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Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD) Les migrants ruraux dans les métropoles chinoises – le cas de la municipalité de Shanghai Le système du hukou à l’origine d’inégalités sociales institutionnalisées Mémoire réalisé par Charlotte Ramet Promoteur Catherine Gourbin Lecteur Paul Servais Année académique 2014-2015 Master 120 en sciences politiques, orientation relations internationales, finalité action humanitaire À ma promotrice, Madame Gourbin, pour ses conseils et ses orientations, À mes parents pour leur soutien inconditionnel et leurs encouragements, À 小雨 et 小雪 pour leur amitié, À toutes les autres personnes qui m’ont apporté leur aide durant cette aventure, notamment 肖天, 小茜 et Raphaël, Enfin et surtout, aux responsables des organisations qui m’ont gentiment reçue, Un tout grand merci. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................................. 3 CHAPITRE PREMIER : LES MIGRATIONS EN CHINE À PARTIR DE LA FIN DES ANNÉES 1970 ............................................................................................ 7 RETOUR SUR VINGT ANS DE RÉFORMES ..................................................... 7 A. DE L’ÉCONOMIE PLANIFIÉE À L’ÉCONOMIE SOCIALISTE DE MARCHÉ ....... 7 B. UN BREF ESPOIR DE DÉMOCRATISATION À PÉKIN ................................... 10 C. LA CHINE EN « QUÊTE DE LA MONDIALITÉ », DERNIERS ÉLANS RÉFORMATEURS ...................................................................................... 10 DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET MIGRATIONS INTÉRIEURES ...... 13 A. LES MIGRATIONS À TRAVERS LE TEMPS .................................................. 13 1. Période pré-réformes : migrations « empêchées » et migration ordonnées .............................................................................................. 13 2. Fin 1970 – debut 1980 : migrations ordonnées, limitées et intraprovinciales ................................................................................... 14 3. Des 1985 : migrations organisées, volontaires, et intracontinentales .. 14 4. Années 1990 : mouvement migratoire intensif ..................................... 15 B. L’APPEL DE LA VILLE OU LE REJET DE LA CAMPAGNE ............................ 16 C. UNE POPULATION FLOTTANTE GRANDISSANTE ET INVASIVE ................. 17 D. PREMIÈRE LÉGISLATION NATIONALE DU TRAVAIL : RUPTURE IDÉOLOGIQUE .......................................................................................... 18 E. POLITIQUES CENTRALES ET POLITIQUES LOCALES ................................. 19 CONCLUSION .................................................................................................... 20 CHAPITRE SECOND : LE SYSTÈME DU HUKOU À L’ORIGINE D’UNE SÉGRÉGATION ET D’INÉGALITÉS ................................................................. 22 LE SYSTÈME DU HUKOU ................................................................................. 22 A. UN HÉRITAGE DE LA CHINE ANCIENNE ................................................................. 23 B. DES CARACTÉRISTIQUES ENCORE PRÉSENTES AUJOURD’HUI ...................... 24 C. LE SYSTÈME DU HUKOU SOUS LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE .... 25 D. UN INSTRUMENT DE CONTRÔLE SOCIAL AVANT TOUT ................................... 27 E. LE HUKOU À L’ÈRE DES RÉFORMES ........................................................................ 28 F. XXIE SIÈCLE : VERS UN ASSOUPLISSMENT DU SYSTÈME ? ............................. 33 CONSÉQUENCES : LES INÉGALITÉS ............................................................. 40 A. CONDITIONS DE TRAVAIL : EXPLOITATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE ........ 41 B. SÉCURITÉ SOCIALE .................................................................................. 45 1. L’assurance pension .............................................................................. 46 2. L’assurance chômage ............................................................................ 47 3. L’assurance médicale ............................................................................ 48 1 4. L’assurance accident de travail ............................................................. 50 5. L’assurance maternité ........................................................................... 52 C. SANTÉ ....................................................................................................... 52 1. 2. 3. 4. Les maladies infectieuses et transmissibles .......................................... 54 La santé nutritionnelle .......................................................................... 55 La santé mentale ................................................................................... 56 Les comportements à risque ................................................................. 57 D. INSTRUCTION SCOLAIRE .......................................................................... 57 E. LES « LEFT-BEHIND » ................................................................................ 62 CONCLUSION ..................................................................................................... 67 CHAPITRE TROISIÈME : ÉTUDE DE CAS LA PLACE DES MIGRANTS À SHANGHAI .............................................................................................................. 70 SHANGHAI .......................................................................................................... 70 A. MODERNISATION FULGURANTE ............................................................... 70 B. VILLE PEUPLÉE AU NIVEAU SOCIOÉCONOMIQUE ÉLEVÉ ......................... 74 C. LES MIGRANTS À SHANGHAI : UNE DESTINATION PRISÉE ....................... 76 DES ORGANISATIONS ENGAGÉES POUR LES FAMILLES MIGRANTES 81 A. LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES ................................... 85 1. 2. 3. 4. 5. Création et statut ................................................................................... 85 Taille et projets ..................................................................................... 88 Financement et partenariat .................................................................... 90 Obstacles et succès................................................................................ 92 Forces et faiblesses ............................................................................... 93 B. LES BÉNÉFICIAIRES .................................................................................. 94 1. 2. 3. 4. Situation précaire .................................................................................. 94 Droits des travailleurs migrants ............................................................ 95 Relation avec les bénéficiaires .............................................................. 96 Droit à l’instruction scolaire ................................................................. 97 C. LES AUTORITÉS LOCALES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE ................................... 99 1. 2. 3. 4. 5. Vision des ONG et relation avec les autorités ...................................... 99 Entre soutien et contrôle ..................................................................... 100 Climat favorable ................................................................................. 102 Le bien-être public aux sacrifices de certains ..................................... 103 Espoir futur ? ...................................................................................... 104 CONCLUSION ................................................................................................... 104 CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................... 107 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 110 ANNEXES............................................................................................................... 123 2 INTRODUCTION GÉNÉRALE Notre mémoire s’inscrit dans le cadre du Master 120 en sciences politiques, orientation relations internationales, finalité action humanitaire. Bien que la problématique des migrants ruraux en Chine ne fasse pas l’objet d’une aide d’urgence à proprement parler, cette population fait néanmoins face aux mêmes inégalités d’accès aux droits fondamentaux que les réfugiés. En effet, nous verrons que les migrants chinois sont reçus par les métropoles tels des citoyens étrangers, des citoyens de seconde classe. Reconnaissables à leur physique et leur accent, ils sont victimes de nombreux abus contre lesquels il leur est difficile de se défendre. Sur base de ce constat, nous étudierons le rôle que jouent les autorités publiques dans cette ségrégation sociale et l’aide apportée par des organisations de la société civile. Par ailleurs, notre attachement personnel envers la Chine nous a conduits à étudier cette problématique qui nous concerne tous, sans que nous en soyons réellement conscients. Pourtant, les expressions « l’atelier du monde » ou encore « fabriqué en Chine » nous sont aujourd’hui plus que familières. Loin de nous l’idée de dénoncer la réalité dans une approche moralisatrice, nous avons toutefois voulu investiguer les causes profondes d’un développement inégalitaire de la société chinoise. Notre étude se focalise essentiellement sur le milieu urbain qui témoigne d’une dichotomie sociale institutionnalisée. Selon notre hypothèse, le système d’enregistrement des ménages, dit « système du hukou », constitue l’instrument étatique à l’origine d’une ségrégation entre citoyens urbains et ruraux. Notre réflexion nous amènera ainsi à confirmer la croyance selon laquelle des masses de travailleurs ruraux migrants ont été et sont encore sacrifiés sur l’autel du développement économique de la Chine qui a connu un tournant à l’instauration des réformes de Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix. Au-delà du constat et de l’exposition des inégalités inhérentes au système en place, nous nous sommes interrogés, d’une part, sur l’existence d’acteurs sociaux qui tentent d’apporter une solution aux difficultés que rencontrent les migrants et leur famille en zone urbaine et, d’autre part, sur la relation que ceux-ci entretiennent avec les autorités publiques. L’objectif de ces questions étant entre autres de définir si des changements positifs prennent progressivement place en faveur de la population 3 migrante, nous avons décidé de nous rendre à Shanghai, une des grandes métropoles accueillant les travailleurs migrants dans laquelle nous avons nous-mêmes résidés plusieurs années. Afin de vérifier notre première hypothèse, nous nous sommes d’abord exclusivement appuyés sur des sources secondaires comprenant des monographies, articles scientifiques, contributions à des conférences, ouvrages collectifs et working papers, études et rapports officiels, mais aussi des sources accessibles en ligne telles que des informations et statistiques tirés des sites officiels et des articles de presse. Nous avons par ailleurs analysé les cadres légaux en consultant les lois nationales et municipales et autres décisions à caractère légal des autorités chinoises, ainsi que deux observations et recommandations internationales émanant des Nations Unies. Ensuite, comme nous l’avons laissé entendre, notre étude de cas se base principalement sur des sources primaires, soit des entretiens que nous avons réalisés au début de cette année 2015 auprès de huit organisations non gouvernementales ayant pour bénéficiaires (exclusivement ou partiellement) la population migrante. Notre méthodologie relative aux entretiens menés et les problèmes rencontrés quant à l’échantillon seront détaillés dans le dernier chapitre. Nous avons cependant agrémenté l’analyse de nos entretiens de quelques sources secondaires dans le but de confirmer certaines informations reçues. Dans l’ensemble, les sources que nous avons consultées étant fort variées et accessibles, nous pensons avoir dressé un tableau relativement objectif de la problématique. La seule remarque que nous avons soulignée, en se référant à un auteur particulier, est celle des chiffres et statistiques qu’il est difficilement possible de vérifier et valider, mais qui permettent tout de même au lecteur de disposer d’estimations de référence. Notre mémoire se divise en trois chapitres. Le premier consiste en une remise en contexte de la Chine à la sortie de la période maoïste et l’arrivée des réformes économiques qui introduisent « la main invisible » du marché. Nous constatons que celles-ci débouchent également sur un relâchement des restrictions de circulation afin de permettre à une main-d’œuvre rurale d’œuvrer pour le développement national. Ceci nous amène donc au second chapitre dans lequel nous étudions le système du hukou qui régule ces mouvements migratoires et classe les citoyens selon leur lieu 4 d’origine auquel sont attachés leurs droits. Nous détaillons ainsi cinq catégories d’inégalités induites par le système. Dans le troisième et dernier chapitre, nous présentons d’abord les particularités de la ville de Shanghai et enfin les résultats de nos entretiens. 5 « Mon sang a coulé, je me suis battu, je suis passé par tellement de peine toutes ces années et je n'ai toujours rien en poche. Nous nous sommes rendu compte que nous n'appartenons pas à ce monde, nous avons emprunté tellement de chemins différents, fait couler tellement de notre sang et de notre sueur, toujours rien en poche. Shenzhen, de qui es-tu le monde? Es-tu le monde des travailleurs? Tu es le monde des gens riches, pourquoi? Tu as rejeté les travailleurs aux marges, pourquoi? Cette société est-elle juste? Elle est injuste, que devons-nous faire ? Chacun devrait se souvenir de ceci, la solidarité, c'est la force. »1 Travailleur migrant, février 2012 1 « Au-delà des résistances légitimes », in : GIVRON P., FLORENCE E., « La violation des droits humains en Chine au nom des nécessités liées à la croissance économique. », Conférence-échanges du groupe Amnesty n°19, Court-Saint-Etienne, 25 septembre 2014. 6 CHAPITRE PREMIER : LES MIGRATIONS EN CHINE À PARTIR DE LA FIN DES ANNÉES 1970 Ce premier chapitre se divise en deux parties et consiste en une introduction qui permettra au lecteur de comprendre le contexte plus large dans lequel se situe notre étude. Nous revenons tout d’abord sur les réformes économiques qui ont été mises en place en Chine à partir de la fin des années 1970. Nous y décrivons de manière succincte le virage qu’a connu l’Empire du Milieu en termes de modèle économique et les transformations qui ont suivi la période maoïste. Nous mentionnons par ailleurs les événements de Tiananmen qui ont marqué les mémoires et qui, s’ils avaient abouti, auraient sans doute changé l’orientation de nos recherches. Enfin, nous exposons les dernières impulsions de développement qui ont permis à la Chine d’obtenir la place qu’elle occupe actuellement dans le paysage économique mondial. Dans la seconde partie du présent chapitre, nous établissons les liens existants entre les réformes économiques et les migrations intérieures de la main-d’œuvre qui ont contribué au développement du pays. Nous posons la question des motifs de la migration vers les zones urbaines et abordons la manière dont les travailleurs y sont accueillis. Nous présentons finalement la première législation du travail qui a changé la relation entre l’employeur et le travailleur ainsi qu’une tentative de l’État central de réguler le marché de l’emploi afin que la migration profite à l’ensemble de la population. RETOUR SUR VINGT ANS DE RÉFORMES A. DE L’ÉCONOMIE PLANIFIÉE À L’ÉCONOMIE SOCIALISTE DE MARCHÉ C’est au successeur du Grand Timonier que la Chine doit la mise en application de la politique des « Quatre Modernisations » ( 四 个 代 化 , sige xiandaihua). Deng Xiaoping a ainsi initié une transformation qui mènera progressivement le pays à devenir ce que tous surnomment aujourd’hui « l’atelier du monde ». Le Troisième Plénum du Comité central en 1978 donna le coup d’envoi des réformes économiques dans quatre domaines parmi lesquels l’agriculture et l’industrie. Le ton était donné : il s’agissait de rattraper le retard que la Chine avait accusé durant l’ère maoïste. Celle-ci laissait à la nouvelle administration un déficit de 6,5 milliards de yuans 7 (1 milliard d’euros)2, 20 millions de personnes sans emploi, et 100 millions sousalimentées. Deng Xiaoping insista d’autre part sur la dictature politique. Le Parti devait en effet reconstruire sa légitimité, qui avait été mise à mal à la suite de la Révolution culturelle de Mao. Cela ne serait pas sans conséquences : « And because of this insistence on political dictatorship, China’s economy became a predatory economy, its social structure became an elite-dominating social stratification that sacrificed the interests of the peasants and workers and other people at the bottom, who had little chance for upward social mobility […]. »3 La mise en œuvre était bien réfléchie et prudente, passant par des phases d’expérimentation dans les quatre localités érigées en zones économiques spéciales (ZES) dès 1979 : Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen (ainsi que l’île de Hainan, au cours des années 1980).4 L’objectif allait de pair avec la politique d’ouverture de la Chine sur le marché mondial, cherchant à attirer les investissements directs étrangers, développer le commerce extérieur et encourager le transfert technologique. Au cours de la décennie suivante, deux autres types d’unités économiques seront utilisées à ces mêmes fins : des zones de développement économique et technique, et des zones privilégiées de commerce extérieur et d’investissement. En 1984, ce sont donc quatorze villes côtières qui furent sélectionnées afin de participer à ce mouvement national de modernisation et d’industrialisation, parmi lesquelles Shanghai, Canton, Pékin et Tianjin (cf. Annexe 1). Cette deuxième vague de transformation était en effet concentrée sur la périphérie est de la Chine, dont les villes précitées étaient déjà mieux prédisposées à l’accueil de nouveaux projets industriels venant de l’étranger. Le courant réformateur était bel et bien lancé tandis que les autorités annonçaient publiquement leur intention de purger le parti communiste des membres s’opposant aux changements en cours.5 L’on peut ajouter que l’ouverture de Shanghai, plus particulièrement, représentait une avancée La conversion des devises s’effectue au taux du 22 juillet 2015 : 1000 yuans = 147 euros. LU R.-C., Chinese Democracy and Elite Thinking, New York: Palgrave Macmillan, 2011, p.62. 4 BENSON L., La Chine depuis 1949, Bruxelles : éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, p.85. 5 OBORNE M., « Les zones économiques spéciales de la République populaire chinoise », Revue trimestrielle du CEPII, 1985, n°21, pp.51-79. 2 3 8 importante pour la ville, qui, du fait de son passé colonial et capitaliste, avait été reléguée au second plan pendant plus de trois décennies.6 Parmi les ZES, Shenzhen se développa le plus rapidement, attirant de nombreux travailleurs qui voulaient, eux aussi, profiter de la croissance économique, la plus élevée enregistrée en Chine à la fin de la décennie quatre-vingt. Dans les zones rurales, les réformes qui consistaient en la redistribution et la privatisation progressives des terres eurent un premier impact positif. Le taux de croissance de la production agricole s’élevait bientôt à 9% en moyenne par an. 7 Les paysans étant désormais autonomes et libres de vendre le surplus des récoltes sur le marché, le revenu par habitant aurait augmenté en moyenne de 15% par an, de 1979 à 1984. 8 En parallèle, des entreprises locales ( 乡 镇 企 业 , xiangzhen qiye), principalement de manufacture et de transformation, voyaient le jour et contribuaient ainsi à 58% de la production totale des campagnes. Malgré les disparités, la population accueillait avec engouement le slogan « s’enrichir est un motif de gloire » ( 致 富 光 荣 , zhifu guangrong). Toutefois, dès 1985, les revenus des populations rurales, provenant de l’agriculture mais également des activités subsidiaires, connurent une forte chute en raison de nombreux problèmes propres aux campagnes, notamment le manque de terres cultivables, mais surtout du fait du manque de mesures gouvernementales concrètes pour y faire face et améliorer le sort des paysans du centre et de l’Ouest du pays.9 En ville, la modernisation s’avérait au début plus difficile, les ouvriers se montrant réticents à perdre les nombreux avantages dont ils disposaient dans les entreprises d’État. Celles-ci leur conféraient le fameux « bol de riz en fer » (铁饭碗, tiefanwan), soit un emploi sûr et stable, mais également logement, soins de santé, pension,… Or, PAULES X., La Chine. Des guerres de l’opium à nos jours, Paris : La Documentation française, « Documentation photographique », n° 8093, 2013, pp.54-55. 7 BENSON L., op.cit, pp.85-95. 8 LU X. “Peasants Are so Poor, the Countryside Is so Arduous” Dushu, n°1, 2001, cité dans : HUANG P., « Problématique rurale et développement inégal en Chine », in Le miracle chinois vu de l’intérieur, Louvain-la-Neuve – Paris : Centre tricontinental – Éditions Syllepse, « Alternatives Sud », 2005, vol.XII, pp.49-75. 9 FROISSART C., La Chine et ses migrants : la conquête d’une citoyenneté, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2013, pp.73-76. 6 9 le gouvernement entamait progressivement la fermeture ou la privatisation des unités de travail (单位, danwei) en déficit ou celles dont les rendements stagnaient.10 B. UN BREF ESPOIR DE DÉMOCRATISATION À PÉKIN Aux Quatre Modernisations s’ajouta une cinquième, revendiquée par les mouvements estudiantins : la démocratie. Représentés entre autres par Wei Jingsheng, ils avaient, dès le début de la prise au pouvoir de Deng Xiaoping, exercé avec vigueur les « Quatre Droits fondamentaux » que leur avait accordés la Constitution de 1978, soit le droit de critiquer librement (大鸣, daming), d’exprimer ses idées (大防, dafang), de se réunir pour débattre (大辩论, dabianlun) et d’écrire sur des affiches à grands caractères (大字报, dazibao). Suite à la ferveur naissante des revendications, ces derniers furent révoqués dès 1980. Les répressions qui tentèrent de rompre cette dynamique n’eurent que peu d’effets, et le mouvement s’amplifia. Des intellectuels et autres célébrités s’y joignirent jusqu’à provoquer les événements tragiques de la place Tiananmen le 4 juin 1989. Comme on le sait, les manifestations des étudiants et leurs partisans furent sévèrement réprimées par les autorités chinoises, impliquant une intervention militaire. Notons que des actions similaires surgir dans d’autres villes de Chine, en solidarité.11 C. LA CHINE EN « QUÊTE DE LA MONDIALITÉ », DERNIERS ÉLANS RÉFORMATEURS L’événement de Tiananmen aurait pu décider les autorités chinoises à faire marche arrière, d’autant plus que les conservateurs du parti y voyaient là une preuve que les changements récents n’étaient guère de bon augure. Toutefois, deux ans plus tard, la chute et la dissolution de l’URSS, autrefois modèle économique et mentor de la Chine, confortèrent Deng Xiaoping dans sa décision : « Le Parti f[it] donc un pari (gagnant jusqu’à présent) : la prospérité, fruit d’une accélération des réformes, contribue à minimiser l’expression des mécontentements. Par ailleurs, il repr[it] la main en matière de propagande en mettant en avant une rhétorique antioccidentale, exploitant habilement les sanctions prises par la 12 communauté internationale après Tiananmen. » 10 BENSON L., op.cit. Id., pp.98-106. 12 PAULES X., op.cit., p.14. 11 10 Le numéro un du Parti communiste chinois (PCC) effectua alors un voyage très médiatisé dans les ZES de la province méridionale de Canton, qui confirma la poursuite des réformes.13 Enfin, les dernières impulsions concernèrent les villes intérieures du pays. C’est ainsi qu’en 1992, la Vallée du Yangzi (长江流域, Changjiang liuyu), entre autres, retrouva son importance passée.14 Elle avait en effet fonctionné tel un axe de pénétration dans les terres intérieures de la Chine pour les explorateurs, navigateurs et marchands venus de l’Occident. Elle assurerait désormais un rôle dans la modernisation économique et industrielle de la région, facilitant notamment la liaison entre Chongqing (une des villes principales de la province du Sichuan) et Shanghai.15 Dès la seconde moitié des années 1990, de nombreuses entreprises publiques en déficit avaient fait l’objet d’un démantèlement. En effet, d’une part, le gouvernement encourageait la privatisation ou les joint ventures et d’autre part, il avait facilité le processus de mise en faillite. La transition devait toutefois se faire d’une manière subtile car les autorités faisaient face à un dilemme : trop rapide, les ouvriers poussés à la retraite ou au chômage, souvent sans récupérer l’entièreté des compensations qu’il leur était dues, risquaient de manifester leur mécontentement (des manifestations avaient déjà été organisées dès 1997),16 mais trop lente, la crise de la dette risquait de s’aggraver. En outre, la question demeurait de savoir comment l’État chinois allait-il, à travers le 15e Congrès du Parti communiste, résoudre les problèmes qui s’annonçaient avec l’accession au marché des services sociaux (tels que l’enseignement, les logements et les soins de santé) qui brisait définitivement le bol en fer pour des masses de travailleurs.17 Et cela ne serait pas sans sacrifice à en croire le mot d’ordre que le nouveau leader chinois, Jiang Zemin avait lancé en 1997 lors du 15e Congrès : « To cut workforce 13 BENSON L., op.cit., pp.107-109. PAULES X., op.cit., pp.54-55. 15 SANJUAN T., (a) « L’invention du Yangzi. Linéarité fluviale, segmentation provinciale et métropolisation littorale », Géocarrefour, 2004, vol. LXXIX, n°1, p.6. 16 “While some early reformers called for the gradual development of a controlled labour market, fear of social instability that might arise from rapid change and open unemployment meant that caution was exercised in implementing reform measures.” In: COOK S., MAURER-FAZIO M. (eds), The Workers’ State Meets the Market: Labour in China’s Transition, London: Frank Cass & Co, 1999, pp.2-3. 17 WELLER R., LI J., “From State-Owned Enterprise to Joint Venture: A Case Study of the Crisis in Urban Social Services”, The China Journal, 2000, n°43, pp. 83-99. 14 11 and raise efficiency » ( 减人增效 , jianren zengxiao). Ce fut effectivement le cas, toutefois la Chine devrait faire face à ce nouveau fardeau social : « But because they were too many redundant workers in an enterprise, which had become a huge burden, many of the workers (old-aged or unskilled), for the sake of the reform, had to leave their long protected employment and welfare. A huge unemployed population thus became a serious social problem for the cities and nation as a whole. »18 Au démantèlement des entreprises publiques, s’ajoutèrent donc bientôt la restructuration industrielle, la modernisation économique, l’urbanisation, la transition économique, et l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Celle-ci, en particulier, signifiait que les entreprises d’État seraient non seulement en concurrence avec un nombre croissant d’entreprises privées mais devraient également faire face à l’arrivée sur le marché chinois de produits importés.19 En effet, au début du nouveau siècle, la Chine franchit un nouveau pas dans l’histoire de son développement économique, sous la direction de Jiang Zemin. Les opposants aux réformes avaient en effet été réduits à une minorité au sein du Parti, ce qui lui permit de faire entrer le pays dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), désormais vue comme une opportunité. 20 Et le calcul s’avéra correct alors que la balance commerciale affichait déjà des excédents record dès 2005.21 Toutefois, l’entrée dans le marché mondial exposait désormais le pays aux crises économiques mondiales. La Chine fut ainsi touchée par la crise de 2008 qui affecta davantage la population migrante : 20 à 30 millions de migrants ruraux se retrouvaient sans emploi en mars 2009.22 18 LU R.-C., op.cit., p.63. SOLINGER D., “Chinese Urban Jobs and the WTO”, The China Journal, 2003, n°49, pp.64-65. 20 PAULES X., op.cit. 21 « Balance commerciale, Chine », Perspective Monde : Université de Sherbrooke, [accès en ligne],http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?langue=fr&codePays=CH N&codeStat=NE.RSB.GNFS.CD&codeStat2=x, dernière consultation le 20 février 2015. 22 FIX M., et al, Migration and the Global Recession, Washington D.C.: Migration Policy Institute, 2009, pp.40-51. 19 12 DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET MIGRATIONS INTÉRIEURES A. LES MIGRATIONS À TRAVERS LE TEMPS 23 1. Période pré-réformes : migrations « empêchées » et migration ordonnées Mis en place en 1958, le système d’enregistrement des ménages (le système du hukou), qui sera discuté dans le chapitre suivant, empêchait le libre déplacement de la population en dehors de son lieu d’origine : « In the pre-reform era, it was extremely difficult for Chinese people to move to and seek employment in a city other than their registered residence. »24 Alors que la Chine était en proie à une pénurie de céréales, les autorités voulaient à tout prix éviter un exode rural, mais également maintenir l’ordre dans les zones urbaines, tenant à l’écart les paysans considérés comme « menaçants » à cet égard.25 « L’objectif du PCC était d’empêcher l’apparition d’énormes conurbations – et de nombreux problèmes associés à une très forte concentration de populations urbaines. »26 Dès les années 1960, apparaissent par ailleurs des migrations ordonnées voire forcées et cette fois-ci vers les zones rurales, processus que le gouvernement chinois avait entamé afin de contrer l’urbanisation. Des citadins furent envoyés à la campagne suite à des pénuries alimentaires dans les villes (de 1959 à 1961), un chômage et une croissance démographique trop importants : près de 20 millions de fonctionnaires ainsi que 26 à 28 millions de citoyens originaires du milieu urbain furent ainsi déplacés vers les campagnes.27 Les effets seront immédiats avec une diminution du taux de croissance de la population urbaine de 4,4% par an jusqu’en 1965. 28 Par la suite, la Révolution 23 Classification reprise dans : ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d) « Routes migratoires et circulations en Chine : entre mobilités intracontinentales et transnationalisme », Revue européenne des migrations internationales, 2004, vol. XX, n°3, pp.9-13. 24 LU H., The Right to Work in China: Chinese Labor Legislation in the Light of the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Cambridge: Intersentia, 2011, p.121. 25 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit. 26 BENSON L., op.cit., p.129. Le terme conurbation y est défini comme étant une « Zone urbaine densément peuplée qui inclut une grande ville, sa grande banlieue et de petites localités ». 27 WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, p.47. 28 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit. 13 culturelle sera à l’origine de l’envoi de près de 17 millions de « jeunes citadins instruits » dans les campagnes ( 山 乡, shangshan xiaxiang).29 2. Fin 1970 – début 1980 : migrations ordonnées, limitées et intraprovinciales Les réformes économiques ont été à l’origine de nouvelles migrations limitées vers les villes, grâce au relâchement des restrictions de déplacement et l’autorisation de résider temporairement en ville, à travers un certificat. Les campagnes entrant dans une phase de « décollectivisation », les terres appartenaient désormais aux familles qui en reprenaient la gestion, tandis que les autorités les encouragèrent à en accroître le rendement via l’industrialisation. La surabondance de la main-d’œuvre agricole et ce nouveau « système de responsabilité familiale » (家庭承包制 , jiating chengbao zhi), soit le début du démantèlement des communes populaires 30 , incitèrent les résidants ruraux à créer des entreprises locales31, dans leur canton ou province, soit, à « quitter la terre sans quitter la campagne » (离土不离乡, litu bu lixiang) : « In 1983, the government began to allow farmers to engage in long distance transport and marketing of their products in cities. In 1984 the State started to encourage farmers to leave agricultural production and, where appropriate, to work 32 in nearby small towns. » Ces migrations intraprovinciales sont ainsi limitées à un espace restreint qu’est le canton ou la province.33 3. Dès 1985 : migrations organisées, volontaires, et intracontinentales Progressivement, avec l’assouplissement du système d’enregistrement, les migrations s’étendirent à toute la Chine continentale. Les autorités favorisaient ainsi des mouvements migratoires larges et ouverts, intracontinentaux ou interprovinciaux, WANG J., Les migrations intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris : L’Harmattan, 2012, p.32 ; PAULES X., op.cit., pp.12-13 ; pp.52-53. 30 (人民公社, renmin gongshe) Ce mode d’organisation productrice fut définitivement supprimé en 1983 dans toute la Chine. Désormais « débarrassés du joug qui les asservissait à la terre », les ménages s’engageaient directement auprès de l’État, retrouvant ainsi une liberté quant à la production et leur choix professionnel. In : WANG J., op.cit., p.36. 31 Celles-ci purent absorber une grande partie de la main-d’œuvre excédentaire jusqu’à la moitié des années 1990. À partir de cette période, ces entreprises non agricoles connurent un ralentissement en raison de la concurrence des entreprises urbaines. Ainsi, l’emploi rural n’était plus assuré que pour la moitié des travailleurs. In : FROISSART C., op.cit., p.76. 32 YANG D. T., ZHOU H., “Rural – Urban Disparity and Sectoral Labour Allocation”, in COOK S., MAURER-FAZIO M. (eds), op.cit., p.120. 33 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (a) « Inégalités, disqualification sociale et violences symboliques à Shanghai : l’accès à l’emploi urbain des provinciaux », Journal des anthropologues, 2004, n°96-97, pp. 234-236. 29 14 incitant cette fois à « quitter la terre et la campagne » ( 离 土 又 离 乡 , litu you lixiang).34 : « A major policy reform took place in 1988, when the central government officially relaxed the controls over labour flows. It was announced that farmers could move to cities if they could provide their own staple and were financially capable of running business. This was a landmark deregulation which removed the legal restrictions on rural-to-urban migration. »35 À côté des migrations volontaires, un système de migrations organisées a par ailleurs été établi dans le but de lutter contre la pauvreté à travers le développement de marchés de l’emploi dans les villes, visant en particulier la population migrante venant de l’Ouest de la Chine. Il s’agissait toutefois d’un autre type de dispositif de contrôle dans lequel des acteurs publics et privés étaient impliqués dans sa mise en œuvre. En effet, les agences d’emploi intermédiaires bien qu’indépendantes restaient sous le contrôle du Bureau du travail local afin d’assurer la protection des marchés d’emploi réservé à la population urbaine.36 En outre, sous condition d’enregistrement auprès de la sécurité publique, la location d’habitations privées ou de chambres d’hôtes était dorénavant autorisée pour les migrants, ce qui favorisa davantage leurs séjours en ville.37 4. Années 1990 : mouvement migratoire intensif Dans les années 1990, les migrations individuelles et volontaires prirent une telle ampleur que l’on pouvait qualifier le mouvement comme intensif, les autorités et les médias le décrivant même telle « une vague de migrants » (民工潮, mingongchao).38 À titre indicatif,39 en 1992, le nombre de travailleurs migrants dans les villes était estimé à 46 millions.40 Les migrations interprovinciales sont, elles, passées de 9,2 millions en 1990 (soit 0,81% de la population totale) à 32,3 millions en 2000 (soit 34 Ibid. YANG D. T., ZHOU H., op.cit. 36 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d) op.cit. 37 SOLINGER D., Contesting Citizenship in Urban China: Peasant Migrants, the State, and the Logic of the Market, Berkeley: University of California Press, 1999, p.50, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.72. 38 FROISSART C., op.cit., p.87. 39 Il convient de souligner que le phénomène des migrations en Chine, d’un point de vue numérique, est difficilement estimable. Les recensements nationaux ou diverses études présentent des obstacles tels que : la définition du migrant en termes spatio-temporels mais aussi en termes de classification des types de migration selon, entre autres, l’objectif, l’origine, le type de hukou ; le caractère officiel ou non de la migration ; la représentativité ; …et la terminologie désignant les migrants qui prête aussi à confusion. In : Id., pp.87-90. 40 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (c) op.cit. 35 15 3% de la population totale).41 L’on peut en outre noter qu’au début de la décennie 1990, les migrations (dont 70 à 80% se faisaient vers des villes moyennes et grandes) concernaient principalement des jeunes hommes seuls à la recherche d’un emploi temporaire. Ensuite, vers le milieu des années 1990, les migrations féminines et familiales connurent une augmentation ; de même la durée et la distance des séjours se sont allongées. La fréquence des migrations s’est également accrue, ne se limitant plus au rythme des activités agricoles.42 B. L’APPEL DE LA VILLE OU LE REJET DE LA CAMPAGNE À partir de 1992, les villes côtières et mégalopoles telles que Shanghai et Pékin nécessitèrent une importante main-d’œuvre rurale pour mener à bien les projets économiques et d’infrastructures de grande envergure qui y étaient lancés. Wang note à ce propos : « Cette situation correspond parfaitement au modèle de Lewis (1954), selon lequel le secteur traditionnel (agricole) fournit de nombreux travailleurs à bas prix au secteur moderne qui est le moteur essentiel du 43 développement économique. » D’une part, les paysans étaient encouragés à rejoindre la ville car, en raison d’un changement dans le système d’enregistrement des ménages (cf. infra), elle était désormais à leur portée. D’autre part, la situation dans le milieu rural ne leur laissait guère de choix : privatisation des terres, forte pression démographique, manque de terres arables… Les campagnes n’offraient plus suffisamment d’opportunités, ainsi la main-d’œuvre excédentaire (estimée entre 100 et 150 millions de personnes pendant la première moitié des années 1990)44 partait en masse pour la ville où des emplois dans divers domaines étaient disponibles. En outre, le métier agricole n’avait plus rien d’attrayant comparé aux rémunérations nettement plus élevées qu’offraient le milieu urbain.45 Les revenus dans les villes étaient en moyenne deux fois plus élevés que dans les campagnes. De plus, les conditions de vie dans les régions intérieures du pays étaient encore parfois rudes et pauvres, en termes d’accès à des services de base tels que CHAN, K. W., “China, Internal Migration”, in Immanuel Ness and Peter Bellwood (eds.), The Encyclopedia of Global Migration, Blackwell Publishing, 2013, 3444 p. 42 FROISSART C., op.cit., p.91. 43 WANG J., op.cit., p.37. 44 SOLINGER D., op.cit., p.155, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.74. 45 HUANG P., « Problématique rurale et développement inégal en Chine », in Le miracle chinois vu de l’intérieur, Louvain-la-Neuve – Paris : Centre tricontinental – Éditions Syllepse, « Alternatives Sud », 2005, vol.XII, pp.49-75. 41 16 l’électricité, l’instruction primaire ou encore les soins de santé. À cela s’ajoutaient également des problèmes de corruption des fonctionnaires locaux dont les paysans étaient victimes à coup de prélèvements abusifs.46 Les impôts dans les zones rurales ont par ailleurs toujours été plus élevés que dans les zones urbaines : « China had long been an agricultural nation in the history, and agricultural tax had contributed a lot to the government’s fiscal budget in the past. [...]Since the foundation of the People’s Republic of China, to promote China’s industrialization, the farmers had been levied on heavy agricultural tax. In 1950, the agricultural tax contributed to 39% of the national fiscal revenue. The taxes levied on agricultural sectors include three components –the agricultural tax, taxes on special agricultural products and agricultural surtax. »47 Une étude de 1995 a révélé que l’ensemble des impôts, taxes et cotisations auxquels étaient soumis les ruraux correspondaient à une somme 30 fois plus élevées que pour les citadins.48 C. UNE POPULATION FLOTTANTE GRANDISSANTE ET INVASIVE Dans les années 1990, de plus en plus de jeunes issus des zones rurales migrèrent donc vers les villes afin d’y trouver un emploi temporaire dans la construction, par exemple – nous verrons dans notre étude de cas que certains marchés leur étaient fermés. Logés sur place dans des abris éphémères, ces travailleurs se déplaçaient de site en site, au gré des opportunités. Malgré sa contribution au développement urbain, cette « population flottante » n’était pourtant pas bien reçue par la population locale, souvent décriée pour son comportement et accusée de menus larcins. Les migrantes, elles, étaient pointées du doigt pour échapper au contrôle des naissances : « Lorsque des femmes vinrent grossirent les rangs, elles furent à leur tour considérées comme des fauteuses de troubles. Comme ces femmes échappaient aussi au contrôle du comité de planning familial de leur village, les fonctionnaires virent en elles de possibles contrevenantes à la politique de l’enfant unique, même si 49 aucune statistique ne venait le confirmer. » 46 BENSON L., op.cit., pp.112-113. WANG X., SHEN Y., “The effect of China's agricultural tax abolition on rural families' incomes and production”, China Economic Review, 2014, vol.XXIX, pp.185-199. 48 FABRE G., Chine: Le piège des inégalités, Dossier de la Documentation Française, n°834, février 2000, p.37, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.77. 49 BENSON L., op.cit., p.130. Voir également note n°259. 47 17 Bientôt, cette population fut rejointe par les travailleurs licenciés suite aux privatisations et faillites d’entreprises publiques.50 Notons par ailleurs que cet afflux d’ouvriers non qualifiés, considéré comme invasif, était un sujet fort médiatisé à l’époque, en particulier sous les rubriques relatives à l’ordre et la sécurité des milieux urbains.51 Soulignons que, contrairement à ce qui a pu être décrit, les migrants ne représentaient pas une concurrence sur le marché de l’emploi dans la ville, car ils occupaient, dans un premier temps, des postes « sales, dangereux et éreintants », méprisés par les citadins et pourtant nécessaires au développement économique. Les secteurs du bâtiment, des mines, des travaux publics, de l’industrie chimique et des travaux d’hygiène publique étaient les plus concernés. Par la suite les travailleurs migrants ont également été employés dans la restauration et l’hôtellerie, le commerce de détail et instituts de beauté, répondant ainsi à une demande croissante de la population urbaine dont le niveau de vie se développait peu à peu.52 D. PREMIÈRE LÉGISLATION NATIONALE DU TRAVAIL : RUPTURE IDÉOLOGIQUE En 1994, les autorités votèrent la première loi nationale relative au travail et aux droits des travailleurs, un événement sans précédent dans l’histoire de la République populaire de Chine. La loi établissait des principes fondamentaux en termes de relations contractuelles et redéfinissait le rôle de régulateur qui incombait à l’État. Quant aux travailleurs, ils jouissaient désormais des droits suivants : le droit d’être rémunérés pour le travail presté, le droit à des jours de repos et aux congés, le droit à un environnement de travail sûr et le droit à une assurance sociale. Toutefois, dans la pratique, ces droits demeuraient les plus couramment violés. Il fut également décidé l’établissement d’un système de salaire minimum, dont le niveau devait être fixé par les provinces. Enfin, la loi établissait des mesures de protection envers les femmes, afin, entre autres, qu’elles ne puissent faire l’objet de discrimination tant lors du recrutement qu’en termes salariaux.53 50 Id., pp.129-131. HUANG P., op.cit., p.52. 52 FROISSART C., op.cit., p.71. 53 LEE C.-K., Against the Law: Labor Protests in China’s Rustbelt and Sunbelt, Berkeley: University of California Press, 2007, pp.45-46. 51 18 Dans un sens, le fait même de la création de la loi équivalait à reconnaître que les travailleurs, se trouvant en position inférieure vis-à-vis de l’employeur, nécessitaient désormais d’être protégés. Leur relation n’était donc plus égale et harmonieuse comme le voulait l’idéologie socialiste. Il est également intéressant de noter que la loi ne faisait plus de distinction entre les travailleurs selon le type d’entreprise qui les employait ; ils étaient dorénavant tous placés sur un pied d’égalité face à la législation : « […] the Labor Law abolishes previous distinctions among workers in different types of enterprises – for example, state, collective, private, migrant, temporary, or permanent – and provides a uniform framework as well as setting labor standards that are applicable to all workers in all types of enterprises. » 54 Enfin, la loi sous-entendait que l’État ne serait plus responsable pour les aides et assurances sociales du travailleur, déléguant cette charge à l’employeur et aux travailleurs eux-mêmes.55 E. POLITIQUES CENTRALES ET POLITIQUES LOCALES Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les politiques de l’État central en Chine ne sont pas toujours automatiquement et aisément appliquées à tout le territoire. Fin 2000, constituée en grande majorité (près de 90%) d’une main-d’œuvre rurale non qualifiée à la recherche d’emploi non agricole, la population flottante s’élevait à 80 millions de personnes dans les centres urbains et aux alentours. En outre, suite, entre autres, à la crise asiatique de 1997, il était de plus en plus difficile d’obtenir un emploi, même les plus précaires se faisant rares. Face au taux de chômage record (officiellement 6,19 millions de chômeurs, dont une majorité de moins de 35 ans et 7,69 millions de travailleurs licenciés)56 et à la pression engendrée par les migrants « mobiles » dans les villes 57 , Pékin prit des mesures à travers son nouveau plan quinquennal afin de mitiger les conséquences liées à la présence de la population 54 Id, p.45. Id., pp.45-46. Nous verrons dans le chapitre second les différents types d’assurances et la part de responsabilité de l’employeur et du travailleur dans le système de cotisation, ainsi que les inégalités inhérentes à cette nouvelle pratique. 56 Ces deux chiffres sont parfois combinés, ainsi au total le nombre de travailleurs sans emploi était estimé entre 19 et 30 millions de personnes à la moitié de l’année 2001. In : HUANG P., op cit., p.64 ; LEE C.-K., op.cit., p.49 57 L’on peut également ajouter que l’écart de revenus entre les campagnes et les villes s’était davantage creusé dans les années 2000 (le salaire des travailleurs urbains était quatre fois plus élevé que dans les campagnes), et la population rurale représentait désormais moins de la moitié de la population totale chinoise. In : BENSON L., op.cit., p.136. 55 19 flottante, mais également afin d’atténuer les désavantages auxquels celle-ci était exposée en raison du système discriminatoire. Le plan prévoyait notamment la mise en place d’un marché national du travail unifié, la suppression des quotas visant à limiter l’afflux de main-d’œuvre et l’instauration d’un système d’inscription de la main-d’œuvre afin de faciliter l’obtention d’emploi et de sécurité sociale. Toutefois, en raison de la divergence d’intérêts au sein des différentes divisions administratives, il n’était pas aisé pour l’autorité centrale d’imposer ces nouvelles politiques à une échelle nationale. Des différends ont ainsi conduit les autorités locales à imposer tout de même des contraintes aux migrants telles que l’investissement d’un capital ou la détention d’un diplôme supérieur.58 Ceci dit, nous verrons dans le chapitre suivant un cas contraire, où les autorités décentralisées ont été plus loin que la législation nationale, en faveur des migrants cette-fois ci. CONCLUSION Comme nous venons de le voir, la Chine a connu des transformations majeures dès la fin des années 1970. Au niveau de son modèle économique d’abord, cela s’est traduit par la mise en place des « Quatre Modernisations », notamment la modernisation industrielle. Afin de rattraper le retard accumulé sous Mao en favorisant les investissements étrangers et les échanges technologiques, des zones de développement furent instaurées tout au long de la côte est du pays. Au début de la décennie quatre-vingt-dix, les villes intérieures furent à leur tour visées par les réformes afin de soutenir le mouvement national. Malgré la transition délicate qui signifiait le sacrifice de certains, la Chine parvint finalement à s’imposer sur la scène économique mondiale dès le milieu des années 2000. Parallèlement aux réformes, nous avons étudié l’évolution des flux migratoires. De l’interdiction de circuler librement sur le territoire chinois, les réformes ont permis progressivement un relâchement du système qui régit les déplacements intérieurs, permettant peu à peu aux travailleurs ruraux de chercher de l’emploi en ville jusqu’à atteindre des proportions élevées en termes de distance, de durée et de fréquence. Les migrants étaient d’une part attirés par la ville, ses opportunités d’emploi et de 58 HUANG P., op.cit., pp.53-63. 20 revenus plus élevés. D’autre part, les multiples difficultés rencontrées en zones rurales ne faisaient que les pousser vers les centres urbains. Pourtant, les emplois temporaires ne leur offraient que peu de commodité, les postes occupés étaient en général les plus pénibles et les citadins ne montraient à leur égard que du mépris et de la suspicion. Afin de réguler les relations de travail et protéger les migrants de pratiques abusives, une législation nationale du travail vit le jour en 1994. Celle-ci fut en quelque sorte le témoin de la transformation idéologique de la société chinoise, entérinant en outre le retrait de l’État de l’agenda social. Enfin, nous avons souligné le pouvoir de décision que les autorités locales détiennent en matière de gestion de la migration. Parfois, ces dernières peuvent ainsi aller à l’encontre d’une décision prise au niveau central. Dans le chapitre suivant, nous reviendrons sur l’origine du système qui régule les mouvements migratoires avant d’analyser plus en détails les inégalités qui en découlent. 21 CHAPITRE SECOND : LE SYSTÈME DU HUKOU À L’ORIGINE D’UNE SÉGRÉGATION ET D’INÉGALITÉS Après avoir brièvement présenté le contexte des réformes économiques et l’essor des flux migratoires vers les villes, dans ce second chapitre, nous nous attardons tout d’abord sur l’évolution historique du système du hukou qui est, selon notre hypothèse, la cause principale de la ségrégation et des inégalités dont les migrants ruraux sont victimes. Nous remontons jusqu’en Chine ancienne aux origines du système et relevons trois caractéristiques qui sont encore présentes actuellement. Nous présentons le système à l’époque de la Chine populaire maoïste et les adaptations qu’il connut durant l’ère des réformes économiques parallèlement à l’intensification des flux migratoires. Nous terminons cette première partie en relatant des initiatives en faveur des migrants prises non seulement au niveau central mais également au niveau local, ce qui laisse penser à certains que le système du hukou s’assouplit peu à peu. Toutefois, nous remettons ces jugements en question dans la deuxième partie en détaillant des inégalités qui subsistent. Les thèmes suivants y sont abordés: conditions de travail, sécurité sociale, santé, instruction scolaire. Enfin, nous étudions la question des enfants et autres proches laissés derrière, une conséquence qui découle de la difficulté des migrants à les emmener en ville, pour les raisons que nous exposons précédemment. LE SYSTÈME DU HUKOU Comme nous l’avons déjà laissé entendre, les mouvements de la population ont toujours été régulés et contrôlés par le gouvernement chinois. L’outil utilisé à ces fins est appelé en chinois le hukou ( 户 口 , littéralement le « foyer » et ses « membres », aussi appelé 户 籍 , huji) et consiste en un système administratif d’enregistrement des ménages. Chaque citoyen dispose d’un livret dans lequel sont reprises les informations suivantes à son sujet : la date et le lieu de naissance, le lieu d’enregistrement, la nature agricole ou non-agricole du hukou, le niveau d’instruction et la profession exercée,… Aussi anodin paraît-il, ce système est pourtant à l’origine d’une ségrégation entre les populations rurale et urbaine, privilégiant la seconde. Ainsi, selon le type de hukou dont un citoyen dispose, les 22 droits qui lui sont conférés diffèrent.59 « China’s hukou system has created “internal migrant workers” who have problems similar to those encountered by cross-border migrant workers. » 60 Revenons d’abord brièvement sur l’origine du hukou et analysons ensuite la façon dont il a permis au régime d’industrialiser le pays tout en évitant l’urbanisation.61 A. UN HÉRITAGE DE LA CHINE ANCIENNE La dynastie des Xia (夏朝, Xia chao, XXI-XVIe siècle av. J.-C.) aurait été la première à instaurer un système de recensement de la population et d’enregistrement des ménages. Celui-ci permettait en particulier le contrôle social et la mise en œuvre du système d’imposition. Toutefois, le système qui se rapproche davantage du hukou actuel et dont les historiens ont pu trouver des traces est le baojia (保甲, un « bao » correspondant à dix « jia » qui à leur tour représentent chacun dix foyers), un système de « responsabilité mutuelle et collective » mis en place à la fin de la Période des Printemps et Automnes (春秋, chunqiu VIII-Ve siècle av. J.-C.). À cette époque déjà, il répertoriait la population selon le lieu de résidence et entravait la migration intérieure.62 Le baojia fut ensuite repris par le Royaume des Qin ( 秦 ) durant la Période des Royaumes combattants ( 战 国 , zhanguo, V-IIIe siècle av. J.-C.), organisant les familles en collectivités responsables devant l’État. Le contrôle social était assuré via un système de surveillance liant directement les foyers et clans à l’État central. Si une personne du clan venait à enfreindre la loi ou à migrer illégalement, l’ensemble des foyers appartenant à celui-ci se voyaient punir de la même manière.63 59 FROISSART C., op.cit., pp.47-48. LU H., op.cit., p.122. Il est à noter que la Chine n’a pas été seule à restreindre la mobilité de ses citoyens sur base de leur lieu d’origine. En 2001, une étude recensait au moins 33 pays dans le monde dans lesquels un système similaire a exclu différents groupes de la population. In : WANG F.-L., op.cit., p.152, cité dans : WANG J., op.cit., p.43. Pour plus d’information sur l’étude, voir : FUSSELL J., “Group Classification on National ID Cards as a Factor in Genocide and Ethnic Cleansing”, in: Seminar Series of the Yale University, Genocide Studies Program, New Haven, 2001, [online]: http://www.preventgenocide.org/prevent/removing-facilitating-factors/IDcards/, dernière consultation le 3 mai 2015. 61 FROISSART C., op.cit. 62 WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, p.42. 63 FROISSART C., op.cit., pp.48-49. Notons que le baojia fut également utilisé par le Parti nationaliste (de 1927 à 1949) dans le cadre de sa lutte contre l’ennemi, les partisans communistes. In : WANG F.-L., op.cit., pp.41-42. 60 23 À coup de levée d’impôts et de sanctions sévères pour les contrevenants, le baojia permit aux Qin de s’imposer aux autres Royaumes. Le système fut alors rendu obligatoire à tout le territoire lors de la réunification en 221 av. J.-C., sous l’égide du premier empereur chinois, Qin Shi Huang (秦始皇). Le système fut toutefois révisé, d’autres mécanismes de contrôle social furent imposés : chaque citoyen devait désormais rapporter aux autorités son lieu de résidence, âge, genre et profession. Ces informations étaient vérifiées trois fois par an et tout changement devait d’abord être approuvé par les autorités avant de pouvoir se déplacer dans une autre localité. Les migrants illégaux, désignés sous le terme de « fugitifs » (亡民, wangmin), risquaient de cruels châtiments.64 B. DES CARACTÉRISTIQUES ENCORE PRÉSENTES AUJOURD’HUI Les différentes dynasties qui ont succédé à l’ère des Qin ont amené des changements dans le système d’enregistrement tantôt plus strict, tantôt plus souple, gardant cependant les mêmes objectifs relatifs à la levée d’impôts (officiellement jusqu’en 1772), au contrôle social et à la stratification de la population. Le système a également permis aux autorités de réguler les migrations intérieures et disposer de la population comme bon leur semblait : Par exemple, de 1683 à 1796, plus d’un million de paysans du Huguang (ancienne province qui unissait celles actuelles du Hubei et Hunan) furent envoyés dans la province du Sichuan dans le cadre d’une campagne de récupération des terres fertiles 65 qui avaient été dévastées par les guerres et les fléaux. Nous ne détaillerons pas ici tous les changements, mais noterons tout de même trois évolutions, parmi d’autres, qui ont perduré dans le temps et qui sont encore adoptées actuellement par le Parti communiste :66 1. La protection des données recueillies : sous la dynastie des Song (宋朝, Song chao, X-XIIe siècle), cinq façons de recueillir les informations relatives au hukou ont été développées. En outre, ces dernières étaient classées secret d’État.67 64 Id., pp.32-35. SUN X.-F., Qingdai qianqi de yimin tian sichuan (Moving people to fill up Sichuan in early Qing Dynasty), Chengdu: Sichuan University Press, 1997, pp.26-28. Cité dans : WANG F.-L., op.cit., pp.39-40. 66 Ces trois caractéristiques sont reprises dans : WANG F.-L., op.cit., pp.38-39. 67 Actuellement cela concerne en particulier les « populations ciblées » (cf. infra). Les informations rassemblées sont classées secrètes, et les manuels de police insistent sur cet aspect. In : WANG F.-L., op.cit., pp.106-107. 65 24 2. L’usage d’un livret : c’est à la dynastie des Ming (明朝, Ming chao, XIVXVIIe siècle) que l’on doit le livret de résidence (户帖, hutie) sur lequel figurent des numéros de série. Ancêtre du livret utilisé actuellement ( 户口簿 , hukoubu, aussi appelé 户口本, hukouben), il permettait aux familles de disposer d’une copie de leur registre officiel (cf. Annexe 2). 3. Les inégalités inhérentes au hukou : le système impérial induisait déjà des traitements différents selon la catégorie à laquelle appartenait la population. Par exemple, dans les registres datant de la dynastie des Ming et des Qing ( 清朝, Qing chao, XVII-XXe siècle), les ménages étaient classés en différentes catégories suivant la profession exercée. Il existait alors, pour les personnes ordinaires, quatre types de hukou : militaires, paysans, commerçants ou artisans. Bien que le statut fut égal au regard de la loi pour ces quatre catégories, différents traitements leur étaient réservés notamment concernant le droit de circuler. Il en était de même pour celles qui existaient au niveau des classes inférieures (bien qu’il fût aboli sous les Qing, les discriminations subsistèrent). Toutefois, le système impérial n’excluait principalement que des groupes minoritaires et marginaux, et non une majorité de la population comme c’est le cas avec le hukou actuel qui pénalise l’ensemble de la population rurale (cf. infra).68 C. LE SYSTÈME DU HUKOU SOUS LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE La fonction fiscale du hukou fut finalement restaurée à partir de 1949 par le Parti communiste chinois (PCC) qui réussit à l’imposer à nouveau à toute la Chine continentale à travers l’économie centrale planifiée : « Only the PRC after 1949 in a central-planning economy, managed to nationally restore and greatly enhance the economic function of the hukou system, turning it into a full blown institutional exclusion [that] allow[ed] the government to extract enormous value from the excluded majority of the Chinese people. »69 « One study estimates that Beijing extracted about 600 million RMB from the excluded peasants in the 1950 – 80s, equivalent of the PRC’s total fixed capital investment in the thirty years. »70 Quant à la migration intérieure, elle était d’abord librement autorisée, les premières lois régissant le système provenaient directement de celles en vigueur dans la Chine 68 Id., p.39. Id., p.40. 70 CHENG T., 1992, cité dans : Id., p.215. 69 25 nationaliste. Notons que, avant même la création de la République populaire, le Parti communiste avait organisé l’enregistrement des ménages dans les zones libérées en se référant au système mis en place par le Parti nationaliste. Et en 1948, les premiers hukou urbains étaient déjà délivrés dans la région nord-est du pays. Dès l’année suivante, le Parti communiste établit des règles spécifiques pour les gouvernements locaux des zones métropolitaines telles que Pékin et Shanghai, afin que ceux-ci se chargent de la gestion locale du système.71 Une des raisons principales qui a poussé le Parti communiste à maintenir le système du hukou est sa contribution à l’ordre social grâce à la division hiérarchique centralisée de la société. Les données enregistrées sur chaque citoyen permettaient au régime de garder un œil sur les ennemis et autres « personnes douteuses ». Le système fonctionnait bien : dès la première année du régime, ils furent respectivement près de 14.000 et plus de 24.000 à être retrouvés à Pékin.72 À la suite de la création du Ministère de la Sécurité publique, les premiers règlements relatifs à la gestion nationale du hukou virent le jour et les autorités annoncèrent leur intention de l’instaurer progressivement en commençant d’abord par les villes. L’objectif du système avait également été publié : « to maintain social peace and order, safeguard the people’s security, and protect their freedom of residence and movement. »73 Bien que libres de circuler, les citoyens urbains devaient tout de même obtenir une autorisation officielle avant de pouvoir se déplacer. En 1953, les premiers hukou ruraux firent leur apparition. Enfin, deux années plus tard, le système du hukou permanent fut établi et le Ministère de la Sécurité publique désigné pour l’entièreté de sa gestion, à l’aide de ses bureaux locaux et postes de police implantés aussi bien dans les zones urbaines que rurales. En parallèle, une politique centralisée de l’achat et la vente des grains (统购统销, tonggou tongxiao) fut mise en œuvre, privilégiant les citoyens urbains dont la ration était garantie et à un prix fixe. Cette politique annonçait déjà la discrimination dont les paysans étaient amenés à souffrir, notamment lors du « Grand Bond en avant ». 74 Au début de 71 Id., pp.42-43. Id., p.44. 73 Id. pp.44-45. 74 Mis en place de 1958 à 1961, ce mouvement économique aurait coûté la vie à trente millions de personnes, essentiellement dans les campagnes. Durant cette période, les paysans furent mis à rude épreuve afin de remplir les quotas réclamés par l’État et destinés à alimenter les populations urbaines. 72 26 l’année 1958, le système du hukou entra finalement en vigueur dans tout le pays lors de l’adoption des « Règlements sur l’Enregistrement du Hukou » par le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale. 75 Accompagnés d’un « Avis additionnel sur les directives visant à mettre fin aux mouvements aveugles de la population rurale [盲流, mangliu] », les règlements avaient explicitement l’intention de restreindre la circulation des citoyens et en particulier la migration vers les zones urbaines.76 D. UN INSTRUMENT DE CONTRÔLE SOCIAL AVANT TOUT Comme nous l’avons déjà mentionné, bien que le système contribuât au contrôle de la migration intérieure, à l’allocation des ressources, ou encore à des fins démographiques77, les autorités ont cependant davantage insisté sur sa fonction dans le domaine de la sécurité publique. Ainsi, dans les « Huit Mesures pour la Gestion de la Sécurité publique », publiées par le Ministère de la Sécurité publique en 1959, mais également dans les « Dix Mesures pour la Sécurité publique », promulguées par le Parti communiste en 1962, il était souligné qu’un renforcement du rôle du hukou dans le maintien de l’ordre publique était nécessaire, notamment via la gestion des « populations ciblées ». En chinois 重 点 人 口 (zhongdian renkou), ces populations, considérées comme potentiellement menaçantes envers le régime, se voient attribuées des catégories spéciales de hukou (actuellement au nombre de cinq, allant de « menace pour la sécurité nationale » à « utilisateurs de stupéfiants ») et sont surveillées par les polices en charge du hukou, mais également via les « informateurs secrets » locaux. Cette pratique remonte à la dynastie des Qing. 78 Dans les documents officiels du Parti, le système du hukou est en outre répertorié sous les rubriques « Sécurité publique », « Ordre social » et « Administration publique ». Au cours des années 1960, les migrations ordonnées voire forcées vers les campagnes, orchestrées à travers des mesures administratives, avaient ainsi eu Des résultats gonflés concernant les récoltes et des mauvaises pratiques imposées par les cadres locaux furent en partie responsables des famines qui frappèrent les zones rurales trois années de suite. BENSON L., op.cit. pp.63-68. 75 WANG F.-L., op.cit., p.45. 76 LU H., op.cit., p.121. 77 “The moderate urban population growth from 10.6 per cent in 1949 to 17.9 per cent in 1978 reflects the sectoral labour mobility restrictions.” In: YANG D. T., ZHOU H., op.cit., p.120. 78 WANG F.-L., op.cit., pp.101-109. 27 pour objectif de maintenir un contrôle social, menacé par une urbanisation trop rapide et une pression sur les rations alimentaires allouées par l’État.79 Bien que mis à l’épreuve à deux reprises et en proie à de nombreuses campagnes politiques durant l’ère maoïste, le système du hukou fut maintenu et son rôle dans le contrôle social et l’exclusion institutionnelle davantage renforcé : « For three decades (1960s-1980s), the hukou system affixed the workers to their danweis (work units) and communes, respectively in the cities and the countryside, reduced labor mobility to a minimum, halted China’s urbanization, and created a deep, comprehensive discrimination against the majority rural residents. »80 Seules quelques façons permettaient aux ruraux d’outrepasser le système et devenir citoyens urbains (cf. Annexe 3) : l’instruction supérieure ( 学, shangxue, il fallait pour cela passer par un processus de sélection défini par les autorités, et, à partir de 1977, réussir l’examen d’entrée national, très compétitif), le service militaire (参军, canjun, l’accession au rang d’officier octroyait automatiquement un hukou urbain), le mariage (certains arrangements pouvaient donner lieu à un changement de hukou)81, et surtout, l’emploi civil (招工, zhaogong, le recrutement était toutefois étroitement contrôlé) : « The civilian job recruitments were the largest source of agricultural to nonagricultural conversions, but they were strictly controlled by labour bureaus because the state had to provide the individuals with food rationing, housing, medical care, fuel, and other urban privileges. Through these institutional barriers, 82 the government effectively controlled the sectoral allocation of labour. » E. LE HUKOU À L’ÈRE DES RÉFORMES À partir de 1978, les réformes économiques entreprises sous Deng Xiaoping ont mené à des adaptations du système du hukou. Certaines mesures ont été initiées par le gouvernement à différents niveaux afin de l’accommoder aux vagues de migrations spontanées, constituant la « population flottante », et de migrations illégales. L’essor économique de la Chine constituait en effet une opportunité d’urbanisation rapide, en particulier après les années 1990, et l’État se devait de renforcer la gestion du système. 83 Les autorités faisaient preuve d’ambivalence 79 Id., p.46. Id., p.47. 81 Id., pp.47-48. 82 YANG D. T., ZHOU H., op.cit., p.119. 83 WANG F.-L, op.cit, p.49. 80 28 envers les migrations intérieures. Reconnaissant que celles-ci étaient inévitables voire nécessaires afin d’assurer le développement urbain et la croissance économique, l’État était contraint de les autoriser, tout en voulant garder le contrôle de ces populations, en particulier dans les grandes villes.84 Notons également que le système du hukou (et l’exclusion qu’il induit), bien que d’application depuis les débuts de la Chine populaire, n’apparut qu’en 1974 dans la Constitution chinoise. Une façon (quoique tardive) de reconnaître la réalité légale, la première Constitution de 1954 garantissant jusque-là le droit de la libre migration (迁 85 徙, qianxi, ou 迁移, qianyi). Un changement notable fut celui relatif à l’approvisionnement alimentaire et l’allocation d’autres ressources par l’État, amenés à disparaître pour progressivement laisser place au marché. Ce « système monopolistique » fut supprimé dès 1985 :86 « During the period of economic reform and transition to a market economy, the communes were disbanded and food rationing was phased out, and rural-urban migration became an important phenomenon. This reflected a growing urban need for migrant labour but also the weakening power to control movement. »87 C’est donc avec l’arrivée des réformes que les cartes de rationnement disparurent au profit de cartes d’identité personnelles (身份证, shenfenzheng). « Plus concrètement, tout jeune paysan disposant d’un peu d’argent et d’une carte d’identité pouvait, s’il le désirait, se rendre en ville pour y chercher un emploi temporaire ou saisonnier. »88 Ce changement, qui enregistrait désormais les citoyens de manière individuelle et non plus familiale,89 fut avalisé lors de la 6e Assemblée nationale populaire et permit d’améliorer et standardiser le système du hukou. Sur les cartes d’identité figurait le lieu de délivrance du hukou, mais sa catégorie – indication discriminatoire voire insultante – n’était désormais plus mentionnée. Notons que ce nouveau système est entré officiellement en vigueur et appliqué dans toute la Chine en 1989.90 84 FROISSART C., op.cit., p.93. La libre migration fait toujours défaut dans la Constitution de 1982 et ses divers amendements. WANG F.-L, op.cit, pp.58-59. 86 WANG J., op.cit., p.37. 87 KNIGHT J., et al, “Chinese Rural Migrants in Urban Enterprises: Three Perspectives”, in COOK S., MAURER-FAZIO M. (eds), op.cit., pp.73-74. 88 HUANG P., op.cit., p.51. 89 LU H, op.cit., p.123. 90 WANG F.-L, op.cit, pp.51-52; LU H., op.cit. 85 29 Malgré cette plus grande liberté de mouvement, il demeurait toutefois extrêmement difficile pour les migrants d’acquérir un hukou urbain et une résidence permanente en ville. Nous avons déjà énoncé le fait qu’ils exerçaient des emplois délaissés par la population urbaine, correspondant principalement aux emplois les moins plaisants, moins qualifiés et moins rémunérés. Les migrants bénéficiaient de conditions moins avantageuses en termes de logement et de sécurité sociale. En outre, du fait d’un manque d’informations, de contacts ou d’alternatives, ils étaient davantage soumis à la loi du marché, à leurs dépens :91 « Along with the economic reform started in 1978, the pre-reform labor allocation was gradually eliminated and ruthless rules of the labor market started to play. While the reform brought more freedom of choice, it also took away some pre-reform protection that disadvantaged groups used benefit from and threw them into a “free” 92 market that they were not prepared for. » Face à la migration croissante vers les villes, les autorités instaurèrent des quotas pour freiner l’urbanisation, ne permettant qu’un taux annuel de croissance de la population urbaine totale (lié au changement de hukou) de 0,15% et 0,2% par la suite. Toutefois, ces mesures concernaient essentiellement les migrants éduqués, talentueux ou riches, qui, après sélection et cinq ans de résidence sous un statut transitoire, étaient amenés à jouir des mêmes droits et statut que les citoyens locaux.93 Parallèlement, les migrations volontaires avec ou sans autorisation s’étaient accentuées à une telle vitesse que le gouvernement central dut prendre d’autres mesures.94 Ainsi, une série de règlements et décrets furent promulgués dans les années 1980. En 1983, le Comité central du Parti jugeait le système du hukou comme étant l’élément principal de gestion de la sécurité publique dans sa publication « À propos des questions relatives au renforcement et à la réforme de la Sécurité publique ». 95 L’année suivante, ce fut le Conseil d’État qui publia à son tour « Avis sur la question des paysans migrant dans le but de résider en ville ». À condition de disposer d’une résidence fixe ou d’un emploi stable, les paysans et leur famille pouvaient désormais 91 KNIGHT J., et al, op.cit., pp.74-102. LU H., op.cit., p.58. 93 WANG F.-L, op.cit, p.51; LU H., op.cit., p.123. 94 WANG F.-L, op.cit, pp.50-51. 95 Ibid. 92 30 obtenir le hukou au niveau du canton (ou à un niveau inférieur au district).96 Enfin, en 1985, les « Règlements provisoires sur la gestion du hukou des résidents urbains temporaires », publiés par le Ministère de la Sécurité publique, ainsi qu’une série d’autres règlements autorisaient l’octroi d’un permis de résidence temporaire (暂居证, zanjuzheng, ou 暂 住 证 , zanzhuzheng) aux personnes (de plus de 16 ans, l’âge minimum d’admission à l’emploi)97 migrant en zone urbaine pour un temps défini (supérieur à trois mois)98 dans le cadre d’une activité légitime ou à des fins d’emploi (cf. Annexe 4). Au début de la décennie 1990, la ville est ainsi devenue de plus en plus accessible, que ce soit au niveau du logement, de l’emploi ou des services publics. Cependant, une disparité importante en termes d’allocation des ressources demeurait en raison du système discriminatoire du hukou, notamment dans le domaine de l’instruction scolaire.99 À la même période, des contrôles de police réguliers mais aussi des « campagnes de nettoyage », désignées sous le terme de « frapper fort » (严打, yanda), tentaient de dissuader les migrants d’emprunter les voies illégales. Donnant suite aux répressions du mouvement de Tiananmen, ces campagnes étaient approuvées par les autorités centrales dans diverses publications officielles notamment la « Décision concernant le renforcement du contrôle général de l’ordre social », datant de 1991. Des milliers de policiers étaient ainsi mobilisés mais également plus d’une dizaine de milliers de cadres du parti, fonctionnaires et autres activistes afin de contrôler l’identité des travailleurs dans des quartiers ciblés. La plupart des personnes arrêtées étaient soumises à de lourdes amendes et envoyées dans des centres d’hébergement et de rapatriement (收容遣送所, shourong qiansong suo) pour une durée indéterminée et sans aucun recours à une procédure judiciaire. Les conditions d’hygiène y étaient déplorables et les règlements trop vagues donnaient lieu à des pratiques arbitraires et violentes. À l’origine créés pour rapatrier les contrevenants au régime ou indésirables du milieu urbain, les centres ont progressivement intégré les migrants ruraux jusqu’à 96 À partir de 2001, le changement au niveau même du district fut également possible. In : LU H., op.cit., p.122. 97 Ibid. 98 Id., p.123. 99 WANG F.-L, op.cit. 31 devenir pratique courante et formelle parallèlement à l’intensification des flux migratoires.100 Il est intéressant de remarquer que, bien qu’il soit essentiellement discriminatoire envers les ruraux, le système du hukou a eu un impact sur les citoyens urbains, contraints eux aussi de travailler dans leur région d’origine. Même après le lancement des réformes économiques, les candidats à l’emploi devaient en général être en possession d’un hukou local, en particulier, et dans une proportion considérable, dans les grandes métropoles de Pékin et de Shanghai.101 Vers la moitié des années 1990, les réformes relatives au système du hukou s’intensifièrent, mais des différences apparurent entre les différentes divisions administratives. Les gouvernements locaux de nombreuses villes prirent des mesures afin de restreindre l’accès des travailleurs ruraux à certains types de secteurs et d’emploi. Des employeurs se virent même contraints de licencier du personnel migrant. Les règlements publiés à cet effet visaient à promouvoir l’emploi urbain pour les travailleurs locaux victimes de la crise des entreprises étatiques.102 Le « hukou au sceau bleu » (蓝印户口, lanyin hukou ; en comparaison au sceau rouge utilisé pour les hukou normaux) légalisait une migration urbaine à la manière de la « Green card » des États-Unis. Lancé dans les années 1990, ce programme fut appliqué dans de nombreuses villes telles que Shanghai, Canton, Tianjin et Shenzhen. Il pouvait être octroyé suite à un investissement dans la ville, immobilier par exemple, ou l’obtention d’un emploi réservé à des personnes disposant d’un niveau d’instruction élevé.103 En 1998, le Ministère de la Sécurité publique décida d’élargir à toute la nation le système du « hukou au sceau bleu », qui facilitait l’installation en zone urbaine des migrants jouissant d’un certain potentiel, qu’il soit financier ou intellectuel. L’objectif pour les villes était d’attirer ainsi les « meilleurs » migrants.104 Un autre changement débuta à la même période permettant à certains de franchir les barrières à la migration. Tandis que, auparavant, « Le nouveau-né [était] enregistré selon les informations de sa mère, quel que [fut] son lieu de naissance. », à partir de 100 FROISSART C., op.cit., pp.119-128. Froissart offre une description des centres détaillée et agrémentée de témoignages. 101 WANG F.-L, op.cit. 102 WANG F.-L, op.cit, p.128. 103 Id., p.51; LU H., op.cit., p.123 104 Id., p.51; LU H., op.cit. 32 1998, les enfants purent hériter du statut du hukou paternel ou maternel.105 De la sorte, les mariages entre ruraux et urbains ou mariages interrégionaux pouvaient faciliter la migration de la génération à venir. Le Ministère de la Sécurité publique élargit également les conditions du regroupement familial.106 Dans le même temps, on notait un affaiblissement de l’application du système du hukou au niveau de l’administration, en raison de la perte d’autorité du pouvoir central, de la corruption de la police et des fonctionnaires, de la décentralisation politique et de l’opinion publique désormais tournée vers le monde extérieur.107 F. XXIE SIÈCLE : VERS UN ASSOUPLISSMENT DU SYSTÈME ? « Today, residence is still a factor obstructing Chinese people from freely seeking employment and equally enjoying social security benefits. »108 En effet, bien que la migration vers les villes soit progressivement facilitée, les inégalités demeurent pour les populations rurales désireuses de profiter du développement urbain. Nous présenterons ici les réformes qui se sont récemment succédé avant d’étudier plus en détails, dans la partie suivante, les inégalités qui subsistent. À la fin de l’année 2001, le Conseil des Affaires d’État a ordonné aux petites villes comptant moins de 100.000 habitants d’accorder un hukou urbain à tout résident disposant d’un domicile et d’un emploi fixes. Bien que certaines provinces (le Sichuan, par exemple) l’aient plus tard élargie aux villes de taille moyenne, cette réforme ne concernait toutefois guère les grandes métropoles alors qu’elles accueillent le plus grand nombre de migrants.109 Une année plus tard, des règlements locaux allaient plus loin que la législation nationale du travail en matière de lutte contre les pratiques discriminatoires. Auparavant, la Loi de 1994 contenait une disposition de non-discrimination sur base de l’appartenance ethnique, la race, le sexe ou la croyance religieuse des travailleurs. En 2000 et 2001, des règlements complétaient les lacunes de la législation en incluant également la discrimination lors du processus du recrutement et en WANG J., op.cit., p.34. Wang ajoute que cela s’expliquait peut-être du fait que les femmes migraient moins auparavant. 106 WANG F.-L, op.cit, p.52 ; WANG J., op.cit., p.44. 107 WANG F.-L, op.cit. 108 LU H., op.cit, p.121. 