller rendre
services, mais sans financement il est difficile de survivre et nos collègues pourraient vouloir partir.
C’est pourquoi nous appelons sans cesse le gouvernement pour qu’il se préoccupe des enfants des
migrants, qu’il alloue plus de fonds. Car, à Shanghai, la priorité est plutôt mise sur le groupe des
personnes âgées et des personnes handicapées. Les fonds alloués pour les jeunes sont
principalement destinés aux jeunes shanghaïens. Les projets destinés aux enfants migrants sont peu
nombreux alors la compétition entre les organisations qui veulent aider ces bénéficiaires est plus
élevée, et finalement, comme les organisations ne parviennent pas à obtenir des subsides, ils ne
peuvent pas leur offrir leurs services. Par contre, nous avons plus de chance ! Notre organisation est
plutôt grande, bien que notre département n’ait pas de fonds, les autres départements peuvent nous
soutenir. Nous cherchons à obtenir plus d’expériences dans la récolte de fonds. Donc nous avons
par ailleurs commencé à fournir des services payants pour pouvoir faire face à ce problème.
- Dans combien d’écoles environ intervenez-vous ?
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- À Pudong, il y a 41 écoles pour migrants, et auparavant nous avons été dans chacune d’entre elles.
Avant 2010, pendant trois ou quatre années d’affilée, nous avons organisé des compétitions chaque
année entre les écoles de migrants. Ce qui nous a vraiment satisfait c’est qu’une année il y a eu
jusqu’à 26 écoles qui se sont inscrites. Car il faut savoir que sur les invitations que nous envoyons,
il est juste inscrit notre logo « Lequn », l’organisateur, il n’y a aucune institution gouvernementale,
que ce soit le Bureau de l’éducation ou une autre association… Mais les écoles ont tout de même
envie de participer, malgré qu’elles doivent prendre tous les frais en charge, payer elles-mêmes les
tenues de sport, et aussi préparer quelques présentations… Nous n’avons rien à leur donner mais ils
veulent quand même venir, c’est vraiment positif pour notre organisation. Au début, lorsque nos
fonds n’étaient vraiment pas élevés et nos salaires également, alors nous sommes intervenus dans
11 écoles, soit 3 jours par semaine si nous avions un bureau au sein de l’établissement, soit un jour
par semaine. À ce moment-là, nous étions 7 à travailler dans ce département de l’organisation.
Certains étaient attribués à une ou deux écoles, et nous participions aussi aux appels à projet du
gouvernement. Ensuite, petit à petit, lorsque nos salaires ont commencé à augmenter, il devenait
difficile de les assumer, donc nous avons dû réduire notre équipe en faveur des autres
départements : certains sont donc partis dans le département administratif, certains dans les projets
liés à la population âgée, d’autres dans les projets pour les minorités, … Nous avons beaucoup de
départements. Et donc nous nous sommes séparés, il ne restait que moi et un autre collègue pour les
projets relatifs aux migrants, mais nous les avons maintenus ! Mais ces deux-trois dernières années,
notre département a connu un renouveau, et nous comptons à présent 5 membres, parmi lesquels
trois s’occupent de la mise en place des projets dans les écoles pour migrants, et deux de la
recherche de fonds et les services payants pour récolter de l’argent. Nous les encourageons
particulièrement et espérons qu’ils auront de bons résultats car s’ils parviennent trouver de quoi
financer d’autres membres, alors nous pourrions leur attribuer des écoles où ils fourniraient des
services fixes. À présent, nous n’intervenons que dans 3 écoles où nous avons des projets fixes.
Chacun de nous peut prendre en charge deux à trois projets et en outre se rendre dans une école. La
charge de travail est déjà plutôt lourde, il est difficile de fournir plus de services aux écoles ou de
prendre en charge plus de projets car nous voulons garantir un service de qualité. Nous ne pouvons
accepter trop, sinon qui pourra s’en charger ? Nous avons de nombreux volontaires et stagiaires,
mais il y a des services qui ne peuvent être pris en charge que par les employés. Nous ne
répartissons pas le travail en le distribuant entièrement aux volontaires ou stagiaires. Nous nous
devons de prendre nos responsabilités envers nos projets et nos services.
- Formez-vous les stagiaires et les volontaires ?
- Bien sûr nous les formons. Mais il y a des tâches trop spécialisées qui ne peuvent être qu’attribuées
aux employés.
- Combien sont-ils ?
- Nous allons bientôt fêter le Nouvel an, donc nous avons trois stagiaires qui arriveront le 2 mars. En
ce qui concerne les volontaires, ce sont des personnes émanant de la société civile, en général nous
faisons appel à eux pour les grandes activités, lorsqu’il faut par exemple surveiller les enfants… Ils
ne participent généralement pas à la mise en place des projets, ou ne sont pas impliqués dans des
activités bien spécifiques aux projets. C’est plutôt les stagiaires qui restent en général de 3 à 6
mois, et durant cette période ils nous aident tous les jours. De plus, ils étudient la sociologie ou le
travail social, la psychologie ou la protection communautaire… ce genre de formations. Nous leur
disons que s’ils ont vraiment envie de faire leur stage dans une organisation sociale, ils viennent
pour une demi-année par exemple, mais s’ils s’impliquent vraiment et font bien leur travail, leur
stage peut déboucher sur un emploi. S’ils le veulent alors nous l’accompagnons de manière plus
encadrée, nous pouvons consacrer plus de temps, et planifier un développement personnel. Car
nous voulons surtout des personnes spécialisées et bien formées pour intégrer notre équipe.
- Ces stagiaires et volontaires, viennent-ils de leur propre initiative, ou devez-vous les chercher ?
- Pour les stagiaires, nous publions des offres sur internet. Ou à travers des organisations
intermédiaires de recrutement, car celles-ci se rendent dans les universités à la recherche des
étudiants qui suivent une spécialisation dans le domaine du travail social, et leur donnent des
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formations en groupe. Si nous cherchons autant de personnes, elle nous aide à les trouver et nous
les envoie pour que nous leur fassions passer un entretien. Pour les volontaires, à Shanghai il existe
le site d’une association des volontaires. Si nous avons besoin de volontaires pour des activités,
nous publions l’information et les personnes intéressées nous contactent. À Shanghai, les personnes
sont vraiment enthousiastes à l’idée de participer à ces événements. Alors ils regardent si
l’événement les intéressent, s’ils sont disponibles et correspondent à la description, et dans le cas
affirmatif, ils s’inscrivent.
- À part Pudong, intervenez-vous dans d’autres districts de Shanghai ?
- Lequn a des projets un peu partout à Shanghai, et en dehors de Shanghai également. Mais en ce qui
concerne les projets pour les enfants des migrants, il n’y a qu’à Pudong pour l’instant. La raison
principale est que l’équipe est assez petite.
- Pourriez-vous présenter les partenaires avec lesquels vous travaillez ?
- Oui, nous en avons beaucoup. Vous pouvez regardez ici, ils sont tous repris (elle me montre un
fascicule). Mais concernant les projets pour enfants des migrants, à part nos écoles partenaires, de
nombreux partenaires sont en fait des banques et fondations, car ils sont plus enclins à financer ces
projets pour ce groupe de bénéficiaires.
- Mais l’aide qu’ils vous apportent est principalement financière, n’est-ce pas ?
- Oui, ils peuvent nous financer les projets à travers des dons directs, ou de manière indirecte à
travers des organisations intermédiaires, qui connectent les deux parties, et nous aident à trouver les
ressources dont nous avons besoin. D’un côté, les entreprises elles-mêmes n’ont pas vraiment de
temps à dépenser pour trouver une organisation fiable, l’évaluer. De l’autre côté, nous n’avons pas
les moyens d’entrer en contact avec ce genre d’entreprises. Donc nous passons par une organisation
intermédiaire. L’entreprise, lorsqu’elle a un certain montant à donner, elle va trouver cette
organisation et lui dit qu’elle aimerait que cet argent soit utilisé pour aider les enfants des migrants.
À travers une plateforme, l’organisation publie cette offre, ou alors elle nous contacte directement.
Ou encore, c’est nous qui trouvons l’offre sur internet. Il est précisé la date limite d’envoi des
propositions, et donc nous rédigeons une proposition de projet. Sans cet intermédiaire, cela
reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
- Y a-t-il des partenaires qui vous soutiennent en vous apportant une aide directe dans la mise en
place des projets ? Qui ne vous financent pas le projet, mais qui vous aident d’une autre manière ?
Qui vous donnent du matériel… ?
- Les stagiaires nous aident déjà de cette manière, et en réalité, ils font partie d’organisation de
l’université, et ils viennent en groupe, pas de manière individuelle. Nous publions des missions à
réaliser pour un projet, alors les organisations universitaires désignent des étudiants pour y
participer. Par ailleurs, nous formons également les professeurs des écoles des migrants, car ce sont
eux qui passent le plus de temps avec les enfants donc il est important de les former. Donc nous
mettons en place des programmes de formations pour les professeurs, pour qu’ils deviennent nos
principaux volontaires et participent aux projets. Notre objectif est que eux aussi prennent des
initiatives. Nous ne voulons pas que ces projets n’existent que parce que nous les avons mis en
place, et parce que nous avons reçu le financement pour le mettre en place. Nous espérons que ces
projets continuent d’exister à travers les cours que les professeurs donnent aux enfants. Que
l’objectif en classe n’est pas que de les faire étudier, mais qu’il est important que les professeurs
leur fassent passer les messages et les connaissances que nous enseignons dans nos projets car les
enfants ont d’autres besoins. C’est pour cette raison que nous les appelons à participer en tant que
professeurs « partenaires » des activités, ou en tant qu’instructeurs. C’est pour cela que nous
donner aussi des formations aux professeurs. Nous espérons que si un jour nous n’intervenons plus
dans ces écoles, les professeurs continuent à enseigner certains messages et connaissances aux
enfants. De cette manière seulement cela sera efficace. Quant aux matériels, oui nous en recevons
également. Par exemple, TARGET, mis à part les dons d’argent qu’ils nous offrent, chaque année
ils nous donnent aussi du matériel. Comme il s’agit d’une chaîne de supermarchés, chaque année
ils ont des biens excédentaires, des tailles ou des stocks qu’ils ne parviennent pas à liquider, alors
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ils nous demandent si nous en avons besoin et ils nous les envoient. Ils en font dons aux
organisations dont ils financent certains projets. Donc si nous en avons besoin, nous leur en faisons
la demande, parfois il s’agit de vêtements, des écharpes et des gants… et toutes sortes de
marchandises que l’on trouve dans les supermarchés. Nous distribuons directement les vêtements à
des familles pauvres. S’il s’agit d’autres biens, nous les revendons et l’argent récolté, nous
l’utilisons pour financer des projets pour lesquels nous n’avons encore jamais trouvé de partenaires,
ou alors nous achetons du matériel didactique pour les enfants, que nous donnons aux écoles.
- Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles de votre organisation ?
- Nous fournissons des services complets donc les différents départements sont en fait connectés.
Lorsque les enfants des migrants doivent faire des activités sociales, par exemple, des services
communautaires, les centres pour personnes âgées ou maisons de repos dans lesquels nous les
emmenons sont en fait des lieux où nous intervenons déjà ou sommes intervenus via un autre
département. Nous parvenons à mobiliser de nombreuses ressources. Par ailleurs, étant la première
organisation sociale en Chine, nous avons de l’expérience, et nous avons conscience de
l’importance des sites internet ou les canaux de diffusion. Les organisations dans notre domaine ont
difficile de tenir avec un département qui ne rapporte pas. Par exemple, notre département général
s’occupe de l’administration, les relations personnelles, les comptes, les recherches et
développement. Mais ce n’est pas comme les autres départements, celui des aides médicales, ou le
nôtre, nous pouvons prendre en charge les dépenses en ressources humaines à travers le
financement des projets. Mais ce département, il n’a pas de moyen de récolter l’argent pourtant ils
sont là pour nous aider. C’est ce qu’on a pu comprendre au fil du temps, ils sont indispensables
dans une organisation, pour que nous effectuions notre travail au quotidien et pour développer
l’organisation. Ils nous aident dans la gestion, et prennent en charge un travail d’appui aux autres
départements. Nous disons qu’il faut faire des sacrifices, donc nous devons employer du personnel
administratif, de gestion… ça c’est une chose. D’autre part, nos activités sont nombreuses. Même si
nous sommes les premiers, cela ne fait tout de même que plus de dix ans, donc nous pouvons être
considérés encore comme étant une jeune organisation. Nos collègues sont en réalité tous très
jeunes, en moyenne 25-26 ans. Nous avons beaucoup d’attentes, et nous sommes encore très
idéalistes par rapport à notre mission et valeurs, la plupart étant récemment diplômés du domaine
social. Nous espérons également promouvoir le développement, à Shanghai et en Chine, du travail
social et des services pour le bien-être public. Nous sommes une équipe jeune et pleine d’énergie.
Pour ces raisons aussi, nos projets sont assez innovants. Mais d’un autre côté, c’est aussi parce que
nous sommes jeunes, et par manque d’expérience que nous avons parfois échoué, mais ce n’est pas
grave, nous essayons à nouveau. Il est arrivé qu’il ne nous soit pas possible de mettre en place
certaines activités. Certains collègues ont des idées de projets mais, par manque de personnel, nous
ne pouvons pas les organiser, car par exemple, il faut quelqu’un pour s’occuper de l’administration
et ce n’est pas notre spécialisation. C’est pour ça qu’il est indispensable d’avoir du personnel qui
puisse promouvoir le projet, trouver des partenariats, et des partenaires qui sont fiables, il n’est pas
question, en raison de notre responsabilité, nos valeurs, l’éthique de notre métier, de collaborer
avec des institutions corrompues ou autre… Par exemple, cela fait déjà 6-7 ans que je travaille ici,
mais je dois parfois apprendre à nouveau à mieux m’y prendre, nous sommes très idéalistes, mais il
y a beaucoup d’obstacles que nous devons surmonter. Il faut savoir promouvoir nos projets, faire
de la sensibilisation, attirer l’attention de la société. Il faut savoir s’adapter à la réalité, et ne pas
s’enfermer dans notre monde, dans notre vision du monde. Il faut pouvoir s’engager avec toute la
société. Par ailleurs, notre organisation compte près de 70 personnes. Et c’est peut-être parce que
nous avons commencé assez tôt, nous avons suffisamment d’expérience que pour servir de modèle
à d’autres organisations. Concernant les compétences administratives, cela dépend chaque année,
nous notre responsable désigne la personne en charge en fonction de ses compétences et son
expérience. Auparavant, 80% des employés de notre organisation avaient une formation en travail
social, mais il n’y a pas que cette compétence qui compte. Nous ne sommes peut-être pas capables
de prendre en charge tout ce qui est relations personnelles, la finance, la vente, la promotion, mais
pourtant nous devons savoir le faire car nous sommes amener à le faire ! Et finalement, nous nous
demandons, où se trouve nos compétences en travail social ? Et pour l’administration, ce sont les
collègues qui travaillent depuis plus longtemps qui peuvent s’en charger. Mais nous n’avions pas
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pensé au fait qu’il était nécessaire d’employer des personnes qui ont suivi d’autres formations.
C’est pour cette raison que notre département a connu des expériences désastreuses en termes
d’administration, car nous avons un système de salaire en fonction des résultats. Bien sûr, ce sont
les collègues s’occupant de l’administration qui se chargent de prendre ces décisions. Mais qu’en
est-il des recherches statistiques et des rapports ? Qui décide des modules des salaires ? Ce n’est
pas notre domaine de spécialisation. Par après, nous ne pensions pas être bons pour ces tâches,
alors nous avons essayé de mettre en place de nouvelles pratiques, mais cela n’a pas vraiment
fonctionné. Finalement nous avons fait appel à des personnes extérieures, des professeurs du
département des ressources humaines de la China Normal University, qui nous ont aidés à faire des
modèles pour les salaires, à établir des cadres structurels pour les résultats accomplis… Et
maintenant, mis à part mon collègue et moi-même qui sommes spécialisés dans le domaine social,
notre troisième collègue a en réalité une formation en commerce. Car nous avions besoin de
quelqu’un qui sache comment établir et renforcer les partenariats, récolter des fonds, comment
« vendre » notre projet… Nous avons donc changé de vision, en tant qu’organisation, pour pouvoir
parvenir à accomplir toutes les tâches, il faut disposer du personnel nécessaire, c’est-à-dire, de tous
les domaines de spécialisation nécessaires. Nous pensons doucement à engager du personnel formé
en gestion, formé en affaires ou d’autres domaines. Nous avons aussi commencé à suivre nousmêmes de nombreuses formations. Avant nous suivions des formations relatives à la spécialisation
du département. À présent, par exemple moi-même, comme je me charge de la gestion des projets,
je dois étendre mes connaissances dans ce domaine à travers des formations. Nous avons beaucoup
de points faibles, mais nous devons trouver des solutions pour les améliorer. Et puis, c’est parce
que nous sommes jeunes, nous ne pouvons pas tout de suite trouver la meilleure façon de faire.
- Pourriez-vous me présenter des réussites que vous avez connues, et des échecs ou des obstacles
que vous avez rencontrés ?