109 Id., p.129 ; WANG J., op.cit. 105 33 prévoyant une sanction administrative en cas de non-respect. Toutefois, au regard du droit international, la protection accordée n’est toujours pas suffisante. En décembre 2002, la province de Canton publiait un règlement dans lequel les discriminations interdites étaient reprises sous la forme d’une liste non exhaustive et prévoyait en outre des compensations pour les victimes. Les autorités de la zone économique spéciale de Shenzhen ont également publié des dispositions similaires, mais en ajoutant expressément la discrimination sur base de la localité, ce qui fait directement référence au hukou. Shenzhen fait ainsi figure d’exception alors que « In China, […] discrimination based on residence is pervasive. » Malgré l’existence de certaines lois progressistes, en pratique il reste très difficile aux travailleurs de faire valoir leurs droits et protéger leurs intérêts.110 Dans les régions ouest de la Chine, des mesures d’assouplissement quant à la mobilité des citoyens furent accordées par le Ministère de la Sécurité publique et, en parallèle, un accroissement, voire une suppression, des quotas de transfert du hukou est observé dans les petites villes à partir de 2003.111 Depuis 2003 également, la distinction agricole/non-agricole a été supprimée dans certaines provinces (au nombre de treize en 2009) : La province du Jiangsu fut la première à remplacer tous les types de hukou existants (y compris le « hukou au sceau bleu ») par un seul et même « hukou des résidents » (居民户口, jumin hukou). Par conséquent, les citoyens du Jiangsu ne sont légalement plus divisés selon leur origine rurale ou urbaine. Par la suite, d’autres provinces ont également adopté cette mesure. Toutefois, la suppression de la distinction ne signifie pas que les barrières à la migration aient, elles aussi, été levées : Un rapport du Ministère de la Sécurité publique de 2005 fut ainsi extrapolé par les médias étrangers qui y voyaient l’annonce de la suppression progressive du système. En réalité, le rapport faisait seulement état de ce qui avait déjà été entrepris depuis la fin des années 1990. Il ne s’agissait en aucun cas d’un changement de politique. Les conséquences de ce nouveau « système unifié » ( 统 一 制 度 , tongyi zhidu) sont doubles. D’une part, la localisation de la gestion du système octroie aux autorités locales le pouvoir de décider du nombre de transferts de hukou et leurs critères d’admission, mettant fin aux quotas imposés par l’État central. Ceci n’a donc aucune incidence sur les paysans ordinaires, du moins en ce qui concerne leur migration vers les grandes villes. D’autre part, la suppression de la distinction agricole/non-agricole est un phénomène intra urbain et non interurbain, encore moins national. Les 110 111 LU H., op.cit, pp.88-90. WANG J., op.cit. 34 citoyens ruraux touchés par la réforme sont en fait ceux des banlieues, déjà 112 « urbanisés » en quelque sorte, sans plus de réelle attache à la terre. Seules certaines conditions, déterminées par les autorités provinciales, permettent le transfert du hukou. Celles-ci visent bien entendu une catégorie de migrants plus favorisée. Pour les plus défavorisés, le hukou actuel en tant que tel ne constitue pas un obstacle à la mobilité, mais « It is the social services and social security benefits that are attached to hukou that prevent internal migrants from freely settling in the place they would like to move to. » 113 Toujours en 2003, un changement d’autant plus remarquable s’est produit suite à l’« Avis sur la gestion et les services des paysans entrant dans la ville à des fins d’emploi ». Le Conseil d’État a ainsi officiellement mis fin aux restrictions imposées aux citoyens ruraux désireux de travailler en ville. Ceux-ci n’ont dès lors plus besoin d’obtenir un permis de travail ni toute autre obligation administrative et peuvent jouir de certains services de l’emploi. À travers le document, les autorités reconnaissent le rôle positif que les travailleurs ruraux ont joué en faveur du développement urbain et de la prospérité sociale. L’accès à l’emploi en zone urbaine se voit non seulement facilité, mais la conclusion d’un contrat de travail (écrit) est désormais une procédure obligatoire pour l’employeur. Outre cette mesure dont l’objectif premier est de protéger le travailleur, les arriérés salariaux sont par ailleurs rendus interdits. Pour le secteur public, l’établissement d’un contrat de travail était devenu pratique commune dès la fin des années 1990, bien qu’il fut considéré telle une simple formalité et les termes peu pris au sérieux par les parties impliquées. Quant au secteur privé, des études ont estimé que, à cette même époque, seuls 23 à 30% des travailleurs migrants possédaient un contrat de travail. Parmi ceux-ci, nombreux avaient signalé ne pas avoir eu droit à lire les termes du contrat et il arrivait même que l’employeur imite la signature du travailleur. En 2003, les autorités centrales commencèrent à montrer une volonté de lutter contre ces pratiques, et en particulier les abus au niveau salarial qui étaient la cause de 70% des conflits de travail officiellement enregistrés l’année précédente. En 2008, la Loi sur le contrat de travail entérinait l’avis de 2003. 114 Selon cet avis encore, les travailleurs peuvent suivre des formations professionnelles, qui doivent être fournies par les autorités locales et les employeurs. En outre, des efforts envers l’accès à l’instruction y sont décidés : d’une part, les enfants de migrants jouissent d’un accès égal aux établissements scolaires publics de la ville. CHAN K. W., BUCKINGHAM W., “Is China Abolishing the Hukou System?”, The China Quarterly, 2008, vol.CXCV, pp 582-606. 113 LU H., op.cit, pp.123-124. 114 LEE C.-K., op.cit., p.42 ; pp.164-165. ; LU H., op.cit, p.121. 112 35 D’autre part, un soutien financier doit être apporté pour la mise en place d’écoles qui accueillent exclusivement ces enfants. Enfin, des droits fonciers sont accordés aux travailleurs ruraux, qui peuvent utiliser le sol à des fins de sécurité financière, sans craindre la confiscation des terres qui est depuis lors interdite. L’Avis de 2003 fut complété plus tard par une série de règlements complémentaires du Ministère du Travail et de la Sécurité sociale qui éliminent ainsi les obstacles légaux à la migration.115 « The so called “three-no” [ 无, san wu] people (people who have no legal hukou papers, no permanent local residence, and no permanent local job) are often termed [盲流] mangliu (blind floaters). In the 2000s, there were still plenty of horror series of forced repatriation of “undocumented” floating people. » :116 Sun Zhigang était un diplômé universitaire de 27 ans, originaire du Hunan. Il fut arrêté le 17 mars 2003, et faute de pouvoir présenter sa carte d’identité, il fut emmené d’abord dans un commissariat et ensuite transféré dans un centre de détention et de rapatriement. Malgré sa situation légale dans la ville de Canton et malgré les réclamations de son colocataire et de son employeur afin de le faire sortir, le décès de Sun Zhigang fut annoncé trois jours plus tard. L’autopsie, dont les résultats furent publiés près d’un mois plus tard, révéla que le jeune homme était mort à la suite de coups et blessures. S’en suivirent une indignation et une colère collectives, relayées par la presse et les réseaux sociaux. Les événements désormais jugés comme intolérables, l’ensemble de la population s’est mobilisée pour réclamer justice et éviter que cela ne se reproduise. Des juristes se sont appuyés sur la Constitution chinoise pour dénoncer des contradictions et le besoin de réformer le système en place, datant de 1982. Les autorités nationales ont répondu à cet appel, toutefois non sans intérêts. La nouvelle administration au pouvoir cette année-là, représentée par Hu Jintao, saisit en effet l’occasion pour réorienter la politique et asseoir son autorité en répondant de manière inattendue à « l’épreuve publique ». Il ne s’agit toutefois pas d’un projet de démocratisation, le démontrent notamment plus tard les arrestations de responsables du premier journal à avoir dénoncé les faits ; le Nanfang dushibao, quotidien cantonais plus ouvert et critique.117 En 2003, l’« Affaire de Sun Zhigang » avait pris une telle ampleur que le Conseil d’État décida d’abolir le système de garde et de rapatriement pour les migrants « illégaux ».118 À la place, un projet de loi est proposé afin de « prêter assistance aux vagabonds et aux mendiants ». Les centres de détention furent désormais appelés « centres d’accueil », et le rapatriement ne fut plus mentionné ; les autorités encourageront plutôt les personnes à retourner dans leur lieu d’origine. Par ailleurs, 115 LU H., op.cit, pp.128-129. WANG F.-L., op.cit., p.231. 117 THIREAU I., HUA L., « De l’épreuve publique la reconnaissance d’un public : le scandale de Sun Zhigang », Politix, 2005, vol.III, n°71, pp.137-164. 118 WANG J., op.cit., p.251. 116 36 dans un souci de protection de leurs droits, le texte fait état de « huit interdictions » concernant des actions que le personnel en charge des centres ne peut en aucun cas commettre à l’encontre des personnes qui y résident ou de leurs proches.119 Trois ans plus tard, conscient de l’écart entre les textes de loi qui éliminaient de jure la discrimination envers les ruraux et leur application de facto, le Conseil d’État a émis plusieurs « Avis sur la façon de résoudre les problèmes relatifs aux travailleurs ruraux migrants ». Ces avis de 2006 consistent davantage en un constat des efforts encore nécessaires que de véritables changements mis en place. Toutefois, les migrants y sont désormais vus de façon positive et les autorités démontrent la volonté de respecter leurs droits. Par exemple, l’article 5 desdits avis reconnaît que l’une des difficultés majeures à résoudre est le principe de l’égalité de traitement. L’article suivant propose une solution pratique aux retards de paiement des travailleurs, obligeant les employeurs « récidivistes » à déposer une garantie à la banque. L’article 16 met l’accent sur le problème de sécurité sociale, que les gouvernements décentralisés se voient dans l’obligation de solutionner de manière prioritaire, notamment en ce qui concerne les assurances médicales et d’accident de travail, et progressivement, le système de pensions. En revanche, l’article 26 pose question quant à la volonté réelle des autorités d’éliminer la discrimination. Les petites et moyennes villes sont invitées à relâcher leur système de contrôle et accorder davantage de transferts de hukou, tandis que les grandes villes doivent faciliter l’accès en priorité aux migrants les mieux qualifiés et éduqués, tel que le voulait déjà la pratique. Ainsi, deux types de discrimination s’installent ; d’une part, entre travailleurs migrants moins et mieux qualifiés, d’autre part, entre les petites villes et les plus grandes.120 Froissart note également cette dichotomie entre villes de grande et moindre importance. Les habitants des premières jouissent des meilleures conditions sociales et attirent davantage les migrants. Ce sont donc elles également qui contrôlent le plus strictement la migration permanente, notamment Pékin.121 En 2006 également, le gouvernement central a supprimé le critère du hukou pour l’admission aux examens d’entrée à l’exercice de la fonction publique. En théorie, tout citoyen, quel que soit son lieu d’origine, a donc l’opportunité de devenir 119 Renmin Ribao (le Quotidien du Peuple), 20 juin 2003, cité dans : THIREAU I., HUA L., op.cit., p.159 ; WANG F.-L., op.cit., p.191. 120 LU H., op.cit, pp.130-131; CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit., p.601. 121 Cité dans : WANG J., op.cit., pp.45-46. 37 fonctionnaire. Auparavant, 80% des nouveaux postes à l’administration centrale requéraient d’être en possession d’un hukou de Pékin.122 Concernant le droit du travail, le Comité permanent de l'Assemblée populaire nationale a promulgué en 2007 la Loi sur la promotion de l’emploi, en réponse aux grèves croissantes des travailleurs migrants en raison d’impayés salariaux et de conditions de travail dangereuses (cf. Annexe 5).123 Selon l’article 31 : « Rural workers who go to cities for employment shall enjoy equal right to work as urban workers do. No discriminating restrictions may be placed on the rural workers who go to cities for employment. »124 En outre, l’article 62 prévoit la possibilité d’une action judiciaire pour les victimes de discrimination : « Where anyone practices discrimination in employment in violation of the provisions of this Law, the workers concerned may lodge a lawsuit in the people’s court. »125 Cependant, la loi ne contient pas de définition précise du concept même de la discrimination, ainsi laissée à la seule discrétion du juge. Au regard des traités internationaux, la loi ne procure pas une protection suffisante en la matière.126 À plusieurs reprises, des réformes locales ont été lancées puis finalement annulées. Face à l’ampleur et la difficulté de la tâche, les autorités locales décident parfois même de restreindre les critères d’admission des migrants. Au fil des années, le système du hukou n’a donc pas vraiment évolué et continue de compromettre l’harmonie sociale. La décentralisation de la gestion du système en la matière permet aux autorités locales de « counteract the central government’s goals and wellintentioned rhetoric ». Bien qu’il soit certain que le système ait aussi servi les intérêts des autorités nationales, en permettant in fine l’envol économique du pays.127 Un dernier exemple illustre la difficulté de la mise en application des lois : 122 CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit. KAHN J., BARBOZA D., “As Unrest Rises, China Broadens Workers' Rights”, The New York Times : New York, [online access], http://query.nytimes.com/gst/abstract.html?res=9805E4D8173EF933A05755C0A9619C8B63, dernière consultation le 14 mai 2015. Cité dans: CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit. 124 People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (a) Employment Promotion Law of the People’s Republic of China, 30 August 2007, Presidential Order No. 70, art. 27, available at: http://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/MONOGRAPH/76984/81380/F1735089926/76984.pdf, dernière consultation le 9 mai 2015. Cité dans : LU H., op.cit, p.92. 125 Ibid, art. 62. Cité dans : LU H., op.cit., pp.92-93. 126 LU H., op.cit., pp.91-95. 127 CHAN K. W., BUCKINGHAM W., op.cit., pp.603-604. 123 38 « The Labour Contract Law, implemented on 1 January 2008, mandates that all workers should have a written contract with their employer detailing the terms and conditions of their employment. However, according to the Ministry of Human Resources and Social Security, in first year of the law’s enactment, more than 15 million Chinese workers had not signed a labour contract. »128 En effet, il est difficile de faire respecter ces lois car elles tentent en général de corriger des pratiques abusives courantes, qui ont été appliquées durant des années au su de tous, en ce compris les autorités : Par exemple, l’article 9 de la Loi sur le contrat de travail fait précisément référence à l’une d’entre elles : « During recruitment, the employer may not retain the employees’ Resident Identity Card or other credentials, nor may it require them to 129 provide guarantee or collect property from them under other names. » Actuellement, le système du hukou a prioritairement pour objectif de contrôler la taille de la population dans les métropoles et de préserver un système équilibré des services publics. Bien que cela paraisse légitime de la part des autorités, le hukou actuel induit encore un traitement inégal entre les citoyens selon leur lieu d’origine. Ainsi, il est difficile d’argumenter en faveur de celui-ci alors même qu’il bafoue un droit humain fondamental : la liberté de mouvement. En 2005, le Comité des Nations Unies pour les droits économiques et sociaux (Comité DESC) a d’ailleurs appelé la Chine « to implement its decision to dismantle the hukou system of national household registration and to ensure that in any system that replaces it, internal migrants will be able to enjoy the same work, social security, housing, health and education benefits enjoyed by those in the urban areas. »130 (cf. infra) L’année dernière, en 2014, bien que tenant compte des avancées sur ce plan, le Comité DESC a réitéré ses inquiétudes auprès des autorités chinoises et les a invitées à renforcer leurs efforts vers une abolition du système du hukou.131 “Migrant workers without a labour contract go unpaid for nearly a year”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 29 May 2009, [online access], http://www.clb.org.hk/en/content/migrant-workerswithout-labour-contract-go-unpaid-nearly-year, dernière consultation le 15 juillet 2015. 129 People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (b) Labour Contract Law of the People’s Republic of China, 29 June 2007, Presidential Order No. 65, available at: http://www.12333sh.gov.cn/200912333/2009english/laws/200911/P020091105359417211156.pdf. 130 UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (a) UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights: Concluding observations: People's Republic of China (including Hong Kong and Macao), 13 May 2005, E/C.12/1/Add.107, para. 46, disponible sur : http://www.refworld.org/docid/43f306770.html, dernière consultation le 9 mai 2015. Cité dans : LU H., op.cit, p.132. 131 UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (b) Concluding observations on the second periodic report of China, including Hong Kong, China, and Macao, China, 13 June 128 39 Depuis le début du siècle, la nécessaire révision du système, voire son abolition132, fait d’ailleurs l’objet d’un débat ouvert au sein de la République populaire de Chine, notamment par le biais d’Internet, mais également dans la presse et les cercles académiques. Toutefois, « Knowing that the PRC hukou system performs key functions crucial to China’s sociopolitical stability, governance, and economic development, most Chinese academicians and policy makers do not believe in or call for abolishing the hukou system. » 133 En raison de son ancrage politique et culturel, le système d’enregistrement de la population ne semble guère près de disparaître, et les réformes entreprises sont bien contrôlées et encore assez limitées. Même au sein des zones économiques spéciales, les expérimentations du système ne sont pas permises. Quoi qu’il en soit, l’abolition du système du hukou ne paraît pas être une option pour les grandes villes qui sont plusieurs à plaider en faveur de son maintien, de manière indéfinie. 134 Leurs motivations ne sont pas seulement politiques, mais également économiques et sociales. Intégrer ces centaines de millions de migrants dans les villes nécessiterait des dépenses publiques massives ou un tout autre système de réallocation et répartition des ressources : « Urbanization and free internal migration without adequate resources to back them up would mean either a rapid decay of the existing urban sector or simply just a nominal change of the hukou type without any real benefits to the excluded rural population. »135 CONSÉQUENCES : LES INÉGALITÉS Tandis que les ruraux migrent vers les villes dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie, ils doivent faire face à de nombreux obstacles et abus qui, finalement, ne leur permettent ni de s’intégrer, ni de jouir des bénéfices que présente la vie urbaine. Les emplois que les travailleurs migrants parviennent à obtenir sont souvent mal payés, précaires et offrent peu de sécurité sociale, sans parler des conditions de travail et du salaire qui ne respectent pas souvent le minimum légal. En raison du manque d’application de la loi, les migrants ont peu de recours pour faire 2014, E/C.12/CHN/CO/2, available consultation le 9 mai 2015. 132 WANG F.-L., op.cit., p.196. 133 Id., pp.52-53; pp.59-60. 134 Ibid. 135 Id., pp.197-198. at: http://www.refworld.org/docid/53c77e524.html, dernière 40 légitimer leurs droits. Nombre d’entre eux ne possèdent pas de contrat de travail et peu d’entreprises disposent de syndicat (aussi limités en termes d’efficacité et d’indépendance qu’ils puissent l’être en Chine).136 Dans cette dernière partie, nous dresserons un tableau sommaire des différentes situations d’inégalités auxquelles sont exposés les migrants et leur famille. A. CONDITIONS DE TRAVAIL : EXPLOITATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE Officiellement estimé en 2005 à 180 millions de personnes, l’excès de la maind’œuvre rurale en Chine est tel que les travailleurs à la recherche d’emploi dans les villes ont très peu d’espace pour négocier des conditions de travail dignes. Ajouter à cela le fait que la plupart des migrants soient employés dans le secteur informel, bien souvent, ils sont sujets à l’exploitation et au travail forcé à travers des pratiques illégales de l’employeur (contre lesquelles la Loi sur le contrat de travail de 2008 tentent de lutter, cf. supra) : confiscation de la carte d’identité ou autre document personnel, retenues salariales ou impayés, garantie financière prélevée à l’embauche… D’autres facteurs de dépendance sont le logement et l’alimentation, fournis généralement sur le lieu de travail. Notons par ailleurs que le premier consiste souvent en des tentes ou préfabriqués dans le secteur de la construction et des nattes à même le sol dans le secteur des services,137 ou encore des dortoirs avec des chambres de 26m² partagées en moyenne par douze travailleurs.138 Des enquêtes réalisées dans la ville de Chengdu, capitale de la province intérieure du Sichuan, dénoncent d’autres abus, qui ne représentent pourtant pas les plus graves. Le nombre d’heures de travail effectuées ne correspond pas à celui prévu dans la loi, qui s’élève normalement à huit heures journalières et quarante-quatre hebdomadaires. En 2000, un recensement estimait en réalité le travail presté par la majorité des migrants entre 10 et 14 heures par jour.139 Lee note à cet égard : “Th[e] ‘dormitory labor system’ serves employers by keeping labor available on tap, facilitating flexible extension of the workday, inhibiting workers’ job-search time, reducing the cost of social reproduction, and strengthening the employer control over workers’ personal lives.” 136 LU H., op.cit., pp.125-126. FROISSART C., op.cit., pp.148-149. 138 LEE C.-K., op.cit., p.57. 139 WU X., GUO X. (dir.), 2003, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.149. Pun Ngai témoigne à la suite d’une immersion dans une usine de fabrication de Shenzhen en 1996, que l’emploi du temps habituel des ouvrières était de 11 à 12 heures par jour. Bien que le nombre d’heures supplémentaires, le travail de nuit, et les jours de repos fassent aussi l’objet de réglementations internes, celles-ci n’étaient que très peu respectées. In : NGAI P., Made in China : Vivre avec les ouvrières chinoises, La Tour d’Aigue : éditions de l’Aube, 2012, pp.140-141. 137 41 Bien souvent, les employeurs n’accordent pas, ou seulement en partie, aux travailleurs le nombre d’heures de repos et jours de congé légalement permis. En outre, les heures supplémentaires dépassent elles aussi la limite légale et sont souvent non rémunérées, tandis que, légalement, celles-ci valent une fois et demie à trois fois plus que les heures de travail normales. La prestation hebdomadaire est estimée en moyenne à 6,65 jours, au lieu des 5,5 jours tel le veut la loi.140 Les salaires des migrants sont également nettement inférieurs (jusqu’à deux fois inférieurs) à la moyenne de ceux des travailleurs urbains locaux. Cela est souvent le résultat d’expériences malheureuses que les migrants subissent en raison d’agences de l’emploi peu scrupuleuses, qui agissent en complicité avec les employeurs. Des frais administratifs, caution et autres coûts sont imposés aux demandeurs d’emploi, et parfois en vain, ceux-ci étant victimes d’abus ou d’escroquerie : Les agences fournissent parfois de faux contrats et disparaissent avec l’argent des migrants. Elles (ou les employeurs eux-mêmes) donnent aussi de fausses informations sur le travail à effectuer afin de forcer le travailleur à démissionner et 141 lui retenir salaires, garanties ou autres frais soutirés. L’article 8 de la Loi sur le contrat de travail instaure donc le droit du travailleur à recevoir toutes les informations quant au travail qu’il aura à accomplir et ses conditions.142 Dû au manque de contrôle, les agences officielles ne font pas figure d’exception et, même via ces canaux, les migrants sont parfois rémunérés en deçà du minimum légal. Dans le secteur de la construction, malgré le respect des barèmes, les salaires impayés sont fréquents en raison de l’usage de la sous-traitance à plusieurs niveaux. Il est ainsi très difficile aux ouvriers de récupérer leur dû. Ici encore, les entreprises de construction étatiques sont également concernées par ce problème, et représentent même près d’un tiers des cas :143 Selon une étude publiée en 2003, le trois quart des migrants rencontrent des difficultés à obtenir leur salaire. Chaque année, ils sont nombreux à menacer de se suicider en sautant d’un immeuble ou en s’immolant par le feu en raison d’impayés. Ces mesures désespérées se passent en général avant le retour des migrants dans leur 144 famille pour célébrer le Nouvel An chinois. La liste des abus étant assez longue, nous terminerons par une observation de l’environnement de travail, où les normes de sécurité ne sont pas assez respectées, 140 WANG Y., NI Y., 2001, cité dans : FROISSART C., op.cit., p.149. FROISSART C., op.cit., pp.150-151. 142 People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (b), op.cit. 143 FROISSART C., op.cit., pp.149-152. 144 LEE C.-K., op.cit., p.164. 141 42 toujours aux dépens de la vie et de la santé des travailleurs migrants. 145 Le secteur minier est un des plus affectés : Selon les chiffres officiels (mais il arrive souvent que les employeurs essaient de dissimuler les faits et parfois en connivence avec les autorités locales)146, rien que pour l’année 2005, ce sont 3000 explosions mortelles qui ont été recensées. Il y aurait chaque année 20.000 décès causés par la négligence en matière de sécurité dans les mines. Les chiffres pour 2014 sont nettement plus élevés, malgré la baisse proclamée : « Un total de 269.000 accidents se sont produits au cours des onze premiers mois de l'année dernière en Chine, soit une diminution de 4,7%. Ceux-ci ont fait 57.000 morts, en baisse de 6,1%. »147 La demande de charbon, première source énergétique en Chine, est telle qu’elle incite les responsables miniers à produire au-delà des capacités, au mépris de la sécurité des travailleurs : systèmes de ventilation non adaptés, installations électriques désuètes, manque de sorties de secours…148 Malgré la création d’un Bureau de surveillance par le gouvernement central, la corruption au niveau des autorités locales ne permet pas une bonne mise en place des réglementations. Lors d’accidents, les familles des victimes sont isolées afin d’éviter les protestations. Les compensations en cas de décès varient entre moins de 2.000 et 20.000 yuans (300 à 3000 euros), en fonction de la qualification de l’ouvrier. En tentant de lutter contre les exploitations illégales, le gouvernement a décidé de privatiser certains sites d’exploitation. Les galeries sont louées pour des périodes courtes et les exploitants ne voient ainsi aucun intérêt à investir dans la sécurité. Les mineurs expérimentés sont licenciés en faveur d’une main-d’œuvre peu ou non qualifiée à bas prix. 149 Dans les industries de l’électronique, de nombreux produits chimiques toxiques pour la santé des travailleurs sont employés et provoquent toutes sortes de troubles allant des maux de tête, vertiges, aux irritations de la gorge, nausées, troubles digestifs,… 145 Pour plus de détails quant aux impacts des maladies et accidents professionnels sur les familles des migrants à leur retour dans la ville natale, voir : CHEN C., et al, Coming Home: The Return of Migrant Workers with Illness or Work-Related Injuries in China’s Hubei and Sichuan Provinces, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°5, 2014, 23 p. 146 WU S., 2005, et CAI C., 2005, cités dans : FROISSART C., op.cit., p.153. L’atteste d’ailleurs un article récent de la presse chinoise. 31 personnes, dont des membres du département de la sécurité du travail, sont soupçonnées d’avoir dissimulé trois accidents mortels, le plus ancien remontant à 2009. Voir : « Chine : 31 personnes sous enquête pour dissimulation d'accidents de mine », Xinhua : Pékin, http://french.xinhuanet.com/societe/201411 décembre 2014, [accès en ligne], 12/11/c_133848535.htm, dernière consultation le 24 mai 2015. 147 « Chine : 31 personnes sous enquête pour dissimulation d'accidents de mine », op.cit. 148 Un problème encore actuel. Voir : « La Chine fermera 5.000 petites mines pour des raisons de sécurité », Xinhua : Pékin, 4 mars 2015, [accès en ligne], http://french.xinhuanet.com/societe/201503/04/c_134038019.htm, dernière consultation le 24 mai 2015. 149 HAN D., Mon combat pour les ouvriers chinois, Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon, 2014, pp.135145. 43 Selon une étude, en 2010, dans près de 45% des cas, l’entreprise ne disposait pas de matériels de sécurité. En outre, 60% ne procuraient aucune formation concernant les mesures de sécurité, ce qui a été démontré comme étant une des causes principales des accidents.150 Si les précautions nécessaires ne sont pas prises, les travailleurs (qui sont en général des femmes dans ce secteur) risquent d’encourir des problèmes de santé à long terme. Notons enfin que les comportements à l’intérieur de ce type d’usine font l’objet d’une stricte réglementation et toute violation est pénalisée financièrement : Par exemple, parler dans l’atelier est interdit, et toute infraction est sanctionnée de 5 yuans (environ 0,70 €). Ou encore, quitter son poste pour aller aux toilettes sans demander l’autorisation coûtera à l’ouvrier 2 yuans (environ 0,30 €). Les appels téléphoniques mènent à une sanction plus grave : le licenciement immédiat et la déduction de tous les salaires. Bien entendu, les ouvrières défient parfois les règles pour combattre la somnolence et l’ennui. Les contremaîtres tolèrent eux aussi certains comportements, considérant le règlement trop rigide, et font preuve d’une certaine compassion, pour le bon fonctionnement des lignes de production.151 Le non respect des lois du travail combiné à la pression pour atteindre des quotas de production chaque fois plus élevés dans des conditions dangereuses, épuisent les ouvriers et les exposent à des risques élevés : Amnesty international a d’ailleurs dénoncé la gravité de la situation : à Shenzhen, pour l’année 1998, au total plus de 12.000 travailleurs d’usine avaient été victimes de blessures et 80 étaient décédés. Environ 13 travailleurs par jour perdaient un doigt ou un bras.152 Au niveau national, le nombre de décès dus à l’exercice d’une activité professionnelle s’élevait à 140.000 en 2002. L’année suivante, ce chiffre avait augmenté de 19%.153 Bien que toutes les violations citées ci-dessus fassent l’objet d’interdiction à travers de nombreux articles de la Loi du travail de 1994, il est évident que leur application fait défaut dans la majorité des cas. Au vu du nombre de conventions internationales relatives au travail que la Chine n’a pas encore ratifiées, les conditions nécessaires au respect total des travailleurs et de leurs droits sont encore loin d’être suffisantes.154 150 GRANSOW B., et al, Chinese Migrant Workers and Occupational Injuries: A Case Study of the Manufacturing Industry in the Pearl River Delta, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°1, 2014, p.14. 151 NGAI P., op.cit., pp.150-152 ; pp.244-250. 152 Amnesty International, ASA 17/015/2002, cité dans : LEE C.-K., op.cit., p.168. 153 KHAN J., 2003, cité dans : LEE C.-K., op.cit. 154 Entre autres, la Convention sur la protection du salaire de 1949, la Convention sur le repos hebdomadaire de 1957, Convention sur les services de santé au travail de 1985, ou encore la Convention sur les travailleurs migrants (révisée) de 1949,… Pour la liste complète voir : “Up-to-date Conventions not ratified by China”, International Labour Organization: Geneva, [online access], http://www.ilo.org/dyn/normlex/en/f?p=1000:11210:0::NO:11210:P11210_COUNTRY_ID:103404, dernière consultation le 21 mai 2015. 44 B. SÉCURITÉ SOCIALE Outre les pauvres conditions de travail, les migrants sont très peu nombreux à bénéficier d’une sécurité sociale. En effet, ils participent peu aux cotisations, en raison d’une méconnaissance du système, du caractère informel de leur emploi qui ne leur permet pas de contribuer aux assurances, ou encore de leur réticence à voir leur part salariale amputée davantage. Les employeurs préfèrent également garder les coûts salariaux le plus bas possible, en particulier lorsqu’il s’agit de travailleurs temporaires. La situation est la même pour les entreprises d’État, qui profitent en outre du peu de contrôle.155 Or, selon la « Loi sur les assurances sociales » de 2011, tout employé, y compris les travailleurs migrants, doit être couvert par un système de sécurité sociale. L’article 95 le stipule précisement : « Rural migrant workers shall participate in social insurance in accordance with this Law. »156 Cependant, une pratique courante des gouvernements locaux peut en partie expliquer le faible taux de participation au système. Ceux-ci permettent aux employeurs de n’inscrire que 10 à 20% de leurs travailleurs, au lieu d’encourager les entreprises à atteindre un taux de couverture sociale total.157 De plus, comme nous le verrons cidessous, que les conditions d’accès aux bénéfices sociaux varient ou non pour les migrants, dans les deux cas, ceux-ci se trouvent bien souvent désavantagés. Il semble certain que le système des assurances sociales en Chine n’a pas été conçu pour des travailleurs mobiles, étant donné qu’il est fortement localisé. Bien que le taux de couverture sociale des migrants augmente, actuellement il ne représente encore que la moitié de la moyenne nationale.158 Le système de sécurité sociale comprend en général : l’assurance pension, l’assurance chômage, l’assurance médicale, l’assurance accident du travail et l’assurance maternité. Il se différencie de l’aide sociale qui est fournie par le gouvernement urbain local aux résidents détenant un hukou local et ne requiert aucune cotisation. Au contraire, le système de sécurité sociale s’inscrit dans un cadre 155 FROISSART C., op.cit., p.152 ; WANG J., pp.56-57. People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) Social Insurance Law of the People’s Republic of China, 28 October 2010, Presidential Order No. 35, available at: www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/89811/103254/F583615375/CHN89811.pdf. 157 LEE C.-K., op.cit., pp.47-48. 158 “China’s Social Security System”, China Labour Bulletin: Hong Kong, April 2014, [online access], http://www.clb.org.hk/en/view-resource-centre-content/110107, dernière consultation le 24 mai 2015. 156 45 de cotisation tripartite (l’employeur, le salarié et les autorités publiques). Malgré l’obligation des migrants temporaires de s’y affilier, le taux reste très faible, comme nous le verrons dans chacun des cas ci-dessous (cf. Annexe 6).159 1. L’assurance pension La mobilité des migrants est une des raisons principales du faible taux d’affiliation aux assurances, notamment l’assurance pension. En outre, leur salaire étant déjà peu élevé, ils sont réticents à l’idée de devoir en reverser une partie sur un compte individuel, soit 8% pour l’assurance pension, selon le règlement de 1997 : « Employers have routinely claimed in the past that they have not paid social insurance contributions for migrant workers because the workers themselves are not interested in a pension. […] [However], the underlying reason migrant workers are unhappy about making pension contributions is not because the rates are too high but rather because their basic salaries are too low and any deductions will have a major impact on their day-to-day living standards. »160 De son côté, l’employeur doit contribuer au compte social à hauteur de 20% des salaires de l’ensemble de la main-d’œuvre qu’il emploie. Lorsque les travailleurs migrent vers une autre ville, le transfert du compte personnel est possible, contrairement au compte social, dont la gestion se fait au niveau local. Les taux de cotisation peuvent aussi varier d’une région à l’autre. Par ailleurs, afin de pouvoir bénéficier de la retraite, le temps requis de cotisation continue s’élève à 15 ans minimum (réitéré à l’article 16 de la Loi de 2011).161 Il est bien entendu rare pour les migrants de rester aussi longtemps dans une seule et même entreprise ou région. Dans le cas contraire, les travailleurs peuvent retarder leur retraite, payer la somme des contributions manquante, transférer leurs fonds au régime de chômage, ou encore, recevoir l’entièreté de leur compte personnel. En 2006, seuls 15% des migrants étaient affiliés à une caisse de pension. Dans la province de Canton, le taux de désaffiliation s’élevait à 95% cette année-là. Pour les caisses locales, cela représente des gains qui se chiffrent à des centaines de millions de yuans (des dizaines de millions d’euros) par an, aux dépens des travailleurs 159 WANG J., op.cit., pp.53-54. “China’s Social Security System”, op.cit. 161 L’âge de la retraite est établi actuellement à 50 ans pour les femmes (excepté les fonctionnaires qui doivent travailler 5 ans de plus) et 60 ans pour les hommes. Le montant du compte personnel (y compris les intérêts) est divisé en 120 parts mensuelles, que le pensionné recevra sur une période de 10 ans. À condition que l’assuré ait cotisé constamment pendant 15 ans, à cela s’ajoute la part du compte social, calculée en fonction du nombre d’années de travail, du salaire moyen local et de l’espérance de vie, et qui est quant à elle allouée jusqu’au décès. In : Ibid. 160 46 migrants. Selon les statistiques officielles, en 2013, le taux d’affiliation avait à peine 162 augmenté et s’élevait à 15,7%. À cet égard, il est également intéressant de noter que plus de la moitié des travailleurs migrants (53% selon une enquête de 2013) font partie des anciennes générations, nées avant les années 1980. Récemment, nombre d’entre eux se sont manifestés afin de réclamer leur droit à la sécurité sociale, notamment à la pension. « As the migrant workforce continues to age, those demands will only get louder. »163 2. L’assurance chômage Selon le « Règlement sur l’assurance chômage » de 1999, l’employeur doit contribuer à hauteur de 2% des dépenses salariales totales, tandis que l’employé reverse 1% de son salaire. Les contributions alimentent un fonds commun qui est géré par l’administration provinciale. Une cotisation de minimum 1 an à plus de 10 ans donne au chômeur le droit à une allocation pendant une période allant de 12 à 24 mois, équivalant en général à un pourcentage allant de 70 à 80% du salaire minimum local. Le salaire minimum étant lui-même fixé à un taux tellement bas, l’allocation perçue par les travailleurs ne peut être considérée comme un minimum vital.164 Toutefois, ces règles ne s’appliquent pas aux travailleurs migrants, pour lesquels seul l’employeur cotise. Selon l’article 21, pour être éligibles, ils doivent avoir travaillé au minimum un an dans une entreprise qui décide de ne pas renouveler leur contrat lorsque celui-ci prend fin ou lorsque l’entreprise y met fin à l’avance. Touché une seule fois, le montant de l’indemnité est calculé en fonction de l’ancienneté du travailleur et du taux fixé par les autorités provinciales. Par exemple, à Canton, celui-ci représente 12% du salaire mensuel de l’année écoulée et au-delà d’un an de cotisation, chaque mois d’ancienneté équivaut à un point supplémentaire. Pour les travailleurs migrants dans la province du Zhejiang, l’indemnité représente 40% de celle octroyée aux travailleurs locaux. Selon les estimations du Ministère du Travail et de la Sécurité sociale, le taux des migrants affiliés à une assurance chômage était inférieur à 20% en 2006.165 WANG J., op.cit. ; LEE C.-K., op.cit., pp.46-48 ; People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit ; “China’s Social Security System”, op.cit. 163 “China’s Social Security System”, op.cit. 164 Ibid. 165 WANG J., op.cit., pp. 54-55 ; LEE C.-K., op.cit., p.52 ; People's Republic of China’s State Council, Unemployment Insurance Regulations of the People’s Republic of China, 22 January 1999, State Council’s Decree No.258, available at: http://www.asianlii.org/cn/legis/cen/laws/roui413/#1. 162 47 Notons par ailleurs que la Loi sur les assurances sociales de 2011 prévoit le transfert des prestations de chômage, qui peuvent ainsi être revendiquées indépendamment du lieu. Cependant, des réformes structurelles seront nécessaires à la mise en pratique de cette politique, notamment dans les zones rurales où il n’existe encore aucun système qui permette aux migrants de recevoir les indemnités de chômage pour un travail presté en zone urbaine. Les autorités locales règlent ce problème en leur versant alors un montant bien inférieur à ce dont ils auraient légalement droit.166 3. L’assurance médicale À partir 1998, après la réalisation de projets pilotes, le Conseil d’État a sommé toutes les provinces de mettre en place un système de base d’assurance santé, géré au niveau des départements municipaux du travail et de la sécurité sociale. Ici également ce sont les employeurs et les travailleurs qui cotisent à un fonds d’assurance local, à hauteur de 6% à 12% pour les premiers et 2% pour les seconds. Le compte individuel de l’employé couvre les frais médicaux d’un montant équivalent à 10% maximum du salaire annuel moyen local. En cas de solde insuffisant, c’est au travailleur de compléter de sa poche, ce qui arrive fréquemment. Le compte social prend la relève pour des frais médicaux supérieurs au montant fixé167 (et plafonné à 5 fois le salaire annuel moyen).168 Selon l’article 27 de la Loi de 2011, lors de la retraite, si un certain nombre d’années de contributions a été atteint, les avantages de l’assurance sont pleinement acquis, sans versement supplémentaire nécessaire. Par ailleurs, l’article 32 établit, en théorie, que « Where an individual is employed in a different overall planning area, his/her basic medical insurance relationship shall be transferred with him/her, and the contribution period shall be calculated on a cumulative basis. »169 Cependant, tout comme les autres systèmes d’assurance, le développement de celuici a été inégal, non seulement en termes de couverture mais aussi d’accès effectif aux avantages, variant selon la volonté politique, la situation économique et la gestion locales.170 “China’s Social Security System”, op.cit. Les traitements couverts par le fonds public d’assurance sont repris sur une liste exhaustive dressée par les autorités. Pour tout autre traitement, les frais sont à prendre en charge personnellement, via le compte individuel du travailleur, de ses fonds propres ou par le biais d’une assurance privée. In : Ibid. 168 LEE C.-K., op.cit., pp.54-55 ; “China’s Social Security System”, op.cit. 169 People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit. 170 “Countries judged to have the least fair financing of health systems include Sierra Leone, Myanmar, Brazil, China, Viet Nam, Nepal, Russian Federation, Peru and Cambodia.” In: “World 166 167 48 Une étude comparative l’a d’ailleurs démontré en 2001 : à Shenyang, capitale de la province de Liaoning située dans le nord-est de la Chine, seuls 9,1% des travailleurs étaient couverts contre 88,6% à Shanghai. 171 Toutefois, dans les deux villes, des retards au niveau du remboursement des prestations sociales ont été signalés, respectivement dans 27,7% et 18,9% des cas. Contrairement à ce qu’indique la Loi sur les assurances sociales de 2011, les assurés doivent souvent avancer le montant à prendre en charge et ensuite le réclamer aux autorités.172 Nous remarquons à nouveau qu’il est difficile de faire respecter la loi à toutes les entreprises et davantage encore dans les localités moins développées.173 Quant aux travailleurs migrants, leur taux d’affiliation demeure très faible : En 2002, une enquête du Bureau de la sécurité sociale de Chengdu a révélé que seuls 2% parmi les travailleurs migrants possédaient une assurance médicale.174 Selon une étude menée à Hangzhou, capitale de la province de Zhejiang, 81% des migrants ne disposaient pas d’assurance médicale. Pour plus de la moitié (53%), il s’agissait de leur propre choix : « they prefered to pay out of pocket for what they used, rather than be burdened by regular payments. » 175 Selon des statistiques officielles, au niveau national ce taux s’élevait à 10% en 2006. 176 En 2007, le nombre total d’affiliés avait connu une hausse de plus de 60 millions de travailleurs, parmi lesquels 7,6 millions de migrants.177 En 2013, le taux d’affiliation de ces derniers 178 avait en effet augmenté mais ne s’élevait tout de même encore qu’à 17,6%. Pour faire face à ce problème étant donné « [the] strong association between insurance coverage and Hukou registration status » 179 , le gouvernement central encourage donc les villes à inclure les migrants dans leur système d’assurance, notamment celles dont le développement dépend de la main-d’œuvre : « En raison du nombre très important de travailleurs qu’elles reçoivent, la province de Guangdong [Canton], et plus particulièrement la ville de Shenzhen, ont mis en place dès la fin des années 1990 des règlements visant à faciliter et à accélérer leur Health Organization Assesses the World's Health Systems”, World Health Organization (WHO): Geneva, 21 June 2000, [online access], http://www.who.int/whr/2000/media_centre/press_release/en/, dernière consultation le 9 juin 2015. 171 Voir aussi Milcent C. qui s’appuie sur une étude comparative officielle menée dans cinq grandes destinations des migrants : MILCENT C., “Healthcare for Migrants in Urban China: A New Frontier”, China Perspectives, 2010, vol.IV, pp.33-46. 172 “China’s Social Security System”, op.cit. 173 LEE C.-K., op.cit. 174 FROISSART C., op.cit. 175 HESKETH T., et al, “Health Status and Access to Health Care of Migrant Workers in China”, Public Health Reports, 2008, vol.CXXIII, p.194. 176 WANG J., op.cit., p.56. 177 « Chine: la couverture médicale et de retraite de base profite à plus de 200 millions de personnes », Xinhua : Pékin, 22 janvier 2008, [accès en ligne], http://www.french.xinhuanet.com/french/200801/22/content_564496.htm, dernière consultation le 3 juin 2015. 178 “China’s Social Security System”, op.cit. 179 LAM K., JOHNSTON J., “Health insurance and healthcare utilisation for Shenzhen residents: a tale of registrants and migrants?”, BioMed Central (BMC) Public Health, 2012, vol.XII, n°868, p.5. 49 180 intégration dans le système de sécurité sociale des urbains. » En 2005, la ville de Shenzhen, dont la population est composée de plus de 70% de migrants, a initié une politique qui permet aux travailleurs migrants de demander un remboursement allant jusqu’à 60.000 yuans (9.000 euros), à condition d’avoir versé une cotisation mensuelle de 4 yuans (0,60 €) pour l’employé, et 8 (1,20 €) pour l’employeur. Après un an de mise en œuvre, plus d’un million de travailleurs avaient pu bénéficier du programme.181 Malgré ces quelques efforts, il apparaît évident que les avantages pour les travailleurs migrants ne sont pas aussi étendus que ceux des résidents urbains locaux, d’autant plus que, en général, les contributions ne sont pas transférables. 182 Une étude, qui a pourtant démontré les avantages que l’assurance médicale procure aux migrants, rappelle en effet l’imperfection du système au niveau des remboursements et de la coordination entre les différentes plateformes. Et de conclure que : « none of the insurance schemes have made significant improvement for migrant workers in all of the three outcome categories, i.e. the accessibility, affordability and appropriateness of medical care. »183 4. L’assurance accident de travail Malgré les grands progrès réalisés ces dix dernières années en termes de couverture, notamment après la publication du règlement de 2003, actuellement, seul un quart de la population active possède une assurance accident de travail. Le fonds concerné est uniquement alimenté par l’employeur à hauteur de 0,5 à plus de 2% des salaires de la main-d’œuvre selon une estimation des risques établie par le gouvernement central en fonction des secteurs d’activité.184 Les articles 37 et 38 de la Loi sur les assurances sociales établissent une distinction entre les différents frais relatifs à un accident du travail ou une maladie professionnelle, une partie devant être prise en charge directement par l’employeur (notamment, le salaire durant la période de traitement et les allocations d’invalidité pour les cas modérément sévères) et une autre partie par le fonds d’assurance (entre autres, les frais médicaux, d’hospitalisation et de rééducation ou encore les frais funéraires, en cas de décès).185 180 FROISSART C., op.cit., p.269. WANG J., op.cit., pp.55-56. 182 BARBER S., YAO L., Health insurance systems in China: A briefing note – World Health Report (2010) Background Paper No 37, Beijing: World Health Organization (WHO) China, 2010, pp.22-23. 183 QIN X., et al, “Does Participating in Health Insurance Benefit the Migrant Workers in China? An Empirical Investigation”, 2nd Global Symposium on Health Systems Research, Beijing, China, 2012, p.26. 184 “China’s Social Security System”, op.cit. ; WANG J., op.cit. p.56 185 People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit. 181 50 Dans le cas où il ne cotise pas, l’employeur se voit dans l’obligation de couvrir luimême tous les frais. Toutefois, dans la majorité des cas, celui-ci n’accepte de payer que les frais minimum de traitements pour la durée d’hospitalisation du travailleur. Pour répondre à ce problème, la Loi sur les assurances sociales prévoit à l’article 41 que le montant dû doit alors être avancé par le gouvernement local, via le fonds d’assurance, et peut ensuite être réclamé ou saisi auprès de l’employeur. Cependant, une enquête conduite à Pékin un an après la publication de la Loi a révélé que seuls 3% des municipalités avaient émis un règlement d’application et 77% s’opposaient fermement à cette mesure.186 Quoi qu’il en soit, l’assurance ne fonctionne en réalité que dans les cas où il n’y a aucune contestation des faits et des coûts engendrés et si l’employeur a cotisé sans faute. Dans le cas contraire, notamment si la relation professionnelle ne peut être établie, les avantages peuvent être refusés ou leur versement retardé de plusieurs années. Nous avons vu que nombre de travailleurs migrants ne possèdent pas de contrat de travail, ce qui les désavantage fortement dans ce cas-ci. Quant aux maladies professionnelles qui se déclarent souvent plus tard, il est leur également difficile de prouver le lien avec un travail effectué antérieurement et souvent sans contrat. Sur les 6 millions de travailleurs chinois qui seraient atteints de pneumoconiose, seuls 10% d’entre eux ont été reconnus par le gouvernement. 187 Même en cas de décès, il n’est pas certain que la famille de la victime reçoive une compensation du fonds d’assurance. En 2012, sur 72.000 décès sur le lieu de travail officiellement reportés, un tiers seulement ont été certifiés être liés au travail et donc éligibles pour la prise en charge des frais et des compensations éventuelles. La majorité des cas mortels se règlent finalement par des accords privés ou un geste des autorités locales afin d’éviter toute contestation. Il est à noter que le taux de couverture de l’assurance accident de travail parmi les migrants (près de 20% en 2006 et 30% en 2013) est plus élevé comparé aux autres assurances, étant donné qu’ils travaillent en majorité dans des secteurs à risque et que les contributions que l’employeur doit payer sont assez basses. 188 Le gouvernement de Pékin a d’ailleurs réaffirmé que tout travailleur migrant possédant un contrat formel devait y être affilié. Chaque année, 100.000 travailleurs trouvent “China’s Social Security System”, op.cit. ; People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit. ; WANG J., op.cit. p.56. 187 “China’s Social Security System”, op.cit. Pour plus d’information, voir : “Time to Pay the Bill – China’s obligation to the victims of pneumoconiosis”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 28 April 2013, [online access], http://www.clb.org.hk/en/sites/default/files/File/research_reports/Time%20to%20Pay%20the%20Bill. pdf, dernière consultation le 2 juin 2015. 188 “China’s Social Security System”, op.cit. ; People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit. ; WANG J., op.cit. 186 51 accidentellement la mort et 700.000 se blessent dans l’exercice de leur fonction, la 189 majorité étant des travailleurs temporaires. 5. L’assurance maternité Les employeurs sont également les seuls à contribuer au fonds d’assurance maternité, à un taux déterminé par les autorités locales. C’est une des raisons pour laquelle aucune migrante n’est affiliée à une assurance maternité dans la ville de Chengdu. 190 À Pékin par exemple, le taux s’élève à 0,8% du salaire de l’employée concernée, tandis qu’à Canton, la contribution de 1% est basée sur le salaire mensuel moyen local. Le fonds couvre tous les frais liés à la maternité, des contrôles prénataux aux indemnités durant le congé de maternité (qui s’élève à 98 jours, selon la Disposition spéciale sur la protection des employées datant de 2012).191 Ici encore, malgré le taux de couverture qui a presque quadruplé cette dernière décennie (passant de 44 millions d’affiliées en 2004 à 164 millions en 2013), les avantages réels sont limités (en 2013, seules 5,2 millions d’employées en avaient profité). Il est encore fréquent pour les employeurs d’éviter d’embaucher ou de trouver un moyen de licencier des femmes susceptibles d'avoir des obligations maternelles. D’autres pratiques courantes consistent à se renseigner sur leurs projets et les soumettre à des conditions contractuelles illégales, ou encore, lorsqu’elles sont enceintes, à les forcer à démissionner en leur assignant des tâches trop lourdes.192 L’on peut comprendre dans ce cadre qu’il soit encore plus difficile pour des migrantes de faire valoir leurs droits et qu’elles décident ainsi de ne contracter aucune assurance maternité. C. SANTÉ À côté des pauvres conditions de travail et du manque d’accès à la sécurité sociale, un autre domaine affecté par le système du hukou est la santé. La relation entre la migration intérieure en Chine et les risques sanitaires a donné lieu à une littérature abondante. Les migrants et leur famille représentent en effet un groupe vulnérable, dû notamment au manque d’accès aux services et aux systèmes d’assurance santé, 189 WANG J., op.cit. FROISSART C., op.cit., p.152. 191 Cf. les articles 55 et 56 de la Loi sur les assurances sociales. In: People’s Republic of China’s Standing Committee of the National People’s Congress, (c) op.cit. 192 “China’s Social Security System”, op.cit. 190 52 aux pauvres conditions de travail et de vie, à une connaissance limitée des risques liés à la santé, des maladies et des moyens de prévention, et enfin, à leur faible statut socioéconomique : Wei X. et al ont comparé les quatre groupes de résidents dans une même localité, à savoir les résidents urbains et ruraux locaux, et les migrants urbains et ruraux. Ils confirment dans la conclusion de leur étude que le groupe le plus désavantagé en matière de connaissance et d’utilisation des services de santé est bien le groupe des 193 migrants ruraux. Il a été démontré que leur taux d’immunisation est plus faible et qu’ils sont plus à risque de contracter des maladies infectieuses (entre autres, la tuberculose, la malaria, l’hépatite, la rougeole,…) et plus exposés aux maladies professionnelles.194 Le taux de mortalité maternelle parmi la population migrante est également plus élevé : En 2005 à Shanghai, il a été estimé à 48 décès pour 100.000 naissances vivantes contre 1,64/100.000 pour la population urbaine locale. La raison principale étant une sous-utilisation des services en ville, elle-même causée par la contrainte économique et l’incapacité de payer, le manque de connaissances et de sensibilisation aux problèmes de santé, un manque d’information et d’accessibilité aux services, enfin, les contraintes politiques et institutionnelles, telles que l’absence d’assurance santé.195 En outre, les stéréotypes négatifs qu’il existe à l’encontre de la population migrante semblent jouer un rôle dans l’accès égal aux traitements : « [S]tereotyping by public health professionals of floating populations that depicts them as having ‘poor sanitary habits, poor immune systems, irresponsible risk behaviours, and to have failed to obtain vaccinations for themselves or their children’ has denied migrant from getting health services needed to mitigate the spread of infectious disease. More efforts are needed facilitate targeted prevention programmes by elimination of restrictive residence-based eligibility criteria for 196 access to health services. » À cet effet, le gouvernement central, via les différents ministères concernés, a montré en 2009 sa volonté d’améliorer la situation lors de la publication des « Propositions WEI X., et al, “Comparing Knowledge and Use of Health Services of Migrants from Rural and Urban Areas in Kunming City, China”, Journal of Biosocial Science, 2010, vol.XLII, pp.743-756. 194 BARBER S., YAO L., op.cit., pp.22-23 ; MOU J., et al, (a) “Health of China’s rural-urban migrants and their families: a review of literature from 2000 to 2012”, British Medical Bulletin, 2013, n°106, p.22 ; SHI Y., et al, “Lack of health risk awareness in low-income Chinese youth migrants: assessment and associated factors”, Environmental Health and Preventive Medicine, 2012, vol.XVII, pp.385-393. 195 ZHENG Z., et al, Reproductive Health and Access to Services among Rural-to-Urban Migrants in China, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°4, 2013, pp.4-5. 196 MASON K., 2012, cité dans : MOU J., et al, (a), op.cit., p.24. 193 53 sur la promotion de l'égalisation des services primaires de santé publique » et du « Protocole national des services de santé publique ». Les deux documents appelaient l’ensemble des services de santé publique à améliorer leur accessibilité à tous les résidents, y compris les migrants. La mise en place opérationnelle des principes dictés relevait toutefois de la décision des autorités locales. 197 1. Les maladies infectieuses et transmissibles Dans un souci de protection de la santé publique, les chercheurs qui plaident pour une meilleure prise en charge des migrants au niveau des maladies infectieuses, mettent en avant le fait que celle-ci bénéficierait à l’ensemble de la population et préviendrait le déclenchement d’épidémies. En effet, la grande mobilité des migrants ne permet pas d’assurer leur suivi (dans 86,3% des cas pour la tuberculose, par exemple) et engendre ainsi le risque qu’ils deviennent vecteurs de maladies entre les différentes zones urbaines où ils circulent, mais aussi à leur retour en zone rurale. 198 Une théorie afin de lutter efficacement contre la transmission des maladies promeut la mise en place d’une politique axée sur les cinq phases de la migration : avant le départ, durant le voyage, à destination, en détention (pour les migrants illégaux), et au retour (cf. Annexe 7).199 Mise à part la vaccination dans le milieu scolaire, des sessions d’information sur la santé paraissent être un des meilleurs moyens de prévention. Des projets ont déjà vu le jour, notamment dans les provinces les plus touchées par l’émigration. Les organisations non gouvernementales jouent également un rôle bénéfique dans la sensibilisation à la santé auprès des migrants, dans la localité de départ comme à destination (à Shenzhen, par exemple). 200 Une solution avancée pour améliorer l’accès aux services à destination est de régulariser les centres de santé informels (souvent ouverts par des migrants eux-mêmes) dans lesquels la plupart des migrants se rendent pour des raisons économiques et faute d’assurance santé.201 197 ZHENG Z., et al, op.cit., p.14. STRAND M., et al, “Presence and Awareness of Infectious Disease among Chinese Migrant Workers”, International Quarterly of Community Health Education, 2007, vol.XXVI, n°4, pp.379395. 199 Théorie développée par Zimmerman et al, 2011, cité dans : TUCKER J. D., et al, The Influence of Migration on the Burden of and Response to Infectious Disease Threats in China, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°3, 2013, pp.1-12. 200 XIANG B., (b) “Migration and Health in China: Problems, Obstacles and Solutions”, Asian MetaCenter, 2004, n°17, pp.25-26. 201 XIANG B., (b) op.cit., pp.26-27 ; ZHANG Z., “The Health Status of Migrant Workers in China”, Harvard University: Cambridge (Massachusetts), 20 January 2014, [online access]: http://hir.harvard.edu/the-health-status-of-migrant-workers-in-china, dernière consultation le 25 mai 2015. 198 54 Concernant les maladies et infections sexuellement transmissibles, de nombreuses recherches relatives aux comportements et aux connaissances des migrants ont été effectuées. D’après les résultats, malgré une prévalence relativement modérée, la population migrante présente tout de même un comportement à risque plus élevé : Les femmes travaillent souvent dans des salons de beauté, centres de massage et discothèques, soit des environnements propices aux activités sexuelles commerciales.202 20% des travailleurs migrants y auraient d’ailleurs déjà pris part.203 De plus, l’usage du préservatif est peu élevé parmi les migrants (68% déclarent ne jamais l’utiliser), bien qu’ils fassent preuve d’une bonne connaissance quant à la transmission du VIH/SIDA. Et pourtant, plus d’un tiers (35,2%) des migrants interrogés croyaient à tort que le SIDA est une maladie guérissable.204 En ville, les résidents locaux affectés par le VIH/SIDA sont pris en charge gratuitement. En raison du coût élevé que cela représente pour les autorités locales, les travailleurs temporaires n’ont donc pas accès à ces services. 205 Les efforts de prévention contre le VIH ont longtemps ignoré la population migrante. Parmi celleci, moins de 1% seulement aurait été atteinte par les programmes de prévention actuels. Par ailleurs, les systèmes de surveillance n’incluent pas toujours les migrants.206 2. La santé nutritionnelle Des chercheurs ont en outre démontré le lien qu’il existe entre l’état nutritionnel et sanitaire des migrants et leurs revenus : « [Adequate meals and rest] are often ignored by both migrant workers themselves and their employers who provide meals and demand overtime work because of economic pressure »207. Tout d’abord, il a été constaté que les travailleurs dans le secteur de la construction ne peuvent s’alimenter aux heures indiquées. Ensuite, par souci d’économie ou par manque de sensibilisation, le repas du midi qui est fourni en général par l’employeur ne répond pas aux besoins nutritionnels des employés. Par ailleurs, ces derniers n’attachent eux-mêmes pas assez d’importance au dernier repas de la journée, en raison de fausses croyances personnelles. Enfin, le salaire étant remis à la fin du mois (sans tenir compte des retards et impayés), leur productivité du mois affectera WANG W., et al, “Prevalence and Risks for Sexually Transmitted Infections Among a National Sample of Migrants vs. Non-migrants in China”, International Journal of STD and AIDS, 2010, vol.XXI, n°6, pp.410-415. 203 TUCKER J. D., et al, op.cit., p.5. Rappelons tout de même que, au même titre que la toxicomanie, la prostitution est une pratique illégale en Chine. 204 STRAND M., et al, op.cit., pp.386-387. 205 MOU J., et al, (a) op.cit., pp.23-24. 206 TUCKER J. D., et al, op.cit., p.7. 207 ZHENG S., et al, “Do Nutrition and Health Affect Migrant Workers’ Incomes? Some Evidence from Beijing, China”, China & World Economy, 2010, vol.XVIII, n°5, p.121. 202 55 leur salaire et donc les dépenses qu’ils pourront effectuer le mois suivant en matière d’alimentation et de santé. Afin de permettre aux migrants d’exercer au mieux leur travail, grâce à un meilleur état nutritionnel et une meilleure santé, et ainsi augmenter leurs revenus (notamment via les primes), l’étude conclut à la nécessité de programmes éducationnels à cet égard, d’autant plus que ceux-ci seraient non seulement faciles à mettre en place mais aussi rentables.208 3. La santé mentale La santé mentale est elle aussi affectée lors de la migration. Les causes sont multiples : l’intégration difficile dans la vie urbaine, l’insatisfaction au travail, mais également la charge de travail, le stress causé par la situation économique, la séparation familiale, la discrimination… Les symptômes sont divers et parmi les plus communs se trouvent notamment l’insomnie et la dépression : Cette dernière toucherait en effet plus d’un cinquième des migrants209, la prévalence étant toutefois moins élevée dans la tranche d’âge moyen et lorsque la période de migration est inférieure à 6 mois. Notons qu’un niveau d’instruction plus élevé augmente le risque de développer des symptômes de la dépression, en raison du décalage entre les attentes (de la part du migrant ou de ses proches) et la réalité ressentie comme : « being trapped as a migrant worker ». Plus un migrant est mobile (et donc plus courts sont ses séjours, plus instable et précaire est sa situation), plus il sera enclin à être affecté par la dépression. Remarquons enfin que les deux genres sont concernés par le problème, sans distinction significative. La présence de la famille a une influence positive, mais plutôt au début de la période de migration.210 Ce mal-être constant explique sans doute aussi les taux élevés de suicides et de tentatives de suicide chez les migrants : « My daughter cannot get married. She went out to work when she was 15 and now has severe psychological problems due to the long period of time she spent working in the city and dealing with the stress of work and daily life. She is now at home and cannot work anymore. She started a fire in the house twice, almost killing herself. I had to hold her when she felt bad. She sometimes does not even recognize me. » 211 Id., pp.105-124. Voir aussi : LU L., et al, “Health-Related Quality of Life and Its Correlates among Chinese Migrants in Small- and Medium-Sized Enterprises in Two Cities of Guangdong”, Public Library of Science (PLoS) ONE, 2014, vol.IX, n°1, 10 p. 209 Résultat conclu par deux etudes : MOU J., et al, (b) “Internal Migration and Depressive Symptoms among Migrant Factory Workers in Shenzhen, China”, Journal of Community Psychology, 2011, vol.XXXIX, n°2, pp.212-230. QIU P., et al, “Depression and Associated Factors in Internal Migrant Workers in China”, Journal of Affective Disorders, 2011, vol.CXXXIV, n°1-3, pp.198-207. 210 MOU J., et al, (b) op.cit. 211 CHEN C., et al, op.cit., p.14. 208 56 Les problèmes évoqués ci-dessus surviennent également parmi la population d’enfants de migrants, qu’ils soient avec leurs parents en ville, ou qu’ils aient été laissés à la campagne (cf. infra).212 4. Les comportements à risque Enfin, d’autres comportements à risque tels que la consommation d’alcool, de drogue et de tabac ont également fait l’objet d’études au sein de la population migrante. Tel que le remarque l’une d’elles : « Discrimination, rapid mobility, instability of living and employment conditions, and increased influence of urban lifestyle are all factors that likely contribute to increased vulnerability to tobacco use and other risk behaviors. »213 Tel l’ont confirmé plusieurs études, la consommation de tabac est en effet significativement plus élevée chez les migrants :214 La prévalence du tabagisme parmi les migrants varie entre 19% et 27%, selon la localité et le secteur de travail. Au quotidien, le tabac est davantage consommé par les hommes et associé à la consommation d’alcool pour les plus gros fumeurs, ainsi qu’à l’usage d’internet, via les cybercafés.215 D. INSTRUCTION SCOLAIRE Comme nous l’avons énoncé dans le chapitre antérieur, le milieu des années 1990 correspond à une intensification des mouvements migratoires, avec, entre autres, des migrations familiales.216 En 2004, le nombre d’enfants de migrants en zone urbaine a été estimé allant de 2 à 6 millions sur l’ensemble du territoire chinois. 217 Ce chiffre ne cessant d’évoluer, se pose alors la question de leur instruction. En effet, neuf années de scolarité sont obligatoires en Chine, comprenant six ans d’école primaire et trois ans de collège (premier cycle de l’école secondaire). 218 Pourtant, jusqu’alors, MOU J., et al, (a) op.cit., pp.25-26 ; YANG T. et al, “Mental Health Status and Related Characteristics of Chinese Male Rural–Urban Migrant Workers”, Community Mental Health Journal, 2011, vol XLVIII, n°3, pp.342-351. 213 FINCH K., et al, “Smoking Knowledge, Attitudes, and Behaviors Among Rural-to-Urban Migrant Women in Beijing, China”, Asia-Pacific Journal of Public Health (APJPH), 2010, vol. XXII, n°3, pp.342-353. 214 Voir notamment : CUI X., et al, “Work stress, life stress, and smoking among rural–urban migrant workers in China”, BioMed Central Public Health, 2012, vol.XII, pp.979-986. 215 MOU J., et al, (c) “Tobacco Smoking Among Migrant Factory Workers in Shenzhen, China”, Nicotine and Tobacco Research – Oxford Journal, 2012, vol.XV, n°1, pp.69-76. 216 Voir également SOLINGER D., op.cit., cité dans : WANG J., op.cit., p.57. 217 KWONG, 2004, cité dans : WANG J., op.cit. 218 Cf. article 2 de la Loi sur l’instruction obligatoire, adoptée en 1986, et l’article 18 de la Loi sur l’éducation de 1995. Il est également indiqué que tous doivent œuvrer en faveur de cette mesure, aussi bien les autorités gouvernementales, à tous les niveaux, que les parents et tuteurs des enfants. In : 212 57 l’instruction publique était inaccessible aux enfants qui ne possédaient pas de hukou local.219 Cela va pourtant à l’encontre des objectifs d’un pays communiste comme le remarque Benson : « L’un des objectifs de la RPC [République populaire de Chine] était d’offrir une formation à tous ses citoyens. Les efforts en ce sens remontent aux années cinquante mais furent interrompus par les campagnes politiques et économiques. Des progrès furent accomplis néanmoins avec la réduction du taux d’analphabétisme des adultes et la scolarisation de tous les garçons et toutes les filles à l’école primaire. » Quant à l’obligation scolaire, elle ajoute : « de manière non officielle, beaucoup d’enfants ont commencé à l’école primaire sans jamais la terminer, en partie parce que durant l’ère des réformes, les écoles de tous les niveaux se mirent à réclamer un minerval. […] les familles les plus pauvres eurent tendance à retirer leurs enfants – leurs filles en général – de l’école après quelques années seulement. »220 En 1996, afin de faire appliquer l’obligation scolaire à la population migrante, la Commission d’État pour l’Éducation (par la suite le Ministère de l’Éducation) publia un règlement qui visait à restreindre la migration des enfants en âge scolaire, via l’aide de la police en charge du hukou.221 L’accès à l’instruction est un droit fondamental pour lequel nombreux sont les migrants et intellectuels prêts à se mobiliser car il représente une opportunité unique pour les groupes défavorisés d’améliorer leur condition sociale. Reconnaissant les bénéfices que la scolarisation peut apporter au développement de la nation ainsi qu’à la stabilité sociale (mais sans doute aussi en raison d’une pression internationale)222, le gouvernement chinois s’est ensuite montré plus ouvert face à cette problématique. Ainsi, des directives centrales ont été publiées afin de permettre aux enfants des migrants d’étudier en ville. En 1998, les « Mesures provisoires pour la scolarisation des enfants et adolescents issus de la population flottante » appelaient toutes les municipalités à organiser des classes pour les enfants migrants dans les écoles publiques, moyennant des charges People’s Republic of China’s National People's Congress, Compulsory Education Law of the People's Republic of China, 12 April 1986, Presidential Order No. 38, available at: http://www.china.org.cn/english/government/207401.htm ; People’s Republic of China’s National People’s Congress, Education Law of the People's Republic of China, 18 March 1995, Presidential Order No. 45, available at: http://www.china.org.cn/english/education/184669.htm. 219 WANG J., op.cit., p.58. 220 BENSON L., op.cit, pp.127-128. 221 WANG F.-L., op.cit., p.193. 222 Notamment les inspections effectuées par des rapporteurs des Nations Unies. La Chine a en effet signé et ratifié des conventions internationales dans lesquelles sont explicitement mentionnés les droits à l’éducation ; elle fut ainsi rappelée à l’ordre afin de les mettre en application. In : FROISSART C., op.cit., pp.281-283. 58 additionnelles raisonnables (et à condition que ceux-ci résident en ville depuis plus de 6 mois et n’aient aucun proche parent ou tuteur qui puisse s’en occuper à la campagne.) 223 En outre, le document légalisait les écoles privées réservées aux migrants, qui avaient vu le jour depuis la décennie quatre-vingt-dix mais se voyaient constamment fermées par les autorités locales : En effet, tenues par des migrants non professionnels, et parfois même illettrés, ces écoles privées présentaient des conditions tellement pauvres que les autorités préféraient les fermer pour ne pas être tenues responsables, comme indiqué légalement, en cas d’accidents tels que l’effondrement du bâtiment ou une intoxication alimentaire. Une école primaire pour migrants à Pékin a ainsi changé 224 trois fois de lieu en trois mois de temps. Toutefois, la réglementation fut loin d’être appliquée par tous. Dans la plupart des cas, les institutions ont imposé des frais supplémentaires élevés à des fins de dissuasion (un coût annuel de 1080 à 2580 yuans à Pékin, de 160 à 380 euros), alors qu’une majorité de familles migrantes ne possédaient même pas les moyens financiers pour couvrir l’inscription d’une école privée (entre 300 et 600 yuans par an, de 44 à 88 euros). À titre d’exemple, entre 1999 et 2000 à Pékin, sur les 100.000 enfants de migrants 225 que comptait la ville, 87,5% n’avaient accès à aucune institution scolaire. Et en 2004 au niveau national, sur 20 millions d’enfants migrants, deux tiers n’avaient toujours pas accès à l’instruction publique.226 En 2001, le Conseil d’État publiait sa « Décision pour la réforme et le développement de l’instruction élémentaire », rappelant à nouveau les principes à suivre afin de rendre l’instruction accessible à tous en zone urbaine. Toutefois, l’intégration des enfants migrants dans les établissements publics, signifiait également un coût supplémentaire à la charge des autorités locales qu’elles n’étaient pas prêtes à assumer, la gestion du financement public ayant été décentralisée, tandis que l’État central lui-même n’alloue environ que 2% du PNB à l’éducation227 : « […] as part of the wider agenda of decentralising its public finance management, China reformed its educational system in 1985 such that different levels of government would be responsible for the provision, supervision and financing of education. Budget allocation is based strictly on the assumption that public 223 Ibid. XIANG B., (a) “How Far are the Left-Behind Left Behind? A Preliminary Study in Rural China”, Population Space Place, 2007, n°13, pp.181-182. 225 WANG F.-L., op.cit., pp.193-194. 226 BASTID-BRUGUIERE, cité dans : WANG J., op.cit., pp.59-60. 227 FROISSART C., op.cit., pp.282-284. 224 59 education is for the hukou population only. Although it is self-evident that migrant parents are contributing to the local revenue, the local government could argue that serving migrants would violate budget regulations. » 228 Conscient des défis encore présents, le Conseil d’État formula en 2003 un « Avis pour améliorer l’instruction obligatoire des enfants de travailleurs migrants » qui insistait pour que celle-ci soit intégrée dans les plans de développement locaux et que les autorités locales dégagent des fonds en vue de réduire la charge financière incombée aux familles migrantes et d’ouvrir de nouvelles écoles destinée à leurs enfants. L’année suivante, l’Assemblée populaire nationale abolissait en outre toutes les taxes relatives à la scolarité.229 Qu’importe leur nombre, les politiques centrales n’ont pas abouti à un développement homogène de l’accès à l’instruction parmi la population des enfants migrants. Les mesures qui ont suivi aux niveaux provinciaux et municipaux ont été fort variées. Si des écoles ont été construites afin d’accueillir les migrants, celles-ci se situent souvent dans les banlieues et présentent des conditions inférieures en comparaison aux établissements locaux. Quoi qu’il en soit, le fardeau financier serait bien trop lourd pour les localités qui accueillent le plus grand nombre de familles migrantes : C’est le cas notamment pour la province de Canton qui devrait, dans l’idéal, pouvoir offrir une place dans un établissement scolaire à plus d’un million d’enfants. Quand bien même les villes seraient capables d’accueillir l’ensemble des enfants, une autre raison les retient d’investir trop dans l’accès à l’instruction : la peur d’attirer davantage de familles. « In Suzhou City, for instance, there is an annual increase of about 50,000 children of migrant rural workers. If 1,000 children were to be accommodated in one school, there would be a need to build 50 schools every year in just one city. The city is capable of accomplishing such a task but is concerned that this would lead to a further rapid increase in the influx of further migrants with children. » 230 Cela explique également le fait que dans de nombreux cas, étant incapables de les accueillir tous, les municipalités imposent des conditions telles que seuls les enfants des familles migrantes plus stables et plus aisées peuvent accéder à l’éducation publique. Ceux-ci doivent par exemple fournir un certificat de résidence temporaire, 228 XIANG B., (a) op.cit., p.181. WANG J., op.cit., pp.58-59. 230 Human Development Report China 2007/08: Access for All – Basic Public Services for 1.3 billion people, Beijing: United Nations Development Programme (UNDP) China – China Institute for Reform and Development, 2008, p.108. 229 60 une attestation d’emploi, un permis d’instruction (entre autres à Pékin, où les autorités ne l’accordent qu’à un seul enfant par famille), …231 Ces conditions favorisent en réalité les migrants qui possèdent un hukou urbain. Les autorités jouent d’ailleurs sur cette ambigüité terminologique en avançant des chiffres mirobolants d’enfants migrants désormais intégrés dans les écoles publiques, mais, en réalité, il s’agit en grande partie de migrants urbains, qui ne sont pas les plus vulnérables. 232 Par exemple dans l’extrait suivant, le type de migrants n’est pas précisé : « Grâce à l'aide financière de l'autorité centrale, 13,94 millions d'élèves accompagnant leurs parents travailleurs migrants ont pu suivre l'enseignement obligatoire dans les villes où ceux-ci sont installés […]. » 233 Par ailleurs, l’exemption des taxes de scolarité temporaire n’est appliquée que dans une minorité des cas, sur présentation de certains documents qui éliminent ainsi une majorité des enfants. Froissart note à ce propos : « Comme les réformes du hukou et de la sécurité sociale, [cette mesure] sert une politique d’immigration sélective qui approfondit la stratification sociale dans la mesure où elle favorise l’élite. Elle permet aussi à l’État de rassoir son contrôle sur l’économie et la société : la demande d’avis d’imposition et de contrat de travail sert une reprise en main de l’économie informelle, celle de permis de résidence favorise le contrôle social ; aussi cette politique a-t-elle sans aucun doute encouragé une partie des migrants à régulariser leur situation. »234 Quant à la légalisation et régularisation des écoles privées destinées aux enfants migrants, elles n’ont parfois tout simplement pas été mises en œuvre, ou seulement un instant : À Chengdu, en 2004, la situation d’une école avait attiré l’attention des médias officiels et locaux, qui avaient ainsi suivi les négociations avec les autorités municipales dans le cadre de sa régularisation annoncée. La vague médiatique passée, l’école a finalement été fermée, pénalisant plus de 700 élèves et les propriétaires qui s’étaient endettés pour investir plus d’un million de yuans (150.000 euros) dans les infrastructures. Le cas n’est pourtant pas unique et est encore loin d’illustrer les vastes campagnes de fermeture qui ont eu lieu dans les métropoles de Pékin et de Shanghai.235 Pour les enfants migrants qui parviendraient à obtenir une place subsidiée dans une école publique, celle-ci est assurée seulement jusqu’à la fin de la période obligatoire. À partir du lycée, les frais doivent à nouveau être entièrement pris en charge par les 231 WANG J., op.cit., pp.59-60. FROISSART C., op.cit., p.305. 233 « Texte intégral du Rapport sur les budgets central et locaux – III) Exécution du budget en 2013 », Agence de Presse Xinhua : Beijing, 15 mars 2014, [accès en ligne], http://french.xinhuanet.com/chine/2014-03/15/c_133188687_3.htm, dernière consultation le 10 juin 2015. 234 FROISSART C., op.cit. 235 Id., pp.306-309. 232 61 familles, ainsi, dans la majorité des cas, les enfants se voient contraints d’abandonner l’école ou de rentrer dans leur ville natale poursuivre leur éducation. Et s’il leur était possible de continuer leur formation en zone urbaine, les examens d’entrée au lycée et à l’université se tenant automatiquement dans le lieu d’enregistrement du hukou, ils n’auraient d’autre choix que de retourner à deux reprises dans leur ville natale afin de passer ces épreuves. En outre, les programmes de cours variant selon les localités, les examens des zones rurales sont reconnus pour être plus sélectifs :236 « [T]he entire school enrolment system is also place-based. This also leads to discrepancies between what migrant students have studied in the place of destination and the examinations that they take in the place of origin. »237 Récemment, des efforts ont été fournis et, dans son dernier rapport d’activités, le gouvernement central montre sa volonté de diminuer les inégalités relatives à l’instruction : « L'égalité des chances dans l'éducation a poursuivi sa marche en avant. […] Le nombre de provinces où les enfants de paysans venus travailler en ville peuvent s'inscrire au gaokao [concours national d'entrée à l'université] dans la ville où sont employés leurs parents a été porté à 28. Pour la deuxième année consécutive, le nombre des élèves provenant de régions rurales pauvres admis dans une école supérieure de premier ordre a progressé de plus de 10%. Grâce à nos efforts, les dépenses budgétaires destinées à l'éducation ont atteint plus de 4% du PIB. »238 E. LES « LEFT-BEHIND » Nous nous devons enfin d’évoquer une dernière conséquence du système du hukou sur les familles chinoises : les « left-behind » ou les membres qui ont été « laissés derrière » par les migrants. Trois groupes en sont victimes, surnommés en chinois « l’armée 38-61-99 » : il s’agit des femmes (mariées) (célébrées le 8 mars), des enfants (célébrés le 1er juin) et des personnes âgées (célébrées le 9 septembre en Chine) qui « occupent » les campagnes. En effet, il est souvent difficile pour les migrants d’emmener leur famille en ville : le système du hukou, nous l’avons vu, les poussent souvent à s’engager dans des emplois informels et précaires où ils ne 236 FROISSART C., op.cit., p.308. XIANG B., (a) op.cit., p.182. 238 « Texte intégral : Rapport d'activité du gouvernement 2015 », Agence de Presse Xinhua : Beijing, 16 mars 2015, [accès en ligne], http://french.xinhuanet.com/chine/2015-03/16/c_134071651_3.htm, dernière consultation le 25 juillet 2015. 237 62 jouissent ni de salaires sûrs ni d’avantages sociaux. Leur situation est instable, et ils changent souvent de localité, à la recherche de nouvelles opportunités. 