- Nos réussites sont en quelque sorte aussi nos obstacles. Toutes ces années durant, nous avons
réalisé de nombreux projets, et des projets de qualité. Toutefois, quelque chose qui nous fait défaut
c’est la promotion de ces projets. Comment pouvoir transmettre et développer notre expertise, que
retenir une fois que le projet ou l’activité se termine ? Tout au plus, nous rédigeons des rapports,
mais nous n’en faisons rien, nous ne tirons pas de conclusions, n’en tirons pas de leçon ou
d’expérience, et ensuite rendre des comptes, le diffuser. Nos partenaires sont confiants que nous
donnons tous nos efforts dans la réalisation des projets, mais après ils ne voient pas les résultats,
car nous ne parvenons pas à les transmettre. Et concernant le fait de rendre des comptes, nous
avons réalisé ces dernières années qu’il était bien de s’efforcer à réaliser les projets de manière
consciencieuse, mais il est nécessaire de conclure quelle expérience a été acquise et de la rendre
effective. La promotion est très importante, sinon comment les gens vont-ils pouvoir savoir ce que
nous avons accompli. Et c’est la même chose, si une organisation a une bonne réputation, mais les
entreprises intéressées n’ont pas les moyens de connaître les projets entrepris et les résultats
accomplis, alors comment peuvent-elles les contacter ? Pour cette raison, et c’est très positif, nous
avons commencé à mettre régulièrement à jour notre site internet et nos réseaux sociaux
(Weixin/Wechat). Chaque fois que nous faisons une activité, nous le communiquons. Nous avons
aussi un périodique électronique que nous envoyons à un temps défini à tous nos partenaires ou aux
ressources humaines de certaines entreprises… Selon nous, il est important justement de faire
savoir les bonnes actions que nous effectuons, il faut marcher ensemble avec la société. Il faut
pouvoir assurer la gestion et la promotion des projets un peu à la manière d’une entreprise qui vend
des services, afin que tous soient au courant de nos actions, et également pour que ceux qui
nécessitent de l’aide, dans le domaine dans lequel nous agissons, puissent venir nous trouver. Nous
avons un peu changé notre manière de voir le métier, et donc nous nous sommes adaptés. Selon
nous, notre travail est nécessaire et nous le faisons au plus proche de la population. En réalité le
personnel qui travaille ici au département des affaires générales n’est pas nombreux. Le reste du
personnel travaille un peu partout dans Pudong, intégré aux communautés. C’est ce dont je suis
vraiment fière, car nous faisons un travail utile et efficace. Nous sommes répartis dans les
communautés, que ce soit dans les centres de soins pour personnes âgées ou dans les écoles, nous
faisons un réel travail social, malgré que nous ne parvenions peut-être pas encore bien à le faire
paraître. Nous avons toujours voulu publier un livre qui reprenne toutes les activités que nous
196
avons entreprises auprès des jeunes, et auprès des personnes âgées, afin de résumer l’expertise que
nous avons acquise depuis toutes ces années. Mais, nous sommes trop occupés pour le faire. De
plus, nous aimerions recevoir l’aide du personnel spécialisé dans la recherche ou l’évaluation, mais
nous n’avons plus de budget… Enfin, nous le ferons certainement dans le futur. Mais pour l’instant
nous sommes occupés à adapter notre manière d’opérer.
- Vous avez dit que vous interveniez dans onze écoles, non ?
- Maintenant il n’y en a plus que 3. À cause de la diminution drastique de l’effectif.
- Et comment avez-vous trouvé ces onze écoles et ensuite comment avez-vous sélectionné trois parmi
celles-là ?
- Nous intervenons tout d’abord dans les écoles qui approuvent nos services envers les enfants. C’est
d’ailleurs la première condition, les écoles et les professeurs avec lesquels nous collaborons doivent
accepter notre aide, et reconnaître le bienfait de nos projets envers les enfants. Nous ne voulons pas
d’écoles qui n’attachent pas plus d’importance à nos services, et que nous venions ou pas ça leur
est égal. Ou il est aussi arrivé que lorsque nous intervenions dans des écoles, le corps enseignant ne
nous appuyait pas. Cela peut être très décourageant pour nos collègues, et nos résultats dans ce
contexte ne peuvent pas être des meilleurs. Par exemple, nous étudions des cas individuels, sur le
temps de midi et après les cours, ou nous donnons des cours à des petits groupes. Mais nous avons
besoin de l’accord du professeur pour que les enfants y participent. Il y a des écoles où le
professeur fait des remarques aux enfants qui veulent participer, et ne soutiennent pas du tout nos
activités. Dans les trois écoles où nous intervenons à présent, nos activités sociales ont été intégrées
aux horaires des élèves. L’école nous aide donc à suivre les élèves. De plus certaines nous
accordent également une classe, qui est nécessaire pour pouvoir donner nos cours dans un espace
séparé.
- Mis à part le projet qui concerne la sécurité des enfants, y a-t-il d’autres cours que vous donnez
également aux parents ?
- En réalité nous le faisons pour tous les projets. Mais les parents sont très occupés, donc si nous
organisons des activités de sensibilisation par exemple, nous leur envoyons une note disant que
nous serons présents à l’école de telle à telle heure pour une réunion des parents ou les professeurs
nous aident à appeler les parents, en particulier au début lorsque nous ne les connaissons pas
encore. Au début, nous laissons les professeurs nous présenter aux parents. Mais ils sont beaucoup
à être trop occupés. En général, lorsque les enfants ont fini les cours, c’est le grand frère ou la
grande sœur qui s’occupe de préparer le souper à la maison, et donner à manger à leurs petits frères
ou sœurs. Après, ils lavent leurs vêtements et ensuite ils font leurs devoirs. Leurs parents rentrent
seulement après que leurs enfants soient déjà au lit. Et le lendemain, les enfants ne sont pas encore
levés qu’ils repartent déjà travailler. Lorsque nous demandons parfois aux enfants quand est-ce
qu’ils voient leurs parents, certains répondent que cela fait un mois qu’ils ne les ont pas vus. Oui
parce que les parents ne sont là que lorsqu’ils dorment, et certains travaillent également le
weekend, pour gagner leur vie ils ont un deuxième travail. Donc il est parfois difficile d’organiser
des réunions des parents. Ceux qui peuvent participer sont en général les mamans au foyer. Et elles
sont très généreuses, elles gardent également un œil sur les enfants de ses trois-quatre voisins. Et si
nous apprenons que les parents rentrent à la maison à 20h, alors nous tenons les réunions à cette
heure-là. Mais ce sont alors nos collègues masculins qui s’y rendent, ou alors nous allons à deux,
pour notre sécurité. Nous organisons parfois des activités selon des métiers. Alors durant les
entretiens ou activités avec les enfants, nous leur demandons ce que leurs parents font. Nous avons
interrogé plusieurs classes. Au début, de nombreux enfants ne veulent pas nous répondre. En
insistant certains commencent à pleurer, parce que leurs parents vendent des légumes, ou bien
travaillent dans le nettoyage… Ils pensent que leurs métiers sont peu valorisés et n’aiment pas en
parler. Nous avons donc mis en place une autre activité, qui consiste à remercier leurs parents.
Nous apprenons aux enfants que c’est grâce au travail de leurs parents, qu’ils ont des vêtements à
porter, peuvent aller à l’école et manger. Et nous louons également les métiers de leurs parents,
nous leur disons par exemple que sans les nettoyeurs, il y aurait des déchets partout, ou encore, que
nous avons besoin des vendeurs de légumes, car ce ne serait pas possible que tout le monde ait son
197
propre potager. Nous leur expliquons donc que chaque métier a du sens et est utile pour l’ordre et
le développement de la société. Donc à la fin de l’activité, nous les invitons à remercier leurs
parents. Ou nous leur demandons de faire les journalistes, d’aller interviewer leurs parents, pour
comprendre les raisons pour lesquelles leurs parents font ce genre de métier, ce qu’il représente
pour eux, et s’ils aiment leur travail. Certains parents répondent alors qu’ils font ce travail pour
pouvoir éduquer leurs enfants. Ensuite les enfants partagent les réponses qu’ils ont obtenues. À
travers les activités que nous organisons, nous espérons établir une connexion avec les parents,
même si nous n’avons pas l’occasion de les rencontrer, nous espérons qu’ils comprennent l’objectif
de nos projets. Ou parfois nous utilisons les réunions des parents qui sont organisées par l’école,
pour nous présenter aux parents et leur présenter nos projets, via des vidéos que nous filmons
durant les activités, pour qu’ils réalisent les bénéfices qu’elles ont sur leurs enfants, et la manière
dont ils ont évolué. Et à la fin des cours, certains parents viennent chercher leurs enfants, donc nous
venons parfois à l’entrée de l’école une demi-heure à une heure avant la sortie des classes pour
parler un peu avec eux et établir un contact. Nous essayons toutes sortes de solutions.
- Pourriez-vous parler un peu de l’aide du gouvernement ? Vous dites que votre organisation reçoit
de l’aide du gouvernement, mais j’aimerais savoir, pensez-vous qu’il aide vraiment à améliorer la
situation de ces enfants et de leurs parents ou que beaucoup d’efforts sont encore à fournir ?
- En réalité, si nous pensions que le gouvernement en faisait assez, nous n’existerions pas ! Mais
nous avons remarqué que ces dernières années, le gouvernement fait tout de même des efforts.
Parce qu’au départ, les enfants des migrants ne pouvaient pas étudier au collège. Mais petit à petit,
le gouvernement a commencé à construire lui-même ce genre d’écoles pour enseigner aux enfants
des migrants. Maintenant tous les enfants peuvent poursuivre leur scolarité. Au départ lorsqu’ils ne
pouvaient pas accéder à cette éducation, nous disions que c’était de la discrimination envers ces
élèves. Par ailleurs, au départ ils ne pouvaient pas non plus aller au lycée à Shanghai. Et ensuite, la
politique a peu à peu changé, et les enfants des migrants peuvent à présent. Toutefois, ils ne
peuvent pas encore passer leur examen de fin de lycée à Shanghai. Mais si on observe, la situation
a évolué en à peine 5 ou 6 ans, le gouvernement fait peu à peu des concessions, et répond à l’appel
de toutes ces personnes. Et en termes de gestion auparavant, les écoles pour migrants étaient gérée
par des « patrons », comme on les appelait et non des « directeurs d’école », car ils étaient là pour
faire du profit. Donc les écoles publiques ne pouvaient en réalité pas rivaliser avec ces écoles,
malgré leur moindre qualité. Ainsi en 2010, le gouvernement a décidé que ces écoles pour migrants
devraient également remplir certains critères de qualité, que ce soit au niveau des conditions des
installations, des équipements, ou encore des compétences des professeurs, qui doivent être plus
valables. Car avant dans ces écoles, certains professeurs ne disposaient même pas de certificats
pédagogiques. Peu à peu, cela a été obligatoire, seulement les professeurs devaient faire preuve
d’un certain degré d’éducation. Par ailleurs, avant le nombre d’élèves par classe dépendait
seulement du nombre de professeurs dans l’école. Après cela a été réglementé. Finalement le
gouvernement a donc retenu les écoles qui remplissaient les critères, et ces écoles qui étaient
d’abord appelées, des « soi-disant » écoles (Jianyi Xiaoxue) se sont ensuite faites nommées
« écoles privées pour migrants » (Minban Mingong Xiaoxue). Chaque année, le gouvernement leur
envoie des subsides pour entreprendre les rénovations nécessaires, pour améliorer les
équipements… Ensuite, les écoles publiques de Shanghai ont dû collaborer avec les écoles pour
migrants, leur donner des formations, indiquer comment les cours doivent être dispensés, et des
professeurs des écoles publiques organisent des ateliers. Ainsi, peu à peu les écoles font des
progrès quant à leur système éducatif et activités d’apprentissage. C’est aussi grâce au fait d’inviter
les écoles à construire de meilleures infrastructures, de donner aux élèves de meilleures conditions.
Mais il reste d’autres aspects de leur vie qui ne sont pas pris en compte : leur intégration dans la
communauté, leur développement, leur formation professionnelle, leur sécurité… Et c’est pour
cette raison que notre département existe actuellement. Selon nous, notre premier objectif social est
d’atteindre une société qui n’ait plus besoin de nos services ! Si notre travail n’est plus nécessaire,
cela voudrait dire que les migrants jouiraient d’un niveau de vie déjà plus élevé.
- Et ne pensez-vous pas que les organisations telles que la vôtre se chargent en fait d’une
responsabilité qui incomberait normalement au gouvernement ?
198
- Comment dire… Les systèmes de protection les plus fondamentaux, le gouvernement les fournit
certainement. Quant au reste, concernant le développement psychologique positif des élèves, ou
encore d’autres besoins spécifiques à ce groupe, c’est nous qui nous en occupons. Mais ce n’est pas
grave, nous n’avons pas peur de rédiger des rapports de recherches que nous transmettons
directement au gouvernement. Nous dénonçons auprès du gouvernement les besoins auxquels ils
font face, au niveau par exemple du système, et leur proposons une meilleure manière de faire,
comment améliorer cette situation. Et maintenant, les enfants des migrants ont accès au lycée à
Shanghai, c’est aussi une chose sur laquelle nous avions insisté auprès des autorités. Bien que notre
pouvoir d’action soit limité, nous sommes déjà fiers d’avoir agi de cette manière, et peut-être qu’au
fond, c’est un peu grâce à nous que la situation évolue. Nous comparons aux élèves de l’école
publique, par exemple eux ils reçoivent des cours de santé mentale, mais ils n’ont pas des activités
extrascolaires aussi développées que celles dont jouissent les enfants dans les écoles pour migrants,
ce qui fait que l’on peut dire qu’ils n’ont pas autant d’opportunités d’évoluer. Nous remarquons que
certains élèves dans les écoles de migrants où nous intervenons ont beaucoup plus d’assurance, et
sont plus ouverts, car ils sont en contact avec des employés d’entreprises, durant les événements
que nous organisons, il y a des participants étrangers, et puis ils reçoivent des cours d’anglais
donnés par des étrangers. Même s’ils ne peuvent pas bien parler, les élèves sont prêts à échanger
avec eux. Les élèves shanghaïens, au contraire, sont un peu plus timides et introvertis. Si l’on
compare, dans les écoles de migrants, il y a plus d’activités qui permettent aux enfants d’évoluer
différemment que dans les écoles locales de Shanghai. Il semble que, concernant ces derniers, la
sensibilisation aux activités sociales relève plus la responsabilité des parents. Enfin, je pense que le
gouvernement fournit le minimum, ainsi les écoles sont là pour enseigner aux élèves, et pour le
reste, cela dépend des écoles. À Shanghai, certaines écoles ont leur spécialisation, que ce soit le
sport, les activités sociales, ou les affaires sociales… Mais en général ces écoles sont privées, de
nombreuses écoles dans ce genre sont aussi des écoles internationales. Je pense que cela a aussi un
lien avec la culture, mais il semble que peu à peu, ce sont plus les parents qui s’en occupent, bien
que certaines écoles organisent des activités. Par exemple, nous collaborons avec des écoles
internationales dont les élèves se rendent parfois dans les écoles de migrants dans le cadre d’un
événement convivial. Et les écoles publiques elles, n’en ont pas. Ainsi, je peux seulement dire que
le gouvernement se charge déjà de ce qui est fondamental. Nous ne pouvons que tenter d’influencer
ses décisions, et peut-être qui sait si dans le futur chaque école devra disposer d’un travailleur
social, dont le travail est prendre en charge le reste des besoins des enfants.
- Votre organisation est-elle donc optimiste par rapport au futur ?
- Oui, bien sûr, il faut être optimiste, il n’y a pas de raison de ne pas l’être. Si le gouvernement ne
prête pas trop d’attention à ce groupe de personnes pour l’instant, tant pis, nous continuons nos
efforts. Toutes les activités que nous organisons pour faire face aux besoins des enfants migrants,
nous en faisons part au gouvernement. Que ce soit pour l’instant nous qui nous en occupons, ce
n’est pas un problème, l’essentiel c’est que le gouvernement soit conscient de cette problématique,
et peut-être que quand il le pourra, il s’en chargera lui-même. Ce n’est pas forcément à lui de s’en
occuper, mais nous sentons que c’est de notre devoir, notre responsabilité que d’en informer le
gouvernement, de le sensibiliser à cette question.
- Et pensez-vous que la situation de ces enfants et leurs parents sera meilleure dans le futur ? Ou ce
n’est pas certain ?
- Nous pensons qu’elle sera certainement meilleure. Car maintenant nous le voyons dans les activités
sociales que nous organisons avec les enfants shanghaïens. Ils sont en général tous inscrits par leurs
parents. Lorsque nous communiquons avec ces derniers, à part les résultats de leurs enfants et la
pression qu’ils subissent sans cesse pour être parmi les meilleurs, les parents espèrent que leurs
enfants participent au bienfait de la communauté, qu’ils apprennent à aimer, à s’investir dans la
société et la comprendre. Même s’il est vrai que les résultats scolaires restent très importants,
certains parents veulent pouvoir inculquer ces valeurs à leurs enfants.
199
- Et vous pensez qu’il y a eu des changements récents ? Par exemple, qu’avant en Chine il n’existait
pas cette notion de faire du bénévolat, et maintenant cela a changé, que plus de Chinois veulent
aider autrui ?
- Oui, ce changement est très notable. Par exemple, tout au début lorsque nous cherchions des
bénévoles pour nos activités… il n’y en avait pas ! Et il n’existait même pas de canal pour en
trouver ! Ou même s’il y en avait, les personnes voulaient d’abord savoir de quel genre d’activités
il s’agissait, et disaient qu’ils n’avaient pas le temps. Et maintenant, il y a de plus en plus
d’associations. Par exemple, les étudiants de l’université. Dans chaque université, il existe à présent
une association de volontaires. Et il en va de même pour les entreprises, nombreuses sont celles qui
disposent d’un groupe de volontaires. Et enfin, il y a de nombreux privés. Par exemple, pour
réaliser notre projet sur les métiers, il y a 3 ou 4 ans. La première année, il était financé par
Shanghai Chuangtou (Shanghai Innovation Investment Limited Company). À côté des cours sur les
métiers que nous donnions, nous avions une autre activité lors de laquelle nous invitions des
professionnels exerçant le métier que certains élèves, pour qu’ils leur présentent leur métier. La
première année, nous n’avons réussi à trouver personne ! Personne non plus ne s’est
volontairement inscrit. Donc, nous avons dû passer par nos amis, ou leurs cercles de connaissances,
pour nous aider à trouver les personnes. En comparaison, cette année, fin 2014, nous avons publié
une offre sur le site des volontaires de Shanghai, de nombreuses personnes se sont inscrites. Ce
dimanche nous organisons une réunion de mobilisation pour leur expliquer en quoi consiste
l’activité. En plus, cette année, il y a des métiers assez haut placés. Avant nous avons eu des
hôtesses de l’air, du personnel de ressources humaines, dessinateurs ou peintres, des managers, des
avocats,... des métiers plus faciles à trouver, via notre entourage. Et il n’était pas possible d’avoir
des personnes importantes. Car il faut savoir que cela demande beaucoup de temps. Ils reçoivent la
formation ce dimanche, où ils apprennent comment doivent-ils s’y prendre, ce qu’ils doivent
expliquer. Ensuite, ils doivent préparer eux-mêmes une présentation power point à montrer aux
élèves, sur laquelle nous leur donnons notre avis. Et enfin, au mois de mars, ils iront dans les
écoles, donner 30 minutes de présentation, pendant deux semaines. Cela demande beaucoup
d’investissement, mais à présent, beaucoup de personnes veulent y participer.
- En quelle année environ ce changement s’est-il produit, selon vous ?
- C’est surtout ces deux-trois dernières années. Par exemple, avant, toutes les publicités que l’on
voyait étaient liées au commerce. Mais ces dernières années, de plus en plus de publicités traitent
du bien-être de la population. Il y en a partout, dans le métro par exemple.
- Donc ce changement est lié au gouvernement ?
- Oui tout à fait, si le gouvernement ne l’encourageait pas, cela ne se passerait pas.
- Et pensez-vous que ce changement se produit essentiellement à Shanghai ? Qu’il n’y en a pas dans
d’autres villes ?
- Comment dire… Il y a quelques villes qui suivent la même tendance au niveau des organisations
sociales : Shanghai, Canton, Shenzhen, Pékin, et la province du Sichuan compte également
diverses organisations. Il y a sûrement d’autres lieux. Il suffit qu’il y ait une augmentation du
nombre d’organisations sociales dans une ville pour que sa population prête de plus en plus
attention à la problématique du bien-être social. Et en réalité de nombreuses publicités sont
diffusées par la chaîne du gouvernement central. Et de nombreux médias et agences de presse
disposent de fonds, ou par exemple QQ (MSN chinois), tout le monde sait qu’ils ont des fonds pour
la population. Les célébrités ont aussi des fondations, par exemple la One Foundation de Jet Li, la
Fondation de Jackie Chan, ou encore Li Ka-Shing (Li Jiacheng).
- Donc c’est un phénomène national ?
- Oui, bien que les villes dans lesquelles il y a un plus grand nombre d’organisations, la tendance est
plus prononcée.
-
Je voulais vous demander, votre organisation est déjà enregistrée, n’est-ce pas ?
200
- Oui, en 2003.
- Ah, donc juste après votre création et très facilement ?
- Oui, en réalité, c’est parce que c’est le gouvernement qui a créé cette plateforme.
- Ah, donc votre relation avec le gouvernement est très bonne, n’est-ce pas ?
- Heu… Le gouvernement a créé la plateforme, mais toutes les organisations qui se trouvent ici sont
soumis à des audits des comptes et des services, et bien sûr nous devons les satisfaire, sinon cela ne
va pas. Et il est important de comprendre la vision du gouvernement. Parce qu’il n’est pas possible
que tout notre budget vienne des entreprises ou de fondations, sinon nous aurions besoin d’une
équipe qui s’occupe spécifiquement de la levée de fonds. Donc, une grande partie de notre
financement entre en réalité dans le cadre de projets du gouvernement. Nous collaborons ainsi avec
lui, mais nous avons également une responsabilité envers lui. Nous lui transmettons notre
programme, nos objectifs, et nous l’aidons à atteindre ses objectifs à lui. Que ce soit avec le
gouvernement, les entreprises ou les fondations, le mieux c’est que, mis à part le fait que nous les
aidions à atteindre leurs objectifs, nous fixions des objectifs supplémentaires, que nous les aidions à
faire encore plus. Cela peut aussi aider à promouvoir notre future collaboration, à avoir une
certaine continuité, en posant déjà des bases de nos futurs échanges, et cela permet par ailleurs au
partenaire de constater nos compétences, notre crédibilité et fiabilité.
- Mais donc, pensez-vous que le gouvernement vous soutient-il ou vous limite-t-il ?
- Le gouvernement nous soutient évidemment ! Sinon, nous ne pourrions pas être plus de 70 dans
l’organisation. Si nous n’avions pas les projets du gouvernement, le budget de l’organisation seul
ne pourrait payer autant de personnes. Nous n’arriverions peut-être même pas à la moitié.
- Mais en ce qui concerne les migrants ?
- Le gouvernement nous finance des projets pour les migrants, mais ces projets sont en général de
moindre importance par rapport aux autres. Parce que le pays se préoccupe en priorité de certaines
populations et chaque ville compte aussi ses groupes prioritaires. À Shanghai ce sont surtout les
personnes handicapées et les personnes âgées. En dessous peut-être nous trouvons les jeunes,
auquel la ville consacre un peu moins de fonds, mais il faut aussi diviser en deux groupes : les
locaux et les migrants. Mais finalement chaque année, le gouvernement de Shanghai consacre tout
de même une certaine partie de ses fonds aux enfants des migrants. Même si notre département
n’est pas prioritaire, nous sommes toutefois reconnaissant des fonds et des projets que nous
pouvons mettre en place pour ce groupe de bénéficiaires. De plus, nous espérons que si nous
n’étions pas présents dans ce domaine, d’autres organisations pourraient également prendre la
relève.
- Avez-vous des partenariats avec d’autres ONG ?
- Oui. Par exemple, en cours de projets avec le gouvernement, il n’est pas vraiment possible de
changer l’organisation responsable de la mise en place, bien que nous ayons tout de même
l’opportunité à la fin d’un cycle de rediscuter de l’orientation du projet pour l’année suivante. Mais
il est arrivé, lorsque nous étions sur un projet financé par une banque, que le projet s’écarte un peu
de notre mission et vision. Dans ce cas-là, pour la deuxième année, le projet s’orientait vers le
domaine musical, ils avaient besoin de professeurs de musique volontaires. Alors nous avons pris
contact avec une organisation qui correspondait, avec des professeurs bénévoles qui forment des
jeunes à la musique. Nous les avons donc présentés à notre partenaire, nous avons établi le contact.
Au début, nous les avons suivis pendant deux à trois mois, pour s’assurer qu’ils reprenaient bien le
projet, et ensuite nous nous sommes retirés pour les laisser continuer seuls.
- Et vous partagez vos informations avec d’autres organisations sociales ?
- Oui, évidemment, il est vraiment nécessaire de collaborer dans ce domaine, il n’est pas possible de
s’en sortir tout seul.
201
29 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Young Bakers, Shanghai.*
*L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur
l’ONG, voir son site internet : http://www.shanghaiyoungbakers.com/.
Rencontre avec Cécile Cavoizy, Directrice exécutive, et Emilie Rigaud, Chargée des Programmes, qui
m’ont gentiment accordé une heure sur leur temps de midi.
- Sous quel statut votre organisation est-elle enregistrée ? Est-ce une entreprise ?
- C’est compliqué, comme tout en Chine.
- Je sais que pour les étrangers c’est difficile d’ouvrir quelque chose donc…
- Oui… En fait, principalement le programme est enregistré comme un programme de la Fondation
Chi Heng qui est enregistrée à Hong Kong. Le programme a été commencé par des Français qui
faisaient partie de la JCEF, la Jeune Chambre économique française, qui lance un peu des
initiatives, des projets comme ça. L’idée c’est de lancer un projet et de voir si ça marche très bien,
si ça se retransmet à la société. Donc là le projet a été lancé par des Français et ensuite pour le
pérenniser, ils l’ont retransmis à une ONG avec laquelle on travaillait en fait depuis le départ, qui
est donc la Fondation Chi Heng, qui elle-même est enregistrée à Hong Kong, mais qui travaille
dans toute la Chine. Donc la plupart de nos comptes, notre structure etc. dépendent de cette ONGlà, et après pour d’autres questions de facilités, on a fini par créer une entreprise ici à Shanghai, ce
qui permet pour les visas, pour certains contrats, pour certains choses d’avoir le tampon et tout ça.
Et le programme est aussi officiellement en partenariat avec la Shanghai Charity Foundation, pour
tout ce qui concerne la partie un peu plus chinoise du programme. Et on a aussi (1 :30…) en
France, mais cela ne sert pas à grand-chose en fait.
- Et vous recevez des subsides, pour ce programme-là spécifiquement, de la Chambre de Commerce
française ou comment vous vous organisez ?
- Pour le financement de Shanghai Young Bakers, c’est principalement des sponsors, des entreprises,
comme la Fondation Carrefour nous a beaucoup aidés pendant 6 ans, et puis peu après ça a
commencé à s’étendre, cette année la Fondation Accor, la Fondation Marriott, il y a eu la
Fondation PSA un moment qui nous a soutenus. On a d’autres entreprises locales qui à travers soit
leurs RH, marketing, etc. nous soutiennent également. On a Lesaffre par exemple qui est un de nos
sponsors, Lesaffre qui fait de la levure. Roquette qui travaille dans l’agroalimentaire nous avait
aidés sur la construction du Baking Center. On a des actions plus ponctuelles avec des entreprises
qui sont sur la plateforme du RSE (Responsabilité sociétale des Entreprises) donc qui peuvent nous
aidés au niveau des emplois après. Pour Roquette on organise des activités du genre teambuilding
et des choses comme ça, donc on essaye de les impliquer de cette manière-là, en montrant notre
travail. Sinon, on a monté fin 2011 ce qu’on appelle notre entreprise sociale, donc ce sont des
activités commerciales comme la vente du pain, des gâteaux,… l’organisation de cours publics
d’une journée en boulangerie-pâtisserie, donc cela nous permet de lever des fonds qui nous aident
également à couvrir aujourd’hui environ 20-25% de nos frais auprès du programme.
- Et comment êtes-vous arrivés à aider et à faire des formations pour les migrants arrivés à
Shanghai ? Ou la population flottante, c’est peut-être plutôt toute celle-là qui est visée par votre
projet ?
- En fait… on est responsable de la migration, on les rend migrants. Parce que l’idée du programme
c’était… ça a commencé en se disant qu’il y a plein de jeunes qui n’ont pas forcément accès à une
formation ou à une éducation, donc à un emploi stable, mais qui sont motivés mais pour des
questions de difficultés familiales, financières etc. ils n’ont pas forcément accès à ça. Notamment
au début on pensait aux orphelins. Et par contre au niveau de la boulangerie, des hôtels, des cafés,
etc., il y a une demande incroyable pour des boulangers qualifiés, et il n’y a personne qui fait des
formations de boulangerie française en Chine. Et donc l’idée au départ, en 2008-2009 quand ça a
commencé, c’est ce programme de formation pour accueillir des jeunes entre 17 et 23 ans qui n’ont
pas pu avoir des études ou des formations pour avoir accès à un emploi stable, et donc de leur
proposer cette formation-là. Et donc la plupart, normalement on avait des orphelins puis après on
202
s’est rendu compte qu’en fait les orphelins étaient assez pris en charge par les orphelinats ou en
tout cas ceux à Shanghai. On en a pris beaucoup, par exemple des pauvres de Shanghai, mais on
s’est rendu compte qu’à Shanghai, pour les Shanghaiens, il y a quand même pas mal d’accès à pas
mal de formations et d’autres choses. Donc depuis maintenant, on prend que des gens qui sont en
dehors de Shanghai. Mais souvent, en fait, les jeunes qu’on prend c’est soit des gens de la
campagne, du Henan, Anhui, Gansu, Shaanxi, qui nous sont recommandés par des ONG, avec qui
on travaille, soit ce sont des ONG qui aident les enfants à aller à l’école, ou qui aident les enfants
des rues, ou les enfants de parents emprisonnés. Et donc ils nous recommandent certains de leurs
jeunes, ou des frères et sœurs de jeunes qu’ils soutiennent, pour venir à Shanghai faire notre
formation. Il y en certains qui ont déjà travaillé dans des usines dans le Sud etc., il y en a d’autres
qui ne sont jamais sortis de leur village donc nous on leur donne en plein le choc de venir à
Shanghai. On travaille un petit peu avec JiuQian, tu dois connaître ?
- Oui je les ai interrogés.
- Donc là, cela fait trois ans que tous les ans on a une personne de JiuQian qui vient, en tant que
enfants de migrants ils ont un problème justement d’éducation parce qu’ils ne savent pas aller au
Gaozhong (lycée). Mais, mine de rien, on n’a qu’un seul de JiuQian par an parce que en termes
d’opportunités, comme ils sont déjà à Shanghai, ils ont déjà plus d’opportunités que les autres
jeunes qu’on reçoit, qui n’ont vraiment aucune opportunité dans leur village pour continuer leurs
études, pour trouver un emploi stable etc.
- Et donc parfois, ils viennent directement du village dans votre centre ?
- Oui complètement, pour la plupart, donc pour 95% c’est ça. Enfin, non, des villages dans notre
centre c’est la moitié. L’autre moitié il y en a qui ont de l’expérience professionnelle. Pour les
premiers il s’agit de petits boulots, autour de chez eux, mais donc même pas forcément aller dans la
ville la plus proche de chez eux.
- Et concernant les organisations avec lesquelles vous travaillez, je connais JiuQian, j’ai aussi
interrogé Stepping Stones qui m’a parlé de vous, y en a-t-il d’autres ?
- Les autres qui ne s’occupent pas des migrants. Il y a la Fondation Chi Heng qui s’occupe des
enfants affectés par le Sida. Donc ils ont des jeunes dont les parents sont soit séropositifs soit sont
décédés du Sida. Eux, ils sont principalement dans le Henan et Anhui, et commencent à être bien
présents dans le Yunnan et Guangxi, où il y a des problèmes de drogues, de prostitution etc. Notre
deuxième plus grand partenaire c’est Plan International. Et on travaille surtout avec l’équipe du
Shaanxi, et eux ont des critères assez larges. Ils sont actifs de manière générale dans la campagne.
Ils ont des bons étudiants. Ils sont vraiment partout en Chine, mais on travaille surtout avec leur
bureau à Shaanxi, où ils ont leur siège d’ailleurs. Dans les autres partenaires, il y a Baoji Xinxing.
Nous avons 5 étudiants de Baoji Xinxing cette année. Ce sont des enfants des rues. Ils ont
commencé à Baoji, mais maintenant ils ont un autre centre à Weinan également, dans le Shaanxi.
Au départ, ils aidaient surtout les enfants des rues, ils ont des centres d’accueil pour les enfants des
rues. Et maintenant, ils essayent également de faire de la prévention en amont pour aller dans les
campagnes pour éviter justement, les enfants des rues ils viennent des montagnes autour. Donc
voilà, ils essaient également de travailler en amont. Donc dans les étudiants qu’ils nous
recommandent, il y en a quelques-uns qui sont passés par la rue, mais la plupart, ils ont surtout été
identifiés dans leur famille, généralement ils sont en difficultés. Voilà, évidemment j’ai oublié
Madaifu. Ils ont aussi grandi pas mal. Madaifu essaye d’aider les enfants orphelins ou semiorphelins des familles monoparentales, dans le Gansu et le Shaanxi également, c’est plutôt dans la
région rurale. Ils sont également basés à Baoji, dans le Shaanxi. Qui est ce qu’il manque ? Morning
Tears, ils travaillent avec les enfants dont les parents sont emprisonnés, ils sont également assez
présents dans le Shaanxi. Il y a aussi Changning Minfu Center for Rural Sustainable Development,
ils sont au Yunnan, mais c’est une toute petite ONG, ils nous ont recommandé quelqu’un. Donc
voilà, ils sont sur nos sites, ce sont nos partenaires sociaux.
- Et vous savez combien de bénéficiaires vous avez par an ? Je ne sais pas comment vous les
comptez ?
203
- Chaque année, on a en moyenne 30 étudiants et on peut accepter 32 étudiants.
- Et vous les formez pendant un an, c’est une formation qui dure un an ?
- Oui, onze mois. Donc début septembre jusqu’à fin juillet.
- Et après vous les aidez à trouver du travail ou une fois qu’ils ont fini la formation généralement ils
trouvent facilement ?
- Ils n’ont pas besoin de nous en fait (rires). On les aide dans le sens où on organise donc la
cérémonie de remise des diplômes, et juste avant on organise une Career Fair, où là les entreprises
peuvent venir se présenter, et font passer des entretiens formels à nos étudiants. Sinon, ils sont en
stage aussi. En fait les stages sont en alternance, ils ont 2 semaines de cours, 2 semaines de stage,
- Ah oui, ils sont directement intégrés professionnellement alors.
- Oui, ils sont dans des hôtels 5 étoiles tous à Shanghai. On a 15 hôtels partenaires cette année. Et
donc, il y en a qui décident d’y rester travailler, si l’hôtel leur donne la possibilité de travailler là où
ils font leurs stages.
- En fait, il y a tellement d’opportunités dans le monde de la boulangerie que s’ils ont deux ou trois
offres chacun, donc c’est à eux de choisir. C’est vrai quand on dit qu’on ne les aide pas, parce que
l’idée en fait c’est de les rendre indépendants. Le problème c’est qu’il y a tellement de demandes
en boulangerie que, voilà, on fait en sorte que tous ceux qui nous contactent soient en contact avec
eux, et après c’est à eux de faire leur choix.
- En général, restent-ils sur Shanghai, ou vont-ils dans d’autres villes ?
- La majorité reste sur Shanghai, surtout que déjà ils commencent à avoir leur réseau au bout d’un an
à Shanghai, donc c’est plus facile, avec leurs anciens chefs, avec tous nos diplômés, car ils ont
vraiment un bon réseau, entre les anciens diplômés et les étudiants. On voit aussi qu’à Shanghai,
c’est une bonne façon de commencer leur carrière, et d’acquérir de l’expérience. Après, bon,
certains essayent d’aller plus près de leur village d’origine. Soit tout de suite après le diplôme, soit
après quelques années, ça leur permet de travailler dans des hôtels à Zhengzhou, à Xi’an, etc. Il y
en a d’autres qui ont d’autres attaches en Chine, et qui vont également regarder ailleurs. Il y en a
deux qui sont partis à Wuhan et qui sont très bien…
- Et donc vous les suivez, même après leur formation, vous savez ce qu’ils sont devenus… ?