239 Actuellement, le nombre d’enfants laissés seuls dans les campagnes est estimé à plus de 61 millions.240 Le Comité des Nations Unies pour les droits économiques et sociaux (Comité DESC) a d’ailleurs insisté sur ce problème, exprimant sa profonde inquiétude dans ses observations finales de 2014 : « The Committee urges the State party to take all necessary effective family-support measures to avoid the separation of children from their family environment and to ensure that children, particularly those from rural areas, can be raised by their parents. »241 Le phénomène préoccupe d’ailleurs l’ensemble de la population chinoise, alertée notamment lors d’un scandale de lait frelaté en 2004242 qui a davantage touché les enfants d’Anhui, figurant parmi les provinces qui comptent le plus grand nombre de parents migrants.243 En effet, les médias rapportent souvent des drames qui surviennent dans les campagnes en raison de leur absence (viols, accidents mortels…). Un discours prônant la famille a ainsi vu le jour, soulignant que « leaving one’s children behind [is] a sin » ou encore que « mothers have no excuse whatsoever to leave children behind ».244 Conscients de leur devoir parental, qui est aussi une des raisons de leur migration, les parents se trouvent face à dilemme comme le décrit ce témoignage : « All I am doing now is for the children. But when you are away earning money for them, they learn all the bad things. [But] if I stay home, who is going to earn the money? ».245 239 Le terme en chinois 留守者, liushouzhe, désigne plutôt « ceux qui restent », sous-entendant « ceux qui attendent le retour des migrants ». In : XIANG B., (a) op.cit., p.181. 240 They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, Beijing: Center for Child Rights and Corporate Social Responsibility (CCR CSR), 2013, p.7. 241 UN Committee on Economic, Social and Cultural Rights (CESCR), (b) op.cit. 242 Entre 2003 et 2004, près de 200 nourrissons laissés à la campagne par leurs parents migrants ont souffert de malnutrition sévère (et plusieurs dizaines en seraient morts), en raison d’un lait de mauvaise qualité et peu cher administré pour la plupart des cas par les grands-parents peu éduqués (eux-mêmes « laissés derrière »), qui furent lents à réagir aux symptômes. In : XIANG B., (a) op.cit., p.180 ; WATTS J., “Chinese baby milk blamed for 50 deaths”, The Guardian: London, 21 April 2004, [online access], http://www.theguardian.com/world/2004/apr/21/china.jonathanwatts, dernière consultation le 4 juin 2015. 243 Par exemple, une enquête menée dans une école primaire de la province, dans la ville de Tian Chang, a révélé que dans 58,5% des cas, un des deux parents était absent, et 37,2%, les deux parents avaient migré. In : QIAN M., 2004, cité dans : XIANG B., (a) op.cit., p.185. 244 XIANG B., (a) op.cit. 245 Id., p.180. 63 Paradoxalement, la première raison pour laquelle les migrants décident de ne pas emmener leurs enfants en ville est le manque de temps pour pouvoir s’en occuper.246 Il leur est difficile de trouver un équilibre entre les besoins financiers de la famille et les besoins personnels de leurs enfants, dû également au manque d’un système d’aide sociale dans les localités d’origine. Selon une étude, la majorité (60%) des migrants confirment que la migration a un impact positif sur leur situation économique.247 Les conséquences pour les enfants « left-behind », âgés en moyenne entre 2 et 6 ans, sont nombreuses, tant aux niveaux psychologique, comportemental, qu’éducationnel : Après de longs mois ou de longues années généralement pris en charge par leurs grands-parents ou un proche parent, les enfants rejettent leurs parents, montrent des comportements extrêmes soit très agressifs, soit introvertis, et ont du mal à communiquer, à se socialiser. Ils souffrent d’anxiété, de dépression, d’une faible estime de soi, et ont tendance à être pessimistes. Cela se reflète également dans leurs résultats scolaires : le taux de décrochage étant plus élevé parmi ce groupe d’enfants.248 Le fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a lui-même mis en place, avec ses partenaires, un programme destiné aux enfants « left-behind » et continue de plaider pour une meilleure prise en charge du problème :249 « Children left behind by migration suffer the burdens of separation. Many see their parents rarely – often only once a year. Some live with grandparents who have limited ability to care for young children. Ten percent of left-behind children live on their own, or without any family members. These left-behind children lack care, protection and guidance. The risks they face are both psychological and physical. Their rates of childhood injury and accidental death are higher than that of their peers. »250 Toutefois, des études comparatives démontrent que les enfants dont les parents sont présents n’obtiennent pas de si meilleurs résultats à l’école et sont presqu’aussi enclin à développer des problèmes comportementaux et psychologiques. Certains They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, op.cit., p.28. 247 Id., p.8; p.16. 248 XIANG B., (a) op.cit., pp.181-182 ; pp.185-186 ; They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, op.cit., p.7 ; p.14 ; p.20 ; pp.25-26. 249 “UN CALLING ASIA: "Left-behind" children growing up alone in China”, United Nations Radio: New York, 6 February 2015, [online access], http://www.unmultimedia.org/radio/english/2015/02/uncalling-asia-left-behind-children-growing-up-alone-in-china/#.VXGYaEaExrk, dernière consultation le 4 juin 2015. 250 “Our Priorities – Children Affected by Migration”, UNICEF China: Beijing, [online access], http://www.unicef.cn/en/index.php?m=content&c=index&a=lists&catid=130, dernière consultation le 4 juin 2015. 246 64 argumentent que le nœud du problème réside dans le fait que l’ensemble des zones rurales a été abandonné : Ce sont les conséquences d’un manque de financement dans les services de base, notamment l’éducation. Les enfants sont également « abandonnés » par les enseignants, qui préfèrent se rendre en ville, leur salaire et emploi à la campagne n’étant pas garantis.251 Quant aux deux autres groupes « left-behind », les impacts de la migration sont différents. D’une part, les personnes âgées : plus de 70% de la population de plus de 60 ans vivait en zone rurale.252 Réticentes à l’idée de devenir un fardeau pour leurs enfants (et ce même lorsque l’enfant mène une vie plus aisée), celles-ci travaillent en général jusqu’à ce que la santé ne le leur permette vraiment plus, parfois au-delà des 70 ans. 253 Selon les résultats d’une étude menée dans 6 provinces chinoises, les personnes dont les enfants ont migré travaillent en effet davantage. Cependant, il n’est pas possible de conclure que la migration influe négativement sur le bien-être des anciens, car la bonne santé et la capacité d’un parent âgé à pouvoir travailler est prise en compte dans la décision de migrer. 254 Ainsi, la tendance serait plutôt inversée : si la santé d’un parent est mauvaise, l’enfant décide de ne pas migrer ou d’interrompre sa migration : “The worker often ha[s] no choice but to return home in order to take care for their own ailing parents – who in turn often serve as the main caregivers fo the left-behind children. As one of the factory managers stated in the interview “more than 70% of staff eventually resign to go home and look after their parents”.” 255 En outre, les personnes dont les enfants ont migré se sentiraient certes plus seules, mais plus satisfaites : 251 XIANG B., (a) op.cit., p.181; p.186. Id., p.183. 253 Rappelons que les traditions chinoises ont été bouleversées, notamment avec la réforme de la politique de planification familiale au début des années 1970. Les parents ont eu moins d’enfants qui puissent les soutenir, parfois aucun fils, ou même, s’ils ont eu un enfant, certains ne peuvent ou ne veulent pas se charger de leurs vieux parents. De plus, les parents ne peuvent s’appuyer sur une allocation de retraite, en raison du faible système de sécurité sociale comme nous l’avons vu plus haut. In : PANG L., et al, “Working until You Drop: The Elderly of Rural China”, The China Journal, 2004, n° 52, pp.73-94. 254 Ibid. 255 They Are Also Parents – A Study on Migrant Workers with Left-behind Children in China, op.cit., p.36. 252 65 L’accès à la terre leur assure en effet une sécurité économique minimale et s’ils reçoivent en outre une petite somme de leur enfant, cela ne leur procurera que davantage de sécurité et donc de satisfaction : « even a marginal increase in cash contributions from the children can lead to great monetary security and thus more emotional satisfaction. »256 D’ailleurs, les migrants et leurs parents ont eux-mêmes trouvé des solutions, notamment la mise en place de « services sociaux payants » : Afin de ne pas accumuler d’obligations sociales excessives, les enfants migrants font régulièrement ou occasionnellement appel aux services d’autres membres du village, qu’ils vont rémunérer financièrement. Cela s’applique également entre les enfants 257 d’une même famille, dans le cas où les parents auraient eu plusieurs fils : celui qui migre et ne peut donc à son tour s’occuper de ses parents, défraie le frère qui le remplace.258 D’autre part, pour les femmes restées à la campagne, la migration de l’époux peutêtre vue comme une manière de valoriser sa part de responsabilité dans les revenus du foyer et ainsi une opportunité d’améliorer son statut via l’autonomisation. Cependant, d’aucuns y voient plutôt la réalisation d’une tradition patriarcale : « Before the girls are married, they have nothing to do at home, so they go to cities to work. After marriage, they have to do the housework for the in-laws. They can’t go anymore. »259 Contrairement à l’homme, le mariage influence la migration des femmes, la plupart d’entre elles migrant à la période prémaritale. À ce sujet, Pun Ngai écrit : « La famille patriarcale chinoise, bien qu’elle ait subi une transformation rapide au cours de la période des réformes, impose de fortes contraintes sur le déroulement de la vie des femmes chinoises rurales […]. La majorité des travailleuses migrantes, qui sont souvent jeunes et célibataires, ont XIANG B., (a) op.cit., pp.183-184. Ce résultat a été confirmé par une autre étude : “Migration also may benefit sending families via receipt of remittances. Receipt of remittances appears to partly compensate for the absence of family members, reducing the mental health costs by nearly half, so that they are no longer statistically significant.” In: LU Y. et al, “Migration and depressive symptoms in migrant-sending areas: findings from the survey of internal migration and health in China”, International Journal of Public Health, 2012, n°57, p.696. 257 Les filles, elles, s’en vont dans la belle-famille une fois mariée (cf. infra). 258 XIANG B., (a) op.cit., p.185. 259 Id., p.183. Outre le devoir familial et le système du hukou, un autre obstacle leur a été imposé par la politique de planification familiale chinoise : “Every married woman who doesn’t stay in her hometown, like this victim who works at another city, has to come back to her hometown regularly for a pregnancy check-up—required periodically to determine whether a woman is illegally pregnant.” Cette règle est strictement appliquée et toute infraction peut être durement réprimée, comme le témoigne un couple migrant : “We were beaten and illegally detained by the Family Planning Officials of Nanzhan Town Family Planning Office simply because we were one day late to report for a pregnancy check-up.” In : LITTLEJOHN R., China’s One Child Policy: New Evidence of Coercion Forced Abortion, Sterilization, Contraception And the Practice of “Implication”, California: Women’s Rights Without Frontiers, 2011, p.3. À Shanghai, une disposition a toutefois récemment été prise pour permettre aux femmes migrantes d’effectuer ces contrôles depuis leur lieu de résidence. Cf. note n°320. 256 66 encore à se battre pour prendre leurs propres décisions concernant le travail salarié et le mariage. L’intervalle de temps entre le milieu et la fin des vingt premières années d’une femme est typiquement le point où la famille décide si elle lui permet ou non de travailler en ville. […] Quitter le travail pour se marier et retourner à la vie villageoise est encore une caractéristique commune à la plupart des filles migrantes qui travaillent […]. »260 Des chercheurs ont également noté que l’implication croissante des femmes « leftbehind » dans l’agriculture (69,1% en 2004) s’explique non pas comme étant le résultat d’une autonomisation, mais plutôt par le fait que le secteur soit devenu marginal. Enfin, les migrants eux-mêmes renvoient à l’expression chinoise « Man are breadwinners, women are homemakers » ( 男主外,女主内, nan zhuwai, nü zhunei) pour justifier le phénomène de la femme « left-behind ».261 CONCLUSION Dans ce second chapitre, nous avons tout d’abord montré que le système d’enregistrement des ménages, dit « système du hukou », est un héritage de la Chine ancienne. Déjà à cette époque, il avait pour objectif d’assurer le contrôle social tout en soutenant les recettes publiques via l’imposition. Plus encore, il classifiait la population de manière socio-spatiale et définissait en fonction les droits des citoyens, notamment celui de circuler. Sous la République populaire de Mao, le système fut maintenu et le rôle qu’il jouait dans le secteur de la sécurité publique fut accentué. Avec l’arrivée des réformes économiques, des adaptations du système ont dû être mises en place. D’un côté, celui-ci devait permettre à la main-d’œuvre mobile de contribuer au développement du pays. D’un autre côté, sa gestion devait être renforcée afin que ces migrations ne perturbent pas l’équilibre démographique ni l’ordre public. Malgré une plus grande liberté de circulation accordée à des fins d’emploi, les conditions et services auxquels les migrants avaient accès demeuraient inférieurs à ceux dont jouissaient les résidents urbains locaux. Les migrants illégaux étaient chassés et malmenés par la police en charge et envoyés dans des centres de rapatriement. Alors que les barrières à la migration s’élevaient dans les années 1990, les grandes métropoles proposaient des alternatives pour attirer les migrants les plus cultivés, talentueux ou riches. 260 261 NGAI P., op.cit., pp.13-14. XIANG B., (a) op.cit., pp.182-183. 67 Le début du XXIe siècle a vu l’établissement de réformes en faveur des travailleurs ruraux : des législations contre les discriminations et des avancées en matière de protection des travailleurs, la suppression des quotas de transfert de hukou dans certaines villes de taille modérée, l’abolissement de la distinction entre le hukou agricole et non-agricole,… Cependant, la décentralisation de la gestion du système a permis à certaines zones urbaines de maintenir voire de renforcer les obstacles à l’intégration des ruraux. En effet, le hukou en tant que tel n’empêche pas la mobilité mais bien l’accès aux services et à la citoyenneté en milieu urbain. Le débat quant à l’abolition du système est peut-être ouvert, mais son issue paraît compromise par les intérêts politiques, sociaux et économiques des grandes métropoles et autres pôles de développement qui forment les destinations principales des migrants. Nous avons ensuite détaillé certaines inégalités qui touchent encore actuellement les migrants. Malgré les progrès récents en matière législative, les droits des travailleurs migrants demeurent bafoués. Que ce soit dans le secteur privé ou public, les employeurs profitent du peu de contrôle au niveau des conditions de travail ou des cotisations sociales pour garder les coûts de production les plus bas possibles aux dépens de la santé et du bien-être des travailleurs. Souvent employés dans un cadre informel, ils ne disposent d’aucun recours pour faire valoir leurs intérêts. Leur statut, leur mobilité et leur caractère temporaire les rendent vulnérables sur de nombreux aspects. Nous avons notamment étudié la question sanitaire : en raison d’un manque d’accès aux services, mais aussi faute de programmes de prévention et d’éducation en la matière, la population migrante est la plus exposée aux risques. La situation dans laquelle ils vivent en zone urbaine les affecte également mentalement. Cependant, les migrants eux-mêmes ne sont pas les seuls à souffrir du système discriminatoires. Leurs enfants ont difficilement accès à l’instruction publique en ville. Les autorités locales se sont montrées assez réticentes à adopter les dispositions prises au niveau central afin de faciliter cet accès étant donné que le financement serait à leur propre charge. Cela a conduit une majorité des migrants à se mouvoir sans leurs enfants, qui restent dès lors sous la responsabilité de leur épouse ou des grands-parents. Bien que les conséquences de cet abandon soient nettement plus notables chez les enfants, cette population, désignée sous le nom de « left-behind », souffre de cette politique de ségrégation unique à la Chine. D’aucuns argumentent 68 toutefois que l’ensemble des zones rurales paie aujourd’hui le prix d’un développement économique à deux vitesses. Dans le chapitre suivant et dernier, nous conclurons notre étude en présentant au lecteur une analyse plus locale de la problématique des migrants ruraux. 69 CHAPITRE TROISIÈME : ÉTUDE DE CAS LA PLACE DES MIGRANTS À SHANGHAI Après avoir détaillé l’origine du système du hukou et les inégalités qu’il induit, nous terminons par une étude de cas prenant place dans la ville de Shanghai. Nous présenterons d’abord brièvement celle-ci, son évolution rapide en termes urbanistiques, démographiques et socioéconomiques ainsi que la place accordée aux migrants dans cette grande métropole. Nous partagerons ensuite les résultats des entretiens que nous avons menés au mois de janvier 2015 auprès de huit organisations non gouvernementales engagées à améliorer l’intégration de la population migrante à Shanghai et en particulier l’instruction, l’éducation et la santé des enfants ayant accompagné leurs parents dans la ville. Divisée en trois parties, l’analyse portera sur la situation des organisations, de leurs bénéficiaires et enfin de l’environnement politique et social dans lequel elles agissent. SHANGHAI A. MODERNISATION FULGURANTE Capitale économique de la Chine et l’une des quatre municipalités relevant directement de l’autorité centrale262, Shanghai a connu une évolution incroyable ces vingt dernières années, une des plus rapides au monde, affichant une croissance économique à deux chiffres presque chaque année depuis 1992.263 La municipalité s’étend sur plus de 6300 km² et présente une forte densité de population qui s’élève à 3800 personnes/km².264 « En vingt ans, Shanghai a connu l'équivalent des aménagements haussmanniens, de la modernisation automobile et des restructurations postmodernes et contemporaines 265 de Paris, des années 1850 au début du XXIe siècle. » 262 Les trois autres étant Pékin, Tianjin et Chongqing. Shanghai comprend 18 districts et un comté (l’île de Chongming, la troisième île de Chine en termes de superficie). 263 “Shanghai Population 2015”, World Population Review: New York, 19 November 2014, [online access], http://worldpopulationreview.com/world-cities/shanghai-population/, dernière consultation le 15 juin 2015. 264 “Shanghai Statistical Yearbook 2014”, Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de Shanghai) : Shanghai, 2014, [accès en ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/data/toTjnj.xhtml?y=2014e, dernière consultation le 15 juillet 2015. 265 SANJUAN T., (b) « Shanghai : l'exemple d'une métropolisation accélérée », Constructif, 2010, n°26, 3 p. 70 Sa position stratégique en tant que ville côtière à l’embouchure du fleuve Yangzi ne pouvait que la propulser sur le devant de la scène économique. C’est d’ailleurs une des raisons de la présence étrangère dès les années 1840. Shanghai vécut à cette époque sa première urbanisation moderne avec l’implantation des concessions française et internationale et bientôt, la ville devint un centre financier et commercial majeur de l’Extrême-Orient. Un siècle plus tard, lors de la fondation de la République populaire en 1949, les secteurs manufacturiers et industriels furent développés afin de remettre sur pied l’économie nationale. De consommatrice, la ville se transforma en productrice, contribuant entre un dixième et un sixième de l’ensemble des recettes du pays. À l’ère des réformes en 1978, l’attention se dirigea toutefois principalement vers Shenzhen. Shanghai perdit de son importance dans l’économie nationale. Les conditions de vie à cette période se détériorèrent tandis que certains quartiers surpeuplés prenaient des allures de bidonvilles.266 C’est en 1991-1992 que les autorités centrales virent les capacités de développement que Shanghai offrait comme ouverture sur les provinces intérieures de la Vallée du Yangzi. Via le nouveau district de Pudong 267 , situé sur la rive est de la rivière Huangpu, la ville allait bientôt devenir un centre économique, financier et commercial international. Ces changements rapides ont notamment été permis grâce à la réforme du système fiscal, laissant plus d’autonomie au gouvernement local, et celle du système de logement, déchargeant les autorités de leurs obligations socialistes au profit du marché. Shanghai avait désormais les moyens de se construire une image moderne, en phase avec son importance retrouvée au niveau national :268 Très vite, le paysage de la ville s’est transformé au gré des diverses prouesses architecturales, notamment des ponts (Nanpu, 1991 ; Yangpu, 1993 ; Xupu, 1996 ; Lupu, 2002), des tours (Perle de l'Orient, 1994 ; Jinmao, 1999 ; Centre financier mondial de Shanghai, 2008), une avenue dessinée par un cabinet français (l’avenue du Siècle, longue de 5 km et large de 100m)… Parmi les autres attractions internationales présentées en 2004 figuraient le Maglev, train magnétique à grande vitesse de conception allemande, et le circuit international du Grand Prix automobile de Chine. Mais encore les viaducs routiers du centre-ville, la place du Peuple, la rue 269 piétonnière de Nankin, les grands hôtels, le quartier de Xintiandi... Enfin, 266 SHA Y., et al, Shanghai Urbanism at Medium Scale, New York-Berlin: Springer-Verlag, “Springer Geography”, 2014, vol.XIII, pp.9-18. 267 Voir notamment : JIA H., WARD R. M., “Shanghai's Frontier: Pudong New Development Area”, The Geographical Bulletin, 1998, vol.XL, n°1, pp.11-21. 268 SHA Y., et al, op.cit. 269 SANJUAN T., (b) op.cit. 71 Shanghai ouvrira bientôt les portes de la seconde plus haute tour du monde, la 270 Shanghai Tower qui s’élève à 632 mètres. En vue de soutenir le développement de la ville, des zones spéciales de développement économique et technologique ont été établies.271 Et plus récemment, en septembre 2013, une zone pilote de libre-échange a vu le jour à Pudong.272 En effet, Shanghai doit en grande partie son évolution rapide à son tissu économique diversifié, qui comprend les secteurs de la communication, l’électronique et l’information, la biomédecine, l’industrie automobile, la fabrication de produits chimiques raffinés, pétroliers et d’acier, la fabrication d’équipements complets, la finance, les assurances, le secteur immobilier, les électroménagers, et le tourisme.273 En 2013, les industries de service (en particulier les activités de détail et de gros, le secteur financier et le marché de l’immobilier) ont contribué à plus de 60% du PIB de Shanghai274 qui s’élevait au total à plus de 2160 milliards de yuans (320 milliards d’euros), le PIB le plus élevé du pays au niveau municipal.275 La même année, plus de 174.000 étrangers étaient officiellement enregistrés à Shanghai, ce qui correspond à un quart de la population étrangère résidant en Chine. La majorité d’entre eux sont japonais (21,6%), américains (15%) et sud-coréens (11,8%), et plus de la moitié sont des employés d’entreprises étrangères et leurs 270 LOUNIANGOU N. C., « Shanghai Tower : la plus haute tour chinoise bientôt finie », Le Nouvel Observateur : Paris, 4 août 2014, [accès en ligne], http://tempsreel.nouvelobs.com/immobilier/monde/20140804.OBS5470/shanghai-tower-la-plushaute-chinoise-bientot-finie.html, dernière consultation le 16 juin 2015. 271 DOUAY N., « Shanghai : l’évolution des styles de la planification urbaine – L’émergence d’une « urbanisation harmonieuse » ? », Perspectives Chinoises, 2008, n°4, pp.16-26. 272 Fin 2014, celle-ci accueillait 23.243 entreprises. La zone de libre-échange comprenait au départ près de 30 km² (Waigaoqiao Free Trade Zone, Waigaoqiao Free Trade Logistics Park, Yangshan Free Trade Port Area, and Pudong Airport Free Trade Zone), mais s’est élargie pour atteindre plus de 120 km² (Lujiazui Financial Zone, Jinqiao Development Zone, Zhangjiang High Tech Park). Enfin, la zone utilisée lors de l’Exposition universelle de 2010 (Expo Park Development Zone) en fait également partie. In : “China (Shanghai) Pilot Free Trade Zone”, China (Shanghai) Pilot Free Trade Zone : Shanghai, 2014, [online access], http://en.china-shftz.gov.cn/About-FTZ/Introduction/, dernière consultation le 15 juin 2015. 273 YANG G., Global Urban Development Metropolitan Economic Strategy Report – Shanghai's Economic Development: Its Opportunities and Challenges in the 21st Century, Washington: Global Urban Development, 2002, pp.5-9. 274 WONG B., “Shanghai: Market Profile”, Hong Kong Trade Development Council (HKTDC) http://china-tradeResearch: Hong Kong, 22 December 2014, [online access], research.hktdc.com/business-news/article/Fast-Facts/Shanghai-MarketProfile/ff/en/1/1X000000/1X06BVOR.htm, dernière consultation le 16 juin 2015. 275 “China Statistical Yearbook 2014”, National Bureau of Statistics of China: Beijing, 2014, [online access], http://www.stats.gov.cn/tjsj/ndsj/2014/indexeh.htm, dernière consultation le 15 juillet 2015. 72 proches. 276 En tant que ville cosmopolite, Shanghai représente l’ouverture de la Chine vers l’extérieur. Elle compte 66 villes en jumelage dans le monde et accueille 55 consulats étrangers.277 Un événement de marketing remarquable fut l’organisation de l’exposition universelle en 2010, qui a attiré plus de 73 millions de visiteurs (dont 4,2 millions d’étrangers) 278 , et à laquelle 192 pays et 50 organisations internationales ont participé, un record.279 L’exposition, dont le thème et slogan « Better City, Better Life »280 résonnait dans toute la ville, a également mobilisé 200.000 volontaires (sélectionnés parmi plus de 560.000 candidats dont 3.000 étrangers). Ceux-ci ont soutenu l’organisation durant les six mois de l’événement aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du site, à travers 281 la ville. La planification et le design de ce dernier ont d’ailleurs fait l’objet d’une compétition, remportée par une entreprise française. Enfin, d’un point de vue de la planification urbaine, l’exposition fut l’occasion de développer mais également de rénover d’autres infrastructures telles que l’aéroport international de Pudong.282 Les quelque cinquante-neuf milliards de dollars investis par le gouvernement chinois pour l’organisation de cet événement ont sans doute laissé un goût amer à certains : « Pour dégager la voie et permettre l’affichage de la prospérité chinoise lors de l’exposition, les organisateurs ont expulsé de force 18.000 résidents de leurs maisons. Le mythe de la « société harmonieuse » de la Chine a été imposé de force par la police qui a harcelé et détenu les dissidents politiques, dégagé des rues les petits commerçants et emprisonné plus de 6.000 pauvres de la ville lors d’une opération répressive menée contre « le vol, le jeu, la prostitution et la vente de matériel pornographique. » […] Dans une tentative d’apaiser avant l’exposition la classe ouvrière de la ville, les autorités de Shanghai ont augmenté le salaire “Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. Le nombre réel d’étrangers serait cependant beaucoup plus élevé. In : “Shanghai Population 2015”, op.cit. 277 “Shanghai World Expo”, Shanghai Expo : Shanghai, 2010, [online access], http://www.expo2010.cn/expo/expoenglish/oe/sacf/userobject1ai35592.html, dernière consultation le 15 juin 2015. 278 BARBOZA D., “Shanghai Expo Sets Record With 73 Million Visitors”, The New York Times: New York, 2 November 2010, [online access], http://www.nytimes.com/2010/11/03/world/asia/03shanghai.html?_r=0, dernière consultation le 15 juin 2015. 279 “Number of World Expo international exhibitors set a record”, People’s Daily: Beijing, 18 January 2010, [access online], http://en.people.cn/90001/90782/90872/6872003.html, dernière consultation le 15 juin 2015. 280 Le thème renvoie lui-même au concept de l’harmonie qui a été mis en avant par la ville à cette occasion : “The "City of Harmony" features harmonious co-existence of diverse cultures, harmonious economic development, harmonious living in the age of science and technology, harmonious functioning of communities, the cells of the city, and harmonious interactions between urban and rural areas.” In: “Shanghai World Expo”, op.cit. 281 “Shanghai selects 70,000 volunteers for World Expo 2010”, People’s Daily: Beijing, 19 January 2010, [access online], http://en.people.cn/90001/90776/90882/6873375.html, dernière consultation le 15 juin 2015. 282 DOUAY N., op.cit., p.21. 276 73 minimum et les allocations chômage, et ont fourni au compte goutte des billets 283 d'entrée gratuits aux résidents de la ville. » B. VILLE PEUPLÉE AU NIVEAU SOCIOÉCONOMIQUE ÉLEVÉ Shanghai est la plus peuplée des villes chinoises mais aussi du monde entier et affiche en outre un niveau d’espérance de vie parmi les plus élevés au monde, soit au-delà de 82 ans (près de 85 ans en ce qui concerne les femmes). Le taux d’accroissement naturel de la ville est toutefois négatif depuis 1993 (-0,8‰ comparé à la moyenne nationale de 4,92‰) en raison d’un faible taux de fertilité.284 À la fin de l’année 2013, la population a dépassé les 24 millions de personnes, dont plus de 14 millions de résidents permanents et près de 10 millions de résidents temporaires. Ces derniers étaient responsables de 85,7% de la croissance démographique cette année-là.285 Notons également le déséquilibre que la ville connaît au niveau du ratio homme/femme estimé à 1,13, bien que le problème soit davantage sérieux à l’échelle nationale, avec un ratio de 1,19. Les autorités tentent de réduire cet écart qui serait dû en grande partie à la politique de la planification familiale.286 Selon le recensement national de 2010, la population totale de Shanghai se divise comme suit : 8,6% se trouve dans la tranche des 0 à 14 ans, 81,3% ont entre 15 et 64 ans et les plus de 65 ans comptent pour 10,1%. De manière plus détaillée, parmi la population permanente, l’on recense : 10,7% de moins de 17 ans, 21,9% entre 18 et 34 ans, 40,3% entre 35 et 59 ans, et 27,1% de plus de 60 ans.287 En 2010 toujours, parmi la population âgée de plus de 15 ans, 23,6% avait un niveau d’instruction élevé, 61,8% un niveau d’instruction moyen (soit 22,6% pour l’enseignement secondaire supérieur et 39,2% pour le cycle inférieur), et 14,6% un CHAN J., « L’exposition universelle de Shanghai: l’extravagance capitaliste et la misère sociale », World Socialist Web Site : Michigan, 15 mai 2010, [online access], http://www.wsws.org/francais/News/2010/mai2010/expo-m15.shtml, dernière consultation le 15 juillet 2015. 284 “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de Shanghai) : Shanghai, décembre 2013, [accès en ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/frontshgl/63606.html, dernière consultation le 15 juillet 2015. 285 WU N., “Shanghai's permanent population exceeds 24 million”, China Daily: Beijing, 27 February 2014, [online access], http://www.chinadaily.com.cn/china/2014-02/27/content_17311272.htm, dernière consultation le 15 juin 2015. 286 “Shanghai Population 2015”, op.cit. ; « Chine : première baisse du ratio hommes/femmes à la naissance », Xinhua : Pékin, 4 juin 2010, [accès en ligne], http://french.china.org.cn/china/txt/201006/04/content_20184864.htm, dernière consultation le 20 juillet 2015. 287 “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit. ; “Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. 283 74 niveau d’instruction bas. En 2013, le taux de scolarisation pour les neuf années d’enseignement obligatoire (et gratuit) dépassait 99,9%. Le taux de chômage officiel s’élevait quant à lui à 4,2% 288 (calculé en excluant la zone rurale, les migrants ruraux, les étrangers et les travailleurs en situation précaire, les temps partiels ou les emplois occasionnels).289 Ajoutons également que parmi la population de plus de 15 ans, la proportion de personnes illettrées est de 3,64% (les femmes sont les plus touchées avec 5,39%, contre 1,99% chez les hommes).290 En 2013 toujours, les dépenses annuelles moyennes de consommation des ménages par habitant à Shanghai étaient parmi les plus élevées de Chine à plus de 26.200 yuans (3.900 euros). Les revenus annuels moyens disponibles des ménages par habitant à Shanghai étaient eux les plus élevés à 42.200 yuans (6.200 euros). En comparaison, les moyennes nationales respectives pour la même année dépassaient 13.200 yuans (2.000 euros) et 18.300 yuans (2.700 euros). Notons que le nombre moyen de personnes par ménage à Shanghai est de 2,7.291 En ce qui concerne le produit intérieur brut (PIB) par habitant, Shanghai possédait le plus élevé de Chine jusqu’en 2010. En 2013, son PIB par habitant s’élevant à plus de 90.000 yuans (13.200 euros), la ville se classait désormais troisième derrière Tianjin (près de 100.000 yuans, 14.700 euros) et Pékin (plus de 93.000 yuans, 13.700 euros).292 En dix ans, le salaire mensuel minimum est passé de 570 yuans (84 euros) à 1620 yuans (240 euros) en 2013. Le salaire moyen annuel qui s’élevait à moins de 15.500 yuans (2.300 euros) en 2000 atteignait en 2013 plus de 60.400 yuans (8.900 euros).293 Notons donc la différence, le salaire minimum représente un peu moins d’un tiers du salaire moyen à Shanghai.294 Selon le Hurun Wealth Report de 2014, Shanghai compte près de 160.000 millionnaires, définis comme possédant au moins 10 millions de yuans (1,5 million “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit. “Wages and employment”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 4 August 2015, [online access], http://www.clb.org.hk/en/content/wages-and-employment, dernière consultation le 4 août 2015. 290 “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit. 291 “Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit. 292 Ibid. 293 “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit. 294 “Wages and employment”, op.cit. 288 289 75 d’euros). La ville se classe ainsi en deuxième position après Pékin qui en compte plus de 190.000, mais loin devant la troisième ville, Shenzhen (plus de 50.000).295 Enfin en termes de santé, en 2013, le nombre de médecins à Shanghai s’élevait à 24/10.000 habitants, contre 15/10.000 au niveau national. Le taux de mortalité infantile était de 5,73‰ et le taux de mortalité maternelle 7,08/100.000. Au niveau national, les taux s’élevaient respectivement à 9,5‰ et 23,2/10.000.296 C. LES MIGRANTS À SHANGHAI : UNE DESTINATION PRISÉE Shanghai est en effet la seconde destination des migrants après la province de Canton.297 Au niveau municipal, elle est considérée comme « the largest migrant megacity of China ».298 Le nombre de migrants à long terme (plus de six mois)299 a triplé en dix ans et représente actuellement plus de 40% de la population de Shanghai. Les provinces d’origine sont principalement Anhui (29%), Jiangsu (près de 17%), Henan (près de 9%) et Sichuan (7%). Par ailleurs, la majorité des migrants (près de 80%) sont originaires des zones rurales (cf. Annexe 8).300 Entre 1949 et 1982 déjà, la population shanghaienne avait doublé, passant de 6 à 12 millions de personnes, dû en grande partie à l’immigration planifiée en soutien à l’industrie manufacturière. 301 À partir de la moitié des années quatre-vingt, tandis que les migrations spontanées faisaient leur apparition, les autorités municipales mirent en place des dispositifs de contrôle, via les agences intérimaires.302 Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que des quotas ont été instaurés pour l’ensemble de la population migrante, sans distinguer leur lieu d’origine. Les migrants illégaux furent la cible de la police locale, qui contrôlait notamment l’identité des travailleurs à 295 Hurun Wealth Report 2014, Shanghai: Hurun Research Institute, 2014, 35 p. “Shanghai Statistical Yearbook 2014”, op.cit. ; “Shanghai gailan” (Un aperçu général de Shanghai), op.cit. ; “China Statistical Yearbook 2014”, op.cit. 297 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) « Les travailleurs migrants à Shanghai : Inégalités, niches économiques et diversité des parcours d'accès à l'emploi », Perspectives chinoises, 2005, n°85, p.9. 298 MOU J., et al, (a), op.cit., p.31. 299 Selon une étude menée à Shanghai, environ 52% des migrants y résidaient depuis 5 ans et plus. In : WU W., “Migrant Settlement and Spatial Distribution in Metropolitan Shanghai”, The Professional Geographer, 2008, vol.LX, n°1, p.103. 300 “Shanghai Population 2015”, op.cit. 301 SHA Y., et al, p.10 302 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (d), op.cit., pp.12-13. 296 76 l’entrée des grands sites de construction. À Shanghai, plus de 10.000 migrants par an étaient arrêtés, soumis à des amendes et rapatriés de force. 303 Pour les plus qualifiés304, Shanghai attribuait un « hukou au sceau bleu », qui fut remplacé dès 2002 par une « carte de résident de Shanghai » ( 海居住证, Shanghai juzhuzheng). 305 Les conditions d’obtention de celle-ci sont bien entendu plus élevées ; les migrants doivent notamment faire preuve d’un certain niveau d’instruction ou de compétences. Les meilleurs élèves sont bien récompensés : « In Shanghai, about 30 percent of college graduates who are originally from other provinces, usually the cream of the crop, are routinely “selected” to become Shanghai hukou holders each year and stay in the prosperous city permanently. […] Shanghai started in 2002 to openly siphon talent at a much younger age. Some thirty Shanghai “top high schools” were allowed to recruit fifty best middle-school graduates each from other provinces for a hefty fee of 50,000 Yuan RMB per pupil (two to five years’ average wages in Shanghai). The main lure is that those outsiders can participate as local residents in Shanghai’s much easier college admissions process twice. »306 Le paiement des impôts et la cotisation à la sécurité sociale sont d’autres critères d’éligibilité. Une fois acquise, la carte de résidence confère certains avantages qui peuvent toutefois être aussi vite retirés si le migrant ne remplit pas les exigences d’intégration. Précisons qu’elle doit être renouvelée à plusieurs reprises sur une période de 15 ans avant de pouvoir solliciter un hukou urbain.307 Shanghai est classée première dans le tableau des restrictions quant au transfert de hukou (cf. Annexe 9). Bien que les critères requis pour le permis de résidence temporaire soient moins stricts, ils présentent un double standard qui exclut la majorité des migrants, et en particulier les plus vulnérables. En effet, les migrants doivent posséder soit un contrat de travail de plus de six mois soit une licence commerciale. D’autre part, ils doivent être propriétaires à Shanghai ou locataires en possession d’un contrat de bail de plus de six mois : Les règles concernant le logement sont elles-mêmes discriminatoires. En effet, les migrants éligibles au permis de résidence doivent obligatoirement louer une surface 303 WANG F.-L., op.cit, p.97. Aussi appelés « personnes de talent » (人才, rencai). 305 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) op.cit., pp.2-3. 306 WANG F.-L., op.cit., p.202. 307 FROISSART C., op.cit., p.380. 304 77 de 10m² minimum par personne. Le propriétaire doit en outre lui-même se rendre à 308 la police afin d’enregistrer le locataire. Une caractéristique des migrants internes en Chine est de peu investir à destination. Ainsi la priorité à leur arrivée est de trouver un logement peu coûteux qui soit proche du lieu de travail. À Shanghai, la majorité d’entre eux (60%) louent ou partagent un logement, entre autres dans la banlieue rurale où les résidents, qui ont perdu leurs terres agricoles au profit du développement urbain, voient dans la location de logements aux migrants une source de revenus intéressante. Par ailleurs, près de 30% des migrants à Shanghai vivent dans des dortoirs, fournis par l’employeur dans le secteur public. Toutefois, ceux-ci sont en général surpeuplés et offrent peu de commodités. Souvent, ils vivent aussi dans des abris temporaires ou structures précaires qui servent en outre d’entrepôt sur le lieu de travail.309 La rapide transformation urbanistique de la ville a créé une juxtaposition croissante de villages ruraux, logements pour d’anciens résidents du centre-ville délocalisés, communautés migrantes et nouveaux projets de logements commerciaux. Dans certains quartiers, la population migrante a dépassé la population locale. 310 Une enquête réalisée dans un quartier délabré ( 棚 户 区 , penghuqu) a révélé que la cohabitation « forcée » entre locaux 311 et migrants ne se passe parfois non sans frictions, en raison de stéréotypes dégradants dont ces derniers sont victimes. Comme la plupart des « penghuqu », celui-là est toutefois amené à disparaître, à coup de compensations pour les premiers, tandis que les migrants seront simplement expulsés comme le témoigne un résident local : « Ici, c’est trop sale et trop en désordre, la seule solution c’est de tout raser et d’expulser complètement ces gens venus de l’extérieur, de cette façon on aura la paix. Les migrants sont tous locataires, en tant que propriétaires nous avons le droit pour nous et eux ils n’auront aucune compensation. »312 Selon les mesures officielles, seuls les migrants détenteurs d’un permis de résidence d’une année complète sans discontinuité, ne possédant aucun ZHAO Y., PADOVANI F., « Expulsion des résidents d’habitats délabrés (penghuqu) et reconstruction de la vie des nouveaux migrants à Shanghai. Enquête sur le quartier de Yuan He Nong. », L’Espace Politique, 2014, vol.XXII, n°1, p.10. 309 WU W., “Migrant Settlement and Spatial Distribution in Metropolitan Shanghai”, The Professional Geographer, 2008, vol.LX, n°1, p.102; pp.111-112. 310 Id., p.109 ; p.117. 311 Forcée dans le sens où ceux-ci n’ont pas les moyens financiers de déménager dans un autre quartier qui serait aussi bien localisé et aussi bon marché. Toutefois, les locaux sont eux-mêmes d’anciens migrants venus à Shanghai avant 1949. Ils détiennent donc le hukou local et sont considérés comme de vrais Shanghaïens. 312 Id, pp.6-10. Voir aussi : ZHAO Y., Construction des espaces urbains et renovation d’un quartier de Shanghai : la problématique de la migration et du changement social, Shanghai : Shanghai Joint Publishing Co, 2011, 430 p. 308 78 autre logement en ville et directement affectés par la destruction (sur confirmation de 313 sept témoins) du logement peuvent espérer recevoir une compensation. L’intégration des migrants ruraux en ville souffre effectivement de l’image négative que les citadins ont à leur égard. Une enquête menée à Shanghai a révélé que ces derniers considéraient leur présence comme néfaste sur un ou plusieurs des aspects suivants : l’emploi, l’environnement, la sécurité, le trafic routier et les transports. Plus encore, la moitié des participants pensaient qu’il était normal et légitime que les migrants perçoivent un salaire inférieur aux leurs.314 L’accès à l’emploi des migrants à Shanghai s’est vu restreint dans les années 1990 : les secteurs tertiaire et secondaire (sauf en cas d’une urgente nécessité pour ce dernier) leur étant interdits. En outre une liste publiée par le Bureau du travail et de la protection sociale reprenait une vingtaine d’emplois également inaccessibles, et davantage les métiers « visibles » (par exemple, chauffeur de taxi et standardiste). Bien que cette liste ait été modifiée en 2001 pour répondre aux besoins du marché, il reste encore cinq types d’emplois desquels les migrants demeurent exclus, même lorsqu’ils sont en possession d’un permis de résidence temporaire (entre autres, agent de service dans les institutions publiques, agent de la propreté des espaces publics, agent de la sécurité publique…). De plus, les entreprises sont tenues d’engager en priorité les résidents locaux qui doivent représenter de 15 à 30% du personnel avant de pouvoir accepter de la main-d’œuvre rurale. Cependant, les règles sont parfois contournées, comme le raconte une migrante sichuanaise à Shanghai : « Mon mari a cherché du travail, mais il n’avait pas le droit d’être chauffeur, non seulement chauffeur de taxi, mais aussi chauffeur pour des entreprises et autres. Finalement, il a été employé par un entrepreneur hongkongais qui a fait faire des faux papiers attestant qu’il n’était pas un migrant. Cela fait huit ans qu’il est dans ce métier avec des faux papiers. » 315 Selon une enquête officielle récemment menée dans le district de banlieue Fengxian, plus de 65% des migrants ruraux ont entre 30 et 49 ans, et plus de 63% ont achevé le premier cycle de l’instruction secondaire. Plus de 63% également sont employés dans l’industrie manufacturière et près de 17% travaillent dans le secteur de la construction. Parmi les autres secteurs qu’ils occupent se trouvent l’emploi domestique, le commerce du gros et du détail, le transport de marchandises, 313 ZHAO Y., PADOVANI F., op.cit., p.11. DING J., STOCKMAN N., in PIEKE F. N., MALLEE H (eds.), 1999, cité dans : FROISSART C. op.cit., p.159. 315 ROULLEAU-BERGER L., SHI L., (b) op.cit., p.4. Voir aussi : WANG J., op.cit., p.52. 314 79 l’agriculture, la pisciculture… Par ailleurs, près de 60% des migrants interrogés avaient signé un contrat de travail et moins de 5% ont reporté être victimes d’arriérés salariaux pour la période de 2013 et 2014. En outre, plus de 82% ont répondu savoir vers quel organisme se tourner s’ils rencontrent ce type de problèmes.316 En 2002, le gouvernement de Shanghai publiait les procédures d’adhésion au nouveau système intégré de sécurité sociale (qui couvre accidents de travail, traitements hospitaliers et allocations de retraite), révisée ensuite en 2004. Selon le document, toute institution, organisation, entreprise publique ou privée qui emploie un travailleur venant d’une autre localité doit remplir les procédures d’inscription endéans les 30 premiers jours d’emploi du travailleur. Dans le secteur de construction, le taux de cotisation est plus faible (5,5% au lieu de 12,5%) et les entreprises concernées bénéficient en outre d’un appui administratif de la Commission municipale de la construction et du Bureau du travail. 317 Quant à la sécurité sociale en matière de santé, les migrants à Shanghai ont accès à l’« Assurance hospitalisation des travailleurs migrants de Shanghai », conçue spécialement pour eux, et au « Nouveau Système de coopératives rurales de services de soins médicaux ». 318 Selon une étude de 2010, les taux de couverture s’élèvent respectivement à 36,5% et 72,9%, contre 16,7% ne disposant d’aucune assurance santé. Le taux plus faible de la première s’explique par le fait que la cotisation dépend entièrement de l’employeur, et démontre les limites de l’initiative.319 Tel que l’indiquent les « Dispositions de la Municipalité de Shanghai sur les Services et la gestion de la population actuelle » en vigueur depuis novembre 2012, les migrants détenteurs d’un permis de résidence temporaire peuvent recevoir gratuitement des services relatifs au planning familial320 (article 12) ; recevoir des “Wailai nongmingong gongzi bei tuoqian bizhong bu gao, dan reng xu guanzhu he baohu” (La proportion des arriérés salariaux parmi les migrants ruraux n’est pas élevée, mais une attention et une protection demeurent nécessaires), Shanghai shi tongji ju (Bureau des statistiques de Shanghai) : Shanghai, 4 janvier 2015, [accès en ligne], http://www.stats-sh.gov.cn/fxbg/201501/275947.html, dernière consultation le 16 juin 2015. 317 People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (c) Revision of the “Interim Procedures of Shanghai Municipality on the Comprehensive Insurance for Out-of-town Employees”, 30 August 2004, Decree No. 34, available at: http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules1708.htm. 318 TUCKER J. D., et al, op.cit., p.7. 319 ZHAO D., et al, “Coverage and utilization of the health insurance among migrant workers in Shanghai, China.”, Chinese Medical Journal, 2011, vol.CXXIV, n°15, pp.2328-2334. 320 La mise en œuvre du planning familial chez les migrants a fait l’objet de dispositions détaillées en 2011. Notons que les femmes mariées migrantes à Shanghai, en possession d’un permis de résidence, peuvent effectuer les contrôles du planning familial dans les centres de la ville et les certificats octroyés sont alors automatiquement transmis aux autorités compétentes de son lieu d’origine. Voir : 316 80 services de santé publique moyennant des frais limités (article 13) ; inscrire leurs enfants d’âge scolaire obligatoire auprès de l’administration du district dans lequel ils résident et celle-ci prendra les dispositions nécessaires pour répondre à leurs besoins d’instruction (article 14).321 L’article 15 souligne à nouveau les droits et avantages procurés par le permis de résidence temporaire : « Shanghai inhabitants holding Shanghai Residence Permit may be eligible for the benefits and conveniences of public services in the aspects of children’s education, family planning, public health, social insurance, license issuance, application for scientific or technical projects, qualification appraisal, tests and evaluations, and selection for and award of related honorary titles. »322 Notons enfin qu’à l’article 5, il est prévu que les administrations responsables puissent faire appel aux organisations à but non lucratif pour la mise en œuvre les différents services disponibles à la population de la ville, y compris les résidents temporaires : « Depending on the need of the services and management of the actual population in their jurisdiction, the town/township people’s governments or sub-district offices may explore the method of government payment for the services and non-profit organizations implementation of such services. »323 Froissart conclut à ce propos : « Cette intégration inégalitaire au sein des villes continuera par ailleurs à se faire au moindre coût pour l’État, des solutions étant désormais cherchées du côté des ONG – dont les programmes sont financés tout autant par des fonds privés que publics – et qui sont de plus en plus appelées à jouer un rôle de sous-traitants de l’État. Cette évolution vers une charité semi-institutionnalisée va bien entendu à l’encontre de la 324 construction d’un État social garantissant l’égalité des droits. » DES ORGANISATIONS ENGAGÉES POUR LES FAMILLES MIGRANTES Afin d’étudier plus en profondeur les inégalités rencontrées par les migrants et qui, selon notre hypothèse, découlent du système du hukou, nous avons décidé de mener People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (a) Provisions of Shanghai Municipality on Family Planning for the Migrant Population, 22 December 2011, Decree No. 74, available at: http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules20409.htm. 321 Les documents à fournir pour l’inscription d’un enfant migrant sont décrites à l’article 14 des « Procédures de la Municipalité de Shanghai sur la mise en place de la Loi sur l’éducation obligatoire de la République de Chine ». Il s’agit notamment du certificat de travail. Voir : People’s Republic of China’s Standing Committee of Shanghai Municipal People’s Congress, “Procedures of Shanghai Municipality on the Implementation of the ‘Compulsory Education Law of the People’s Republic of China’”, 24 February 2009, Announcement No.9, available at: http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/locallawsin10669.htm. 322 People’s Republic of China’s Shanghai Municipal People’s Government, (b) Provisions of Shanghai Municipality on Services and Management of the Actual Population, 12 September 2012, Decree No. 86, available at: http://www.shanghailaw.gov.cn/fzbEnglish/page/governmentalrules22931.htm. 323 Ibid. 324 FROISSART C., op.cit., p.381. 81 des entretiens auprès d’organisations non gouvernementales (ONG) situées à Shanghai. Notre objectif de départ était de mettre en exergue les difficultés rencontrées par les migrants ruraux dans le milieu urbain. Le choix de la municipalité est avant tout personnel. Ayant vécu à Shanghai plusieurs années, nous voulions investiguer un aspect de la ville auquel nous n’avions été que trop peu sensibilisés, malgré certes des disparités sociales criantes et une confrontation quotidienne avec la misère et l’opulence. Nous avons donc procédé à une recherche en ligne des différentes ONG présentes sur le territoire chinois, via notamment le répertoire de « China Development Brief », un centre de recherche pour le développement de la société civile de Pékin (créé en 1996 et officiellement enregistré en 2003).325 Très vite, nous avons réalisé la difficulté à trouver, à Shanghai, des organisations dont la mission consiste en la défense des droits des travailleurs migrants. Nous aurions aimé en particulier interroger la branche shanghaienne de « Little Bird Migrant Workers Mutual Support Hotline », mais le numéro d’appel figurant sur le site internet était invalide et aucune adresse physique dans la ville n’était renseignée.326 La seule organisation poursuivant cet objectif que nous avons réussi à interroger se situe dans la ville voisine de Suzhou (province du Jiangsu), mais nous devons admettre que sa situation était des plus précaires. Dans la même ville, nous avions par ailleurs trouvé une organisation similaire, mais qui a toutefois refusé l’entretien, sans donner de raison spécifique. Nous avons appris plus tard que l’organisation, nommée « Migrant Workers’ Home » avait cessé de fonctionner sous la pression du gouvernement local. Ainsi, nous avons redirigé notre recherche en incluant toute organisation ayant parmi leurs bénéficiaires les migrants et leur famille. Après contact par voie électronique et téléphonique, nous avons initialement obtenu l’accord de huit ONG au total, sept à “China Development Brief – NGO Directory”, China Development Brief: Beijing, 2015, [online access], http://chinadevelopmentbrief.cn/directory/, dernière consultation le 20 juin 2015. Voir aussi : “Migrant Resource Network (MRN) – NGO Directory”, Migrant Resource Network: Beijing, 2009, [online access], http://www.mrn-china.org/site/index.php?option=com_sobi2&Itemid=58&lang=en, dernière consultation le 20 juin 2015 ; “China CSR Map – Organizations”, China CSR Map: Beijing, [online access], http://www.chinacsrmap.org/Org_List_EN.asp, dernière consultation le 20 juin 2015. 326 « Since its establishment in 1999, Little Bird has been committed to the protection of the legal rights of migrant workers in China’s major cities. Since 1999 and ending in December 2012, […] Little Bird has helped migrant workers around the country obtain over 180 million Chinese Yuan (approximately $30 million) in wage arrears. » In: TAI J. W., Building Civil Society in Authoritarian China: Importance of Leadership Connections for Establishing Effective Nongovernmental Organizations in a Non-Democracy, New York-Berlin: Springer-Verlag, “Springer Brief in Environment, Security, Development and Peace”, vol.XX, 2015, p.36 ; pp.56-58. 325 82 Shanghai et celle de Suzhou mentionnée ci-dessus. Toutefois sur place, malgré notre insistance, nous avons dû faire face à deux désistements (les organisations HandsOn Shanghai et Raising Community Service Center), par faute de temps semble-t-il. Grâce aux renseignements d’une des ONG interrogées (Stepping Stones), nous avons réussi à obtenir un entretien supplémentaire avec une autre ONG (Shanghai Young Bakers). Enfin, nous avons recontacté une ONG (Xintu) qui avait au départ décliné notre invitation en arguant du fait que certains de leurs bénéficiaires appartenaient à la « population flottante » et qu’il ne s’agissait donc pas seulement des « migrants ruraux ». Notre persévérance a fini par payer et nous avons reçu sans problème l’accord de la responsable du projet qui nous intéressait. Parmi les cinq autres organisations avec lesquelles nous avons pu entrer en contact, les refus étaient justifiés par le motif qu’elles n’avaient réalisé que rarement un projet visant la population migrante ou qu’il arrivait que leurs projets touchent celle-ci mais sans y être spécifiquement dirigés. Elles ne voyaient donc pas l’intérêt de nous répondre. Nous avons donc finalement réalisé huit entretiens au total (cf. tableau ci-dessous et Annexe 10). Notons que durant notre séjour à Shanghai, nous sommes en outre restés trois jours en tant que bénévole dans l’ONG Stepping Stones. L’idée était de nous plonger dans l’atmosphère d’une ONG de la ville et avoir davantage d’opportunité de discuter avec le directeur de projet, M. Carrier, qui a lui-même vécu avec des migrants ruraux dans le cadre de sa thèse de doctorat. L’analyse des huit entretiens semi-dirigés menés au mois de janvier 2015 et d’une durée variant d’une demi-heure à plus d’une heure et demie se divisera en trois parties : nous nous pencherons d’abord sur la situation des organisations dans la ville en reprenant des éléments tels que l’année de création, l’enregistrement, la taille, le domaine d’action, les bénéficiaires, les projets, les partenaires… La seconde partie sera centrée sur la situation des bénéficiaires. Nous présenterons les inégalités dont ils sont victimes, les difficultés auxquelles ils sont confrontés, leur adaptation dans le milieu urbain, leur participation aux activités de l’ONG et le message qui leur est adressé à travers les projets menés. Enfin, nous nous intéresserons à l’environnement politique dans lequel évoluent les organisations et l’attitude du gouvernement local à leur égard. Nous noterons par ailleurs l’émergence d’une prise de conscience et d’un 83 engagement de la société civile, avant de conclure sur la vision des organisations quant à la situation future. NOM CRÉATION ET STATUT ONG internationale créée en 1999 à Shanghai, enregistrée localement en 2004. Le projet pour les migrants a été créé en 2006. MISSION ET BÉNÉFICIAIRES "Inspire passion for environmental and community service in the Chinese youth". Parmi les projets, la plupart visant à la protection de l'environnement, se trouve "KidStrong" dont la mission est : "Building a brighter future for migrant children". Enfants migrants des écoles pour migrants PROJETS VISANT LES MIGRANTS FONDS Au sein du projet "KidStrong" : - activités sur l’hygiène, la nutrition (plus distribution d'encas), les soins dentaires et de la vue (consultations, lunettes) - "Love curriculum" : activités artistiques pour redonner confiance. - cours d'anglais (plus rares) - camps d'été (visites dans le centre ville) Privés Stepping Stones ONG internationale créée et enregistrée en 2006 à Hong Kong mais active sur Shanghai depuis lors. Enregistrée localement à Shanghai en 2013. "To improve the education and general welfare of disadvantaged children of China." - Les enfants migrants des écoles migrantes (surtout primaires) et des centres communautaires. Privés JiuQian Shanghai Volunteer Center ONG chinoise créée en 2006 à Shanghai et enregistrée en 2008. "To offer a better educational environment for children who cannot develop their talents because of poverty, and to wake up their nature of freedom as individuals and public awareness as citizens." - Les enfants migrants surtout (10 à 16 ans), et dans une moindre mesure leurs parents. Included ONG chinoise créée en 2006 à Pékin, en 2009 à Shanghai, et enregistrée en 2012. "Improving the lives of children of migrant workers and their communities through social and educational programs." - Les familles migrantes. Différents projets : - "English teaching programme" (principalement dans les écoles pour migrants, mais aussi aux jeunes de Shanghai Young Bakers et aux sans-abris aidés par une ONG locale) - "I care" (soins de la vue, consultations et lunettes) - programme de tutorat dans les centres communautaires (devoirs) - cours dans le milieu rural (sur place lors de "Rural Trips" avec les volontaires ou par vidéoconférence) Différentes activités : - cours la semaine et le weekend (musique et chant et autres cours à option : reporters, science, informatique, artisanat…) - camps d'hiver et d'été - session d'information avec les parents sur l'éducation familiale et les droits du travail - activités avec les volontaires étrangers - représentations artistiques - activité d'intégration dans la ville et visites - "Retour ds sa ville natale" : représentations et activités dans les villes natales des enfants 4 catégories d'activités : - le développement des enfants en bas âge (coloriage, chant pour les enfants, et cours sur l'éducation des enfants pour les parents) - le développement des jeunes adolescents (devoirs et cours à option) - des activités d'éducation familiale pour les parents (et apprentissage de l'utilisation de l'ordinateur, la lecture et l'écriture...) - le développement de la communauté (activités et événements organisés le weekend). Shanghai Roots and Shoots Privés et publics Privés et publics (depuis 2013 seulemen t) 84 SuZhou On Action Internatio nal Cultural Center ONG chinoise créée et enregistrée en 2006 à Pékin, active à Suzhou depuis 2008. Enregistrée sous le statut d'entreprise indépendante. Shanghai Lequn Social Work Service ONG chinoise créée et enregistrée en 2003 dans l'incubateur d'ONG de Pudong. Shanghai Young Bakers Programme de charité international créé et enregistré en 2008 via une fondation hongkongaise, active sur Shanghai depuis lors. Dipose en outre d'une entreprise sociale depuis 2011. ONG chinoise créée et enregistrée en 2006 dans l'incubateur d'ONG de Pudong. Le projet pour migrants a été créé en 2009. Xintu Center for Communit y Health Promotion "Action Changes Survival": providing legal aid, promoting corporate social responsibility, builduig up knowledge, physical and mental capacity of individual migrant workers and promoting of the building of a civil society. - Les ouvriers migrants, surtout industriels et parfois dans le secteur de la construction. "To respond to the needs of children, youths, the elderly, and special needs groups through specialized social work services." - Enfants migrants des écoles pour migrants. Au départ : - défense active des droits des travailleurs. "Enable disadvantaged youth to lead independent lives through a qualified, empowering job." - Jeunes migrants de 17 à 23 ans venant de milieu défavorisé (des provinces du Henan, Anhui, Gansu et Shaanxi) Formation de 11 mois : stages en alternance - cours d'anglais - cours "de vie " (s’adapter à un environnement professionnel, communiquer, gérer les conflits, avoir confiance en eux) - cours de gestion financière - cours sur la rédaction d'un CV et l'entretien professionnel - activités bénévoles - cours de français pour les meilleurs qui sont envoyés à Aurillac en France pour passer leur certificat d'aptitude professionnelle (CAP) - aide d'autres ONG à créer leurs propres programmes de formation en boulangerie (Tibet, Pékin, Chengdu). Dans le programme "Nouveaux citoyens" : - formation d' "Ambassadeurs de santé" et "Responsables des centres de vie" - "Maman enceinte et en bonne santé" (grossesse et nutrition de l'enfant) - "Le Port vert" (violence familiale) - "Des belles femmes" (santé sexuelle et prévention maternité précoce) - "Toi et moi en bonne santé" (IST et SIDA) - "S'adapter à la ville" - "Les parents surveillent leurs enfants" "To improve health outcomes of people and revent of disease, particularly for the vulnerable groups, through building the capacity of community based organizations and health service providers." - Tous les groupes vulnérables, parmi lesquels la communauté migrante. Actuellement, activités secondaires : - conseils juridiques (via communication téléphonique ou électronique) - diffusion des lois et promotion aux négociations collectives (via des ouvriers volontaires). - projet d'intégration des migrants (cherche des fonds) Dans le programme "S'intégrer dans la société" : - "J'habite à Shanghai" - "Parlons de Shanghai de long en large" (visites) - "Grandir sainement" (nutrition) - "Améliorer sa santé" - "Mon beau village natal" - "À la recherche du futur moi" (futur métier) - "Cap sur mon rève" (futur métier) - "Éducation à la sécurité" - Activités bénévoles Privés Privés et publics (surtout pour les projets visant la populatio n locale) Privés Privés et publics (surtout pour les projets visant la populatio n locale) A. LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES 1. Création et statut L’apparition des organisations non gouvernementales (ONG) et du domaine associatif en Chine remonte plus particulièrement au milieu des années 1990. Parmi 85 celles officiellement enregistrées, leur nombre a connu un pic en 2004 et n’a cessé de s’accroître pour dépasser 540.000 en 2013. Ce chiffre serait toutefois loin de la réalité selon des chercheurs qui ont estimé leur nombre à plus de 8 millions en 2008.327 Parmi les huit ONG que nous avons interrogées, six ont été créées après 2006. Roots&Shoots, créée en 1999, a toutefois lancé son projet auprès des enfants migrants en 2006. Ajoutons également que HandsOn Shanghai et Raising Community Service Center, que nous aurions dû rencontrer, ont été créées respectivement en 2004 et 2008. Nous pouvons ainsi remarquer que le phénomène est effectivement plutôt récent, mais que les ONG avec lesquelles nous nous sommes entretenus comptent tout de même entre six et neuf ans d’expérience, voire jusqu’à quinze ans pour la plus ancienne, Roots&Shoots. La date de création d’une ONG ne correspond pas toujours, voire rarement, à sa date d’enregistrement officiel. Si Roots&Shoots évoquait le fait que la procédure est tout simplement longue, cela n’a pourtant pas été le cas pour toutes. Lequn et Xintu ont été enregistrées dès leur création. Elles font en réalité partie d’un incubateur d’organisations sociales, une plateforme fondée et fournie par le gouvernement local du district de Pudong. Selon Stepping Stones, dont le délai d’obtention de son statut officiel a été de sept ans, il s’agit surtout de s’appuyer sur son réseau de contacts, bien que, quoi qu’il en soit, la décision relève toujours de la discrétion des autorités locales. L’enregistrement présente de nombreux avantages pour une organisation. Désormais officielle, elle peut recevoir non plus uniquement des donations personnelles, mais également des fonds d’entreprises privées, de fondations ou d’associations et participer aux appels à propositions publics. Cela facilite ainsi la mise en œuvre des projets, notamment aussi grâce à davantage de confiance accordée par les partenaires, et les démarches administratives telles que les paiements salariaux. Les ONG qui y parviennent sont enregistrées sous le statut d’« organisation sans but lucratif » (Non-Profit Organization). Une des difficultés de la procédure d’enregistrement qui a été imposée à partir de 1989 est d’obtenir le parrainage d’un Id., pp.20-22 ; CHAN C. K., “Community-based Organizations for Migrant Workers’ Rights: the Emergence of Labour NGOs in China”, Community Development Journal, 2013, vol.XLVIII, n°1, pp.6-8. 327 86 organisme public ou semi-public, qui assure la supervision de l’organisation 328 : Shanghai Roots&Shoots a en effet énoncé avoir en son sein un département appartenant au gouvernement à des fins de supervision. Shanghai Young Bakers nous a toutefois avoué que la supervision dont ils faisaient l’objet était loin d’être effective. Stepping Stones a expliqué avoir toujours été supervisés, parfois même de façon « dissimulée ». Lequn a clairement énoncé faire l’objet d’audits des comptes et des services, comme toute organisation se trouvant dans l’incubateur, ce qui inclut également Xintu. Included et JiuQian ne l’ont pas mentionné directement, mais l’on peut supposer, compte tenu de leur statut et relation avec le gouvernement ou d’autres agences publiques, qu’elles ne font pas exception. Enfin, au vu de l’existence précaire de Suzhou On Action, nous supposons que les contrôles soient difficiles à exercer, d’autant plus que l’ONG a tout intérêt de se tenir à l’écart des autorités. Dans l’attente d’être enregistrées, les organisations usent de diverses stratégies. La plus répandue est de travailler sous le couvert d’une autre organisation qui est, elle, officiellement active sur le territoire. Par exemple, ce fut le cas de Stepping Stones avant que l’organisation ne soit enregistrée à Shanghai en 2013. Shanghai Young Bakers est en partie enregistré comme un programme d’une fondation hongkongaise. Une autre façon de procéder est de s’établir en tant qu’entreprise indépendante ou société à responsabilité limitée. Bien que légalement semblable à une entité à caractère commercial, l’organisation ne poursuit pas de but lucratif. Enfin, l’organisation peut décider de fonctionner indéfiniment de manière non officielle, en gardant profil bas.329 L’organisation de défense des droits des travailleurs, Suzhou On Action (et sa « maison-mère » de Pékin), est la seule des huit ONG que nous avons rencontrées à être enregistrée en tant qu’entreprise indépendante. Cela n’est sans doute pas anodin compte tenu de leur mission. En outre, face aux obstacles de mise en œuvre rencontrés actuellement, les responsables agissent sous le couvert d’une autre organisation qu’ils ont eux-mêmes enregistrés. 328 329 TAI J. W., op.cit., pp.24-25 ; CHAN C. K., op.cit., pp.9-11. CHAN C. K., op.cit. 87 Toutefois, il semblerait que les autorités favorisent tout de même l’enregistrement des ONG pour éviter qu’elles n’agissent de manière clandestine, d’en perdre le contrôle et inciter la pratique de malversations financières.330 2. Taille et projets La taille des organisations que nous avons interrogées varie fortement, de trois à soixante-dix employés (en excluant les centres dont certaines disposent dans d’autres villes chinoises ou à l’étranger). Et si l’on prend seulement en compte les employés chargés des projets liés aux migrants et leur famille, leur nombre va de un à dix. Toutefois, pour la mise en œuvre des activités, les sept ONG situées à Shanghai opèrent toutes avec des volontaires et bénévoles, jusqu’à plusieurs centaines par an. Par exemple, Stepping Stones compte environ 350 volontaires et JiuQian reçoit l’aide de 200 à 300 volontaires par an. Celle de Suzhou travaille également par l’intermédiaire d’ouvriers volontaires qui aident à la diffusion des informations dans les usines. Parmi notre échantillon, les domaines d’activités sont principalement l’éducation et la santé, à l’exception de l’organisation de Suzhou qui, comme nous l’avons mentionné, agit dans le secteur du droit. Quant aux bénéficiaires, ce sont pour la plupart les enfants et adolescents migrants, bien que des activités incluent également leurs parents. En ce qui concerne les premiers, les projets visent à améliorer l’enseignement de divers branches telles que l’anglais, la musique, l’informatique…, mais également à mieux s’intégrer dans la ville et s’adapter à la vie urbaine à travers des visites, rencontres et autres activités pour renforcer la confiance en soi et envisager l’avenir de manière positive. Certaines organisations enseignent par ailleurs les bonnes pratiques nutritionnelles et d’hygiène. Roots&Shoots et Stepping Stones se sont en outre centrées sur les problèmes dentaires et de la vue, offrant aux enfants consultations et soins le cas échéant. En ce qui concerne les parents, les différents cours qui leur sont destinés, avec la participation d’experts, visent entre autres à améliorer la relation et la communication qu’ils ont avec leurs enfants, les sensibiliser à la sécurité et aux 330 TAI J. W., op.cit. ; CHAN C. K., op.cit. 88 accidents domestiques, les aider dans leur recherche d’emploi en cas de nécessité, leur apprendre à utiliser l’ordinateur, ou encore, les informer du cadre légal au travail. En général, les organisations tentent de toute façon d’établir un contact avec eux afin qu’ils prennent conscience des activités menées auprès de leurs enfants. Stepping Stones et Roots&Shoots sont toutefois davantage en contact avec les professeurs des élèves qu’ils aident, les parents étant trop occupés. Certains parmi ces derniers pensent même que la présence des professeurs-volontaires de Stepping Stones est une initiative des responsables des établissements et ne cherchent pas vraiment à les connaître. Nous avons toutefois relevé une exception dans la façon d’opérer. Xintu, qui travaille dans le secteur de la planification familiale, ne procède pas de manière directe dans l’aide apportée aux communautés migrantes de Shanghai. Son objectif étant de les autonomiser, l’ONG forme des « ambassadeurs de santé » et responsables de « centres de vie » qui proviennent de la communauté. Ceux-ci sont chargés de mener les projets et, à terme, de lever les fonds par eux-mêmes. Les bénéficiaires s’y réfèrent alors directement et ne sont pas forcément conscients de l’aide reçue, ce que ne recherche pas nécessairement l’organisation. Contrairement à Roots&Shoots qui nous a affirmé que, lorsque les enfants reçoivent à l’école des collations nutritives, ceux-ci en connaissent bien la provenance. Une autre ONG se démarque par son projet : au-delà de chercher à améliorer l’instruction des enfants migrants, Shanghai Young Bakers propose une formation professionnelle en pâtisserie-boulangerie à des jeunes adultes venant de milieux défavorisés. Bien qu’il s’agisse dans ce cadre d’une migration « organisée » plutôt que « volontaire », il nous a paru intéressant d’en tenir tout de même compte dans notre analyse car les difficultés que l’organisation rencontre et divers éléments énoncés convergent avec le reste des témoignages (cf. infra). De plus, l’ONG travaille en partenariat avec certaines des organisations rencontrées : Stepping Stones y envoie ses professeurs d’anglais bénévoles et certains migrants formés en boulangerie-pâtisserie étaient auparavant des bénéficiaires de JiuQian. De manière générale, les missions poursuivies se rejoignent en ce sens que toutes les ONG cherchent à développer les compétences des enfants, des parents voire de 89 l’ensemble de la communauté migrante, de les intégrer dans la ville et leur donner l’opportunité d’améliorer leur futur. Pour atteindre leur objectif, soit les organisations se déplacent elles-mêmes dans les écoles pour migrants (essentiellement les écoles primaires) ou centres communautaires où elles offrent leurs services, soit elles disposent d’un ou plusieurs centres dans lesquels les activités sont tenues. Étant donné leurs ressources limitées, les sites sur lesquels les ONG interviennent ne sont pas nombreux, variant de un à six. Une autre raison qui explique l’ampleur relativement restreinte des activités est la volonté de privilégier la qualité avant la quantité. Seule l’organisation Stepping Stones fait exception car elle intervient sur une trentaine de sites, comprenant des écoles, des centres communautaires et des associations partenaires. Cependant, le responsable des projets nous a tout de même confié que la charge de l’ensemble des projets qu’ils ont en place est à la limite de leurs capacités. 3. Financement et partenariat Pour financer leurs projets destinés aux migrants, les ONG s’appuient davantage sur des fonds privés que publics, et davantage étrangers que chinois. Les financements proviennent de chambres de commerce et ambassades (via les galas de charité organisés), banques, entreprises, fondations et autres associations… En raison de leur caractère international, certaines organisations jouissent d’une bonne réputation auprès des bailleurs qui viennent parfois les trouver spontanément : Roots&Shoots (qui fait partie d’un réseau international fondé par le Dr Jane Goodall), Shanghai Young Bakers (créé par des Français de la Jeune Chambre économique française) et Stepping Stones (dont la directrice est franco-britannique et dispose d’un bon réseau de contacts). Cependant, ces organisations-là ne remportent pas les appels à propositions publics, le gouvernement favorisant plutôt les petites ONG locales ayant un impact local. Une exception toutefois est Included : pourtant présent à l’international, ils ont récemment obtenu des fonds publics. Nous pensons que la raison de ce changement (assez récent) est l’établissement d’un partenariat avec l’association des résidents du quartier où ils sont implantés. 90 Outre leur avantage à se trouver dans l’incubateur d’ONG de Pudong, Xintu et Lequn reçoivent des financements publics. Ceux-ci visent en majorité leurs projets destinés à d’autres populations vulnérables de Shanghai, mais leur permettent tout de même de maintenir leurs projets auprès des migrants. De même, deux centres de JiuQian sont financés par le gouvernement local du district de Pudong. Nous pouvons établir un rapprochement avec le fait que ce district est celui qui accueille le plus grand nombre de familles migrantes. Il paraît plus enclin à financer des projets qui visent cette population vulnérable, bien que généralement, en contrepartie, les organisations doivent s’engager à mener des activités pour la population locale. Par ailleurs, les ONG remarquent que non seulement la compétition pour l’obtention des financements est de plus en plus rude, mais aussi que la situation économique favorable de la Chine ralentit l’aide internationale. Enfin, parmi les autres difficultés présentes, on retrouve les exigences des bailleurs quant à l’allocation des fonds et le manque de stabilité des financements privés. Il est en effet difficile d’attirer l’attention sur la population migrante qui ne paraît pas aussi nécessiteuse et vulnérable aux yeux des observateurs extérieurs. Lors de nos entretiens, nous nous sommes aussi intéressés à la thématique du plaidoyer. La moitié des ONG interrogées communique en effet avec le gouvernement local, et plus particulièrement les bureaux concernés par leur secteur d’intervention. Toutefois, conscientes de leur pouvoir d’action limité, ces organisations ne font pas du plaidoyer leur priorité. Elles ont également précisé ne pas se trouver dans la bonne position pour s’adresser au gouvernement, ne pas être en contact avec les bonnes personnes. Parmi les quatre autres organisations, Stepping Stones sensibilise davantage le public chinois et étranger aux problèmes des migrants lors d’activités avec les entreprises et universités internationales. À Suzhou, la mission est plus délicate pour On Action étant donné le sujet sensible de sa mission. Ainsi le plaidoyer se fait plutôt auprès d’organisations localisées à Hong Kong et à l’étranger, notamment aux États-Unis. Enfin, Shanghai Young Bakers ne fait pas de plaidoyer et nous n’avons pas l’information pour JiuQian. Les partenaires de mises en œuvre sont essentiellement privés. Seul Xintu travaille avec des hôpitaux qui appartiennent au Bureau du planning familial de Shanghai. Outre les dons matériels et alimentaires, les entreprises et écoles internationales 91 apportent leur aide durant les activités via l’envoi d’employés ou étudiants volontaires. Pour les premiers, c’est aussi l’occasion de promouvoir le travail en équipe (teambuilding). Des hôpitaux et centres de santé privés collaborent pour les consultations et soins apportés aux enfants des migrants et envoient des experts lors des séances d’information offertes aux parents. Les associations universitaires et de quartiers apportent aussi leur soutien via leurs bénévoles. Enfin certaines organisations collaborent avec d’autres ONG notamment dans le cadre d’une entraide mutuelle. Stepping Stones envoient par exemple ses volontaires pour l’enseignement de l’anglais aux jeunes adultes migrants de Shanghai Young Bakers. Lequn a par ailleurs déjà permis à une organisation à prendre le relais pour un projet dont ils avaient obtenu le financement mais dont l’objectif s’écartait de leur mission et expertise. Suzhou On Action échange des informations relatives à la défense des travailleurs migrants avec des ONG et bureaux d’avocats situés à Canton, Shenzhen et Hong Kong. 4. Obstacles et succès De plusieurs dizaines à plusieurs milliers par an, le nombre de bénéficiaires touchés dépend bien entendu de la manière dont les ONG fonctionnent, du type de projets et de l’ampleur des ressources. Au-delà des chiffres, nous avons posé la question des obstacles et succès rencontrés par les organisations. D’une part, les croyances et le comportement des parents limitent parfois l’impact des projets relatifs aux soins et à l’hygiène des enfants. Malgré les conseils d’experts sur les bénéfices du port des lunettes, d’une opération de la vue, ou encore de l’hygiène corporelle, certains migrants refusent parfois ou vont à l’encontre de l’aide apportée. Le peu de temps libre dont les parents disposent dû à une lourde charge de travail imposée ne leur permet pas souvent de participer aux activités proposées et rend la communication avec les organisations difficile. De même, pour les ONG qui travaillent dans les écoles pour migrants, les professeurs sont surchargés et ne peuvent ou ne veulent donc pas toujours s’impliquer dans les projets. Roots&Shoots a aussi mentionné la langue comme barrière à la participation de la communauté expatriée. Enfin, Shanghai Young Bakers regrette que les jeunes adultes prenant part à la formation ne soient peut-être pas forcément les plus défavorisés, la sélection initiale se faisant au travers des organisations partenaires. 92 D’autre part, les organisations sont positives quant aux changements de comportements obtenus grâce aux activités mises en place. Les enfants migrants sont plus confiants, plus indépendants, plus ouverts. Ils montrent plus d’assurance, s’intègrent mieux, communiquent plus facilement et ce, même avec les bénévoles étrangers. Xintu note que les communautés migrantes aidées de façon indirecte développent une autonomie certaine et un sens de l’entreprenariat. Lequn a également remarqué que les migrants se permettent désormais de penser à leur vie sociale. Outre la maturité acquise, les bénéficiaires de Shanghai Young Bakers se voient en général offrir plusieurs opportunités d’emploi à la fin de leur formation. Enfin, malgré la mise en œuvre difficile des projets, Suzhou On Action voit également de manière positive la prise de conscience des ouvriers migrants quant à leur force collective. 5. Forces et faiblesses Enfin, nous avons demandé aux organisations de nous citer leurs forces et faiblesses. Concernant les premières, Roots&Shoots a évoqué la bonne réputation dont l’organisation jouit et la relation de confiance établie avec ses bailleurs et partenaires. Xintu a souligné sa façon d’opérer comme étant sa force car l’ONG permet ainsi à la communauté de développer ses propres capacités, ce qui leur apporte une solution durable. Les forces de Lequn sont une équipe jeune, dynamique et innovante, un travail proche de la population et une interconnexion entre les différents départements. Les enfants migrants ont ainsi la possibilité de participer à des activités dans les maisons de repos où ils interviennent via à un autre projet. Included nous a parlé de leurs progrès constants, la confiance qu’ils ont réussie à instaurer avec les migrants mais aussi les résidents locaux, ainsi que le partenariat noué avec l’association du quartier. JiuQian a mis en avant le fait qu’ils agissent dans un domaine particulier, soit la musique et le chant. Stepping Stones jouit avant tout du leadership, de la motivation et expérience de sa directrice, mais également d’un très bon réseau de contacts et de bénévoles. Shanghai Young Bakers utilise bien les réseaux sociaux et différents moyens de communication pour mettre en avant leurs partenaires et bailleurs. La valeur commerciale de la formation qu’ils proposent peut en outre bénéficier à d’autres organisations et ainsi atteindre indirectement de nombreux bénéficiaires dans toute la Chine. Par ailleurs, ces trois dernières ONG ont toutes évoqué leur professionnalisme et expertise. Finalement, Suzhou On Action se 93 félicite du travail accompli avec les ouvriers-bénévoles et de l’organisation de ses activités. Quant aux faiblesses, les organisations font dans l’ensemble face aux mêmes problèmes, à savoir le manque de compétences quant à la récolte de fonds, le manque et l’instabilité du personnel, le manque de redevabilité (accountability) (que ce soit auprès des bailleurs que des bénéficiaires), ainsi que de promotion et évaluation des projets, parfois en raison du peu d’expertise dans ce domaine ou du peu de temps à pouvoir y consacrer. Mis à part le problème relatif au personnel, Suzhou On Action a pour sa part également mentionné le faible impact en raison des limites et obstacles imposés par le gouvernement local. B. LES BÉNÉFICIAIRES 1. Situation précaire Un logement d’à peine plus de 10m² sans cuisine ni toilette dans la périphérie rurale de Shanghai, en très mauvais état avec de médiocres conditions sanitaires et d’hygiène, et abritant parfois plusieurs membres d’une même famille… Dressée lors de nos entretiens, cette description des conditions de vie des familles migrantes à Shanghai nous rappelle que la migration est loin d’équivaloir à une ascension sociale. Une fois en ville, les migrants font face à une grande pression économique et leur préoccupation première (mais également la raison principale de la migration) est de gagner leur vie. Tandis que les parents travaillent jour et nuit, les enfants laissés seuls dans les maisons encourent des risques d’accidents. De nombreuses noyades sont notamment reportées durant les vacances scolaires d’été. Les repas pauvres en nutriments sont parfois préparés par l’ainé qui se charge du ménage en l’absence des parents. Il peut en effet se passer un mois sans que ceux-ci ne voient leurs enfants, rentrant trop tard et se levant très tôt pour aller travailler. L’on comprend dans cette situation que la relation parent-enfant ait des difficultés à se développer. Selon les ONG, à Shanghai, le logement, l’instruction et les soins de santé constituent les besoins fondamentaux des migrants. Et tel que Lequn l’a remarqué, si des enfants ont accès à l’instruction, il reste tout de même des aspects à prendre en compte notamment le développement personnel, la sécurité et l’intégration dans la 94 ville. Il apparaît en effet que dans le milieu urbain, les migrants et leurs enfants se sentent bien souvent méprisés par la population shanghaienne et, n’ayant pas accès aux mêmes services, relégués à un statut inférieur. 2. Droits des travailleurs migrants Suzhou On Action nous a pour sa part confirmé que les ouvriers-migrants à Suzhou mais également à Shanghai sont victimes de divers abus (impayés et arriérés salariaux, mauvaises conditions de travail, exposition à des substances nocives, maladies professionnelles, risques sécuritaires, heures supplémentaires abusives, salaires de base trop peu élevé…). Dans ce contexte, les syndicats ne sont pas d’un grand soutien car ils n’entreprennent aucune consultation auprès des ouvriers et représentent davantage les intérêts de l’entreprise et des cadres supérieurs, ayant été créés par ceux-là même. De nombreuses grèves ont lieu mais ne sont pas souvent portées à la connaissance du public. Bien souvent, elles n’aboutissent guère en raison d’une mauvaise organisation et stratégie des ouvriers. D’après On Action, cela dépend réellement du lieu, de la dynamique parmi les ouvriers, de l’usine… À Canton, les grèves et actions collectives ont en général plus d’effet et les travailleurs parviennent plus souvent à obtenir gain de cause grâce à leur meilleure organisation. Nous supposons également que la présence des ONG, plus nombreuses dans cette province, joue un rôle important dans la défense des droits des ouvriers. Enfin, leur existence est certainement due à davantage d’ouverture de la part des autorités locales, leur volonté de mieux protéger les travailleurs et éviter des abus tels que durant « l’affaire de Sun Zhigang ». Les recours en justice ne sont pas non plus aisés car ils requièrent beaucoup de temps et d’argent, sans garantie du résultat. Les ouvriers-migrants se retrouvent ainsi sans moyen pour faire valoir leurs droits, c’est pourquoi la présence et l’aide de l’ONG est indispensable. La responsable de projets de Suzhou On Action n’avait pas connaissance de l’existence d’organisation de défense des droits des travailleurs à Shanghai. Suivant de près toute situation ayant trait à la protection des ouvriers-migrants partout en Chine, elle nous a affirmé que la situation dans la municipalité shanghaienne présentait de nombreuses similitudes. Le dernier exemple qui nous a été donné 95 remonte à mai 2014, avant l’ouverture de l’IE Expo ( 中 国 博 会 , zhongguo huanbohui). La police antiémeute et des policiers armés avaient été dépêchés tout autour du site, le réseau téléphonique coupé, l’accès à internet bloqué,… Après deux semaines de grèves contre des pratiques abusives d’une usine étrangère, les ouvriers n’ont pas réussi à obtenir les compensations réclamées. 3. Relation avec les bénéficiaires Au niveau de la participation des bénéficiaires, toutes les organisations nous ont affirmé que leurs projets suscitent de bonnes réactions et de l’intérêt parmi la population migrante. Les contacts sont réguliers et s’établissent sur une base volontaire et de confiance. Mis à part les obstacles que nous avons déjà évoqués, Lequn précise qu’ils interviennent seulement dans les établissements scolaires où les professeurs et directeurs sont convaincus de l’impact social positif apporté et soutiennent entièrement leurs projets. Il est en effet arrivé que le corps enseignant aille à l’encontre des objectifs de l’ONG. Désormais, dans les écoles où celle-ci est présente, les activités et cours sont intégrés aux horaires des élèves. C’est également le cas pour Stepping Stones qui nous a expliqué que sa présence dans les écoles dépendait de la volonté des directeurs et le fait qu’ils croient ou non au projet mis en place, c’est pourquoi il est leur important de maintenir de bonnes relations avec ceux-ci. De plus, la présence d’étrangers dans l’école peut parfois être considérée comme « risquée » car soumise à l’enregistrement auprès du bureau du district. Cependant, comme l’organisation a finalement obtenu un statut local officiel, ce problème ne se rencontre plus vraiment. Stepping Stones a par ailleurs souligné que le contact avec les bénéficiaires était toutefois difficile à maintenir à long terme car d’une année à l’autre, la moitié des élèves pouvait changer. Ajoutons enfin que JiuQian connaît bien les familles des enfants qu’ils aident. Leur nombre étant plus restreint, l’organisation tient un dossier sur chacun d’entre eux et effectue même une visite à domicile. Deux des enfants aidés sont revenus plus tard dans l’ONG en tant que volontaires, puis stagiaires et y sont à présent employés. C’est également le cas pour Shanghai Young Bakers. Le nombre de bénéficiaires ne s’élevant qu’à une trentaine par an, l’organisation connaît bien leur passé parfois difficile. Par ailleurs, les professeurs qui dispensent aujourd’hui la formation sont aussi d’anciens étudiants, sélectionnés parmi la première promotion. 96 À travers leurs projets et activités, chacune des organisations tentent aussi de faire passer des messages aux migrants et de leur inculquer des valeurs telles que la solidarité, l’entraide, l’altruisme, l’amour, ainsi que la confiance en soi et en la vie. En effet, la plupart des ONG invitent leurs bénéficiaires à participer eux-mêmes en tant que bénévoles à des activités et événements durant lesquels ils ont l’opportunité d’aider à leur tour d’autres personnes vulnérables. Le but est également de leur montrer qu’il n’y a pas de honte à recevoir de l’aide, que leurs difficultés sont temporaires et qu’ils peuvent s’en sortir. Les ONG visent à les responsabiliser et les intégrer dans la ville en leur apprenant notamment le savoir-vivre et la communication avec autrui. 4. Droit à l’instruction scolaire Selon les informations reçues, le nombre officiel actuel d’enfants migrants à Shanghai atteindrait près d’un demi-million. Parmi eux, environ 60% auraient été admis dans les écoles publiques et le reste, soit moins de 200.000 enfants, seraient répartis dans les 162 écoles réservées exclusivement aux migrants. Depuis 2008, le gouvernement a repris progressivement un certain contrôle sur les écoles privées via l’octroi de subsides annuels à hauteur de plusieurs milliers de yuans par enfant (mais la gestion de l’école reste tout de même assurée de manière privée). Selon JiuQian, la réforme est actuellement encore en cours dans le district de Pudong qui compte le plus grand nombre d’enfants migrants.331 Concernant les subsides octroyés, Roots&Shoots a avancé le chiffre de 5000 yuans (700 euros), bien que, au lancement du plan d’action en décembre 2007, la somme annuelle de 1900 yuans (280 euros) était mentionnée.332 Notre hypothèse est que le coût ait en effet pu évoluer333 mais qu’il faille toutefois tenir compte des différentes règles selon les districts, ce qui pourrait faire varier la hauteur des subsides alloués d’un endroit à l’autre. Notons également que les subsides étant accordés en fonction du nombre d’élèves, les directeurs d’écoles ont intérêt à en recruter un maximum, ce YAN Y., “Children of migrant workers get education subsidy in Shanghai”, Xinhua: Beijing, 24 December 2007, [online access], http://www.gov.cn/english/2007-12/24/content_842383.htm, dernière consultation le 28 juin 2015. 332 Ibid. 333 Cette hypothèse se confirme à la lecture d’une étude réalisée en 2011-2012. La somme allouée lors de cette année académique était de 4.500 yuans par élève. In : CHEN Y., FENG S., Access to Public Schools and the Education of Migrant Children in China, Bonn: Institute for the Study of Labor (IZA), “Discussion Paper”, n°6853, 2012, p.8. 331 97 qui devient actuellement plus difficile en raison de nouveaux critères imposés (cf. infra). Les neuf années de scolarité obligatoire sont désormais également gratuites dans ces établissements (restent tout de même à la charge des parents les repas, l’uniforme et autres frais additionnels). Le gouvernement a par ailleurs établi une liste de critères que les établissements scolaires pour migrants doivent remplir pour pouvoir continuer à fonctionner et jouir des subventions. Toutefois, les critères d’admission aux écoles ont eux aussi été revus il y a deux ans, ce qui limite actuellement l’accès plutôt que de le faciliter, comme l’ont constaté les ONG. La possession d’un permis de résidence temporaire pour une durée minimale de deux ans et la preuve de contribuer au système de sécurité sociale de Shanghai sont en effet des nouvelles conditions instaurées afin de pouvoir inscrire son enfant dans une école privée pour migrants. Ne pouvant y répondre, une partie des parents ont ainsi renvoyé leurs enfants dans leur ville natale. En conséquence, le nombre d’élèves a récemment baissé et les écoles éprouvent des difficultés à en recruter de nouveaux. Malgré le fait que ces écoles jouissent désormais de meilleures infrastructures, la qualité de l’enseignement reste pauvre en raison d’un problème de recrutement de professeurs (dont les salaires sont nettement inférieurs que dans les écoles publiques). Les professeurs employés sont ainsi peu qualifiés et le nombre d’élèves par classe trop élevé : Une étude d’ailleurs a démontré que les performances scolaires des enfants dans les écoles pour migrants étaient nettement moins bonnes que leurs congénères ayant obtenu une place dans les écoles publiques. D’aucuns ont toutefois avancé que, dans ces établissements publics, les enfants migrants font face aux discriminations de la part de leurs professeurs et camarades ; de la sorte, ils pourraient finalement recevoir une meilleure instruction dans les écoles leur étant exclusivement réservées.334 Notons finalement que, selon Roots&Shoots et Stepping Stones, les directeurs acceptent tout de même des enfants dont les parents ne peuvent fournir tous les documents requis, selon la relation qu’ils entretiennent avec le directeur d’école et moyennant par ailleurs le versement d’une certaine somme. Face à la présence d’élèves « illégaux », Roots&Shoots nous a assuré que les autorités locales n’avaient jusqu’à présent mis en place aucune mesure répressive à leur encontre. 334 Ibid. 98 Les écoles privées pour migrants existent également à Suzhou où il y en aurait près d’une centaine. Elles présentent souvent des conditions assez médiocres et ne reçoivent aucune aide du gouvernement local. Contrairement à Shanghai, ce dernier ne fournit aucun effort afin d’améliorer l’accès des enfants migrants à une instruction de qualité. Toutefois, la plupart des ouvriers qui reçoivent l’aide de l’organisation On Action n’ont pas emmené leurs enfants avec eux dans la ville et séjournent dans les dortoirs fournis par l’usine. De plus, l’ONG a indiqué que la plupart des ouvriers ne faisaient aucune démarche de régularisation afin d’obtenir un permis de résidence temporaire et que, de son côté, le gouvernement ne se montrait pas strict à cet égard. Enfin, comme nous l’avions déjà expliqué dans le chapitre précédent, les enfants migrants à Shanghai sont amenés à retourner chez eux pour passer les examens de fin de cycle. Souvent, ils rentrent même plus tôt pour rattraper le décalage qu’il y a dans les matières enseignées afin de mettre toutes les chances de leur côté aux moments des épreuves finales. Stepping Stones se félicite que bien souvent les élèves qu’ils ont aidés parviennent à décrocher les meilleurs résultats en anglais. C. LES AUTORITÉS LOCALES ET LA SOCIÉTÉ CIVILE 1. Vision des ONG et relation avec les autorités En analysant les différents entretiens que nous avons menés, nous pouvons affirmer que les diverses organisations ont une vision qui n’est ni négative ni positive quant à l’attitude du gouvernement de Shanghai envers ses migrants. Au vu des efforts fournis dans le domaine de l’instruction des enfants migrants, le gouvernement local joue ou pourrait en effet jouer un rôle essentiel dans la résolution de ce problème. Toutefois, la manière dont les autorités procèdent est encore loin d’être suffisante. D’un côté, il y a une réelle prise de conscience de leur part et des tentatives de combler les inégalités (non seulement dans le domaine de l’instruction mais également de la sécurité sociale). D’un autre côté, il est évident que Shanghai ne dispose ni d’expérience ni de modèle sur lesquels se baser car la question des migrants est récente et n’a encore jamais été rencontrée dans une autre ville aussi peuplée, que ce soit en Chine ou ailleurs dans le monde. Xintu, qui travaille étroitement avec le Bureau de la planification familiale, a noté une évolution dans le rapport que le gouvernement de Shanghai entretient avec ses 99 migrants. Celui-ci a tout d’abord voulu limiter la population migrante (au sens large), leur a ensuite offert certains services, et enfin, a supprimé ces avantages sans pour autant imposer plus de limites à l’arrivée des migrants. Un exemple terminologique illustre l’évolution de la relation de coexistence qui apparaît désormais relativement stable : auparavant appelés « 外地人 » (waidi ren, personnes provenant d’une autre région de Chine), les migrants sont à présent désignés de manière plus accueillante sous le terme de « 来沪人员 » (lai hu renyuan, personnel venu à Shanghai). Bien entendu, dans la pratique, nous avons vu que de nombreuses inégalités demeurent. Dans le même temps, le gouvernement fait face à d’autres problèmes qu’il règle en priorité. L’Assemblée populaire locale a ainsi publié au début de cette année un ensemble de dix projets prioritaires pour la municipalité, parmi lesquels un visait la population âgée locale, mais aucun ne prenait en compte la population migrante.335 Le gouvernement n’a donc pas encore réellement mis en place de politiques spécifiques à leur égard, observant toutefois les difficultés auxquelles ils sont confrontés. C’est pour cette raison que certains appels à propositions ont pour bénéficiaires les migrants, mais leur nombre reste très limité. Les autorités ont d’une part construit et subsidié des écoles pour migrants, mais face aux nombres croissants d’enfants migrants dans la ville, elles ont d’autre part instauré de nouveaux critères afin de les restreindre. En outre, l’environnement législatif est assez confus et fort changeant. 2. Entre soutien et contrôle Toutefois, Shanghai se montre depuis peu plus favorable aux organisations non gouvernementales à caractère social. Mais le phénomène étant assez nouveau, les autorités cherchent tout de même à les contrôler. En somme, le gouvernement est prêt à soutenir les ONG qui répondent à ses attentes, collaborent et mettent par ailleurs en place des projets qui bénéficient à la population locale. Pourtant, face à des acteurs étrangers, Stepping Stones a noté qu’une certaine méfiance voire une suspicion demeure quant à l’objectif final réellement poursuivi. Cela semble aujourd’hui se confirmer avec un projet de loi présenté par la Commission nationale “Shanghai 2015 nian « zhengfu gongzuo baogao » shi da guanjianci” (Shanghai 2015 « Plan de travail gouvernemental » les dix priorités), Le Quotidien du peuple : Pékin, 25 janvier 2015, [accès en ligne], http://sh.people.com.cn/n/2015/0125/c134768-23676872.html, dernière consultation 15 juillet 2015. 335 100 de sécurité à l’encontre des ONG étrangères qui a provoqué un tollé à l’étranger. En effet, celui-ci annonce de nouveaux abus et répressions à l’égard du droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association.336 Lorsque nous avons demandé si en fin de compte les organisations ne remplissaient pas un rôle qui devrait être pris en charge par le gouvernement lui-même, nos interlocuteurs ont tous répondu par la négative. Ils estiment que, malgré la limite des actions du gouvernement et des groupes encore marginalisés, celui-ci a déjà montré des efforts, et certainement davantage que dans d’autres localités. Les ONG considèrent que leur travail est plutôt complémentaire aux actions du gouvernement. Bien entendu, elles s’accordent à dire que dans l’idéal, les autorités devraient permettre à tout enfant de poursuivre son instruction et à toute famille d’avoir un accès aux services de santé, indépendamment de leur lieu d’origine et situation socioéconomique. La responsable de l’organisation Included a remarqué sans équivoque que la solution serait évidemment d’éliminer le système du hukou. Roots&Shoots a avancé qu’il serait plus simple que les règles s’appliquent de façon homogène dans toute la Chine, ce qui éviterait une concentration de la population migrante dans une ville ou l’autre. En effet, nous avons vu que la gestion du système du hukou est décentralisée et cela mène à des divergences entre les différents niveaux d’administration. En attendant, le gouvernement de Shanghai ne semble pas imposer d’obstacles aux organisations et, comme nous l’avons mentionné précédemment, la moitié des ONG rencontrées reçoivent un soutien financier public non négligeable. Tandis que, de l’extérieur, nous ne voyons que des abus à décrier, nous nous posons la question du motif qui conduit les ONG à adopter cette vision relativement optimiste. S’agit-il d’une certaine pression ressentie par nos interlocuteurs qui ont voulu nous donner une bonne image de leur gouvernement ? (Notons l’importance pour les Chinois de « garder la face », toutefois nous avons également interrogé des étrangers). S’agit-il d’un optimisme « par défaut » ? (La situation pourrait en effet être pire)… Un autre élément de réponse pourrait être celui que nous détaillons ciRICHARDSON S., “Submission by Human Rights Watch to the National People’s Congress Standing Committee on the second draft of the Foreign Non-Governmental Organizations Management Law”, Human Rights Watch: New York, 1 June 2015, [online access], https://www.hrw.org/news/2015/06/01/submission-human-rights-watch-national-peoples-congressstanding-committee-second, dernière consultation le 15 juillet 2015. Voir aussi : DENYER S., “NGOs in China fear clampdown as Xi Jinping plans new security controls”, The Guardian: London, 30 March 2015, [online access], http://www.theguardian.com/world/2015/mar/30/ngos-china-fearsecurity-clampdown, dernière consultation le 15 juillet 2015. 336 101 après : un climat favorable à l’établissement d’une société civile (« à la chinoise », voudrait-on préciser) qui semble s’installer dans la ville… 3. Climat favorable Ces dernières années, la ville a connu des changements favorables au développement d’un esprit de solidarité et de bénévolat au sein de la population locale. Certains ont identifié plus précisément 2010 comme étant l’année charnière et fait le rapprochement avec l’organisation de l’Exposition universelle. Depuis lors, il s’avère notablement plus simple pour les ONG de recruter des volontaires et bénévoles afin de participer à la mise en œuvre de leurs projets, entre autres, grâce à de nouvelles plateformes créées à cet effet. La population semble avoir pris conscience de l’importance des valeurs véhiculées par ce genre d’actions solidaires mais comprend également mieux l’existence ainsi que les enjeux des organisations sociales et du secteur non lucratif. Ce changement a bien entendu d’abord été encouragé par le gouvernement, sinon, tel que Lequn l’a remarqué, il n’aurait certainement pas vu le jour. Sur les écrans et dans les transports publics, les propagandes en faveur du bien-être public se mélangent aux publicités qui n’étaient autrefois que commerciales. Ce nouvel engagement est relayé par les célébrités, agences de presse et médias qui s’investissent via leur propre fonds pour la population ou fondation. L’on voit d’ailleurs le nombre de participants aux événements caritatifs augmenter de plus en plus. Les universités et entreprises soutiennent aussi le mouvement à travers les associations et groupes de volontaires dont elles disposent. Cette tendance n’est pas circonscrite à la municipalité shanghaienne : des organisations non gouvernementales sont également présentes dans les villes de Canton, Shenzhen, Pékin et Chengdu. Leur implication croissante suscite progressivement l’intérêt des citoyens locaux et encourage leur participation. Malgré tout, Shanghai a l’avantage de posséder une très large population expatriée mais également des citoyens chinois ayant une ouverture et connaissance de l’étranger plus avancée. Compte tenu en outre de la part des financements étrangers dans les projets pour migrants, nous pouvons ainsi avancer l’hypothèse que le nouvel intérêt à cet égard s’est fait en partie sous une impulsion étrangère. 102 L’idée et le concept de bénévolat s’est aussi répandu à travers les programmes universitaires en « travail social » ( 社 会 工 作 , shehui gongzuo) qui recrutent un nombre croissant d’étudiants, comme nous l’a confirmé Lequn. Par ailleurs, Included nous a confié que certains jeunes bénévoles étaient plutôt motivés par l’obtention d’un certificat à ajouter à leur curriculum vitae. Nonobstant le fait que l’intention solidaire soit peut-être détournée dans ce cas, il n’en reste pas moins la preuve que le bénévolat a acquis une certaine valeur et reconnaissance auprès des employeurs. 4. Le bien-être public aux sacrifices de certains À quarante minutes de là en train à grande vitesse, la précarité de l’organisation Suzhou On Action nous a fort marqués. Tout projet en relation avec la défense des droits-ouvriers est automatiquement suspendu par la police locale. Alors qu’autrefois, l’ONG pouvait se rendre aux abords des usines, les seules activités qu’il est aujourd’hui possible de mener sont secondaires et indirectes, via les ouvriersbénévoles. De même lorsque des accidents mortels se produisent, les autorités agissent rapidement afin qu’aucune information ne soit publiée par les médias. Le gouvernement local cherche en réalité à préserver un climat stable dans la zone industrielle afin d’attirer les investisseurs (ou ne pas les éloigner). Ainsi le gouvernement ne tolère pas les mouvements sociaux et les intérêts des travailleurs sont largement ignorés notamment en raison du caractère temporaire et hautement mobile de la migration. Selon On Action, si les syndicats assumaient pleinement leur rôle en protégeant les intérêts collectifs, cela permettrait déjà une avancée décisive en la matière. Pourtant, en termes de prise de conscience, Suzhou connaît une réalité qui n’est pas si éloignée de Shanghai. D’une part, les travailleurs migrants eux-mêmes sont plus conscients de leurs droits. Bien que leurs actions ne soient pas encore à la hauteur de cette prise de conscience et que leur attitude soit plutôt pessimiste quant à l’issue de celles-ci, de plus en plus d’ouvriers veulent s’engager bénévolement auprès de l’ONG et transmettre les connaissances au sein des communautés migrantes. D’autre part, les étudiants universitaires manifestent leur volonté de venir en aide aux travailleurs, et de manière plus générale, le nombre de bénévoles et d’actions volontaires s’accroît. Tel que nous l’avons observé dans la ville de Shanghai, ce changement a été induit 103 par le gouvernement local qui promeut désormais le bien-être public et la montée du secteur tertiaire non-marchand. 5. Espoir futur ? Finalement, les organisations nous ont fait part de leur opinion quant à la situation future à Shanghai qui s’avère pour l’ensemble incertaine mais plutôt positive. Incertaine tout d’abord car il est clair que les décisions prises plus récemment limitent davantage l’accès des enfants migrants à l’instruction et que les politiques de développement visent et profitent en premier lieu à la population locale. Toutefois, la municipalité est reconnue pour être plus ouverte, agir plus rapidement et effectivement. Ce dynamisme, conjugué à un mouvement nouveau altruiste en faveur du bien-être public, laisse ainsi penser aux acteurs de la société civile que la situation évoluera probablement de manière positive. Quand bien même le chemin serait semé d’embûches, il n’en demeure pas moins un espoir pour les migrants. Les autorités locales ont en effet pris conscience du problème, et, quand le moment sera venu, il n’est pas impossible, toujours selon les ONG, que des initiatives en leur faveur (même soumises à des conditions) soient mises en place. À notre surprise, cet optimisme s’est également retrouvé lors de notre entretien avec Suzhou On Action malgré la pression subie. CONCLUSION Après avoir analysé les transformations de la Chine contemporaine, dépeint le tableau des migrations internes qui ont participé à son développement et étudié l’origine ainsi que les conséquences du système du hukou, dans ce dernier chapitre, nous avons voulu donner au lecteur une vision plus locale et concrète de la situation et avons à cet effet sélectionné la municipalité de Shanghai. La ville regorge en effet de contrastes avec une population urbaine locale qui se fait progressivement rattrapé en nombre par ses résidents temporaires. Dynamique, cosmopolite, ouverte sur l’extérieur et jouissant d’une croissance économique et d’un PIB par habitant parmi les plus élevés du pays…, Shanghai attire une main-d’œuvre rurale qui entend profiter elle aussi des richesses générées. Bien qu’elle nécessite ces travailleurs pour assurer son développement économique, la municipalité n’est toutefois pas prête à leur accorder un traitement égal à celui des citoyens urbains. Malgré les efforts fournis dans le domaine de la sécurité sociale et de la scolarisation des enfants 104 migrants, l’accès à ces services demeure conditionné par l’obtention d’un permis de résidence temporaire, qui est également discriminatoire. Seuls les meilleurs peuvent espérer obtenir un jour le hukou urbain tant convoité. Tandis que les migrants ruraux de Shanghai luttent quotidiennement pour améliorer leurs conditions de vie dans cette métropole guère accueillante à leur égard, des organisations de la société civile ont décidé d’apporter un soutien à cette population vulnérable. Nous nous sommes ainsi entretenus avec huit d’entre elles afin de comprendre leur mission, leur fonctionnement et leur regard sur la problématique. Comme nous venons de le présenter dans notre analyse, les organisations non gouvernementales (ONG) rencontrées agissent surtout dans le domaine de l’éducation et de la santé auprès des enfants de la communauté migrante. L’ampleur des projets menés est en général limitée en raison d’un manque et une instabilité des ressources humaines et financières. Les ONG s’appuient ainsi sur l’aide de bénévoles et, dans l’ensemble, les financements reçus sont davantage d’origine privée et étrangère. Quant au plaidoyer, les ONG en font en particulier auprès du public avec lequel elles sont déjà en contact, n’estimant pas pouvoir réellement peser auprès des institutions publiques. Enfin, les projets ont clairement des impacts positifs sur le développement social des bénéficiaires. Grâce à nos entretiens, nous avons par ailleurs pu confirmer les informations décrites dans les chapitres précédents quant aux conditions de vie et de travail des migrants, leurs priorités et besoins lorsqu’ils séjournent en ville ainsi que les problèmes d’intégration et d’accès aux services auxquels ils sont confrontés. Dans ce cadre, les ONG cherchent à leur redonner confiance et espoir à travers leurs activités, leur apprennent à s’intégrer, à communiquer et tentent de les responsabiliser. À côté de l’aide fournie, que ce soit des cours d’anglais, de musique ou un accès gratuit à des soins de santé, les notions de bénévolat et d’altruisme constituent le message central délivré aux migrants et leurs enfants. Les ONG tiennent en outre à travailler avec des partenaires qui partagent ces valeurs et croient aux bienfaits de leur mission. Depuis quelques années, il semblerait que le climat politique et social à Shanghai soit de plus en plus favorable à l’établissement d’une société civile (« à la chinoise »). Les initiatives sont toutefois orientées par les autorités qui plaident, notamment via des spots publicitaires, pour le bien-être public. Les ONG ont identifié 2010 comme 105 étant l’année où ce mouvement a débuté. Cela coïncide ainsi avec l’organisation de l’Exposition universelle, à la thématique similaire. À cette période, des plateformes de bénévoles et volontaires ont été créées. Actuellement, le mouvement s’amplifie avec, entres autres, les entreprises et universités qui disposent de leurs propres groupes et associations de volontaires. Le secteur du non-marchand s’est progressivement trouvé une place à Shanghai, mais également dans d’autres métropoles chinoises. Nous avons toutefois formulé l’hypothèse que pour Shanghai, et dans le cas du soutien aux migrants en particulier, l’impulsion pourrait par ailleurs venir de l’étranger, via la communauté expatriée, les représentations diplomatiques, les universités et entreprises étrangères ainsi que les Chinois ouverts sur le monde extérieur ou ayant vécu à l’étranger. Reconnaissant certes les problèmes rencontrés par la population migrante, la municipalité met cependant en priorité sa population locale. Les ONG interrogées estiment tout de même que les autorités shanghaiennes assurent une aide fondamentale aux migrants, aussi minime soit-elle. Il leur semble pour l’instant que le gouvernement local observe, expérimente et contrôle encore, mais que, en somme, la direction prise est plutôt positive, en dépit, certainement, d’autres obstacles à venir. 106 CONCLUSION GÉNÉRALE Les inégalités sociales en Chine ayant déjà fait l’objet d’études en tout genre, nous aimerions conclure sur notre contribution à l’analyse de la problématique des migrants ruraux en zone urbaine. Tout d’abord, nous avons voulu démontrer que ces inégalités sont le résultat d’un système qui est ancré dans l’histoire du pays et qui, de ce fait, peut être considéré comme un instrument traditionnel de gestion de l’ordre social. En effet, malgré le fait que les écarts sociaux soient davantage visibles depuis l’entrée de la Chine dans un nouveau modèle économique dit « socialiste de marché », de tout temps, les autorités ont organisé et contrôlé la société chinoise de manière à éviter des débordements sociaux et revendications de la population qui pourraient mettre à mal l’existence du Parti unique. Ajoutons également les caractéristiques géographiques et démographiques propres au pays qui requièrent sans aucun doute une gestion habile de la part des autorités en place. La longue pratique du système d’enregistrement des ménages à travers le temps indique en outre que sa suppression relève plutôt de l’improbable. D’ailleurs, compte tenu de certains exemples qui ont été fournis dans notre analyse, nous pensons que s’il était amené à disparaître de manière définitive, le système du hukou serait aussitôt remplacé par des mesures restrictives similaires, du moins dans les grandes métropoles telles que Shanghai. Les autorités locales mais aussi les citoyens urbains ne permettraient pas de voir leur ville « envahie » par des afflux de travailleurs ruraux perçus comme une menace à divers égards. Grâce à nos entretiens, nous avons pu observer cet effet en particulier dans l’accès à la scolarisation des enfants migrants. Suivant une directive nationale, la municipalité de Shanghai a montré des efforts dans ce domaine et a finalement permis à la population migrante d’inscrire leurs enfants gratuitement dans les écoles publiques et les écoles privées pour migrants. Nonobstant l’écart dans la qualité de l’enseignement, cela représentait déjà une grande avancée en termes de respect des droits fondamentaux. Toutefois, devant le nombre croissant d’élèves et la plainte des parents locaux qui ne voulaient voir leurs enfants mélangés à la population extérieure (certaines écoles de haut standing avaient d’ailleurs refusé d’appliquer la mesure), les 107 autorités ont actuellement resserrés les critères d’admission, privilégiant à présent les enfants des familles migrantes les plus aisées. Ce genre de situation en va-et-vient qui existe à divers niveaux administratifs dans l’ensemble du territoire donne l’impression que les autorités se trouvent encore dans une phase d’expérimentation. Cependant, l’issue semble à chaque fois être en défaveur des migrants ruraux les plus vulnérables. À notre surprise, les organisations sociales rencontrées ne se montrent néanmoins pas négatives quant à l’évolution de la situation. Face aux inégalités qui persistent, elles se voient être une solution complémentaire aux autorités shanghaiennes qui fourniraient déjà, selon elles, des efforts minimaux. Certaines reçoivent en outre des fonds publics qui leur permettent de mettre en place des projets visant non seulement les migrants, mais aussi (et cela fait certainement l’objet d’une condition d’allocation des fonds) des populations vulnérables locales. Là est justement le problème, que ce soit la municipalité de Shanghai ou une autre ville ou province, celle-ci doit faire face à d’autres priorités qui minimisent finalement l’importance de régler le problème des migrants. C’est pourquoi nous restons prudents et ne crions pas victoire lorsque les ONG nous décrivent le climat favorable qui semble s’être installé depuis quelques années. Si nous prenons le cas de l’Exposition universelle, celle-ci a peut-être encouragé les citoyens à s’investir pour le bien-être social public, toutefois, nous pensons qu’il s’agit avant tout du bien-être de la population locale et, tout au plus, des migrants qui sont déjà intégrés dans la ville (qui viennent en général du milieu urbain). Quant à l’enthousiasme démontré récemment par les citoyens à l’égard des actions bénévoles et du volontariat, il a en effet été permis et orienté par les instances publiques. Cela n’a donc pas été le résultat d’un processus social qui se construit en vis-à-vis de la sphère politique. De là se pose la question de savoir jusqu’à quand les autorités chinoises appuieront ou toléreront ce mouvement. Sans vouloir paraître pessimistes, nous tenons à rappeler que les droits de l’homme sont encore un sujet sensible voire tabou en Chine. Le projet de loi visant les organisations étrangères qui a été présenté récemment le confirme d’ailleurs. 108 Enfin, nous constatons, quoique sans grand étonnement, que les ONG n’incluent pas le plaidoyer dans leur mission principale car, selon elles, elles ne sont pas bien placées et n’ont aucun pouvoir d’action réel. Or, nous sommes convaincus que le dialogue avec les politiques doit faire partie intégrante de la mission d’organisations non gouvernementales. Si celui-ci rencontre un obstacle, alors nous estimons que les initiatives récentes ne font pas figure d’un avènement de changements sociaux qui permettraient aux migrants ruraux de participer de manière égalitaire au développement économique du pays. Dans ce contexte institutionnel rigide, il nous semble difficile d’envisager quelque piste d’action possible, car, comme nous l’avons réitéré au fil de notre analyse, tant que le système du hukou (ou toute autre forme de mesures induisant une ségrégation sociale) existe, les inégalités subsisteront. Toutefois, il est certain que la présence des organisations sociales permet d’apporter aux migrants ruraux un soutien nécessaire en zone urbaine. Ainsi, il est important que celles-ci puissent continuer à mener leurs actions. Cela les amènera sans doute à maintenir de bonnes relations avec les autorités (entendez par là : à ne pas aller à l’encontre de leurs décisions). Enfin, nous pensons qu’une des solutions pour les organisations est d’investir particulièrement leurs efforts à promouvoir le développement de la communauté migrante en passant par l’instruction et l’intégration des enfants. À cet effet, il pourrait être utile d’évaluer l’impact à long terme des actions des ONG sur les enfants migrants, afin de constater si les opportunités d’émancipation à cet égard sont bien réelles. 109 BIBLIOGRAPHIE Monographies: BENSON L., La Chine depuis 1949, Bruxelles : éditions de l’Université de Bruxelles, 2012, 329 p. FROISSART C., La Chine et ses migrants : la conquête d’une citoyenneté, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2013, 404 p. HAN D., Mon combat pour les ouvriers chinois, Neuilly-sur-Seine : Michel Lafon, 2014, 242p. LEE C.-K., Against the Law: Labor Protests in China’s Rustbelt and Sunbelt, Berkeley : University of California Press, 2007, 325 p. 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Des guerres de l’opium à nos jours, Paris : La Documentation française, « Documentation photographique », n° 8093, 2013, p.55. 124 Annexe 2 : Photographie du hukou Source : WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, pp.72-73. 125 Annexe 3 : Les moyens et conditions d’obtention du hukou urbain Source : WANG J., Les migrations intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris : L’Harmattan, 2012, p.246. 126 Annexe 4 : Formulaire d’enregistrement de résidence temporaire Source : WANG F.-L., Organizing Through Division and Exclusion: China’s Hukou System, Stanford, California: Stanford University Press, 2005, p.76. 127 Annexe 5 : Protestations des travailleurs migrants Wage arrears protests in China’s manufacturing industry by province: January 2014 -July 2015 Shanghai Source : “Wages and employment”, China Labour Bulletin: Hong Kong, 4 August 2015, [online access], http://www.clb.org.hk/en/content/wages-and-employment, dernière consultation le 4 août 2015. 128 Annexe 6 : Couverture sociale des migrants ruraux Dans l’ordre d’apparence : Source : “China’s Social Security System”, China Labour Bulletin: Hong Kong, April 2014, [online access], http://www.clb.org.hk/en/view-resource-centre-content/110107, dernière consultation le 24 mai 2015. 129 Annexe 7 : La migration et les maladies transmissibles Source : Zimmerman et al, 2011, cité dans : TUCKER J. D., et al, The Influence of Migration on the Burden of and Response to Infectious Disease Threats in China, Geneva: UNRISD – Sun Yat-sen CMHP, “Working Paper”, n°3, 2013, p.9 ; p.12. 130 Annexe 8 : Provinces d’origine et de destination des migrants Source : FROISSART C., La Chine et ses migrants : la conquête d’une citoyenneté, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2013, annexe XV. 131 Annexe 9 : Coefficients de restriction pour le transfert de hukou Ville Province Shanghai Shenzhen Beijing Guangzhou Qingdao Xiamen Hangzhou Suzhou Dalian Xi’an Tianjin Qinhuangdao Ningbo Jinan Nanjing Shanghai Guangdong Beijing Guangdong Shandong Fujian Zhejiang Jiangsu Liaoning Shaanxi Tianjin Hebei Zhejiang Shandong Jiangsu Investissement Coefficient Ordre 2,1049 1 1,5744 5 2,0179 3 1,7422 4 1,5731 6 0,9138 8 0,4391 11 0,4159 12 0,2233 19 2,1049 2 0,9033 10 0,0849 24 0,9129 9 0,4105 14 0,246 18 Emploi Coefficient 2,4044 1,9531 1,9844 1,7549 1,4083 1,7256 1,6312 1,5685 1,1752 1,1501 1,3692 1,2242 1,3325 1,3331 0,8029 Ordre 1 3 2 4 9 5 6 7 17 20 11 16 14 13 38 Généralisé Coefficient 3,1762 2,5035 2,4563 2,0549 1,6751 1,5515 1,5427 1,4509 1,4216 1,416 1,3316 1,2816 1,2651 1,1956 1,0646 Ordre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 Source : WU K., ZHANG L., CHEN X., 2010, cité dans : WANG J., Les migrations intérieures en Chine : le système du Hukou, Paris : L’Harmattan, 2012, pp.247-248. 132 Annexe 10 : Les Entretiens 133 Guide des entretiens Catégories Questions ONG Présentation générale de l’ONG Nom (signification ?) Sa création (Qui ? où ? dans quel but ?) (origine chinoise/étrangère ?) Ses valeurs, vision, mission, slogan L’équipe (combien ? quelle formation et quelle fonction ?) Statuts de l’ONG (ont-ils changé depuis sa création ?) Activités Son/ses bénéficiaires, groupes cibles (divisions en genre, âge, lieu d’origine ?) Démarche active ou passive par rapport aux bénéficiaires ? La promotion des activités Lieux des activités Les grands projets récents Le financement des projets (ampleur des projets ?) Plaidoyer pour la cause des migrants ? auprès de qui ? (quelle portée ?) Partenariat avec d’autres institutions (publiques/privées) /ONG (chinoises ou étrangères) pour l’exécution des projets Résultats Les résultats obtenus (en chiffres) – quelles incidences (positives ou négatives) sur la communauté au sens plus large ? Les échecs (pour quelles raisons ?) Obstacles à la bonne réalisation ? Faiblesses et forces de l’ONG (externes et internes) Changements L’attitude de l’ONG au niveau de la stratégie/vision/activités/bénéficiaires Futures ambitions de l’ONG (expansion du personnel ou du lieu d’activités ? ou de fonctionnement ?) (en conséquence des résultats obtenus, quelles leçons tirées ?) Bénéficiaires : Migrants/enfants de migrants Quels sont leurs besoins fondamentaux/ problèmes qu’ils rencontrent ? Quelles priorités ? Changements récents dans l’attitude des migrants ? Quel contact a l’ONG avec les migrants ? Connaît-elle leur histoire ? Si les migrants sont en situation illégale, que fait l’ONG ? Si les bénéficiaires sont seulement les enfants, rencontrent-ils les parents ? Les aident/conseillent/renseignent-ils ? Qu’enseignent-ils aux migrants ou à leurs enfants ? Quel est le message que l’ONG leur adresse ? Quels sont leurs moyens d’action ? Gouvernement Existe-t-il réellement une aide au niveau du gouvernement (ou, sous entendu, les migrants sontils laissés à l’abandon) ? Quelle vision l’ONG a-t-elle par rapport au gouvernement (lois existantes, à la prise en charge des migrants…) ? D’après elle, le gouvernement fait-il suffisamment pour aider les migrants ? Changements récents dans l’attitude du gouvernement (face aux migrants / face aux ONG) Que devrait-il changer dans sa manière de gérer les migrants, d’après l’ONG ? Les ONG ne prennent-elles pas en charge ce qui devrait normalement relever de la responsabilité du gouvernement ? Comment le gouvernement perçoit-il le travail des ONG ? Encourage-t-il leur travail auprès des migrants ou s’y oppose-t-il ? Impose-t-il des limites ? 134 16 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Roots and Shoots, Shanghai.* *L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur l’ONG, voir son site internet : http://jgi-shanghai.org/en. Rencontre avec Catharine Gong, directrice du programme KidStrong. Leur bureau se trouve en plein centre-ville, au sixième étage d’une haute tour de verre. - The office is really beautiful! - Yes, it’s very warm, like a family. The relationships between the colleagues are very good. - So first, can you introduce the organization? Why is it called Shanghai Roots and Shoots? - Have you heard about this lady, Dr. Jane Goodall? - No. - She’s a primatologist. Her research area is chimpanzees. She’s famous for working with chimpanzees for about 30 years. Since her twenties she started the research. She got some important outcomes, for example she found out that actually chimpanzees make and use tools. In the past, we call us human beings because we can make and use tools, which is a big difference from other animals. But she found out that chimpanzees also do that. So we either redefine human beings or accept chimpanzees as human beings… things like that. Then in the 80’s, she found that a lot of chimpanzees died because of the disappearing of the forest. So she started to talk to the government saying they need to protect the forest and also protect the animals, including chimpanzees. But the government actually didn’t listen to her in Africa. So she just happened to meet a group of young people, around 16, then these young people started to talk to their families, then their families listened and influenced the government. So she thinks that it’s important that youth has good opinion towards the environment and the animals. So she founded international Roots and Shoots. Right now, we have around 130 offices around the world. Shanghai is one of these offices. Our main projects are about environment and animals, as well as community. So the KidStrong program actually is about community but this is only a small project in this office. Our main projects are for example planting trees in Mongolia, or teach environmental protection classes to the students in Shanghai. This is about the organization. But actually, Jane does not manage this office. Our boss, she is American, her name is Tori Zwisler. She moved to China with her husband and two sons in the 90’s. So she has been living in Shanghai for about 20 years. And I think in 1999, she met Dr. Goodall for the first time and then talked. She was deeply touched by Jane’s story then Jane asked her if she wanted to set up an office in Shanghai. She agreed, so she started the office at home first, then her husband gave her a cubic downstairs on the 15 th floor of this building. She just started like that. At that time in Shanghai, only three schools had Roots and Shoots’ group. This kind of group is like a student club, and student can do activities after school. Now, 15 years later, we have over 200 groups in Shanghai. So that’s how it started. - In what year did this office start, here in Shanghai? - Here in Shanghai in 1999. - Ok, I thought it was more recent. - No so actually for 15 years. But let’s talk about the KidStrong Program. This program started from 2006. 9 years ago. We found out that migrants’ school conditions were really poor and students didn’t have good buildings to study. And they didn’t have very good teachers. So, we looked for 4 schools to help them. At that time, there was a lack of teachers like P.E. teachers, music teacher, painting or drawing teachers. So we focused on sports. We hired sport teachers for them, and also added P.E. curricula for the teachers to use. Before 2009, actually we paid those teachers, but just four not that many schools involved… - Excuse me; the schools that you were involved with were public schools or only private, migrants’ school? 135 - Private schools, migrants’ schools, owned by private persons. Actually these founders are also migrant people. They moved to the city then they found out this opportunity to earn money. They didn’t give the students a very good education. But these students’ parents need that kind of school because they are not allowed to send their children to public schools. They don’t have the hukou. Do you know the hukou system? They don’t have hukou so their children are not allowed to go to public schools. - Neither these years, they still cannot go at all? Because I have read that, maybe not in Shanghai but I’ve read some public schools have to accept migrants’ children but with extra fees, that generally they cannot pay… - First of all, they need to have extra spots for the students. For example, the school can only receive 1000 students, then they have 960 local students to apply for the spots, then they only have 40 spots left, then they can receive 40 migrant students. There are so many migrant students so they compete for the spots and then need to pay extra money for their spots. But still, there are limited places for migrant children in public schools. Nearly half of them have to go to migrants’ school. But right now, migrants’ schools situation is very different from ten years ago. In 2008, Shanghai Government started to get the management of these migrants’ schools. So they started to pay for the migrant children. You know, in the past, these children went to migrant schools, they have to pay their tuition, their food, their uniform, outing, insurance, everything. But actually, in this country, the government has the policy for free education until after middle school (初中). 10 years. So, in Shanghai before 2008, these children didn’t receive that kind of benefit, because they study in Shanghai, if they study in their hometown, they receive that benefit. Now, in shanghai, if they go to migrant schools, they also enjoy that benefit because the government Education Bureau will pay the school... - Pay the teachers? - Pay the teachers. For every student, they give 5000 Yuan to the school per year. If the school has 1000 students, then that will be …how much? 5 million. So this money includes teachers’ salary, equipments, books… So now those children don’t pay for tuition anymore, they only pay for food, for example lunch, uniform, insurance, school fees. - That’s a big change! So all the children that are accepted in those schools are legally in Shanghai? What kind of papers do they have to get to be accepted in schools like these? Because of the hukou system, the migrants that come they don’t have the hukou but… - You mean what kind of criteria they need? They need temporary hukou, residence certificate. Their parents have to have more than two years temporary residence certificate and the children also need to have that kind of certificate, if less than two years, then they are not allowed to go to migrant schools, they have to go back to their hometown. - So parents come first, and then they bring their children when they can. - Right. - It is very interesting. You said that now the government pays everything, what does this organization do for the migrants’ children? - After 2008, they have their own sport teacher, right? So we do not pay for sport teacher and do not provide curricula, we used to hold sports day for these children. But after 2008, we did not do that again. We moved our focus to their hygiene and nutrition because we found out that their parents didn’t pay enough attention on their personal hygiene, for example wash hands, brush teeth and protect their eye-sight. So every year we have the children to check their eye-sight, and also dental check-ups. We give these children prescription eyeglasses and also take the children who need dental treatment to the hospital. - Do you pay all the fees? - We pay all the fees, yes. We also teach hygiene and nutrition lessons. We give them nutritious food every week. 136 - At the school? - At the school, to every student. - Also for the hygiene lessons, do you go to school? - Yes we go to the schools. We train volunteers from universities and communities. - So the volunteers come here (at the office), you train them, and then the volunteers go to the schools. - Yes, that’s right. And we also have curricula; they can use our curricula to teach the students. - So, you work with more than 200 schools; that’s what you said? - No actually, I mean about migrant schools, there are only 6 schools that we work with. The 200 schools are Shanghai local schools Roots and Shoots work with. These schools actually do environmental projects with us. So that’s a different type. - Okay, so for migrant schools, that’s just only 6. - Only 6, around 5000 students in total. - Who fund these projects? And how do you find the funders? - We have very good relationships with Shanghai’s international schools. Because Tori’s two sons actually went to Shanghai American School. So through Shanghai American School we were in touch with other international schools. Then these international schools wanted to help with migrant schools, actually they’ve always helped these migrant schools. Those international schools are located in suburb Shanghai and sometimes close to migrant schools, so their students go to migrant schools to help them and donate some food and clothes or teach them English, things like that. Then they told us that these schools were in very poor conditions, so we thought we probably could do something for these schools. So international schools introduced the migrant schools to us. And we also have foreign staff or volunteers who work here, they also do volunteering for some organizations, they teach English to migrants’ children because they don’t have good English teachers, so they also introduced migrant schools to us. Then we started to have the program funded. At that time, in 2006, we happened to talk with company called BHP Billiton. It’s an Australian private company and they are very interested in helping migrant children, so we started that program in 2006. - Now do you still have contact with that company? - Yes, this company is still one of the biggest donors of this program. - Do you have any partnership with public institutions? - Partnership… I don’t think so. But we have a supervision department that belongs to the government. They actually oversee our programs. Just making sure that we do everything legal. - Okay, so just a control, but they don’t help, they just supervise? - They don’t help, just supervise. - Can you tell me some obstacles that your organization meets with the projects it does? - I think mainly is the awareness of children’s parents. As I said, we give free prescription eyeglasses and we take children to the hospital to give them dental treatment. Sometimes, parents do not accept our service. - Really, why? - Because a few parents think it’s not good for students to wear eyeglasses, even if they are shortsighted. They think that if children wear eyeglasses, their eyesight will get worse and worse. And also, they don’t think dental problem is a problem. - Okay, so it’s about their knowledge… so do you do promotion towards parents? 137 - Right, we also hold parents meeting, but not all the parents will attend. They’re very busy with making a living. The majority of them will come. But for 1 or 2 maybe out of 10 parents that we meet, although we teach them about eye protection, they still don’t want their children to wear eyeglasses. - What would you say the strengths and weaknesses of the organization are? - About strength, actually we have a very good reputation. Expats of Shanghai, they know about us, they like us, and they know that we do a lot of good things. - Do you know how they know about your organization? - It’s because we often go to events, where they will also go. Like “equal market”, “planting trees”, like promoting our programs in international schools. More about environmental projects. And they also know about this program but it’s hard to be involved because these children’s English level is very low, so international students cannot teach them the classes and even do activities is very difficult because it’s hard to communicate. So they know about this program but it’s hard to participate. So I think, it is mainly through international schools that expats know about us. And also we have a good relationship with international companies, like American companies, French companies… You know these big companies have seen our departments and they have seen our programs, they need to donate some money every year to charities… - They need to? Why? - They have to, they have this obligation. Everywhere around the world, all these big companies they have this obligation to pay for the society because they make profit from the society. So they want to give money to charities that they trust. So we have a good reputation. They would like to donate to us, so you see (showing the leaflet) all these companies I think they are foreigners. So it’s easier for us to work with them, because between us there is a kind of trust. - But they do not control the work…? - They do not control but they will participate in our programs, their staff will help us with events and activities… - Chinese staff? - Yes, Chinese staff. But it’s difficult for us to get funds from local organizations or from the government it’s also difficult. It might be easier for us to apply for funds from international organizations, like Why Hunger is an international organization and also it might be easier for us to apply for funds from foreign clubs, American clubs, or commercial clubs, you know different countries have different commercial committees here, like a club, like AmCham, it’s the American Chamber, and the Australian Chamber…this kind of organizations, it’s easier to work with. - Why do you think you have difficulties with having money from the government? Because they’re not aware of the needs? - It’s because so many grassroots charity organizations are local organizations and they don’t have opportunities like us to get money from international companies and international organizations, so the local government thinks that kind of grassroots organizations have the priority to get funds, they need more help so every time when we apply for money with these organizations we never get money. - So if I understand you, the government makes some appeals or some offers, and each organization send proposals, then you’re not chosen. - No. - Okay. Do you only have projects in Shanghai? In China, I mean, do you only exist in Shanghai? - I have to say mainly in Shanghai. We have the majority of our projects in Shanghai because we’re registered in Shanghai. Then, sometimes we work in nearby cities like Wuxi, Suzhou, that’s 138 because the companies who work with us have small offices in those cities. They want us to help them to be involved in charitable activities so we do that. But legally, we are in Shanghai. - And what is the status of the organization, is it a non-profit organization? - Yes, a non-profit organization? - And it has never changed? - No, never changed, since 2004. Actually our office started in 1999 like I said, but we got registered in 2004. - Why the difference? - It takes time to apply for registration. Some organizations even still haven’t got registered. - But they can still do the projects meanwhile, before getting registered? - They can do projects but they cannot legally received funds, actually. Especially from organizations and companies. They might be able to receive some personal donations then do activities. - Okay, do you do advocacy for migrants towards the governments or internationally? Do you talk about this problem of migrants that come to cities and don’t have access to these or those rights? - Actually, we don’t do that. - But you do promotion just with parents, so you have contacts with migrants? - Yes, we only talk to migrants’ parents, migrants’ school teachers, and our sponsors. Just like that. The government, we don’t have contact with them about migrant children. - Can you tell me about the team that is working on those projects with migrant children from Shanghai Roots and Shoots? You are the director of the program, but what about the others? - We only have two people working on this program, including me. So I have a colleague who works with me on this program, only two people, because it’s only for 6 schools, right… - Do you do the training for volunteers? - I do the training of volunteers, fundraising, activities. Mainly these things and I will go support the colleagues about eye care and dental care parts. So, mainly my responsibilities are fundraising and training, and events. - When you take the children to hospitals, are they public hospitals or private? - They are public hospitals. - But as long as you pay the fees for them, they have access to these hospitals, right? Because, well, they’re migrants so I don’t know if they really have access to those… - Wait a minute. Let me think about this hospital… it might be owned by private people because it’s a hospital with a long history and the department that works with us is the international department of this hospital. So I wonder if this department is not owned by private people. We tried to work with famous public hospitals, but they don’t have the capacity to receive so many children to do dental treatment and eye care. So, I think this hospital partly maybe is private-owned. And another one is private I think, this one (showing on the leaflet: Cardinal Health Foundation). This one is private, and this one (pointing at Renai, International Patient Center) like I said is the long-history public hospital but this international department might be private. - What about Element Fresh? Do they provide the food for the children? - Sometimes when we do events, we will ask for some discount on the food. They do not totally donate the food. But what they do is that they have a customer redemption program. When the customers spend money in their restaurant they get points, and then they can redeem their points 139 for gifts. And those gifts include coupons for eyeglasses for migrant children, or nutritious package, school fees… So customers can spend their points in that way. - It’s a good idea. So did they do that by themselves or did you talk to them about that? - About this system? They have an agreement with us, so when the customer wants to redeem their points for migrant children, they send an e-mail to the customer service. Then the restaurant sends an e-mail to us, and we will inform the customer to which student, what kind of equipment they donate, then at the end of the year the restaurant will remit the money to us. - What about this one? (showing Givaudan on the leaflet) - This is German or Swedish company…it produces spices. - So they just fund the projects? - They fund the projects, they give money. Then their employees do volunteering for us. - So you, yourself, called them, talked to them and said what you needed, you showed them the projects? - Actually, they came to us! - Oh really? Because of your reputation? - Right. The majority of the sponsors came to us. - So what are the future ambitions of the organizations towards migrants? Are you going to stay with 6 schools or are you going to expand the team and the activities? - I think if those schools are stable, because they have some obstacles to recruit students like I said, the students’ parents need to have at least two-year certificate and students also need two-year certificate then they are allowed to go to the school. Then some parents don’t have that so the schools cannot receive this kind of children, the number of students is going down. If they have difficulties to maintain these schools, then we will look for more schools. If they maintain the schools at this level, then we will stick to the 6 schools because every year they will have new students, right? And also another thing is that we need to be long-term, we need to oversee the changes of the students. We want to do a very detailed and useful work for the students, not just get involved with a large number of students but only do very shallow things with them. - You want to see the results… - We want to see the results and make real changes in their lives, not just look like useful but make no difference. That’s what we want. - Did you personally meet the students? Do you go to the schools? - Yes, we go to schools very often. In each semester we will go to each school about 10 times. For me, like 3 or 4 times, but for another colleague, she goes there more often, nearly 10 times. - What does she do? Does she talk to the teachers? - For example, for prescription eyeglasses, for each campus, she needs to go 3 times with an ophthalmologist then she needs to go there to check how many students who received eyeglasses actually wear them. For every campus, she needs to go 1 or 2 times. And also, she needs to go for the dental care. For dental care, at least twice for each campus. Then we also do activities, I mean events, like celebrate World Health Day, National Tooth Day… For this kind of events, both of us go. So for her, I think she goes to each campus at least 10 times every year. - Are the students aware of the help that they’re getting? - Right, they know us, then for all the schools, you know some schools started participating earlier than other schools, so for the older schools, from class 1 to class 5, all the students know about us. And because every week they are reminded by the food. Every week food comes, and they know: “How that’s Roots and Shoots’ food!” 140 - That’s nice! And so, on the nutrition side, do you do promotion of nutrition? Do you teach them what to eat, when to eat? - Right, I rarely teach students directly, I train volunteers and I take volunteers to the schools to teach. So, these volunteers teach what to eat, what not to eat, what kind of food is not only delicious but also healthy, and also food pyramid… For smaller students, we also teach them type, size, color, shape of the food, of vegetables and fruits, and encourage them to eat more that kind of food. - Okay. And what kind of contact you have with the parents? Do you meet them often when you do the meetings? And if parents don’t come, never come, do you call them, for example? - Sometimes we call them. Mainly we meet them through parents’ meetings. When we call them, actually if they never met us, they don’t have the sense of who they are talking with. And telephone actually is not an efficient way to communicate. Very often they don’t pick up the phone, because they don’t recognize the number. - What about the meetings? How many times a year are they held? - Once a semester. - Is that enough to make the parents’ mind change or the parents’ attitude change towards their children? - It’s hard to say enough, but we can’t make them more often because parents are really busy with making a living. So if we called for more meetings, I don’t think they would like to come. Also, it’s an additional workload for the teachers. They need to inform the parents, organize the venue, the time, everything… So, we think once a semester is enough. Then the rest of the time, we closely work with teachers because teachers spend a lot of time with the students so for like eyesight care and hygiene, they can influence the students a lot. - Do you know the personal stories of those children? Do you know where they come from? - The majority of them came from Anhui Province. Do you know Anhui? It’s close to Shanghai. Some came from like Sichuan, Jiangsu, Zhejiang, Jiangxi, Hubei, different provinces. But more than half of them came from Anhui. - And they are all mixed together? - They’re all mixed together, yes. - So they don’t do any difference between the children. - No. - What is the message or the lesson that you teach to the children when you meet them? I mean because they are migrants, they have all their stories, and they come to the city and think they are maybe going to have a better life, so do you give them a message of hope or… What kind of message do you leave them? - We deliver messages in different ways. We organize summer camp for students from poor families or single-parent families because their parents or grandparents don’t have time or money to take them to the city. Some of them have been in this city for years but they’ve never been in the city center, they’ve never been to Dongfang Mingzhu (the Oriental Pearl Television Tower)… So we organize summer camps of two days and two nights to take them there and know more about this city. We also do games to encourage them to have confidence with life. This is one way. Another way is school fee donation: every semester we’ll have a donation ceremony for students who receive school fees. We tell them that the difficulties their families encounter are temporary. Because now they have difficulties so people would like to help them, it’s not a shame to receive money from others. The difficulties will pass then in the future, we hope they will grow up and become very useful people for the society and they’ll also have ability to help others who need help even if they don’t know about them. So we give them positive information and give them 141 confidence about themselves. I think this is a very good message for them. Another way is that we have a curriculum called “Love curriculum”. In the curriculum we have lessons about how to be aware of the love from their family, from the class, from the school, from the community. Sometimes small things, if you don’t pay attention you don’t feel that it’s love. And we tell them how to show their love to people around them. We use songs, drawing, stories, and also drama, gifts… to encourage them to express their love and to pay attention to other people’s needs, and use their own ability to help people around them, even people in their family, even their parents, they need to show their love to them. So I think through these ways we deliver positive messages to them. - Do you do that through the teachers? - Through volunteers. - So the students have classes after school, classes of drama or singing…? - Right. Our volunteer mainly use lunch time so they have like one hour lunch time, then they spend 20 minutes to eat then we have 40 minutes to give lessons to them. Normally the length of the lesson is only 35 minutes. - So the volunteers are mostly Chinese people? - All of them are Chinese. - But are there foreigners who give English classes, or not so many? - Only one of our sponsors’ foreign staff gives two English lessons to the students. We don’t do that a lot, because we are not professionals in this area. There’s an organization called Stepping Stones in Shanghai and English teaching is their priority, so they have a curriculum and train volunteers. - Are you in contact with them? - Yes. - So you do work together, or you mean you complete each other? - No, we only exchange information because we work in different schools and work in different areas. They also do eye care project, like last year or the year before last year. But they don’t actually do eyeglasses, if children have problems with their eyes, they donate for the operation. - Okay, so you don’t really work together, you work separately but know what the other is doing. - And they work with different partners; I mean the healthcare organization who works with them is different. - Are all the migrants’ children you work with legally staying in Shanghai, or have you never met any “illegal” migrants or “illegal” children here? - The so-called “illegal children” I’ve also met some, because some schools actually receive some kind of these children. Because they really need help, the parents ask the schools to help them. So if the school can, they give some help to them, keep them in classrooms. But these children don’t receive the 5000 Yuan from the government. - So your organization helps the schools with those children? - Right, when we donate the school fees for example, we don’t care if they are legal or not. - Okay, so you help them, but do you try to make their situation legal or do you try to help them with the administrative side? - When we meet people from the Education Bureau or government people, we will communicate and express our opinion. And also these schools’ principals, schools’ teachers, they have their voice heard by the government. Well, I don’t know if it makes any difference. - But if the government knows about those illegal children, they would try to send them back home, or what do they do? Because I’m sure that they’re aware that some people are illegal? 142 - So far, they didn’t do anything. - So let’s talk about the government, actually. Do you think that, well apart from the fees, do you really think the government helps children and migrants here in Shanghai? Do they do their job and take their responsibility to help people? - Yes, I think the government plays a very essential role in this area. Before the government took the management of the schools, the schools were really really poor. Now, when you go to these schools, the equipment, the bathrooms…are good. So, compared with the rural area, their equipment are really good. When the employees from our sponsors’ company go to the schools, all of them say “oh this school is good!”, I say “yes, in Shanghai these migrant schools are very good”. It’s not like a shabby building with poor desks, poor chairs, so everything looks good. If the government hadn’t taken the management and paid for the students, it would be impossible for the students to have that kind of conditions to study. But only in Shanghai those schools have that good condition. In other cities like in Beijing, Guangzhou, the (local) government doesn’t help migrants’ schools. That’s why in Shanghai now, they don’t have the capacity to receive more migrant students. So they make the criteria higher and higher. Some migrant students are not allowed to go to migrants’ schools, like I said. I think the government can’t take more. But still, it’s not fair for those students. They should have the equal right to receive education, right? - Yes, I think that as well. I understand, but the thing I found a little bit weird, it’s because when I was looking for organizations in Shanghai, I mainly found organizations that help migrant children. But you said that the migrant schools are already helped by the government, and also that migrant children are in a better shape than in other cities. However, I found more organizations helping them so I don’t understand why? - Because the schools are not poor, right? But they are not allowed to spend money on things that actually migrant children really need. For example, these children, their family rents a room from rural people, I mean people around Shanghai, in the rural area. Then the housing conditions are very poor, they don’t have toilet at home, they don’t have space, equipment to take shower. So they rarely take a shower, or wash hair, then in schools, you even can smell their smelly bodies. Then, especially in summer, even in summer, some children don’t wash their body. Then, in one of our partner schools, the principal studied in Japan. He pays a lot attention to personal hygiene. He wanted to build bathrooms for children and even their parents, for free, at school. He said that “just after the teaching building, it’s easier to build public bathrooms”. And also said that “the school has the money, like 200.000 will do”. But when he wrote a report to the Education Bureau. Then, the Bureau said “No, you can’t spend money on that, the money is for studying”. So for personal hygiene, eye care, dental care, the school can’t help students with that, because they’re only allowed to help them with the study! That’s why we pay attention to their help. And some organization like Stepping Stones they pay attention to the operation. Then the English teaching is just another difficult obstacle for migrant schools, because it’s hard to get teachers who really speak good English to teach them, because teachers’ salary is low. That’s why they also need that kind of help. Some organizations still help them with sports activities because, now they have sport teachers, but the sport teachers need to teach a lot of classes, like one school only have one sport teacher, then there are like 10 classes. So the teacher is very busy, the teacher can only finish the lessons. And he or she doesn’t have energy or time to organize after school activities. So that’s why these organizations organize activities for the students. - Okay. And what about hygiene? You said that they don’t take showers, so what do you do? I understood you do hygiene promotion, but if they don’t have showers at home, how do they wash themselves? - We teach them to use a very old way to wash their body, like big basin that they can sit in the basin; or a small basin that they can just throw the water on the body and also to wash their hair. We teach them how to wash their body and hair in house in that kind of conditions. - So do the schools see the difference, now that you have done the program for years? That the children are not smelly anymore, and that they have a good hygiene? 143 - It’s better, especially with washing hands and washing their faces. About the showers and hair washing, it’s not very obvious. We can say “you have to wash your hair, wash your body” but you know, they go home where you can’t force them. - Why is that, because of the parents? - Yes, parents don’t think that’s important. Even themselves they don’t wash. - So even through the meetings you try to pass on this message, but it’s hard for you to do more? - Yes, it’s really hard, for some things, like washing hands, teachers can organize students to wash their hands even at school, but for other things, it’s difficult. But we think that it’s better, because often we go to schools and we see students clearer than before. And also, in the past, when we did investigations, we asked students: “do you brush your teeth?”, some said “no”, some said “yes”, but when we asked “how often do you wash your teeth?”, then they say “once a day, once a week, once every three days”… Now they can brush their teeth at least once a day, for over 90% of them. - So you do evaluation of that, you go to school and ask them, and you see the difference between before and after? - That’s right. - Okay. Do you think there are obstacles in laws and management that the government has? As you said that the Education Bureau said no to showers, are there other examples about something the government should change in its laws or management to try to make the situation better? - I think the policies that the government gives to migrants’ schools are not stable. They always change and different districts have different policies in Shanghai. You know there are several districts like Huangpu, Pudong, Minhang, Jing an, different districts, so every district has different policies for migrants’ schools. It’s a very difficult way for the migrant schools to know their future, and also the teachers. You know teachers in migrant schools are different from teachers in public school. In public schools, they have a stable job, a long term contract, but in migrant school these teachers don’t have long term contract, and don’t know the future of the schools. They don’t know neither how long they can have this job. Maybe in one or two years, all migrants’ schools will have to be shut down. You know in Beijing many migrant schools are already being shut down. So we don’t know the future… Because of the policies. - Do you have an example of those changes? For example they changed the number of students allowed, the number of teachers, or they changed the salary or conditions…? - I know the entrance criteria for the students are changing. For example, two years or three years ago. The students didn’t need their parents to have had two years of residence certificate. Now, they have to have two years. Two years ago, they didn’t need that parents’ evidence of paying social insurance. Now they need the social insurance. And maybe next year, they’ll need the certificate of house renting. Some landlord won’t write the certificate for them - But then how do the migrant get like their residence permit, if they don’t have this certificate? Is it possible? - In different districts, like in Minhang district, the landlord is always happy to write the certificate for the house renter, because it doesn’t bring them trouble. But in Pudong district, because the house is private and in the future the government would like to take the land, and the landlord can receive compensation from the government. It makes difference if you write this certificate to migrant people, then the government says, “if you write it, then the compensation will be lower”. - Ok, so that’s a pressure from the government. - That’s a pressure. So, those parents who have the certificate, because they’ve already had the certificate since they applied for it few years ago. At that time, it didn’t matter, if you have the renting certificate or not, but now if they want to apply for the resident certificate they have to get their evidence of renting, so if they live in Pudong it’s very difficult for them. 144 - Because you said that the districts have different rules for the migrant schools, but what about the residence permit, is it the government of Shanghai or the different district government? - It is also the district government that controls the policy. - Okay, so it’s a lot of rules to know about. Do you learn those? Do you know about the differences between the districts? - In the districts in the center, there are no migrant schools located in Huanpu, Jing’an,… because the land is too expensive. All these migrant schools are located in Pudong, Minhang, Songjiang, Baoshan… these “rural” districts. Then all of our schools are located in two districts, Pudong and Minhang, so that’s why I know the difference between these two districts. - So you don’t know and search for the rules in the other districts like Songjiang, you just know that they are different? - It’s just that I don’t have contact with people there, so I don’t really know the details of these districts. - What about the rules, do you talk to the government about that, that it’s hard for the schools to know their future because of the different rules and the changes? Do you talk about that to the government? - No, we don’t have that kind of opportunity to reach the right person. And actually, we don’t put energy on that. - Because you know that they won’t change? - No, we don’t think that we would make changes… - Do you think that the government really sees the migrants as a problem to be solved? Or just as a problem that exists but they don’t really try to change anything… - I think the government of course sees migrant community as some problem. And they want to solve the problem. But I wonder if they use good manners to solve the problem. For example, right for education. They think that now in Shanghai too many migrant children need to be educated, so they improved the criteria (to get the certificate and be able to enter the schools). I don’t think that it’s a good way to do that! We might find other ways to solve the problem. For example, we can also talk to other cities’ government. If every city has the same policy, then there won’t be so many migrant children in Shanghai. They would select different cities, different areas because the opportunities would be equal. Right? That’s what I think. And that different district have different policies is also confusing. It’s registered like… everything is just a mess. - Is that since 2008 that each district can decide? - I think before 2008 there was no policy for migrant schools. This government let it be. It says “okay, this school exists, that exists, we don’t touch them, and they get only registered and pay the tax, and the children are not hurt.” So that’s okay. After 2008, the government really started to do something for these schools. - About the migrant schools, I guess that the salary of the teachers and the conditions are lower than in public schools? - Much lower. - So, who are those teachers? Where do they come from? The suburbs? - They’re from nearby provinces, like these children’s parents, from different provinces, like Anhui is still the biggest sending province; I think the majority of them are from Anhui, and Jiangsu. - So they’re migrants as well? - As migrant children as well. Their children are migrant children as well; their children go to migrant schools as well. But I think some of their children go to public schools because maybe they have better contact with education organization. 