- Oui, on sait où tout le monde est. Il y a 120 diplômés, parce qu’en fait, on a commencé avec 16
étudiants et puis on a augmenté d’année en année. Et là, on est à 35 cette année. Ceux qui sont à
Shanghai, on essaye de les voir régulièrement, donc on organise des activités où tout le monde se
rencontre. En fait, nos professeurs de boulangerie-pâtisserie sont des étudiants de la première
promo, qu’on a sélectionnés. Ils ont appris le français à l’Alliance française, on les a envoyés à
Aurillac en France pour passer leur CAP (Certificat d’Aptitude professionnelle) et apprendre à
devenir professeur de boulangerie-pâtisserie. Là ça fait la quatrième année qu’ils sont revenus et
qu’ils sont professeurs pour notre programme. Et ils ont un super contact avec que ça soit leurs
camarades de l’école ou des étudiants à qui eux-mêmes ont enseigné. Donc du coup, il y a un bon
réseau et un bon contact avec tout le monde.
- Et pensez-vous élargir le nombre de bénéficiaires encore ? Je ne sais pas si c’est possible par
rapport au financement… ?
-
On ne peut pas, en fait le nombre de nos bénéficiaires dépend de nos locaux, de l’équipement
qu’on a et du coup, je ne pense pas agrandir… Il faudrait chercher un espace plus grand et plus de
sponsors alors. Mais en fait, on travaille avec d’autres ONG, pour les aider à créer leurs propres
programmes de formation en boulangerie. C’est notre façon aussi de toucher plus de jeunes.
- Et vous avez déjà des résultats à ce niveau-là ?
- Oui, on a travaillé il y a deux ans avec une organisation basée au Tibet, qui s’appelle Bread
Without Borders. Ils aident les jeunes malvoyants et donc, ils ont envoyé une employée en
204
boulangerie à Shanghai, qui a passé un an avec les étudiants en formation en boulangerie-pâtisserie
et ensuite elle est rentrée au Tibet pour ouvrir la formation en boulangerie là-bas. Donc voilà, ça
tourne, ça y est. On les a revu il n’y a pas longtemps. Sinon, en novembre, on est allé à Pékin pour
rencontrer Crazy Bake, ce n’est pas vraiment une ONG…
- Elle n’est pas enregistrée légalement mais…
- Ça arrive souvent ça !
- Oui, exactement ! En fait, c’est compliqué, ils font partie d’un hôpital qui s’occupe des personnes
handicapées mentales. Ce sont deux Allemandes qui ont voulu équiper cette petite boulangerie,
parce qu’elles pensaient que les patients s’ennuyaient et aussi pour leur donner des moyens pour
s’acheter des choses pour embellir leur vie de tous les jours, parce qu’ils n’ont pas droit de sortir du
centre. Du coup donc, on est allé là-bas pour former le chef à de nouvelles recettes en boulangerie
et tout ça…
- Et l’année prochaine, on va travailler en relation avec une entreprise sociale à Chengdu qui va en
fait travailler un réseau de petites boulangeries pour des handicapés à Chengdu. Donc en termes de
gestion d’entreprises sociales, ils sont très bons, mais en termes de boulangerie… Donc ils ont fait
appel à nous et on est en train de voir. Ça a failli se faire cette année, mais finalement cela se fera
l’année prochaine. Ils vont faire un peu le même modèle qu’avec l’organisation au Tibet. Ils vont
envoyer un de leurs employés à se former avec nous pendant un an à la boulangerie et à notre
technique pour développer des formations pour qu’ensuite ils puissent retourner à Chengdu et
monter ce réseau-là avec notre soutien.
- Est-ce que vous êtes soutenus par le gouvernement dans vos démarches ou la relation est-elle assez
compliquée ?
- Ce n’est pas très compliqué… On est surtout…euh
- Enfin, il n’impose pas forcément des limites ?
- Non, on n’a pas eu tellement de problèmes. Ils aiment bien ce qu’on fait. Et donc, ils nous laissent
faire, en gros… On a une relation avec Shanghai Charity Foundation qui aussi officiellement
supervise nos programmes. Je pense que notre programme est un petit peu compliqué par rapport à
d’autres programmes qu’ils soutiennent donc, ils pensent qu’on organise des cours…, qu’on fait
venir des gens, et qu’on les met à l’école, et puis on organise des cours et puis c’est bon.
- Ah oui, ils ne comprennent pas forcément...
- L’étendue…voilà, qu’on organise nous-mêmes nos propres cours, qu’on est très impliqué dans le
curriculum et dans le suivi des étudiants. Surtout parce qu’avec toutes les entreprises sociales, ce
n’est pas vraiment ce qu’ils ont l’habitude de gérer. Mais, en soi, ils aiment bien notre programme,
et donc la relation franco-chinoise etc. et toutes les relations qu’on a avec le gouvernement, ils
trouvent le projet très sympa et voilà. Et aussi nous, en tant qu’ONG, on regarde surtout les
solutions, nous on ne va jamais chercher les problèmes en fait. On demande aux autres ONG d’aller
nous recommander des jeunes qui auraient des problèmes mais nous on ne regarde jamais les
problèmes, on donne juste une solution. Donc ça, en soi ça veut dire que nos relations avec le
gouvernement sont quand même finalement assez simples parce que…
- Oui, vous ne faites pas de promotion pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent à Shanghai.
- Oui, voilà, exactement. On ne parle même pas de problèmes en fait, on dit juste qu’on fait une
formation en boulangerie, et on ne dit même pas qu’il y a un problème en Chine quelque part.
- Oui, vous restez plutôt neutre donc. Je ne connaissais pas en tout cas Shanghai Young Bakers, ça
existe depuis longtemps à Shanghai ?
- La première promo a commencé en février 2009. La première promo était de 6 mois, et après donc
depuis septembre 2009, là on est à la… septième promo ! Qui est en cours actuellement.
- Quelles sont exactement vos fonctions à vous deux ?
205
- Ça a changé récemment !
- Donc moi, je suis chargée du programme caritatif sur tout ce qui est opérationnel. Donc suivre les
étudiants au jour le jour et tout ce qui est en lien avec les étudiants.
- Mais il y a beaucoup de choses en lien avec les étudiants, c’est ça le problème !
- Et vous faites aussi par rapport aux démarches administratives pour leur séjour à Shanghai ?
- Heu…oui il y a plein plein de choses… Donc en fait, je gère l’équipe, on a trois professeurs, et on a
aussi une éducatrice sociale donc qui s’occupe des étudiants au jour le jour.
- Sont-ils tous chinois dans l’équipe ?
- Oui, ces quatre-là oui. Après on a d’autres personnes qui sont de nationalités différentes mais bon,
ceux-là sont chinois. Et donc, ça peut être par exemple organiser des activités le weekend pour les
étudiants, être sûr qu’ils aient tout ce qu’il faut, donc logement, qu’ils soient bien dans leur stage.
Donc il y a tout le suivi des stages à faire, donc relations avec les hôtels, avoir le feedback des
chefs,…
- La définition du curriculum et la mise en place du curriculum, enfin c’est bien sûr avec les
professeurs de boulangerie-pâtisserie, mais enfin, il y a aussi tout ce qu’il est management du
Baking Center là-dedans. Et après tout ce qui est les cours d’anglais et de life skills qu’on organise.
Donc c’est tout la mise en place et sachant qu’à chaque fois ce sont des bénévoles, donc les
professeurs bénévoles pour faire toute cette partie-là.
- Oui donc c’est comme ça que Stepping Stones a dû parler de nous, ils font les cours d’anglais.
- Et eux ils viennent dans vos centres, c’est comme ça qu’ils font, ils vous envoient des volontaires
pour enseigner l’anglais dans vos centres ?
- Oui. Et après, j’ai aussi la partie partenariats, donc tous les partenaires que l’on a actuellement,
pour la partie des ingrédients, les équipements dont on a besoin au Baking Center… Et la
communication.
- Et l’évaluation des programmes par rapport aux sponsors, je ne sais pas si vous devez faire des
rapports, des suivis… ?
- Euh…oui. Ça on fait tous ensemble.
- Surtout les rapports d’évaluation que nos sponsors nous demandent ça n’a rien avoir avec tous les
trucs aux Nations Unies ou autre chose, c’est extrêmement simple, en fait on a très peu… on fait du
monitoring evaluation, mais on le fait de manière hyper informelle parce que par exemple,
simplement les diplômés on sait tous exactement ce qu’ils font et où ils sont, mais ce n’est écrit
nulle part, ce qui n’est pas bien. Et aussi, on a des sponsors qui nous demandent de les tenir au
courant de ce qu’il se passe mais ils n’ont pas des formulaires dans tous les sens à remplir. C’est
d’ailleurs quelque chose que l’on pourrait vaguement améliorer mais qui reste relativement léger
par rapport à ce que les autres ONG qui passent leur temps à faire ça… Mais on communique
beaucoup, on fait beaucoup de communications, on a un site web qui est mis à jour très
régulièrement, on a une newsletter mensuelle, on a Weibo (Twitter chinois), on a Facebook, on a
Weixin (We Chat)… on a plusieurs articles de médias tous les mois. Cela demande également
beaucoup de travail, mais cela met bien en valeur nos partenaires. En fait, on a des partenaires qui
accordent plus d’importance finalement à la mise en valeur du programme et à leur partenariat qu’à
des chiffres concrets… Les fondations d’entreprises, ce sont qui sont le plus dans voir nos résultats
en termes d’impact social, et même eux, ils ont envie de vérifier que nos projets roulent, mais ce
qui les intéresse le plus c’est de voir si les collaborateurs du groupe sont impliqués ou comment ils
nous soutiennent, si on les met en valeur dans notre communication et de vérifier en tout cas qu’en
somme tout cela accroit leur image, etc. Donc du coup, c’est vrai que cette partie-là est finalement
plus importante que des rapports précis qu’on pourrait leur donner.
- Et votre fonction à vous ?
206
- Je m’occupe surtout de tout ce qui est back office, avec finance, RH, légal etc. Et là, récemment, on
a aussi décidé que je ferai aussi de la représentation, le reporting, par rapport à la fondation Chi
Heng, qui est notre organisation principale, et la représentation à l’extérieur. Et aussi le
développement de partenariat, d’essayer de trouver d’autres partenaires, d’autres sponsors, et
essayer de trouver des idées pour trouver des financements, sachant que c’est la plus grosse
question pour trouver des financements année après année… Donc je m’occupe plutôt de ça. D’où
le titre grandiloquent de directeur exécutif ! (rires)
- Oui, on ne sait jamais ce qui se cache là-dessous ! Et par exemple avec l’Alliance française, vous
avez aussi un partenariat ? Je ne sais pas s’ils offrent les cours ou vous devez les financer quand
même… ?
- Non, quand nos trois professeurs avant de partir, ils ont pris des cours de langue française, et ça
l’Alliance française a accepté de les laisser suivre gratuitement les cours. Et là, on en a deux autres
jeunes qui sont actuellement à Aurillac, pour passer le CAP pour ensuite revenir. Eux aussi ont
suivi les cours gratuitement à l’Alliance française pour apprendre le français avant de partir en
France. Donc c’est comme ça qu’ils nous ont aidés.
- Et par exemple le logement quand ils sont en France, le vol, etc. ? Tout ça est pris en charge par
qui ?
- C’est nous qui payons, mais là pour un des étudiants on a un sponsoring de la Fondation Marriott,
donc ça couvre tout ses frais de vie. L’autre, Jin Huizi, c’est sur nos réserves qu’on doit payer, on
n’a pas trouvé de sponsor spécifique pour prendre ça en charge.
- Et sur place y a-t-il quelqu’un qui les accompagne ?
- Sur place, en fait, non. Donc en fait, ils suivent des cours à l’École française de BoulangeriePâtisserie d’Aurillac (EFBPA), ils suivent le CAP et ils sont formidables donc là la dame qui gère
l’école leur a tout organisé pour qu’ils soient installés, leur a trouvé un logement, etc. L’EFBPA
assume les deux qui suivent les cours entièrement gratuitement. Ce qui est bien sachant que la
formation est quand même de 11.000-12.000 euros pour les 6 mois. Par contre donc tous les frais
de vie, ça ils ne peuvent pas les prendre en charge bien sûr, donc ça à nous de le faire, donc on doit
bien organiser, qu’ils aient chacun un vélo, etc. et donc il y a quelqu’un qui est là en cas de
problème. Après, ils sont grands aussi. L’idée c’est qu’ils soient aussi autonomes dans leur vie de
tous les jours.
- Et par rapport aux étudiants qui vivent ici, par exemple, ils sont ici avec leurs parents ou je ne sais
pas très bien, comment cela se passe-t-il ? Comme certains viennent directement de leur village, où
sont-ils logés ?
- Oui, en fait on loue des dortoirs dans une école, un lycée professionnel chinois, qui n’est pas loin
de notre Baking Center et qui est aussi notre partenaire donc. Donc on loue les dortoirs là-bas et
une salle où ils ont leurs cours d’anglais et d’autres cours, sauf la boulangerie et pâtisserie qui se
fait dans notre Baking Center. Donc, ils ont des dortoirs là-bas, et quand ils viennent, normalement
ils sont regroupés par ONG en fait, ils viennent ensemble avec un ou deux accompagnateur(s) à
chaque fois qui les amène(nt) à Shanghai. Et puis après, ils les laissent, et puis nous on prend le
relais avec l’éducatrice sociale.
- Et concernant leurs frais de la vie quotidienne, c’est vous qui prenez tout en charge ?
- Oui, c’est nous qui prenons en charge. Au début c’est nous qui prenons en charge, jusqu’à ce qu’ils
commencent les stages en hôtel et là ils gagnent 100 Yuans par jour pour travailler dans les hôtels.
- Ah oui, donc ils deviennent plutôt indépendants…
- Oui, en fait, ils ont plus ou moins 1000 Yuans par mois pour pouvoir subvenir à leurs frais de
repas, transport, téléphone… des choses comme ça. Donc les trois premiers mois, nous on leur
donne des indemnités pour ça, et après avec leurs stages, ils arrivent à couvrir leurs frais
personnels. Après nous on prend en charge tout ce qui se passe dans l’école, que ça soit les cours,
les uniformes, le matériel éducatif, les frais pour l’assurance médicale, tous les frais médicaux
207
qu’ils peuvent avoir, les sorties, les repas de temps en temps, les transports pour aller au Baking
Center, etc. tout ça c’est nous qui prenons en charge. Et voilà, généralement dans l’année on leur
dit, normalement il ne devrait pas y avoir besoin d’aucune épargne, aucune aide financière de votre
famille. L’idée c’est vraiment de pouvoir accueillir des gens qui n’ont pas du tout d’argent de côté.
Par contre, clairement ils ne gagnent pas d’argent pendant l’année… ça c’est après.
- Et est-ce que vous voyez un changement dans leur comportement ? Vous dites qu’ils ont d’autres
cours, quelles sortes de cours ont-ils en plus à part l’anglais ? Si j’ai bien compris ils ont des cours
« de vie » ?
- Oui, « de vie ».
- On leur apprend à vivre dans une ville, c’est cela ?
- Euh, oui, enfin c’est surtout pour leur apprendre à s’adapter à un environnement professionnel, à
communiquer, à gérer les conflits, à avoir confiance en eux… plein de sujets de vie justement, qui
sont vraiment nécessaires pour eux, même s’ils acquièrent déjà les compétences en boulangerie au
bout d’un an, mais il leur manque d’autres outils pour justement développer leur carrière.
- Et les professeurs qui viennent leur donner ces cours-là, c’est l’éducatrice sociale, ou ce sont des
volontaires ?
- Parfois c’est elle, mais sinon c’est des bénévoles professionnels en fait.
- Que vous trouvez via d’autres ONG ?
- Oui, on a trouvé via une autre ONG, début de l’année…
- Included. C’est Included qui nous a aidés…
- Ah oui, je les ai aussi interrogés.
- Ah oui, parce qu’ils sont quand même importants, là. C’est eux au départ qui ont mis en place le
curriculum de life skills, pour nous. Donc au départ, il y avait une grosse partie, c’étaient eux, leurs
employés, qui faisaient les cours. Et ils avaient également d’autres professionnels qui venaient
bénévolement compléter une partie des cours. Après qu’on ait fait rentrer les autres, ils ne
pouvaient plus gérer ce programme-là eux-mêmes, donc en fait c’est nous qui le gérons en interne,
on a le curriculum, on a certains contacts avec les professeurs, on a trouvé d’autres, des
psychologues, des assistants sociaux qui peuvent prendre en charge une partie du curriculum. Il y a
également des choses comme la gestion financière personnelle. Ça c’est fait par Be Better. Plus
spécifiquement, ils enseignent à des jeunes de tout âge à gérer leur argent. En disant que ce n’est
pas quelque chose que seuls les riches ont besoin de comprendre, mais surtout les pauvres pour
pouvoir bien gérer, c’est super important pour des étudiants, comment faire durer l’argent jusqu’à
la fin du mois. Après, on a eu des choses comme à la fin de l’année, il y a des cours pour qu’ils
apprennent à faire leur CV, comment conduire un entretien professionnel, et pour ça on invite des
RH, si possible des RH qui sont en hôtellerie, pour leur dire comment faire tout ça, et simuler des
entretiens, pour pouvoir se mettre en valeur et savoir mettre en valeur leur hard skills.
- Et vous voyez vraiment la différence entre le début, à leur arrivée, et la fin, quand ils sont prêts à
prendre leur envol ?
- (Rires), moi je n’ai pas encore vu, comme j’ai rejoins l’équipe en mai, donc j’attends patiemment
juillet pour le changement.
- Si, si, surtout par rapport au premier jour, quand ils arrivent, certains n’ont vraiment jamais été
dans une grande ville donc le premier jour il y a beaucoup de timidité, manque de confiance en soi,
etc. Et clairement, ça, au bout de l’année on voit leur confiance en soi, ils sont plus à l’aise. Pour
certains quand même on voit déjà le changement, genre Hua Han qui était un petit peu immature au
début, et là… pour certains, surtout ceux qui n’ont jamais travaillé avant donc c’est quand même
assez difficile. Ils doivent plutôt justement apprendre la relation par rapport aux autres, travailler à
la campagne ce n’est pas du tout la même chose que de travailler ici en termes d’horaires, en
208
termes de communication etc. Donc c’est surtout au niveau de la responsabilité, mais bon
réellement le mettre en œuvre, c’est plus ce qu’ils apprennent au cours de l’année.
- Sont-ils toujours aussi motivés, depuis le début jusqu’à la fin, ou y a-t-il des moments plus
difficiles ?
- (Ironise) Oui, hein, il n’y a aucun problème, ils arrivent toujours tous à l’heure, ils ont de 18 à 23
ans mais jamais n’ont de problèmes d’adolescence… (rires). Enfin, c’est des populations difficiles,
c’est des adolescents un peu âgés, mais c’est des adolescents. Ils ont des passés quelque fois un
peu difficiles. Ils n’ont pas toujours été bien encadrés dans leur famille, ils n’ont pas toujours eu le
support qu’ils ont eu besoin de la part de leurs parents, de la part de leur environnement,… Donc,
clairement, il y a beaucoup d’épisodes d’indécision, de problèmes, d’encouragement aussi parce
que souvent le truc c’est que je suis à Shanghai, j’ai une difficulté, et souvent ils ne savent pas
comment la résoudre autrement que dire je m’en vais, je rentre chez moi. Donc on doit leur
expliquer que quand un chef est en colère, ce n’est pas forcément parce qu’il en a après lui
particulièrement, mais que quand il dit « 9h », ce n’est pas « environ 9h », mais c’est 9h et voilà, et
qu’il ne faut pas prendre cette engueulade personnellement mais en plus les chefs d’hôtels à
Shanghai, ils ne sont pas faciles hein, il faut se les farcir aussi… Ils sont Shanghaïens, ils ne
connaissent pas forcément les gens qui viennent d’ailleurs… Donc voilà, les encourager et dire s’il
y a une difficulté, on peut communiquer, on va essayer… Pour ça, il y a beaucoup de ce genre de
problèmes qui arrivent, auquel cas on essaye d’être avec eux pour faire face à leurs problèmes et
essayer de trouver des solutions ensemble. Leur apprendre à montrer qu’ils font des efforts quand il
le faut, ils ne savent pas forcément comment le montrer à leurs chefs et leurs collègues, donc ça
c’est quelque chose dans lequel on doit intervenir. Voilà, après problème de motivation de temps
en temps, ou des pannes de réveil, ou des choses comme ça, mais bon, ça c’est normal, ils ont 20
ans…
- Et par rapport à votre ONG plus spécifiquement, est-ce que vous voyez des points forts et des
points faibles de l’ONG ? On a déjà parlé de l’évaluation pour les choses à améliorer, mais quels
sont les points forts et les points faibles de votre organisation ?
- Le premier problème c’est financier. Donc notre formation en boulangerie est quelque chose qui a
une valeur commerciale certaine en Chine et donc d’un côté c’est génial parce qu’on peut avoir
plein de partenaires qui sont vraiment très intéressés par ce qu’on fait, et ça ne vient pas seulement
de notre côté social mais on a vraiment un intérêt direct, que ce soit pour des entreprises en
agroalimentaires, que ce soit pour des particuliers, qui nous soutiennent en achetant des gâteaux, en
achetant des pains ou en participant à un cours, on a un service commercial à leur donner et d’un
côté ça c’est une force qu’on peut bénéficier de notre valeur commerciale pour attirer à la fois des
entreprises et des particuliers. C’est quelque chose de parfois un peu délicat sur lequel
communiquer parce qu’on est quand même avant tout un programme caritatif, on ne veut pas que
nos partenaires, que ce soit les entreprises ou les particuliers, n’oublient pas notre côté caritatif,
n’oublient pas notre mission sociale qu’ils ne nous demandent pas justement de changer notre
programme pour faire face à leurs exigences commerciales. Donc ça c’est un équilibre à trouver,
quand on cherche des partenaires, quand on cherche des particuliers, pour mettre en valeur la
qualité et le professionnalisme, qui sont des choses très importantes pour nous qu’on essaye de
faire à travers notre programme, que ce soit dans la manière dont on gère la boulangerie ou la
manière dont on gère les étudiants et qu’on gère le programme qui bénéficie aux étudiants. C’est
quelque chose qu’on essaye de mettre en valeur et qu’on essaye de montrer à nos partenaires mais
on espère aussi qu’ils ne perdent pas de vue ce côté social qui est le plus important. C’est pour ça
qu’on fait le programme, on ne le fait pas pour avoir de l’argent. On pourrait se faire plein d’argent
en vendant le programme de formation en boulangerie parce qu’on nous a déjà demandé et ça a une
valeur énorme en Chine. Mais pour nous, le but final ce n’est pas la boulangerie, être la meilleure
formation en boulangerie de Chine, ce qu’on est actuellement, c’est pour nous un moyen d’aider les
jeunes, et pas une finalité en soi. Et ça c’est quelque chose dans notre travail de tous les jours qu’on
doit toujours garder en tête parce que les déviations peuvent être très faciles, ou les
incompréhensions de la part de certains de nos partenaires ou certains clients potentiels mais donc
voilà, c’est quelque chose à clarifier. C’est un point important. Un autre grand point important c’est
209
comment améliorer l’impact social. D’une part en termes d’évaluation, comment mieux le
communiquer, parce c’est vrai on le connaît bien en interne mais on nous a fait la remarque c’est
vrai qu’il n’est pas forcément très mis en avant, par exemple au niveau de notre site web, on va
essayer de reprendre les choses. Parce que pour la partie des étudiantes, on sait nous ce que chacun
représente, mais après, les autres voient une photo de classe et c’est tout. Mais on n’aime pas
forcément le communiquer, on a des étudiants en plus qui aiment bien venir ici, qui sentent qu’ils
ne sont pas bénéficiaires d’un truc caritatif, ils sont là pour avoir une formation, ils aiment bien, ils
ont envie d’apprendre un métier et d’être indépendants. On organise de temps en temps des
activités où eux, ils ont l’occasion d’être bénévoles, ils peuvent aider. On avait fait une activité à
Included une fois, pour Noël, nos étudiants étaient venus pour être bénévoles pendant la journée et
aider. Là récemment ils ont fait la même chose avec YouDao, une autre organisation. Voilà, ce
genre d’activités en tant que bénévoles, ils adorent ça pouvoir être en situation où ils peuvent
rendre. On a souvent des médias etc. mais on essaye de faire en sorte que les étudiants…enfin on
ne nomme jamais, on veut que cela soit sur la base de notre programme et pas sur la base de tel et
tel étudiant qui a telle et telle situation personnelle, et qui telle et telle situation difficile…
- C’est vrai qu’en Chine, ils aiment souvent vendre du drame…
- Mais pas forcément en Chine, n’importe qui, qui fait du sponsoring individuel, tu as envie de savoir
ce qu’il y a derrière, avoir des anecdotes personnelles, c’est absolument logique mais donc voilà,
on n’a pas envie de trop faire ça. L’idée c’est qu’ils soient tous ensemble et qu’ils ne soient pas pris
individuellement. Voilà, qu’ils laissent derrière eux leur passé un peu difficile, et là ils sont
responsabilisés, enfin on les responsabilise et pour nous ce n’est pas important les difficultés qu’ils
ont eues avant, on est là pour avancer ensemble, et faire en sorte qu’ils puissent devenir
indépendants, indépendamment des difficultés qu’ils auraient pu avoir par le passé. Donc ceci dit,
on a quand même des choses à améliorer pour montrer quand même plus l’impact social et le genre
de background d’où viennent nos étudiants. Donc, à la fois mieux communiquer sur l’impact social
et la valeur du programme social, parce qu’on a que 30 étudiants par an, tout le monde nous le
reproche. Notre formation est extrêmement chère. Pour nous c’est important, parce que c’est une
formation de qualité où on prend tout en charge pendant un an. Par opposition à d’autres ONG qui
pourraient offrir un cartable à 3000 étudiants, on espère que l’impact qu’on a sur un an, qui en fait
équivaut à toute la formation du lycée plus toute la formation de l’université. La plupart de nos
étudiants ont fini le collège, et voilà donc on est en train de remplacer 7 ans d’éducation, et à la fin
nos salaires sont aussi bons voire quelque fois meilleurs qu’en sortant du système d’une université
de base. On essaye aussi de rendre ça plus sur la table. C’est vrai qu’on a seulement 30 étudiants
par an, on ne veut pas non plus augmenter au-delà de 32, parce que notamment en termes
d’attention, chacun individuellement ils ont tous besoin d’attention. Donc si on a un trop grand
nombre, on ne pourra pas leur donner l’attention dont ils ont besoin et faire en sorte que vraiment
ils réussissent. Ceci dit, on cherche quand même à avoir un plus grand un impact social donc en
essayant de développer, c’est quelque chose qui est vraiment une priorité et qu’on réussit bien pour
qu’on essaye de développer ce genre de chose qu’on a fait avec Bread Without Borders, Crazy
Bake et qu’on va faire avec Chengdu. On essaye de voir avec d’autres ONG s’il y a moyen que la
valeur commerciale de notre formation en boulangerie puisse être utilisée, pas pour des entreprises
commerciales mais pour d’autres ONG qui pourraient bénéficier de notre expérience, bénéficier
aussi de notre curriculum, bénéficier de l’expertise qu’on a développée pour elles-mêmes l’utiliser
de manière différente, pas juste une formation pour que ce soit une boulangerie commerciale qui
vende des produits. Par exemple pour Bread Without Borders, c’est à la fois une formation qui doit
aider leurs étudiants aveugles à devenir plus indépendants dans la cuisine et éventuellement en faire
un métier. Et aussi en vendant les pains qu’ils font, pour eux ils espèrent aussi que ce soit une
façon de financer une partie de leurs formations et leur ONG. Donc il y a plusieurs niveaux
différents, en plus c’est quelque chose de très local la boulangerie, il faut absolument le faire sur
place, il faut absolument que ça soit frais et c’est aussi un produit de communauté, d’entourage, qui
est très local. Et qui peut donc vraiment être utile et bénéfique à plein d’ONG ou des projets
caritatifs partout, on va commencer par la Chine et l’Asie ce sera dans deux ans !
- Ah oui, donc vous pensez le faire dans d’autres pays ?
210
- Pas là directement, et puis il y a d’autres projets similaires qui existent au Vietnam, et au
Cambodge. Au Laos je ne suis pas sûr, mais c’est sur des sites web donc ce n’est pas toujours
évident. De façon très très plus large, on aimerait bien créer un réseau autour des ONG qui font
aussi quelque chose dans la boulangerie sociale, parce qu’on pense qu’on a plein de choses à
s’apprendre les uns les autres.
- Vous n’avez jamais pensé à faire des cours payants pour des étudiants plus riches qui
financeraient en fait la formation des autres étudiants ?
- Complètement, on y a pensé un moment, à faire une classe de 100 personnes avec la moitié qui
paye et l’autre moitié qui ne paye pas. Mais on n’a pas envie de faire ça, d’une part justement on se
dit que, on veut mettre en fait toutes les chances du côté des étudiants qu’on veut aider. Et on a
peur que d’avoir une classe avec des étudiants qui sont plus favorisés, qui parlent bien anglais, qui
sont à l’aise, sont plein de confiance en eux, du coup ça va désavantager nos étudiants à nous qui
du coup vont avoir plus difficile d’avoir de la confiance en soi, qui vont plus se comparer avec eux,
et qui, dans un hôtel où il y a deux stagiaires, l’hôtel va forcément préférer celui qui parle anglais,
qui est à l’aise, etc.
- Et de faire deux programmes à part ?
- Et de faire deux programmes à part, il y a d’autres problèmes par rapport à ça qu’on devrait
résoudre si on faisait le programmes un peu différemment. Si on faisait un programme
complètement à part, le programme serait très très cher pour au final quand même être boulanger,
c’est une bonne opportunité pour nos jeunes à nous, mais si on demandait à des gens de payer, le
coût de notre formation actuellement c’est de 50.000 Yuans, si on devait le faire en deux fois, elle
coûterait deux fois plus cher, donc on demanderait à des étudiants de payer 100.000 si on veut
utiliser cela pour financer le programme, pour une formation pour laquelle à la fin on a des salaires
à 3000 au début, et peut-être 10.000 au bout de 5 ans, mais aucune famille n’accepterait de payer
une formation à 100.000 Yuans à leur enfant pour être apprentis-boulanger ou pâtissier dans un
hôtel. Donc ce serait une formation qui serait extrêmement cher, donc il n’y aurait pas vraiment
beaucoup de personnes qui seraient prêtes à payer pour ça…
- Le métier de boulanger n’est pas forcément bien reconnu ici en Chine ? Ou est-ce que c’est plutôt
le fait d’être « apprentis », de commencer à une échelle plus basse ?
- Le fait d’être en cuisine, nous on travaille beaucoup là-dessus, c’est quelque chose sur lequel on
travaille énormément, pour que nos élèves sachent dire à leur famille qu’ils ne sont pas juste en
train de travailler au wok dans la cuisine, mais que la boulangerie, est un métier reconnu, qu’il y a
des ouvriers de France qui sont boulangers, qui ont participé à des événements internationaux, qui
travaillent à travers le monde, qui sont des entrepreneurs qui réussissent très bien, enfin, des gens
qui ont vraiment réussi dans la vie grâce à la boulangerie. Et on les invite pour que justement les
élèves puissent voir que s’ils continuent dans cette voie, dans 10, 15 ou 20 ans il y a vraiment
moyen d’avoir un réseau international, et d’avoir une certaine reconnaissance. Mais c’est pas du
tout évident, et à la base c’est quand même un métier super manuel dans les cuisines. Donc pour un
parent lambda, ce n’est pas forcément le métier qu’ils voudraient pour leur enfant, ils préféreraient
qu’ils soient avocats ou directeur… Voilà pour ça. Et ça demanderait aussi des ressources énormes
de créer deux programmes, vraiment il faudrait qu’on double notre budget. Et par contre ce qu’on
fait pour pallier ça, on essaye de développer des activités commerciales, pour avoir une levée de
fonds qui va nous aider à financer notre programme et on essaye de faire en sorte de justement
garder un équilibre dans cette entreprise sociale, entre l’argent que cela va nous rapporter, l’intérêt
et les avantages que cela peut procurer à notre programme ou les ressources que l’on va utiliser
pour le mettre en place, un équilibre entre tout ça. Et donc par exemple on fait facilement des cours
de boulangerie pour une journée et ça, il y a un énorme marché, les gens sont prêts à mettre plus
d’argent, pour une journée. Cela est aussi un plus pour notre expertise, on peut parler de notre
image, on peut parler de notre programme caritatif. Pour certains ils veulent juste apprendre à faire
quelques desserts ce jour-là, pour d’autres c’est pour participer à notre programme caritatif… Donc
ça, c’est une façon qui ne nous prend pas trop de ressources, parce qu’on peut le faire le samedi
quand le Baking Center n’est pas utilisé, donc quand les professeurs sont libres. Donc c’est
211
vraiment très peu de ressources en plus, et cela nous permet vraiment de lever des fonds sur cette
journée-là. Là, on est en train de mettre en place une formation de quelques jours, qui est plus
professionnelle, qui n’est pas destinée à des gens qui vont être en bas de l’échelle dans l’hôtel mais
plus pour des gens qui sont quand même assez riches et qui peuvent investir là-dedans, et qui vont
peut-être ouvrir des cafés et des restaurants, et qui ont besoin quand même de connaître les bases en
boulangerie-pâtisserie pour pouvoir gérer certains pains ou gâteaux dans le café ou le restaurant
qu’ils veulent ouvrir. Donc ça c’est quelque chose qu’on va mettre en place ces deux prochains
mois, et qui, on espère, va vraiment pouvoir lever des fonds, tout en restant gérable au niveau des
ressources que ça demande pour le mettre en place.
- Et par rapport à la sélection des enfants, comment faites-vous ? Parce que je suppose qu’en Chine
il y a quand même pas mal de jeunes qui sont nécessiteux et donc comment les sélectionnez-vous ?
- La première chose c’est de travailler avec des ONG qui on partage les mêmes valeurs et qui
connaissent bien leurs bénéficiaires, ce qui est un problème d’ailleurs parce que à la limite, les
jeunes qui sont les plus nécessiteux n’ont pas forcément été identifiés par les ONG, ça c’est un
problème. Et on a des ONG parfois qui aident tellement bien leurs jeunes qu’ils n’ont pas besoin de
nous. On a travaillé avec SOS Village enfants, et eux, franchement, les enfants qu’ils accueillent ce
sont des orphelins, mais ils leur donnent les mêmes opportunités, ils ont des familles d’accueil, etc.
à la limite ils ont les mêmes opportunités que n’importe quel gamin pas de la classe moyenne, c’est
un petit peu en dessous mais, cela ne va pas forcément leur apporter plus que ce qu’on leur offre
déjà. Donc déjà trouver les ONG qui aident exactement le genre de jeunes qu’on cherche, ça limite
un petit peu. Et ensuite donc on fait passer un entretien, les ONG recommandent des étudiants, eux
remplissent également un formulaire, l’ONG aussi, et après on fait passer un entretien d’environ
une demi-heure, une heure pour être bien sûr de leurs motivations, de leur passé, qu’ils
comprennent bien le programme, qu’ils savent à quoi ils s’engagent et pour vérifier que leur projet,
donc sur le long terme, concorde avec ce que nous on veut leur offrir, et qu’ils sont motivés
également. Parce que cette formation-là, c’est quand même une formation hyper intensive, ils ont
très peu de jours de repos, et donc vérifier aussi qu’ils sont bien engagés. Donc l’année dernière, 70
jeunes ont été interviewés et 32 ont été sélectionnés. D’habitude ce n’est pas aussi élevé, là avec
Plan International qui nous a rejoins nous a envoyé beaucoup de candidatures, donc du coup on
avait plus de candidats.