145 - But they have to have the money to pay the extra fees? - Yes they have to pay. - So the schools have a limited number of students that they can accept, right? I mean the district government imposes a limit of students in the schools? For example it says “one thousand and no more”? - Yes, there is a regulation; the maximum number of children in each class is 50. If there are 10 classrooms, then the school can only have 500 students. - I’m know sure I’m going to meet migrant school, so do you know the system that they use to educate children? For example those from Anhui they will have to take the gaokao in Anhui, right? They have to go back at 18 to take it there? - Oh yes, they have to go back to their hometown. - So what do they learn here? The Shanghai system? - Yes, the textbooks they use are Shanghai textbooks. - So they have problems when they go back…? - Yes, that’s why some students go back earlier. If they want to take the high school exam, it’s when they finish the middle school, so it should be like grade 9; the students very often go back at grade 8. They spend two years in their hometown then take the high school exam. Even more students when they finish primary school they go back to their hometown before the middle school. - So, do you think that at last children would have better opportunities? Or it will not really change their life? I mean the fact that they came here in Shanghai, then they go back to Anhui, they maybe won’t have the opportunity to come back to Shanghai… Does their life really get better after that? Because, why do they follow their parents, they can’t stay in their hometown; their grandparents cannot take care of them, for example… - What the main point of the question? You mean that in their hometown they cannot get a better life? - Yes, first, my question is why do they come with their parents? - Because when they’re in Shanghai, in primary school, they’re young and little. So they need to be taken care of by their parents. So that’s why they come with their parents. Then, after primary school, they’re older so the parents choose to send them back with their grandparents in the hometown. If they don’t want to go to high school or the university, then they can finish their middle school in Shanghai, then go look for a job. - So they have this opportunity to stay in Shanghai and look for a job in Shanghai? - Yes, they can, but they don’t have the opportunity to continue their education in Shanghai. - But do you think that staying in Shanghai they would have a better life in the future or not especially because they will always have difficulties with their payment and other things? - In Shanghai, if you’re not lazy, I think they can make enough money for themselves. But, if they want to have a better life, higher income, it’s hard. For example, Shanghai housing is expensive, so it’s impossible for them to buy a house in Shanghai. And they can only do labor work in Shanghai. If they go back to their hometown, if they can study hard and pass the national exam then go to the university, and then in the future maybe they can have a better job, back in their hometown. I think it’s not a bad idea to live in their hometown, instead of staying in Shanghai as it’s quite difficult. Just what kind of life do they want? If they want to live in a big city, then they only do labor work here, if they want a more decent job, maybe they still need to go to the university and go back to their hometown, a relatively small city or it’s just a town, and then do a relatively decent job. It’s just a different life for them. 146 - The last question, do you have news from students that you’ve helped? Do you have news of what they’ve become? - Some students we helped went back to their hometown and sometimes wrote to us, saying they passed the high school exam, now they’re studying in high school. Then they’re going to take the national exam. And they’re good studying very hard. Because we do not have very personal contact with students, we always give big lessons or do big activities, so this kind of feedback is very rare. - But they’re still grateful; you feel that they’re grateful for the help that they received? - Yes. I think so! 147 19 janvier 2015 – Entretien avec Stepping Stones, Shanghai.* *L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur l’ONG, voir son site internet : http://steppingstoneschina.net/. Rencontre avec Sébastien Carrier (PhD), directeur de projet. L’organisation se trouve au dernier étage d’un grand immeuble qu’ils partagent avec d’autres ONG. L’étage est mis gracieusement à disposition par un philanthrope chinois. Notons que durant notre séjour à Shanghai, nous sommes en outre restés trois jours en tant que bénévole dans l’ONG Stepping Stones. L’idée était de nous plonger dans l’atmosphère d’une ONG de la ville et avoir davantage d’opportunité de discuter avec le directeur de projet, M. Carrier, qui a luimême vécu avec des migrants ruraux dans le cadre de sa thèse de doctorat. - Pouvez-vous présenter l’ONG, le nom, l’année de création et le but de sa création ? - Stepping Stones a été fondée en 2006. Mais le nom a été choisi en 2008. Donc 2006 c’était en fait avant, un peu la période pré-fondation. Notre directrice et qui est également la fondatrice de Stepping Stones, qui s’appelle Corinne Hua, au début, c’était seulement elle et quelques bénévoles, ses amis, qui allaient chaque semaine dans les écoles pour y enseigner l’anglais. Elle a commencé ça parce que, bon, elle est en Chine depuis toujours, depuis 25 ans, elle est mariée à un Chinois et donc à une famille chinoise ici. Elle est diplômée de Cambridge en études chinoises et donc elle parle chinois parfaitement et elle travaillait dans de grosses boites à Shanghai dans une compagnie qui s’appelait Pricewaterhouse Coopers, une compagnie internationale de finance, une très grosse boite. Elle a travaillé là plusieurs années, jusqu’à en avoir marre de travailler pour ces grosses boites. Et elle a voulu, je pense, en voyant les problèmes en Chine, des inégalités de revenus, elle voulait faire quelque choses de plus pour la société. Elle a alors quitté son emploi pour en premier une ONG locale pour apprendre comment les ONG travaillaient en Chine, pendant je pense deux ans. Et après elle a décidé de la quitter. L’ONG locale travaillait dans le domaine de l’éducation. Elle a réalisé les problèmes dans les écoles pour migrants. Et donc après quelques années de travail elle a voulu agir par elle-même après avoir demandé aux directeurs d’écoles qu’est-ce qu’elle pouvait faire pour les aider. Ils ont tous répondu si vous pouvez venir enseigner l’anglais pour nos enfants. Et donc c’est comme ça que Stepping Stones est né, c’est donc de l’initiative de Corinne de vouloir aider les écoles pour migrants à Shanghai. Et donc elle a commencé, finalement, elle était ici depuis plusieurs années, alors elle a commencé à demander dans son réseau des personnes qui seraient intéressées de venir avec elle enseigner. Et petit à petit, le nombre de bénévoles a augmenté, année par année. - Des Chinois, je suppose ? - Non c’étaient tous des bénévoles « expats »… parce que dans Shanghai, comparé aux autres villes chinoises, c’est une ville très très internationale avec beaucoup d’expats…donc et elle c’est une des premières expats à s’établir à Shanghai, son réseau est quand même très étendu avec les nouveaux arrivants et donc elle a commencé avec son réseau pour recruter des bénévoles. Elle a commencé, avec quelques bénévoles avec elle, à aller enseigner chaque semaine. Après quelques années comme ça, le nombre de bénévoles a grossi énormément et donc il fallait à un point enregistrer l’ONG et aussi devenir plus professionnel, donc avoir des employés plus qualifiés et aussi un programme beaucoup plus cadré et professionnel. - C’était une obligation de devenir une ONG en soi ? - Mais en fait, elle a commencé, je pense, juste dans l’idée de vouloir aider en fait les personnes, et quand elle a vu, je pense, le potentiel de développement et aussi que très rapidement quand le nombre de bénévoles a augmenté très rapidement, et les besoins aussi et les contacts qu’elle se faisait dans plusieurs écoles, elle a eu l’idée très rapidement de voir comment faire pour fonder une ONG et aussi s’assurer que l’ONG offre des services de qualité et professionnels pour les bénéficiaires et aussi en fait pour tout le monde, pour les écoles, pour les bénévoles. Et aussi, il faut dire aussi que son background à Corinne, c’est une spécialiste de ressources humaines, pour elle de gérer des employés, de pouvoir gérer une société en fait, c’est quelque chose qu’elle connaissait 148 bien. Donc elle a juste appliqué le modèle de la compagnie où elle travaillait avant pour les ONG. Maintenant elle est devenue une pionnière en Chine dans le secteur des ONG. Tu as probablement regardé sur internet mais elle est très très connue à Shanghai mais aussi partout en Chine. - A-t-elle eu du mal, justement, à fonder cette ONG et à être reconnue? - Au niveau légal, c’est deux choses très différentes en Chine, pendant très longtemps elle a été uniquement enregistrée à Hong Kong parce que localement c’est très difficile pour une ONG de s’enregistrer. Le processus pour s’enregistrer localement, c’est possible au gouvernement de s’enregistrer, ça appartient au district de la ville qui donne le droit à une organisation de s’enregistrer comme une NPO, non profit organisation. C’est toujours le gouvernement en fait les responsables du district qui donnent l’approbation. Mais pour avoir cette approbation, c’est à leur discrétion. Alors, c’est qu’eux, ils doivent croire en toi et en général, ils ne veulent pas prendre de risques. Parce que si l’ONG fait des choses contre le gouvernement, ou des projets qui ne sont pas ….en général, l’attitude envers les demandes d’enregistrement est toujours négative parce qu’il n’y a personne au gouvernement qui veut prendre le risque et le fait d’endosser une ONG peu connue... Donc il faut avoir de très bons contacts pour pouvoir être enregistré. Donc c’est comme ça en Chine, et encore plus dans ce secteur-là parce que c’est un secteur très à risque, ce n’est pas juste une grosse compagnie ou… c’est un secteur en fait où l’on travaille dans l’enseignement dans les écoles primaires. Donc cela peut être très sensible pour le gouvernement et c’est comme nous par exemple dans notre bureau, la majorité ne sont pas enregistré comme NPO en Chine parce qu’ils n’ont pas réussi à travailler leurs contacts à un point de se faire accepter comme étant NPO. Bref pendant très longtemps on a été uniquement enregistré à Hong Kong. - Et vous parvenez à faire des projets malgré tout ? - Oui. Voilà en Chine comment cela fonctionne, c’est toujours … sans être enregistré, par contre on était en fait sous l’aile des ONG locales déjà enregistrées. Et donc par exemple pour engager nos employés, on les engageait via une autre ONG, une autre fondation aussi. Aussi Corinne avait en même temps de très bons contacts avec Soong Ching-ling Foundation. C’est probablement une des plus grosses fondations en Chine qui est extrêmement riche et puis qui travaille avec les enfants et les femmes. Et donc, eux, très rapidement ils ont voulu aussi nous donner de l’argent pour nos opérations, pour pouvoir mener à bien nos projets. Et en même temps, ils ont accepté pour tout ce qui est en fait documentation de nous aider. Donc eux aussi, on était un peu sous l’aile de Soong Ching-ling pour exister. Alors, c’est toujours un peu comme ça en Chine, en fait c’est une zone grise où on n’est pas enregistré mais on peut faire des projets parce qu’on a des partenaires : eux sont enregistrés, alors si nous avons besoin de documentations, on peut leur demande de les fournir pour nous pour payer nos employés ou pour pouvoir mener à bien le projets,… donc vous voyez… Donc pendant très longtemps c’était toujours cette zone grise, mais c’est quelque chose qui est courant pour les ONG qui travaillent en Chine, c’est très très très répandu. En fait, la majorité des ONG opèrent comme cela, elles ne sont pas vraiment enregistrées ici mais ils ont toujours des partenaires qui le permettre d’exister. - Et le Gouvernement ne pose pas de limites ? - En fait si on a besoin de documentation ou peu importe, c’est toujours les partenaires qui vont nous procurer cette documentation-là et en fait c’est tout à fait légal. Officiellement, on est sous la supervision de cette ONG ou fondation. Mais c’est juste pour l’administration mais il n’y a rien pour faciliter l’existence de ces projets. Mais pendant longtemps c’était comme ça et alors en 2013, on a réussi à être enregistré à Shanghai. Donc on est officiellement enregistré en Chine, ce qui facilite beaucoup de choses ; c’est beaucoup plus facile pour nous de mener à bien des projets, aussi de collecter des fonds, de payer directement les employés ce qu’on ne pouvait pas faire avant. - Donc elle a mis quand même pas mal de temps, malgré toutes les relations qu’elle a, à faire reconnaitre l’ONG ? - Mais même avec ça, pour nous c’est vraiment quelque chose d’exceptionnel de finalement être enregistré. Evidemment on est très très impliqué dans le milieu des ONG en Chine, et chaque fois que je vais donner des conférences, des présentations à des événements pour les ONG, on est en 149 fait souvent presque une des seules à avoir réussi à être enregistrés. La majorité des ONG ne sont pas encore enregistrés ou le sont sous forme de compagnie, ou ne sont pas enregistrés mais existent parce qu’elles ont des partenaires qui les aident pour les papiers. Et donc de dire qu’on est enregistré c’est quand même un exploit en soi et c’est exceptionnel. - Et les règles changent-elles d’un district à l’autre? Est-ce que c’est plus facile d’un district à l’autre ? - D’après ce que j’ai compris en fait, c’est surtout par rapport aux contacts que tu peux développer. Nous, par exemple, nous ne sommes pas enregistrés ici, mais on est enregistré dans le district de Minhang, dans le sud-ouest de la ville. On n’a aucune adresse physique là-bas mais on y est enregistré. On a toutefois un projet là-bas qui justifie en fait notre présence et donc aussi on a une boîte postale quelque part aussi. Mais on est enregistré là parce que Corinne avait des contacts dans ce milieu-là et donc on a pu s’enregistrer dans ce district… C’est comme cela que cela fonctionne. - Et par rapport à la mission de l’ONG en soi ? - Ok donc, la mission ça a toujours été donc au début c’était clairement pour aider les enfants des migrants à Shanghai, donc vraiment cette population. Et les aider pour leur donner une meilleure éducation, améliorer la qualité de leur éducation. Et évidemment parce que Corinne était une expat et aussi parce qu’on juge de l’extérieur que l’enseignement de l’anglais est probablement la chose qui constitue un obstacle majeur pour les migrants parce que en Chine l’anglais est très important dans un curriculum , et pour les enfants car ils vont être testés pour rentrer dans une high school et aussi à l’université, et les parents des migrants n’ont pas les ressources pour des cours privés et aussi le niveau d’enseignement est vraiment en deçà de celui qu’on peut voir dans des écoles normales à Shanghai. Alors les enfants même s’ils ont beaucoup de potentiel et du talent, souvent c’est en raison de leur performance en anglais qu’ils ne vont pas réussir à entrer au high school ou à l’université. En plus, c’est vraiment quelque chose avec laquelle on peut vraiment aider, on est qualifié pour pouvoir aider. Donc la mission a vraiment était pour ça au début, et avec le temps on a un peu changé notre mission pour inclure le bien-être (welfare en anglais), parce qu’on a aussi un projet qui s’appelle « I Care Project », qui prend de plus en plus de place et on est d’ailleurs maintenant en négociation avec Essilor, une compagnie française qui produit des lunettes, une des plus grosses au monde. Ils aiment beaucoup notre projet et sont prêts à investir énormément d’argent pour que l’on puisse couvrir toutes les écoles de migrants de Shanghai. Enfin, c’est un projet en cours que l’on est en train de développer avec Essilor en ce moment et donc ce projet-là fait en sorte que l’on a un peu élargi notre mission, pas seulement l’éducation mais aussi le bienêtre des enfants. - Et donc à part l’anglais et ce projet ? - En fait, l’anglais c’est le projet n°1 et après c’est le projet « I Care », tu as peut-être lu sur le site web, « I Care » c’est un projet qui veut améliorer les soins pour la vue des enfants des migrants, et c’est un projet qui est né en fait de l’enseignement de l’anglais. Donc ce sont nos bénévoles qui ont réalisé qu’il y avait très peu d’enfants qui portaient des lunettes pendant les cours et que beaucoup vraiment avaient des problèmes avec leur vue, c’était très très évident. Et aussi quand on enseignait dans les écoles pour migrants, c’était très évident que peu portaient des lunettes mais beaucoup d’enfants forçaient constamment pour voir le tableau, pour lire. Beaucoup de bénévoles venaient chaque année nous voir et nous demander de faire quelque chose parce que les enfants n’ont pas de lunettes et il y a qui ne voient pas très bien et qu’est-ce qu’on peut faire ? Alors c’est comme cela que le projet a commencé… - En fait j’ai rencontré une ONG « Root and Shoots » et ils m’ont dit que vous échangiez des informations… - Oui ils font des choses un peu similaire, mais nous on travaille beaucoup, on lève des fonds pour pouvoir couvrir tous les enfants. Alors on fait l’examen de la vue, on achète des lunettes, on donne aussi une formation aux parents et aux enfants sur l’importance de porter des lunettes et comment prendre soin de ses yeux. Et aussi, on paie pour les opérations si les enfants ont besoin d’opérations mineures surtout s’ils ont des strabismes sévères. 150 - Rencontrez-vous des obstacles par rapport aux parents ? - Oui bien sûr, ça on a beaucoup appris avec les années, donc en Chine, surtout dans ces milieux-là, mais même en milieu urbain je pense, il y a les croyances et les mentalités des parents, par exemple à chaque fois que l’on fait le projet, on pose aussi des questions aux enfants dans chaque classe, et on fait un sondage, on leur demande s’ils croient que porter des lunettes en bas-âge ils vont devenir dépendants. Parce qu’en fait la croyance c’est que ça empire la vue et cela fait que tes yeux vont devenir dépendants des lunettes, et que tu ne vas pas développer ton plein potentiel. En général, on a rencontré des enfants qui croient cela dans la classe. Donc au début on a réalisé ce problème avec les parents et donc on commence à intervenir de plus en plus avec des formations pour les parents. On est partenaire d’instituts pour la vue très reconnus internationaux donc pour le côté spécialiste, car nous on n’est pas des physiciens de la vue, on a donc des spécialistes qui viennent avec nous pour rencontrer les professeurs d’écoles et les parents pour pouvoir leur expliquer. On le fait aussi, mais on le fait aussi avec des spécialistes pour pouvoir répondre à des questions plus pointues et de remettre un peu en question cette espèce de croyances qui nuisent au développement de l’enfant. Et on suit évidemment l’impact de nos projets et on voit qu’on a un taux d’utilisation des lunettes de plus en plus élevé chez les enfants, donc on essaye beaucoup de faire des formations pour les parents. - Ah oui, donc vous évaluez après s’ils portent bien les lunettes… ? - Oui, mon travail c’est beaucoup ça aussi, c’est de faire des études d’impact et d’évaluation des projets. Pour le projet I Care, pour les lunettes, j’ai plusieurs façons d’évaluer, il y a des questionnaires pour les enfants qu’on fait passer avant qu’ils reçoivent leurs lunettes et après. On regarde. Et ce sont des questions sur leur qualité de vie, sur différentes activités en classe, en dehors des cours, différentes actions du quotidien, pour voir s’il y a une amélioration après, dans leurs perceptions, et comment leur perception a changé avec des lunettes. Donc c’est une méthodologie que j’ai développé avec le temps, donc pour pouvoir faire ce genre de comparaisons. Et puis, c’est vraiment fascinant de voir comment les enfants sont plus confiants et beaucoup plus indépendants après. Donc ça c’est une façon. Et aussi, dans ce genre d’études-là ce que je fais c’est qu’après quelques mois, on retourne dans l’école et on va dans chaque classe. Et on fait sortir chaque enfant qui a reçu des lunettes, et on fait des interviews pour savoir s’ils portent toujours les lunettes, s’ils ne portent pas et pourquoi… - Ça prend longtemps ? - Ah bien sûr, mais cela fait partie du projet. Alors on a ce genre de choses pour évaluer et aussi, dans quelques écoles, je suis les enfants qui ont ces lunettes et leurs performances à l’école pour voir s’il y a une amélioration, on fait aussi des entrevues pour voir ce sont lesquels qui ne portent pas leurs lunettes, lesquels qui les portent et voir aussi les autres enfants qui n’ont pas besoin de lunettes, pour voir les comparaisons entre les performances à travers une année. - Et vous avez de bons résultats ? - Ah oui, en fait, la dernière fois que je l’ai fait, c’est surtout en mathématiques, on voit une amélioration vraiment significative pour les enfants. - Et pourquoi les mathématiques ? - Ça, ça peut aller plus, j’ai toujours un peu des hypothèses mais bon… Je pense que les mathématiques demandent beaucoup plus de précision dans beaucoup d’activités et beaucoup de détails aussi comme un chiffre ou une virgule qui peut changer tout. Donc ça c’est l’explication la plus simple je pense pour les mathématiques, la vue influence. - Est-ce que vous parlez aussi avec les professeurs ? S’ils remarquent que les enfants changent de comportements ? - Oui c’est ça on essaye aussi de faire de formations avec les professeurs. On leur demande aussi d’être attentifs, d’essayer d’être là pour, pas forcer mais au moins encourager les enfants à porter leurs lunettes pour essayer d’influencer le comportement des enfants. Mais c’est très difficile aussi 151 parce que ce ne sont pas nos employés alors on ne peut pas les obliger et eux ils sont débordés. Mais ça dépend, on voit qu’il y en a qui sont très attentifs au projet et trouvent que c’est une bonne idée. Donc ils vont essayer et même nous contacter aussi personnellement s’ils jugent qu’un enfant a peut-être besoin d’une opération. Aussi des fois, ils peuvent nous aider à communiquer avec les parents. Par exemple, quand on fait un examen et qu’on réalise qu’un enfant a besoin d’une opération, là il y a un processus de négociation avec les parents, il faut les convaincre que c’est quelque chose d’essentiel pour leur enfant pour leur futur. Donc on essaye plein de stratégies, avec les professeurs, avec les spécialistes, avec les docteurs, pour parler aux parents. Mais c’est sûr on sait que c’est la décision des parents de faire l’opération. Donc il y a des professeurs qui vont nous aider dans le processus pour communiquer avec les parents, mais il y a en d’autres au contraire qui trouvent que c’est plus le travail et qui ne veulent pas être impliqués dans le projet. - Et par rapport au bien-être, est-ce qu’il y a un autre domaine dans lequel vous intervenez ? - En fait non c’est vraiment les deux projets : l’anglais et les soins pour la vue et surtout l’achat de lunettes et l’opération. - Et quelle est l’ampleur de vos projets ? Combien d’écoles combien d’étudiants ? - En fait, il y a plusieurs façons de l’évaluer mais on a notre programme régulier qui est l’enseignement de l’anglais dans les écoles pour migrants. Donc ce qu’on fait c’est qu’on remplace les professeurs locaux pour enseigner l’anglais mais d’une façon avec plus d’activités, avec une méthodologie je dirais plus occidentale… - Oui, je vois ce que vous voulez dire, une façon plus ludique d’apprendre la langue… ? - Oui voilà, et avec plus d’interaction avec les enfants, plus de jeux… et on travaille uniquement avec des enfants ou presqu’uniquement avec les enfants de primaire, donc des jeux, des activités et on a développé au fil des années un curriculum très très étoffé. Des spécialistes de l’éducation ont travaillé avec nous pour développer ce curriculum. - En tant que bénévoles, ils vous ont aidés à le développer ? - En fait non. Au début, c’était des bénévoles qui travaillaient pour nous aider. Au début il y avait tellement de bénévoles à Stepping Stones, mais il y avait des meilleurs et des moins bons. Et les meilleurs ont commencé à vouloir s’impliquer pour aider les moins bons, en développant des programmes de cours. (Indiquant un monsieur assez âgé qui passe) Lui, c’est le propriétaire du bâtiment, qui nous héberge gratuitement, un philanthrope chinois. - Donc vous parliez des bénévoles… - Oui donc les meilleurs ont commencé à s’investir pour l’élaboration du programme de cours pour les bénévoles et à ce moment-là Corinne a réalisé que le programme devenait de plus en plus important et de plus en plus d’écoles étaient impliquées. Alors c’est là aussi qu’elle a reçu son premier don d’argent de compagnies et donc elle a utilisé cela pour développer un programme de formation pour éventuellement engager un spécialiste de l’éducation pour pouvoir aider à former des bénévoles. Donc offrir une formation aux bénévoles, répondre à leurs questions, les suivre, faire des formations continues avec les bénévoles et créer des programmes de cours plus étoffés, plus standardisés. Donc standardiser les leçons pour que tous les bénévoles puissent avoir les ressources nécessaires pour aller enseigner les cours, parce que la plupart ne sont pas vraiment des enseignants de formation donc il faut leur enseigner et les encadrer, donc très rapidement, la première chose qu’elle a fait c’est vraiment de vouloir stabiliser cette partie-là pour assurer une qualité de l’enseignement. Et donc tu voulais savoir l’ampleur de nos projets. Nous avons notre programme régulier, qui est l’enseignement dans les écoles pour migrants et aussi l’enseignement dans les centres communautaires pour migrants. Donc on travaille dans les centres communautaires où l’on fait aussi des cours magistraux par des professeurs et il y a toujours au moins deux ou trois bénévoles ensemble, idéalement trois professeurs qui enseignent à un groupe d’enfants. - Ce sont toujours des enfants vos bénéficiaires ? 152 - Presque toujours, la plupart de nos programmes c’est avec des enfants surtout de l’école primaire. Mais on a commencé à élargir avec des enfants aussi de dernière année de la garderie donc des enfants de 5-6 ans mais très peu, un ou deux programmes. Et aussi on a des programmes pour des enfants de middle school un ou deux programmes. Et on a deux programmes séparés avec des adultes et ça, c’est une coopération avec d’autres ONG. L’une c’est SHANGHAI YOUNG BAKERS, qui est aussi une ONG française qui travaillent avec des adolescents migrants, adolescents ou jeunes adultes qui n’ont pas d’emploi et qui ont arrêté l’école à un certain point, et ils leur offrent une formation de pâtisserie et en même temps ils les préparent pour des stages dans des restaurants à Shanghai pour trouver un emploi dans les restaurants. Et nous on leur donne des cours d’anglais gratuitement, parce que c’est dans leur programme donc chaque semaine on leur donne un ou deux cours d’anglais parce que la plupart d’entre eux vont travailler dans les restaurants de Shanghai où il faut savoir parler un peu anglais. Et l’autre ONG s’appelle The Renewal Center, une ONG qui travaille avec les sans-abris. On fait la même chose, on donne des cours d’anglais pour aider leurs bénéficiaires à trouver des emplois dans le secteur des services à Shanghai. Mais sinon, à part ces programmes-là, le reste c’est avec des enfants d’école primaire. Et donc, dans le programme régulier, on travaille avec 350 bénévoles, chaque semaine, qu’on place dans différents sites. La session dernière on avait 31 sites, dont 13 ou 14 écoles et le reste ce sont des centres communautaires ou des partenaires, donc des centres d’autres ONG. - Dans les centres communautaires ce sont aussi des enfants qui n’ont pas accès à l’éducation ? - En fait non, ce sont plus des organisations chinoises à but non lucratif, qui sont très bien implantées en Chine, en fait ce sont plus des NPO très très proches du gouvernement qui très bien implantées en Chine mais très près du gouvernement, qui ont des programmes avec le gouvernement depuis plusieurs années et eux, sont en fait payés par le gouvernement. Leurs fonds viennent du gouvernement local donc du district. Donc le district va allouer des fonds à ces organisations pour faire des projets pour la population défavorisée de leur district et souvent dans les régions de migrants, dans des endroits spécifiques où les migrants sont regroupés car les loyers ne sont pas chers. - Plus dans les banlieues, je suppose ? - Dans les banlieues mais il y en a aussi dans des zones plus centrales… mais en majorité c’est plus dans les banlieues. En fait tous nos programmes sont dans les banlieues, parce que les écoles sont là, et les migrants sont là, presque tous. Et donc il y a l’école et donc la communauté qui est très près de l’école en général et dans la communauté il a un centre communautaire qui va être financé par le gouvernement local mais qui va être opéré par une sorte d’organisation sans but lucratif. Et donc nous on travaille avec eux. Eux ils nous aident à recruter les enfants, ils connaissent bien la communauté, ils vont dans toutes les maisons et recrutent les enfants et nous on envoie des bénévoles chaque semaine pour enseigner l’anglais. - Donc ça peut être des enfants locaux et des enfants de migrants ? - En général, non. Il y a quelques centres oui, mais la majorité des centres en général c’est vraiment que des migrants, parce que le centre communautaire est dans la communauté de migrants et ce sont uniquement des migrants autour donc eux ils desservent les migrants. C’est le modèle que l’on suit en général. - Je suppose que ces centres communautaires sont dans des zones où vous n’agissez pas dans les écoles, sinon il y aurait une superposition ? - En fait non, il y a beaucoup d’enfants qui sont dans nos écoles et aussi dans le programme du centre communautaire. Parce que c’est différent, parce que dans le centre communautaire, on fait aussi de l’enseignement magistral de l’anglais. Mais la majorité des centres c’est plus pour du tutorat. C’est un programme de tutorat. On envoie des bénévoles pour aider les enfants à faire leurs devoirs. Et les bénévoles qu’on envoie là en général ce sont des lycéens d’écoles internationales à Shanghai. Donc les meilleures écoles internationales, avec beaucoup d’expats, des enfants d’expats ou des enfants de très riches Chinois. Par exemple SAS (Shanghai American School), SCIS (Shanghai Community International School)… toutes les grosses écoles et très chères écoles où 153 l’on recrute les lycéens de 16-17 ans parfois 18 ans aussi, on les forme et ils vont là pour aider les enfants à faire leurs devoirs. Et donc cela fait environ 4.500 enfants par semaine dans les écoles et centres communautaires qui bénéficient de nos programmes. Pour l’autre projet, pour les lunettes c’est un peu différent, ça dépend des années, mais on voit de plus en plus le nombre qui augmente énormément. Comme l’année dernière, on a donné près de 800 paires de lunettes, on a fait quelques opérations et on a fait l’examen de la vue de plus de 5.000 enfants, je pense. - Généralement, ce sont ces mêmes enfants qui vont dans les écoles où vous avez vos projets ? - En général oui…mais comme je le disais maintenant on travaille sur un nouveau projet qui peut peut-être augmenter le nombre d’enfants, de bénéficiaires par dix. Il permettrait de couvrir je pense 15.000 enfants l’année prochaine. Ici, on commence le projet dans des écoles où l’on n’a pas de bénévoles encore. On va commencer à augmenter le nombre d’écoles avec qui on travaille. - Et mis à part les bénévoles, l’équipe de l’ONG comprend combien d’employés ? - En ce moment on est huit employés. Et beaucoup de stagiaires qui travaillent avec nous, on a toujours au moins trois ou quatre stagiaires avec nous. - Et quels sont les fonctions des employés ? - Alors on a Corinne c’est la directrice. Moi je suis chargé des programme, je suis donc le programme manager. On en a une qui est administrative officer, qui travaille qui est en charge de toutes les finances, de l’administration, des relations avec le gouvernement local, les banques, qui effectue le paiement des salaires. Ensuite on a deux coordinateurs de programmes qui sont en charge de communiquer avec les bénévoles, communiquer avec les écoles et les centres communautaires, et d’organiser les bénévoles, faire qu’ils remplissent bien toutes les places, et qu’ils sont soutenus, donc tout ce qui est la communication régulière avec les partenaires, avec les écoles et les professeurs des écoles. Donc on a deux employés pour ça. On a aussi le trainingmanager qui est en charge de la formation, donc c’est lui qui fait les formations tout au début pour tous les bénévoles et une fois qu’ils sont formés, il fait aussi des workshops pendant la session et il fait aussi des visites sur le terrain et va dans les écoles pour observer les bénévoles, leur donner des conseils. Après ça il y a un project manager qui est en charge de nos projets spéciaux. En fait, il voyage en milieu rural où on emmène les bénévoles pour enseigner l’anglais pour des périodes plus courtes… - Pendant l’été ou pas forcément… ? - Ça dépend un peu, d’habitude on le fait pendant l’année scolaire, on fait une semaine par exemple où on va Anhui et Henan, donc on emmène un groupe de bénévoles enseigner dans une école rurale. Ça peut être aussi un weekend, on fait aussi des weekends. Et donc cette personne est en charge des voyages et aussi de tous les projets avec les compagnies. De plus en plus, on a des projets avec des compagnies pour offrir des opportunités de bénévolat pour les employés. Je suis aussi beaucoup impliqué là-dedans. Par exemple, la semaine dernière j’ai emmené un groupe de NYU, l’Université de New York, qui était ici pour quelques semaines et on les emmène dans une école faire une activité. Je fais une présentation sur les migrants en Chine et après la présentation, on les emmène dans une école où ils observent un cours donné par un enseignant local et puis après on fait des interactions et des jeux avec les enfants… - Ce n’est pas déstabilisant pour les enfants de voir des étrangers arrivés un peu comme ça ? - En fait on est très habitué à faire ce genre de chose, mais c’est vrai que c’est très excitant pour les enfants de voir un groupe d’étrangers. On fait toujours cela seulement avec une classe donc c’est une activité avec une dizaine de bénévoles pour une quarantaine d’enfants et on fait des jeux en petits groupes. C’est vrai que pour eux c’est une pause de leurs cours très rigides, et c’est très dur pour leur professeur après de reprendre la classe parce qu’ils sont très excités. On fait ça de temps en temps pour les compagnies. En échange, les compagnies nous donnent un peu d’argent. C’est une manière de lever des fonds… - Et c’est aussi un manière de faire un plaidoyer pour la cause des migrants finalement ? 154 - Voilà voilà, tout à fait. C’est vraiment ça. Ça rentre dans notre mission d’informer la population sur la situation des migrants dans les écoles. Pour les enfants aussi, ça leur permet d’échanger avec d’autres personnes hors de leur milieu… - C’est une ouverture sur le monde… - Voilà et pour nous, on passe du temps à organiser cela, mais, en échange, on a un peu d’argent pour survivre dans notre organisation. Alors on a un employé à temps partiel et qui est en charge du fundraising, donc écrire les demandes de subvention, aussi en charge des recrutements et d’aller à toutes les différentes expositions à Shanghai pour présenter Stepping Stones, trouver des bénévoles et aussi des sponsors. - Est-ce facile de trouver des sponsors ? - Est-ce que c’est facile … euh - Est-ce que vous avez une bonne réputation par rapport à Root and Shoots, par exemple elle me disait que parfois on n’a même pas besoin d’aller les voir car c’est eux qui viennent vers nous, je ne sais pas si c’est aussi votre cas ? - Oui, je pense que c’est de plus en plus, c’est aussi un peu comme ça je pense aussi pour Stepping Stones. Il n’y a pas beaucoup d’ONG à Shanghai, même en Chine qui sont crédibles, et ce n’est pas pour être négatif envers les autres, mais dans le sens que c’est vraiment un secteur très nouveau en Chine et on voit un peu de tout. Il y a des personnes qui ne sont pas vraiment professionnelles et qui commencent des ONG… Et pour survivre plusieurs années, cela demande crédibilité et professionnalisme. Il y a d’excellentes ONG mais c’est un secteur très nouveau, et donc il y a de la compétition au début, il n’y en a que quelques-unes qui sont capables de convaincre les grandes compagnies et de pouvoir faire des projets avec eux et d’être leur sponsor. La situation change un peu et je pense qu’il y a de plus en plus d’ONG qui sont meilleures pour rivaliser avec nous avec Roots and Shoots, ou aussi SYB (Shanghai Young Bakers) qui aussi sont très bons. Mais ça reste très limité. C’est un secteur dans lequel il n’y a pas beaucoup de joueurs. Mais ça ne rend pas la tâche si facile, de trouver de l’argent. L’argent reste très difficile à trouver pour les ONG surtout en Chine, parce qu’on n’a pas de soutien du gouvernement. Donc tout est privé, donc il n’y a aucune garantie. D’une année à l’autre on peut tous perdre notre emploi ou tous fermer nos programmes. Ça peut être très fragile des ONG. Mais on a réussi à avoir deux sponsors qui sont très solides et aussi très réguliers, ils renouvellent chaque année leurs dons alors on est très très chanceux. Mais c’est sûr que si on reçoit plus d’argent, on pourrait facilement augmenter nos programmes... En ce moment on est limité à ce genre de programmes qu’on a, parce que c’est le maximum que l’on peut supporter. - Et est-ce que vous avez des partenariats avec des organisations internationales, je pense surtout à l’ONU par exemple…vous avez des contacts peut-être … qui pourraient financer d’autres projets ? - Oui on a eu quelques contacts avec l’ONU… mais ils ne vont pas financer de petites organisations comme nous, surtout en Chine, on est très très petit, alors eux lorsqu’ils financent ils veulent avoir un projet d’une échelle vraiment importante. Mais c’est quelque chose qu’on envisage, maintenant qu’on est enregistré en Chine, c’est plus facile pour nous de faire ce genre de projets-là. Et c’est probablement un de nos nouveaux objectifs éventuellement de trouver un nouveau partenaire qui va pouvoir nous aider à vraiment exploser le nombre de projets. C’est vraiment un besoin de fonds, on a besoin d’avoir plus d’argent, pour avoir plus d’employés, et pouvoir gérer plus de projets et peut-être dans plusieurs villes en même temps. - Mais donc vous avez cette ambition d’élargir vos projets ? - Oui, tout à fait, si c’est possible. On est vraiment limité par l’argent qu’on peut amasser par année. Mais c’est quand même bien, on a beaucoup de sponsors avec qui on peut travailler, avec des compagnies pour nous aider, avec des chambres de commerce aussi, avec qui on travaille régulièrement, par exemple la Chambre de Commerce australienne, la Chambre de Commerce américaine, britannique. Ils ont beaucoup plus une culture de bénévolat dans les pays anglo-saxons en général. 155 - Elles vous aident à faire quoi exactement, à trouver des entreprises qui peuvent vous financer ? - Non, en fait ils font des levées de fonds pour nous ils font par exemple des galas, des dîners,… pour nous. Les fonds collectés, des fonds personnels, ils peuvent ramasser pour nous jusqu’à 50.000 à 100.000 Yuans par événement, organisés par les chambres de commerce. Et avec les compagnies, surtout les compagnies américaines, australiennes c’est la même chose, c’est dans la culture anglo-saxonne d’aider la communauté. Eux, ils vont choisir un département qui s’occupe de projets avec les communautés et chaque année, ils demandent aux organisations comme nous de soumettre des demandes de subventions et de faire des projets avec eux. Alors, chaque année on leur soumet des projets et souvent, ils sont acceptés. Et dans le projet donc, il y a une partie qui est une donation pour nous et l’autre partie c’est d’organiser des activités pour leurs employés dans les écoles. Donc on fait ce genre de choses aussi pour ramasser des fonds. - Et par rapport à votre relation avec le gouvernement, est-ce que vous êtes contrôlés, supervisés ? De plus, depuis que vous êtes enregistrés, je ne sais pas si la situation a changé ? - Oui, on a toujours été, je pense, supervisés ou… comment dire, le gouvernement nous… Il y a des contrôles réguliers ici. Il y a des personnes donc qui viennent ici pour nous contrôler. - C’est le gouvernement de Shanghai ou du district ? - Non c’est local, c’est du district surtout qu’ils vont venir pour regarder ce qu’on fait, pour voir ce qu’on fait, pour nous poser quelques questions. Parfois même aussi ça peut être des personnes qui viennent juste sans vraiment dire qui ils sont, peu importe, ils viennent et nous posent des questions sur ce qu’on fait… Et aussi on est certainement euh… Parfois aussi on a des visites par exemple dans les écoles aussi, les personnes du district font des enquêtes dans leurs écoles, et là ils voient des groupes étrangers qui vont enseigner, alors, là il y a des questions qui sont posées. Parfois ils viennent nous rencontrer pour discuter, pour voir ce qu’on fait dans leurs écoles, dans leurs centres communautaires, ça peut arriver. Mais, par le passé, c’était un peu plus inquiétant parce qu’on n’était pas enregistré. Maintenant c’est différent, je pense qu’il faut juste toujours respecter ce genre de processus, c’est très chinois comme processus… Souvent c’est juste pour… - Ça peut ne pas être un obstacle… - Non ce n’est pas un obstacle. C’est juste qu’il faut maintenir de bonnes relations avec le gouvernement et parfois on le voit aussi cela dans les écoles qu’il faut juste que l’administration change et les directeurs changent, et ils sont moins convaincus de nos programmes parce qu’il y a de nouveaux directeurs qui trouvent que c’est prendre un risque qu’ils ne veulent pas prendre, d’avoir des étrangers qui viennent enseigner dans leurs écoles… - Ça vous est arrivé donc de changer d’école ? - Oui, oui, bien sûr ! Pas la majorité des écoles mais ça arrive qu’une école lorsque c’est un nouveau directeur qui lui, en fait c’est son pouvoir… - Ça vient du directeur de l’école ? - Oui , c’est sûrement lui qui décide s’il veut faire ou non des projets avec nous et si lui juge que c’est trop de problèmes ou trop de risques pour lui, peu importe la raison, il va arrêter le programme avec cette école-là. Mais c’était plus au début. Maintenant, c’est un peu mieux, c’est un peu plus facile de les convaincre, et qu’ils ont moins peur du risque que par le passé. Les directeurs d’écoles qui nous accueillaient, ils prenaient un risque parce que, officiellement, dans leurs directives, ils ne pouvaient pas avoir d’étrangers dans leurs écoles pour enseigner. Et aussi, ils devaient absolument enregistrer tout projet avec des étrangers qui venaient dans l’école. Alors c’était plus risqué pour plusieurs directeurs d’écoles. Et même maintenant, c’est la même chose, on est des étrangers mais maintenant on est une ONG locale à chaque fois qu’on fait des projets, eux ils vont enregistrer les projets que l’on fait avec eux au bureau local du département d’éducation du district. Et ils enregistrent le programme comme étant d’une ONG de Shanghai, qui vient faire un projet dans notre école et il n’y a pas de mention que l’on est des étrangers, parce qu’on est officiellement local. 156 - Et vous faites cela, vous avez des soins par rapport aux lunettes, etc., mais par rapport à l’hygiène, est-ce que vous avez un projet avec les migrants ? Est-ce que vous avez un partenariat avec d’autres ONG qui agissent là-dessus ? - On a travaillé des fois, on a fait des projets pour l’hygiène dentaire… C’étaient des bénévoles qui ont mentionné leur intérêt pour faire ce genre de choses-là et on les a aidés à organiser ce genre de projets pour eux. - Mais ça ne venait pas de vous spécifiquement ? - Non ça ne venait pas de nous, c’était juste pour eux en fait c’était une initiative d’un groupe de bénévoles et alors nous on a facilité ce projet. C’est aussi comme ça, on est approché par des personnes qui ont de bonnes idées ou qui veulent faire des choses et on a maintenant tellement de contacts dans les communautés de migrants, qu’on peut facilement aider à trouver le centre avec qui travailler parce qu’on pense que ce projet est bon pour eux. Aussi pour les compagnies qui nous approchent, qui ne veulent pas nous donner de l’argent, ils ne veulent pas faire des activités avec des migrants mais ils veulent juste donner des biens à la communauté. Alors souvent on les aide à trouver les personnes qui ont besoin de ce qu’ils veulent donner. Aussi on est très bon pour donner des idées quoi acheter pour les migrants parce qu’il y a souvent des choses inutiles qui sont données à la communauté et donc on essaye d’éviter cela. Par exemple, c’est un projet avec une compagnie australienne qui a fait une levée de fonds en Australie pour une école d’ici. Ils voulaient donner des livres à l’école mais bon, donner des livres dans une école, et c’est une école qui n’est pas à Shanghai elle est hors de Shanghai dans des conditions terribles, puis bon, selon mon expérience, donner des livres à ce genre d’école-là, ils ne vont pas être utilisés, ils n’ont pas de bibliothèque alors ils vont les mettre dans des boites dans un coin poussiéreux… En général les enfants ne vont pas voir les livres... Alors quand même on a demandé à cette école qu’est-ce qu’ils pourraient acheter, et à la place des livres, on a proposé d’acheter des tables et des chaises pour les enfants qui étaient en conditions terribles à l’école. On a utilisé ce don-là pour acheter des chaises et des tables. - Et est-ce que vous profitez toujours de ces opportunités pour parler des problèmes que les migrants ont, généralement ils ne sont pas vraiment connus… ? - Oui, bien sûr, en fait, il y a plein de choses, chaque fois qu’on fait des projets. Avec les bénévoles, premièrement, une partie de la formation, c’est un cours sur les migrants, en Chine, à Shanghai, leur situation. Et avec les compagnies, il y a beaucoup de compagnies, des universités qui font des projets avec nous, de plus en plus d’universités. On a eu cette année Duke, l’Université de Singapour, NYU, IE Business School en Espagne, donc des universités qui font soit des stages à Shanghai, ou en Chine, ou des voyages qui font partie de leur curriculum, ils font des voyages à Shanghai, alors ils vont nous contacter pour faire une activité avec des migrants, et une partie de l’activité c’est une présentation par moi ou Corinne, où on fait un portrait pendant une heure, de la situation des migrants, la situation de l’éducation des migrants en Chine. Donc c’est un cours un peu style universitaire sur les migrants en Chine et sur les ONG en Chine, et Stepping Stones. On profite donc toujours de ces occasions-là pour ouvrir un peu les yeux des personnes sur la situation des migrants et on a toujours de très très bonnes réactions en général. Les personnes sont vraiment contentes de connaître une nouvelle réalité dont souvent on ne pense pas ou très très peu de personnes ont la chance de connaître le problème en profondeur. Cela fait partie du projet. - Est-ce que l’ONG a des contacts directs avec les migrants, je parle des parents ou des ouvriersmigrants ? - C’est sûr qu’on travaille plus avec des enfants mais avec les années je dirais surtout nos coordinateurs de programmes qui sont en communication avec les centres communautaires et avec les parents. Je dirais qu’il y a quand même des contacts, surtout pour les enfants qui vont dans nos programmes dans les centres communautaires, donc le weekend, les parents sont sur place. Les parents vont apporter les enfants et vont les chercher, et souvent ils vont aussi rester pour la leçon. Donc les bénévoles peuvent aussi avoir des contacts, et aussi nos coordinateurs qui sont souvent sur 157 place, ils ont des contacts avec les parents. Je dirais sinon que c’est surtout avec les responsables des centres communautaires et des professeurs dans les écoles. - Et vous n’êtes jamais sollicités par les parents pour que vous les aidiez par exemple économiquement ou à régler une situation ? - Non, non, non, c’est très très rare qu’on ait ce genre de demandes. En fait les parents, quand on enseigne à l’école, ils pensent que c’est un programme organisé par l’école, donc que c’est l’école qui organise des étrangers à venir enseigner à leurs enfants. Pour la majorité, ils ne vont pas chercher à nous connaître, qui on est. Ils savent juste qu’il y a des bénévoles qui viennent chaque semaine pour enseigner à leurs enfants. Dans les centres communautaires c’est un peu la même chose. C’est le centre communautaire qui organise ce cours d’anglais et souvent on n’est pas vraiment mentionné et ce n’est pas vraiment ce qu’on recherche non plus nécessairement. On fait nos projets et la façon la plus facile d’attirer des enfants c’est vraiment que ce soient les personnes dans les centres communautaires qui aient des contacts avec les parents, ce sont donc eux qui recrutent les enfants directement. Alors, on n’a pas nécessairement de contacts directs établis avec les migrants. Et les migrants changent tout le temps. C’est la nature de la migration. C’est souvent la moitié des enfants de l’école va changer d’une année à l’autre, alors c’est très dur de maintenir des liens à long terme. - Et pour confirmer les informations que j’ai eues, les enfants peuvent s’inscrire à l’école une fois que leurs parents sont établis à Shanghai pendant au moins deux ans, ils ont une résidence temporaire et un travail et à ce moment-là seulement les enfants peuvent les suivre, si j’ai bien compris? - En fait ça change énormément et cela dépend des districts. En général, c’est exact, que les parents doivent avoir contribué pour deux ans au social welfare, un genre de taxes sociales de Shanghai. Au moins un des deux parents. Mais ce n’est pas garanti qu’il y ait une place nécessairement pour l’enfant. Ça c’est un papier que les parents doivent fournir à l’école pour faire accepter leurs enfants. Mais on a entendu plusieurs cas où les directeurs d’école vont accepter les enfants même s’ils n’ont pas le papier. - Malgré que le directeur soit proche du gouvernement ? C’est le gouvernement qui gère l’école, d’après ce que j’ai compris ? - Non, pas exactement. C’est financé par le gouvernement, mais c’est souvent géré par quelqu’un qui est placé par le gouvernement mais soit ces écoles-là, c’étaient des écoles privées par le passé donc ce sont des écoles qui sont encore privées mais financées par le gouvernement. C’est sûr que ça n’existe qu’en Chine alors c’est dur à expliquer. Comme par exemple il y a des écoles où, c’est privé dans le sens où le gouvernement paie le loyer aux directeurs. En fait, c’est le directeur qui est propriétaire de l’établissement et donc le gouvernement paie le directeur pour gérer l’école, lui paie le loyer mais en plus lui paie son salaire. Et donc, d’après ce que je comprends, c’est une école qui était privée, et qui appartenait physiquement à quelqu’un. Donc cette personne-là, est gardée comme étant le directeur, mais la seule différence c’est que maintenant l’argent vient du gouvernement et ne vient pas des parents des migrants. Et donc, pour lui il gère encore l’école d’une manière privée, c’est juste que maintenant la source de revenus est différente. Et il faut comprendre la manière aussi que les écoles sont payées, c’est par rapport au nombre d’enfants. Alors quand il y a très peu d’enfants, il y a moins d’argent, alors pour eux c’est avantageux d’avoir plus d’enfants dans leur école. Alors ils essayent de trouver des manières de pouvoir augmenter le nombre d’enfants dans leurs écoles. Et de ce que je peux comprendre, la règle des deux ans est de plus en plus appliquée, mais c’est très récent, ce n’était pas nécessairement ça par le passé. J’ai aussi vu des cas récemment où c’est flexible, s’il y a des bons contacts avec les parents ou peu importe, ça va être aussi des « dons » d’argent aux directeurs pour pouvoir aider leurs enfants. Ça se voit souvent, c’est ce qu’on entend énormément, donner des pots-de-vin aux directeurs d’école pour que leurs enfants soient acceptés. On a entendu souvent parler de ça. Il y a même des migrants qui nous disent qu’ils ont dû donner cela pour avoir une place pour leur enfant dans l’école. C’est très dur. Mais je pense qu’en général, la loi officielle c’est les deux ans. 158 - Et par rapport à l’ONG quelles sont les faiblesses, autant internes et externes, et les forces de l’ONG ? - Les forces et les faiblesses… Hé bien, je pense que la force c’est vraiment, premièrement je pense, c’est le leadership pour Corinne. C’est exceptionnel comme personne, elle l’a fondé il y a plusieurs années, presque 8 ans maintenant, et elle est très très impliquée dans l’organisation. Je pense que ça, c’est essentiel. Et on peut le voir dans toutes les ONG en Chine pour réussir je pense qu’il faut un leader extrêmement fort et très patient parce qu’il y a tellement d’obstacles pour une ONG en Chine et c’est tellement facile de laisser tomber. Donc je pense que le leadership c’est important. Et aussi, qu’elle soit encore très motivée par l’organisation et qu’elle ait vu grandir l’organisation et passer de très peu à beaucoup. Elle a beaucoup d’expérience, beaucoup de connaissances, donc c’est vraiment une force de l’organisation. Aussi je pense aux forces, il y a le fait qu’on travaille avec une population qui est très désavantagée en Chine, qui a vraiment besoin, on comble un besoin très important en tant qu’organisation. Nos bénéficiaires sont extrêmement nombreux, et ont très peu de services et je pense très important pour une organisation d’avoir des bénéficiaires qui ont vraiment besoin d’aide. Sinon, c’est quoi les autres forces que je pourrais dire… Je pense aussi à l’expertise. Avec les années on a développé beaucoup d’expertise de l’enseignement de l’anglais. On a vraiment développé des programmes de cours bien détaillés, très professionnels, de bonnes formations. Et aussi on a la chance d’avoir un très bon réseau. Un réseau de contacts énorme pour les bénévoles qui nous permettent malgré le fait que les bénévoles changent tout le temps et qu’on doive recommencer chaque année, on peut toujours trouver plus de bénévoles année après année. On a vraiment un bon réseau de contacts. Et puis les faiblesses je dirais c’est toujours… Je pense qu’on a tendance à prendre trop de projets, on accepte parfois trop. Parce qu’on est des personnes idéalistes, je pense que pour vouloir travailler dans les ONG il faut être idéaliste et parfois on perd un peu le… on va vraiment trop au bout de nos ressources, parce qu’on est très limité en termes de ressources et c’est toujours un peu juste. Et ça je pense que c’est un problème de gestion en général. C’est toujours de composer avec une organisation avec très peu de ressources en employés. De réussir à faire tout bien, c’est très très difficile. Et aussi amener à terme les projets, il y a tellement de projets en même temps, franchement on est toujours très très surchargé. C’est quelque chose qu’il faut apprendre, à en prendre un peu moins et à faire mieux je pense en général. Les faiblesses, c’est toujours aussi parmi les employés, il y a un taux de « turnover », de rotation d’employés, énorme parce qu’on n’a pas les salaires qui sont très élevés évidemment, on ne peut pas non plus, mais donc on retient très peu nos employés… - Vous parlez de l’équipe ? - Oui oui, c’est pour l’équipe. Il y a les bénévoles d’un côté bien sûr, mais il y a aussi l’équipe qui fait en sorte que c’est dur d’avoir une stabilité dans ce genre d’organisation. Corinne est là depuis le début, moi je suis aussi là depuis un petit bout de temps, mais les autres, cela change énormément, parce que… Il y a plein de raisons, mais surtout les salaires, on ne peut pas payer de bons salaires aux employés, et aussi offrir différentes positions aux employés… Au bout de plusieurs mois, il n’y a pas de développement de carrière. On a une rotation énorme dans les employés. - Oui donc pour mener des actions à long terme, c’est un peu difficile… - Je pense que parfois on est un peu surchargé, et on prend des projets qui nous font perdre beaucoup de temps et qui n’ont pas beaucoup d’impact… - Vous avez un exemple ? - Pas de perte de temps mais… - Vous ne voyez pas l’aboutissement peut-être, vous ne voyez pas de résultats concrets ? - Non, en général, on réussit à mener à terme beaucoup de projets en même temps mais des fois c’est un peu trop. Par exemple, au début de l’année scolaire, quand on commence tous nos programmes, en même temps on va prendre aussi des projets avec des compagnies. Mais on est vraiment un nombre très limité d’employés, alors on est un peu partout en même temps. Et ça prend des 159 semaines à assurer que tout aille bien. En fait c’est beaucoup d’overtime (heures supplémentaires), on est très très surchargé pendant des périodes. Et on va rarement refuser des projets, donc on va toujours accepter des projets, parce qu’on veut faire des projets, on veut récolter de l’argent, et atteindre le plus d’enfants possible évidemment. Et parfois, on a cette difficulté à restreindre nos champs d’actions. - Mais vous êtes quand-même content du résultat ? - Oh oui oui, quand même, parce que je pense qu’en bout de ligne nos résultats sont extrêmement positifs. Et je pense que cela s’est amélioré d’année en année. Et on s’améliore énormément. Mais je pense que… En fait ce que je veux dire c’est que je pense que l’ampleur de notre programme est à la limite de nos capacités en tant qu’équipe. Et je pense qu’on est toujours à cette limite. Donc on a très peu de temps pour consacrer, par exemple, à des choses qui sont un peu moins prioritaires pour nos opérations, comme par exemple que ce soit le marketing, le site web et des choses sur lesquelles je pense on pourrait passer plus de temps pour faire mieux, et peut-être faut que ça soit un peu moins juste produire des projets. On les connaît très bien, mais on est toujours dans cet état d’urgence en fait, toujours d’assurer que les projets fonctionnent et que les projets sont bien menés à terme. Mais on n’a jamais de temps pour passer à autre chose, des choses qui sont par exemple un peu moins essentielles, comme par exemple le site web, les réseaux sociaux… Ou aussi pour penser à des différentes stratégies… - Ce serait un employé en plus finalement, qui s’occupe de communication ou marketing… - C’est cela, et évidemment, on n’a pas les ressources pour engager quelqu’un, pour faire de la communication à temps plein. Alors, donc ça tombe sur nous de faire cela mais puisqu’on est tellement impliqué dans les projets, on a très peu de temps pour se consacrer à ça. Donc c’est vraiment par rapport à cette balance, en fait, c’est de la gestion, de gérer cette équipe très très fin en fait, mais c’est très « ONG » comme problématique, je pense. Dans les grandes compagnies il y a toujours des employés qui ne sont pas utilisés à temps plein, enfin pas toujours. Mais nous, je pense qu’on pousse un peu trop dans les projets, il faudrait un peu moins pour que les autres départements de l’organisation puissent se développer aussi…. C’est un peu ce que je dirais comme reproche. - Je vais changer de sujet… Quelle est la vision de l’ONG par rapport au gouvernement ? Vous ne trouvez pas que l’ONG finalement est un peu un substitut du gouvernement par rapport à la responsabilité de l’éducation qui normalement incomberait au gouvernement ? - Premièrement je pense qu’il n’y a aucun gouvernement qui peut prétendre à pouvoir aider ou combler le besoin de sa population. C’est pour cela que des ONG existent même dans des pays extrêmement développés partout dans le monde. Il y a toujours un besoin, il y a toujours une limite au champ d’action du gouvernement en général, c’est clair. En Chine, c’est vraiment le paradoxe chinois de dire que jusqu’à très récemment les ONG étaient même illégales en Chine. - Vous diriez jusqu’à quelle période ? - Je dirais fin des années 80, début 90. C’était impossible pour une ONG privée d’opérer en Chine parce que c’était jugé anti-communiste. L’idée du communisme c’était que le gouvernement pouvait s’occuper de sa population. Donc cela n’avait pas de sens dans la logique du gouvernement d’avoir des ONG locales. Et maintenant, la plupart des personnes en Chine, du moins des décideurs, comprennent ce besoin d’avoir aussi d’autres personnes que le gouvernement pour s’occuper des plus démunis. Mais ce n’est pas tous les décideurs, ou même les populations, car il y en a plusieurs qui vont remettre en cause le « pourquoi », « pourquoi on fait ça ». Pour eux, il doit toujours y avoir un arrière motif pour faire ce genre de choses, parce qu’ils ne comprennent pas qu’on veuille passer du temps bénévolement à aider, surtout qu’on n’est pas des Chinois… Alors il y a une méfiance, pas de tout le monde mais c’est encore là. Cette réalité d’avoir des personnes qui aident sans demander rien en retour, c’est bizarre pour plusieurs, même pour nos bénéficiaires aussi. Il y a des parents, surtout pour notre projet pour la vue, on a beaucoup de parents en fait qui pensent au début que c’est une façon qu’on va leur demander de l’argent à un moment dans le processus alors il faut les convaincre, on doit leur expliquer que non que « c’est payé pour vous » mais… 160 - Vous pensez que cela est en lien avec la culture chinoise ? - Je pense que oui, il y a beaucoup de rapport avec la culture, et en fait, tout le communisme aussi. Et maintenant aussi, tout le développement un peu capitaliste de la Chine, ce mélange des deux qui fait en sorte qu’il n’y a rien, c’est un peu un communisme à la chinoise, où même les services normaux à l’hôpital, il faut payer pour les Chinois, alors pour eux, que le gouvernement communiste te fait payer de l’argent, de comprendre qu’il y a des organisations privées d’étrangers qui te donnent des services gratuitement… et le lien est un peu difficile à comprendre au début. Pour plusieurs, ou surtout au début, il faut comprendre le concept de bénévolat parce que c’est quelque chose de très nouveau. Et ça fait aussi partie, en fait, nous on veut aussi un peu éduquer cette nouvelle génération à comprendre les valeurs du bénévolat. Ça peut être aussi important d’aider des personnes plus démunies dans sa communauté. Ça c’est une dimension de ta question. Donc voilà, je pense qu’il faut un peu justifier auprès des bénéficiaires et aussi auprès du gouvernement notre existence. Et…je juge par rapport au gouvernement, c’est sûr qu’on pourrait rentrer dans le détail pour montrer comment les migrants sont traités en Chine. C’est sûr que personnellement je pense que ça tient très peu un système où tu as besoin d’une main-d’œuvre, mais tu n’es pas prêt à donner les services à la main-d’œuvre que tu recherches pour tes secteurs économiques. Mais c’est ça qui arrive avec les migrants, c’est la réalité des choses, c’est sûr que c’est quelque chose qui … en fait, comme je disais, c’est un peu pour ça qu’on le fait, mais si jamais, nous on pense toujours que… bon, la Chine c’est un pays qui est extrêmement dynamique, qui peut changer très rapidement. Et du jour au lendemain ils peuvent dire « ok, bon les migrants, eh bien, vous avez les mêmes droits que les locaux ». Et ça pourrait arriver du jour au lendemain en Chine. Donc il y a eu des transformations beaucoup plus importantes se faire très rapidement en Chine. Alors ça pourrait facilement arriver, donc qu’est ce qu’on fait en tant qu’ONG si jamais le gouvernement donnait les mêmes droits aux migrants ? C’est sûr donc qu’il faut être très très flexible, et vouloir être prêt à réorganiser notre organisation. Mais je pense que le besoin va rester le même. Des personnes vont demeurer défavorisées de toute façon, je pense, dans le contexte, même si les lois seraient différentes. On le voit, à Shanghai. Il y a quelques années, il n’y avait aucun enfant de migrants dans les écoles publiques à Shanghai. Maintenant, la majorité sont dans les écoles publiques. Tu sais sûrement, la réforme de 2008-2010 qui est arrivé. Ce qui est arrivé c’est en fait, cette décision a commencé à l’époque où toutes les écoles pour les migrants étaient privées, et tous les parents devaient payer pour l’éducation de leurs enfants. Maintenant, c’est différent. La majorité des enfants de migrants, environ 60-70 % ont une place dans les écoles publiques locales. Mais c’est fini, il n’y a plus de place maintenant pour tous les autres, les 30 à 40% d’enfants de migrants sont dans les écoles pour migrants, donc là où on travaille. Mais les écoles sont subventionnées par le gouvernement, donc les parents ne doivent pas payer d’argent pour envoyer leurs enfants là. Sauf que les écoles sont dans des conditions pires que celles des écoles de Shanghai, publiques. Et aussi, les enfants sont beaucoup plus nombreux, les classes sont trop grandes, la qualité des professeurs est très inférieure aussi, ils ont très peu d’expérience… - Les professeurs ne sont pas aussi migrants, parfois ? - Ce sont des migrants, oui. Salaires extrêmement inférieurs que ceux des écoles publiques, années d’expérience, vraiment très très jeunes, commençant leur carrière, très bas salaires et aussi très peu de diplômes universitaires dans les écoles pour migrants. Dans le public, c’est l’inverse donc très bons salaires, très haut niveau d’éducation… - Et dans le public, les enfants des migrants doivent payer un supplément ? - À Shanghai, non pas besoin. Donc, c’est ça la réforme de Shanghai. D’abord Shanghai c’est une des meilleures places en Chine. Il y a vraiment eu ce changement-là drastique à Shanghai. Juste avant l’Expo (Exposition universelle en 2010). En fait maintenant, ils disent que dans nos écoles (publiques), on a assez d’enfants de migrants. Il y a une pression des parents de Shanghai, qui ne veulent pas des enfants de migrants dans leurs écoles. Donc maintenant, le seuil est atteint, ils ne veulent pas plus d’enfants de migrants dans leurs écoles. Il y a même des écoles qui refusent les migrants, les meilleures écoles n’ont pas de migrants. Bref, il y a une discrimination qui se fait, mais, quand même, comparé à ailleurs, la situation est vraiment améliorée. Et puis les parents n’ont 161 plus besoin de payer pour leurs enfants. Et nous, on fait des projets dans d’autres provinces comme au Zhejiang, Jiangsu où c’est encore privé, les écoles de migrants sont encore privées, la majorité sont privées, les parents paient et les conditions des écoles sont terribles, et c’est vraiment vraiment un niveau inférieur comparé à ici. Alors dans ce contexte-là, donc quand c’est arrivé, Stepping Stones s’est posé la question « est-ce qu’on continue à donner ces services ? », si le gouvernement semble s’occuper de leurs migrants à Shanghai, du moins, beaucoup mieux que par le passé. Mais, on a appris, dans ce contexte-là, que l’action du gouvernement est toujours limitée. Même si il y a une bonne intention, ils veulent, je pense que la réalité fait en sorte qu’il y a toujours une limite à ce qu’ils peuvent faire. Et il y en a toujours qui sont plus démunis. Et aussi, c’est sûr que ça peut toujours changer mais bon, en bout de ligne, il y a tellement peu d’organisations comme nous qui s’occupent de ce qu’on fait. Il y a tellement d’enfants qui ont des besoins d’une meilleure éducation, que je ne vois pas comment le gouvernement va pouvoir combler tous ces besoins-là prochainement. Et je crois vraiment qu’il y a toujours une limite à l’action du gouvernement, peu importe le pays, que ce soit les pays les plus développés au monde, il y a toujours une tranche de la population que le gouvernement ne peut pas atteindre. Et il faut des personnes plus locales qui ont d’autres motivations pour faire combler ces besoins-là. - Et donc, vous confirmez quand même qu’il y a eu une prise de conscience du gouvernement concernant les problèmes de migrants pour laisser entrer les ONG ? - Je pense qu’en général, il y a une prise de conscience en Chine pour le problème des migrants. Surtout si je me réfère aux Chinois avec qui on travaille, les bénévoles chinois. On a de plus en plus de bénévoles chinois dans notre organisation. Au début, c’était uniquement des expats. Maintenant on a environ 30-35% de Chinois. - Mais ils viennent des écoles internationales ou pas forcément ? - Pas forcément. En fait, il y a donc les jeunes dans les écoles internationales, des Chinois de parents très riches. Mais aussi, on a des adultes avec qui on travaille et qui ont étudié à l’étranger ou qui sont universitaires ou on de bons emplois en Chine. Donc ils parlent relativement bien anglais et ils peuvent redonner à cette communauté - Mais ce n’est pas vraiment une prise de conscience de conscience chinoise alors s’ils ont été à l’étranger, je veux dire, ils ont une ouverture… - Oui bien sûr, mais ça fait partie de la nouvelle génération chinoise, de riches et fortunés Chinois. En fait, les nouvelles élites en Chine. Certains ont étudié à l’étranger, je veux dire en fait que ce sont des jeunes professionnels chinois qui sont beaucoup plus ouverts sur le monde que leurs parents. - Il y a un changement de toute façon… - Il y a un changement de toute façon, dans un milieu très élite de Shanghai ou de Pékin. Et parmi eux on peut voir qu’ils ne sont pas surpris par le fait que l’on veuille aider les migrants. Parce que pour eux aussi les migrants c’est une population en Chine qui en général est désavantagée. Et donc ce n’est pas une problématique qui est difficile à vendre aux Chinois, même au gouvernement, même aux responsables locaux. Ils ne sont pas surpris par ce genre de projets qu’on fait. Dans ce sens qu’ils comprennent l’importance de l’anglais dans le curriculum chinois, ils savent tous ça. Souvent ils vont même demander s’il n’y a pas un bénévole pour enseigner à leur enfant. Ce sont des riches Chinois parce qu’ils comprennent l’anglais, et ils comprennent que les migrants sont désavantagés, je pense. Tous les Chinois le savent. - Est-ce que le gouvernement fait assez pour les migrants, est-ce qu’il pourrait faire plus ? - C’est sûr que oui. - Mais il y a une prise de conscience… - La prise de conscience, je pense qu’elle est là, mais l’action n’est pas au même niveau que la prise de conscience évidemment. 162 - Mais elle pourrait arriver…vous êtes plutôt optimiste, non ? - C’est sûr que si on regarde les dernières années, je vois quand même une amélioration énorme à Shanghai. Comparé à avant 2010, les écoles sont meilleures qu’avant, les services sont meilleurs, les parents ne doivent pas payer d’argent. Mais toujours, quand on compare les écoles locales la différence est énorme. Et ces enfants-là vont devoir rivaliser pour les mêmes places dans les universités. Je pense, en ce moment, ils sont tellement avantagés les enfants de Shanghai, qu’il y a très peu de compétition entre eux. Mais c’est sûr que si on compare avec il y a plusieurs années la situation a augmenté énormément. Mais il reste encore beaucoup à faire, énormément à faire. Et surtout, je dirais encore plus hors de Shanghai. À Shanghai, le nombre est énorme, on parle d’un demi-million d’enfants de migrants, aussi c’est énorme l’impact qu’on peut avoir dans cette communauté. - Vous parlez autant dans les écoles publiques que dans les écoles de migrants ? - Oui, dans les deux, il y a un demi-million d’enfants de migrants. Et environ 300.000 dans les écoles publiques ou un peu plus, et un peu moins que 200.000 dans les écoles pour migrants. - Oui, c’est un chiffre assez élevé… - Oui, c’est le nombre, ça c’est la Chine mais c’est sûr qu’à Shanghai, l’avantage de Shanghai, pour nous, c’est qu’on peut avoir une base de bénévoles importante parce qu’il y a une communauté d’expats, une communauté de Chinois instruits aussi. Et de faire ce modèle chinois dans d’autres villes chinoises c’est très différents, parce qu’il nous manque cette communauté d’expats pour faire ce genre de projet. Mais on a commencé avec des cours sur internet pour les enfants en milieu rural. Cela fait maintenant six mois que l’on a commencé ce genre de cours dans trois différentes localités, au Yunnan, Anhui, Henan. On a classe de multimédia pour les enfants de campagne et on a les bénévoles ici qui enseignent. - Une dernière question : quel est le message que vous laisser aux enfants des migrants, quelle leçon vous leur enseignez ? Je ne parle pas de l’anglais mais est-ce que vous donnez un message d’espoir par rapport à leur situation, est-ce que leur situation peut s’améliorer ? - Je pense que oui. On insiste beaucoup sur en fait ce n’est pas juste l’anglais, c’est sûr que notre mission c’est toujours d’améliorer leur performances en anglais dans les examens mais on essaye aussi beaucoup d’améliorer leur confiance en soi, à parler une deuxième langue. C’est la chance de pouvoir et pas juste de mémoriser les choses dans leurs livres, comme ils le font depuis qu’ils sont jeunes. Mais, la pour la première fois, ils ont la chance de parler. Donc, donner confiance, donner espoir, c’est toujours un peu sur ça qu’on essaye de dire aussi à nos bénévoles dans les formations. C’est toujours d’amener quelque chose de différent dans leur vie et puis peut-être les motiver aussi, de voir que c’est possible de maitriser une autre langue, que c’est possible aussi de faire d’autres choses, de sortir de leur milieu. Ce qu’on essaye aussi beaucoup de leur montrer c’est l’idée du bénévolat. C’est aussi pour nos bénévoles étudiants, ceux qui sont en dernière année de high school, on essaye toujours de leur montrer un peu les valeurs du bénévolat, comment c’est important, comment c’est valorisant pour toi, pour les autres de redonner à ceux qui sont moins favorisés dans une société. Et je pense aussi que ça on voit aussi que beaucoup comprennent pourquoi nos bénévoles font ça, et ça amène toujours des valeurs intéressantes aux enfants de la nouvelle génération. Mais sinon c’est vraiment juste d’être motivé pour l’école en général, c’est vraiment plus axé sur l’éducation, donc les motiver et qui se sentent importants aussi, c’est important de passer du temps sur eux. C’est un peu ça aussi que l’on essaye de leur montrer que même s’ils sont dans une situation difficile et qu’ils ont très peu de chance d’accéder même au high school, qu’il y a des personnes qui donnent du temps pour essayer de les aider, donc de voir qu’ils comptent un peu et qu’ils sont importants quand même, malgré qu’ils comprennent que leur situation est pas aussi favorables que d’autres c’est toujours ce genre d’atmosphère positive qu’on essaye de leur transmettre. - Est-ce que vous avez des nouvelles d’étudiants que vous avez aidés ? 163 - Ben c’est sûr que l’organisation n’est pas très vieille donc on ne peut pas vraiment mesurer mais on essaye quand même de mesurer en prenant les enfants que l’on a aidés pendant 5-6 ans, c’est sûr qu’on est une partie de leur éducation. On ne peut pas toujours généraliser mais on a eu des témoignages de beaucoup d’enfants qui sont retournés, parce que, après leur primaire, ils retournent dans leur milieu pour faire l’examen d’entrée et souvent ils vont être les premiers de leur classe en anglais… et ça, c’est assez pour commencer à créer de la confiance chez ces enfants, quand ils commencent à réussir comme ça, leur confiance augmente. Et il y a quelques-uns qui sont rentrés et qui sont allés au high school après, et beaucoup qui vont dans les écoles techniques. Mais c’est sûr que c’est très dur de mesurer l’impact, surtout s’ils sont en primaire aussi donc c’est vraiment juste pour essayer de commencer leur carrière d’anglais, les motiver un peu pour étudier. 164 23 janvier 2015 – Entretien avec JiuQian Shanghai Volunteer Center, Shanghai.