- Plan International ?
- Oui.
- Ah donc vous êtes quand même en relation avec de grosses ONG, finalement.
- Il y a les deux. Madaifu c’est tout petit, jusqu’à récemment ils n’avaient qu’un employé et c’est
tout.
- JiuQian non plus n’est pas très grand.
- JiuQian non plus, en effet. Et Madaifu jusqu’à récemment, je crois qu’ils aidaient 131 enfants, ce
n’est pas énorme, enfin c’est énorme avec un seul employé ! C’est hyper impressionnant le travail
qu’ils font ! Alors comparé à Plan International, par contre quand tu vas voir leur bureau là… Ils
ont les moyens, ça c’est sûr ! Maintenant on va voir, on va essayer de travailler avec eux, pour voir
si justement, c’est le genre d’ONG qui pourrait avoir les moyens de travailler avec nous sur un de
nos projets, on va voir si on peut utiliser les ressources qu’on allait offrir pour la formation en
boulangerie pour qu’elles soient utilisées dans le cadre d’autres programmes caritatifs, ça par
exemple nous on n’a absolument pas les ressources pour mettre ça en place. Par contre, Save the
Children ou Plan International, eux ils ont les ressources et le budget pour mettre des choses
comme ça en place. Et puis ils sont intéressés pour voir s’il y a des choses qu’on peut faire
ensemble ou sur lesquelles ils peuvent nous aider financièrement.
- Et vous essayez d’avoir un groupe hétérogène dans les étudiants, par rapport à leur lieu
d’origine,… ? Ou pas forcément ?
212
- Non. Ils ont entre 17 et 23 ans, c’est tout. L’idée c’est plus, mais non justement, on en a beaucoup
du Henan et Shaanxi. Mais on essaye justement d’insister pour qu’ils ne parlent pas toujours leur
dialecte, mais qu’il parle le mandarin et qu’ils soient ouverts, exactement.
- Vous-mêmes parlez chinois toutes les deux et êtes en contact direct avec les étudiants ?
- Oui.
- Et la première rencontre doit être plus difficile, non ? Enfin pour les gens qui viennent de la
campagne, qui n’ont peut-être jamais vu d’étrangers…non ?
- Moi, je trouve personnellement que c’est plus simple avec eux qu’avec des Shanghaïens, par
exemple. Parce que pour certains, quand c’est vraiment reculé, les gens comme ça, ils n’ont jamais
vu de personnes de plus loin de 50 km de leur village. Donc à la limite, qu’il soit blanc, qu’il ait les
cheveux bizarres, qu’il ait quoi que ce soit, et il ne parle pas le dialecte local,… donc la langue
étrangère c’est le mandarin. Il ne va jamais penser que la langue étrangère c’est le français ou
l’anglais, donc que tu parles le mandarin avec un accent bizarre, de toute façon, tous ceux qui
viennent de plus de 50 km ont tous un accent bizarre…
- Ah oui, donc tout le monde est catégorisé comme étranger en dehors de 50 km…
- Oui, moi je trouve que c’est un petit peu comme ça alors souvent je pense que c’est plus simple
parce qu’il y a moins d’apriori, alors que pour des gens qui viennent de grandes villes, il y a plus
d’apriori parce qu’ils ont déjà décidé que tu étais blanc donc tu es américain, et waouw tu dis « ni
hao » (bonjour en chinois) et tu manges avec des baguettes, donc « oh la la ! » Quand tu as plus
d’apriori tu as d’autant plus de barrières en fait à franchir. Et quelque fois leur mandarin n’est pas
forcément meilleur que le nôtre donc… ! Pas pour tous, mais pour certains, enfin on fait tous des
efforts.
- Et ils ont des cours alors de mandarin ?
- Non, ce n’est pas aussi dramatique. Enfin, il y en a certains, il faut insister hein pour qu’ils parlent
le mandarin, mais ils comprennent tous, il n’y a pas de problème. Il faut juste insister pour qu’ils
n’utilisent pas leur dialecte, surtout si tout le monde le comprend, le dialecte du Henan, alors ils ont
tendance à jouer la facilité mais sinon, non, ils n’ont pas de cours de mandarin.
- C’est parce qu’ici quand ils vont travailler dans des hôtels, ils doivent bien utiliser le mandarin…
- Ils doivent oui, après c’est aussi parce que c’est un métier justement très manuel, ils n’ont pas
besoin de parler donc… Ils ont souvent un niveau d’éducation qui n’est pas très élevé mais
justement la force du programme c’est qu’ils n’ont pas besoin d’avoir un très haut niveau
académique. C’est important qu’ils sachent communiquer, qu’ils sachent comment se présenter,
qu’ils sachent s’exprimer, qu’ils sachent raisonner de manière à s’exprimer, ça c’est l’objectif du
cours de life skills. On n’a absolument pas besoin qu’ils aient une élocution parfaite, ou écrire des
dissertations… C’est des choses comme ça en fait.
- Et par rapport au gouvernement, vous dites, en fait vous êtes supervisés dans vos programmes ?
Contrôlés ? Ou vous recevez des visites de temps en temps… ?
- En fait comme la Shanghai Charity Foundation officiellement nous supervise, concrètement ça veut
dire que régulièrement on a une réunion avec eux et l’école de Caoyang qui est notre partenaire
officiel. Et Shanghai Charity Foundation fait semblant de contrôler ce que fait Caoyang et Caoyang
fait semblant de nous contrôler. Eux, ils ont l’impression de contrôler hein… Si tu leur poses la
question, ils vont dire que oui, oui, ils contrôlent clairement.
- Vous êtes quand même libres alors au niveau des programmes ?
- Oui. En fait, ils sont occupés, on n’est pas leur priorité etc. Ils voient que tout ce passe bien alors ils
ne vont pas forcément aller chercher des problèmes, s’ils ne sont pas là. Mais ceci dit, tous les ans,
il y a une remise des diplômes mais, en fait, ça a toujours été le cas, on a toujours même le Consul
de Shanghai, et le deuxième qui passe, c’est le représentant de la Shanghai Charity Foundation.
213
- Ah, et qui sont les invités de cette cérémonie ?
- Tous nos sponsors, partenaires, supporters… On essaye de mettre en avant nos sponsors et nos
partenaires donc on les invite en priorité, on fait en sorte qu’ils dégagent du temps pour venir, ce
n’est pas évident.
- Et est-ce que la famille ou des proches des étudiants savent venir ?
- Hé bien, le Shaanxi, c’est un peu loin, ils n’ont pas les moyens de venir… Non, il n’y a aucune
famille…
- Et vous n’envoyez pas par exemple des nouvelles de leurs enfants ? Est-ce qu’ils sont en contact
avec leur famille ?
- Eux oui, ils contactent régulièrement leur famille. Je ne sais pas si c’était pareil pour les autres
promos, mais maintenant ils ont tous un téléphone portable.
- Avant, même s’ils n’avaient pas de téléphone portable, c’est la première chose qu’ils achetaient
quand ils arrivaient à Shanghai. Non, on n’a pas du tout besoin d’intervenir dans leurs relations
personnelles… On a des rapports réguliers avec les ONG qui nous les ont envoyés, pour leur dire
comment ça se passe, quand il y a des problèmes justement, on voit ça avec les ONG. Et il peut y
avoir des problèmes avec leur famille, mais on passe par les ONG, par exemple ça arrive que des
étudiants apprennent qu’un membre de leur famille est très malade, en train de mourir, là ils ont
envie de partir, de rentrer pour être avec eux, alors on est en contact avec les ONG pour voir s’il y a
quelqu’un qui a paniqué ou s’il faut organiser une visite. Mais vraiment il faut faire en sorte que
l’ONG les encourage à revenir à Shanghai après… Donc là, il y a un suivi tout au long de l’année
avec l’ONG pour leur dire comment ça se passe ici, et pour faire le lien au cas où il y a des
problèmes avec la famille.
- Et vous n’avez jamais eu justement le cas qu’un étudiant arrête le programme ?
- Si. Oui en fait dans les deux derniers, il y en a un il y a quelques mois, et il y en a un l’année
dernière, et c’était pour des raisons de santé. Donc une maladie qu’ils pensaient avoir contrôlé mais
finalement ça ne leur a pas permis de poursuivre le programme, ou aussi des problèmes d’attitudes
qui devaient être liés au problème que physiquement c’étaient très difficile pour eux. Donc eux, ils
ont dû abandonner le projet en cours de route.
- Et est-ce que vous avez de leurs nouvelles ?
- Oui, comme on a toujours des contacts avec les ONG, on a de leurs nouvelles.
- Ah oui, vous avez toujours un partenaire local qui peut vous aider.
- Oui, ça c’est super important. C’est important au début, avant la sélection pour vérifier leur
background, parce qu’on a des gens, plein de gens qui nous contactent en disant « je suis
défavorisé, j’aimerais participer ». Mais quand ils nous le disent en anglais par Weibo (Twitter
chinois), ce n’est pas exactement la même définition de défavorisé. Oui on reçoit des mails en
anglais… Donc on n’accepte personne si cela n’a pas été validé par une ONG. Et après, sur le reste
de l’année, c’est hyper important d’avoir un partenaire local parce que quand il y a des problèmes
de découragement, des problèmes de discipline, des problèmes d’urgence familiale qui arrivent,
c’est vraiment essentiel d’avoir un contact sur place pour pouvoir faire le suivi, pour vérifier avec
la famille, et pouvoir situer en termes de santé comment ça se passe et en termes d’attitude générale
par rapport au fait que leur enfant est loin pendant un an, ce n’est vraiment pas évident, même si
toute la famille de nos jeunes sait pourquoi c’est important...
- Et au niveau de la santé, justement est-ce que vous les aidez, s’ils tombent malades, s’ils ont un
accident, etc. ? Vous prenez tout en charge ?
- Oui oui, on prend tout en charge. On a une assurance pour eux mais qui couvre en cas d’accident,
même si c’est un rhume ou quoi…
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29 janvier 2015 – Entretien avec Xintu Center for Community Health Promotion, Shanghai.*
*Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur
le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet :
http://www.xintu.org/.
Rencontre avec Chen Lu, chargée des programmes.
Le centre se trouve au sein de la Commission de la population et de la planification familiale de la
ville de Shanghai, ce qui signifie qu’ils ne doivent pas payer de loyer car l’immeuble appartient au
gouvernement.
- Pourriez-vous tout d’abord présenter le nom de l’organisation, l’année de création et le
fondateur ?
- Nous avons commencé en 2009. L’organisation s’appelle « Xintu Center for Community Health
Promotion », nous faisons de la promotion à la santé dans les communautés, auprès de toutes sortes
de groupes vulnérables. Le premier projet à avoir été mis en place par Chang Qingteng concerne
les maladies chroniques parmi la population plus âgée. Ensuite, nous avons peu à peu développé
des projets envers d’autres groupes de bénéficiaires. Par exemple le projet « Yong Nian Lou »,
pour les personnes âgées souffrant de handicap mental. Un autre cible les « nouveaux citoyens »
(Xin Shimin), c’est-à-dire la population flottante. Celui-là (en me montrant le document), appelé
Stick Project a été créé pour les handicapés physiques. Ces trois derniers sont des projets pour la
récolte de fonds, auxquels tout le monde peut participer très simplement. Le premier, « Yidong
Shenghuo », utilise le sport pour lever des fonds, lors des journées à thème par exemple le diabète
ou l’hypertension artérielle. Tous les participants, qui viennent faire du vélo ou courir, permettent
de lever des fonds pour les personnes souffrant de ces maladies. Le second, « Tech-Station »,
fonctionne grâce aux dons de matériels électroniques de seconde main et l’enseignement des
technologies aux personnes de la communauté, par exemple apprendre à utiliser l’ordinateur, le
téléphone portable… Et le dernier, « Hey Buddy » s’occupe du recrutement de jeunes volontaires
pour participer à l’organisation d’activités dans les communautés.
- Et au sein du projet « Nouveaux citoyens », quel genre d’activités mettez-vous en place ?
- Tout tout au début, nous avons commencé par faire des projets concernant les infections
sexuellement transmissibles et le SIDA parmi la population des nouveaux citoyens. Mais par après,
peut-être que vous connaissez l’entreprise Glaxo Smith Kline (GSK), ils ont commencé à nous
verser des fonds, donc nous avons développé le projet. Car au départ, lorsque nous faisions
seulement des activités concernant les IST et le SIDA. Après, grâce au financement de GSK, nous
avons pu organiser plus d’activités, en tout nous avons mis en place 5 petits projets.
- Est-il encore votre partenaire actuellement ?
- GSK ?
- Oui.
- Non, notre collaboration s’est arrêtée, car à cause d’un scandale, une histoire de pots-de-vin dans
les hôpitaux, le gouvernement chinois ne soutenait plus que nous travaillions en partenariat avec
eux, et a mis fin à ces activités, il y a quelques années déjà.
- Cela a dû avoir un impact pour vous donc ?
- Oui, les projets étaient difficiles à maintenir, nous avons commencé à récolter des fonds par-ci parlà… Oui ce n’était pas facile
- Mais vous avez tout de même poursuivi les projets… ?
- Oui car nous avons appliqué une méthode spéciale, en mobilisant les personnes de la communauté
pour qu’ils s’entraident. Ces personnes vivent donc dans la communauté, et en y restant alors ils
ont pu apporter une forme de continuité, à travers un club dont ils sont les représentants, nous les
avons surnommés « Health ambassador », ambassadeurs en matière de santé publique. Ils sont eux-
215
mêmes des habitants des quartiers des communautés migrantes. Ils étaient prêts à poursuivre les
activités, c’est pour cette raison que nous avons maintenu nos projets, depuis 2011, l’année où nous
avons perdu nos financements, jusqu’à cette année. Tout ce temps nous sommes parvenus à
continuer les projets, peu à peu, d’une manière peu évidente.
- N’avez-vous pas trouvé d’autres fonds ?
- Les autres fonds ne représentent pas l’ampleur des sommes que nous recevions de GSK, car c’est
une grande entreprise.
- Ainsi vos activités sont moins nombreuses qu’auparavant, n’est-ce pas ?
- Oui tout à fait, c’est plus difficile. Vous pouvez voir ces quelques personnes (elle me montre les
portraits au mur), ce sont des personnes que nous avons été trouver dans chacune des
communautés migrantes où nous menons nos activités, nous les avons recrutées et formées, pour
qu’elles deviennent les responsables des « centres de vie » (Shenghuo Guan).
- Et de quoi sont-ils en charge ?
- Ils font eux-mêmes partie de la population flottante. Ils sont responsables d’organiser des activités,
de découvrir des problèmes et de les résoudre. Notre organisation leur apporte une assistance, et les
aide à trouver des ressources. Notre rôle n’est pas du tout d’apporter une aide directe aux
bénéficiaires, car nous sommes certains que ces personnes sont les mieux placées pour comprendre
les besoins de la population migrante, et pour résoudre les problèmes. Nous les aidons juste à
trouver les ressources dont ils ont besoin à cet effet, et à les former.
- Durant la période où vous receviez les fonds de GSK, les activités que vous meniez ciblées une
population plus grande, n’est-ce pas ? Les bénéficiaires étaient-ils plus nombreux que
maintenant ? Les personnes qui recevaient votre aide étaient-ils plus nombreux, ou représentent-ils
encore le même groupe de personnes ?
- En réalité, ils sont plus nombreux à présent, car nous avons inclus une nouvelle communauté.
Nous sommes présents dans 3 communautés à Shanghai, et une à Pékin, près de la gare ferroviaire
du Sud, où se trouvent de nombreux migrants. En tout, nos projets s’étendent aujourd’hui dans 4
lieux, mais nous n’avons pas pu les développer davantage.
- Vous avez un autre bureau à Pékin alors ?
- Oui, à Pékin il y en a un autre.
- Pouvez-vous me dire quels sont les quartiers de Shanghai que vous aidez ?
- Il y a Sanling, Pujiang qui se trouve dans le district de Minhang, et encore un autre dans le district
de Hongkou. Les trois communautés ont leurs propres caractéristiques. Par exemple, pour celle de
Hongkou, le responsable est un homme. À Sanling et Pujiang, les activités « Hao Yun Mama »
(« Maman enceinte et en bonne santé ») qui ciblent les femmes enceintes sont plus nombreuses. Il
s’agit d’activités autour des soins de santé pendant la grossesse, de la nutrition des enfants… Il y a
aussi le projet « Lüse Gangwan » (« le port vert ») qui consiste à promouvoir un environnement
familial sans violence. « Meili Nu Xing » (« Des belles femmes ») porte sur la promotion de la
santé sexuelle, et prévention de la maternité précoce. « Jiankang Ni Wo » (« Toi et moi en bonne
santé ») porte sur les IST et le SIDA. Et enfin, « Chengshi Shiying » (« S’adapter à la ville »), est
un projet qui vise à aider les migrants à s’adapter à la vie urbaine lorsqu’ils arrivent à Shanghai.
Dans la communauté du district de Hongkou, ce sont principalement les activités de « Jiankang Ni
Wo » qui sont organisées. À Sanling et Pujiang, ce sont plus les services qui ciblent les femmes
qui sont mis en place, car ces communautés comptent plus de femmes, qui ne travaillent pas durant
la journée donc elles sont nombreuses à participer aux activités. Les hommes eux sont au travail
pendant que les femmes sont à la maison et s’occupent des enfants.
- Ah oui, donc ils ont migré avec leurs enfants ?
- Oui.
216
- Ces enfants vont-ils à l’école ?
- Oui, dans des écoles pour les migrants, des écoles qui sont gérées par des privés, par des écoles
publiques du gouvernement. Mais les migrantes qui sont arrivées assez jeunes et qui ont donné
naissance à leur enfant à Shanghai, peuvent les mettre à la maternelle. Il s’agit aussi d’école
maternelle privée. C’est par contre plus difficile pour l’école primaire, depuis une réglementation
du gouvernement de Shanghai mise en place l’année dernière : les migrants qui veulent inscrire
leur enfant à l’école primaire doivent être en possession de nombreux permis et documents. Mais
ceux-ci sont difficile à obtenir, par exemple, s’ils n’ont pas de travail, alors ils n’ont pas le permis
de travail, il y a aussi le permis de résidence, etc. Ainsi, depuis l’année dernière, une partie des
enfants n’étudient plus à Shanghai, ils ont dû retourner étudier dans leur ville natale.
- Leurs parents retournent-ils avec eux ? Ou comment font-ils ?
- Certains font le choix de rester ici travailler, et leurs enfants font alors partie d’une autre catégorie
que l’on appelle « les enfants abandonnés ». Les parents restent ici pour gagner leur vie, et
retournent voir leur enfant pour le nouvel an. Ou alors, il arrive aussi que la maman rentre avec
l’enfant dans leur ville natale, et le père reste ici.
- La situation reste assez difficile.
- Oui, très difficile.
- Quelle sorte de relation avez-vous avec le gouvernement ? Vous soutient-il par rapport à ce projet,
par exemple ?
- Il y a une organisation à Shanghai qui s’appelle « la Commission de la santé et du planning
familial » (Weisheng Jisheng Wei) peut-être que vous connaissez. Il y a quelque année, le
département du planning familial, qui s’occupe du contrôle des naissances, a fusionné avec
l’organisation de la santé, pour devenir « la Commission de la santé et du planning familial ». Ils
voudraient en particulier limiter le nombre de naissances parmi la population flottante de Shanghai.
Car en général les migrants, une fois à Shanghai donnent naissance à deux enfants ou plus. La
Commission est contre cette situation, mais ne parvient pas à mettre la main sur ces personnes, car
ils s’enfuient dès qu’ils tentent de les contacter. Par contre, les organisations sociales comme nous
parviennent à entrer en contact avec eux. La Commission n’a pas envie d’utiliser des méthodes
sévères ou violentes, donc elle voudrait essayer de collaborer avec nous pour que nous
communiquions avec eux concernant les naissances. En 2010 ou 2011, l’hôpital appartenant au
planning familial de Pujiang a établi un partenariat avec nous, car cet hôpital couvre la région où se
trouve cette population migrante. Si les migrants donnent naissance à leurs enfants dans cet hôpital,
ils peuvent obtenir des prix avantageux et des services tels que les examens prénataux. Nous avons
donc expliqué aux migrantes que si elles tombent enceintes, elles doivent s’y rendre pour faire les
examens prénataux, et ne peuvent pas simplement donner naissance à l’enfant sans avoir fait des
examens au préalable. Elles doivent aussi participer aux classes dispensées aux femmes enceintes,
elles doivent apprendre comment se passe l’accouchement, comment protéger son enfant, comment
l’allaiter, … l’hôpital nous envoie des docteurs pour qu’ils nous aident à enseigner ces
connaissances aux futures mères.
- Ces cours sont nécessaires car elles ne savent pas comment s’y prendre ?
- C’est plutôt qu’elles ne s’en préoccupent pas. Elles pensent qu’il suffit juste d’accoucher, et puis
c’est tout. Elles ne pensent pas qu’il faille faire attention durant et après la grossesse, pour que
l’enfant soit en bonne santé et puisse développer ses capacités intellectuelles, qu’il faille le
vacciner, l’allaiter, ensuite lui donner une alimentation équilibrée, des compléments en fer et en
calcium… Non, elles ne s’en préoccupent pas trop. Elles pensent qu’elles peuvent faire comme ont
fait leurs parents, et tout ce qui compte c’est que l’enfant grandisse. Et parce qu’elles donnent
naissance à beaucoup d’enfants, elles ont peur que si elles se rendent à l’hôpital et qu’on découvre
qu’elles ont d’autres enfants, on les force à avorter. Certaines pensent que comme ils ne veulent pas
qu’elles aient plusieurs enfants, alors elles ne devraient pas aller à l’hôpital. D’autres pensent plutôt
sur le plan financier, chaque fois qu’elles vont faire un examen, elles devront payer car elles n’ont
217
pas d’assurance donc doivent payer elle-même. Ce n’est pas comme nous (citoyens urbains), nous
pouvons contracter une assurance maternité.
- Comment les aidez-vous par rapport au problème d’assurance ? Les aidez-vous à payer les
examens ?
- En ce qui concerne les assurances, c’est un tout autre problème… Il n’y a qu’en travaillant que l’on
peut être assuré. Cela voudrait dire qu’on devrait également les aider à trouver du travail.
- Et le faites-vous ?
- Il y a juste dans le district de Hongkou, le responsable aide les migrants à trouver du travail, parce
que dans cette communauté de migrants, les hommes sont plus nombreux. Mais par exemple, ces
femmes, elles ne peuvent pas travailler. Si elles travaillent, alors il n’y a personne pour s’occuper
des enfants. Donc elles ne travaillent pas pendant la journée, jusqu’à la fin de la maternelle, lorsque
l’enfant entre à l’école primaire. Le matin alors elles peuvent l’emmener à l’école et le récupérer le
soir. Entre temps elles peuvent aller travailler. Parmi celles dont les enfants ont moins de 5 ans, il
n’y en a aucune qui travaille.
- En général quel genre de travail les migrants font-ils à Shanghai ? Les hommes et les femmes,
lorsqu’elles aussi travaillent ?
- Les hommes en général sont chauffeurs de camions, ou ils travaillent dans la construction, dans la
démolition et la construction des immeubles, ou dans la livraison et au mieux dans une usine. Les
femmes en général travaillent plutôt dans les usines qui sont impliquées dans le commerce de
détail, dans l’industrie de textile ou de l’électronique. D’autres travaillent également de manière
temporaire dans les magasins ou supermarchés. Celles qui sont plus âgées travaillent en tant que
domestiques de maison.
- Et à Shanghai, est-il vrai que peu de migrants travaillent dans les usines ?
- Cela dépend de quelles sortes de migrants parlez-vous ? Car si vous pensez aux migrants qui
viennent des campagnes, ceux-là ne trouvent pas facilement de travail à l’usine.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il leur faut au moins avoir suivi une formation secondaire, avoir obtenu un certificat,
savoir lire, écrire et avoir certaines connaissances. Donc la plupart des migrants qui viennent des
campagnes travaillent plus dans le domaine de la construction. Il y en a aussi qui travaillent dans la
livraison, ou en tant que chauffeurs par exemple de bus longue distance ou dans le transport de
biens et matériels ou encore transport de marchandise… En somme ils font en général des métiers
plutôt pénibles.
- Votre organisation fait-elle du plaidoyer ? Défend-elle la cause des migrants auprès du
gouvernement par exemple ? En lui expliquant les problèmes que les migrants rencontrent dans les
grandes villes, pour pouvoir trouver une manière de les résoudre ?
- Ceux avec qui nous sommes le plus en contact, c’est la Commission dont je vous ai parlé
précédemment. Surtout avec ce département, qui s’occupe plutôt de tout ce qui concerne la
reproduction et la santé. Donc nous communiquons avec eux sur ce domaine. Concernant les autres
problèmes, comme l’éducation, nous n’avons pas de contact avec le Bureau de l’éducation. Ou
encore, dans le domaine du travail, nous n’avons pas de contact avec le Bureau de la protection du
travail...
- Vous vous concentrez donc plus sur tout ce qui touche à la santé ?
- Oui, tout ce qui concerne le planning familial.
- Votre organisation a été créée en quelle année vous m’avez dit ? 2010 ?
- 2009.
- Ah oui, 2009, et vous avez pu directement vous enregistrer ? Car je sais que les ONG rencontrent
en général des difficultés à s’enregistrer…
218
- Non, nous nous sommes enregistrés en 2009, dans le nouveau district de Pudong, au Bureau de
l’administration civile.
- Et facilement ?
- Nous faisions partie du premier incubateur d’ONG. Vous connaissez NPI (Non-Profit Incubator) ?
C’est une organisation sociale. Nous sommes les premières à avoir été formées, à être considérées
comme remplissant les critères et à pouvoir ainsi s’enregistrer.
- Cela signifie donc que votre relation avec le gouvernement a été la meilleure depuis ce temps-là,
en considérant que vous étiez parmi les premières organisations de l’incubateur n’est-ce pas ?
- On ne peut pas dire non plus qu’elle soit la meilleure. Cela dépend, nous avons différents projets, et
certains reçoivent plus d’attention de la part du gouvernement. Ces deux -là (en me montrant sur le
fascicule) par exemple, car Shanghai fait face à un grave problème de vieillissement de la
population. Notre projet concernant les « nouveaux citoyens », reçoivent surtout plus d’attention
d’entreprises et des étrangers. Car Shanghai, avec sa population de 24 millions de personnes, est
vraiment une grande métropole, donc actuellement le problème des migrants n’est pas du tout le
plus important. Les personnes âgées oui.
- Vous pensez donc que le gouvernement ne considère par la population migrante comme étant un
problème à résoudre maintenant ?
- C’est un problème, mais il y a un ordre de priorités.
- Il est d’abord nécessaire de résoudre les autres problèmes, c’est cela ?
- Oui. Actuellement le gouvernement n’a pas encore clairement mis en place des mesures concernant
les actions à prendre par rapport à la population flottante.
- Mais n’avez-vous pas remarqué des changements récents sur ce plan ? Le gouvernement n’a-t-il
pas récemment mis en place des mesures ou politiques ?
- Tout au début, par exemple il y a deux ans, le gouvernement parlait surtout de limiter la population
migrante, ensuite de leur fournir des services, comme ce que je vous expliquais avec les réductions
que les femmes peuvent obtenir à l’hôpital, etc. Actuellement, cet avantage n’existe plus. Les
mesures qui les permettaient d’obtenir ces avantages ont été supprimées. On est de nouveau dans
une situation plutôt calme. Au début, c’était plutôt « ne venez pas, sinon je vous contrôle »,
examiner toutes sortes de certificats. Après c’est devenu « si vous venez, vous devenez des
nouveaux Shanghaïens, je vous offre ces services-là, car vous apportez aussi votre contribution à la
ville ». Et maintenant, c’est « je ne vous offre pas de services, mais je ne vous impose pas non plus
de limites », il s’agit d’une situation plutôt stable, une coexistence paisible.
- C’est-à-dire qu’ils peuvent venir, mais que le gouvernement ne s’en occupe pas vraiment ?
- Maintenant, s’ils viennent et que la Commission de la santé et du planning familial découvre
qu’une femme a à nouveau mis au monde un enfant, elle obtiendra de toute façon un certificat de
naissance. Il n’y a actuellement aucune mesure claire à leur encontre, le gouvernement ne les
regroupe pas dans une catégorie à part, comme s’ils étaient différents de la population locale, ils
ont plutôt atténué cette division. Comme par exemple, auparavant ils étaient appelés « waidi
ren » (personnes venant de l’extérieur). À présent on ne dit plus ça, on dit « lai hu renyuan »
(personnel venu à Shanghai).
- Ah oui, j’ai vu cette expression. Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles que
votre organisation a concernant le projet « nouveaux citoyens » ?
- Notre point fort, c’est un que j’ai déjà énoncé, le fait que nous ne servions pas directement les
bénéficiaires ni l’interlocuteur direct de ceux qui reçoivent les aides. Car nous sommes convaincus
qu’ils ont également du potentiel et des compétences. Nous sommes certains que chacun d’entre
eux a des compétences, le problème est seulement qu’ils n’ont pas l’opportunité de le montrer, ils
n’ont pas de plateforme ou de ressources. Ainsi, nous sommes là pour établir les connections qui
leur manquent, nous nous efforçons de leur faire parvenir une partie des ressources disponibles
219
dans la société. Nous leur offrons la possibilité d’obtenir ces opportunités et de grandir et réaliser
leurs objectifs de départ, ce pourquoi ils sont venus à Shanghai. Ils sont peut-être venus ici en
pensant que Shanghai est une grande ville et ils pourront se développer et vivre une vie meilleure,
une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé. Nous voulons assurer qu’ils puissent réaliser
leurs buts. Cette avec cette vision que nous intervenons dans les communautés. Y compris les
« centres de vie » que nous établissons dans la communauté migrante, nous ne les considérons pas
comme étant les nôtres. Ce sont les leurs, ils appartiennent aux responsables et à la communauté.
D’ailleurs, les personnes qui vont dans le centre, ils connaissent seulement ces responsables.
- Ah, ils ne savent pas que derrière ils reçoivent l’appui de Xintu ?
- Si, ils le savent, mais ils les reconnaissent eux, pas Xintu, ils écoutent les responsables.
- Et donc, vous voyez cela comme votre point fort ?
- Oui, nous n’exigeons aucune reconnaissance ou gratitude de leur part envers nous. Car nous
savons, un jour nous quitterons cette communauté. Car cela signifierait que nous aurons réussi
notre objectif. Si nous ne partons pas, cela veut dire qu’ils dépendent toujours de nous pour trouver
les ressources dont ils ont besoin, cela veut dire qu’ils n’ont pas réussi à se développer. Par contre,
si nous parvenons à les quitter, cela veut non seulement dire que les responsables sont capables
d’organiser des activités, mais aussi qu’ils parviennent à récolter des fonds et qu’ils peuvent
continuer à développer la communauté. Il ne faut pas que ce soit un processus entrecoupé
« aujourd’hui nous avons réussi à obtenir des fonds de cette entreprise, alors nous allons mettre en
place cette activité » et puis « demain, nous n’avons pas reçu de fonds, alors il n’y a aucune activité
prévue, nous ne pouvons pas demander au docteur de venir nous enseigner des choses, nous ne
pouvons pas distribuer des préservatifs… nous ne pouvons rien faire ». Cela ne doit pas être un
procédé interrompu, mais un procédé durable où ils sont autonomes.
- Et vos points faibles ?
- La récolte de fonds, sur ce plan, nous sommes moins bons. C’est très difficile. Par exemple, en
2013, nous ne sommes parvenus à récolter à peine quelques milliers de Yuans pour toute l’année,
lors d’une campagne publique de récolte de fonds. Ce n’étaient pas des fonds de telle ou telle
entreprise. Avec quelques milliers de Yuans seulement, il est impossible de poursuivre nos
activités. Car nous devons payer le loyer des centres de vie, les charges pour l’eau et l’électricité…
Nos compétences en matière de levée de fonds est plutôt faible.
- Avez-vous l’intention de trouver une manière de résoudre ce problème ? Ou vous vous occupez de
ce projet lorsque vous avez des fonds, et sinon, vous le suspendez temporairement ?
- Nous essayons différentes manières de récolter des fonds. Nous approchons par exemple les
fondations, nous essayons auprès des fondations chinoises, des fondations étrangères, nous les
avons toutes essayées. Nous avons cherché sur internet, par exemple la fondation Bill Gates, la
fondation Baxter, nous avons envoyé des propositions de projets à financer. Nous essayons via des
sites internet, par exemple GlobalGiving. À Shanghai, il y a aussi LianQuan (Shanghai United
Foundation), une fondation lancée par NPI (Non-Profit Incubator), dans le but de lever des fonds.
Nous avançons petit à petit, l’objectif est toujours d’aller de l’avant, même si la route paraît longue.
- Mais à vous entendre, il y a beaucoup d’opportunités et de fondations, mais vous ne parvenez pas à
trouver les fonds… n’est-ce pas ?
- Oui, nous n’avons pas obtenu beaucoup de contrats de financements… Avec la Fondation Horace
Kadoorie de Hong Kong, nous avons réussi deux ou trois fois, ce n’est pas beaucoup. En réalité, en
comparaison avec d’autres groupes de bénéficiaires, les migrants ne paraissent pas aussi
nécessiteux et vulnérables. Ils ne sont pas handicapés, ils n’ont pas autant de difficulté. Ce n’est pas
aussi simple d’attirer l’attention de tous sur cette population.
- Mais vous-même pensez tout de même qu’ils méritent cette attention, non ?
- Oui, mais peut-être que les autres pensent qu’ils sont déjà beaucoup mieux à Shanghai que dans
leur lieu d’origine rural. Mais ce n’est pas le cas. Mais pourquoi viennent-ils à Shanghai ? Je leur ai
220
moi-même posé la question. En réalité, le salaire qu’ils gagnent à Shanghai est une à deux fois
supérieur que celui qu’ils gagnent à la campagne. C’est pour cette raison qu’ils sont prêts à quitter
leur village pour venir à Shanghai.
- Mais la vie est plus chère ici !
- Oui, donc ils vivent sous pression économique. Ils vivent dans un peu plus d’une dizaine de mètres
carrés, pour 200-300 Yuans par mois, sans salle de bain ni toilette, sans cuisine. Je pourrais vous y
emmener si vous voulez. Le mois dernier j’y suis allée avec quelqu’un de Save the Children. Ils ont
été visité les communautés de migrants dans lesquels nous avons nos projets. Ils vivent dans des
maisons plain pied, pas des immeubles, plus ou moins dix mètres carrés, plutôt humide, et il n’y a
pas moyen de prendre une douche, il s’agit de verser de l’eau dans un seau, que l’on jette sur soi
pour se laver, à l’extérieur. Les toilettes sont à usage public, et ce ne sont pas des toilettes, ce sont
des latrines. On ne peut pas non plus dire qu’ils aient une cuisine, il s’agit seulement d’un endroit à
l’extérieur de la maison où ils préparent à manger sur un feu. Ils s’efforcent de maintenir leurs
dépenses sociales assez basses, par exemple, un loyer meilleur marché, une alimentation plus
simple,… Les raisons pour lesquelles ils viennent à Shanghai sont parfois très simple, par exemple
un ami du village qui leur demande de les accompagner pour aller chercher ensemble du travail en
ville. Et une fois en ville, les groupes de personnes venant d’un même village habitent ensemble.