* *Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet : http://www.jiuqian.org/ Rencontre avec Yao Yuan, responsable du centre du district de Pudong. Le centre se trouve dans la banlieue de Shanghai, dans un endroit plutôt reculé aux allures champêtres. - Pourriez-vous d’abord présenter l’organisation ? Son nom, l’année de la création, par qui a-t-elle été créée et dans quel but…? - D’accord, je vais commencer par une première question. - Oui, il s’agit surtout de présenter votre organisation. - Notre nom d’abord est « JiuQian Shanghai Volunteer Center ». En 2001, M. Zhang Yichao étudiait à l’Université de Fudan. Il enseignait également dans une école primaire pour migrants, à côté de l’université, appelée LanYing. Peu à peu, il emmenait ses camarades de classes et amis plus jeunes pour aller donner ensemble des cours dans le centre. Après son diplôme, il a voulu trouver un endroit pour continuer à enseigner à ces enfants qu’il avait formé si longtemps. C’était en 2006. Lors d’un salon de recrutement, dans un théâtre, la Chambre de commerce américaine a tenu un banquet caritatif et a invité les enfants de Zhang Yichao à venir chanter en chœur pour l’événement. Ils ont réussi à récolter une dizaine de milliers de Yuan. Zhang Yichao a alors utilisé cet argent pour aider les enfants. Ainsi, depuis 2006, il habite tout près de l’Université de Fudan, et continue à former les enfants. Tout au début, Zhang Yichao faisait appel à ses camarades de l’université pour enseigner selon le talent que chacun avait. Par exemple, si je sais jouer à la guitare, alors je vais leur enseigner la guitare. Si je sais chanter, je vais leur apprendre à chanter. Si je sais jouer l’harmonica, je leur apprends l’harmonica. Si je sais dessiner, j’enseigne le dessin… Notre organisation a été enregistrée en tant qu’ONG le 16 mai 2008 dans le district de Pudong et donc à partir de cette année-là, le statut de JiuQian a été reconnu au niveau national. - Donc vous avez été reconnus ? - Oui. Depuis lors, nous avons ouvert 3 centres d’activités pour enfants à Shanghai. Ces centres sont des centres de programmes pour jeunes. Le premier est ici (district de Pudong), Rue Gutang. Un autre se trouve dans le district de Yangpu, Rue Daxue, près de l’Université de Fudan. Le dernier se trouve à Xuanqiao. Le centre de la Rue Gutang et celui de la Rue Daxue accueillent principalement des enfants de familles pauvres originaires de la ville de Shanghai, ainsi que ceux de parents venus travailler à Shanghai, originaires d’autres villes chinoises. Ces enfants sont appelés « les enfants de la population flottante ». Nous les aidons dans ces deux centres en raison de leurs situations défavorisées. Dans le centre de Nanhui, nous aidons plutôt les personnes en situation de handicap et les orphelins. Nous leur organisons des ateliers de formation musicale, de chant et d’art. Nous leur enseignons à dessiner, à chanter dans une chorale, et aussi à jouer de la flute en bambou. Nous leur apprenons à jouer à des instruments traditionnels chinois. - Ces enfants vont-ils à l’école ? - Ceux du centre de Nanhui ? - Oui. - Ce sont surtout des enfants très jeunes. Mais en Chine, la loi profère 9 années d’enseignement obligatoire, ainsi pendant cette période, ils doivent tous étudier. Après la dernière année au collège, les enfants peuvent parfois rater l’examen d’entrée au lycée, ou arrêter l’école. - Pourriez-vous présenter l’équipe de travail ? Quelle est votre formation et votre responsabilité, par exemple ? - Les employés à temps plein sont au nombre de 6. Le professeur Zhang par contre travaille à temps plein dans l’école…. À JiuQian, il travaille donc à temps partiel. Les 6 autres employés, y compris 165 moi-même, travaillons comme ceci : un collègue gère les opérations dans le centre de Nanhui. Par exemple, il est responsable d’organiser les horaires des professeurs, les cours dispensés aux élèves… Dans le centre qui se trouve rue Daxue, un autre collègue a ces mêmes responsabilités, il se charge de faire venir les enfants, les heures d’ouvertures, les horaires des professeurs… Il s’occupe également des activités. Ici, c’est moi le responsable du centre (Pudong). Cela fait 3 responsables. Concernant les trois autres, l’un est le directeur exécutif, il est en charge des 3 centres. Un autre s’occupe des finances. Le dernier s’occupe de la diffusion sur Weixin (réseau de chat chinois), Weibo (Twitter chinois), et sur notre site. - Comment rencontrez-vous les enfants ? Comment faites-vous la promotion de vos activités ? - En fait, nous offrons des services de proximité. Les trois centres de Nanhui, de la rue Daxue et celui-ci, forment un triangle dans la ville de Shanghai. Entre chaque centre il y a une distance approximative de 30 km. En général, les enfants que nous recevons habitent dans une zone de 10 km autour des centres. Tout au début de nos activités, nous nous sommes rendus dans les écoles localisées près des centres, que ce soit des écoles de migrants ou des écoles publiques qui accueillent beaucoup de migrants, ou à présent nous le faisons également avec des écoles locales. Nous avons entamé une collaboration, et sommes allés enseigner quelques cours par exemple des cours de chant, d’allocution… Les enfants savent que les professeurs qui leur enseignent ces cours viennent de JiuQian. Mais pour les cours de musique, de chant, de reporters, un seul cours n’est pas suffisant. Donc le weekend, les enfants doivent venir dans nos centres pour perfectionner leur apprentissage. Ceux-là représentent une partie des enfants que l’on aide. Et ils sont de plus en plus nombreux à venir s’inscrire aux centres, car en discutant entre eux, certains enfants vont expliquer à d’autres ce qu’ils apprennent dans le centre le weekend, par exemple à jouer la cithare ou la flute en bambou, ou encore le chant de chorale. Cela semble donc intéressant pour les enfants qui ne connaissent pas JiuQian, et qui décident alors d’accompagner leurs amis. Les centres ouvrent leurs portes à trois périodes de l’année : la première période s’étend de septembre à janvier, la deuxième de mars à juin. Et la troisième se déroule pendant les vacances d’été, les mois de juillet et août. Les enfants sont assez libres donc nous préparons des activités pour eux. Nous les aidons à passer des vacances d’été bien remplies, car elles durent deux mois. En dehors de ces périodes de cours, nous organisons des activités, pour les vacances d’hiver et d’été par exemple. En hiver, nous accueillons par exemple un groupe de 5 à 10 enfants pour qu’ils dorment, mangent et passent du temps dans le centre de JiuQian, pendant une dizaine de jours. Et nous faisons également cette activité en été. Nous inscrivons les enfants de cette manière : chaque année, nous commençons à les inscrire une à deux semaines avant la rentrée. Comme le nombre d’employés est assez réduit, seule une personne est en charge pour chaque centre. Nous enseignons donc en tout à plus ou moins 70 enfants. Lorsqu’ils arrivent, ils peuvent choisir des cours, selon l’horaire que nous avons préparé. Ils doivent sélectionner au minimum trois cours par exemple : science où ils peuvent faire toute sorte d’expériences ; informatique où ils apprennent à utiliser l’ordinateur, internet, à résoudre les problèmes de réseaux et de système ; artisanat, par exemple ils peuvent dessiner, fabriquer du savon artisanal, tout est fabriqué par eux-mêmes. Il y a de nombreux cours, plus ou moins 15 par centre. - Combien de bénéficiaires comptez-vous par an ? - À Shanghai, plus ou moins 150 étudiants par an. Cependant, le nombre total de bénéficiaires depuis le début, c’est difficile à compter car il y a des enfants qui étudient par exemple jusqu’en 1 ère année du collège, ou jusqu’en 5e ou 6e primaire, ensuite ils continuent leurs études dans leur ville natale. Ils n’ont pas d’autre choix que de rentrer chez eux, car ils ne peuvent pas passer l’examen de fin de collège ni celui de fin de lycée à Shanghai. Ainsi, le semestre suivant, il y aura d’anciens élèves mais également des nouveaux. Voici un dessin d’un de nos enfants, il est en 4e primaire. - Donc, les enfants, ne pouvant pas passer l’examen de fin de collège, rentrent dans leur ville natale, c’est bien ça ? Ensuite, reviennent-ils à Shanghai ? - Il existe toute sorte de situations. Je vous expliquer précédemment que nous avions un centre à Puxi, rue Daxue, à côté de l’université de Fudan. Dans ce centre, nous avons maintenant un employé qui fait partie en réalité des tout premiers étudiants aidés par JiuQian. Depuis 2011, il suit 166 les étudiants du professeur Zhang. Il était rentré à Anhui, sa ville natale, en première année de lycée. Il a réussi donc l’examen de fin de collège, et ensuite il a passé celui de fin de lycée. Il a finalement réussi à entrer à l’Université de Anhui, en sociologie. Il est donc revenu à Shanghai, pour travailler à JiuQian, tout d’abord en tant que volontaire, ensuite en tant que stagiaire, et enfin il a été employé. C’est également le cas de notre comptable, il faisait partie de nos premiers groupes d’étudiants. C’est ainsi que l’on s’est développé. - Les enfants se souviennent donc de vous lorsqu’ils grandissent, et viennent vous voir… ? - Oui, ils sont nombreux. Il y en également qui après être rentrés chez eux, continuent leur vie là-bas et ne reviennent pas à Shanghai. - Quant au nombre de volontaires, à combien s’élève-t-il ? - À Shanghai, il y en a à peu près 200-300. - En tant que ONG, pensez-vous que le gouvernement vous aide ou impose plutôt des limites ? - Par exemple ce centre, que je vous ferai visiter après, c’est un espace qui nous a été fourni par le gouvernement. Nous avons trois sortes de partenariats : la première c’est l’aide du gouvernement et de fondations chinoises et étrangères par exemple, en ce qui concerne les étrangères il y a GFC et GG, une fondation de Genève, quant aux chinoises il y a la Fondation caritative de Shanghai (Shanghai Cishan Jijinhui), Pudong New Area Spiritual Civilization Bureau (Pudong Xinqu Jingsheng Wenming Banggongshi). La deuxième ce sont les entreprises, comme Target, des magasins de détails américains, Johnson Controls, Coca-Cola… ils soutiennent tous nos activités. La dernière ce sont les privés, par exemple les amis du professeur Zhang aident également JiuQian. Ce sont principalement ces trois formes d’aide que nous recevons. - Est-ce facile de récolter des fonds, ou rencontrez-vous des difficultés ? - Pour le moment c’est plutôt difficile, y compris pour les ressources (au sens plus large), par exemple les locaux, le matériel, etc. Le problème que l’on rencontre récemment c’est par exemple lorsqu’on reçoit des fonds, le donateur décide dans quel domaine l’allouer, malgré que pour celuilà, il ne nous manque pas de ressources… donc il reste des domaines non-financés et pour lesquels il est plus difficile de trouver les fonds. - Avez-vous des relations avec les parents ? - Bien évidemment nous en avons. - Vous connaissez donc leur situation personnelle ? - Oui, et c’est nécessaire car nous écrivons des dossiers sur chaque enfant. Lorsqu’un enfant vient dans notre centre, nous lui donnons tout d’abord une fiche d’inscription où il doit décrire sa situation matérielle. Une semaine plus tard, nos professeurs emmènent des élèves un peu plus âgés pour aller voir les conditions dans lesquelles le nouvel inscrit vit, s’informer de l’emploi des parents, et constater le quartier dans lequel se trouve sa maison. - Est-ce que vous aider également les parents ? - Pas souvent, notre mission principale porte sur leurs enfants. J’ai découvert que de toute façon, il est difficile de changer les habitudes des parents qui ont atteint plus de 20 ou 30 ans. Tandis que les enfants, qui sont encore en primaire, sont plus facilement influençables, car ils sont encore dans leur phase d’apprentissage. Donc nous nous efforçons surtout de former les enfants. Cependant, nous organisons des présentations sur l’éducation familiale. Nous invitons des experts en psychologie de Shanghai, pour qu’ils expliquent aux parents par exemple comment ils doivent communiquer avec leurs enfants, que faire si les enfants en ont assez. Nous avons également des présentations sur les droits au travail, par exemple si l’employeur retient le salaire, comment le réclamer en s’appuyant sur la loi. - C’est un volontaire qui a étudié le droit qui vient faire ses présentations, n’est-ce pas ? 167 - Oui. Pour ces présentations, nous faisons appel à un conseiller en affaires légales de l’entreprise de Morgan Stanley. - Et s’ils rencontrent des problèmes, allez-vous l’aider davantage ou plutôt lui renseigner une autre ONG qui peut l’aider dans ce domaine ? - En premier, si JiuQian est capable de résoudre le problème, nous l’aidons nous-mêmes. Si JiuQian n’est pas suffisamment compétent pour lui venir en aide dans ce domaine, nous requérons les services d’autres ONG qui ont de l’expérience à cet égard, ou des organisations gouvernementales pour aider la personne en question. - Vous avez donc de nombreux partenaires ? - En effet. - Mais venir en aide aux parents est plus difficile que d’aider leurs enfants, n’est-ce pas ? - Oui. Comme je l’ai dit, les parents étant plus âgés, ils ont leurs propres idées et il est donc plus difficile de changer leur comportement. - Oui, avec les enfants c’est plus simple, étant donné qu’ils sont plus jeunes. Mais quels aspects de leur comportement ou idées exactement tentez-vous de changer ? Comment parvenez-vous à les faire changer ? - Les enfants que l’on accueille sont jeunes, ils ont entre 10 et 16 ans. En général, lorsqu’ils viennent d’arriver, à cause des conditions plus pauvres dans lesquelles ils vivent, ils sont assez désordonnés et sales. Donc tout d’abord, nous avons mis des poubelles dans toutes les pièces, pour qu’ils attrapent de bonnes habitudes au niveau de l’hygiène et de la propreté. En second, à part les cours qui leur sont dispensés, nous organisons aussi des activités, par exemple des excursions printanières et automnales, et aussi des concerts. Durant ces activités, les enfants ont l’opportunité d’être avec les volontaires, par exemple les bénévoles de l’entreprise Morgan Stanley et ils peuvent ainsi communiquer avec eux, en formant des paires. Chez eux, ils n’auraient pas du tout cette opportunité d’apprendre à communiquer avec ce genre d’équipes. La première fois que j’ai eu l’expérience de collaborer avec une grande entreprise, j’ai remarqué que les enfants n’étaient pas très enthousiastes d’aller parler avec les bénévoles de sa vie, famille, ses parents. Pourquoi ? Car ils pensent que ces entreprises, que ce soient des entreprises américaines ou d’autres pays, sont très impressionnantes. Et aussi, quand je suis arrivé ici, leur contact avec les étrangers était difficile, lorsqu’il y avait des étrangers, les enfants se cachaient, pas comme aujourd’hui où ils étaient heureux de parler avec toi. C’est à travers les activités et les cours que les enfants commencent à communiquer avec les bénévoles, font des représentations sur scène, plus confiants. C’est de cette façon que petit à petit nous parvenons à leur faire changer de comportement, indirectement et non de manière brusque, en s’appuyant également sur leur maturité grandissante. Nous avons aussi mis en place un cours spécialement pour ça, et les aider à s’intégrer plus rapidement dans cette ville. Par exemple, lors de la première leçon, ils doivent se présenter, préparer 5 minutes où ils parlent d’eux-mêmes. Il y en a d’autres leçons lors desquelles ils apprennent par exemple à prendre le métro à Shanghai, comment acheter son ticket, que faire si l’on tombe malade, par exemple en premier ils doivent se rendre au centre de santé le plus proche pour se faire ausculter et discuter avec le médecin, comment faire attention à soi, que faire si l’on perd son chemin, si l’on est trompé par quelqu’un… - D’accord. Pourriez-vous à présent expliquer comment le gouvernement vous aide-t-il ? - J’ai déjà énoncé le fait que le gouvernement nous prête cet espace, ce qui représente une grande aide pour nous. Par exemple, pour le centre de Puxi, comme nous devons payer un loyer de plus ou moins 10.000 Yuan par mois, donc l’espace est beaucoup plus petit qu’ici. Mise à part cette aide-là, nous collaborons chaque année pour des projets. Par exemple, en été, nous aidons le gouvernement du nouveau district de Pudong à organiser des camps d’été pour les jeunes et en échange nous recevons des fonds, nos enfants participent au projet avec d’autres enfants locaux. 168 - Trouvez-vous que cette aide est suffisante ou vous espérez plus, non seulement au niveau des fonds mais aussi à d’autres niveaux ? - En réalité, pour les activités, cela dépend si elles sont bien menées, et si elles conviennent pour que le gouvernement collabore. Si oui, alors bien entendu nous espérons que le gouvernement puisse nous aider davantage. Nous aimerions par ailleurs recevoir une aide financière de la part des gouvernements des districts où se trouvent nos autres centres afin de payer les loyers, comme c’est le cas ici à Pudong. Car si nous récupérons les 10.000 Yuans du loyer, nous pourrions atteindre plus d’enfants. - Confirmez-vous que dans chaque district les règles sont différentes pour les écoles de migrants ? - Cela dépend de quelles sortes de règles vous parlez. Par exemple ici dans le nouveau district de Pudong, il existe encore des écoles dirigées par des privés alors que dans le district Yangpu il n’y en a plus. En effet, cela arrive que les règles diffèrent selon le lieu, selon le bureau d’éducation. Mais les cas ne sont pas nombreux. Le nouveau district de Pudong étant beaucoup plus grand et accueillant un nombre plus élevé de migrants, les changements sont plus lents à mettre en place. C’est pour cette raison que dans ce district-ci, il y a encore des écoles de migrants privées, mais petit à petit le gouvernement local règle cette situation et met en application les nouvelles lois. - Quels sont d’après vous les besoins fondamentaux que rencontrent les enfants des migrants lorsqu’ils arrivent à Shanghai ? - Avant tout l’éducation. En fait, non il y en a trois. Lorsqu’ils arrivent à Shanghai, les ouvriers migrants, y compris leurs enfants, rencontrent trois besoins. Le premier est l’éducation, le deuxième concerne les soins de santé, et enfin le logement. - Qui leur apporte de l’aide dans ces domaines ? - Au niveau de l’éducation, les écoles peuvent accueillir les enfants des migrants mais sous quelques conditions. Pour ce qui est des soins de santé, maintenant il se peut que l’entreprise, si elle comprend un système de sécurité sociale, puisse payer une partie des soins de l’employé. Le mois passé, le père d’un de nos élèves s’est d’ailleurs blessé le genou. Il a dû rentrer dans sa ville natale pour consulter le docteur, car à Shanghai les frais sont beaucoup trop élevés. - Et son enfant ? - L’enfant est rentré avec lui. - Et que se passe-t-il lorsque ce sont les enfants qui tombent malades ? - Il n’y a pas beaucoup de solution. Si c’est une maladie grave, l’enfant rentre chez lui. Si ce n’est qu’une fièvre ou une grippe, alors il peut se faire soigner à Shanghai. Mais sans assurance, il doit tout de même payer cette somme. - N’y a-t-il aucune ONG qui puisse aider ? - En ce qui nous concerne, nous n’avons pas encore inclut ce domaine-là dans nos activités. - Pensez-vous alors que le gouvernement devrait intervenir davantage dans ce domaine ? - Bien sûr ! - Et pensez-vous que dans le futur le gouvernement serait amené à apporter cette aide ? Ou la situation n’est pas sûre ? - Ce n’est pas sûr car lorsque le gouvernement met en place une politique, c’est généralement pour satisfaire la population locale, dans ce cas-ci la population de Shanghai, et certainement pas aider d’abord la population migrante. Bien qu’il pourrait peut-être le faire progressivement. À partir du moment où le gouvernement a suffisamment d’argent, il pourrait étendre petit à petit son aide à d’autres parties de la population, mais en imposant des conditions. - Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles de votre organisation ? 169 - Notre point fort est le professionnalisme dont nous faisons preuve dans nos services aux enfants défavorisés, et le fait que ces services soient bien déterminés dans un champ d’action particulier. Notre point faible est peut-être le fait que nous n’ayons que trois centres. Par exemple, nous ne sommes pas encore présents dans les districts de Minhang ou Jiading. Cela veut dire que nous ne pouvons pas agir partout dans Shanghai, c’est une de nos limites. Un autre point faible est le nombre de nos employés qui est trop restreint, seulement 6 pour 3 centres. Par exemple, notre comptable à temps-plein, nous l’avons à peine engagé cette année. Donc dans ce secteur, nous devons encore progresser. Il y a encore d’autres secteurs dans lesquels nous ne sommes pas encore assez spécialisés. - Avez-vous l’intention d’étendre la zone de vos activités ? - Cela dépend, s’il y a des endroits appropriés, nous serions ravis de collaborer. Nous devons analyser concrètement les espaces. Par exemple, nous avons déjà des centres dans les districts de Yangpu et Pudong. Ce qu’il est nécessaire d’abord c’est le soutien du gouvernement, et également si le gouvernement peut nous offrir un espace, alors nous pourrions envisager d’y étendre nos activités et gérer de nouveaux centres. Mis à part les centres de Shanghai, nous sommes également à Xishuangbanna dans la province du Yunnan, à Huayuan dans la province d’Anhui, à Xingyu dans la province de Jiangxi. - Et vous enseignez également aux enfants ? - Oui, nous menons exactement les mêmes activités qu’ici à Shanghai. - J’ai entendu que la plupart des enfants des migrants viennent de la province d’Anhui, c’est correct ? - Ils viennent en général des provinces du Zhejiang, de Jiangsu, d’Anhui, et du Sichuan. Et il y en a aussi du Guizhou. - Ne pensez-vous pas que votre ONG prend en charge un travail ou une responsabilité qui devrait être normalement pris en charge par le gouvernement ? - Nous ne pouvons pas être totalement d’accord avec cette idée. Tout d’abord, concernant l’éducation des enfants des migrants, la plus grande part de responsabilité devrait en effet être prise par le gouvernement. Cependant, en tant que citoyen, en tant que ouvriers migrants, c’est également une responsabilité à prendre. La responsabilité incombe aux deux parties, pas seulement au gouvernement. Ainsi, face à ce problème social, nous ne considérons pas vraiment apporter de l’aide au gouvernement à travers nos activités. - La plus grande difficulté pour la mise en place de vos activités est le financement, ou rencontrezvous d’autres obstacles ? - Pour la plupart des ONG, les difficultés ne sont pas seulement de lever des fonds, mais de manquer d’argent, de matériel et de personnel. - Et cela n’arrive-t-il pas d’être dans l’impossibilité d’organiser une activité à cause du refus du gouvernement ou du manque de collaboration des parents des élèves ? - Cela n’est encore jamais arrivé. Les ouvriers migrants et leurs enfants collaborent et soutiennent beaucoup nos activités. Quant au gouvernement, maintenant il se montre assez favorable face aux activités de JiuQian. - Vous trouvez que la situation a changé, s’est améliorée ? - Oui. - À quel moment pensez-vous que ce changement a eu lieu ? - En 2010, après l’Exposition universelle de Shanghai. - Pour quelles raisons ? 170 - Durant l’exposition, il y avait beaucoup de bénévoles qui proposaient des services. De plus, depuis l’exposition, il y a une sorte de système qui a été mis en place. Enfin, cela a permis au gouvernement de mieux comprendre l’importance du volontariat. Depuis 2010, de nombreux médias en parlent et de nombreux bénévoles participent à des événements et activités. - Donc vous pensez que depuis 2010, il y a un changement dans la mentalité des Chinois, à Shanghai du moins, qui veulent ainsi offrir bénévolement leurs services. - Tout à fait. - Mais il n’y avait ce genre de mentalité auparavant, n’est-ce pas ? Ou très peu ? - Oui, ça existait mais très peu. - Pourriez-vous expliquer votre situation personnelle ? Pourquoi en êtes-vous arrivés à travailler ici ? Quel était votre objectif ? - J’ai étudié les relations publiques. Je suis arrivé en 2009 pour prendre part au projet « retour dans sa ville natale » avec le professeur Zhang. Le concept est que JiuQian emmène 40 enfants et 10 bénévoles dans la ville natale de certains enfants, pour faire des enquêtes, des interviews, et aussi des représentations artistiques. Pour le projet, nous avons pris le train pendant 48 heures jusqu’à Chongqing. Moi je suis Shanghaien et c’était la première fois que je faisais un si long voyage en train. Nous étions 10 bénévoles à mener le groupe, notre travail était très fatigant. Après notre retour, comme j’étais encore aux études, je suis retourné en cours. Alors les enfants me téléphonaient en me demandant quand j’allais revenir au centre faire du bénévolat. Cela m’a vraiment donné l’impression que ces enfants étaient comme mes petits frères et sœurs. Par ailleurs, j’avais déjà donné des cours à des enfants, mais alors j’étais considéré comme un professeur, il n’y avait pas la place de créer des relations plus proches, venir chercher l’autre, lui poser des questions… Petit à petit, à force des appels, je me suis plus impliqué dans le bénévolat. Depuis 2010, je suis donc officiellement entré à JiuQian, d’abord pour un stage et puis comme employé. En résumé, c’est comme cela que je suis arrivé ici. 171 25 janvier 2015 – Entretien avec Included, Shanghai.* *Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet : http://included.org/ Rencontre avec Cillin Xiong, responsable du centre. Included a changé de bureau, pour une question de ressources financières. L’organisation se trouve à présent dans un petit espace, avec un bureau, quelques classes et une petite cours de récréation. Lorsque je mène l’entretien, nous sommes dimanche et il y a des activités organisées pour les enfants avec des partenaires du Marriott qui ont apporté des en-cas à distribuer. - Pourriez-vous présenter tout d’abord votre organisation ? Son nom, l’année de sa création et le fondateur ? - Notre organisation a d’abord été fondée à Pékin, et ensuite également été enregistrée à Shanghai. Voulez-vous que je présente le bureau de Pékin ou de Shanghai ? - Celui de Shanghai. - D’accord, alors, nous nous appelons « le centre de services pour le quartier de Huoli du district de Minhang à Shanghai ». Nous avons commencé nos activités en 2009, cependant nous avons été enregistrés en 2012. - Le bureau de Pékin a été créé il y a plus longtemps, n’est-ce pas ? - À Pékin, notre organisation a commencé ses activités en 2006, notre responsable est américain. - Et vous, vous êtes la responsable du centre de Shanghai, c’est cela ? - Oui. Je suis la responsable de Shanghai. - Pourriez-vous présenter votre équipe ? Combien de personnes travaillent avec vous, et quelles sont leurs responsabilités ? - Ici à Shanghai, nous n’avons que 4 employés à temps plein, dont moi-même, responsable du centre. Deux autres sont coordinateurs de projets. Ils organisent des activités et projets ici. La dernière personne est notre chargé des opérations, il s’occupe de tout en dehors des projets, tel que le personnel, les finances, … - Avez-vous aussi des volontaires ? - Oui, nous avons aussi des volontaires. À Shanghai, ils sont plus ou moins une centaine par semestre. Les volontaires qui viennent pour les activités en semaine sont principalement des étudiants des trois universités proches du centre. Le weekend par contre, ce sont plutôt des employés qui nous aident pour les activités. - La plupart sont tous des Chinois, n’est-ce pas ? - En effet. Et nous avons aussi des étrangers, mais ils sont peu nombreux. - Pouvez-vous expliquer la mission et les objectifs de votre organisation ? - Notre mission se résume en un slogan : « Que la ville accueillante accepte la population migrante pleine d’espoir ». Ce qui signifie que nous espérons aider les migrants à s’intégrer davantage dans la ville. - Vos bénéficiaires sont donc principalement les migrants ? - Oui, les travailleurs migrants, appelés aussi la population flottante. - Et leurs enfants également ? - Oui cela inclut toute la famille, et les enfants. - Quant est-il de vos activités ? Celle-ci a plutôt l’air dirigée vers les enfants… 172 - Oui mais leurs parents sont aussi présents. Nos activités peuvent être divisées en 4 parties. La première concerne le développement des enfants en bas âge, de 1 à 6 ans, et leurs parents participent également aux activités. La deuxième regroupe les activités de développement pour les jeunes adolescents, principalement ceux qui sont en primaire de 7 à 13 ans. La troisième comprend les activités autour de l’éducation familiale, qui sont destinées aux adultes, aux parents. La dernière concerne le développement de la communauté. Il s’agit d’activités pour toutes les personnes de la communauté. - L’activité que vous réalisée en ce moment rentre dans quelle catégorie… la quatrième n’est-cepas ? - Oui, on peut l’inclure dans la quatrième. - Et les activités que vous menez avec les enfants, ce sont surtout des classes que vous leur enseignez ? - Oui. Pour la catégorie concernant les enfants en bas âge, ce sont les parents qui viennent avec leurs enfants. Les activités prennent place du mardi au vendredi, lors desquelles nous leur donnons des cours de deux heures, sur le thème « parents-enfants ». Elles se divisent en deux parties : d’un côté, les enfants peuvent venir ici et apprendre des choses très simples par exemple apprendre les couleurs, chanter, colorier… D’un autre côté, nous enseignons à leurs parents comment communiquer avec leurs enfants, comment les éduquer à la maison. La deuxième catégorie d’activités, le développement des jeunes adolescents, soit les enfants qui se trouvent en primaire, prend place du lundi au vendredi, après l’école. Les enfants viennent dans le centre où nous les aidons à faire leurs devoirs, à lire, ou nous leur enseignons également d’autres cours, comme l’anglais par exemple. Le samedi, il y a aussi deux sortes d’activités. D’une part, il y a des cours particuliers durant lesquels nous les aidons à étudier. D’autre part, il y a des cours à option par exemple de sport, de dessin, de musique,… Il y a un peu de tout. - Quant aux cours pour les adultes ? C’est la catégorie 3, n’est-ce pas ? - Oui. La troisième catégorie de cours est destinée aux adultes, elle est également divisée en deux. La première partie, il s’agit surtout de compétences par exemple, nous leur apprenons à utiliser l’ordinateur. Il y en a certains qui sont illettrés, donc nous leur apprenons à lire et écrire. La deuxième partie a pour thème l’éducation à la maison, les relations parentales, les relations parentsenfants. - Ont-ils suffisamment de temps libre pour participer ? Parce qu’ils viennent surtout à Shanghai pour travailler, n’est-ce pas ? Ne sont-ils pas tout le temps occupés ? - Oui tout à fait, ils sont très occupés. Pour les adultes, il n’y a qu’un seul cours par semaine. Ceux qui sont intéressés et qui peuvent venir, viennent tout simplement. Bien sûr certains sont trop occupés que pour venir, mais d’autres viennent tout de même. - À Shanghai vous ne disposez que de ce centre-ci, n’est-ce pas ? - Oui, nous n’avons que celui-ci à Shanghai pour l’instant. - Vous dites « pour l’instant », cela veut-il dire que vous aviez d’autres centres auparavant ? - Nous espérons pouvoir en ouvrir un autre très prochainement. - Concernant les cours que vous donnez aux adultes, acceptent-ils facilement de participer et de recevoir votre aide ? Ou rencontrez-vous parfois des difficultés ? - Non, ils viennent sans problème au centre. Car ce centre est fixe, nous avons toujours été présents au même endroit, donc ils nous accordent leur confiance. Lorsque nous organisons des activités, s’ils sont intéressés alors ils viennent sans problème. Une difficulté relativement importante que nous rencontrons, c’est celle que vous avez mentionnée. Le fait qu’ils viennent ici pour travailler, donc ils sont en réalité très occupés, leurs journées de travail sont très longues. Pour la plupart, ils doivent se lever à deux heures ou quatre heures du matin, donc ils sont très fatigués. C’est pour 173 cette raison qu’ils ne veulent pas tous prendre part à nos activités. Donc nous ne pouvons accueillir que ceux qui ont un peu de temps libre pour venir ici. - Avez-vous une démarche active par rapport à vos bénéficiaires ? Ou ce sont eux qui viennent volontairement au centre ? - En fait, comme cela fait assez longtemps que nous sommes ici, lorsque nous organisons une activité, nous affichons une annonce à l’entrée du centre, et dans certains cas, ils doivent d’abord venir s’inscrire pour pouvoir participer. - Savez-vous dire sur une semaine, ou sur un mois, combien de bénéficiaires participent à vos activités au centre ? - Pour les enfants de primaire, en général, nous en accueillons approximativement 35 par jour. Quant aux activités pour les enfants en bas âge, il y a dix enfants et dix parents chaque jour. Pour les activités qui s’organisent le weekend, le nombre n’est pas certain. Parfois, le nombre de personnes qui participent à nos activités du dimanche sont un peu plus nombreux. C’est difficile à évaluer. - D’accord. Quels sont les besoins les plus importants des migrants lorsqu’ils arrivent à Shanghai ? - Gagner leur vie. Pour la plupart, c’est la raison principale de leur migration. Ils espèrent gagner un peu plus d’argent, et permettre à leurs enfants de vivre une vie meilleure et de rester vivre à Shanghai plus tard. - Et leurs enfants vont dans les écoles pour migrants, n’est-ce pas ? - Certains vont dans les écoles spécialement ouvertes pour les migrants, certains vont dans les cinq écoles publiques pour les locaux. - Les enfants locaux et migrants y sont mélangés alors ? - Oui. - Comment votre organisation récolte-t-elle des fonds ? - On fait surtout appel aux entreprises et fondations. Récemment nous tentons également de récolter des fonds auprès du gouvernement. - Mais la part la plus grande de vos fonds d’où vient-elle ? - Des entreprises. - La plupart sont-elles chinoises ? - Non, la plupart sont étrangères. - Trouvez-vous facile d’obtenir leur financement ? - Non, ce n’est pas facile, et de moins en moins facile. D’une part, au regard du monde, comme l’économie chinoise s’est développée, les étrangers pensent que les Chinois peuvent s’en sortir tous seuls. D’autre part, les organisations sociales et ONG sont de plus en plus nombreuses en Chine, donc il y a de plus en plus de compétitions pour l’obtention des fonds, cela devient de plus en plus difficile. - Depuis combien de temps avez-vous commencé à tenter d’obtenir des fonds gouvernementaux ? - À Shanghai, depuis 2013. - Et à Pékin ? - Je ne me rappelle plus, peut-être aussi en 2012 ou 2013. - D’accord. Tous les jours, vous accompagnez les enfants et leurs parents, vous connaissez leurs problèmes… alors menez-vous des actions de plaidoyer auprès du gouvernement en faveur des migrants ? - Oui, parfois, mais pas non plus beaucoup. 174 - Pourquoi, cela est-il trop difficile ? - Oui, relativement difficile. Dans ce métier, il est nécessaire d’avoir une position plus privilégiée. Par exemple, en tant que professeur universitaire, ou si vous faites partie d’une association telle que la Croix Rouge, alors le gouvernement vous accorde sa confiance. Notre organisation ne dispose pas d’une telle position pour pouvoir communiquer avec le gouvernement de la situation des migrants, cela n’aurait aucun n’effet. - Ah d’accord. À la rue Caoxi, où je me suis rendue tout d’abord, avez-vous toujours un bureau ? - Auparavant nous avions un bureau là, mais depuis l’année dernière nous avons déménagé. La raison est que notre organisation est plutôt petite, les employés ne sont pas nombreux, si l’on restait à cet endroit le loyer était trop cher pour nous. - Mais y meniez-vous des activités avec les enfants du quartier ? - Non, c’était seulement notre bureau, les activités ont toujours été organisées ici. - Travaillez-vous en partenariat avec d’autres organisations, privées ou publiques, ou d’autres ONG ? - Oui. - Dans quel contexte ? Je parle ici de collaboration pour la réalisation des activités et non pas des financements. - Oui, aujourd’hui par exemple, l’hôtel Marriott participe à l’organisation de l’activité. Par exemple, nous avons organisé des représentations, les enfants participent aussi, et leurs bénévoles font également des représentations. Tous participent aux jeux organisés. Et l’hôtel Marriott a par ailleurs préparé et apporté des en-cas. Parfois, lorsqu’il y a des prix et cadeaux à gagner lors des jeux, ce sont également eux qui les fournissent. - Vous aident-ils volontairement ? Vous financent-ils également vos projets ? - Oui tout à fait. Nous travaillons également en collaboration avec des associations universitaires. Ils viennent de manière régulière chaque semestre en tant que volontaires. Parfois ils donnent des cours eux-mêmes, parfois lorsque nous avons besoin de bénévoles lors d’activités, ils nous aident à en trouver. Nous avons aussi des partenariats avec d’autres organisations qui participent durant nos activités, comme aujourd’hui, ils peuvent venir faire des animations. Nous allons leur rendre visite lorsqu’ils font des activités, et vice-versa. - Pourriez-vous expliquer, depuis le début de la création de l’organisation, quelles réussites avezvous obtenues, quels obstacles avez-vous rencontrés ? - Il y a une difficulté que nous avons toujours eue et qui reste importante. Il s’agit du personnel. Il est très difficile de trouver les bonnes personnes pour venir travailler ici et il y a plusieurs raisons. Premièrement, la localisation de notre centre. Il est très loin par rapport au centre. Venir une fois, cela paraît encore faisable, mais devoir venir tous les jours jusqu’ici, les personnes ne veulent pas, c’est trop loin. Deuxièmement, en réalité nos exigences sont très élevées, car les personnes qui travaillent ici doivent avoir toutes sortes de compétences par exemple, savoir animer les enfants, communiquer avec les parents, former les volontaires, savoir écrire des rapports d’activités, et bien d’autres encore. Et en comparaison au niveau de compétences exigées, le niveau de salaire que nous pouvons offrir est très bas… Dans ce contexte, peu de personnes veulent rejoindre notre équipe. Et c’est un de nos obstacles, jusqu’à maintenant, et nous n’avons pas vraiment de solution. Quant à nos réussites… D’abord, le fait d’être présent ici depuis relativement longtemps, et nous faisons sans cesse des progrès. Nous nous efforçons à chaque fois d’organiser de meilleures activités, et d’améliorer chaque fois les relations que nous avons avec la communauté. Par ailleurs, le gouvernement nous fait davantage confiance. - Depuis quand, diriez-vous ? 175 - En 2013, lorsque nous avons obtenu des financements gouvernementaux pour un projet. En fait, ce sont eux qui sont venus nous vers nous avec le financement, et nous ont demandé si nous étions intéressés par le projet. - Ah oui ? - Oui, donc nous avons pris ça comme une marque de confiance de leur part, comme s’ils nous donnaient l’autorisation de continuer notre mission et nos activités, car finalement, nous sommes tout de même bons dans ce que nous faisons. En outre, nous avons commencé un partenariat avec l’association des résidents du quartier à côté. Lorsque nous organisons des activités, nous pouvons leur demander de participer. - Ce sont des résidents locaux, de Shanghai, n’est-ce pas ? - Oui. Il y a aussi des résidents migrants, mais le responsable est de Shanghai. - Et par rapport au gouvernement, vous soutient-il ou impose-t-il certaines limites, certaines contraintes ou oppositions ? - On peut dire en fait que maintenant ils sont plutôt en faveur des organisations sociales, mais dans ce domaine, ils n’ont pas non plus beaucoup d’expériences, car le développement des ONG en Chine est quelque chose de plutôt nouveau. D’un côté, le gouvernement voudrait vraiment encourager davantage, mais d’un autre côté, ils ne comprennent pas très bien comment y parvenir, et veulent tout de même contrôler un peu… Cependant, d’après nous, de notre point de vue, l’attitude du gouvernement peut être considérée comme étant plutôt bonne. Ils veulent s’assurer que les organisations sociales s’efforcent réellement à poursuivre leur mission. Si c’est le cas et que les activités sont menées à bien, alors le gouvernement est enclin à les soutenir davantage. Je pense que le gouvernement aussi est aussi en train d’apprendre. - Pensez-vous donc maintenant que le gouvernement apporte réellement une aide aux migrants ? Est-ce qu’il veut vraiment résoudre ce problème ? - En réalité, je ne pense pas. Je pense qu’il doit encore faire des efforts. Le gouvernement veut soidisant aider cette population, mais il ne les apporte pas l’aide dont ils ont réellement besoin. Par exemple, les migrants se préoccupent le plus de l’éducation de leurs enfants. Or, ces deux dernières années, le gouvernement n’a pas soutenu les migrants sur cet aspect, au contraire, il a imposé de nombreuses limites. Il y a beaucoup de personnes qui ne peuvent étudier à Shanghai. - Oh, vraiment ? - Oui. Aller à l’école devient de plus en plus difficile, car il faut de nombreux permis et documents, par exemple le permis de résidence. Donc il me semble que pour eux, il est de plus en plus difficile de pouvoir étudier à Shanghai. - Et que pensez-vous que le gouvernement devrait faire pour solutionner ce problème ? - Le mieux serait bien sûr de supprimer le système du hukou… Leur permettre ainsi d’étudier dans leur ville de résidence, qu’importe où celle-ci se trouve. Ne pas leur réclamer tant de choses. - Au travail, les migrants rencontrent également des problèmes similaires, n’est-ce pas ? - Sur le plan du travail, je pense que maintenant ce n’est pas si mal. - Pour quelles raisons ? - Hé bien, à Shanghai ils parviennent toujours à trouver du travail. - Et qu’en est-il des soins de santé ou autres besoins ? - Je pense que sur ces aspects, cela va encore car les lois à présent stipulent que l’employeur doit assurer tous ses employés. Selon moi, le gouvernement a fait des efforts dans ce domaine. Mais cela reste une impression personnelle. - Je voudrais savoir si vous ne pensez pas que les organisations à but non lucratif, telles que la vôtre, prennent en charge une responsabilité qui devrait en réalité incomber au gouvernement ? 176 - Je ne l’avais jamais pensé de cette manière auparavant. Car je pense que le travail des organisations à but non lucratif devrait être complémentaire à celui du gouvernement, et les deux devraient travailler en collaboration. - Mais vous pensez que ce n’est pas encore le cas à présent, semble-t-il ? - En effet. Il faut peut-être encore un peu de temps… tout le monde doit encore apprendre. - Comment voyez-vous le futur ? Aussi bien celui de votre organisation que celui des migrants, êtesvous positive ? Pensez vous que la situation va s’améliorer ou cela n’est pas encore sûr ? - Ce n’est pas certain. Je pense que sur le plan de l’éducation des migrants, le gouvernement a encore des efforts à faire, car s’il continue à limiter de plus en plus de personnes d’étudier ici, alors je ne sais pas quelle sera la situation dans le futur. Le mécontentement des migrants pourrait alors croître, ou alors ils n’auraient plus d’autre solution que de rentrer chez eux. - Je voudrais savoir quel message vous donner aux migrants et leurs enfants ? Que leur enseignezvous ? Leur donnez-vous de l’espoir, les encouragez-vous par rapport à leur situation ? - On le fait à travers les activités et les cours. Vous savez, lorsqu’ils vivent en ville, il y a beaucoup de personnes qui les méprisent. Cela leur donne l’impression d’être différents des citoyens urbains. Nous nous efforçons donc, durant nos activités, de leur enseigner la politesse et le savoir-vivre. Par exemple, lorsqu’ils sont en rue, ne pas jeter de déchets par terre… C’est une des choses que nous leur enseignons. Par ailleurs, lorsque les bénévoles de nos entreprises partenaires et des associations universitaires viennent faire des activités avec les migrants, c’est d’abord une opportunité de se mélanger aux citoyens urbains, et nous espérons leur laisser l’impression de faire réellement partie de cette ville. Nous les emmenons parfois en visite dans la ville… - Pensez-vous que leur attitude change au fil des activités ? Observez-vous un changement positif ? - Oui, ils prennent conscience de leur vie et leurs attentes. Par exemple, ils ont maintenant envie d’aller danser le soir, ou aller visiter un endroit qu’ils ne connaissent pas… Il faut savoir qu’au début, ils ne pensent qu’à gagner leur vie, manger et dormir. Maintenant, ils réalisent qu’ils peuvent aussi avoir une vie sociale à côté. - J’aimerais finalement vous demander quel genre de relation avez-vous avec vos bénéficiaires. Connaissez-vous leur lieu d’origine, le travail qu’ils font ici à Shanghai, … ? - Oui, nous connaissons plus ou moins bien ceux qui participent régulièrement à nos activités. - Et les aidez-vous dans d’autres domaines, mis à part les cours que vous leur donnez ? Par exemple, s’ils rencontrent des problèmes à leur travail, ne viennent-ils pas vous demander de l’aide ? - S’ils nous demandent de l’aide, nous nous efforçons de les aider, mais nous ne promettons pas de pouvoir y parvenir. Par exemple, s’ils ne trouvent pas de travail, nous ne lui promettons pas que nous arriverons à lui trouver un emploi. Mais nous demandons autour de nous, nous l’aidons à rédiger son CV et lui expliquons comment doit-il s’y prendre. - Pourriez-vous expliquer votre propre situation ? Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à venir travailler ici, quelle est votre formation ? - J’ai étudié la science et l’ingénierie des matériaux, ce qui n’a aucun lien avec ce que je fais ici. Je n’avais jamais pensé avant que je ferais ce travail. Mais cela fait déjà 4 ans et demi que je suis ici. En réalité, je voulais changer de métier mais un de mes amis qui travaille également ici m’a dit que ce travail me correspond très bien. C’est lui qui m’a encouragé à envoyer mon CV. En fait, j’avais l’impression de ne pas bien comprendre ce métier, mais j’ai tout de même essayé, pour voir un peu en quoi ce travail consistait. Plus tard, j’ai trouvé que ce métier était plutôt pas mal et intéressant. Travailler ici me rend assez heureuse, c’est pour cela que je n’ai pas laissé tomber. - Et vous comptez continuer, non ? - Oui. 177 - J’ai parlé à d’autres ONG, et ils pensent que, principalement à Shanghai, il y a des changements récents, par exemple, plus de Chinois qu’auparavant veulent s’impliquer dans le volontariat… pensez-vous cela également ? - Oui, ces dernières années. Lorsque j’ai commencé ce travail, il y a 4 ans et demi, et je disais aux autres que je travaillais dans une ONG, la plupart demandait ce que cela signifiait. Ils me demandaient si cela revenait à travailler bénévolement, sans salaire. À ce moment-là, les personnes ne comprenaient vraiment pas ce métier. Les bénévoles étaient principalement tous des étrangers. Aujourd’hui, de plus en plus de monde comprend en quoi cela consiste. Et le gouvernement fait également de la promotion au bénévolat, des publicités sur le bien-être public… Il y a aussi des stars qui s’impliquent en tant que volontaire, aident des fondations… Donc le public comprend de plus de plus ce domaine. Dans les associations locales qui organisent également des activités, le nombre de participants augmente de plus en plus. - Aider les autres rentre dans la mentalité des personnes - Oui, surtout chez les jeunes. Il y a des personnes plus âgées qui veulent participer, mais moins que les jeunes. Ceux-ci ont davantage envie de faire des actions bénévoles, ou s’impliquer pour la communauté. - En observant ces changements, ne pensez-vous pas que la situation à Shanghai s’améliore de plus en plus ? - Oui. En travaillant ici je m’en aperçois de plus en plus. Le nombre de personnes désirant faire du bénévolat s’accroît. Et au niveau des étudiants aussi. Bien que certains veulent parfois juste obtenir un certificat. Mais la plupart le font tout de même pour aider autrui. Donc je pense que la situation plus tard sera encore meilleure. - Et la situation dans d’autres villes est-elle différente ? - Je pense que certaines villes prennent en effet plus en compte cet aspect du bien-être public et l’existence des ONG, surtout dans les villes de Pékin, Shanghai, Canton et Chengdu. En tout cas la situation à Shanghai peut déjà être considérée comme très bonne sur ce plan. - Et si vous comparez Shanghai à Pékin, diriez-vous que la situation est plutôt similaire ? - Non, il y a des différences. Tout d’abord, au niveau de la manière dont le gouvernement fait les choses. - Vous voulez dire que le gouvernement gère mieux les choses ici ? - Oui, je pense que le gouvernement de Shanghai est mieux. Lorsqu’il pense à mettre en place une politique, leur vitesse d’action est plus rapide. Il agit réellement. - Pensez-vous que cela à un rapport avec le fait qu’à Shanghai il y a beaucoup d’étrangers ? - Mais à Pékin aussi, il me semble qu’il y a beaucoup d’étrangers. - Oui, je veux dire que Shanghai est une ville plus cosmopolite. - Oui, c’est vrai. Je trouve que l’attitude du gouvernement shanghaien est plus ouverte. 178 27 janvier 2015 – Entretien avec Suzhou On Action International Cultural Center, Suzhou, province du Jiangsu.* *Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet : http://www.zxd.org.cn/. Rencontre avec Chen Ling, responsable de projet. Le centre ne dispose plus de bureau, nous menons donc l’entretien dans une maison de thé tout près de leur ancien bureau. - Pourriez-vous tout d’abord présenter un peu l’organisation ? Son nom, sa création… ? - L’organisation s’appelle Beijing On Action International Cultural Center. En 2008, à la suite d’un projet, nous avons créé une branche ici à Suzhou. Notre mission est destinée à la population migrante et ici à Suzhou, principalement des ouvriers industriels. Nous avons également aidé des ouvriers de construction. Nos activités concernent la protection des droits et la diffusion des lois. La situation à Suzhou rend l’existence des ONG sur le travail difficile. Au départ il y en avait deux ici à Suzhou, nous et une autre ONG nommée « Mirgant Workers’ Home », mais ils n’ont plus de moyen de continuer leurs activités ici. Dans notre cas, nous subissons également la pression du gouvernement. Nos projets dans ce domaine sont donc en suspens. Pour l’instant, nos services envers les ouvriers continuent mais sur d’autres aspects qui concernent le travail et d’une manière secondaire pour les thématiques sensibles, nous ne nous concentrons plus uniquement sur ces dernières car premièrement, nous manquons de financement, et deuxièmement, l’environnement politique ne nous le permet pas, donc la situation est difficile. - En quelle année avez-vous commencé à mener ces projets ? - En 2008, et par la suite, d’autres projets se sont ajoutés chaque année. Et nous avons pu ainsi payer le salaire de deux employés et le loyer de notre bureau. L’année dernière, le seul projet que nous avons organisé est un que nous avons commencé en 2013, car au niveau des financements, il nous est difficile d’en obtenir, par exemple des financements domestiques, et encore moins venant du gouvernement, qui ne soutient pas le genre d’activités que nous avons. Tous nos projets reposent donc sur les fonds obtenus de fondations ou ambassades étrangères. En 2014, notre situation financière était telle qu’il a fallu nous transformer pour pouvoir continuer à exister. Nous avons donc enregistré une organisation sociale, elle figure sur ma carte de visite que je vous ai donnée. À travers celle-ci, nous postulons pour des projets gouvernementaux pour faire des activités destinées à intégrer les migrants à la communauté locale. Cependant ces activités n’ont pas vraiment de lien avec la défense des droits des travailleurs. Mais dans le même temps, nous continuons à maintenir des relations avec les ouvriers. Nous continuons à organiser des activités avec eux, et s’ils ont besoin de nos services au niveau légal, nous faisons tout pour les aider. - Qui travaille avec vous ? - Maintenant le responsable des activités de Suzhou, c’est moi-même. Il y a aussi deux autres personnes. L’un s’appelle Zhou Yingxian, il était lui-même ouvrier industriel auparavant, ensuite lorsqu’il est arrivé à Suzhou, il était très intéressé par ce domaine donc il a rejoint notre équipe. L’autre est un étudiant récemment diplômé de l’université, il s’appelle Ling Jia. - Quelle est leur formation ? - Zhou Yingxian a directement été travailler à l’usine après le lycée. C’est à cause de sa situation familiale, il devait travailler pour pouvoir prendre en charge ses parents. L’autre a obtenu sa licence en travail social (shehui gongzuo), donc il comprend mieux le domaine dans lequel nous travaillons. - Et vous ? - Moi aussi j’ai étudié le travail social. - Et comment avez-vous développé un intérêt pour les migrants ? 179 - Au départ, c’était lors de mes études. Le professeur nous expliquait des choses en relation avec ce sujet. D’ailleurs, notre responsable à ce moment-là s’intéressait beaucoup à la thématique sur laquelle il a publié de nombreux écrits. C’est une des influences que j’ai reçue. Et puis je suis arrivée dans ce métier un peu accidentellement. Je ne voulais pas passer à côté de cette opportunité de travailler dans le monde des organisations sociales, et j’avais envie de travailler ici. Donc, je suis atterrie à « On Action ». L’organisation a été créée en 2006 à Pékin, et en 2008 est arrivée ici à Suzhou, donc il me semblait qu’avec l’expérience que l’organisation avait déjà vécue, elle devait faire preuve d’une certaine force. Et moi, je voulais pouvoir apprendre un peu plus. Ensuite, après avoir vraiment été impliquée, j’ai réalisé que les ouvriers ne recevaient vraiment aucune aide pour faire valoir leurs droits. Par exemple, s’ils font face à des problèmes d’arriérés salariaux ou d’assurances, ils peuvent demander l’aide du gouvernement, mais doivent d’abord remplir une demande auprès du tribunal, et passer par une étape d’arbitrage, ne parlons pas du temps que cela prend et sans garantie du résultat. Si jamais l’affaire arrive au procès, il faut payer un montant très élevé, demander un avocat et y consacrer un temps assez long. Les ouvriers n’ont pas ce temps à perdre, et comme ils ne sont pas sûrs de l’aboutissement, ils laissent tomber et n’ont pas les moyens de se battre pour récupérer quelque chose qui leur appartient. À Suzhou malgré la pression du gouvernement, les ouvriers ont besoin d’une organisation comme nous pour les aider à défendre leurs droits, c’est pour cela que nous devons continuer à exister. - Mis à part le côté légal, y a-t-il d’autres domaines pour lesquels vous leur apporter de l’aide ? - Le partie légale reste la plus importante. Depuis 2014, nous avons commencé petit à petit à promouvoir les négociations collectives. Parce qu’en Chine, la plupart des usines comportent un syndicat, mais ils ne représentent pas du tout l’intérêt collectif des ouvriers car il a été créé par les cadres et n’emploie donc aucun moyen pour entreprendre des consultations auprès des ouvriers par rapport à leurs conditions et arriérés salariaux. Au contraire, ce genre de syndicats défend les intérêts de l’entreprise. C’est pour cette raison que nous pensons qu’il est important pour les ouvriers de pouvoir compter sur leurs propres forces collectives. En 2014 nous avons donc tenté de travailler sur cet aspect, d’autant plus qu’il y a des ouvriers très intéressés. Cependant, nous faisons face aux limites du financement, et des politiques en place, nous faisons tous nos efforts mais n’avons pas encore obtenus de résultats. - Quant au problème de l’éducation des enfants des migrants ? - La plupart des ouvriers migrants travaillant dans les industries ont laissé leurs enfants dans leur ville d’origine. En tout cas, ils sont très très peu à avoir emmené leurs enfants. Si les enfants n’ont pas le hukou local, ils vont aux écoles pour enfants de migrants. - Ah cela existe donc ici aussi ? - Oui il y en a beaucoup, mais au niveau des infrastructures, il y en a dont les conditions sont vraiment médiocres, d’autres un peu meilleures. - Les écoles reçoivent-elles l’aide du gouvernement ? - Il me semble que non, pas du tout. - Donc la situation n’est pas la même qu’à Shanghai. - Non, dans ce domaine, le gouvernement local n’a pas encore fourni d’effort comme le fait celui de Shanghai. Il y a peut-être quelques écoles qui reçoivent de l’aide, mais très peu, d’après les informations que nous avons sur plusieurs écoles de migrants. À Suzhou, il y a plus ou moins près d’une centaine d’écoles pour les enfants des migrants. Parmi celles-là, seules 4 remplissent les critères, au niveau de l’échelle et l’infrastructure, afin que les élèves de primaire puissent passer l’examen national pour entrer au collège. Quant au reste, les élèves ne peuvent que retourner dans leur ville natale s’ils veulent pouvoir poursuivre leurs études mais doivent payer des frais assez élevés pour ce faire. - Et quant est-il de la situation à Pékin, car vous disiez que le bureau y est installé depuis plus longtemps ? 180 - En réalité, je ne connais pas bien la situation de Pékin car j’ai toujours été ici à Suzhou. - Mais savez-vous s’ils rencontrent les mêmes difficultés qu’ici ? - Vous parlez des migrants et leurs enfants ? - Oui. - Je pense que la situation est plus ou moins similaire. Peut-être qu’à Pékin elle est un peu meilleure, car c’est la capitale et en réalité cela dépend du degré d’ouverture du gouvernement… À Pékin, il semble que c’est un peu mieux, ou du moins lorsqu’ils organisent les activités avec les ouvriers, cela n’arrive pas souvent qu’ils soient dérangés par la police. Dans notre cas, malgré que nous ayons fait enregistrer une autre organisation, nous ne parvenons pas à obtenir des résultats à cause du gouvernement. Il nous reproche des choses que nous avons faites dans le passé et ne l’accepte pas. - Pensez-vous que le gouvernement de Pékin encourage-t-il plus l’existence des ONG ? - Non, il n’encourage pas non plus, je veux dire qu’au moins il ne pose pas perfidement des obstacles. - Vous voulez-dire qu’il ne pose pas de limite ? - Il pose parfois des limites, mais lorsqu’il y a des problèmes, ils viennent directement trouver le responsable de l’ONG pour discuter. Si par la suite, ils pensent que les activités ne posent pas de problème alors ils n’interviennent pas davantage. Ici à Suzhou, ce n’est pas pareil, le gouvernement ne vient pas discuter avec moi mais tout arrêter directement, qu’importent les activités que nous menons. - Que pensez-vous que le gouvernement devrait entreprendre pour régler les problèmes que rencontrent les ouvriers migrants ? De quelle manière pourrait-il solutionner le problème ? - Je pense que, en ce qui concerne la réclamation des salaires des migrants, la meilleure façon de faire c’est à travers un syndicat. Il faudrait que les syndicats qui sont déjà en place puissent remplir les fonctions qu’ils devraient remplir. Ce serait déjà une très grande avancée sur ce plan. - La plupart des ouvriers ici font quelle sorte de travail ? - Nombreux sont ceux qui travaillent dans le domaine de l’ingénierie électrique, c’est-à-dire dans les nouvelles technologies. - Et quels sont les problèmes qu’ils rencontrent le plus ? - Ici, ils ont surtout des problèmes en ce qui concerne les maladies professionnelles. Et aussi, au niveau des conditions de travail, ce qui a trait à la sécurité. Peut-être avez-vous entendu parler de l’explosion dans une usine de Kunshan ? Je ne me rappelle plus exactement dans quel domaine. En tout cas, il y a eu plusieurs explosions qui ont causé plus d’une centaine de blessés et de morts. C’était un problème sécuritaire assez grave. Et par après évidemment, tout le monde parlait de cette explosion et des victimes. Mais peu de personnes ont attaché de l’importance au fait que ces explosions sont dues à la présence de substances dans l’air que les travailleurs inhalent et qui aboutissent sur une maladie professionnelle. - En quelle année est-ce arrivé ? - L’année dernière, en août 2014. Mais si vous cherchez maintenant sur internet, les informations ont déjà presque toutes été supprimées. Tout début, lorsque cela venait d’arriver, il y avait des publications, mais dès le 2 août, les informations ont été supprimées. Donc l’événement s’est produit en juillet, le 26 ou le 27. Et le gouvernement de Suzhou a commencé à éplucher les informations un article après l’autre, et tout ce qui avait un lien avec l’événement était retiré et supprimé. Il n’y a peut-être donc plus moyen de voir à présent ce qu’il s’est passé. - Votre travail à présent doit être difficile à mener, n’ayant plus de bureau, comment trouvez-vous les personnes qui nécessitent votre aide ? 181 - Nous les avons trouvés tout au début de nos activités. Depuis 2008, nous fonctionnons avec un groupe d’ouvriers bénévoles. Nous organisons souvent des activités auxquelles ils participent. On peut dire que nous avons liés des contacts avec eux. Ensuite, sous leur impulsion, de plus en plus de personnes ont commencé à participer à nos activités, et à comprendre notre objectif. Alors, lorsqu’ils ont des problèmes, ils nous téléphonent ou nous demandent de les aider directement via internet. Voilà en trois mots comment nous travaillons. - Et à présent, quant est-il ? - Maintenant, nous travaillons davantage de cette façon. En fait, avant nous nous rendions encore aux entrées des usines, où nous affichions des messages de promotion de nos services. À présent, nous ne pouvons plus du tout employer cette façon de faire, nous devons davantage nous appuyer sur les contacts que nous avons liés, pour que ceux-ci puissent nous aider à atteindre plus d’ouvriers. Nous portons aussi attention à la situation des usines, car, bien qu’il n’y ait aucun rapport là-dessus, de très nombreuses grèves se passent chaque année, de grandes et de moins importantes. Certaines pour réclamer une diminution des heures supplémentaires, d’autres pour réclamer une augmentation des salaires de base… en fait, il y en a de toutes sortes. Nous restons très attentifs aux événements afin d’intervenir de façon continue. - Pensez-vous que l’attitude des ouvriers a changé dans le temps ? - Oui certainement ! Sur le plan de la reconnaissance de leurs droits, oui, il y a du changement, ils sont plus conscients. Cependant, ils agissent encore peu. Ils montrent plus une attitude insatisfaite et amère, ils pensent ne pas pouvoir gagner contre l’entreprise ou le gouvernement. - Quant est-il de l’attitude du gouvernement ? A-t-elle changé ? - Le gouvernement a toujours recherché à maintenir une situation de stabilité. Il porte peu d’attention aux conditions de bien-être et conditions de vie des ouvriers. Il peut parfois, mais en général, il passe par les syndicats, et couvre une petite partie des ouvriers. Cependant les syndicats couvrent le niveau supérieur des employés. Chacun des ateliers comporte un superviseur pour une équipe. Les syndicats sont là pour ces superviseurs. Mais pour peut-être 40 ou 50% des employés, qui constituent les niveaux inférieurs, les ouvriers industriels, la situation ne s’améliore pas. Une des raisons est aussi leur temporalité. Ils travaillent là cette année, et l’année suivante ils changent de lieu de travail car les conditions sont mauvaises, les salaires trop bas… donc ils changent de travail ou quittent carrément Suzhou. L’attitude du gouvernement envers cette population, se résume ainsi selon nous : tant que les ouvriers ne créent pas de problèmes (/ne se révoltent pas), tout ira bien ; tant qu’ils ne provoquent aucune incidence négative sur le gouvernement, tout ira bien. - Savez-vous ce qu’il se passe lorsque le gouvernement trouve des ouvriers qui seraient à Suzhou « illégalement » ? Des ouvriers qui n’auraient pas le permis de résidence temporaire ? - Le permis de résidence temporaire ? La plupart des ouvriers ne l’ont pas… ! De toute façon, le gouvernement ne montre aucune attitude agressive… De ce que je comprends, la décision de faire le permis de résidence incombe à chacun. Si tu veux, tu le fais, sinon, le gouvernement ne te force pas à le faire. Le gouvernement ne contrôle pas de façon stricte. - Pensez-vous que le gouvernement voit les ouvriers-migrants comme un problème à résoudre ? Ou il voit juste que c’est un problème, mais qui a toujours existé, et ne fait rien pour le résoudre ? - Je ne sais pas s’ils pensent que c’est un problème à résoudre ou qu’ils ont leur façon de le faire. Mais en tout cas actuellement, on ne dirait pas qu’ils ont conscience, enfin si, ils en ont conscience, du moins, ils n’agissent pas pour résoudre le problème des ouvriers-migrants. - D’après ce que vous disiez, il semble qu’à Suzhou, il est difficile d’exister en tant qu’organisation à but non lucratif, car le gouvernement ne vous soutient pas du tout, n’est-ce pas ? - Non, je parlais des organisations comme nous, qui touche aux droits du travail. - Ah, seulement vous alors ? - Oui, absolument. 182 - Mais y a-t-il d’autres ONG qui aident également ce groupe de bénéficiaires ? - Non. Ou tout au plus, il existe des ONG dont le groupe de bénéficiaires est « la population flottante », ce qui inclut les ouvriers-migrants, mais ils ne constituent pas les bénéficiaires principaux. Mais les services sont assez restreints, et la plupart se focalisent sur les enfants des migrants, principalement de leur éducation. Mais si vous parlez d’ONG qui prend en charge principalement les ouvriers-migrants, alors on peut dire qu’il n’y en a aucune autre. - Pouvez-vous expliquer justement la différence entre la population flottante et les ouvriersmigrants ? - Pour être considéré parmi la population flottante à Suzhou, le seul critère est que le lieu de résidence permanente ne soit pas Suzhou. Moi-même je fais partie de la population flottante, car mon lieu de résidence permanente est mon lieu d’origine. Si je viens à Suzhou, c’est possible que je reste un an, deux, trois, quatre ans… Et après ces quelques années, je m’en vais. Pour cela, je suis aussi considérée comme faisant partie de la population flottante. - Et celle-ci comprend également les ouvriers-migrants ? - Oui, les ouvriers-migrants, ou d’autres employés dans une entreprise… tous ceux dont le lieu de résidence permanente n’est pas Suzhou. - Et pourquoi, parmi la population flottante, ce sont les ouvriers-migrants qui rencontrent le plus de problèmes lorsqu’ils viennent ici travailler ? Pourquoi eux ne reçoivent-ils pas l’aide du gouvernement ? - En réalité, le gouvernement n’apporte pas beaucoup d’aide lorsqu’il s’agit de l’ensemble de la population flottante. Cependant, parmi celle-ci, ce sont les ouvriers qui sont le plus affectés par les problèmes relatifs au travail, car, tout d’abord, ils représentent le plus grand nombre de personnes. Ensuite, leur charge de travail est la plus élevée. Quant au salaire mensuel qu’ils reçoivent, ce n’est pas le plus bas, mais par exemple, pour un salaire de 4000 Yuan par mois, ils travaillent peut-être 12 heures par jour. Pour un même salaire, le reste travaille peut-être 8 heures par jour. Leur salaire de base est en réalité très bas, il équivaut au salaire le plus bas de Suzhou. Et s’ils veulent gagner un peu plus, alors ils sont obligés de faire des heures supplémentaires. - Quels résultats votre organisation a-t-elle obtenus ? Êtes-vous parvenus à des réussites ? Ou avezvous connus des échecs, des obstacles…depuis votre création ? - Nous sommes parvenus à lier petit à petit des liens assez forts avec les ouvriers. Nous avons mené pas mal de projets. Par exemple, nous avons même aidé à former des jeunes ouvriers, je parle de jeunes à peine sortis de l’école qui commencent déjà à travailler, et pour cette raison ratent l’opportunité de continuer leur formation académique. Nous avons obtenus de bons résultats sur ce projet. Nous avons également fourni des formations aux négociations collectives, ainsi que des mises en situation. Nous expliquons aux ouvriers qu’il y a des choses que tout seul, il est difficile d’accomplir, mais si tous les ouvriers industriels se mettent ensemble, ils peuvent parvenir à des résultats, car ils se battent alors pour des intérêts communs. Sur ce plan, nous avons vraiment réussi à faire passer le message, ainsi de nombreux ouvriers en ont désormais conscience. C’est une autre de nos réussites. Par contre, concernant nos échecs, tout d’abord il y a le fait que nous sommes soumis au gouvernement et nos projets ne peuvent pas avoir plus d’impacts. Nous sommes donc limités. Nous ne pouvons pas nous rendre « en grande pompe » dans les autres usines de Suzhou pour recruter d’autres participants et promouvoir nos activités, c’est impossible de le faire de cette manière. Notre travail rencontre donc des limites. Notre champ d’action se résume aux quelques usines qui se trouvent dans le nouveau quartier. À cet endroit sont regroupés nos ouvriers bénévoles. Nous aimerions pouvoir promouvoir nos activités directement sur place, mais nous n’en avons pas la possibilité. - Et quels sont d’après vous les points forts et les points faibles de votre organisation ? - Notre point fort, c’est le travail que nous faisons avec nos ouvriers-bénévoles. Et l’organisation de nos activités est aussi bonne. Notre point faible, c’est que le gouvernement ne puisse pas nous 183 laisser faire nos activités librement. Notre travail est encore trop affecté par le gouvernement. Cependant, je sais que dans d’autres endroits, y compris pour notre organisation à Pékin, la relation avec le gouvernement est meilleure, en ce sens que le gouvernement ne s’en mêle pas trop, l’organisation l’avertit des activités menées, et ce dernier n’intervient pas. Ici à Suzhou, quelle que soit l’activité que nous menons, si le gouvernement est averti, il vient tout de suite y mettre fin. Ainsi, je pense qu’au niveau de notre relation avec le gouvernement, il y a encore du chemin à faire. En outre, notre équipe n’est pas assez stable, le personnel change souvent. Depuis 2008, je ne me rappelle même plus combien de fois l’équipe a changé. Mais c’est également à cause de l’instabilité de notre situation, et le fait que le personnel subit une grande pression. En plus, ils ne veulent pas avoir à faire avec la police. Donc le personnel tourne et cela influence également notre travail. Par exemple, au moment où un projet est mis en place et parvient enfin à un résultat, le responsable décide de s’en aller. - Je n’ai peut-être pas bien compris, mais lorsque vous mettez vos activités en place, il y a des bénévoles qui viennent vous aider, c’est bien cela ? Parce que vous n’êtes que trois personnes… - Oui. Bien que les bénéficiaires de nos activités soient les ouvriers, mais ceux-ci nous aident par exemple dans les préparations ou la coordination de nos activités. Et puis ils participent de manière solidaire. - Pensez-vous qu’il y a eu un changement récent au niveau du nombre de personnes qui souhaitent vous aider en tant que bénévoles ? - Oui, tout à fait. Notre groupe de bénévoles ne fait qu’augmenter. Mis à part les bénévoles-ouvriers, nous avons aussi des étudiants universitaires. Ceux-ci soutiennent beaucoup les ouvriers, en particulier lorsque nous organisons des activités, ils sont très enthousiastes à venir participer. - Et quand pensez-vous que ce changement a-t-il eu lieu ? - Je pense que c’est un processus continu, qu’il y a toujours eu cette transformation. En particulier après 2010, davantage de personnes ont commencé à exprimer ce sens du devoir. - Pourquoi 2010 ? - Concrètement je ne sais rien, mais peut-être c’est parce qu’à partir de 2010, le gouvernement a commencé à promouvoir les activités liées au bien-être public, c’est-à-dire, le développement de ce que l’on appelle le secteur tertiaire. Donc davantage de personnes ont commencé à comprendre le secteur non-marchand, et ont commencé à vouloir y prendre part, en participant à des actions de volontariat. - Je voudrais encore savoir de quelle façon voyez-vous le futur ? Êtes-vous optimiste ou plutôt pessimiste ? - Nous sommes tout de même encore très optimistes par rapport au futur. Malgré que de 2008 jusqu’à présent, notre existence n’a pas été facile, et malgré que la situation de 2008 semblait être même meilleure qu’à présent, nous trouvons tout de même que sur le plan de la prise de conscience des ouvriers par rapport à leurs droits, la situation ne fait que s’améliorer. Oui, ils sont nombreux à avoir conscience de leurs droits, ils n’ont simplement pas encore engagé d’actions à ce sujet. De plus, le nombre de grèves dans chacune des usines augmente de plus en plus, cela montre qu’une partie d’entre eux a déjà commencé à agir. Mais pourquoi les grèves n’aboutissent-elles pas ? Je pense que c’est à cause du manque de stratégie et d’organisation, n’est-ce pas ? Toutefois, c’est un processus en amélioration constante. À présent, la situation de notre organisation est peut-être plutôt difficile, mais notre Président Xi Jinping a dit qu’il fallait permettre aux organisations sociales de s’enregistrer, et il a insisté sur les organisations telles que la nôtre, en charge de la défense des droits de travail pour la population migrante. En prenant compte de ces paroles, alors je pense que dans le futur, le gouvernement sera de plus en plus ouvert. En réalité, le gouvernement comprend et connaît notre mission, et cela peut arriver qu’il l’accepte, en particulier ceux qui sont souvent en contact avec nous, à condition que nous leur disons ce que nous faisons. Même si, en fait, le gouvernement sait que ce que nous faisons est correct. Mais alors pourquoi ne soutient-il pas ou autre ? C’est parce qu’il a aussi ses propres responsabilités à prendre. 184 - Ne pensez-vous pas que le problème se trouve dans le fait que beaucoup de liberté est laissée au gouvernement local ? - Si l’on compare, le gouvernement de Pékin est plus ouvert, alors que l’attitude du gouvernement de Suzhou a, depuis toujours, été de s’efforcer à maintenir une stabilité pour attirer les investissements étrangers. Il veut éviter les ennuis, donc il ne peut tolérer ces changements sociaux. Au contraire, à Pékin, la façon de pensée du gouvernement est plus ouverte, et il perçoit mieux la manière dont la situation va évoluer car il est plus proche du gouvernement central. En fait, je pense que parmi les autorités supérieures, ils sont plutôt pour que les ouvriers défendent leurs droits, en tout cas, ils ne s’y opposent pas catégoriquement. Quant aux gouvernements locaux, d’une part ils sont plus préoccupés que ces actions ne déstabilisent la situation locale. D’autre part, si les entreprises perdent de l’argent, cela pourrait avoir des conséquences sur leurs revenus fiscaux, cela influence de façon certaine leurs intérêts financiers. C’est pour cette raison que les gouvernements locaux soutiennent beaucoup moins ces mouvements. - Savez-vous les différences qui existent entre la situation de Suzhou et celle de Shanghai ? Car j’ai surtout interrogé des ONG à Shanghai qui travaillent plus sur le problème de l’éducation des enfants des migrants. - À Shanghai en tout cas je n’ai pas connaissance d’ONG qui défendent les droits du travail… En existe-t-il ? - Il y en a, mais je n’ai pas réussi à les contacter… Cependant j’aimerais savoir si vous connaissez les différences entre les deux villes quant à la situation des ouvriers ? - En réalité, il y en a beaucoup de similitudes. Je me rappelle l’année dernière une affaire concernant la protection des droits collectifs dans une usine de Shanghai appelée Nainakasi. L’usine allait se délocaliser et devait donc licencier la plupart des employés. Avant de s’en aller, ils ont donc commencé à baisser les salaires. Au départ, le salaire mensuel de certains s’élevait à 6000 Yuans approximativement. Après la première baisse salariale, il n’était plus que de 4000, et ensuite 3000… quelque chose comme ça. Non seulement les salaires étaient réduits, mais d’autres avantages ont aussi commencé à être supprimés. Les ouvriers étaient de plus en plus mécontents et indignés. L’entreprise voulait les forcer à démissionner pour ne devoir leur verser aucune compensation. Ainsi les ouvriers ont entamé une grève de deux semaines environ. Cependant, nous sommes intervenus plus tard, car lorsque cela s’est passé, Shanghai devait justement organiser un événement international, une exposition qui se tenait en mars ou en avril l’année dernière (*IE expo 2014). Le gouvernement a donc contacté les entreprises. Ils ont envoyé la police antiémeute et des policiers armés. Ils ont placé des barrières tout autour du site ne permettant à personne de sortir. Cette nouvelle a également été bloquée et à l’intérieur de l’usine, les téléphones portables ne captaient pas de réseau, et leurs numéros avaient été bloqués. Aucune information n’a donc pu être publiée. Quand nous avons été avertis de l’événement, la grève était presque terminée. Nous sommes parvenus à contacter certains des ouvriers sur place. Après deux semaines d’arrêt de travail, ils n’ont obtenu aucun résultat. Ils étaient très désespérés. En fait, leur situation et celle de Suzhou sont un peu similaires. Il y a une grande pression de la part du gouvernement, et il y a très peu d’ONG dans le domaine du travail. Ainsi, les ouvriers reçoivent peu d’aide extérieure. Euxmêmes ont toutefois conscience de leurs droits. Cependant, même s’ils tentent des actions collectives, ils manquent encore d’organisation et de technique et échouent ainsi à faire valoir leurs revendications. - C’est une de vos façons de travailler de s’informer de la situation dans d’autres villes et la comparer à celle de Suzhou ? - Oui, il nous arrive d’apprendre en regardant comment la situation est gérée dans d’autres villes, cependant nous ne pouvons pas reproduire exactement de la même manière de faire, car la situation dans chaque région est différente, y compris les conditions de travail des ouvriers dans chaque usine ne sont pas les mêmes. Par exemple, à Canton, malgré que le gouvernement impose également une grande pression dans ce domaine, lorsque les ouvriers veulent faire grève, ils sont vraiment animés par une volonté de lutter pour leurs droits, et ce, tous unis, mais s’ils pensent 185 qu’ils n’arriveront à rien, alors ils préfèrent partir trouver autre chose. À Suzhou, la pluparts des ouvriers ne raisonnent pas de cette manière. Ils pensent plutôt, comme on dit en chinois « le fusil atteint la tête de l’oiseau qui dépasse », ils ne veulent pas être cet oiseau, ne préfèrent pas se faire remarquer. Donc, la façon d’agir dépend aussi de l’endroit où l’on se trouve, et de la culture des ouvriers, on ne peut donc pas appliquer la même méthode partout. - Pouvez-vous m’expliquer les partenaires que vous avez ? Je suppose que vous n’avez pas de partenaires gouvernementaux, mais plutôt des ONG, ou des organisations privées ? - Oui nous avons des partenariats, mais pas de partenaires de Suzhou car ici les ONG sont toutes sous le contrôle du gouvernement. Donc leurs projets vont rarement à l’encontre de la volonté du gouvernement. Et puis, comme je l’ai mentionné, dans le domaine du droit du travail, il n’existe plus que notre organisation à Suzhou. Mais nous nous trouvons à présent dans une situation précaire, car nous ne parvenons pas à obtenir les financements dont nous avons besoin pour nos projets, nous faisons face à un réel manque de fonds. Donc nos deux employés travaillent dans le bureau de notre organisation sociale, avec les autres employés, mais nous ne pouvons pas dire à nos partenaires, au gouvernement ou à d’autres ONG qu’ils sont en fait chargé des services concernant les droits du travail. Sinon, nous risquerions d’avoir des ennuis. - Vous dites que vous avez des problèmes de financement mais êtes quand même positifs par rapport au futur, je ne comprends pas comment pensez-vous continuer à mener vos activités ? - Vous parlez de l’avenir de l’organisation en elle-même ? - Oui. - Ah, sur ce plan, je n’ai pas encore beaucoup réfléchi. Mais je pense que dans le futur, la situation va s’améliorer peu à peu surtout en raison de l’éveil de la conscience que les ouvriers eux-mêmes développent concernant leurs droits. Cela veut aussi dire qu’ils commencent à vouloir les défendre, et grâce à notre aide, il y en aura de plus en plus qui pourront y parvenir. Et je pense que le gouvernement, sous l’influence des ouvriers mais aussi des autorités supérieures, va aussi réaliser peu à peu qu’il n’est pas correct de ne rien faire pour cela. Du moins, nous espérons que le gouvernement aura ce changement d’attitude. Concernant nos fonds, ce n’est pas clair. Auparavant, les fonds utilisés par notre organisation Suzhou On Action, ce n’est pas moi qui les ai trouvés, mais Ma Yang. Mais lui-même n’est pas du tout pessimiste, il pense qu’il est encore possible de développer nos projets. Mais je ne sais pas d’où il tient cette optimisme, peut-être que la situation à Pékin est un peu meilleure. Concernant nos partenaires, nous en avons dans le sud, à Canton par exemple, il y a plusieurs ONG qui agissent dans le domaine des droits du travail. Nous avons beaucoup de contact avec eux, par exemple avec Zeng Peiyang à Panyu, dans la province de Canton. À Shenzhen il y a une organisation qui s’appelle Zhongguo Laodong Weiquan Lüshisuo (LaoWeiSuo) (Bureau d’avocats chinois pour la défense des droits du travail), créé par Maître Duan Yi. Nous avons une bonne relation de collaboration avec eux. Ils nous apportent leur aide sur des affaires qui se passent ici. À Hong Kong, nous avons aussi des contacts avec Zhongguo Laodong Tongxun (China Labour Bulletin). Ils organisent souvent des formations ou d’autres événements auxquels nous assistons. Ils financent également notre bureau qui se trouve à Wuhan. - Et avez-vous des contacts avec des ONG étrangères ? - Notre bureau de Pékin a plus de contact, ici à Suzhou nous n’en avons pas beaucoup. Avec Ma Yang à Pékin, ils parviennent à avoir plus de ressources. Ici, nous avançons vraiment petit à petit, et à présent nous sommes plutôt face à une période creuse. L’ancien responsable qui travaillait avant moi ne m’a peut-être pas transmis toutes les ressources dont il disposait. Cela fait à peine un an que je suis ici, je n’ai pas vraiment encore pu entrer en contact avec beaucoup d’ONG qui se trouvent dans d’autres régions. - Faites-vous parfois du plaidoyer envers des institutions étrangères pour améliorer la situation des ouvriers ? - Oui. Cette année à Pékin par exemple, il y a eu plusieurs activités avec les États-Unis et le Japon. Il me semble que ce sont surtout ces deux pays qui soutiennent beaucoup les organisations qui 186 travaillent avec les ouvriers. Et Ma Yang va souvent à l’étranger ou à Hong Kong, où il échange avec des ONG étrangères, et explique comme la situation évolue. - Il semble qu’à ce niveau il est très important de collaborer pour pouvoir mieux aider les ouvriers, n’est-ce pas ? - Oui tout à fait. 187 28 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Lequn Social Work Service, Shanghai.* *Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet : http://www.lequn.org/. Rencontre avec Zhang Shengye, responsable du projet des enfants migrants. L’organisation se trouve dans l’incubateur d’ONG de Pudong, construit et fourni par le gouvernement. - Je vais vous présenter chacun de nos projets un par un. Lequn a été créé très tôt, en 2003, nous sommes assez fiers de dire que nous sommes la première organisation non lucrative privée à avoir été créée en Chine, la première organisation de service (fuwu jigou) à caractère social. - La première ? - Oui. Nous mettons ce fait en avant car nous sommes les premiers dans le domaine du travail social. En réalité nous avons commencé en 2002. À ce moment-là, nous n’avions qu’un projet en cours, dirigé envers les enfants des migrants. Avant ce n’était pas le département de l’administration civile mais le Bureau du développement social qui, devant les besoins, avait financé le projet pour voir quels résultats pouvaient être accomplis. Cela a commencé avec un groupe de jeunes diplômés en assistance sociale, qui étaient eux-mêmes migrants, et non originaires de Shanghai. Après un an de projet, en voyant que des petits progrès avaient déjà été réalisés, et que la demande était assez grande en considérant le nombre de migrants à Shanghai et l’inexistence de services, le gouvernement a pensé qu’il était justifié de donner une autorité Lequn. C’est pourquoi après un an à fournir des services à une école d’enfants de migrants, Lequn a été créé. - Et le fondateur est-il lui aussi migrant ? - Non, en fait Lequn comporte un conseil d’administration. L’organisation a été fondée par des privés et l’association d’action sociale de Pudong, car nous sommes dans le district de Pudong ici. L’association d’action sociale de Pudong finance les activités de Lequn. C’est grâce aux fonds alloués que Lequn a pu démarrer ses projets. La plupart des fondateurs sont des universitaires. Il y a le Professeur Wu Duo du département du travail social de l’Université Normale de la Chine de l’Est, il est plutôt réputé dans son domaine et a beaucoup d’expérience. Il y a aussi le directeur administratif de Hong Kong Christian Service, Monsieur Wu Shuili, mais il a pris sa retraite l’année dernière. Il s’occupait de la direction. Il y a encore Yang Tuan, directrice de recherches de l’Académie des sciences sociales à Pékin. Il y a aussi les employés de Pudong Social Workers' Association qui nous aide. Cela fait déjà 11 ans que nous existons, cette année nous entamons notre 12e année. Notre responsable a changé, il s’agit à présent d’un avocat, il collabore avec un cabinet d’avocats, il a étudié un Master en action sociale à Hong Kong. Donc ce sont ces personnes qui ont fondé Lequn, et c’est en partie car ils viennent du monde académique, et non des entreprises, qu’ils ont remarqué les besoins sociaux donc du sens de l’existence d’une organisation comme Lequn. Lequn a donc été créé et enregistré, sinon, il aurait été difficile de réaliser les projets. Parce que l’investissement du gouvernement ne peut pas être si élevé, nous ne reposons pas entièrement sur l’aide du gouvernement. Il y a certains projets que nous menons en partenariat avec le gouvernement, mais pour une autre partie des projets, nous devons récolter des fonds et évaluer les besoins. La création de Lequn n’aurait pas été possible avec des hommes d’affaires, ou des personnes ayant de nombreuses appréhensions… Car une fois l’organisation créée, la route est encore longue et pénible. Au début, Lequn a commencé avec les jeunes, et puis a peu à peu aidé également les personnes âgées. Nous avons aussi fourni des services sociaux dans le domaine médical. Mais à Shanghai, pour travailler dans ce domaine, il faut vraiment être spécialisé. La plupart des assistants sociaux médicaux sont des infirmiers de formation. Ils ont d’abord suivi des études d’infirmier et ensuite obtenu le certificat d’assistants sociaux. Après avoir suivi cette formation, ils deviennent donc des assistants sociaux médicaux. Intervenir dans ce domaine sans avoir de personnel ayant suivi de formation médicale est très difficile. Après un moment, nous avons donc pensé que nous n’étions pas assez spécialisés pour continuer dans ce domaine, alors nous avons mis fin à certains projets que nous avions. Nous nous sommes également chargés de services sociaux dans les maisons de repos, mais par la suite, les services sociaux dans ces 188 établissements ont commencé à être pris en charge dans un système, en utilisant les fonds internes excédentaires. Nous avons donc peu à peu mis fin à ces services. À présent nous nous rendons surtout dans les communautés où se trouvent des centres de soins pour les personnes âgées. Car, d’après nous dans les maisons de repos, il y a plus besoin de personnels de santé, qui ont la capacité de prodiguer des soins et permettent le rétablissement. Lorsque les personnes âgées sont encore physiquement en forme, alors ils restent à leur domicile et se rendent dans les centres de soins de la communauté. C’est ceux-là que visent nos services. Le gouvernement nous confie également des projets concernant cette population. Nous organisons également des activités dans les communautés. - Et concernant les jeunes, vous avez commencé ce projet en 2003 et quant est-il à présent ? - Nous avons toujours maintenu ce projet, depuis le début jusqu’à maintenant. C’est un projet qui a toujours été au centre de nos préoccupations. Car nous pensons que cette population fait face à de grands besoins, plus que pour les enfants qui sont dans les écoles publiques. Car ils sont non seulement dans une période d’apprentissage, et donc ont des besoins communs aux autres enfants, mais en outre ils doivent suivre leurs parents dans une ville qui leur est étrangère, pour y vivre et poursuivre leur formation scolaire. Un projet que nous avons mis en œuvre depuis plusieurs années, c’est celui de « S’intégrer dans la société ». Il est toujours en cours, car nous avons effectué de nombreuses recherches et en général les enfants qui arrivent avec leurs parents à Shanghai ont en moyenne 5-6 ans, et ne sortent jamais de leur nouveau lieu de résidence, donc ils ne connaissent pas Shanghai et la beauté de la ville. Ils ne sont pas Shanghaïens et ne peuvent donc profiter des politiques mises en place par le gouvernement. Leurs parents travaillent et ils habitent dans les petits villages ou bourgs de la banlieue de Shanghai, leurs conditions de logement sont très mauvaises, dans des maisons en mauvais état et très bon marché, et abritent de nombreux membres d’une même famille. Donc l’environnement dans lequel ils vivent ne reflète pas les meilleures conditions que la ville a à offrir. En outre, ils ne peuvent profiter d’aucun service social et ne vont jamais s’amuser, ils ne sortent jamais du village. Ainsi, ils n’ont aucune connaissance de la vie en ville, ni de sentiment d’intégration. - Et comment faites-vous ? - Par exemple, (en me montrant le fascicule) c’est le projet que nous mettons en place cette année. « J’habite à Shanghai » est un projet d’intégration dans la ville. Il est financé par de nombreuses personnes. Ce qui est dommage, c’est que les projets financé par le gouvernement visent les jeunes shanghaïen. Il finance peu les projets envers la population migrante. Mais ce n’est pas si mal, car chaque année le Comité de la Ligue des jeunesses communistes de Shanghai organise des projets à leur égard. Ici c’est un projet pour 2015, « Grandir sainement ». Le Comité nous soutient un peu chaque année dans le financement de ce projet. Cependant, la plupart des fonds d’assistance au bien-être de la population, ou les projets financés par le gouvernement sont peu dirigés à l’assistance des enfants des migrants. Ainsi, pour le financement de notre projet « S’intégrer dans la société », nous avons dû faire appel à de nombreuses entreprises et fondations ces dernières années, en général une entreprise ou une fondation finance le projet pour une année. Maintenant, c’est mieux, et ce depuis 2012, l’entreprise américaine TARGET, une chaîne de supermarché aux États-Unis qui compte également une fondation, finance nos projets. Nous avons présenté nos projets en réponse à un appel de propositions en 2012, et depuis lors nous recevons des fonds. En 2015, ce sera déjà la 4e année que l’on reçoit leurs financements. Ils prêtent une attention continue à nos projets et le personnel de leur entreprise à Shanghai collabore 2 à 3 fois par an pour nous aider à l’organisation d’activités. C’est vraiment une bonne chose car nous avons enfin trouvé un partenaire qui soutient un de nos projets sur le long terme. Nous avons des activités que nous avons intitulé « Parlons de Shanghai de long en large », pour lesquels nous avons nous-mêmes préparés des cours. Nous avons développé des cours sur l’histoire de Shanghai, la culture, l’architecture, les mets gastronomiques, ses endroits historiques, ses points remarquables, … Et nous nous rendons dans les écoles pour enfants de migrants, dans le but de leur faire connaître des choses essentielles sur la ville de Shanghai. S’ils ne connaissent rien de la ville, comment pourront-ils un jour l’apprécier ? Par la suite, une fois qu’ils ont acquis ces connaissances, nous les emmenons dans Shanghai pour visiter les points d’intérêt touristique, mais nous le faisons de diverses façons, par 189 exemple en utilisant des jeux d’exploration qui sont très populaires actuellement, à travers des courses d’orientation, les laisser faire des recherches, les laisser découvrir par eux-mêmes une autre facette de la ville, dans le Musée des sciences et technologies de Shanghai, ou le Shanghai Urban Planning Exhibition Center… On les interroge sur le concept de ces musées et centre d’exposition, sur la façon dont ils ont été construits, quels sont les différents thèmes abordés… Peut-être que certains encouragent à la protection de l’environnement, à préserver sa santé, ou d’autres visent les thèmes de la technologie humaine… Nous les laissons chercher par eux-mêmes. Car à travers le divertissement, il est important d’apprendre des choses. Une fois rentrés des visites, nous organisons un concours de peinture et de rédactions. Cela leur permet d’avoir le temps de réfléchir au sens de la visite qu’ils ont effectuée. Notre objectif est aussi de leur apprendre qu’à part recevoir un soutien des autres, car ces activités sont financées par des entreprises ou des dons privés, ils deviennent eux-mêmes des membres de la ville, et qu’ils peuvent contribuer à son développement. Ainsi, nous créons des groupes de volontaires dans les écoles, nous leur donnons une petite formation. Ensuite nous les emmenons dans des communautés de Shanghai, par exemple dans des orphelinats, ou des maisons de repos, où ils peuvent rendre des services volontaires. - Avec la population locale ? - Oui. Pour qu’ils puissent s’intégrer à la population locale. Nous espérons principalement qu’ils apprennent à connaître Shanghai, et la culture locale, pour qu’ils aient plus de facilités à s’intégrer à la population locale. Cela fait maintenant 12 ans que nous organisons ces activités à l’encontre des enfants des migrants, mais nous avons observé avec le temps qui passe, que par exemple, il y a des enfants de migrants qui naissent à Shanghai, et lorsqu’ils rentrent dans leur lieu d’origine pour les fêtes ou le nouvel an, ils disent que les Shanghaïens les méprisent, mais il arrive qu’eux-mêmes méprisent les personnes de leur lieu d’origine, car leurs conditions de vie se sont améliorées à Shanghai. Ils critiquent par exemple leurs habitudes d’hygiène qui sont pauvres, ou leur habitation, la nourriture, les constructions… - Que faites-vous par rapport à cela ? - Cela nous a fait réfléchir, par exemple nous avons mis en place le programme « améliorer sa santé », ou aussi des activités sur le développement personnel. Celui-ci (elle me montre le rapport d’un projet) est un peu plus spécialisé, c’est pour valoriser le professionnalisme de notre personnel, nous avons étudié des cas individuels. D’autres activités que nous organisons c’est par exemple les faire réfléchir en groupe à la beauté de leur lieu d’origine. Ils en font alors des bricolages par exemple. Parce qu’ils ont parfois des idées préconçues auxquelles ils n’ont jamais eu l’occasion de réfléchir vraiment. Nous leur donnons alors cette opportunité d’y penser. Et nous analysons les cas extrêmes pour pouvoir mieux guider les enfants. Nous avons initié le projet « Mon beau village natal », où nous les invitons tous à s’exprimer, ou d’autres activités, par exemple à travers des illustrations ils peuvent transmettre leur message. Ils doivent réfléchir et trouver les points forts de leur village natal, des choses qu’ils ne trouvent pas ici à Shanghai. Par exemple, des montagnes et des rivières, l’environnement est vraiment meilleur qu’ici, l’air n’est pas pollué… Et nous faisons la même chose avec Shanghai, même si c’est une grande métropole, il y a aussi de nombreux points positifs, des choses qui n’existent pas dans leur village natal… Et puis nous leur demandons ce qu’ils souhaiteraient améliorer à Shanghai, et leur faisons penser qu’ils peuvent y contribuer. Pour le projet « J’habite à Shanghai », nous avons toujours reçu des fonds, mais le montant n’est pas élevé au début 20.000 dollars, ensuite 25.000 dollars la troisième année. On regarde d’abord comment le projet est reçu par le public cible, avant d’augmenter son ampleur progressivement. Mais à Shanghai, les enfants des migrants sont beaucoup trop nombreux, donc nous faisons appel à d’autres entreprises pour des projets similaires. Ici il s’agit de l’Oréal, qui finance également des projets à Shanghai, mais dans d’autres écoles. Nous nous penchons également sur des projets qui visent des caractéristiques propres à ces enfants. Par exemple, depuis qu’ils sont petits, ils ont toujours profité des pièces d’eau qui existent dans leur lieu d’origine, des fontaines, de nombreux endroits dans lesquels ils peuvent nager. Mais à Shanghai, cela peut représenter un danger, surtout en été, alors qu’ils ne rentrent pas dans leur village à Shanghai et que leurs parents sont très occupés. Chaque été à Shanghai se produisent de nombreux accidents parmi les enfants des migrants. Les enfants restent enfermés à la maison, sans la présence de leurs parents, et il y a de 190 nombreux éléments dangereux : des outils coupants, des fils électriques, … Il est arrivé que des enfants mettent le feu à la maison, mais comme ils sont enfermés à clé, ils n’ont pas le moyen de sortir. Chaque année il y a aussi des enfants qui se noient en voulant nager dans les petites rivières qui se trouvent dans les villages où ils habitent dans les bourgs autour de Shanghai. Nous avons donc mis en place des cours sur la sécurité que nous enseignons aux enfants dans les écoles. Nous nous rendons également dans les villages pour diffuser le message auprès des parents à travers des cours que nous leur donnons. Oui car le nombre d’accidents reportés chaque année sont plus élevés au sein de la population migrante. Il y aussi une autre caractéristique des migrants à laquelle nous nous sommes intéressés : la famille nombreuse. Au début, que ce soit nous-mêmes ou la population locale de Shanghai, personne ne comprenait pourquoi, alors qu’ils sont déjà pauvres ont-ils tant d’enfants, cela se voit déjà par leurs vêtements, des fois ils ne mangent pas à leur faim… Par exemple, ils ont deux ou trois enfants, alors les parents ne donnent pas beaucoup d’argent à chacun pour qu’ils puissent s’acheter un repas à midi. Lorsque nous sommes dans les écoles, nous avons déjà vu par exemple des enfants qui n’ont même pas de quoi manger le repas de midi. Cela coûte environ 5 ou 6 Yuan par jour. Chaque jour les enfants mangent alors un bol de nouilles instantanées, et des marques bon marché vendues à l’extérieur à 1 Yuan le paquet, qui présentent tous des problèmes au niveau de l’hygiène alimentaire. Mais les enfants sont très matures, par exemple dans une famille qui compte 3 enfants mais où les parents ne peuvent permettre qu’à deux d’entre eux d’aller à l’école, alors le grand frère ou la grande sœur laisse cette opportunité à ses petits frères ou sœurs. Nous avons aussi vu les grands frères ou sœurs qui ne boivent qu’un bol d’eau pour midi. Au début, les enfants des migrants ne pouvaient pas étudier au collège. À présent certains poursuivent leurs études à Shanghai, mais pour l’examen de fin de cycle ils sont obligés de le passer dans leur lieu d’origine. C’est parce que les enfants sont trop nombreux, ils ne peuvent pas tous profiter de ce droit à l’éducation. Les parents décident parfois de ne l’accorder qu’à un seul de leurs enfants, celui qui réussit le mieux. Le reste des enfants doivent commencer à travailler, car les parents n’ont pas assez d’argent que pour leur permettre à eux aussi d’aller à l’université. Mais les parents espèrent que leurs enfants réussissent bien et donc que leurs enfants suivent le collège à Shanghai, mais que les enfants rentrent dans leur ville natale pour le lycée. Car l’examen de fin de cycle et les matières enseignées à Shanghai sont différentes du reste des villes où on utilise un modèle national. À Shanghai, l’anglais est difficile mais le reste des matières sont un peu plus faciles, ce qui fait que si l’enfant a étudié à Shanghai mais passe l’examen dans leur ville natale, il ne réussira pas aussi bien que les autres enfants, car l’examen lui sera plus difficile. Au contraire, s’il rentre dans sa ville natale pour le lycée, alors il aura pu passer les tests plus compliqués, il aura appris la matière un peu plus compliquée et sa moyenne à l’examen de fin de cycle sera meilleure. Pour le reste, les enfants qui ne sont pas très bons à l’école, ou ceux dont les parents ne peuvent se permettre de continuer à leur payer les études, dès qu’ils ont fini le collège, ils vont directement travailler. Ou alors, certains étudient dans les lycées techniques ou professionnels de Shanghai, et ensuite commencent à travailler. - Ils travaillent ici à Shanghai ? - Oui, à Shanghai, car quoi qu’il en soit, à Shanghai, les opportunités sont plus nombreuses et les salaires plus élevés que dans leur lieu d’origine. Mais le problème pour les enfants qui viennent à peine de sortir du collège c’est qu’ils ne savent pas quel genre de travail ils doivent chercher. Car en Chine, il n’y a vraiment qu’à partir de l’université que suit un programme professionnalisant, que l’on se spécialise dans un domaine. Mais même à ce niveau, cela ne nous aide pas car il n’y a pas de prise en charge individuelle en fonction des capacités et des envies de chacun. Il s’agit de cours en auditoire, et les étudiants ne sont pas vraiment orientés de façon personnelle. Le professeur apprend à rédiger un CV et explique comment sera le métier plus tard, mais au fond cela reste très vaste. Donc face à la situation des enfants, nous avons mis en place plusieurs projets, dont l’objectif est en fait le même, mais nous tentons d’atteindre le plus grand nombre d’enfants. Par exemple, ce projet, financé par la Banque de l’Asie de l’Est, s’appelle « À la recherche du futur Moi » qui vise à enseigner aux enfants des migrants les bases d’un métier. Et celui-là, intitulé « Cap sur mon rêve » (Mengxiang Qihang) financé à travers la Shanghai United Foundation qui agit en tant qu’intermédiaire pour lever des fonds qui proviennent de diverses entreprises ou de privés. Il a le même objectif que le premier. Ce sont tous deux des projets d’initiation à la 191 profession. Nous avons également préparé une formation, durant laquelle nous cherchons à savoir quel est le rêve de chacun, quelles sont leurs compétences. Car nous sommes convaincus que tous ont des côtés forts et des côtés faibles. Tout le monde n’est pas capable d’entrer dans les universités les plus prestigieuses. Certains sont bons dans le milieu académique, d’autres sont meilleurs dans les travaux manuels ou dans la machinerie. Notre but est de leur faire découvrir leurs capacités, et leur développer leur confiance en soi. Il est vrai qu’en Chine, ce qui compte avant tout ce sont les résultats scolaires. Mais malgré qu’il leur soit difficile d’accéder aux grandes universités chinoises, nous espérons qu’ils reconnaissent leurs propres qualités, et puissent trouver un chemin vers l’avenir. Et puis, tous les enfants ont un rêve, mais, à cause de certaines limites, ils n’essaient même pas de le poursuivre. Par exemple, si l’enfant nous dit qu’il veut être professeur, nous lui expliquons en quoi consiste ce métier, et quelle formation est nécessaire, donc qu’il a besoin d’un diplôme de bachelier. Parce que les enfants croient que lorsqu’ils ont fini d’étudier l’école primaire et le collège, c’est suffisant. Ils ne savent pas qu’ils ont besoin de finir le lycée ou même un diplôme de bachelier. Certains disent qu’ils veulent être avocats ou policiers, alors nous leur expliquons qu’ils ont besoin d’un master car ils ne savent même pas ce que c’est. Ainsi, nous leur donnons quelques informations. Et pour les enfants qui réussissent bien à l’école et pourront peutêtre entrer à l’université plus tard, nous espérons les guider dans leur choix d’études, en fonction de ce qu’ils veulent devenir, qu’ils sachent quel niveau de formation ils doivent avoir, et donc les efforts qu’ils doivent fournir pour y parvenir. Mais pour ceux qui iront directement travailler après le collège ou le lycée, nous voulons les informer sur les métiers qu’ils pourraient exercer. Ou bien, si leurs parents ne peuvent pas leur offrir des études à l’université, qu’ils puissent avoir un plan, d’abord ils vont travailler pour pouvoir ensuite se payer les études qu’ils ont besoin de suivre, et après 5 ou 10 ans, qu’ils puissent aussi réaliser leur rêve, même s’ils doivent d’abord passer par d’autres emplois avant celui dont ils ont vraiment envie. Nous avons plus facile à atteindre les enfants qui étudient dans les écoles pour migrants à Shanghai, surtout en primaire. Mais nous espérons pouvoir développer nos activités aux écoles publiques de Shanghai, dans lesquelles nous ne pouvons pour l’instant pas intervenir. - Oui, vous travaillez dans les écoles pour migrants ? - Oui. Nous faisions d’abord du tutorat, jusqu’en 2010, nous étions basés dans les écoles, trois jours par semaine à peu près, et nous assistions aux cours, ou alors nous recevions dans un bureau les étudiants soit individuellement, soit en petits groupes. Avant, le coût du personnel n’était pas trop élevé, mais petit à petit les salaires moyens à Shanghai ont augmenté, ce qui a imposé une pression à notre organisation. Les écoles ne nous accordaient pas de subsides, enfin, si certaines qui étaient vraiment convaincues du service rendu aux enfants nous accordaient une compensation de 300 Yuan par mois, pour payer le transport et le repas à midi, ce qui nous aidait déjà énormément. À partir de 2010, nous avons continué à nous rendre dans les écoles, mais plutôt dans le cadre de projet, pour pouvoir avoir des financements suffisants pour couvrir les dépenses relatives au personnel. Nous avons continué cela jusque l’année dernière où l’on a étendu notre action. Nous nous rendons désormais dans des quartiers plutôt riches de Shanghai pour fournir des services payants visant les parents et leurs enfants, des services sociaux, des cours du soir,… dans le but des récolter des fonds. Nous pouvons avoir autant de motivation qu’il faut ou d’envie d’aller rendre services, mais sans financement il est difficile de survivre et nos collègues pourraient vouloir partir. C’est pourquoi nous appelons sans cesse le gouvernement pour qu’il se préoccupe des enfants des migrants, qu’il alloue plus de fonds. Car, à Shanghai, la priorité est plutôt mise sur le groupe des personnes âgées et des personnes handicapées. Les fonds alloués pour les jeunes sont principalement destinés aux jeunes shanghaïens. Les projets destinés aux enfants migrants sont peu nombreux alors la compétition entre les organisations qui veulent aider ces bénéficiaires est plus élevée, et finalement, comme les organisations ne parviennent pas à obtenir des subsides, ils ne peuvent pas leur offrir leurs services. Par contre, nous avons plus de chance ! Notre organisation est plutôt grande, bien que notre département n’ait pas de fonds, les autres départements peuvent nous soutenir. Nous cherchons à obtenir plus d’expériences dans la récolte de fonds. Donc nous avons par ailleurs commencé à fournir des services payants pour pouvoir faire face à ce problème. - Dans combien d’écoles environ intervenez-vous ? 192 - À Pudong, il y a 41 écoles pour migrants, et auparavant nous avons été dans chacune d’entre elles. Avant 2010, pendant trois ou quatre années d’affilée, nous avons organisé des compétitions chaque année entre les écoles de migrants. Ce qui nous a vraiment satisfait c’est qu’une année il y a eu jusqu’à 26 écoles qui se sont inscrites. Car il faut savoir que sur les invitations que nous envoyons, il est juste inscrit notre logo « Lequn », l’organisateur, il n’y a aucune institution gouvernementale, que ce soit le Bureau de l’éducation ou une autre association… Mais les écoles ont tout de même envie de participer, malgré qu’elles doivent prendre tous les frais en charge, payer elles-mêmes les tenues de sport, et aussi préparer quelques présentations… Nous n’avons rien à leur donner mais ils veulent quand même venir, c’est vraiment positif pour notre organisation. Au début, lorsque nos fonds n’étaient vraiment pas élevés et nos salaires également, alors nous sommes intervenus dans 11 écoles, soit 3 jours par semaine si nous avions un bureau au sein de l’établissement, soit un jour par semaine. À ce moment-là, nous étions 7 à travailler dans ce département de l’organisation. Certains étaient attribués à une ou deux écoles, et nous participions aussi aux appels à projet du gouvernement. Ensuite, petit à petit, lorsque nos salaires ont commencé à augmenter, il devenait difficile de les assumer, donc nous avons dû réduire notre équipe en faveur des autres départements : certains sont donc partis dans le département administratif, certains dans les projets liés à la population âgée, d’autres dans les projets pour les minorités, … Nous avons beaucoup de départements. Et donc nous nous sommes séparés, il ne restait que moi et un autre collègue pour les projets relatifs aux migrants, mais nous les avons maintenus ! Mais ces deux-trois dernières années, notre département a connu un renouveau, et nous comptons à présent 5 membres, parmi lesquels trois s’occupent de la mise en place des projets dans les écoles pour migrants, et deux de la recherche de fonds et les services payants pour récolter de l’argent. Nous les encourageons particulièrement et espérons qu’ils auront de bons résultats car s’ils parviennent trouver de quoi financer d’autres membres, alors nous pourrions leur attribuer des écoles où ils fourniraient des services fixes. À présent, nous n’intervenons que dans 3 écoles où nous avons des projets fixes. Chacun de nous peut prendre en charge deux à trois projets et en outre se rendre dans une école. La charge de travail est déjà plutôt lourde, il est difficile de fournir plus de services aux écoles ou de prendre en charge plus de projets car nous voulons garantir un service de qualité. Nous ne pouvons accepter trop, sinon qui pourra s’en charger ? Nous avons de nombreux volontaires et stagiaires, mais il y a des services qui ne peuvent être pris en charge que par les employés. Nous ne répartissons pas le travail en le distribuant entièrement aux volontaires ou stagiaires. Nous nous devons de prendre nos responsabilités envers nos projets et nos services. - Formez-vous les stagiaires et les volontaires ? - Bien sûr nous les formons. Mais il y a des tâches trop spécialisées qui ne peuvent être qu’attribuées aux employés. - Combien sont-ils ? - Nous allons bientôt fêter le Nouvel an, donc nous avons trois stagiaires qui arriveront le 2 mars. En ce qui concerne les volontaires, ce sont des personnes émanant de la société civile, en général nous faisons appel à eux pour les grandes activités, lorsqu’il faut par exemple surveiller les enfants… Ils ne participent généralement pas à la mise en place des projets, ou ne sont pas impliqués dans des activités bien spécifiques aux projets. C’est plutôt les stagiaires qui restent en général de 3 à 6 mois, et durant cette période ils nous aident tous les jours. De plus, ils étudient la sociologie ou le travail social, la psychologie ou la protection communautaire… ce genre de formations. Nous leur disons que s’ils ont vraiment envie de faire leur stage dans une organisation sociale, ils viennent pour une demi-année par exemple, mais s’ils s’impliquent vraiment et font bien leur travail, leur stage peut déboucher sur un emploi. S’ils le veulent alors nous l’accompagnons de manière plus encadrée, nous pouvons consacrer plus de temps, et planifier un développement personnel. Car nous voulons surtout des personnes spécialisées et bien formées pour intégrer notre équipe. - Ces stagiaires et volontaires, viennent-ils de leur propre initiative, ou devez-vous les chercher ? - Pour les stagiaires, nous publions des offres sur internet. Ou à travers des organisations intermédiaires de recrutement, car celles-ci se rendent dans les universités à la recherche des étudiants qui suivent une spécialisation dans le domaine du travail social, et leur donnent des 193 formations en groupe. Si nous cherchons autant de personnes, elle nous aide à les trouver et nous les envoie pour que nous leur fassions passer un entretien. Pour les volontaires, à Shanghai il existe le site d’une association des volontaires. Si nous avons besoin de volontaires pour des activités, nous publions l’information et les personnes intéressées nous contactent. À Shanghai, les personnes sont vraiment enthousiastes à l’idée de participer à ces événements. Alors ils regardent si l’événement les intéressent, s’ils sont disponibles et correspondent à la description, et dans le cas affirmatif, ils s’inscrivent. - À part Pudong, intervenez-vous dans d’autres districts de Shanghai ? - Lequn a des projets un peu partout à Shanghai, et en dehors de Shanghai également. Mais en ce qui concerne les projets pour les enfants des migrants, il n’y a qu’à Pudong pour l’instant. La raison principale est que l’équipe est assez petite. - Pourriez-vous présenter les partenaires avec lesquels vous travaillez ? - Oui, nous en avons beaucoup. Vous pouvez regardez ici, ils sont tous repris (elle me montre un fascicule). Mais concernant les projets pour enfants des migrants, à part nos écoles partenaires, de nombreux partenaires sont en fait des banques et fondations, car ils sont plus enclins à financer ces projets pour ce groupe de bénéficiaires. - Mais l’aide qu’ils vous apportent est principalement financière, n’est-ce pas ? - Oui, ils peuvent nous financer les projets à travers des dons directs, ou de manière indirecte à travers des organisations intermédiaires, qui connectent les deux parties, et nous aident à trouver les ressources dont nous avons besoin. D’un côté, les entreprises elles-mêmes n’ont pas vraiment de temps à dépenser pour trouver une organisation fiable, l’évaluer. De l’autre côté, nous n’avons pas les moyens d’entrer en contact avec ce genre d’entreprises. Donc nous passons par une organisation intermédiaire. L’entreprise, lorsqu’elle a un certain montant à donner, elle va trouver cette organisation et lui dit qu’elle aimerait que cet argent soit utilisé pour aider les enfants des migrants. À travers une plateforme, l’organisation publie cette offre, ou alors elle nous contacte directement. Ou encore, c’est nous qui trouvons l’offre sur internet. Il est précisé la date limite d’envoi des propositions, et donc nous rédigeons une proposition de projet. Sans cet intermédiaire, cela reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin. - Y a-t-il des partenaires qui vous soutiennent en vous apportant une aide directe dans la mise en place des projets ? Qui ne vous financent pas le projet, mais qui vous aident d’une autre manière ? Qui vous donnent du matériel… ? - Les stagiaires nous aident déjà de cette manière, et en réalité, ils font partie d’organisation de l’université, et ils viennent en groupe, pas de manière individuelle. Nous publions des missions à réaliser pour un projet, alors les organisations universitaires désignent des étudiants pour y participer. Par ailleurs, nous formons également les professeurs des écoles des migrants, car ce sont eux qui passent le plus de temps avec les enfants donc il est important de les former. Donc nous mettons en place des programmes de formations pour les professeurs, pour qu’ils deviennent nos principaux volontaires et participent aux projets. Notre objectif est que eux aussi prennent des initiatives. Nous ne voulons pas que ces projets n’existent que parce que nous les avons mis en place, et parce que nous avons reçu le financement pour le mettre en place. Nous espérons que ces projets continuent d’exister à travers les cours que les professeurs donnent aux enfants. Que l’objectif en classe n’est pas que de les faire étudier, mais qu’il est important que les professeurs leur fassent passer les messages et les connaissances que nous enseignons dans nos projets car les enfants ont d’autres besoins. C’est pour cette raison que nous les appelons à participer en tant que professeurs « partenaires » des activités, ou en tant qu’instructeurs. C’est pour cela que nous donner aussi des formations aux professeurs. Nous espérons que si un jour nous n’intervenons plus dans ces écoles, les professeurs continuent à enseigner certains messages et connaissances aux enfants. De cette manière seulement cela sera efficace. Quant aux matériels, oui nous en recevons également. Par exemple, TARGET, mis à part les dons d’argent qu’ils nous offrent, chaque année ils nous donnent aussi du matériel. Comme il s’agit d’une chaîne de supermarchés, chaque année ils ont des biens excédentaires, des tailles ou des stocks qu’ils ne parviennent pas à liquider, alors 194 ils nous demandent si nous en avons besoin et ils nous les envoient. Ils en font dons aux organisations dont ils financent certains projets. Donc si nous en avons besoin, nous leur en faisons la demande, parfois il s’agit de vêtements, des écharpes et des gants… et toutes sortes de marchandises que l’on trouve dans les supermarchés. Nous distribuons directement les vêtements à des familles pauvres. S’il s’agit d’autres biens, nous les revendons et l’argent récolté, nous l’utilisons pour financer des projets pour lesquels nous n’avons encore jamais trouvé de partenaires, ou alors nous achetons du matériel didactique pour les enfants, que nous donnons aux écoles. - Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles de votre organisation ? - Nous fournissons des services complets donc les différents départements sont en fait connectés. Lorsque les enfants des migrants doivent faire des activités sociales, par exemple, des services communautaires, les centres pour personnes âgées ou maisons de repos dans lesquels nous les emmenons sont en fait des lieux où nous intervenons déjà ou sommes intervenus via un autre département. Nous parvenons à mobiliser de nombreuses ressources. Par ailleurs, étant la première organisation sociale en Chine, nous avons de l’expérience, et nous avons conscience de l’importance des sites internet ou les canaux de diffusion. Les organisations dans notre domaine ont difficile de tenir avec un département qui ne rapporte pas. Par exemple, notre département général s’occupe de l’administration, les relations personnelles, les comptes, les recherches et développement. Mais ce n’est pas comme les autres départements, celui des aides médicales, ou le nôtre, nous pouvons prendre en charge les dépenses en ressources humaines à travers le financement des projets. Mais ce département, il n’a pas de moyen de récolter l’argent pourtant ils sont là pour nous aider. C’est ce qu’on a pu comprendre au fil du temps, ils sont indispensables dans une organisation, pour que nous effectuions notre travail au quotidien et pour développer l’organisation. Ils nous aident dans la gestion, et prennent en charge un travail d’appui aux autres départements. Nous disons qu’il faut faire des sacrifices, donc nous devons employer du personnel administratif, de gestion… ça c’est une chose. D’autre part, nos activités sont nombreuses. Même si nous sommes les premiers, cela ne fait tout de même que plus de dix ans, donc nous pouvons être considérés encore comme étant une jeune organisation. Nos collègues sont en réalité tous très jeunes, en moyenne 25-26 ans. Nous avons beaucoup d’attentes, et nous sommes encore très idéalistes par rapport à notre mission et valeurs, la plupart étant récemment diplômés du domaine social. Nous espérons également promouvoir le développement, à Shanghai et en Chine, du travail social et des services pour le bien-être public. Nous sommes une équipe jeune et pleine d’énergie. Pour ces raisons aussi, nos projets sont assez innovants. Mais d’un autre côté, c’est aussi parce que nous sommes jeunes, et par manque d’expérience que nous avons parfois échoué, mais ce n’est pas grave, nous essayons à nouveau. Il est arrivé qu’il ne nous soit pas possible de mettre en place certaines activités. Certains collègues ont des idées de projets mais, par manque de personnel, nous ne pouvons pas les organiser, car par exemple, il faut quelqu’un pour s’occuper de l’administration et ce n’est pas notre spécialisation. C’est pour ça qu’il est indispensable d’avoir du personnel qui puisse promouvoir le projet, trouver des partenariats, et des partenaires qui sont fiables, il n’est pas question, en raison de notre responsabilité, nos valeurs, l’éthique de notre métier, de collaborer avec des institutions corrompues ou autre… Par exemple, cela fait déjà 6-7 ans que je travaille ici, mais je dois parfois apprendre à nouveau à mieux m’y prendre, nous sommes très idéalistes, mais il y a beaucoup d’obstacles que nous devons surmonter. Il faut savoir promouvoir nos projets, faire de la sensibilisation, attirer l’attention de la société. Il faut savoir s’adapter à la réalité, et ne pas s’enfermer dans notre monde, dans notre vision du monde. Il faut pouvoir s’engager avec toute la société. Par ailleurs, notre organisation compte près de 70 personnes. Et c’est peut-être parce que nous avons commencé assez tôt, nous avons suffisamment d’expérience que pour servir de modèle à d’autres organisations. Concernant les compétences administratives, cela dépend chaque année, nous notre responsable désigne la personne en charge en fonction de ses compétences et son expérience. Auparavant, 80% des employés de notre organisation avaient une formation en travail social, mais il n’y a pas que cette compétence qui compte. Nous ne sommes peut-être pas capables de prendre en charge tout ce qui est relations personnelles, la finance, la vente, la promotion, mais pourtant nous devons savoir le faire car nous sommes amener à le faire ! Et finalement, nous nous demandons, où se trouve nos compétences en travail social ? Et pour l’administration, ce sont les collègues qui travaillent depuis plus longtemps qui peuvent s’en charger. Mais nous n’avions pas 195 pensé au fait qu’il était nécessaire d’employer des personnes qui ont suivi d’autres formations. C’est pour cette raison que notre département a connu des expériences désastreuses en termes d’administration, car nous avons un système de salaire en fonction des résultats. Bien sûr, ce sont les collègues s’occupant de l’administration qui se chargent de prendre ces décisions. Mais qu’en est-il des recherches statistiques et des rapports ? Qui décide des modules des salaires ? Ce n’est pas notre domaine de spécialisation. Par après, nous ne pensions pas être bons pour ces tâches, alors nous avons essayé de mettre en place de nouvelles pratiques, mais cela n’a pas vraiment fonctionné. Finalement nous avons fait appel à des personnes extérieures, des professeurs du département des ressources humaines de la China Normal University, qui nous ont aidés à faire des modèles pour les salaires, à établir des cadres structurels pour les résultats accomplis… Et maintenant, mis à part mon collègue et moi-même qui sommes spécialisés dans le domaine social, notre troisième collègue a en réalité une formation en commerce. Car nous avions besoin de quelqu’un qui sache comment établir et renforcer les partenariats, récolter des fonds, comment « vendre » notre projet… Nous avons donc changé de vision, en tant qu’organisation, pour pouvoir parvenir à accomplir toutes les tâches, il faut disposer du personnel nécessaire, c’est-à-dire, de tous les domaines de spécialisation nécessaires. Nous pensons doucement à engager du personnel formé en gestion, formé en affaires ou d’autres domaines. Nous avons aussi commencé à suivre nousmêmes de nombreuses formations. Avant nous suivions des formations relatives à la spécialisation du département. À présent, par exemple moi-même, comme je me charge de la gestion des projets, je dois étendre mes connaissances dans ce domaine à travers des formations. Nous avons beaucoup de points faibles, mais nous devons trouver des solutions pour les améliorer. Et puis, c’est parce que nous sommes jeunes, nous ne pouvons pas tout de suite trouver la meilleure façon de faire. - Pourriez-vous me présenter des réussites que vous avez connues, et des échecs ou des obstacles que vous avez rencontrés ? - Nos réussites sont en quelque sorte aussi nos obstacles. Toutes ces années durant, nous avons réalisé de nombreux projets, et des projets de qualité. Toutefois, quelque chose qui nous fait défaut c’est la promotion de ces projets. Comment pouvoir transmettre et développer notre expertise, que retenir une fois que le projet ou l’activité se termine ? Tout au plus, nous rédigeons des rapports, mais nous n’en faisons rien, nous ne tirons pas de conclusions, n’en tirons pas de leçon ou d’expérience, et ensuite rendre des comptes, le diffuser. Nos partenaires sont confiants que nous donnons tous nos efforts dans la réalisation des projets, mais après ils ne voient pas les résultats, car nous ne parvenons pas à les transmettre. Et concernant le fait de rendre des comptes, nous avons réalisé ces dernières années qu’il était bien de s’efforcer à réaliser les projets de manière consciencieuse, mais il est nécessaire de conclure quelle expérience a été acquise et de la rendre effective. La promotion est très importante, sinon comment les gens vont-ils pouvoir savoir ce que nous avons accompli. Et c’est la même chose, si une organisation a une bonne réputation, mais les entreprises intéressées n’ont pas les moyens de connaître les projets entrepris et les résultats accomplis, alors comment peuvent-elles les contacter ? Pour cette raison, et c’est très positif, nous avons commencé à mettre régulièrement à jour notre site internet et nos réseaux sociaux (Weixin/Wechat). Chaque fois que nous faisons une activité, nous le communiquons. Nous avons aussi un périodique électronique que nous envoyons à un temps défini à tous nos partenaires ou aux ressources humaines de certaines entreprises… Selon nous, il est important justement de faire savoir les bonnes actions que nous effectuons, il faut marcher ensemble avec la société. Il faut pouvoir assurer la gestion et la promotion des projets un peu à la manière d’une entreprise qui vend des services, afin que tous soient au courant de nos actions, et également pour que ceux qui nécessitent de l’aide, dans le domaine dans lequel nous agissons, puissent venir nous trouver. Nous avons un peu changé notre manière de voir le métier, et donc nous nous sommes adaptés. Selon nous, notre travail est nécessaire et nous le faisons au plus proche de la population. En réalité le personnel qui travaille ici au département des affaires générales n’est pas nombreux. Le reste du personnel travaille un peu partout dans Pudong, intégré aux communautés. C’est ce dont je suis vraiment fière, car nous faisons un travail utile et efficace. Nous sommes répartis dans les communautés, que ce soit dans les centres de soins pour personnes âgées ou dans les écoles, nous faisons un réel travail social, malgré que nous ne parvenions peut-être pas encore bien à le faire paraître. Nous avons toujours voulu publier un livre qui reprenne toutes les activités que nous 196 avons entreprises auprès des jeunes, et auprès des personnes âgées, afin de résumer l’expertise que nous avons acquise depuis toutes ces années. Mais, nous sommes trop occupés pour le faire. De plus, nous aimerions recevoir l’aide du personnel spécialisé dans la recherche ou l’évaluation, mais nous n’avons plus de budget… Enfin, nous le ferons certainement dans le futur. Mais pour l’instant nous sommes occupés à adapter notre manière d’opérer. - Vous avez dit que vous interveniez dans onze écoles, non ? - Maintenant il n’y en a plus que 3. À cause de la diminution drastique de l’effectif. - Et comment avez-vous trouvé ces onze écoles et ensuite comment avez-vous sélectionné trois parmi celles-là ? - Nous intervenons tout d’abord dans les écoles qui approuvent nos services envers les enfants. C’est d’ailleurs la première condition, les écoles et les professeurs avec lesquels nous collaborons doivent accepter notre aide, et reconnaître le bienfait de nos projets envers les enfants. Nous ne voulons pas d’écoles qui n’attachent pas plus d’importance à nos services, et que nous venions ou pas ça leur est égal. Ou il est aussi arrivé que lorsque nous intervenions dans des écoles, le corps enseignant ne nous appuyait pas. Cela peut être très décourageant pour nos collègues, et nos résultats dans ce contexte ne peuvent pas être des meilleurs. Par exemple, nous étudions des cas individuels, sur le temps de midi et après les cours, ou nous donnons des cours à des petits groupes. Mais nous avons besoin de l’accord du professeur pour que les enfants y participent. Il y a des écoles où le professeur fait des remarques aux enfants qui veulent participer, et ne soutiennent pas du tout nos activités. Dans les trois écoles où nous intervenons à présent, nos activités sociales ont été intégrées aux horaires des élèves. L’école nous aide donc à suivre les élèves. De plus certaines nous accordent également une classe, qui est nécessaire pour pouvoir donner nos cours dans un espace séparé. - Mis à part le projet qui concerne la sécurité des enfants, y a-t-il d’autres cours que vous donnez également aux parents ? - En réalité nous le faisons pour tous les projets. Mais les parents sont très occupés, donc si nous organisons des activités de sensibilisation par exemple, nous leur envoyons une note disant que nous serons présents à l’école de telle à telle heure pour une réunion des parents ou les professeurs nous aident à appeler les parents, en particulier au début lorsque nous ne les connaissons pas encore. Au début, nous laissons les professeurs nous présenter aux parents. Mais ils sont beaucoup à être trop occupés. En général, lorsque les enfants ont fini les cours, c’est le grand frère ou la grande sœur qui s’occupe de préparer le souper à la maison, et donner à manger à leurs petits frères ou sœurs. Après, ils lavent leurs vêtements et ensuite ils font leurs devoirs. Leurs parents rentrent seulement après que leurs enfants soient déjà au lit. Et le lendemain, les enfants ne sont pas encore levés qu’ils repartent déjà travailler. Lorsque nous demandons parfois aux enfants quand est-ce qu’ils voient leurs parents, certains répondent que cela fait un mois qu’ils ne les ont pas vus. Oui parce que les parents ne sont là que lorsqu’ils dorment, et certains travaillent également le weekend, pour gagner leur vie ils ont un deuxième travail. Donc il est parfois difficile d’organiser des réunions des parents. Ceux qui peuvent participer sont en général les mamans au foyer. Et elles sont très généreuses, elles gardent également un œil sur les enfants de ses trois-quatre voisins. Et si nous apprenons que les parents rentrent à la maison à 20h, alors nous tenons les réunions à cette heure-là. Mais ce sont alors nos collègues masculins qui s’y rendent, ou alors nous allons à deux, pour notre sécurité. Nous organisons parfois des activités selon des métiers. Alors durant les entretiens ou activités avec les enfants, nous leur demandons ce que leurs parents font. Nous avons interrogé plusieurs classes. Au début, de nombreux enfants ne veulent pas nous répondre. En insistant certains commencent à pleurer, parce que leurs parents vendent des légumes, ou bien travaillent dans le nettoyage… Ils pensent que leurs métiers sont peu valorisés et n’aiment pas en parler. Nous avons donc mis en place une autre activité, qui consiste à remercier leurs parents. Nous apprenons aux enfants que c’est grâce au travail de leurs parents, qu’ils ont des vêtements à porter, peuvent aller à l’école et manger. Et nous louons également les métiers de leurs parents, nous leur disons par exemple que sans les nettoyeurs, il y aurait des déchets partout, ou encore, que nous avons besoin des vendeurs de légumes, car ce ne serait pas possible que tout le monde ait son 197 propre potager. Nous leur expliquons donc que chaque métier a du sens et est utile pour l’ordre et le développement de la société. Donc à la fin de l’activité, nous les invitons à remercier leurs parents. Ou nous leur demandons de faire les journalistes, d’aller interviewer leurs parents, pour comprendre les raisons pour lesquelles leurs parents font ce genre de métier, ce qu’il représente pour eux, et s’ils aiment leur travail. Certains parents répondent alors qu’ils font ce travail pour pouvoir éduquer leurs enfants. Ensuite les enfants partagent les réponses qu’ils ont obtenues. À travers les activités que nous organisons, nous espérons établir une connexion avec les parents, même si nous n’avons pas l’occasion de les rencontrer, nous espérons qu’ils comprennent l’objectif de nos projets. Ou parfois nous utilisons les réunions des parents qui sont organisées par l’école, pour nous présenter aux parents et leur présenter nos projets, via des vidéos que nous filmons durant les activités, pour qu’ils réalisent les bénéfices qu’elles ont sur leurs enfants, et la manière dont ils ont évolué. Et à la fin des cours, certains parents viennent chercher leurs enfants, donc nous venons parfois à l’entrée de l’école une demi-heure à une heure avant la sortie des classes pour parler un peu avec eux et établir un contact. Nous essayons toutes sortes de solutions. - Pourriez-vous parler un peu de l’aide du gouvernement ? Vous dites que votre organisation reçoit de l’aide du gouvernement, mais j’aimerais savoir, pensez-vous qu’il aide vraiment à améliorer la situation de ces enfants et de leurs parents ou que beaucoup d’efforts sont encore à fournir ? - En réalité, si nous pensions que le gouvernement en faisait assez, nous n’existerions pas ! Mais nous avons remarqué que ces dernières années, le gouvernement fait tout de même des efforts. Parce qu’au départ, les enfants des migrants ne pouvaient pas étudier au collège. Mais petit à petit, le gouvernement a commencé à construire lui-même ce genre d’écoles pour enseigner aux enfants des migrants. Maintenant tous les enfants peuvent poursuivre leur scolarité. Au départ lorsqu’ils ne pouvaient pas accéder à cette éducation, nous disions que c’était de la discrimination envers ces élèves. Par ailleurs, au départ ils ne pouvaient pas non plus aller au lycée à Shanghai. Et ensuite, la politique a peu à peu changé, et les enfants des migrants peuvent à présent. Toutefois, ils ne peuvent pas encore passer leur examen de fin de lycée à Shanghai. Mais si on observe, la situation a évolué en à peine 5 ou 6 ans, le gouvernement fait peu à peu des concessions, et répond à l’appel de toutes ces personnes. Et en termes de gestion auparavant, les écoles pour migrants étaient gérée par des « patrons », comme on les appelait et non des « directeurs d’école », car ils étaient là pour faire du profit. Donc les écoles publiques ne pouvaient en réalité pas rivaliser avec ces écoles, malgré leur moindre qualité. Ainsi en 2010, le gouvernement a décidé que ces écoles pour migrants devraient également remplir certains critères de qualité, que ce soit au niveau des conditions des installations, des équipements, ou encore des compétences des professeurs, qui doivent être plus valables. Car avant dans ces écoles, certains professeurs ne disposaient même pas de certificats pédagogiques. Peu à peu, cela a été obligatoire, seulement les professeurs devaient faire preuve d’un certain degré d’éducation. Par ailleurs, avant le nombre d’élèves par classe dépendait seulement du nombre de professeurs dans l’école. Après cela a été réglementé. Finalement le gouvernement a donc retenu les écoles qui remplissaient les critères, et ces écoles qui étaient d’abord appelées, des « soi-disant » écoles (Jianyi Xiaoxue) se sont ensuite faites nommées « écoles privées pour migrants » (Minban Mingong Xiaoxue). Chaque année, le gouvernement leur envoie des subsides pour entreprendre les rénovations nécessaires, pour améliorer les équipements… Ensuite, les écoles publiques de Shanghai ont dû collaborer avec les écoles pour migrants, leur donner des formations, indiquer comment les cours doivent être dispensés, et des professeurs des écoles publiques organisent des ateliers. Ainsi, peu à peu les écoles font des progrès quant à leur système éducatif et activités d’apprentissage. C’est aussi grâce au fait d’inviter les écoles à construire de meilleures infrastructures, de donner aux élèves de meilleures conditions. Mais il reste d’autres aspects de leur vie qui ne sont pas pris en compte : leur intégration dans la communauté, leur développement, leur formation professionnelle, leur sécurité… Et c’est pour cette raison que notre département existe actuellement. Selon nous, notre premier objectif social est d’atteindre une société qui n’ait plus besoin de nos services ! Si notre travail n’est plus nécessaire, cela voudrait dire que les migrants jouiraient d’un niveau de vie déjà plus élevé. - Et ne pensez-vous pas que les organisations telles que la vôtre se chargent en fait d’une responsabilité qui incomberait normalement au gouvernement ? 198 - Comment dire… Les systèmes de protection les plus fondamentaux, le gouvernement les fournit certainement. Quant au reste, concernant le développement psychologique positif des élèves, ou encore d’autres besoins spécifiques à ce groupe, c’est nous qui nous en occupons. Mais ce n’est pas grave, nous n’avons pas peur de rédiger des rapports de recherches que nous transmettons directement au gouvernement. Nous dénonçons auprès du gouvernement les besoins auxquels ils font face, au niveau par exemple du système, et leur proposons une meilleure manière de faire, comment améliorer cette situation. Et maintenant, les enfants des migrants ont accès au lycée à Shanghai, c’est aussi une chose sur laquelle nous avions insisté auprès des autorités. Bien que notre pouvoir d’action soit limité, nous sommes déjà fiers d’avoir agi de cette manière, et peut-être qu’au fond, c’est un peu grâce à nous que la situation évolue. Nous comparons aux élèves de l’école publique, par exemple eux ils reçoivent des cours de santé mentale, mais ils n’ont pas des activités extrascolaires aussi développées que celles dont jouissent les enfants dans les écoles pour migrants, ce qui fait que l’on peut dire qu’ils n’ont pas autant d’opportunités d’évoluer. Nous remarquons que certains élèves dans les écoles de migrants où nous intervenons ont beaucoup plus d’assurance, et sont plus ouverts, car ils sont en contact avec des employés d’entreprises, durant les événements que nous organisons, il y a des participants étrangers, et puis ils reçoivent des cours d’anglais donnés par des étrangers. Même s’ils ne peuvent pas bien parler, les élèves sont prêts à échanger avec eux. Les élèves shanghaïens, au contraire, sont un peu plus timides et introvertis. Si l’on compare, dans les écoles de migrants, il y a plus d’activités qui permettent aux enfants d’évoluer différemment que dans les écoles locales de Shanghai. Il semble que, concernant ces derniers, la sensibilisation aux activités sociales relève plus la responsabilité des parents. Enfin, je pense que le gouvernement fournit le minimum, ainsi les écoles sont là pour enseigner aux élèves, et pour le reste, cela dépend des écoles. À Shanghai, certaines écoles ont leur spécialisation, que ce soit le sport, les activités sociales, ou les affaires sociales… Mais en général ces écoles sont privées, de nombreuses écoles dans ce genre sont aussi des écoles internationales. Je pense que cela a aussi un lien avec la culture, mais il semble que peu à peu, ce sont plus les parents qui s’en occupent, bien que certaines écoles organisent des activités. Par exemple, nous collaborons avec des écoles internationales dont les élèves se rendent parfois dans les écoles de migrants dans le cadre d’un événement convivial. Et les écoles publiques elles, n’en ont pas. Ainsi, je peux seulement dire que le gouvernement se charge déjà de ce qui est fondamental. Nous ne pouvons que tenter d’influencer ses décisions, et peut-être qui sait si dans le futur chaque école devra disposer d’un travailleur social, dont le travail est prendre en charge le reste des besoins des enfants. - Votre organisation est-elle donc optimiste par rapport au futur ? - Oui, bien sûr, il faut être optimiste, il n’y a pas de raison de ne pas l’être. Si le gouvernement ne prête pas trop d’attention à ce groupe de personnes pour l’instant, tant pis, nous continuons nos efforts. Toutes les activités que nous organisons pour faire face aux besoins des enfants migrants, nous en faisons part au gouvernement. Que ce soit pour l’instant nous qui nous en occupons, ce n’est pas un problème, l’essentiel c’est que le gouvernement soit conscient de cette problématique, et peut-être que quand il le pourra, il s’en chargera lui-même. Ce n’est pas forcément à lui de s’en occuper, mais nous sentons que c’est de notre devoir, notre responsabilité que d’en informer le gouvernement, de le sensibiliser à cette question. - Et pensez-vous que la situation de ces enfants et leurs parents sera meilleure dans le futur ? Ou ce n’est pas certain ? - Nous pensons qu’elle sera certainement meilleure. Car maintenant nous le voyons dans les activités sociales que nous organisons avec les enfants shanghaïens. Ils sont en général tous inscrits par leurs parents. Lorsque nous communiquons avec ces derniers, à part les résultats de leurs enfants et la pression qu’ils subissent sans cesse pour être parmi les meilleurs, les parents espèrent que leurs enfants participent au bienfait de la communauté, qu’ils apprennent à aimer, à s’investir dans la société et la comprendre. Même s’il est vrai que les résultats scolaires restent très importants, certains parents veulent pouvoir inculquer ces valeurs à leurs enfants. 199 - Et vous pensez qu’il y a eu des changements récents ? Par exemple, qu’avant en Chine il n’existait pas cette notion de faire du bénévolat, et maintenant cela a changé, que plus de Chinois veulent aider autrui ? - Oui, ce changement est très notable. Par exemple, tout au début lorsque nous cherchions des bénévoles pour nos activités… il n’y en avait pas ! Et il n’existait même pas de canal pour en trouver ! Ou même s’il y en avait, les personnes voulaient d’abord savoir de quel genre d’activités il s’agissait, et disaient qu’ils n’avaient pas le temps. Et maintenant, il y a de plus en plus d’associations. Par exemple, les étudiants de l’université. Dans chaque université, il existe à présent une association de volontaires. Et il en va de même pour les entreprises, nombreuses sont celles qui disposent d’un groupe de volontaires. Et enfin, il y a de nombreux privés. Par exemple, pour réaliser notre projet sur les métiers, il y a 3 ou 4 ans. La première année, il était financé par Shanghai Chuangtou (Shanghai Innovation Investment Limited Company). À côté des cours sur les métiers que nous donnions, nous avions une autre activité lors de laquelle nous invitions des professionnels exerçant le métier que certains élèves, pour qu’ils leur présentent leur métier. La première année, nous n’avons réussi à trouver personne ! Personne non plus ne s’est volontairement inscrit. Donc, nous avons dû passer par nos amis, ou leurs cercles de connaissances, pour nous aider à trouver les personnes. En comparaison, cette année, fin 2014, nous avons publié une offre sur le site des volontaires de Shanghai, de nombreuses personnes se sont inscrites. Ce dimanche nous organisons une réunion de mobilisation pour leur expliquer en quoi consiste l’activité. En plus, cette année, il y a des métiers assez haut placés. Avant nous avons eu des hôtesses de l’air, du personnel de ressources humaines, dessinateurs ou peintres, des managers, des avocats,... des métiers plus faciles à trouver, via notre entourage. Et il n’était pas possible d’avoir des personnes importantes. Car il faut savoir que cela demande beaucoup de temps. Ils reçoivent la formation ce dimanche, où ils apprennent comment doivent-ils s’y prendre, ce qu’ils doivent expliquer. Ensuite, ils doivent préparer eux-mêmes une présentation power point à montrer aux élèves, sur laquelle nous leur donnons notre avis. Et enfin, au mois de mars, ils iront dans les écoles, donner 30 minutes de présentation, pendant deux semaines. Cela demande beaucoup d’investissement, mais à présent, beaucoup de personnes veulent y participer. - En quelle année environ ce changement s’est-il produit, selon vous ? - C’est surtout ces deux-trois dernières années. Par exemple, avant, toutes les publicités que l’on voyait étaient liées au commerce. Mais ces dernières années, de plus en plus de publicités traitent du bien-être de la population. Il y en a partout, dans le métro par exemple. - Donc ce changement est lié au gouvernement ? - Oui tout à fait, si le gouvernement ne l’encourageait pas, cela ne se passerait pas. - Et pensez-vous que ce changement se produit essentiellement à Shanghai ? Qu’il n’y en a pas dans d’autres villes ? - Comment dire… Il y a quelques villes qui suivent la même tendance au niveau des organisations sociales : Shanghai, Canton, Shenzhen, Pékin, et la province du Sichuan compte également diverses organisations. Il y a sûrement d’autres lieux. Il suffit qu’il y ait une augmentation du nombre d’organisations sociales dans une ville pour que sa population prête de plus en plus attention à la problématique du bien-être social. Et en réalité de nombreuses publicités sont diffusées par la chaîne du gouvernement central. Et de nombreux médias et agences de presse disposent de fonds, ou par exemple QQ (MSN chinois), tout le monde sait qu’ils ont des fonds pour la population. Les célébrités ont aussi des fondations, par exemple la One Foundation de Jet Li, la Fondation de Jackie Chan, ou encore Li Ka-Shing (Li Jiacheng). - Donc c’est un phénomène national ? - Oui, bien que les villes dans lesquelles il y a un plus grand nombre d’organisations, la tendance est plus prononcée. - Je voulais vous demander, votre organisation est déjà enregistrée, n’est-ce pas ? 200 - Oui, en 2003. - Ah, donc juste après votre création et très facilement ? - Oui, en réalité, c’est parce que c’est le gouvernement qui a créé cette plateforme. - Ah, donc votre relation avec le gouvernement est très bonne, n’est-ce pas ? - Heu… Le gouvernement a créé la plateforme, mais toutes les organisations qui se trouvent ici sont soumis à des audits des comptes et des services, et bien sûr nous devons les satisfaire, sinon cela ne va pas. Et il est important de comprendre la vision du gouvernement. Parce qu’il n’est pas possible que tout notre budget vienne des entreprises ou de fondations, sinon nous aurions besoin d’une équipe qui s’occupe spécifiquement de la levée de fonds. Donc, une grande partie de notre financement entre en réalité dans le cadre de projets du gouvernement. Nous collaborons ainsi avec lui, mais nous avons également une responsabilité envers lui. Nous lui transmettons notre programme, nos objectifs, et nous l’aidons à atteindre ses objectifs à lui. Que ce soit avec le gouvernement, les entreprises ou les fondations, le mieux c’est que, mis à part le fait que nous les aidions à atteindre leurs objectifs, nous fixions des objectifs supplémentaires, que nous les aidions à faire encore plus. Cela peut aussi aider à promouvoir notre future collaboration, à avoir une certaine continuité, en posant déjà des bases de nos futurs échanges, et cela permet par ailleurs au partenaire de constater nos compétences, notre crédibilité et fiabilité. - Mais donc, pensez-vous que le gouvernement vous soutient-il ou vous limite-t-il ? - Le gouvernement nous soutient évidemment ! Sinon, nous ne pourrions pas être plus de 70 dans l’organisation. Si nous n’avions pas les projets du gouvernement, le budget de l’organisation seul ne pourrait payer autant de personnes. Nous n’arriverions peut-être même pas à la moitié. - Mais en ce qui concerne les migrants ? - Le gouvernement nous finance des projets pour les migrants, mais ces projets sont en général de moindre importance par rapport aux autres. Parce que le pays se préoccupe en priorité de certaines populations et chaque ville compte aussi ses groupes prioritaires. À Shanghai ce sont surtout les personnes handicapées et les personnes âgées. En dessous peut-être nous trouvons les jeunes, auquel la ville consacre un peu moins de fonds, mais il faut aussi diviser en deux groupes : les locaux et les migrants. Mais finalement chaque année, le gouvernement de Shanghai consacre tout de même une certaine partie de ses fonds aux enfants des migrants. Même si notre département n’est pas prioritaire, nous sommes toutefois reconnaissant des fonds et des projets que nous pouvons mettre en place pour ce groupe de bénéficiaires. De plus, nous espérons que si nous n’étions pas présents dans ce domaine, d’autres organisations pourraient également prendre la relève. - Avez-vous des partenariats avec d’autres ONG ? - Oui. Par exemple, en cours de projets avec le gouvernement, il n’est pas vraiment possible de changer l’organisation responsable de la mise en place, bien que nous ayons tout de même l’opportunité à la fin d’un cycle de rediscuter de l’orientation du projet pour l’année suivante. Mais il est arrivé, lorsque nous étions sur un projet financé par une banque, que le projet s’écarte un peu de notre mission et vision. Dans ce cas-là, pour la deuxième année, le projet s’orientait vers le domaine musical, ils avaient besoin de professeurs de musique volontaires. Alors nous avons pris contact avec une organisation qui correspondait, avec des professeurs bénévoles qui forment des jeunes à la musique. Nous les avons donc présentés à notre partenaire, nous avons établi le contact. Au début, nous les avons suivis pendant deux à trois mois, pour s’assurer qu’ils reprenaient bien le projet, et ensuite nous nous sommes retirés pour les laisser continuer seuls. - Et vous partagez vos informations avec d’autres organisations sociales ? - Oui, évidemment, il est vraiment nécessaire de collaborer dans ce domaine, il n’est pas possible de s’en sortir tout seul. 201 29 janvier 2015 – Entretien avec Shanghai Young Bakers, Shanghai.* *L’enregistrement de cet entretien se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information sur l’ONG, voir son site internet : http://www.shanghaiyoungbakers.com/. Rencontre avec Cécile Cavoizy, Directrice exécutive, et Emilie Rigaud, Chargée des Programmes, qui m’ont gentiment accordé une heure sur leur temps de midi. - Sous quel statut votre organisation est-elle enregistrée ? Est-ce une entreprise ? - C’est compliqué, comme tout en Chine. - Je sais que pour les étrangers c’est difficile d’ouvrir quelque chose donc… - Oui… En fait, principalement le programme est enregistré comme un programme de la Fondation Chi Heng qui est enregistrée à Hong Kong. Le programme a été commencé par des Français qui faisaient partie de la JCEF, la Jeune Chambre économique française, qui lance un peu des initiatives, des projets comme ça. L’idée c’est de lancer un projet et de voir si ça marche très bien, si ça se retransmet à la société. Donc là le projet a été lancé par des Français et ensuite pour le pérenniser, ils l’ont retransmis à une ONG avec laquelle on travaillait en fait depuis le départ, qui est donc la Fondation Chi Heng, qui elle-même est enregistrée à Hong Kong, mais qui travaille dans toute la Chine. Donc la plupart de nos comptes, notre structure etc. dépendent de cette ONGlà, et après pour d’autres questions de facilités, on a fini par créer une entreprise ici à Shanghai, ce qui permet pour les visas, pour certains contrats, pour certains choses d’avoir le tampon et tout ça. Et le programme est aussi officiellement en partenariat avec la Shanghai Charity Foundation, pour tout ce qui concerne la partie un peu plus chinoise du programme. Et on a aussi (1 :30…) en France, mais cela ne sert pas à grand-chose en fait. - Et vous recevez des subsides, pour ce programme-là spécifiquement, de la Chambre de Commerce française ou comment vous vous organisez ? - Pour le financement de Shanghai Young Bakers, c’est principalement des sponsors, des entreprises, comme la Fondation Carrefour nous a beaucoup aidés pendant 6 ans, et puis peu après ça a commencé à s’étendre, cette année la Fondation Accor, la Fondation Marriott, il y a eu la Fondation PSA un moment qui nous a soutenus. On a d’autres entreprises locales qui à travers soit leurs RH, marketing, etc. nous soutiennent également. On a Lesaffre par exemple qui est un de nos sponsors, Lesaffre qui fait de la levure. Roquette qui travaille dans l’agroalimentaire nous avait aidés sur la construction du Baking Center. On a des actions plus ponctuelles avec des entreprises qui sont sur la plateforme du RSE (Responsabilité sociétale des Entreprises) donc qui peuvent nous aidés au niveau des emplois après. Pour Roquette on organise des activités du genre teambuilding et des choses comme ça, donc on essaye de les impliquer de cette manière-là, en montrant notre travail. Sinon, on a monté fin 2011 ce qu’on appelle notre entreprise sociale, donc ce sont des activités commerciales comme la vente du pain, des gâteaux,… l’organisation de cours publics d’une journée en boulangerie-pâtisserie, donc cela nous permet de lever des fonds qui nous aident également à couvrir aujourd’hui environ 20-25% de nos frais auprès du programme. - Et comment êtes-vous arrivés à aider et à faire des formations pour les migrants arrivés à Shanghai ? Ou la population flottante, c’est peut-être plutôt toute celle-là qui est visée par votre projet ? - En fait… on est responsable de la migration, on les rend migrants. Parce que l’idée du programme c’était… ça a commencé en se disant qu’il y a plein de jeunes qui n’ont pas forcément accès à une formation ou à une éducation, donc à un emploi stable, mais qui sont motivés mais pour des questions de difficultés familiales, financières etc. ils n’ont pas forcément accès à ça. Notamment au début on pensait aux orphelins. Et par contre au niveau de la boulangerie, des hôtels, des cafés, etc., il y a une demande incroyable pour des boulangers qualifiés, et il n’y a personne qui fait des formations de boulangerie française en Chine. Et donc l’idée au départ, en 2008-2009 quand ça a commencé, c’est ce programme de formation pour accueillir des jeunes entre 17 et 23 ans qui n’ont pas pu avoir des études ou des formations pour avoir accès à un emploi stable, et donc de leur proposer cette formation-là. Et donc la plupart, normalement on avait des orphelins puis après on 202 s’est rendu compte qu’en fait les orphelins étaient assez pris en charge par les orphelinats ou en tout cas ceux à Shanghai. On en a pris beaucoup, par exemple des pauvres de Shanghai, mais on s’est rendu compte qu’à Shanghai, pour les Shanghaiens, il y a quand même pas mal d’accès à pas mal de formations et d’autres choses. Donc depuis maintenant, on prend que des gens qui sont en dehors de Shanghai. Mais souvent, en fait, les jeunes qu’on prend c’est soit des gens de la campagne, du Henan, Anhui, Gansu, Shaanxi, qui nous sont recommandés par des ONG, avec qui on travaille, soit ce sont des ONG qui aident les enfants à aller à l’école, ou qui aident les enfants des rues, ou les enfants de parents emprisonnés. Et donc ils nous recommandent certains de leurs jeunes, ou des frères et sœurs de jeunes qu’ils soutiennent, pour venir à Shanghai faire notre formation. Il y en certains qui ont déjà travaillé dans des usines dans le Sud etc., il y en a d’autres qui ne sont jamais sortis de leur village donc nous on leur donne en plein le choc de venir à Shanghai. On travaille un petit peu avec JiuQian, tu dois connaître ? - Oui je les ai interrogés. - Donc là, cela fait trois ans que tous les ans on a une personne de JiuQian qui vient, en tant que enfants de migrants ils ont un problème justement d’éducation parce qu’ils ne savent pas aller au Gaozhong (lycée). Mais, mine de rien, on n’a qu’un seul de JiuQian par an parce que en termes d’opportunités, comme ils sont déjà à Shanghai, ils ont déjà plus d’opportunités que les autres jeunes qu’on reçoit, qui n’ont vraiment aucune opportunité dans leur village pour continuer leurs études, pour trouver un emploi stable etc. - Et donc parfois, ils viennent directement du village dans votre centre ? - Oui complètement, pour la plupart, donc pour 95% c’est ça. Enfin, non, des villages dans notre centre c’est la moitié. L’autre moitié il y en a qui ont de l’expérience professionnelle. Pour les premiers il s’agit de petits boulots, autour de chez eux, mais donc même pas forcément aller dans la ville la plus proche de chez eux. - Et concernant les organisations avec lesquelles vous travaillez, je connais JiuQian, j’ai aussi interrogé Stepping Stones qui m’a parlé de vous, y en a-t-il d’autres ? - Les autres qui ne s’occupent pas des migrants. Il y a la Fondation Chi Heng qui s’occupe des enfants affectés par le Sida. Donc ils ont des jeunes dont les parents sont soit séropositifs soit sont décédés du Sida. Eux, ils sont principalement dans le Henan et Anhui, et commencent à être bien présents dans le Yunnan et Guangxi, où il y a des problèmes de drogues, de prostitution etc. Notre deuxième plus grand partenaire c’est Plan International. Et on travaille surtout avec l’équipe du Shaanxi, et eux ont des critères assez larges. Ils sont actifs de manière générale dans la campagne. Ils ont des bons étudiants. Ils sont vraiment partout en Chine, mais on travaille surtout avec leur bureau à Shaanxi, où ils ont leur siège d’ailleurs. Dans les autres partenaires, il y a Baoji Xinxing. Nous avons 5 étudiants de Baoji Xinxing cette année. Ce sont des enfants des rues. Ils ont commencé à Baoji, mais maintenant ils ont un autre centre à Weinan également, dans le Shaanxi. Au départ, ils aidaient surtout les enfants des rues, ils ont des centres d’accueil pour les enfants des rues. Et maintenant, ils essayent également de faire de la prévention en amont pour aller dans les campagnes pour éviter justement, les enfants des rues ils viennent des montagnes autour. Donc voilà, ils essaient également de travailler en amont. Donc dans les étudiants qu’ils nous recommandent, il y en a quelques-uns qui sont passés par la rue, mais la plupart, ils ont surtout été identifiés dans leur famille, généralement ils sont en difficultés. Voilà, évidemment j’ai oublié Madaifu. Ils ont aussi grandi pas mal. Madaifu essaye d’aider les enfants orphelins ou semiorphelins des familles monoparentales, dans le Gansu et le Shaanxi également, c’est plutôt dans la région rurale. Ils sont également basés à Baoji, dans le Shaanxi. Qui est ce qu’il manque ? Morning Tears, ils travaillent avec les enfants dont les parents sont emprisonnés, ils sont également assez présents dans le Shaanxi. Il y a aussi Changning Minfu Center for Rural Sustainable Development, ils sont au Yunnan, mais c’est une toute petite ONG, ils nous ont recommandé quelqu’un. Donc voilà, ils sont sur nos sites, ce sont nos partenaires sociaux. - Et vous savez combien de bénéficiaires vous avez par an ? Je ne sais pas comment vous les comptez ? 203 - Chaque année, on a en moyenne 30 étudiants et on peut accepter 32 étudiants. - Et vous les formez pendant un an, c’est une formation qui dure un an ? - Oui, onze mois. Donc début septembre jusqu’à fin juillet. - Et après vous les aidez à trouver du travail ou une fois qu’ils ont fini la formation généralement ils trouvent facilement ? - Ils n’ont pas besoin de nous en fait (rires). On les aide dans le sens où on organise donc la cérémonie de remise des diplômes, et juste avant on organise une Career Fair, où là les entreprises peuvent venir se présenter, et font passer des entretiens formels à nos étudiants. Sinon, ils sont en stage aussi. En fait les stages sont en alternance, ils ont 2 semaines de cours, 2 semaines de stage, - Ah oui, ils sont directement intégrés professionnellement alors. - Oui, ils sont dans des hôtels 5 étoiles tous à Shanghai. On a 15 hôtels partenaires cette année. Et donc, il y en a qui décident d’y rester travailler, si l’hôtel leur donne la possibilité de travailler là où ils font leurs stages. - En fait, il y a tellement d’opportunités dans le monde de la boulangerie que s’ils ont deux ou trois offres chacun, donc c’est à eux de choisir. C’est vrai quand on dit qu’on ne les aide pas, parce que l’idée en fait c’est de les rendre indépendants. Le problème c’est qu’il y a tellement de demandes en boulangerie que, voilà, on fait en sorte que tous ceux qui nous contactent soient en contact avec eux, et après c’est à eux de faire leur choix. - En général, restent-ils sur Shanghai, ou vont-ils dans d’autres villes ? - La majorité reste sur Shanghai, surtout que déjà ils commencent à avoir leur réseau au bout d’un an à Shanghai, donc c’est plus facile, avec leurs anciens chefs, avec tous nos diplômés, car ils ont vraiment un bon réseau, entre les anciens diplômés et les étudiants. On voit aussi qu’à Shanghai, c’est une bonne façon de commencer leur carrière, et d’acquérir de l’expérience. Après, bon, certains essayent d’aller plus près de leur village d’origine. Soit tout de suite après le diplôme, soit après quelques années, ça leur permet de travailler dans des hôtels à Zhengzhou, à Xi’an, etc. Il y en a d’autres qui ont d’autres attaches en Chine, et qui vont également regarder ailleurs. Il y en a deux qui sont partis à Wuhan et qui sont très bien… - Et donc vous les suivez, même après leur formation, vous savez ce qu’ils sont devenus… ? - Oui, on sait où tout le monde est. Il y a 120 diplômés, parce qu’en fait, on a commencé avec 16 étudiants et puis on a augmenté d’année en année. Et là, on est à 35 cette année. Ceux qui sont à Shanghai, on essaye de les voir régulièrement, donc on organise des activités où tout le monde se rencontre. En fait, nos professeurs de boulangerie-pâtisserie sont des étudiants de la première promo, qu’on a sélectionnés. Ils ont appris le français à l’Alliance française, on les a envoyés à Aurillac en France pour passer leur CAP (Certificat d’Aptitude professionnelle) et apprendre à devenir professeur de boulangerie-pâtisserie. Là ça fait la quatrième année qu’ils sont revenus et qu’ils sont professeurs pour notre programme. Et ils ont un super contact avec que ça soit leurs camarades de l’école ou des étudiants à qui eux-mêmes ont enseigné. Donc du coup, il y a un bon réseau et un bon contact avec tout le monde. - Et pensez-vous élargir le nombre de bénéficiaires encore ? Je ne sais pas si c’est possible par rapport au financement… ? - On ne peut pas, en fait le nombre de nos bénéficiaires dépend de nos locaux, de l’équipement qu’on a et du coup, je ne pense pas agrandir… Il faudrait chercher un espace plus grand et plus de sponsors alors. Mais en fait, on travaille avec d’autres ONG, pour les aider à créer leurs propres programmes de formation en boulangerie. C’est notre façon aussi de toucher plus de jeunes. - Et vous avez déjà des résultats à ce niveau-là ? - Oui, on a travaillé il y a deux ans avec une organisation basée au Tibet, qui s’appelle Bread Without Borders. Ils aident les jeunes malvoyants et donc, ils ont envoyé une employée en 204 boulangerie à Shanghai, qui a passé un an avec les étudiants en formation en boulangerie-pâtisserie et ensuite elle est rentrée au Tibet pour ouvrir la formation en boulangerie là-bas. Donc voilà, ça tourne, ça y est. On les a revu il n’y a pas longtemps. Sinon, en novembre, on est allé à Pékin pour rencontrer Crazy Bake, ce n’est pas vraiment une ONG… - Elle n’est pas enregistrée légalement mais… - Ça arrive souvent ça ! - Oui, exactement ! En fait, c’est compliqué, ils font partie d’un hôpital qui s’occupe des personnes handicapées mentales. Ce sont deux Allemandes qui ont voulu équiper cette petite boulangerie, parce qu’elles pensaient que les patients s’ennuyaient et aussi pour leur donner des moyens pour s’acheter des choses pour embellir leur vie de tous les jours, parce qu’ils n’ont pas droit de sortir du centre. Du coup donc, on est allé là-bas pour former le chef à de nouvelles recettes en boulangerie et tout ça… - Et l’année prochaine, on va travailler en relation avec une entreprise sociale à Chengdu qui va en fait travailler un réseau de petites boulangeries pour des handicapés à Chengdu. Donc en termes de gestion d’entreprises sociales, ils sont très bons, mais en termes de boulangerie… Donc ils ont fait appel à nous et on est en train de voir. Ça a failli se faire cette année, mais finalement cela se fera l’année prochaine. Ils vont faire un peu le même modèle qu’avec l’organisation au Tibet. Ils vont envoyer un de leurs employés à se former avec nous pendant un an à la boulangerie et à notre technique pour développer des formations pour qu’ensuite ils puissent retourner à Chengdu et monter ce réseau-là avec notre soutien. - Est-ce que vous êtes soutenus par le gouvernement dans vos démarches ou la relation est-elle assez compliquée ? - Ce n’est pas très compliqué… On est surtout…euh - Enfin, il n’impose pas forcément des limites ? - Non, on n’a pas eu tellement de problèmes. Ils aiment bien ce qu’on fait. Et donc, ils nous laissent faire, en gros… On a une relation avec Shanghai Charity Foundation qui aussi officiellement supervise nos programmes. Je pense que notre programme est un petit peu compliqué par rapport à d’autres programmes qu’ils soutiennent donc, ils pensent qu’on organise des cours…, qu’on fait venir des gens, et qu’on les met à l’école, et puis on organise des cours et puis c’est bon. - Ah oui, ils ne comprennent pas forcément... - L’étendue…voilà, qu’on organise nous-mêmes nos propres cours, qu’on est très impliqué dans le curriculum et dans le suivi des étudiants. Surtout parce qu’avec toutes les entreprises sociales, ce n’est pas vraiment ce qu’ils ont l’habitude de gérer. Mais, en soi, ils aiment bien notre programme, et donc la relation franco-chinoise etc. et toutes les relations qu’on a avec le gouvernement, ils trouvent le projet très sympa et voilà. Et aussi nous, en tant qu’ONG, on regarde surtout les solutions, nous on ne va jamais chercher les problèmes en fait. On demande aux autres ONG d’aller nous recommander des jeunes qui auraient des problèmes mais nous on ne regarde jamais les problèmes, on donne juste une solution. Donc ça, en soi ça veut dire que nos relations avec le gouvernement sont quand même finalement assez simples parce que… - Oui, vous ne faites pas de promotion pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent à Shanghai. - Oui, voilà, exactement. On ne parle même pas de problèmes en fait, on dit juste qu’on fait une formation en boulangerie, et on ne dit même pas qu’il y a un problème en Chine quelque part. - Oui, vous restez plutôt neutre donc. Je ne connaissais pas en tout cas Shanghai Young Bakers, ça existe depuis longtemps à Shanghai ? - La première promo a commencé en février 2009. La première promo était de 6 mois, et après donc depuis septembre 2009, là on est à la… septième promo ! Qui est en cours actuellement. - Quelles sont exactement vos fonctions à vous deux ? 