Mais personne n’est là pour les guider dans leur migration et recherche de travail, en pouvant leur
donner des conseils, au niveau de la préparation, ou en leur expliquant s’ils ont telle ou telle
aptitude, ils pourront trouver ce genre de travail… En général ils s’en sortent via leurs relations de
leur lieu d’origine, et car ce sont des personnes qui savent endurer des tâches pénibles.
- Vous venez d’expliquer que leurs conditions de logement sont assez mauvaises, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Donc, ils doivent rencontrer des problèmes au niveau de l’hygiène, non ?
- En effet.
- Leur enseignez-vous alors, via les responsables des communautés, des pratiques d’hygiène,
comment se laver… ? Car j’ai entendu qu’ils ne se préoccupent pas vraiment de ce problème, s’ils
ne se lavent pas, ils ne considèrent pas cela comme un problème…
- Oui tout à fait. On ne leur enseigne pas à se laver, cela relève des habitudes de chacun… C’est sûr
qu’il faut enseigner aux parents de laver les mains de leurs enfants, mais si vous allez dans ces
communautés, vous pouvez réaliser que ces enfants en général sont tous tout sales, leur figure et
leurs mains, leurs vêtements sont aussi très sales… l’endroit en lui-même est très sale, des déchets,
de la poussière, de la boue… Lorsque les enfants jouent, il suffit qu’ils touchent quoi que ce soit,
ils se salissent… Les mamans ont beau s’en occuper, elles n’en sont pas capables, dans ces
conditions. De plus, il y a des priorités, et l’hygiène n’est pas considérée comme étant l’une des
plus importantes. Peut-être qu’elles considèrent cela comme important, mais elles vont compter
plutôt, ce mois-ci, elles ont combien d’argent pour acheter à manger, quand est-ce qu’elles doivent
payer le loyer, comment vont-elles envoyer les enfants à l’école… Si leur mari travaille dans la
construction, ce n’est pas un emploi stable : ce mois-ci il y a du travail, donc il y a de l’argent, mais
le mois prochain, lorsque l’immeuble sera construit, il n’y aura plus de travail, donc il faudra en
trouver un autre parce qu’il n’y aura plus d’argent… Donc ce sont ces choses-là qui sont
prioritaires, bien avant celle de laver les mains, les vêtements,… Cependant, chaque année le 15
octobre, pour la journée mondiale du lavage des mains, nous faisons des activités avec eux pour
leur apprendre à bien se laver les mains.
- Vous le faites via les responsables des communautés ?
- Oui, via les responsables que l’on a aussi nommé « ambassadeurs en matière de santé ». Car
comme ils font partie de la communauté, ils savent sous quelle forme leur adresser ces messages.
Donc nous leur donnons des ateliers avant les activités, durant lesquels nous leur apprenons
comment récolter de l’argent afin de pouvoir mettre en place ces activités, comment organiser des
ateliers, quelles activités organiser, qui doivent-ils inviter à participer, que doivent-ils acheter,…
221
Après, nous les laissons préparer, et s’ils ont besoin de quelque chose qu’ils ne trouvent pas dans la
communauté, alors nous les aidons à préparer, ou par exemple s’ils ont besoin de la participation
d’un docteur, nous pouvons les aider à en trouver un, ou les aider à acheter du savon, à trouver une
image d’une bactérie pour expliquer à quoi cela ressemble,… Et ensuite, les ambassadeurs se
chargent d’inviter et mobiliser les personnes de la communauté à participer aux activités. Le jour
des activités, ce sont également eux qui s’occupent de l’organisation en fonction du thème, et nous
coopérons. Et parce qu’ils viennent des communautés, et connaissent tout le monde, les participants
sont plus réceptifs à leurs conseils, parce qu’ils comprennent ce qu’il raconte, certains utilisent le
dialecte des lieux d’origine des migrants, utilisent une langue populaire et non la langue littéraire
que nous employons. Lorsqu’on utilise une façon de parler qu’ils ne comprennent pas, alors ils
n’aiment pas écouter. Ils écoutent donc plus facilement leurs ambassadeurs.
- Vous disiez que votre objectif est qu’un jour, si vous avez réussi votre mission, vous partiriez car
ils seraient à même de se débrouiller tous seuls pour continuer à se développer.
- Oui, ils peuvent eux-mêmes entreprendre des partenariats avec de nombreuses personnes. Car pour
le moment, nous les aidons surtout à récolter des fonds. Au début, nous les avons formés, enseigner
ce que c’est la santé, pourquoi aider les autres à maintenir une bonne santé, comment aider,
comment organiser des activités, comment mobiliser les personnes à y participer, comment faire
des rapports des activités, comment écrire un message sur Weibo (twitter chinois), comment
utiliser un téléphone portable, ou un ordinateur… une fois qu’ils sont formés, et qu’ils ont appris à
créer eux-mêmes des partenariats, à lever des fonds, alors ils n’ont plus besoin de nous. Ils peuvent
trouver d’autres ONG avec qui collaborer, ou par exemple avec Save the Children, avec une
entreprise, il y a des tas de possibilités de partenariats.
- Je me demandais, votre mission étant de petit à petit vous retirer des communautés et les laisser
agir pour eux-mêmes, comment votre organisation fait-elle pour compter le nombre des
bénéficiaires que vous touchez, comment procédez-vous pour les rapports ? Par exemple lorsque
GSK a financé vos projets, vous avez dû en rédiger, comment avez-vous pu montrer l’amélioration
de la situation à la fin du projet ?
- Oui, nous avons rédigé des rapports, et à chaque activité, nous avons une liste d’inscription, avec le
nombre de participants. Regardez là (sur une photo), le responsable de la communauté est en train
d’écrire un blog, comme nous lui avons enseigné. Nous avons un blog consacré aux migrants
appelés « Le blog des migrants » (Xin Shimin Boke).
- Ah, donc vous le faites aussi via les responsables
- Oui, ce sont eux-mêmes qui rédigent les rapports, nous leur avons enseigné comment faire,
comment prendre les présences des participants, comment tenir un registre des activités, des choses
qu’ils ont peut-être distribuées, comment faire signer les personnes qui les ont reçu,… Et à la fin
des activités, annoter tout ce qu’ils ont fait, et les remarques par rapport à la journée, quelles ont été
les réactions des personnes. Et ensuite, décrire cela sur le blog, mettre des photos,…
- Depuis 2009 vous avez travaillé avec ces trois communautés, c’est cela ? Ce sont les mêmes
communautés depuis le début ? Vous n’avez jamais changé d’endroits ?
- Non, car ce sont trois zones dans lesquelles se regroupent de nombreux migrants. Dans le centreville, il y a beaucoup de travailleurs, mais peu habitent ces quartiers, car c’est trop cher. Donc ce
sont dans ces quartiers reculés à l’intersection de la ville et des banlieues que les migrants habitent.
La plupart vivent dans ces trois zones, donc nous intervenons là.
- Donc vous avez l’intention de rester dans ces quartiers où les migrants vont et viennent, vous
n’allez jamais changer d’endroits ?
- Non, les endroits ne changent pas, car il n’y a que dans ces zones-là qu’ils peuvent bénéficier d’un
loyer bon marché. Certains rentrent chez eux dans leur ville natale, et les nouveaux qui arrivent
vont également habiter dans ces zones-là, car ce sont dans leur ville natale qu’ils prennent
connaissance de ces endroits. Les migrants ont donc l’habitude de vivre dans ces quartiers-là.
222
- Et ces trois responsables (dont les portraits sont accrochés au mur), ils ne changeront pas non
plus ? Cela a toujours été ces trois-là depuis le début ?
- Non, ils ont changé depuis, car il y a eu un arrêt du projet et ils n’ont plus reçu de subsides. Il y en
a un qui a dû arrêter pour chercher du travail. Celui-là a été présent de 2010 à 2013, et en 2014, car
il n’y avait plus d’argent, il est aussi parti chercher un autre emploi. Nous ne leur interdisons bien
évidemment pas de partir, nous espérons qu’ils trouvent une meilleure situation. Par exemple, nous
l’avons même aidé à ouvrir sont propre magasin en ligne, pour vendre les vêtements qu’elle
confectionne elle-même. Nous ne refusons pas qu’ils trouvent un meilleur emploi. De toute façon,
cela est aussi la preuve qu’à travers leur expérience avec nous, ils ont pu acquérir des compétences
qui leur permettent de trouver un nouvel emploi, ce qui est aussi très bien. Par exemple, le
responsable du centre du district de Hongkou lui n’a jamais changé. À Pékin, le responsable à
changer une fois.
- Et lorsqu’ils changent d’emploi, qui les remplace en tant que responsable ?
- Oh, nous en trouvons toujours parmi la communauté. Il nous suffit d’observer durant les activités,
il y en a toujours un qui montre des compétences de leader. Car, même si nous ne dirigeons pas les
activités, nous sommes présents, sur le côté, et nous pouvons tout de suite voir qui pourrait prendre
la place du responsable, quelqu’un qui parle de manière chaleureuse, qui aime bien prendre la
parole, qui est prêt à aider les autres, qui s’affaire.
- Et ce sont eux qui se portent volontaire pour relayer le poste de responsable ou c’est vous qui allez
discuter avec eux pour savoir s’ils en ont envie ou non ?
- Ils sont d’abord choisi en tant qu’ambassadeurs en matière de santé, et s’ils le remplissent bien
leurs responsabilités, alors nous les formons pour qu’ils deviennent responsable de la communauté.
- C’est donc vous qui les désignez responsable ?
- Oui. Tout d’abord, nous entrons dans la communauté et cherchons où nous pourrions établir le
centre communautaire. Nous nous occupons vraiment de la partie fondamentale. À ce moment-là,
nous arrivons dans une communauté qui nous est étrangère, et nous sommes également des
étrangers pour eux, donc c’est à nous de trouver l’endroit, et d’entamer la mise en œuvre du projet.
Ensuite, nous devons entrer en contact avec les personnes, les observer, et lorsque nous avons
trouvé les bonnes personnes, nous les formons.
- Je sais que pour l’instant vous faites face à un manque de financement, mais si vous trouvez un
nouveau partenaire qui vous finance à la hauteur d’une entreprise comme GSK, auriez-vous alors
l’intention de développer vos projets ? D’aller dans de nouvelle communauté ?
- Nous espérons étendre nos activités à Chengdu dans la Province du Sichuan, Qingdao, … et
d’autres villes. Si les fonds sont suffisants nous aimerions développer notre population de
bénéficiaires, et étendre nos services. Par exemple, le centre de Sanling n’a plus assez de fonds
alors ils ont commencé à fournir des services à bas prix pour la communauté. C’est eux-mêmes qui
ont pensé à mettre en place cela : dans le centre de vie de la communauté, il y a une machine à
laver, car les habitants eux-mêmes n’en disposent pas, ils vendent aussi des plats chinois, il y a un
service de garderie pour les enfants dont les mamans travaillent plus tard que 3 heures et ne
peuvent donc les récupérer à l’école, ils ont acheté des banquettes pour les enfants. Mais les
charges sont peu élevées, à peine plus de 20 Yuans par mois. Il y a aussi des classes d’accueil pour
les enfants encore très petits. D’habitude ils n’enverraient pas leurs enfants en classe d’accueil.
C’est à partir de 2013 que le centre de Sanling a commencé à offrir ces services pour pouvoir
survivre. Il y a aussi des activités dansantes pour les femmes. Ils leur ont acheté un baffle pour
qu’elles puissent danser sur la musique pour un petit montant. Mais, les montants récoltés grâce à
ces services ne sont pas élevés, à peine quelques centaines de Yuans par mois, car ils ne peuvent
pas demander trop à la communauté.
- Et à part vous, qui s’occupe de ce projet « nouveaux citoyens » ? Comment se compose votre
équipe ?
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- Notre équipe est divisée en trois. D’abord, il y a tous les employés de l’organisation qui travaillent
à temps plein. Ensuite, il y a les responsables des communautés et les ambassadeurs de santé, que
l’on compte également comme faisant partie de l’équipe. Et enfin, les personnes à qui l’on fait
appel pour les activités dans la communauté, par exemple les docteurs et nutritionnistes qui
viennent donner cours et conseils, les bénévoles d’entreprises qui organisent des activités durant le
weekend… Regardez là par exemple c’est un bénévole de Citibank.
- Ah oui, eux sont là en tant que volontaires, c’est cela ?
- Oui, ils viennent enseigner aux migrants comment utiliser l’ordinateur, organisent des activités,
jouent avec eux au basketball,…
- Combien sont-ils approximativement ?
- Les bénévoles changent tout le temps. Ils viennent lorsqu’ils ont le temps. Et s’ils ont des choses de
seconde main qu’ils n’utilisent plus chez eux, des livres, des vêtements, des jouets, ils les offrent au
centre communautaire. Les responsables les redistribuent ensuite.
- Pourriez-vous parler un peu de vos partenariats ? Avez-vous des partenariats avec des entreprises,
des ONG, ou des organisations gouvernementales ?
-
Oui, ils se divisent en trois parties, les entreprises, les organisations gouvernementales, et d’autres
organisations sociales. En ce qui concerne les premiers, la première entreprise fut GSK. Il y en a
d’autres qui nous font des dons de matériels. Il y a aussi l’AmCham (Chambre de commerce
américaine), et la chambre de commerce britannique qui nous ont donné des fonds. Save the
Children également. Les autorités du planning familial des quartiers de Sanling et de Pujiang nous
ont aussi aidés financièrement, nous permettant de mettre en place des activités pendant quelques
mois, par exemple « Xiaoxiao Bama Xian » (Les parents surveillent leurs enfants), un projet pour
enseigner la sécurité des enfants. Ils ont aussi donné aux centres des téléviseurs et des ordinateurs,
pour leur permettre d’aller sur internet, pour qu’ils puissent par exemple acheter des billets de train,
ou d’autres choses. Quant aux privés, il y a par exemple « Eco-Baby » qui promeuvent l’utilisation
de matériels écologiques pour les bébés. Voilà à peu près nos partenaires…
- D’accord. Enfin, j’ai l’impression que votre situation quant à ce projet n’est pas stable pour
l’instant, que vous faites un peu au jour le jour… ai-je raison ?
- Oui. Mais comme nous sommes employés à temps plein, si nous n’avons pas de financement pour
ce projet, nous nous occupons des autres projets. Nous nous chargeons de ce projet à temps partiel.
Car chaque employé s’occupe de plusieurs projets à la fois, cela dépend des fonds disponibles.
Chacun se charge constamment de chercher des financements.
- Mais même si votre situation financière n’est pas stable, vous continuerez ce projet, n’est-ce pas ?
- Oui absolument, nous continuerons. Nous sommes confiants que la situation évoluera d’une
manière ou d’une autre. Bien sûr, il y aura toujours des obstacles à surmonter. Mais les « nouveaux
citoyens » auront toujours des opportunités et des compétences pour évoluer. Mais seulement ceux
qui s’accrochent resteront. Ceux qui ne parviennent vraiment pas à s’adapter à la vie citadine, alors
ils rentreront dans leur village natal. Toutefois, c’est un autre sujet, comment développer les
campagnes, les infrastructures locales… Mais nous sommes certains que la situation ne cesse
d’évoluer de manière positive, d’une manière plutôt détournée et tortueuse à l’image de l’ADN, de
manière indirecte, mais elle se dirige vers le haut. Nous poursuivrons nos efforts, et nous sommes
certains qu’ils s’efforcent également de faire évoluer leur situation.
- Et le gouvernement ?
- Le gouvernement aussi, il observe la situation mais ne sait pas non plus comment elle peut évoluer.
Car le gouvernement n’est pas jeune, mais ce problème est plutôt récent en Chine, il n’a pas
d’expérience quant à la manière de résoudre cette question. Face à une population de 24 millions
d’habitants concentrés dans une seule ville, il n’existe aucun modèle qu’il peut suivre. La
population chinoise est surtout concentrée dans 3 métropoles, Pékin, Shanghai, Canton. Les
problèmes auxquels Shanghai fait face, personne n’en a eu l’expérience. Donc le gouvernement
224
doit d’abord s’occuper des problèmes prioritaires pour la ville. Cette année, l’Assemblée populaire
nationale, qui s’est tenue avant-hier, a publié 10 projets que Shanghai doit mettre en œuvre. L’un
d’entre eux vise la population âgée, mais il n’y a rien pour la population flottante. Les ressources
de la ville sont d’abord allouées à des problèmes à résoudre en priorité. Quant à la population
migrante, le gouvernement n’a pas encore établi des politiques spécifiques. Il paraît observer assez
légèrement, n’a pas encore attaqué le problème de manière directe, n’a pas encore tenté de
transformer la situation.
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Notre étude se focalise essentiellement sur le milieu urbain qui témoigne d’une dichotomie
sociale institutionnalisée. Selon notre hypothèse, le système d’enregistrement des ménages, dit
« système du hukou », constitue l’instrument étatique à l’origine d’une ségrégation entre
citoyens urbains et ruraux. Notre réflexion nous amènera ainsi à confirmer la croyance selon
laquelle des masses de travailleurs ruraux migrants ont été et sont encore sacrifiés sur l’autel du
développement économique de la Chine qui a connu un tournant à l’instauration des réformes de
Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix.
Au-delà du constat et de l’exposition des inégalités inhérentes au système en place, nous nous
sommes interrogés, d’une part, sur l’existence d’acteurs sociaux qui tentent d’apporter une
solution aux difficultés que rencontrent les migrants et leur famille en zone urbaine et, d’autre
part, sur la relation que ceux-ci entretiennent avec les autorités publiques. L’objectif de ces
questions étant entre autres de définir si des changements positifs prennent progressivement
place en faveur de la population migrante, nous avons décidé de nous rendre à Shanghai, une
des grandes métropoles accueillant les travailleurs migrants afin d’y mener des entretiens
auprès de huit organisations à caractère social.
Mots-clés : Chine, migrants, hukou, inégalités, ONG
Place Montesquieu, 1 bte L2.08.05, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique www.uclouvain.be/psad
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