205 - Ça a changé récemment ! - Donc moi, je suis chargée du programme caritatif sur tout ce qui est opérationnel. Donc suivre les étudiants au jour le jour et tout ce qui est en lien avec les étudiants. - Mais il y a beaucoup de choses en lien avec les étudiants, c’est ça le problème ! - Et vous faites aussi par rapport aux démarches administratives pour leur séjour à Shanghai ? - Heu…oui il y a plein plein de choses… Donc en fait, je gère l’équipe, on a trois professeurs, et on a aussi une éducatrice sociale donc qui s’occupe des étudiants au jour le jour. - Sont-ils tous chinois dans l’équipe ? - Oui, ces quatre-là oui. Après on a d’autres personnes qui sont de nationalités différentes mais bon, ceux-là sont chinois. Et donc, ça peut être par exemple organiser des activités le weekend pour les étudiants, être sûr qu’ils aient tout ce qu’il faut, donc logement, qu’ils soient bien dans leur stage. Donc il y a tout le suivi des stages à faire, donc relations avec les hôtels, avoir le feedback des chefs,… - La définition du curriculum et la mise en place du curriculum, enfin c’est bien sûr avec les professeurs de boulangerie-pâtisserie, mais enfin, il y a aussi tout ce qu’il est management du Baking Center là-dedans. Et après tout ce qui est les cours d’anglais et de life skills qu’on organise. Donc c’est tout la mise en place et sachant qu’à chaque fois ce sont des bénévoles, donc les professeurs bénévoles pour faire toute cette partie-là. - Oui donc c’est comme ça que Stepping Stones a dû parler de nous, ils font les cours d’anglais. - Et eux ils viennent dans vos centres, c’est comme ça qu’ils font, ils vous envoient des volontaires pour enseigner l’anglais dans vos centres ? - Oui. Et après, j’ai aussi la partie partenariats, donc tous les partenaires que l’on a actuellement, pour la partie des ingrédients, les équipements dont on a besoin au Baking Center… Et la communication. - Et l’évaluation des programmes par rapport aux sponsors, je ne sais pas si vous devez faire des rapports, des suivis… ? - Euh…oui. Ça on fait tous ensemble. - Surtout les rapports d’évaluation que nos sponsors nous demandent ça n’a rien avoir avec tous les trucs aux Nations Unies ou autre chose, c’est extrêmement simple, en fait on a très peu… on fait du monitoring evaluation, mais on le fait de manière hyper informelle parce que par exemple, simplement les diplômés on sait tous exactement ce qu’ils font et où ils sont, mais ce n’est écrit nulle part, ce qui n’est pas bien. Et aussi, on a des sponsors qui nous demandent de les tenir au courant de ce qu’il se passe mais ils n’ont pas des formulaires dans tous les sens à remplir. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on pourrait vaguement améliorer mais qui reste relativement léger par rapport à ce que les autres ONG qui passent leur temps à faire ça… Mais on communique beaucoup, on fait beaucoup de communications, on a un site web qui est mis à jour très régulièrement, on a une newsletter mensuelle, on a Weibo (Twitter chinois), on a Facebook, on a Weixin (We Chat)… on a plusieurs articles de médias tous les mois. Cela demande également beaucoup de travail, mais cela met bien en valeur nos partenaires. En fait, on a des partenaires qui accordent plus d’importance finalement à la mise en valeur du programme et à leur partenariat qu’à des chiffres concrets… Les fondations d’entreprises, ce sont qui sont le plus dans voir nos résultats en termes d’impact social, et même eux, ils ont envie de vérifier que nos projets roulent, mais ce qui les intéresse le plus c’est de voir si les collaborateurs du groupe sont impliqués ou comment ils nous soutiennent, si on les met en valeur dans notre communication et de vérifier en tout cas qu’en somme tout cela accroit leur image, etc. Donc du coup, c’est vrai que cette partie-là est finalement plus importante que des rapports précis qu’on pourrait leur donner. - Et votre fonction à vous ? 206 - Je m’occupe surtout de tout ce qui est back office, avec finance, RH, légal etc. Et là, récemment, on a aussi décidé que je ferai aussi de la représentation, le reporting, par rapport à la fondation Chi Heng, qui est notre organisation principale, et la représentation à l’extérieur. Et aussi le développement de partenariat, d’essayer de trouver d’autres partenaires, d’autres sponsors, et essayer de trouver des idées pour trouver des financements, sachant que c’est la plus grosse question pour trouver des financements année après année… Donc je m’occupe plutôt de ça. D’où le titre grandiloquent de directeur exécutif ! (rires) - Oui, on ne sait jamais ce qui se cache là-dessous ! Et par exemple avec l’Alliance française, vous avez aussi un partenariat ? Je ne sais pas s’ils offrent les cours ou vous devez les financer quand même… ? - Non, quand nos trois professeurs avant de partir, ils ont pris des cours de langue française, et ça l’Alliance française a accepté de les laisser suivre gratuitement les cours. Et là, on en a deux autres jeunes qui sont actuellement à Aurillac, pour passer le CAP pour ensuite revenir. Eux aussi ont suivi les cours gratuitement à l’Alliance française pour apprendre le français avant de partir en France. Donc c’est comme ça qu’ils nous ont aidés. - Et par exemple le logement quand ils sont en France, le vol, etc. ? Tout ça est pris en charge par qui ? - C’est nous qui payons, mais là pour un des étudiants on a un sponsoring de la Fondation Marriott, donc ça couvre tout ses frais de vie. L’autre, Jin Huizi, c’est sur nos réserves qu’on doit payer, on n’a pas trouvé de sponsor spécifique pour prendre ça en charge. - Et sur place y a-t-il quelqu’un qui les accompagne ? - Sur place, en fait, non. Donc en fait, ils suivent des cours à l’École française de BoulangeriePâtisserie d’Aurillac (EFBPA), ils suivent le CAP et ils sont formidables donc là la dame qui gère l’école leur a tout organisé pour qu’ils soient installés, leur a trouvé un logement, etc. L’EFBPA assume les deux qui suivent les cours entièrement gratuitement. Ce qui est bien sachant que la formation est quand même de 11.000-12.000 euros pour les 6 mois. Par contre donc tous les frais de vie, ça ils ne peuvent pas les prendre en charge bien sûr, donc ça à nous de le faire, donc on doit bien organiser, qu’ils aient chacun un vélo, etc. et donc il y a quelqu’un qui est là en cas de problème. Après, ils sont grands aussi. L’idée c’est qu’ils soient aussi autonomes dans leur vie de tous les jours. - Et par rapport aux étudiants qui vivent ici, par exemple, ils sont ici avec leurs parents ou je ne sais pas très bien, comment cela se passe-t-il ? Comme certains viennent directement de leur village, où sont-ils logés ? - Oui, en fait on loue des dortoirs dans une école, un lycée professionnel chinois, qui n’est pas loin de notre Baking Center et qui est aussi notre partenaire donc. Donc on loue les dortoirs là-bas et une salle où ils ont leurs cours d’anglais et d’autres cours, sauf la boulangerie et pâtisserie qui se fait dans notre Baking Center. Donc, ils ont des dortoirs là-bas, et quand ils viennent, normalement ils sont regroupés par ONG en fait, ils viennent ensemble avec un ou deux accompagnateur(s) à chaque fois qui les amène(nt) à Shanghai. Et puis après, ils les laissent, et puis nous on prend le relais avec l’éducatrice sociale. - Et concernant leurs frais de la vie quotidienne, c’est vous qui prenez tout en charge ? - Oui, c’est nous qui prenons en charge. Au début c’est nous qui prenons en charge, jusqu’à ce qu’ils commencent les stages en hôtel et là ils gagnent 100 Yuans par jour pour travailler dans les hôtels. - Ah oui, donc ils deviennent plutôt indépendants… - Oui, en fait, ils ont plus ou moins 1000 Yuans par mois pour pouvoir subvenir à leurs frais de repas, transport, téléphone… des choses comme ça. Donc les trois premiers mois, nous on leur donne des indemnités pour ça, et après avec leurs stages, ils arrivent à couvrir leurs frais personnels. Après nous on prend en charge tout ce qui se passe dans l’école, que ça soit les cours, les uniformes, le matériel éducatif, les frais pour l’assurance médicale, tous les frais médicaux 207 qu’ils peuvent avoir, les sorties, les repas de temps en temps, les transports pour aller au Baking Center, etc. tout ça c’est nous qui prenons en charge. Et voilà, généralement dans l’année on leur dit, normalement il ne devrait pas y avoir besoin d’aucune épargne, aucune aide financière de votre famille. L’idée c’est vraiment de pouvoir accueillir des gens qui n’ont pas du tout d’argent de côté. Par contre, clairement ils ne gagnent pas d’argent pendant l’année… ça c’est après. - Et est-ce que vous voyez un changement dans leur comportement ? Vous dites qu’ils ont d’autres cours, quelles sortes de cours ont-ils en plus à part l’anglais ? Si j’ai bien compris ils ont des cours « de vie » ? - Oui, « de vie ». - On leur apprend à vivre dans une ville, c’est cela ? - Euh, oui, enfin c’est surtout pour leur apprendre à s’adapter à un environnement professionnel, à communiquer, à gérer les conflits, à avoir confiance en eux… plein de sujets de vie justement, qui sont vraiment nécessaires pour eux, même s’ils acquièrent déjà les compétences en boulangerie au bout d’un an, mais il leur manque d’autres outils pour justement développer leur carrière. - Et les professeurs qui viennent leur donner ces cours-là, c’est l’éducatrice sociale, ou ce sont des volontaires ? - Parfois c’est elle, mais sinon c’est des bénévoles professionnels en fait. - Que vous trouvez via d’autres ONG ? - Oui, on a trouvé via une autre ONG, début de l’année… - Included. C’est Included qui nous a aidés… - Ah oui, je les ai aussi interrogés. - Ah oui, parce qu’ils sont quand même importants, là. C’est eux au départ qui ont mis en place le curriculum de life skills, pour nous. Donc au départ, il y avait une grosse partie, c’étaient eux, leurs employés, qui faisaient les cours. Et ils avaient également d’autres professionnels qui venaient bénévolement compléter une partie des cours. Après qu’on ait fait rentrer les autres, ils ne pouvaient plus gérer ce programme-là eux-mêmes, donc en fait c’est nous qui le gérons en interne, on a le curriculum, on a certains contacts avec les professeurs, on a trouvé d’autres, des psychologues, des assistants sociaux qui peuvent prendre en charge une partie du curriculum. Il y a également des choses comme la gestion financière personnelle. Ça c’est fait par Be Better. Plus spécifiquement, ils enseignent à des jeunes de tout âge à gérer leur argent. En disant que ce n’est pas quelque chose que seuls les riches ont besoin de comprendre, mais surtout les pauvres pour pouvoir bien gérer, c’est super important pour des étudiants, comment faire durer l’argent jusqu’à la fin du mois. Après, on a eu des choses comme à la fin de l’année, il y a des cours pour qu’ils apprennent à faire leur CV, comment conduire un entretien professionnel, et pour ça on invite des RH, si possible des RH qui sont en hôtellerie, pour leur dire comment faire tout ça, et simuler des entretiens, pour pouvoir se mettre en valeur et savoir mettre en valeur leur hard skills. - Et vous voyez vraiment la différence entre le début, à leur arrivée, et la fin, quand ils sont prêts à prendre leur envol ? - (Rires), moi je n’ai pas encore vu, comme j’ai rejoins l’équipe en mai, donc j’attends patiemment juillet pour le changement. - Si, si, surtout par rapport au premier jour, quand ils arrivent, certains n’ont vraiment jamais été dans une grande ville donc le premier jour il y a beaucoup de timidité, manque de confiance en soi, etc. Et clairement, ça, au bout de l’année on voit leur confiance en soi, ils sont plus à l’aise. Pour certains quand même on voit déjà le changement, genre Hua Han qui était un petit peu immature au début, et là… pour certains, surtout ceux qui n’ont jamais travaillé avant donc c’est quand même assez difficile. Ils doivent plutôt justement apprendre la relation par rapport aux autres, travailler à la campagne ce n’est pas du tout la même chose que de travailler ici en termes d’horaires, en 208 termes de communication etc. Donc c’est surtout au niveau de la responsabilité, mais bon réellement le mettre en œuvre, c’est plus ce qu’ils apprennent au cours de l’année. - Sont-ils toujours aussi motivés, depuis le début jusqu’à la fin, ou y a-t-il des moments plus difficiles ? - (Ironise) Oui, hein, il n’y a aucun problème, ils arrivent toujours tous à l’heure, ils ont de 18 à 23 ans mais jamais n’ont de problèmes d’adolescence… (rires). Enfin, c’est des populations difficiles, c’est des adolescents un peu âgés, mais c’est des adolescents. Ils ont des passés quelque fois un peu difficiles. Ils n’ont pas toujours été bien encadrés dans leur famille, ils n’ont pas toujours eu le support qu’ils ont eu besoin de la part de leurs parents, de la part de leur environnement,… Donc, clairement, il y a beaucoup d’épisodes d’indécision, de problèmes, d’encouragement aussi parce que souvent le truc c’est que je suis à Shanghai, j’ai une difficulté, et souvent ils ne savent pas comment la résoudre autrement que dire je m’en vais, je rentre chez moi. Donc on doit leur expliquer que quand un chef est en colère, ce n’est pas forcément parce qu’il en a après lui particulièrement, mais que quand il dit « 9h », ce n’est pas « environ 9h », mais c’est 9h et voilà, et qu’il ne faut pas prendre cette engueulade personnellement mais en plus les chefs d’hôtels à Shanghai, ils ne sont pas faciles hein, il faut se les farcir aussi… Ils sont Shanghaïens, ils ne connaissent pas forcément les gens qui viennent d’ailleurs… Donc voilà, les encourager et dire s’il y a une difficulté, on peut communiquer, on va essayer… Pour ça, il y a beaucoup de ce genre de problèmes qui arrivent, auquel cas on essaye d’être avec eux pour faire face à leurs problèmes et essayer de trouver des solutions ensemble. Leur apprendre à montrer qu’ils font des efforts quand il le faut, ils ne savent pas forcément comment le montrer à leurs chefs et leurs collègues, donc ça c’est quelque chose dans lequel on doit intervenir. Voilà, après problème de motivation de temps en temps, ou des pannes de réveil, ou des choses comme ça, mais bon, ça c’est normal, ils ont 20 ans… - Et par rapport à votre ONG plus spécifiquement, est-ce que vous voyez des points forts et des points faibles de l’ONG ? On a déjà parlé de l’évaluation pour les choses à améliorer, mais quels sont les points forts et les points faibles de votre organisation ? - Le premier problème c’est financier. Donc notre formation en boulangerie est quelque chose qui a une valeur commerciale certaine en Chine et donc d’un côté c’est génial parce qu’on peut avoir plein de partenaires qui sont vraiment très intéressés par ce qu’on fait, et ça ne vient pas seulement de notre côté social mais on a vraiment un intérêt direct, que ce soit pour des entreprises en agroalimentaires, que ce soit pour des particuliers, qui nous soutiennent en achetant des gâteaux, en achetant des pains ou en participant à un cours, on a un service commercial à leur donner et d’un côté ça c’est une force qu’on peut bénéficier de notre valeur commerciale pour attirer à la fois des entreprises et des particuliers. C’est quelque chose de parfois un peu délicat sur lequel communiquer parce qu’on est quand même avant tout un programme caritatif, on ne veut pas que nos partenaires, que ce soit les entreprises ou les particuliers, n’oublient pas notre côté caritatif, n’oublient pas notre mission sociale qu’ils ne nous demandent pas justement de changer notre programme pour faire face à leurs exigences commerciales. Donc ça c’est un équilibre à trouver, quand on cherche des partenaires, quand on cherche des particuliers, pour mettre en valeur la qualité et le professionnalisme, qui sont des choses très importantes pour nous qu’on essaye de faire à travers notre programme, que ce soit dans la manière dont on gère la boulangerie ou la manière dont on gère les étudiants et qu’on gère le programme qui bénéficie aux étudiants. C’est quelque chose qu’on essaye de mettre en valeur et qu’on essaye de montrer à nos partenaires mais on espère aussi qu’ils ne perdent pas de vue ce côté social qui est le plus important. C’est pour ça qu’on fait le programme, on ne le fait pas pour avoir de l’argent. On pourrait se faire plein d’argent en vendant le programme de formation en boulangerie parce qu’on nous a déjà demandé et ça a une valeur énorme en Chine. Mais pour nous, le but final ce n’est pas la boulangerie, être la meilleure formation en boulangerie de Chine, ce qu’on est actuellement, c’est pour nous un moyen d’aider les jeunes, et pas une finalité en soi. Et ça c’est quelque chose dans notre travail de tous les jours qu’on doit toujours garder en tête parce que les déviations peuvent être très faciles, ou les incompréhensions de la part de certains de nos partenaires ou certains clients potentiels mais donc voilà, c’est quelque chose à clarifier. C’est un point important. Un autre grand point important c’est 209 comment améliorer l’impact social. D’une part en termes d’évaluation, comment mieux le communiquer, parce c’est vrai on le connaît bien en interne mais on nous a fait la remarque c’est vrai qu’il n’est pas forcément très mis en avant, par exemple au niveau de notre site web, on va essayer de reprendre les choses. Parce que pour la partie des étudiantes, on sait nous ce que chacun représente, mais après, les autres voient une photo de classe et c’est tout. Mais on n’aime pas forcément le communiquer, on a des étudiants en plus qui aiment bien venir ici, qui sentent qu’ils ne sont pas bénéficiaires d’un truc caritatif, ils sont là pour avoir une formation, ils aiment bien, ils ont envie d’apprendre un métier et d’être indépendants. On organise de temps en temps des activités où eux, ils ont l’occasion d’être bénévoles, ils peuvent aider. On avait fait une activité à Included une fois, pour Noël, nos étudiants étaient venus pour être bénévoles pendant la journée et aider. Là récemment ils ont fait la même chose avec YouDao, une autre organisation. Voilà, ce genre d’activités en tant que bénévoles, ils adorent ça pouvoir être en situation où ils peuvent rendre. On a souvent des médias etc. mais on essaye de faire en sorte que les étudiants…enfin on ne nomme jamais, on veut que cela soit sur la base de notre programme et pas sur la base de tel et tel étudiant qui a telle et telle situation personnelle, et qui telle et telle situation difficile… - C’est vrai qu’en Chine, ils aiment souvent vendre du drame… - Mais pas forcément en Chine, n’importe qui, qui fait du sponsoring individuel, tu as envie de savoir ce qu’il y a derrière, avoir des anecdotes personnelles, c’est absolument logique mais donc voilà, on n’a pas envie de trop faire ça. L’idée c’est qu’ils soient tous ensemble et qu’ils ne soient pas pris individuellement. Voilà, qu’ils laissent derrière eux leur passé un peu difficile, et là ils sont responsabilisés, enfin on les responsabilise et pour nous ce n’est pas important les difficultés qu’ils ont eues avant, on est là pour avancer ensemble, et faire en sorte qu’ils puissent devenir indépendants, indépendamment des difficultés qu’ils auraient pu avoir par le passé. Donc ceci dit, on a quand même des choses à améliorer pour montrer quand même plus l’impact social et le genre de background d’où viennent nos étudiants. Donc, à la fois mieux communiquer sur l’impact social et la valeur du programme social, parce qu’on a que 30 étudiants par an, tout le monde nous le reproche. Notre formation est extrêmement chère. Pour nous c’est important, parce que c’est une formation de qualité où on prend tout en charge pendant un an. Par opposition à d’autres ONG qui pourraient offrir un cartable à 3000 étudiants, on espère que l’impact qu’on a sur un an, qui en fait équivaut à toute la formation du lycée plus toute la formation de l’université. La plupart de nos étudiants ont fini le collège, et voilà donc on est en train de remplacer 7 ans d’éducation, et à la fin nos salaires sont aussi bons voire quelque fois meilleurs qu’en sortant du système d’une université de base. On essaye aussi de rendre ça plus sur la table. C’est vrai qu’on a seulement 30 étudiants par an, on ne veut pas non plus augmenter au-delà de 32, parce que notamment en termes d’attention, chacun individuellement ils ont tous besoin d’attention. Donc si on a un trop grand nombre, on ne pourra pas leur donner l’attention dont ils ont besoin et faire en sorte que vraiment ils réussissent. Ceci dit, on cherche quand même à avoir un plus grand un impact social donc en essayant de développer, c’est quelque chose qui est vraiment une priorité et qu’on réussit bien pour qu’on essaye de développer ce genre de chose qu’on a fait avec Bread Without Borders, Crazy Bake et qu’on va faire avec Chengdu. On essaye de voir avec d’autres ONG s’il y a moyen que la valeur commerciale de notre formation en boulangerie puisse être utilisée, pas pour des entreprises commerciales mais pour d’autres ONG qui pourraient bénéficier de notre expérience, bénéficier aussi de notre curriculum, bénéficier de l’expertise qu’on a développée pour elles-mêmes l’utiliser de manière différente, pas juste une formation pour que ce soit une boulangerie commerciale qui vende des produits. Par exemple pour Bread Without Borders, c’est à la fois une formation qui doit aider leurs étudiants aveugles à devenir plus indépendants dans la cuisine et éventuellement en faire un métier. Et aussi en vendant les pains qu’ils font, pour eux ils espèrent aussi que ce soit une façon de financer une partie de leurs formations et leur ONG. Donc il y a plusieurs niveaux différents, en plus c’est quelque chose de très local la boulangerie, il faut absolument le faire sur place, il faut absolument que ça soit frais et c’est aussi un produit de communauté, d’entourage, qui est très local. Et qui peut donc vraiment être utile et bénéfique à plein d’ONG ou des projets caritatifs partout, on va commencer par la Chine et l’Asie ce sera dans deux ans ! - Ah oui, donc vous pensez le faire dans d’autres pays ? 210 - Pas là directement, et puis il y a d’autres projets similaires qui existent au Vietnam, et au Cambodge. Au Laos je ne suis pas sûr, mais c’est sur des sites web donc ce n’est pas toujours évident. De façon très très plus large, on aimerait bien créer un réseau autour des ONG qui font aussi quelque chose dans la boulangerie sociale, parce qu’on pense qu’on a plein de choses à s’apprendre les uns les autres. - Vous n’avez jamais pensé à faire des cours payants pour des étudiants plus riches qui financeraient en fait la formation des autres étudiants ? - Complètement, on y a pensé un moment, à faire une classe de 100 personnes avec la moitié qui paye et l’autre moitié qui ne paye pas. Mais on n’a pas envie de faire ça, d’une part justement on se dit que, on veut mettre en fait toutes les chances du côté des étudiants qu’on veut aider. Et on a peur que d’avoir une classe avec des étudiants qui sont plus favorisés, qui parlent bien anglais, qui sont à l’aise, sont plein de confiance en eux, du coup ça va désavantager nos étudiants à nous qui du coup vont avoir plus difficile d’avoir de la confiance en soi, qui vont plus se comparer avec eux, et qui, dans un hôtel où il y a deux stagiaires, l’hôtel va forcément préférer celui qui parle anglais, qui est à l’aise, etc. - Et de faire deux programmes à part ? - Et de faire deux programmes à part, il y a d’autres problèmes par rapport à ça qu’on devrait résoudre si on faisait le programmes un peu différemment. Si on faisait un programme complètement à part, le programme serait très très cher pour au final quand même être boulanger, c’est une bonne opportunité pour nos jeunes à nous, mais si on demandait à des gens de payer, le coût de notre formation actuellement c’est de 50.000 Yuans, si on devait le faire en deux fois, elle coûterait deux fois plus cher, donc on demanderait à des étudiants de payer 100.000 si on veut utiliser cela pour financer le programme, pour une formation pour laquelle à la fin on a des salaires à 3000 au début, et peut-être 10.000 au bout de 5 ans, mais aucune famille n’accepterait de payer une formation à 100.000 Yuans à leur enfant pour être apprentis-boulanger ou pâtissier dans un hôtel. Donc ce serait une formation qui serait extrêmement cher, donc il n’y aurait pas vraiment beaucoup de personnes qui seraient prêtes à payer pour ça… - Le métier de boulanger n’est pas forcément bien reconnu ici en Chine ? Ou est-ce que c’est plutôt le fait d’être « apprentis », de commencer à une échelle plus basse ? - Le fait d’être en cuisine, nous on travaille beaucoup là-dessus, c’est quelque chose sur lequel on travaille énormément, pour que nos élèves sachent dire à leur famille qu’ils ne sont pas juste en train de travailler au wok dans la cuisine, mais que la boulangerie, est un métier reconnu, qu’il y a des ouvriers de France qui sont boulangers, qui ont participé à des événements internationaux, qui travaillent à travers le monde, qui sont des entrepreneurs qui réussissent très bien, enfin, des gens qui ont vraiment réussi dans la vie grâce à la boulangerie. Et on les invite pour que justement les élèves puissent voir que s’ils continuent dans cette voie, dans 10, 15 ou 20 ans il y a vraiment moyen d’avoir un réseau international, et d’avoir une certaine reconnaissance. Mais c’est pas du tout évident, et à la base c’est quand même un métier super manuel dans les cuisines. Donc pour un parent lambda, ce n’est pas forcément le métier qu’ils voudraient pour leur enfant, ils préféreraient qu’ils soient avocats ou directeur… Voilà pour ça. Et ça demanderait aussi des ressources énormes de créer deux programmes, vraiment il faudrait qu’on double notre budget. Et par contre ce qu’on fait pour pallier ça, on essaye de développer des activités commerciales, pour avoir une levée de fonds qui va nous aider à financer notre programme et on essaye de faire en sorte de justement garder un équilibre dans cette entreprise sociale, entre l’argent que cela va nous rapporter, l’intérêt et les avantages que cela peut procurer à notre programme ou les ressources que l’on va utiliser pour le mettre en place, un équilibre entre tout ça. Et donc par exemple on fait facilement des cours de boulangerie pour une journée et ça, il y a un énorme marché, les gens sont prêts à mettre plus d’argent, pour une journée. Cela est aussi un plus pour notre expertise, on peut parler de notre image, on peut parler de notre programme caritatif. Pour certains ils veulent juste apprendre à faire quelques desserts ce jour-là, pour d’autres c’est pour participer à notre programme caritatif… Donc ça, c’est une façon qui ne nous prend pas trop de ressources, parce qu’on peut le faire le samedi quand le Baking Center n’est pas utilisé, donc quand les professeurs sont libres. Donc c’est 211 vraiment très peu de ressources en plus, et cela nous permet vraiment de lever des fonds sur cette journée-là. Là, on est en train de mettre en place une formation de quelques jours, qui est plus professionnelle, qui n’est pas destinée à des gens qui vont être en bas de l’échelle dans l’hôtel mais plus pour des gens qui sont quand même assez riches et qui peuvent investir là-dedans, et qui vont peut-être ouvrir des cafés et des restaurants, et qui ont besoin quand même de connaître les bases en boulangerie-pâtisserie pour pouvoir gérer certains pains ou gâteaux dans le café ou le restaurant qu’ils veulent ouvrir. Donc ça c’est quelque chose qu’on va mettre en place ces deux prochains mois, et qui, on espère, va vraiment pouvoir lever des fonds, tout en restant gérable au niveau des ressources que ça demande pour le mettre en place. - Et par rapport à la sélection des enfants, comment faites-vous ? Parce que je suppose qu’en Chine il y a quand même pas mal de jeunes qui sont nécessiteux et donc comment les sélectionnez-vous ? - La première chose c’est de travailler avec des ONG qui on partage les mêmes valeurs et qui connaissent bien leurs bénéficiaires, ce qui est un problème d’ailleurs parce que à la limite, les jeunes qui sont les plus nécessiteux n’ont pas forcément été identifiés par les ONG, ça c’est un problème. Et on a des ONG parfois qui aident tellement bien leurs jeunes qu’ils n’ont pas besoin de nous. On a travaillé avec SOS Village enfants, et eux, franchement, les enfants qu’ils accueillent ce sont des orphelins, mais ils leur donnent les mêmes opportunités, ils ont des familles d’accueil, etc. à la limite ils ont les mêmes opportunités que n’importe quel gamin pas de la classe moyenne, c’est un petit peu en dessous mais, cela ne va pas forcément leur apporter plus que ce qu’on leur offre déjà. Donc déjà trouver les ONG qui aident exactement le genre de jeunes qu’on cherche, ça limite un petit peu. Et ensuite donc on fait passer un entretien, les ONG recommandent des étudiants, eux remplissent également un formulaire, l’ONG aussi, et après on fait passer un entretien d’environ une demi-heure, une heure pour être bien sûr de leurs motivations, de leur passé, qu’ils comprennent bien le programme, qu’ils savent à quoi ils s’engagent et pour vérifier que leur projet, donc sur le long terme, concorde avec ce que nous on veut leur offrir, et qu’ils sont motivés également. Parce que cette formation-là, c’est quand même une formation hyper intensive, ils ont très peu de jours de repos, et donc vérifier aussi qu’ils sont bien engagés. Donc l’année dernière, 70 jeunes ont été interviewés et 32 ont été sélectionnés. D’habitude ce n’est pas aussi élevé, là avec Plan International qui nous a rejoins nous a envoyé beaucoup de candidatures, donc du coup on avait plus de candidats. - Plan International ? - Oui. - Ah donc vous êtes quand même en relation avec de grosses ONG, finalement. - Il y a les deux. Madaifu c’est tout petit, jusqu’à récemment ils n’avaient qu’un employé et c’est tout. - JiuQian non plus n’est pas très grand. - JiuQian non plus, en effet. Et Madaifu jusqu’à récemment, je crois qu’ils aidaient 131 enfants, ce n’est pas énorme, enfin c’est énorme avec un seul employé ! C’est hyper impressionnant le travail qu’ils font ! Alors comparé à Plan International, par contre quand tu vas voir leur bureau là… Ils ont les moyens, ça c’est sûr ! Maintenant on va voir, on va essayer de travailler avec eux, pour voir si justement, c’est le genre d’ONG qui pourrait avoir les moyens de travailler avec nous sur un de nos projets, on va voir si on peut utiliser les ressources qu’on allait offrir pour la formation en boulangerie pour qu’elles soient utilisées dans le cadre d’autres programmes caritatifs, ça par exemple nous on n’a absolument pas les ressources pour mettre ça en place. Par contre, Save the Children ou Plan International, eux ils ont les ressources et le budget pour mettre des choses comme ça en place. Et puis ils sont intéressés pour voir s’il y a des choses qu’on peut faire ensemble ou sur lesquelles ils peuvent nous aider financièrement. - Et vous essayez d’avoir un groupe hétérogène dans les étudiants, par rapport à leur lieu d’origine,… ? Ou pas forcément ? 212 - Non. Ils ont entre 17 et 23 ans, c’est tout. L’idée c’est plus, mais non justement, on en a beaucoup du Henan et Shaanxi. Mais on essaye justement d’insister pour qu’ils ne parlent pas toujours leur dialecte, mais qu’il parle le mandarin et qu’ils soient ouverts, exactement. - Vous-mêmes parlez chinois toutes les deux et êtes en contact direct avec les étudiants ? - Oui. - Et la première rencontre doit être plus difficile, non ? Enfin pour les gens qui viennent de la campagne, qui n’ont peut-être jamais vu d’étrangers…non ? - Moi, je trouve personnellement que c’est plus simple avec eux qu’avec des Shanghaïens, par exemple. Parce que pour certains, quand c’est vraiment reculé, les gens comme ça, ils n’ont jamais vu de personnes de plus loin de 50 km de leur village. Donc à la limite, qu’il soit blanc, qu’il ait les cheveux bizarres, qu’il ait quoi que ce soit, et il ne parle pas le dialecte local,… donc la langue étrangère c’est le mandarin. Il ne va jamais penser que la langue étrangère c’est le français ou l’anglais, donc que tu parles le mandarin avec un accent bizarre, de toute façon, tous ceux qui viennent de plus de 50 km ont tous un accent bizarre… - Ah oui, donc tout le monde est catégorisé comme étranger en dehors de 50 km… - Oui, moi je trouve que c’est un petit peu comme ça alors souvent je pense que c’est plus simple parce qu’il y a moins d’apriori, alors que pour des gens qui viennent de grandes villes, il y a plus d’apriori parce qu’ils ont déjà décidé que tu étais blanc donc tu es américain, et waouw tu dis « ni hao » (bonjour en chinois) et tu manges avec des baguettes, donc « oh la la ! » Quand tu as plus d’apriori tu as d’autant plus de barrières en fait à franchir. Et quelque fois leur mandarin n’est pas forcément meilleur que le nôtre donc… ! Pas pour tous, mais pour certains, enfin on fait tous des efforts. - Et ils ont des cours alors de mandarin ? - Non, ce n’est pas aussi dramatique. Enfin, il y en a certains, il faut insister hein pour qu’ils parlent le mandarin, mais ils comprennent tous, il n’y a pas de problème. Il faut juste insister pour qu’ils n’utilisent pas leur dialecte, surtout si tout le monde le comprend, le dialecte du Henan, alors ils ont tendance à jouer la facilité mais sinon, non, ils n’ont pas de cours de mandarin. - C’est parce qu’ici quand ils vont travailler dans des hôtels, ils doivent bien utiliser le mandarin… - Ils doivent oui, après c’est aussi parce que c’est un métier justement très manuel, ils n’ont pas besoin de parler donc… Ils ont souvent un niveau d’éducation qui n’est pas très élevé mais justement la force du programme c’est qu’ils n’ont pas besoin d’avoir un très haut niveau académique. C’est important qu’ils sachent communiquer, qu’ils sachent comment se présenter, qu’ils sachent s’exprimer, qu’ils sachent raisonner de manière à s’exprimer, ça c’est l’objectif du cours de life skills. On n’a absolument pas besoin qu’ils aient une élocution parfaite, ou écrire des dissertations… C’est des choses comme ça en fait. - Et par rapport au gouvernement, vous dites, en fait vous êtes supervisés dans vos programmes ? Contrôlés ? Ou vous recevez des visites de temps en temps… ? - En fait comme la Shanghai Charity Foundation officiellement nous supervise, concrètement ça veut dire que régulièrement on a une réunion avec eux et l’école de Caoyang qui est notre partenaire officiel. Et Shanghai Charity Foundation fait semblant de contrôler ce que fait Caoyang et Caoyang fait semblant de nous contrôler. Eux, ils ont l’impression de contrôler hein… Si tu leur poses la question, ils vont dire que oui, oui, ils contrôlent clairement. - Vous êtes quand même libres alors au niveau des programmes ? - Oui. En fait, ils sont occupés, on n’est pas leur priorité etc. Ils voient que tout ce passe bien alors ils ne vont pas forcément aller chercher des problèmes, s’ils ne sont pas là. Mais ceci dit, tous les ans, il y a une remise des diplômes mais, en fait, ça a toujours été le cas, on a toujours même le Consul de Shanghai, et le deuxième qui passe, c’est le représentant de la Shanghai Charity Foundation. 213 - Ah, et qui sont les invités de cette cérémonie ? - Tous nos sponsors, partenaires, supporters… On essaye de mettre en avant nos sponsors et nos partenaires donc on les invite en priorité, on fait en sorte qu’ils dégagent du temps pour venir, ce n’est pas évident. - Et est-ce que la famille ou des proches des étudiants savent venir ? - Hé bien, le Shaanxi, c’est un peu loin, ils n’ont pas les moyens de venir… Non, il n’y a aucune famille… - Et vous n’envoyez pas par exemple des nouvelles de leurs enfants ? Est-ce qu’ils sont en contact avec leur famille ? - Eux oui, ils contactent régulièrement leur famille. Je ne sais pas si c’était pareil pour les autres promos, mais maintenant ils ont tous un téléphone portable. - Avant, même s’ils n’avaient pas de téléphone portable, c’est la première chose qu’ils achetaient quand ils arrivaient à Shanghai. Non, on n’a pas du tout besoin d’intervenir dans leurs relations personnelles… On a des rapports réguliers avec les ONG qui nous les ont envoyés, pour leur dire comment ça se passe, quand il y a des problèmes justement, on voit ça avec les ONG. Et il peut y avoir des problèmes avec leur famille, mais on passe par les ONG, par exemple ça arrive que des étudiants apprennent qu’un membre de leur famille est très malade, en train de mourir, là ils ont envie de partir, de rentrer pour être avec eux, alors on est en contact avec les ONG pour voir s’il y a quelqu’un qui a paniqué ou s’il faut organiser une visite. Mais vraiment il faut faire en sorte que l’ONG les encourage à revenir à Shanghai après… Donc là, il y a un suivi tout au long de l’année avec l’ONG pour leur dire comment ça se passe ici, et pour faire le lien au cas où il y a des problèmes avec la famille. - Et vous n’avez jamais eu justement le cas qu’un étudiant arrête le programme ? - Si. Oui en fait dans les deux derniers, il y en a un il y a quelques mois, et il y en a un l’année dernière, et c’était pour des raisons de santé. Donc une maladie qu’ils pensaient avoir contrôlé mais finalement ça ne leur a pas permis de poursuivre le programme, ou aussi des problèmes d’attitudes qui devaient être liés au problème que physiquement c’étaient très difficile pour eux. Donc eux, ils ont dû abandonner le projet en cours de route. - Et est-ce que vous avez de leurs nouvelles ? - Oui, comme on a toujours des contacts avec les ONG, on a de leurs nouvelles. - Ah oui, vous avez toujours un partenaire local qui peut vous aider. - Oui, ça c’est super important. C’est important au début, avant la sélection pour vérifier leur background, parce qu’on a des gens, plein de gens qui nous contactent en disant « je suis défavorisé, j’aimerais participer ». Mais quand ils nous le disent en anglais par Weibo (Twitter chinois), ce n’est pas exactement la même définition de défavorisé. Oui on reçoit des mails en anglais… Donc on n’accepte personne si cela n’a pas été validé par une ONG. Et après, sur le reste de l’année, c’est hyper important d’avoir un partenaire local parce que quand il y a des problèmes de découragement, des problèmes de discipline, des problèmes d’urgence familiale qui arrivent, c’est vraiment essentiel d’avoir un contact sur place pour pouvoir faire le suivi, pour vérifier avec la famille, et pouvoir situer en termes de santé comment ça se passe et en termes d’attitude générale par rapport au fait que leur enfant est loin pendant un an, ce n’est vraiment pas évident, même si toute la famille de nos jeunes sait pourquoi c’est important... - Et au niveau de la santé, justement est-ce que vous les aidez, s’ils tombent malades, s’ils ont un accident, etc. ? Vous prenez tout en charge ? - Oui oui, on prend tout en charge. On a une assurance pour eux mais qui couvre en cas d’accident, même si c’est un rhume ou quoi… 214 29 janvier 2015 – Entretien avec Xintu Center for Community Health Promotion, Shanghai.* *Cette version française est le résultat de notre traduction. La version originale chinoise se trouve sur le DVD-ROM ci-joint. Pour plus d’information concernant l’ONG, voir son site internet : http://www.xintu.org/. Rencontre avec Chen Lu, chargée des programmes. Le centre se trouve au sein de la Commission de la population et de la planification familiale de la ville de Shanghai, ce qui signifie qu’ils ne doivent pas payer de loyer car l’immeuble appartient au gouvernement. - Pourriez-vous tout d’abord présenter le nom de l’organisation, l’année de création et le fondateur ? - Nous avons commencé en 2009. L’organisation s’appelle « Xintu Center for Community Health Promotion », nous faisons de la promotion à la santé dans les communautés, auprès de toutes sortes de groupes vulnérables. Le premier projet à avoir été mis en place par Chang Qingteng concerne les maladies chroniques parmi la population plus âgée. Ensuite, nous avons peu à peu développé des projets envers d’autres groupes de bénéficiaires. Par exemple le projet « Yong Nian Lou », pour les personnes âgées souffrant de handicap mental. Un autre cible les « nouveaux citoyens » (Xin Shimin), c’est-à-dire la population flottante. Celui-là (en me montrant le document), appelé Stick Project a été créé pour les handicapés physiques. Ces trois derniers sont des projets pour la récolte de fonds, auxquels tout le monde peut participer très simplement. Le premier, « Yidong Shenghuo », utilise le sport pour lever des fonds, lors des journées à thème par exemple le diabète ou l’hypertension artérielle. Tous les participants, qui viennent faire du vélo ou courir, permettent de lever des fonds pour les personnes souffrant de ces maladies. Le second, « Tech-Station », fonctionne grâce aux dons de matériels électroniques de seconde main et l’enseignement des technologies aux personnes de la communauté, par exemple apprendre à utiliser l’ordinateur, le téléphone portable… Et le dernier, « Hey Buddy » s’occupe du recrutement de jeunes volontaires pour participer à l’organisation d’activités dans les communautés. - Et au sein du projet « Nouveaux citoyens », quel genre d’activités mettez-vous en place ? - Tout tout au début, nous avons commencé par faire des projets concernant les infections sexuellement transmissibles et le SIDA parmi la population des nouveaux citoyens. Mais par après, peut-être que vous connaissez l’entreprise Glaxo Smith Kline (GSK), ils ont commencé à nous verser des fonds, donc nous avons développé le projet. Car au départ, lorsque nous faisions seulement des activités concernant les IST et le SIDA. Après, grâce au financement de GSK, nous avons pu organiser plus d’activités, en tout nous avons mis en place 5 petits projets. - Est-il encore votre partenaire actuellement ? - GSK ? - Oui. - Non, notre collaboration s’est arrêtée, car à cause d’un scandale, une histoire de pots-de-vin dans les hôpitaux, le gouvernement chinois ne soutenait plus que nous travaillions en partenariat avec eux, et a mis fin à ces activités, il y a quelques années déjà. - Cela a dû avoir un impact pour vous donc ? - Oui, les projets étaient difficiles à maintenir, nous avons commencé à récolter des fonds par-ci parlà… Oui ce n’était pas facile - Mais vous avez tout de même poursuivi les projets… ? - Oui car nous avons appliqué une méthode spéciale, en mobilisant les personnes de la communauté pour qu’ils s’entraident. Ces personnes vivent donc dans la communauté, et en y restant alors ils ont pu apporter une forme de continuité, à travers un club dont ils sont les représentants, nous les avons surnommés « Health ambassador », ambassadeurs en matière de santé publique. Ils sont eux- 215 mêmes des habitants des quartiers des communautés migrantes. Ils étaient prêts à poursuivre les activités, c’est pour cette raison que nous avons maintenu nos projets, depuis 2011, l’année où nous avons perdu nos financements, jusqu’à cette année. Tout ce temps nous sommes parvenus à continuer les projets, peu à peu, d’une manière peu évidente. - N’avez-vous pas trouvé d’autres fonds ? - Les autres fonds ne représentent pas l’ampleur des sommes que nous recevions de GSK, car c’est une grande entreprise. - Ainsi vos activités sont moins nombreuses qu’auparavant, n’est-ce pas ? - Oui tout à fait, c’est plus difficile. Vous pouvez voir ces quelques personnes (elle me montre les portraits au mur), ce sont des personnes que nous avons été trouver dans chacune des communautés migrantes où nous menons nos activités, nous les avons recrutées et formées, pour qu’elles deviennent les responsables des « centres de vie » (Shenghuo Guan). - Et de quoi sont-ils en charge ? - Ils font eux-mêmes partie de la population flottante. Ils sont responsables d’organiser des activités, de découvrir des problèmes et de les résoudre. Notre organisation leur apporte une assistance, et les aide à trouver des ressources. Notre rôle n’est pas du tout d’apporter une aide directe aux bénéficiaires, car nous sommes certains que ces personnes sont les mieux placées pour comprendre les besoins de la population migrante, et pour résoudre les problèmes. Nous les aidons juste à trouver les ressources dont ils ont besoin à cet effet, et à les former. - Durant la période où vous receviez les fonds de GSK, les activités que vous meniez ciblées une population plus grande, n’est-ce pas ? Les bénéficiaires étaient-ils plus nombreux que maintenant ? Les personnes qui recevaient votre aide étaient-ils plus nombreux, ou représentent-ils encore le même groupe de personnes ? - En réalité, ils sont plus nombreux à présent, car nous avons inclus une nouvelle communauté. Nous sommes présents dans 3 communautés à Shanghai, et une à Pékin, près de la gare ferroviaire du Sud, où se trouvent de nombreux migrants. En tout, nos projets s’étendent aujourd’hui dans 4 lieux, mais nous n’avons pas pu les développer davantage. - Vous avez un autre bureau à Pékin alors ? - Oui, à Pékin il y en a un autre. - Pouvez-vous me dire quels sont les quartiers de Shanghai que vous aidez ? - Il y a Sanling, Pujiang qui se trouve dans le district de Minhang, et encore un autre dans le district de Hongkou. Les trois communautés ont leurs propres caractéristiques. Par exemple, pour celle de Hongkou, le responsable est un homme. À Sanling et Pujiang, les activités « Hao Yun Mama » (« Maman enceinte et en bonne santé ») qui ciblent les femmes enceintes sont plus nombreuses. Il s’agit d’activités autour des soins de santé pendant la grossesse, de la nutrition des enfants… Il y a aussi le projet « Lüse Gangwan » (« le port vert ») qui consiste à promouvoir un environnement familial sans violence. « Meili Nu Xing » (« Des belles femmes ») porte sur la promotion de la santé sexuelle, et prévention de la maternité précoce. « Jiankang Ni Wo » (« Toi et moi en bonne santé ») porte sur les IST et le SIDA. Et enfin, « Chengshi Shiying » (« S’adapter à la ville »), est un projet qui vise à aider les migrants à s’adapter à la vie urbaine lorsqu’ils arrivent à Shanghai. Dans la communauté du district de Hongkou, ce sont principalement les activités de « Jiankang Ni Wo » qui sont organisées. À Sanling et Pujiang, ce sont plus les services qui ciblent les femmes qui sont mis en place, car ces communautés comptent plus de femmes, qui ne travaillent pas durant la journée donc elles sont nombreuses à participer aux activités. Les hommes eux sont au travail pendant que les femmes sont à la maison et s’occupent des enfants. - Ah oui, donc ils ont migré avec leurs enfants ? - Oui. 216 - Ces enfants vont-ils à l’école ? - Oui, dans des écoles pour les migrants, des écoles qui sont gérées par des privés, par des écoles publiques du gouvernement. Mais les migrantes qui sont arrivées assez jeunes et qui ont donné naissance à leur enfant à Shanghai, peuvent les mettre à la maternelle. Il s’agit aussi d’école maternelle privée. C’est par contre plus difficile pour l’école primaire, depuis une réglementation du gouvernement de Shanghai mise en place l’année dernière : les migrants qui veulent inscrire leur enfant à l’école primaire doivent être en possession de nombreux permis et documents. Mais ceux-ci sont difficile à obtenir, par exemple, s’ils n’ont pas de travail, alors ils n’ont pas le permis de travail, il y a aussi le permis de résidence, etc. Ainsi, depuis l’année dernière, une partie des enfants n’étudient plus à Shanghai, ils ont dû retourner étudier dans leur ville natale. - Leurs parents retournent-ils avec eux ? Ou comment font-ils ? - Certains font le choix de rester ici travailler, et leurs enfants font alors partie d’une autre catégorie que l’on appelle « les enfants abandonnés ». Les parents restent ici pour gagner leur vie, et retournent voir leur enfant pour le nouvel an. Ou alors, il arrive aussi que la maman rentre avec l’enfant dans leur ville natale, et le père reste ici. - La situation reste assez difficile. - Oui, très difficile. - Quelle sorte de relation avez-vous avec le gouvernement ? Vous soutient-il par rapport à ce projet, par exemple ? - Il y a une organisation à Shanghai qui s’appelle « la Commission de la santé et du planning familial » (Weisheng Jisheng Wei) peut-être que vous connaissez. Il y a quelque année, le département du planning familial, qui s’occupe du contrôle des naissances, a fusionné avec l’organisation de la santé, pour devenir « la Commission de la santé et du planning familial ». Ils voudraient en particulier limiter le nombre de naissances parmi la population flottante de Shanghai. Car en général les migrants, une fois à Shanghai donnent naissance à deux enfants ou plus. La Commission est contre cette situation, mais ne parvient pas à mettre la main sur ces personnes, car ils s’enfuient dès qu’ils tentent de les contacter. Par contre, les organisations sociales comme nous parviennent à entrer en contact avec eux. La Commission n’a pas envie d’utiliser des méthodes sévères ou violentes, donc elle voudrait essayer de collaborer avec nous pour que nous communiquions avec eux concernant les naissances. En 2010 ou 2011, l’hôpital appartenant au planning familial de Pujiang a établi un partenariat avec nous, car cet hôpital couvre la région où se trouve cette population migrante. Si les migrants donnent naissance à leurs enfants dans cet hôpital, ils peuvent obtenir des prix avantageux et des services tels que les examens prénataux. Nous avons donc expliqué aux migrantes que si elles tombent enceintes, elles doivent s’y rendre pour faire les examens prénataux, et ne peuvent pas simplement donner naissance à l’enfant sans avoir fait des examens au préalable. Elles doivent aussi participer aux classes dispensées aux femmes enceintes, elles doivent apprendre comment se passe l’accouchement, comment protéger son enfant, comment l’allaiter, … l’hôpital nous envoie des docteurs pour qu’ils nous aident à enseigner ces connaissances aux futures mères. - Ces cours sont nécessaires car elles ne savent pas comment s’y prendre ? - C’est plutôt qu’elles ne s’en préoccupent pas. Elles pensent qu’il suffit juste d’accoucher, et puis c’est tout. Elles ne pensent pas qu’il faille faire attention durant et après la grossesse, pour que l’enfant soit en bonne santé et puisse développer ses capacités intellectuelles, qu’il faille le vacciner, l’allaiter, ensuite lui donner une alimentation équilibrée, des compléments en fer et en calcium… Non, elles ne s’en préoccupent pas trop. Elles pensent qu’elles peuvent faire comme ont fait leurs parents, et tout ce qui compte c’est que l’enfant grandisse. Et parce qu’elles donnent naissance à beaucoup d’enfants, elles ont peur que si elles se rendent à l’hôpital et qu’on découvre qu’elles ont d’autres enfants, on les force à avorter. Certaines pensent que comme ils ne veulent pas qu’elles aient plusieurs enfants, alors elles ne devraient pas aller à l’hôpital. D’autres pensent plutôt sur le plan financier, chaque fois qu’elles vont faire un examen, elles devront payer car elles n’ont 217 pas d’assurance donc doivent payer elle-même. Ce n’est pas comme nous (citoyens urbains), nous pouvons contracter une assurance maternité. - Comment les aidez-vous par rapport au problème d’assurance ? Les aidez-vous à payer les examens ? - En ce qui concerne les assurances, c’est un tout autre problème… Il n’y a qu’en travaillant que l’on peut être assuré. Cela voudrait dire qu’on devrait également les aider à trouver du travail. - Et le faites-vous ? - Il y a juste dans le district de Hongkou, le responsable aide les migrants à trouver du travail, parce que dans cette communauté de migrants, les hommes sont plus nombreux. Mais par exemple, ces femmes, elles ne peuvent pas travailler. Si elles travaillent, alors il n’y a personne pour s’occuper des enfants. Donc elles ne travaillent pas pendant la journée, jusqu’à la fin de la maternelle, lorsque l’enfant entre à l’école primaire. Le matin alors elles peuvent l’emmener à l’école et le récupérer le soir. Entre temps elles peuvent aller travailler. Parmi celles dont les enfants ont moins de 5 ans, il n’y en a aucune qui travaille. - En général quel genre de travail les migrants font-ils à Shanghai ? Les hommes et les femmes, lorsqu’elles aussi travaillent ? - Les hommes en général sont chauffeurs de camions, ou ils travaillent dans la construction, dans la démolition et la construction des immeubles, ou dans la livraison et au mieux dans une usine. Les femmes en général travaillent plutôt dans les usines qui sont impliquées dans le commerce de détail, dans l’industrie de textile ou de l’électronique. D’autres travaillent également de manière temporaire dans les magasins ou supermarchés. Celles qui sont plus âgées travaillent en tant que domestiques de maison. - Et à Shanghai, est-il vrai que peu de migrants travaillent dans les usines ? - Cela dépend de quelles sortes de migrants parlez-vous ? Car si vous pensez aux migrants qui viennent des campagnes, ceux-là ne trouvent pas facilement de travail à l’usine. - Pourquoi ? - Parce qu’il leur faut au moins avoir suivi une formation secondaire, avoir obtenu un certificat, savoir lire, écrire et avoir certaines connaissances. Donc la plupart des migrants qui viennent des campagnes travaillent plus dans le domaine de la construction. Il y en a aussi qui travaillent dans la livraison, ou en tant que chauffeurs par exemple de bus longue distance ou dans le transport de biens et matériels ou encore transport de marchandise… En somme ils font en général des métiers plutôt pénibles. - Votre organisation fait-elle du plaidoyer ? Défend-elle la cause des migrants auprès du gouvernement par exemple ? En lui expliquant les problèmes que les migrants rencontrent dans les grandes villes, pour pouvoir trouver une manière de les résoudre ? - Ceux avec qui nous sommes le plus en contact, c’est la Commission dont je vous ai parlé précédemment. Surtout avec ce département, qui s’occupe plutôt de tout ce qui concerne la reproduction et la santé. Donc nous communiquons avec eux sur ce domaine. Concernant les autres problèmes, comme l’éducation, nous n’avons pas de contact avec le Bureau de l’éducation. Ou encore, dans le domaine du travail, nous n’avons pas de contact avec le Bureau de la protection du travail... - Vous vous concentrez donc plus sur tout ce qui touche à la santé ? - Oui, tout ce qui concerne le planning familial. - Votre organisation a été créée en quelle année vous m’avez dit ? 2010 ? - 2009. - Ah oui, 2009, et vous avez pu directement vous enregistrer ? Car je sais que les ONG rencontrent en général des difficultés à s’enregistrer… 218 - Non, nous nous sommes enregistrés en 2009, dans le nouveau district de Pudong, au Bureau de l’administration civile. - Et facilement ? - Nous faisions partie du premier incubateur d’ONG. Vous connaissez NPI (Non-Profit Incubator) ? C’est une organisation sociale. Nous sommes les premières à avoir été formées, à être considérées comme remplissant les critères et à pouvoir ainsi s’enregistrer. - Cela signifie donc que votre relation avec le gouvernement a été la meilleure depuis ce temps-là, en considérant que vous étiez parmi les premières organisations de l’incubateur n’est-ce pas ? - On ne peut pas dire non plus qu’elle soit la meilleure. Cela dépend, nous avons différents projets, et certains reçoivent plus d’attention de la part du gouvernement. Ces deux -là (en me montrant sur le fascicule) par exemple, car Shanghai fait face à un grave problème de vieillissement de la population. Notre projet concernant les « nouveaux citoyens », reçoivent surtout plus d’attention d’entreprises et des étrangers. Car Shanghai, avec sa population de 24 millions de personnes, est vraiment une grande métropole, donc actuellement le problème des migrants n’est pas du tout le plus important. Les personnes âgées oui. - Vous pensez donc que le gouvernement ne considère par la population migrante comme étant un problème à résoudre maintenant ? - C’est un problème, mais il y a un ordre de priorités. - Il est d’abord nécessaire de résoudre les autres problèmes, c’est cela ? - Oui. Actuellement le gouvernement n’a pas encore clairement mis en place des mesures concernant les actions à prendre par rapport à la population flottante. - Mais n’avez-vous pas remarqué des changements récents sur ce plan ? Le gouvernement n’a-t-il pas récemment mis en place des mesures ou politiques ? - Tout au début, par exemple il y a deux ans, le gouvernement parlait surtout de limiter la population migrante, ensuite de leur fournir des services, comme ce que je vous expliquais avec les réductions que les femmes peuvent obtenir à l’hôpital, etc. Actuellement, cet avantage n’existe plus. Les mesures qui les permettaient d’obtenir ces avantages ont été supprimées. On est de nouveau dans une situation plutôt calme. Au début, c’était plutôt « ne venez pas, sinon je vous contrôle », examiner toutes sortes de certificats. Après c’est devenu « si vous venez, vous devenez des nouveaux Shanghaïens, je vous offre ces services-là, car vous apportez aussi votre contribution à la ville ». Et maintenant, c’est « je ne vous offre pas de services, mais je ne vous impose pas non plus de limites », il s’agit d’une situation plutôt stable, une coexistence paisible. - C’est-à-dire qu’ils peuvent venir, mais que le gouvernement ne s’en occupe pas vraiment ? - Maintenant, s’ils viennent et que la Commission de la santé et du planning familial découvre qu’une femme a à nouveau mis au monde un enfant, elle obtiendra de toute façon un certificat de naissance. Il n’y a actuellement aucune mesure claire à leur encontre, le gouvernement ne les regroupe pas dans une catégorie à part, comme s’ils étaient différents de la population locale, ils ont plutôt atténué cette division. Comme par exemple, auparavant ils étaient appelés « waidi ren » (personnes venant de l’extérieur). À présent on ne dit plus ça, on dit « lai hu renyuan » (personnel venu à Shanghai). - Ah oui, j’ai vu cette expression. Pourriez-vous expliquer les points forts et les points faibles que votre organisation a concernant le projet « nouveaux citoyens » ? - Notre point fort, c’est un que j’ai déjà énoncé, le fait que nous ne servions pas directement les bénéficiaires ni l’interlocuteur direct de ceux qui reçoivent les aides. Car nous sommes convaincus qu’ils ont également du potentiel et des compétences. Nous sommes certains que chacun d’entre eux a des compétences, le problème est seulement qu’ils n’ont pas l’opportunité de le montrer, ils n’ont pas de plateforme ou de ressources. Ainsi, nous sommes là pour établir les connections qui leur manquent, nous nous efforçons de leur faire parvenir une partie des ressources disponibles 219 dans la société. Nous leur offrons la possibilité d’obtenir ces opportunités et de grandir et réaliser leurs objectifs de départ, ce pourquoi ils sont venus à Shanghai. Ils sont peut-être venus ici en pensant que Shanghai est une grande ville et ils pourront se développer et vivre une vie meilleure, une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé. Nous voulons assurer qu’ils puissent réaliser leurs buts. Cette avec cette vision que nous intervenons dans les communautés. Y compris les « centres de vie » que nous établissons dans la communauté migrante, nous ne les considérons pas comme étant les nôtres. Ce sont les leurs, ils appartiennent aux responsables et à la communauté. D’ailleurs, les personnes qui vont dans le centre, ils connaissent seulement ces responsables. - Ah, ils ne savent pas que derrière ils reçoivent l’appui de Xintu ? - Si, ils le savent, mais ils les reconnaissent eux, pas Xintu, ils écoutent les responsables. - Et donc, vous voyez cela comme votre point fort ? - Oui, nous n’exigeons aucune reconnaissance ou gratitude de leur part envers nous. Car nous savons, un jour nous quitterons cette communauté. Car cela signifierait que nous aurons réussi notre objectif. Si nous ne partons pas, cela veut dire qu’ils dépendent toujours de nous pour trouver les ressources dont ils ont besoin, cela veut dire qu’ils n’ont pas réussi à se développer. Par contre, si nous parvenons à les quitter, cela veut non seulement dire que les responsables sont capables d’organiser des activités, mais aussi qu’ils parviennent à récolter des fonds et qu’ils peuvent continuer à développer la communauté. Il ne faut pas que ce soit un processus entrecoupé « aujourd’hui nous avons réussi à obtenir des fonds de cette entreprise, alors nous allons mettre en place cette activité » et puis « demain, nous n’avons pas reçu de fonds, alors il n’y a aucune activité prévue, nous ne pouvons pas demander au docteur de venir nous enseigner des choses, nous ne pouvons pas distribuer des préservatifs… nous ne pouvons rien faire ». Cela ne doit pas être un procédé interrompu, mais un procédé durable où ils sont autonomes. - Et vos points faibles ? - La récolte de fonds, sur ce plan, nous sommes moins bons. C’est très difficile. Par exemple, en 2013, nous ne sommes parvenus à récolter à peine quelques milliers de Yuans pour toute l’année, lors d’une campagne publique de récolte de fonds. Ce n’étaient pas des fonds de telle ou telle entreprise. Avec quelques milliers de Yuans seulement, il est impossible de poursuivre nos activités. Car nous devons payer le loyer des centres de vie, les charges pour l’eau et l’électricité… Nos compétences en matière de levée de fonds est plutôt faible. - Avez-vous l’intention de trouver une manière de résoudre ce problème ? Ou vous vous occupez de ce projet lorsque vous avez des fonds, et sinon, vous le suspendez temporairement ? - Nous essayons différentes manières de récolter des fonds. Nous approchons par exemple les fondations, nous essayons auprès des fondations chinoises, des fondations étrangères, nous les avons toutes essayées. Nous avons cherché sur internet, par exemple la fondation Bill Gates, la fondation Baxter, nous avons envoyé des propositions de projets à financer. Nous essayons via des sites internet, par exemple GlobalGiving. À Shanghai, il y a aussi LianQuan (Shanghai United Foundation), une fondation lancée par NPI (Non-Profit Incubator), dans le but de lever des fonds. Nous avançons petit à petit, l’objectif est toujours d’aller de l’avant, même si la route paraît longue. - Mais à vous entendre, il y a beaucoup d’opportunités et de fondations, mais vous ne parvenez pas à trouver les fonds… n’est-ce pas ? - Oui, nous n’avons pas obtenu beaucoup de contrats de financements… Avec la Fondation Horace Kadoorie de Hong Kong, nous avons réussi deux ou trois fois, ce n’est pas beaucoup. En réalité, en comparaison avec d’autres groupes de bénéficiaires, les migrants ne paraissent pas aussi nécessiteux et vulnérables. Ils ne sont pas handicapés, ils n’ont pas autant de difficulté. Ce n’est pas aussi simple d’attirer l’attention de tous sur cette population. - Mais vous-même pensez tout de même qu’ils méritent cette attention, non ? - Oui, mais peut-être que les autres pensent qu’ils sont déjà beaucoup mieux à Shanghai que dans leur lieu d’origine rural. Mais ce n’est pas le cas. Mais pourquoi viennent-ils à Shanghai ? Je leur ai 220 moi-même posé la question. En réalité, le salaire qu’ils gagnent à Shanghai est une à deux fois supérieur que celui qu’ils gagnent à la campagne. C’est pour cette raison qu’ils sont prêts à quitter leur village pour venir à Shanghai. - Mais la vie est plus chère ici ! - Oui, donc ils vivent sous pression économique. Ils vivent dans un peu plus d’une dizaine de mètres carrés, pour 200-300 Yuans par mois, sans salle de bain ni toilette, sans cuisine. Je pourrais vous y emmener si vous voulez. Le mois dernier j’y suis allée avec quelqu’un de Save the Children. Ils ont été visité les communautés de migrants dans lesquels nous avons nos projets. Ils vivent dans des maisons plain pied, pas des immeubles, plus ou moins dix mètres carrés, plutôt humide, et il n’y a pas moyen de prendre une douche, il s’agit de verser de l’eau dans un seau, que l’on jette sur soi pour se laver, à l’extérieur. Les toilettes sont à usage public, et ce ne sont pas des toilettes, ce sont des latrines. On ne peut pas non plus dire qu’ils aient une cuisine, il s’agit seulement d’un endroit à l’extérieur de la maison où ils préparent à manger sur un feu. Ils s’efforcent de maintenir leurs dépenses sociales assez basses, par exemple, un loyer meilleur marché, une alimentation plus simple,… Les raisons pour lesquelles ils viennent à Shanghai sont parfois très simple, par exemple un ami du village qui leur demande de les accompagner pour aller chercher ensemble du travail en ville. Et une fois en ville, les groupes de personnes venant d’un même village habitent ensemble. Mais personne n’est là pour les guider dans leur migration et recherche de travail, en pouvant leur donner des conseils, au niveau de la préparation, ou en leur expliquant s’ils ont telle ou telle aptitude, ils pourront trouver ce genre de travail… En général ils s’en sortent via leurs relations de leur lieu d’origine, et car ce sont des personnes qui savent endurer des tâches pénibles. - Vous venez d’expliquer que leurs conditions de logement sont assez mauvaises, n’est-ce pas ? - Oui. - Donc, ils doivent rencontrer des problèmes au niveau de l’hygiène, non ? - En effet. - Leur enseignez-vous alors, via les responsables des communautés, des pratiques d’hygiène, comment se laver… ? Car j’ai entendu qu’ils ne se préoccupent pas vraiment de ce problème, s’ils ne se lavent pas, ils ne considèrent pas cela comme un problème… - Oui tout à fait. On ne leur enseigne pas à se laver, cela relève des habitudes de chacun… C’est sûr qu’il faut enseigner aux parents de laver les mains de leurs enfants, mais si vous allez dans ces communautés, vous pouvez réaliser que ces enfants en général sont tous tout sales, leur figure et leurs mains, leurs vêtements sont aussi très sales… l’endroit en lui-même est très sale, des déchets, de la poussière, de la boue… Lorsque les enfants jouent, il suffit qu’ils touchent quoi que ce soit, ils se salissent… Les mamans ont beau s’en occuper, elles n’en sont pas capables, dans ces conditions. De plus, il y a des priorités, et l’hygiène n’est pas considérée comme étant l’une des plus importantes. Peut-être qu’elles considèrent cela comme important, mais elles vont compter plutôt, ce mois-ci, elles ont combien d’argent pour acheter à manger, quand est-ce qu’elles doivent payer le loyer, comment vont-elles envoyer les enfants à l’école… Si leur mari travaille dans la construction, ce n’est pas un emploi stable : ce mois-ci il y a du travail, donc il y a de l’argent, mais le mois prochain, lorsque l’immeuble sera construit, il n’y aura plus de travail, donc il faudra en trouver un autre parce qu’il n’y aura plus d’argent… Donc ce sont ces choses-là qui sont prioritaires, bien avant celle de laver les mains, les vêtements,… Cependant, chaque année le 15 octobre, pour la journée mondiale du lavage des mains, nous faisons des activités avec eux pour leur apprendre à bien se laver les mains. - Vous le faites via les responsables des communautés ? - Oui, via les responsables que l’on a aussi nommé « ambassadeurs en matière de santé ». Car comme ils font partie de la communauté, ils savent sous quelle forme leur adresser ces messages. Donc nous leur donnons des ateliers avant les activités, durant lesquels nous leur apprenons comment récolter de l’argent afin de pouvoir mettre en place ces activités, comment organiser des ateliers, quelles activités organiser, qui doivent-ils inviter à participer, que doivent-ils acheter,… 221 Après, nous les laissons préparer, et s’ils ont besoin de quelque chose qu’ils ne trouvent pas dans la communauté, alors nous les aidons à préparer, ou par exemple s’ils ont besoin de la participation d’un docteur, nous pouvons les aider à en trouver un, ou les aider à acheter du savon, à trouver une image d’une bactérie pour expliquer à quoi cela ressemble,… Et ensuite, les ambassadeurs se chargent d’inviter et mobiliser les personnes de la communauté à participer aux activités. Le jour des activités, ce sont également eux qui s’occupent de l’organisation en fonction du thème, et nous coopérons. Et parce qu’ils viennent des communautés, et connaissent tout le monde, les participants sont plus réceptifs à leurs conseils, parce qu’ils comprennent ce qu’il raconte, certains utilisent le dialecte des lieux d’origine des migrants, utilisent une langue populaire et non la langue littéraire que nous employons. Lorsqu’on utilise une façon de parler qu’ils ne comprennent pas, alors ils n’aiment pas écouter. Ils écoutent donc plus facilement leurs ambassadeurs. - Vous disiez que votre objectif est qu’un jour, si vous avez réussi votre mission, vous partiriez car ils seraient à même de se débrouiller tous seuls pour continuer à se développer. - Oui, ils peuvent eux-mêmes entreprendre des partenariats avec de nombreuses personnes. Car pour le moment, nous les aidons surtout à récolter des fonds. Au début, nous les avons formés, enseigner ce que c’est la santé, pourquoi aider les autres à maintenir une bonne santé, comment aider, comment organiser des activités, comment mobiliser les personnes à y participer, comment faire des rapports des activités, comment écrire un message sur Weibo (twitter chinois), comment utiliser un téléphone portable, ou un ordinateur… une fois qu’ils sont formés, et qu’ils ont appris à créer eux-mêmes des partenariats, à lever des fonds, alors ils n’ont plus besoin de nous. Ils peuvent trouver d’autres ONG avec qui collaborer, ou par exemple avec Save the Children, avec une entreprise, il y a des tas de possibilités de partenariats. - Je me demandais, votre mission étant de petit à petit vous retirer des communautés et les laisser agir pour eux-mêmes, comment votre organisation fait-elle pour compter le nombre des bénéficiaires que vous touchez, comment procédez-vous pour les rapports ? Par exemple lorsque GSK a financé vos projets, vous avez dû en rédiger, comment avez-vous pu montrer l’amélioration de la situation à la fin du projet ? - Oui, nous avons rédigé des rapports, et à chaque activité, nous avons une liste d’inscription, avec le nombre de participants. Regardez là (sur une photo), le responsable de la communauté est en train d’écrire un blog, comme nous lui avons enseigné. Nous avons un blog consacré aux migrants appelés « Le blog des migrants » (Xin Shimin Boke). - Ah, donc vous le faites aussi via les responsables - Oui, ce sont eux-mêmes qui rédigent les rapports, nous leur avons enseigné comment faire, comment prendre les présences des participants, comment tenir un registre des activités, des choses qu’ils ont peut-être distribuées, comment faire signer les personnes qui les ont reçu,… Et à la fin des activités, annoter tout ce qu’ils ont fait, et les remarques par rapport à la journée, quelles ont été les réactions des personnes. Et ensuite, décrire cela sur le blog, mettre des photos,… - Depuis 2009 vous avez travaillé avec ces trois communautés, c’est cela ? Ce sont les mêmes communautés depuis le début ? Vous n’avez jamais changé d’endroits ? - Non, car ce sont trois zones dans lesquelles se regroupent de nombreux migrants. Dans le centreville, il y a beaucoup de travailleurs, mais peu habitent ces quartiers, car c’est trop cher. Donc ce sont dans ces quartiers reculés à l’intersection de la ville et des banlieues que les migrants habitent. La plupart vivent dans ces trois zones, donc nous intervenons là. - Donc vous avez l’intention de rester dans ces quartiers où les migrants vont et viennent, vous n’allez jamais changer d’endroits ? - Non, les endroits ne changent pas, car il n’y a que dans ces zones-là qu’ils peuvent bénéficier d’un loyer bon marché. Certains rentrent chez eux dans leur ville natale, et les nouveaux qui arrivent vont également habiter dans ces zones-là, car ce sont dans leur ville natale qu’ils prennent connaissance de ces endroits. Les migrants ont donc l’habitude de vivre dans ces quartiers-là. 222 - Et ces trois responsables (dont les portraits sont accrochés au mur), ils ne changeront pas non plus ? Cela a toujours été ces trois-là depuis le début ? - Non, ils ont changé depuis, car il y a eu un arrêt du projet et ils n’ont plus reçu de subsides. Il y en a un qui a dû arrêter pour chercher du travail. Celui-là a été présent de 2010 à 2013, et en 2014, car il n’y avait plus d’argent, il est aussi parti chercher un autre emploi. Nous ne leur interdisons bien évidemment pas de partir, nous espérons qu’ils trouvent une meilleure situation. Par exemple, nous l’avons même aidé à ouvrir sont propre magasin en ligne, pour vendre les vêtements qu’elle confectionne elle-même. Nous ne refusons pas qu’ils trouvent un meilleur emploi. De toute façon, cela est aussi la preuve qu’à travers leur expérience avec nous, ils ont pu acquérir des compétences qui leur permettent de trouver un nouvel emploi, ce qui est aussi très bien. Par exemple, le responsable du centre du district de Hongkou lui n’a jamais changé. À Pékin, le responsable à changer une fois. - Et lorsqu’ils changent d’emploi, qui les remplace en tant que responsable ? - Oh, nous en trouvons toujours parmi la communauté. Il nous suffit d’observer durant les activités, il y en a toujours un qui montre des compétences de leader. Car, même si nous ne dirigeons pas les activités, nous sommes présents, sur le côté, et nous pouvons tout de suite voir qui pourrait prendre la place du responsable, quelqu’un qui parle de manière chaleureuse, qui aime bien prendre la parole, qui est prêt à aider les autres, qui s’affaire. - Et ce sont eux qui se portent volontaire pour relayer le poste de responsable ou c’est vous qui allez discuter avec eux pour savoir s’ils en ont envie ou non ? - Ils sont d’abord choisi en tant qu’ambassadeurs en matière de santé, et s’ils le remplissent bien leurs responsabilités, alors nous les formons pour qu’ils deviennent responsable de la communauté. - C’est donc vous qui les désignez responsable ? - Oui. Tout d’abord, nous entrons dans la communauté et cherchons où nous pourrions établir le centre communautaire. Nous nous occupons vraiment de la partie fondamentale. À ce moment-là, nous arrivons dans une communauté qui nous est étrangère, et nous sommes également des étrangers pour eux, donc c’est à nous de trouver l’endroit, et d’entamer la mise en œuvre du projet. Ensuite, nous devons entrer en contact avec les personnes, les observer, et lorsque nous avons trouvé les bonnes personnes, nous les formons. - Je sais que pour l’instant vous faites face à un manque de financement, mais si vous trouvez un nouveau partenaire qui vous finance à la hauteur d’une entreprise comme GSK, auriez-vous alors l’intention de développer vos projets ? D’aller dans de nouvelle communauté ? - Nous espérons étendre nos activités à Chengdu dans la Province du Sichuan, Qingdao, … et d’autres villes. Si les fonds sont suffisants nous aimerions développer notre population de bénéficiaires, et étendre nos services. Par exemple, le centre de Sanling n’a plus assez de fonds alors ils ont commencé à fournir des services à bas prix pour la communauté. C’est eux-mêmes qui ont pensé à mettre en place cela : dans le centre de vie de la communauté, il y a une machine à laver, car les habitants eux-mêmes n’en disposent pas, ils vendent aussi des plats chinois, il y a un service de garderie pour les enfants dont les mamans travaillent plus tard que 3 heures et ne peuvent donc les récupérer à l’école, ils ont acheté des banquettes pour les enfants. Mais les charges sont peu élevées, à peine plus de 20 Yuans par mois. Il y a aussi des classes d’accueil pour les enfants encore très petits. D’habitude ils n’enverraient pas leurs enfants en classe d’accueil. C’est à partir de 2013 que le centre de Sanling a commencé à offrir ces services pour pouvoir survivre. Il y a aussi des activités dansantes pour les femmes. Ils leur ont acheté un baffle pour qu’elles puissent danser sur la musique pour un petit montant. Mais, les montants récoltés grâce à ces services ne sont pas élevés, à peine quelques centaines de Yuans par mois, car ils ne peuvent pas demander trop à la communauté. - Et à part vous, qui s’occupe de ce projet « nouveaux citoyens » ? Comment se compose votre équipe ? 223 - Notre équipe est divisée en trois. D’abord, il y a tous les employés de l’organisation qui travaillent à temps plein. Ensuite, il y a les responsables des communautés et les ambassadeurs de santé, que l’on compte également comme faisant partie de l’équipe. Et enfin, les personnes à qui l’on fait appel pour les activités dans la communauté, par exemple les docteurs et nutritionnistes qui viennent donner cours et conseils, les bénévoles d’entreprises qui organisent des activités durant le weekend… Regardez là par exemple c’est un bénévole de Citibank. - Ah oui, eux sont là en tant que volontaires, c’est cela ? - Oui, ils viennent enseigner aux migrants comment utiliser l’ordinateur, organisent des activités, jouent avec eux au basketball,… - Combien sont-ils approximativement ? - Les bénévoles changent tout le temps. Ils viennent lorsqu’ils ont le temps. Et s’ils ont des choses de seconde main qu’ils n’utilisent plus chez eux, des livres, des vêtements, des jouets, ils les offrent au centre communautaire. Les responsables les redistribuent ensuite. - Pourriez-vous parler un peu de vos partenariats ? Avez-vous des partenariats avec des entreprises, des ONG, ou des organisations gouvernementales ? - Oui, ils se divisent en trois parties, les entreprises, les organisations gouvernementales, et d’autres organisations sociales. En ce qui concerne les premiers, la première entreprise fut GSK. Il y en a d’autres qui nous font des dons de matériels. Il y a aussi l’AmCham (Chambre de commerce américaine), et la chambre de commerce britannique qui nous ont donné des fonds. Save the Children également. Les autorités du planning familial des quartiers de Sanling et de Pujiang nous ont aussi aidés financièrement, nous permettant de mettre en place des activités pendant quelques mois, par exemple « Xiaoxiao Bama Xian » (Les parents surveillent leurs enfants), un projet pour enseigner la sécurité des enfants. Ils ont aussi donné aux centres des téléviseurs et des ordinateurs, pour leur permettre d’aller sur internet, pour qu’ils puissent par exemple acheter des billets de train, ou d’autres choses. Quant aux privés, il y a par exemple « Eco-Baby » qui promeuvent l’utilisation de matériels écologiques pour les bébés. Voilà à peu près nos partenaires… - D’accord. Enfin, j’ai l’impression que votre situation quant à ce projet n’est pas stable pour l’instant, que vous faites un peu au jour le jour… ai-je raison ? - Oui. Mais comme nous sommes employés à temps plein, si nous n’avons pas de financement pour ce projet, nous nous occupons des autres projets. Nous nous chargeons de ce projet à temps partiel. Car chaque employé s’occupe de plusieurs projets à la fois, cela dépend des fonds disponibles. Chacun se charge constamment de chercher des financements. - Mais même si votre situation financière n’est pas stable, vous continuerez ce projet, n’est-ce pas ? - Oui absolument, nous continuerons. Nous sommes confiants que la situation évoluera d’une manière ou d’une autre. Bien sûr, il y aura toujours des obstacles à surmonter. Mais les « nouveaux citoyens » auront toujours des opportunités et des compétences pour évoluer. Mais seulement ceux qui s’accrochent resteront. Ceux qui ne parviennent vraiment pas à s’adapter à la vie citadine, alors ils rentreront dans leur village natal. Toutefois, c’est un autre sujet, comment développer les campagnes, les infrastructures locales… Mais nous sommes certains que la situation ne cesse d’évoluer de manière positive, d’une manière plutôt détournée et tortueuse à l’image de l’ADN, de manière indirecte, mais elle se dirige vers le haut. Nous poursuivrons nos efforts, et nous sommes certains qu’ils s’efforcent également de faire évoluer leur situation. - Et le gouvernement ? - Le gouvernement aussi, il observe la situation mais ne sait pas non plus comment elle peut évoluer. Car le gouvernement n’est pas jeune, mais ce problème est plutôt récent en Chine, il n’a pas d’expérience quant à la manière de résoudre cette question. Face à une population de 24 millions d’habitants concentrés dans une seule ville, il n’existe aucun modèle qu’il peut suivre. La population chinoise est surtout concentrée dans 3 métropoles, Pékin, Shanghai, Canton. Les problèmes auxquels Shanghai fait face, personne n’en a eu l’expérience. Donc le gouvernement 224 doit d’abord s’occuper des problèmes prioritaires pour la ville. Cette année, l’Assemblée populaire nationale, qui s’est tenue avant-hier, a publié 10 projets que Shanghai doit mettre en œuvre. L’un d’entre eux vise la population âgée, mais il n’y a rien pour la population flottante. Les ressources de la ville sont d’abord allouées à des problèmes à résoudre en priorité. Quant à la population migrante, le gouvernement n’a pas encore établi des politiques spécifiques. Il paraît observer assez légèrement, n’a pas encore attaqué le problème de manière directe, n’a pas encore tenté de transformer la situation. 225 Notre étude se focalise essentiellement sur le milieu urbain qui témoigne d’une dichotomie sociale institutionnalisée. Selon notre hypothèse, le système d’enregistrement des ménages, dit « système du hukou », constitue l’instrument étatique à l’origine d’une ségrégation entre citoyens urbains et ruraux. Notre réflexion nous amènera ainsi à confirmer la croyance selon laquelle des masses de travailleurs ruraux migrants ont été et sont encore sacrifiés sur l’autel du développement économique de la Chine qui a connu un tournant à l’instauration des réformes de Deng Xiaoping à la fin des années soixante-dix. Au-delà du constat et de l’exposition des inégalités inhérentes au système en place, nous nous sommes interrogés, d’une part, sur l’existence d’acteurs sociaux qui tentent d’apporter une solution aux difficultés que rencontrent les migrants et leur famille en zone urbaine et, d’autre part, sur la relation que ceux-ci entretiennent avec les autorités publiques. L’objectif de ces questions étant entre autres de définir si des changements positifs prennent progressivement place en faveur de la population migrante, nous avons décidé de nous rendre à Shanghai, une des grandes métropoles accueillant les travailleurs migrants afin d’y mener des entretiens auprès de huit organisations à caractère social. Mots-clés : Chine, migrants, hukou, inégalités, ONG Place Montesquieu, 1 bte L2.08.05, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique www.uclouvain.be/psad 135